diff --git "a/data/tinymoliere.txt" "b/data/tinymoliere.txt" --- "a/data/tinymoliere.txt" +++ "b/data/tinymoliere.txt" @@ -9,40 +9,40 @@ Gorgibus, père d'Angélique. Villebrequin. Scène I Le Barbouillé -Il faut avouer que je suis le plus malheureux de tous les hommes. J'ai une femme qui me fait enrager : au -de me donner du soulagement et de faire les choses à mon souhait, elle me fait donner au diable vingt fois +Il faut avouer que je suis le plus malheureux de tous les hommes. J'ai une femme qui me fait enrager : au lieu +de me donner du soulagement et de faire les choses à mon souhait, elle me fait donner au diable vingt fois le jour ; au lieu de se tenir à la maison, elle aime la promenade, la bonne chère, et fréquente je ne sais quelle sorte de gens. Ah ! pauvre Barbouillé, que tu es misérable ! Il faut pourtant la punir. Si je la tuois... -L'invention ne vaut rien, car tu serois pendu. Si tu la faisois mettre en prison... La carogne en sortiroit ave -son passe−partout. Que diable faire donc ? Mais voilà Monsieur le Docteur qui passe par ici : il faut que +L'invention ne vaut rien, car tu serois pendu. Si tu la faisois mettre en prison... La carogne en sortiroit avec +son passe−partout. Que diable faire donc ? Mais voilà Monsieur le Docteur qui passe par ici : il faut que je lui demande un bon conseil sur ce que je dois faire. Scène II Le Docteur, Le Barbouillé Le Barbouillé Je m'en allois vous chercher pour vous faire une prière sur une chose qui m'est d'importance. Le Docteur -Il faut que tu sois bien mal appris, bien lourdaud, et bien mal morigéné, mon ami, puisque tu m'abordes sa -ôter ton chapeau, sans observer rationem loci, temporis et personae. Quoi ? débuter d'abord par un discou +Il faut que tu sois bien mal appris, bien lourdaud, et bien mal morigéné, mon ami, puisque tu m'abordes sans +ôter ton chapeau, sans observer rationem loci, temporis et personae. Quoi ? débuter d'abord par un discours mal digéré, au lieu de dire : Salve, vel Salvus sis, Doctor Doctorum eruditissime ! Hé ! pour qui me prends−tu, mon ami ? Le Barbouillé -Ma foi, excusez−moi : c'est que j'avois l'esprit en écharpe, et je ne songeois pas à ce que je faisois ; mais +Ma foi, excusez−moi : c'est que j'avois l'esprit en écharpe, et je ne songeois pas à ce que je faisois ; mais je sais bien que vous êtes galant homme. Le Docteur Sais−tu bien d'où vient le mot de galant homme ? Le Barbouillé Qu'il vienne de Villejuif ou d'Aubervilliers, je ne m'en soucie guère. Le Docteur -Sache que le mot de galant homme vient d'élégant ; prenant le g et l'a de la dernière syllabe, cela fait ga, +Sache que le mot de galant homme vient d'élégant ; prenant le g et l'a de la dernière syllabe, cela fait ga, et puis prenant l, ajoutant un a et les deux dernières lettres, cela fait galant, et puis ajoutant homme, cela fait galant homme. Mais encore pour qui me prends−tu ? Le Barbouillé -Je vous prends pour un docteur. Or çà, parlons un peu de l'affaire que je vous veux proposer. Il faut que v +Je vous prends pour un docteur. Or çà, parlons un peu de l'affaire que je vous veux proposer. Il faut que vous sachiez... Le Docteur -Sache auparavant que je ne suis pas seulement un docteur, mais que je suis une, deux, trois, quatre, cinq, +Sache auparavant que je ne suis pas seulement un docteur, mais que je suis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur : -I° Parce que, comme l'unité est la base, le fondement et le premier de tous les nombres, aussi, moi, je suis +I° Parce que, comme l'unité est la base, le fondement et le premier de tous les nombres, aussi, moi, je suis le premier de tous les docteurs, le docte des doctes. 2° Parce qu'il y a deux facultés nécessaires pour la parfaite connoissance de toutes choses : le sens et l'entendement ; et comme je suis tout sens et tout entendement, je suis deux fois docteur. @@ -54,7 +54,7 @@ toutes mes productions le sont aussi, je suis trois fois docteur. Le Barbouillé Hé bien ! Monsieur le Docteur... Le Docteur -4° Parce que la philosophie a quatre parties : la logique, morale, physique et métaphysique ; et comme je +4° Parce que la philosophie a quatre parties : la logique, morale, physique et métaphysique ; et comme je les possède toutes quatre, et que je suis parfaitement versé en icelles, je suis quatre fois docteur. Le Barbouillé Que diable ! je n'en doute pas. Ecoutez−moi donc. @@ -65,24 +65,24 @@ avantage, et que j'en connois l'utilité, je suis cinq fois docteur. Le Barbouillé Il faut que j'aie bonne patience. Le Docteur -6° Parce que le nombre de six est le nombre du travail ; et comme je travaille incessamment pour ma glo +6° Parce que le nombre de six est le nombre du travail ; et comme je travaille incessamment pour ma gloire, je suis six fois docteur. Le Barbouillé Ho ! parle tant que tu voudras. Le Docteur -7° Parce que le nombre de sept est le nombre de la félicité ; et comme je possède une parfaite connoissan +7° Parce que le nombre de sept est le nombre de la félicité ; et comme je possède une parfaite connoissance de tout ce qui peut rendre heureux, et que je le suis en effet par mes talents, je me sens obligé de dire de moi−même : O ter quatuorque beatum ! -8° Parce que le nombre de huit est le nombre de la justice, à cause de l'égalité qui se rencontre en lui, et q +8° Parce que le nombre de huit est le nombre de la justice, à cause de l'égalité qui se rencontre en lui, et que la justice et la prudence avec laquelle je mesure et pèse toutes mes actions me rendent huit fois docteur. 9° Parce qu'il y a neuf Muses, et que je suis également chéri d'elles. 10° Parce que, comme on ne peut passer le nombre de dix sans faire une répétition des autres nombres, et -qu'il est le nombre universel, aussi, aussi, quand on m'a trouvé, on a trouvé le docteur universel : je conti +qu'il est le nombre universel, aussi, aussi, quand on m'a trouvé, on a trouvé le docteur universel : je contiens en moi tous les autres docteurs. Ainsi tu vois par des raisons plausibles, vraies, démonstratives et convaincantes, que je suis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur. Le Barbouillé -Que diable est ceci ? je croyois trouver un homme bien savant, qui me donneroit un bon conseil, et je trou -un ramoneur de cheminée qui, au lieu de me parler, s'amuse à jouer à la mourre. Un, deux, trois, quatre, h +Que diable est ceci ? je croyois trouver un homme bien savant, qui me donneroit un bon conseil, et je trouve +un ramoneur de cheminée qui, au lieu de me parler, s'amuse à jouer à la mourre. Un, deux, trois, quatre, ha, ha, ha ! − Oh bien ! ce n'est pas cela : c'est que je vous prie de m'écouter, et croyez que je ne suis pas un homme à vous faire perdre vos peines, et que si vous me satisfaisiez sur ce que je veux de vous, je vous donnerai ce que vous voudrez ; de l'argent, si vous en voulez. @@ -91,31 +91,31 @@ Hé ! de l'argent. Le Barbouillé Oui, de l'argent, et toute autre chose que vous pourriez demander. Le Docteur, troussant sa robe derrière son cul. -Tu me prends donc pour un homme à qui l'argent fait tout faire, pour un homme attaché à l'intérêt, pour u +Tu me prends donc pour un homme à qui l'argent fait tout faire, pour un homme attaché à l'intérêt, pour une âme mercenaire ? Sache, mon ami, que quand tu me donnerois une bourse pleine de pistoles, et que cette bourse seroit dans une riche boîte, cette boîte dans un étui précieux, cet étui dans un coffret admirable, ce -coffret dans un cabinet curieux, ce cabinet dans une chambre magnifique, cette chambre dans un appartem +coffret dans un cabinet curieux, ce cabinet dans une chambre magnifique, cette chambre dans un appartement agréable, cet appartement dans un château pompeux, ce château dans une citadelle incomparable, cette citadelle dans une ville célèbre, cette ville dans une île fertile, cette île dans une province opulente, cette province dans une monarchie florissante, cette monarchie dans tout le monde ; et que tu me donnerois le monde où seroit cette monarchie florissante, où seroit cette province opulente, où seroit cette île fertile, où -seroit cette ville célèbre, où seroit cette citadelle incomparable, où seroit ce château pompeux, où seroit ce -appartement agréable, où seroit cette chambre magnifique, où seroit ce cabinet curieux, où seroit ce coffre -admirable, où seroit cet étui précieux, où seroit cette riche boîte dans laquelle seroit enfermée la bourse pl +seroit cette ville célèbre, où seroit cette citadelle incomparable, où seroit ce château pompeux, où seroit cet +appartement agréable, où seroit cette chambre magnifique, où seroit ce cabinet curieux, où seroit ce coffret +admirable, où seroit cet étui précieux, où seroit cette riche boîte dans laquelle seroit enfermée la bourse pleine de pistoles, que je me soucierois aussi peu de ton argent et de toi que de cela. Le Barbouillé -Ma foi, je m'y suis mépris : à cause qu'il est vêtu comme un médecin, j'ai cru qu'il lui falloit parler d'arge +Ma foi, je m'y suis mépris : à cause qu'il est vêtu comme un médecin, j'ai cru qu'il lui falloit parler d'argent ; mais puisqu'il n'en veut point, il n'y a rien plus aisé que de le contenter. Je m'en vais courir après lui. Scène III Angélique, Valère, Cathau Angélique -Monsieur, je vous assure que vous m'obligez beaucoup de me tenir quelquefois compagnie : mon mari es +Monsieur, je vous assure que vous m'obligez beaucoup de me tenir quelquefois compagnie : mon mari est si mal bâti, si débauché, si ivrogne, que ce m'est un supplice d'être avec lui, et je vous laisse à penser quelle satisfaction on peut avoir d'un rustre comme lui. Valère -Mademoiselle, vous me faites trop d'honneur de me vouloir souffrir, et je vous promets de contribuer de t -mon pouvoir à votre divertissement ; et que, puisque vous témoignez que ma compagnie ne vous est poin -désagréable, je vous ferai connoître combien j'ai de joie de la bonne nouvelle que vous m'apprenez, par m +Mademoiselle, vous me faites trop d'honneur de me vouloir souffrir, et je vous promets de contribuer de tout +mon pouvoir à votre divertissement ; et que, puisque vous témoignez que ma compagnie ne vous est point +désagréable, je vous ferai connoître combien j'ai de joie de la bonne nouvelle que vous m'apprenez, par mes empressements. Cathau Ah ! changez de discours : voyez porte−guignon qui arrive. @@ -128,11 +128,11 @@ Angélique Monsieur, ne m'en dites pas davantage ; je suis votre servante, et vous rends grâces de la peine que vous avez prise. Le Barbouillé -Ma foi, sans aller chez le notaire, voilà le certificat de mon cocuage. Ha ! ha ! Madame la carogne, je vo -trouve avec un homme, après toutes les défenses que je vous ai faites, et vous me voulez envoyer de Gem +Ma foi, sans aller chez le notaire, voilà le certificat de mon cocuage. Ha ! ha ! Madame la carogne, je vous +trouve avec un homme, après toutes les défenses que je vous ai faites, et vous me voulez envoyer de Gemini en Capricorne ! Angélique -Hé bien ! faut−il gronder pour cela ? Ce Monsieur vient de m'apprendre que mon frère est bien malade : +Hé bien ! faut−il gronder pour cela ? Ce Monsieur vient de m'apprendre que mon frère est bien malade : où est le sujet de querelles ? Cathau Ah ! le voilà venu : je m'étonnois bien si nous aurions longtemps du repos. @@ -152,7 +152,7 @@ Il faut savoir ce que c'est. Gorgibus Hé quoi ? toujours se quereller ! vous n'aurez point la paix dans votre ménage ? Le Barbouillé -Cette coquine−là m'appelle ivrogne. Tiens, je suis bien tenté de te bailler une quinte major, en présence d +Cette coquine−là m'appelle ivrogne. Tiens, je suis bien tenté de te bailler une quinte major, en présence de tes parents. Gorgibus Je dédonne au diable l'escarcelle, si vous l'aviez fait. @@ -165,8 +165,8 @@ Allons, taisez−vous, la paix ! Scène VI Le Docteur, Villebrequin, Gorgibus, Cathau, Angélique, Le Barbouillé Le Docteur -Qu'est ceci ? quel désordre ! quelle querelle ! quel grabuge ! quel vacarme ! quel bruit ! quel différend -quelle combustion ! Qu'y a−t−il, Messieurs ? Qu'y a−t−il ? Qu'y a−t−il ? Çà, çà, voyons un peu s'il n'y +Qu'est ceci ? quel désordre ! quelle querelle ! quel grabuge ! quel vacarme ! quel bruit ! quel différend ! +quelle combustion ! Qu'y a−t−il, Messieurs ? Qu'y a−t−il ? Qu'y a−t−il ? Çà, çà, voyons un peu s'il n'y a pas moyen de vous mettre d'accord, que je sois votre pacificateur, que j'apporte l'union chez vous. Gorgibus C'est mon gendre et ma fille qui ont eu bruit ensemble. @@ -191,8 +191,8 @@ Dites donc vite cette querelle. Gorgibus Voici ce qui est arrivé... Le Docteur -Je ne crois pas que vous soyez homme à me tenir longtemps, puisque je vous en prie. J'ai quelques affaire -pressantes qui m'appellent à la ville ; mais pour remettre la paix dans votre famille, je veux bien m'arrêter +Je ne crois pas que vous soyez homme à me tenir longtemps, puisque je vous en prie. J'ai quelques affaires +pressantes qui m'appellent à la ville ; mais pour remettre la paix dans votre famille, je veux bien m'arrêter un moment. Gorgibus J'aurai fait en un moment. @@ -201,9 +201,9 @@ Soyez donc bref. Gorgibus Voilà qui est fait incontinent. Le Docteur -Il faut avouer, Monsieur Gorgibus, que c'est une belle qualité que de dire les choses en peu de paroles, et +Il faut avouer, Monsieur Gorgibus, que c'est une belle qualité que de dire les choses en peu de paroles, et que les grands parleurs, au lieu de se faire écouter, se rendent le plus souvent si importuns qu'on ne les entend -point : Virtutem primam esse puta compescere linguam. Oui, la plus belle qualité d'un honnête homme, c +point : Virtutem primam esse puta compescere linguam. Oui, la plus belle qualité d'un honnête homme, c'est de parler peu. Gorgibus Vous saurez donc... @@ -213,7 +213,7 @@ sobriété dans le manger, et de dire les choses en peu de paroles. Commencez do Gorgibus C'est ce que je veux faire. Le Docteur -En peu de mots, sans façon, sans vous amuser à beaucoup de discours, tranchez−moi d'un apopthegme, vi +En peu de mots, sans façon, sans vous amuser à beaucoup de discours, tranchez−moi d'un apopthegme, vite, vite, Monsieur Gorgibus, dépêchons, évitez la prolixité. Gorgibus Laissez−moi donc parler. @@ -223,8 +223,8 @@ querelle. Villebrequin Monsieur le Docteur, vous saurez que... Le Docteur -Vous êtes un ignorant, un indocte, un homme ignare de toutes les bonnes disciplines, un âne en bon franç -Hé quoi ? vous commencez la narration sans avoir fait un mot d'exorde ? Il faut que quelque autre me co +Vous êtes un ignorant, un indocte, un homme ignare de toutes les bonnes disciplines, un âne en bon françois. +Hé quoi ? vous commencez la narration sans avoir fait un mot d'exorde ? Il faut que quelque autre me conte le désordre. Mademoiselle, contez−moi un peu le détail de ce vacarme. Angélique Voyez−vous bien là mon gros coquin, mon sac à vin de mari ? @@ -232,10 +232,10 @@ Le Docteur Doucement, s'il vous plaît : parlez avec respect de votre époux, quand vous êtes devant la moustache d'un docteur comme moi. Angélique -Ah ! vraiment oui, docteur ! Je me moque bien de vous et de votre doctrine, et je suis docteur quand je v +Ah ! vraiment oui, docteur ! Je me moque bien de vous et de votre doctrine, et je suis docteur quand je veux. Le Docteur Tu es docteur quand tu veux, mais je pense que tu es un plaisant docteur. Tu as la mine de suivre fort ton -caprice : des parties d'oraison, tu n'aimes que la conjonction ; des genres, le masculin ; des déclinaisons +caprice : des parties d'oraison, tu n'aimes que la conjonction ; des genres, le masculin ; des déclinaisons, le génitif ; de la syntaxe, mobile cum fixo ; et enfin de la quantité, tu n'aimes que le dactyle, quia constat ex una longa et duabus brevibus. Venez çà, vous, dites−moi un peu quelle est la cause, le sujet de votre combustion. @@ -258,13 +258,13 @@ Hé ! Monsieur le Docteur, écoutez−moi, de grâce. Le Docteur Audi, quaeso, auroit dit Ciceron. Le Barbouillé -Oh ! ma foi, si se rompt, si se casse, ou si se brise, je ne m'en mets guère en peine ; mais tu m'écouteras, +Oh ! ma foi, si se rompt, si se casse, ou si se brise, je ne m'en mets guère en peine ; mais tu m'écouteras, ou je te vais casser ton museau doctoral ; et que diable donc est ceci ? -(Le Barbouillé, Angélique, Gorgibus, Cathau, Villebrequin parlent tous à la fois, voulant dire la cause de -querelle, et le Docteur aussi, disant que la paix est une belle chose, et font un bruit confus de leurs voix ; -pendant tout le bruit, le Barbouillé attache le Docteur par le pied, et le fait tomber ; le Docteur se doit lais +(Le Barbouillé, Angélique, Gorgibus, Cathau, Villebrequin parlent tous à la fois, voulant dire la cause de la +querelle, et le Docteur aussi, disant que la paix est une belle chose, et font un bruit confus de leurs voix ; et +pendant tout le bruit, le Barbouillé attache le Docteur par le pied, et le fait tomber ; le Docteur se doit laisser tomber sur le dos ; le Barbouillé l'entraîne par la corde qu'il lui a attachée au pied, et, en l'entraînant, le -Docteur doit toujours parler, et compter par ses doigts toutes ses raisons, comme s'il n'étoit point à terre, a +Docteur doit toujours parler, et compter par ses doigts toutes ses raisons, comme s'il n'étoit point à terre, alors qu'il ne paroît plus.) Gorgibus Allons, ma fille, retirez−vous chez vous, et vivez bien avec votre mari. @@ -273,10 +273,10 @@ Adieu, serviteur et bonsoir. Scène VII Valère, La vallée, Angélique s'en va. Valère -Monsieur, je vous suis obligé du soin que vous avez pris, et je vous promets de me rendre à l'assignation q +Monsieur, je vous suis obligé du soin que vous avez pris, et je vous promets de me rendre à l'assignation que vous me donnez, dans une heure. La Vallée -Cela ne peut se différer ; et si vous tardez un quart d'heure, le bal sera fini dans un moment, et vous n'aur +Cela ne peut se différer ; et si vous tardez un quart d'heure, le bal sera fini dans un moment, et vous n'aurez pas le bien d'y voir celle que vous aimez, si vous n'y venez tout présentement. Valère Allons donc ensemble de ce pas. @@ -288,12 +288,12 @@ maroufle−là me laisse toute seule à la maison, comme si j'étois son chien. Scène IX Le Barbouillé Je savois bien que j'aurois raison de ce diable de Docteur, et de toute sa fichue doctrine. Au diable -l'ignorant ! j'ai bien renvoyé toute la science par terre. Il faut pourtant que j'aille un peu voir si notre bonn +l'ignorant ! j'ai bien renvoyé toute la science par terre. Il faut pourtant que j'aille un peu voir si notre bonne ménagère m'aura fait à souper. Scène X Angélique Que je suis malheureuse ! j'ai été trop tard, l'assemblée est finie : je suis arrivée justement comme tout le -monde sortoit ; mais il n'importe, ce sera pour une autre fois. Je m'en vais cependant au logis comme si d +monde sortoit ; mais il n'importe, ce sera pour une autre fois. Je m'en vais cependant au logis comme si de rien n'étoit. Mais la porte est fermée. Cathau ! Cathau ! Scène XI Le barbouillé, à la fenêtre. Angélique @@ -303,14 +303,14 @@ qu'il est, et par le temps qu'il fait ? Angélique D'où je viens ? ouvre−moi seulement, et je te le dirai après. Le Barbouillé -Oui ? Ah ! ma foi, tu peux aller coucher d'où tu viens, ou, si tu l'aimes mieux, dans la rue : je n'ouvre po +Oui ? Ah ! ma foi, tu peux aller coucher d'où tu viens, ou, si tu l'aimes mieux, dans la rue : je n'ouvre point à une coureuse comme toi. Comment, diable ! être toute seule à l'heure qu'il est ! Je ne sais si c'est imagination, mais mon front m'en paroît plus rude de moitié. Angélique Hé bien ! pour être toute seule, qu'en veux−tu dire ? Tu me querelles quand je suis en compagnie : comment faut−il donc faire ? Le Barbouillé -Il faut être retiré à la maison, donner ordre au souper, avoir soin du ménage, des enfants ; mais sans tant d +Il faut être retiré à la maison, donner ordre au souper, avoir soin du ménage, des enfants ; mais sans tant de discours inutiles, adieu, bonsoir, va−t'en au diable et me laisse en repos. Angélique Tu ne veux pas m'ouvrir ? @@ -331,7 +331,7 @@ Non. Angélique Tu n'as point de pitié de ta femme, qui t'aime tant ? Le Barbouillé -Non, je suis inflexible : tu m'as offensé, je suis vindicatif comme tous les diables, c'est−à−dire bien fort ; +Non, je suis inflexible : tu m'as offensé, je suis vindicatif comme tous les diables, c'est−à−dire bien fort ; je suis inexorable. Angélique Sais−tu bien que si tu me pousses à bout, et que tu me mettes en colère, je ferai quelque chose dont tu te @@ -340,9 +340,9 @@ Le Barbouillé Et que feras−tu, bonne chienne ? Angélique Tiens, si tu ne m'ouvres, je m'en vais me tuer devant la porte ; mes parents, qui sans doute viendront ici -auparavant de se coucher, pour savoir si nous sommes bien ensemble, me trouveront morte, et tu seras pe +auparavant de se coucher, pour savoir si nous sommes bien ensemble, me trouveront morte, et tu seras pendu. Le Barbouillé -Ah, ah, ah, ah, la bonne bête ! et qui y perdra le plus de nous deux ? Va, va, tu n'es pas si sotte que de fa +Ah, ah, ah, ah, la bonne bête ! et qui y perdra le plus de nous deux ? Va, va, tu n'es pas si sotte que de faire ce coup−là. Angélique Tu ne le crois donc pas ? Tiens, tiens, voilà mon couteau tout prêt : si tu ne m'ouvres, je m'en vais tout à @@ -356,20 +356,20 @@ Je t'ai déjà dit vingt fois que je n'ouvrirai point ; tue−toi, crève, va Angélique, faisant semblant de se frapper Adieu donc ! ... Ay ! je suis morte. Le Barbouillé -Seroit−elle bien assez sotte pour avoir fait ce coup−là ? Il faut que je descende avec la chandelle pour all +Seroit−elle bien assez sotte pour avoir fait ce coup−là ? Il faut que je descende avec la chandelle pour aller voir. Angélique -Il faut que je t'attrape. Si je peux entrer dans la maison subtilement, cependant que tu me chercheras, chac +Il faut que je t'attrape. Si je peux entrer dans la maison subtilement, cependant que tu me chercheras, chacun aura bien son tour. Le Barbouillé -Hé bien ! ne savois−je pas bien qu'elle n'étoit pas si sotte ? Elle est morte, et si elle court comme le chev +Hé bien ! ne savois−je pas bien qu'elle n'étoit pas si sotte ? Elle est morte, et si elle court comme le cheval de Pacolet. Ma foi, elle m'avoit fait peur tout de bon. Elle a bien fait de gagner au pied ; car si je l'eusse -trouvée en vie, après m'avoir fait cette frayeur−là, je lui aurois apostrophé cinq ou six clystères de coups d +trouvée en vie, après m'avoir fait cette frayeur−là, je lui aurois apostrophé cinq ou six clystères de coups de pied dans le cul, pour lui apprendre à faire la bête. Je m'en vais me coucher cependant. Oh ! oh ! je pense que le vent a fermé la porte. Hé ! Cathau, Cathau, ouvre−moi. Angélique Cathau, Cathau ! Hé bien ! qu'a−t−elle fait, Cathau ? Et d'où venez−vous, Monsieur l'ivrogne ? Ah ! -vraiment, va, mes parents, qui vont venir dans un moment, sauront tes vérités. Sac à vin infâme, tu ne bou +vraiment, va, mes parents, qui vont venir dans un moment, sauront tes vérités. Sac à vin infâme, tu ne bouges du cabaret, et tu laisses une pauvre femme avec des petits enfants, sans savoir s'ils ont besoin de quelque chose, à croquer le marmot tout le long du jour. Le Barbouillé @@ -384,26 +384,26 @@ Angélique Mais voyez un peu, le voilà qui est soûl, et revient, à l'heure qu'il est, faire un vacarme horrible ; il me menace. Gorgibus -Mais aussi ce n'est pas là l'heure de revenir. Ne devriez−vous pas, comme un bon père de famille, vous re +Mais aussi ce n'est pas là l'heure de revenir. Ne devriez−vous pas, comme un bon père de famille, vous retirer de bonne heure, et bien vivre avec votre femme ? Le Barbouillé -Je me donne au diable, si j'ai sorti de la maison, et demandez plutôt à ces Messieurs qui sont là−bas dans +Je me donne au diable, si j'ai sorti de la maison, et demandez plutôt à ces Messieurs qui sont là−bas dans le parterre ; c'est elle qui ne fait que de revenir. Ah ! que l'innocence est opprimée ! Villebrequin Çà, çà ; allons, accordez−vous ; demandez−lui pardon. Le Barbouillé -Moi, pardon ! j'aimerois mieux que le diable l'eût emportée. Je suis dans une colère que je ne me sens pa +Moi, pardon ! j'aimerois mieux que le diable l'eût emportée. Je suis dans une colère que je ne me sens pas. Gorgibus Allons, ma fille, embrassez votre mari, et soyez bons amis. Scène XIII et dernière. -Le Docteur, à la fenêtre, en bonnet de nuit et en camisole : Le Barbouillé, Villebrequin, Gorgibus, Angél +Le Docteur, à la fenêtre, en bonnet de nuit et en camisole : Le Barbouillé, Villebrequin, Gorgibus, Angélique Le Docteur Hé quoi ? toujours du bruit, du désordre, de la dissension, des querelles, des débats, des différends, des combustions, des altercations éternelles. Qu'est−ce ? qu'y a−t−il donc ? On ne sauroit avoir du repos. Villebrequin Ce n'est rien, Monsieur le Docteur ; tout le monde est d'accord. Le Docteur -A propos d'accord, voulez−vous que je vous lise un chapitre d'Aristote, où il prouve que toutes les parties +A propos d'accord, voulez−vous que je vous lise un chapitre d'Aristote, où il prouve que toutes les parties de l'univers ne subsistent que par l'accord qui est entre elles ? Villebrequin Cela est−il bien long ? @@ -435,46 +435,46 @@ Valère, Sabine Valère Hé bien ! Sabine, quel conseil me donneras−tu ? Sabine -Vraiment, il y a bien des nouvelles. Mon oncle veut résolument que ma cousine épouse Villebrequin, et le -affaires sont tellement avancées que je crois qu'ils eussent été mariés dès aujourd'hui, si vous n'étiez aimé -mais comme ma cousine m'a confié le secret de l'amour qu'elle vous porte, et que nous nous sommes vues -l'extrémité par l'avarice de mon vilain oncle, nous nous sommes avisées d'une bonne invention pour différ -le mariage. C'est que ma cousine, dès l'heure que je vous parle, contrefait la malade ; et le bon vieillard, q +Vraiment, il y a bien des nouvelles. Mon oncle veut résolument que ma cousine épouse Villebrequin, et les +affaires sont tellement avancées que je crois qu'ils eussent été mariés dès aujourd'hui, si vous n'étiez aimé ; +mais comme ma cousine m'a confié le secret de l'amour qu'elle vous porte, et que nous nous sommes vues à +l'extrémité par l'avarice de mon vilain oncle, nous nous sommes avisées d'une bonne invention pour différer +le mariage. C'est que ma cousine, dès l'heure que je vous parle, contrefait la malade ; et le bon vieillard, qui est assez crédule, m'envoie querir un médecin. Si vous en pouviez envoyer quelqu'un qui fût de vos bons -amis, et qui fût de notre intelligence, il conseilleroit à la malade de prendre l'air à la campagne. Le bonhom -ne manquera pas de faire loger ma cousine à ce pavillon qui est au bout de notre jardin, et par ce moyen v -pourriez l'entretenir à l'insu de notre vieillard, l'épouser, et le laisser pester tout son soûl avec Villebrequin +amis, et qui fût de notre intelligence, il conseilleroit à la malade de prendre l'air à la campagne. Le bonhomme +ne manquera pas de faire loger ma cousine à ce pavillon qui est au bout de notre jardin, et par ce moyen vous +pourriez l'entretenir à l'insu de notre vieillard, l'épouser, et le laisser pester tout son soûl avec Villebrequin. Valère -Mais le moyen de trouver sitôt un médecin à ma poste, et qui voulût tant hasarder pour mon service ? Je t +Mais le moyen de trouver sitôt un médecin à ma poste, et qui voulût tant hasarder pour mon service ? Je te le dis franchement, je n'en connais pas un. Sabine -Je songe une chose : si vous faisiez habiller votre valet en médecin ? Il n'y a rien de si facile à duper que +Je songe une chose : si vous faisiez habiller votre valet en médecin ? Il n'y a rien de si facile à duper que le bonhomme. Valère -C'est un lourdaud qui gâtera tout ; mais il faut s'en servir faute d'autre. Adieu, je le vais chercher. Où diab +C'est un lourdaud qui gâtera tout ; mais il faut s'en servir faute d'autre. Adieu, je le vais chercher. Où diable trouver ce maroufle à présent ? Mais le voici tout à propos. Scène II Valère, Sganarelle Sabine -Ah ! mon pauvre Sganarelle, que j'ai de joie de te voir ! J'ai besoin de toi dans une affaire de conséquenc +Ah ! mon pauvre Sganarelle, que j'ai de joie de te voir ! J'ai besoin de toi dans une affaire de conséquence ; mais, comme que je ne sais pas ce que tu sais faire... Sganarelle -Ce que je sais faire, Monsieur ? Employez−moi seulement en vos affaires de conséquence, en quelque ch -d'importance : par exemple, envoyez−moi voir quelle heure il est à une horloge, voir combien le beurre v +Ce que je sais faire, Monsieur ? Employez−moi seulement en vos affaires de conséquence, en quelque chose +d'importance : par exemple, envoyez−moi voir quelle heure il est à une horloge, voir combien le beurre vaut au marché, abreuver un cheval ; c'est alors que vous connoîtrez ce que je sais faire. Valère Ce n'est pas cela : c'est qu'il faut que tu contrefasses le médecin. Sganarelle -Moi, médecin, Monsieur ! Je suis prêt à faire tout ce qu'il vous plaira ; mais pour faire le médecin, je sui +Moi, médecin, Monsieur ! Je suis prêt à faire tout ce qu'il vous plaira ; mais pour faire le médecin, je suis assez votre serviteur pour n'en rien faire du tout ; et par quel bout m'y prendre, bon Dieu ? Ma foi ! Monsieur, vous vous moquez de moi. Valère Si tu veux entreprendre cela, va, je te donnerai dix pistoles. Sganarelle -Ah ! pour dix pistoles, je ne dis pas que je ne sois médecin ; car, voyez−vous bien, Monsieur ? je n'ai pa +Ah ! pour dix pistoles, je ne dis pas que je ne sois médecin ; car, voyez−vous bien, Monsieur ? je n'ai pas l'esprit tant, tant subtil, pour vous dire la vérité ; mais, quand je serai médecin, où irai−je ? Valère -Chez le bonhomme Gorgibus, voir sa fille, qui est malade ; mais tu es un lourdaud qui, au lieu de bien fa +Chez le bonhomme Gorgibus, voir sa fille, qui est malade ; mais tu es un lourdaud qui, au lieu de bien faire, pourrois bien... Sganarelle Hé ! mon Dieu, Monsieur, ne soyez point en peine ; je vous réponds que je ferai aussi bien mourir une @@ -482,10 +482,10 @@ personne qu'aucun médecin qui soit dans la ville. On dit un proverbe, d'ordinai médecin ; mais vous verrez que, si je m'en mêle, on dira : Après le médecin, gare la mort ! Mais néanmoins, quand je songe, cela est bien difficile de faire le médecin ; et si je ne fais rien qui vaille... ? Valère -Il n'y a rien de si facile en cette rencontre : Gorgibus est un homme simple, grossier, qui se laissera étour +Il n'y a rien de si facile en cette rencontre : Gorgibus est un homme simple, grossier, qui se laissera étourdir de ton discours, pourvu que tu parles d'Hippocrate et de Galien, et que tu sois un peu effronté. Sganarelle -C'est−à−dire qu'il lui faudra parler philosophie, mathématique. Laissez−moi faire ; s'il est un homme faci +C'est−à−dire qu'il lui faudra parler philosophie, mathématique. Laissez−moi faire ; s'il est un homme facile, comme vous le dites, je vous réponds de tout ; venez seulement me faire avoir un habit de médecin, et m'instruire de ce qu'il faut faire, et me donner mes licences, qui sont les dix pistoles promises. Scène III @@ -494,66 +494,66 @@ Gorgibus Allez vitement chercher un médecin ; car ma fille est bien malade, et dépêchez−vous. Gros−René Que diable aussi ! pourquoi vouloir donner votre fille à un vieillard ? Croyez−vous que ce ne soit pas le -désir qu'elle a d'avoir un jeune homme qui la travaille ? Voyez−vous la connexité qu'il y a, etc. (Galimati +désir qu'elle a d'avoir un jeune homme qui la travaille ? Voyez−vous la connexité qu'il y a, etc. (Galimatias). Gorgibus Va−t'en vite : je vois bien que cette maladie−là reculera bien les noces. Gros−René -Et c'est ce qui me fait enrager : je croyois refaire mon ventre d'une bonne carrelure, et m'en voilà sevré. J +Et c'est ce qui me fait enrager : je croyois refaire mon ventre d'une bonne carrelure, et m'en voilà sevré. Je m'en vais chercher un médecin pour moi aussi bien que pour votre fille ; je suis désespéré. Scène IV Sabine, Gorgibus, Sganarelle Sabine -Je vous trouve à propos, mon oncle, pour vous apprendre une bonne nouvelle. Je vous amène le plus habi -médecin du monde, un homme qui vient des pays étrangers, qui sait les plus beaux secrets, et qui sans dou -guérira ma cousine. On me l'a indiqué par bonheur, et je vous l'amène. Il est si savant que je voudrois de b +Je vous trouve à propos, mon oncle, pour vous apprendre une bonne nouvelle. Je vous amène le plus habile +médecin du monde, un homme qui vient des pays étrangers, qui sait les plus beaux secrets, et qui sans doute +guérira ma cousine. On me l'a indiqué par bonheur, et je vous l'amène. Il est si savant que je voudrois de bon coeur être malade, afin qu'il me guérît. Gorgibus Où est−il donc ? Sabine Le voilà qui me suit ; tenez, le voilà. Gorgibus -Très−humble serviteur à Monsieur le médecin ! Je vous envoie querir pour voir ma fille, qui est malade ; +Très−humble serviteur à Monsieur le médecin ! Je vous envoie querir pour voir ma fille, qui est malade ; je mets toute mon espérance en vous. Sganarelle Hippocrate dit, et Galien par vives raisons persuade qu'une personne ne se porte pas bien quand elle est -malade. Vous avez raison de mettre votre espérance en moi ; car je suis le plus grand, le plus habile, le pl +malade. Vous avez raison de mettre votre espérance en moi ; car je suis le plus grand, le plus habile, le plus docte médecin qui soit dans la faculté végétale, sensitive et minérale. Gorgibus J'en suis fort ravi. Sganarelle -Ne vous imaginez pas que je sois un médecin ordinaire, un médecin du commun. Tous les autres médecin +Ne vous imaginez pas que je sois un médecin ordinaire, un médecin du commun. Tous les autres médecins ne sont, à mon égard, que des avortons de médecine. J'ai des talents particuliers, j'ai des secrets. Salamalec, salamalec. "Rodrigue, as−tu du coeur ? " Signor, si ; segnor, non. Per omnia saecula saeculorum. Mais encore voyons un peu. Sabine Hé ! ce n'est pas lui qui est malade, c'est sa fille. Sganarelle -Il n'importe : le sang du père et de la fille ne sont qu'une même chose ; et par l'altération de celui du père -puis connoître la maladie de la fille. Monsieur Gorgibus, y auroit−il moyen de voir de l'urine de l'égrotant +Il n'importe : le sang du père et de la fille ne sont qu'une même chose ; et par l'altération de celui du père, je +puis connoître la maladie de la fille. Monsieur Gorgibus, y auroit−il moyen de voir de l'urine de l'égrotante ? Gorgibus Oui−da ; Sabine, vite allez querir de l'urine de ma fille. Monsieur le médecin, j'ai grand'peur qu'elle ne meure. Sganarelle -Ah ! qu'elle s'en garde bien ! il ne faut pas qu'elle s'amuse à se laisser mourir sans l'ordonnance du méde +Ah ! qu'elle s'en garde bien ! il ne faut pas qu'elle s'amuse à se laisser mourir sans l'ordonnance du médecin. Voilà de l'urine qui marque grande chaleur, grande inflammation dans les intestins : elle n'est pas tant mauvaise pourtant. Gorgibus Hé quoi ? Monsieur, vous l'avalez ? Sganarelle -Ne vous étonnez pas de cela ; les médecins, d'ordinaire, se contentent de la regarder ; mais moi, qui suis -médecin hors du commun, je l'avale, parce qu'avec le goût je discerne bien mieux la cause et les suites de +Ne vous étonnez pas de cela ; les médecins, d'ordinaire, se contentent de la regarder ; mais moi, qui suis un +médecin hors du commun, je l'avale, parce qu'avec le goût je discerne bien mieux la cause et les suites de la maladie. Mais, à vous dire la vérité, il y en avoit trop peu pour asseoir un bon jugement : qu'on la fasse encore pisser. Sabine J'ai bien eu de la peine à la faire pisser. Sganarelle -Que cela ? voilà bien de quoi ! Faites−la pisser copieusement, copieusement. Si tous les malades pissent +Que cela ? voilà bien de quoi ! Faites−la pisser copieusement, copieusement. Si tous les malades pissent de la sorte, je veux être médecin toute ma vie. Sabine Voilà tout ce qu'on peut avoir : elle ne peut pas pisser davantage. Sganarelle -Quoi ? Monsieur Gorgibus, votre fille ne pisse que des gouttes ! voilà une pauvre pisseuse que votre fille -je vois bien qu'il faudra que je lui ordonne une potion pissative. N'y auroit−il pas moyen de voir la malade +Quoi ? Monsieur Gorgibus, votre fille ne pisse que des gouttes ! voilà une pauvre pisseuse que votre fille ; +je vois bien qu'il faudra que je lui ordonne une potion pissative. N'y auroit−il pas moyen de voir la malade ? Sabine Elle est levée ; si vous voulez, je la ferai venir. Scène V @@ -563,15 +563,15 @@ Hé bien ! Mademoiselle, vous êtes malade ? Lucile Oui, Monsieur. Sganarelle -Tant pis ! c'est une marque que vous ne vous portez pas bien. Sentez−vous de grandes douleurs à la tête, +Tant pis ! c'est une marque que vous ne vous portez pas bien. Sentez−vous de grandes douleurs à la tête, aux reins ? Lucile Oui, Monsieur. Sganarelle -C'est fort bien fait. Oui, ce grand médecin, au chapitre qu'il a fait de la nature des animaux, dit... cent bell -choses ; et comme les humeurs qui ont de la connexité ont beaucoup de rapport ; car, par exemple, comm -la mélancolie est ennemie de la joie, et que la bile qui se répand par le corps nous fait devenir jaunes, et q -n'est rien plus contraire à la santé que la maladie, nous pouvons dire, avec ce grand homme, que votre fill +C'est fort bien fait. Oui, ce grand médecin, au chapitre qu'il a fait de la nature des animaux, dit... cent belles +choses ; et comme les humeurs qui ont de la connexité ont beaucoup de rapport ; car, par exemple, comme +la mélancolie est ennemie de la joie, et que la bile qui se répand par le corps nous fait devenir jaunes, et qu'il +n'est rien plus contraire à la santé que la maladie, nous pouvons dire, avec ce grand homme, que votre fille est fort malade. Il faut que je vous fasse une ordonnance. Gorgibus Vite une table, du papier, de l'encre. @@ -580,7 +580,7 @@ Y a−t−il ici quelqu'un qui sache écrire ? Gorgibus Est−ce que vous ne le savez point ? Sganarelle -Ah ! je ne m'en souvenois pas ; j'ai tant d'affaires dans la tête, que j'oublie la moitié... − Je crois qu'il sero +Ah ! je ne m'en souvenois pas ; j'ai tant d'affaires dans la tête, que j'oublie la moitié... − Je crois qu'il seroit nécessaire que votre fille prît un peu l'air, qu'elle se divertît à la campagne. Gorgibus Nous avons un fort beau jardin, et quelques chambres qui y répondent ; si vous le trouvez à propos, je l'y @@ -589,7 +589,7 @@ Sganarelle Allons, allons visiter les lieux. Scène VI L'Avocat -J'ai ouï dire que la fille de M. Gorgibus étoit malade : il faut que je m'informe de sa santé, et que je lui of +J'ai ouï dire que la fille de M. Gorgibus étoit malade : il faut que je m'informe de sa santé, et que je lui offre mes services comme ami de toute sa famille. Holà ! holà ! M. Gorgibus y est−il ? Scène VII Gorgibus, L'Avocat @@ -607,75 +607,75 @@ Gorgibus, L'Avocat, Sganarelle Gorgibus Monsieur, voilà un fort habile homme de mes amis qui souhaiteroit de vous parler et vous entretenir. Sganarelle -Je n'ai pas le loisir, monsieur Gorgibus : il faut aller à mes malades. Je ne prendrai pas la droite avec vou +Je n'ai pas le loisir, monsieur Gorgibus : il faut aller à mes malades. Je ne prendrai pas la droite avec vous, Monsieur. L'Avocat -Monsieur, après ce que m'a dit M. Gorgibus de votre mérite et de votre savoir, j'ai eu la plus grande passio -du monde d'avoir l'honneur de votre connoissance, et j'ai pris la liberté de vous saluer à ce dessein : je cro +Monsieur, après ce que m'a dit M. Gorgibus de votre mérite et de votre savoir, j'ai eu la plus grande passion +du monde d'avoir l'honneur de votre connoissance, et j'ai pris la liberté de vous saluer à ce dessein : je crois que vous ne le trouverez pas mauvais. Il faut avouer que tous ceux qui excellent en quelque science sont dignes de grande louange, et particulièrement ceux qui font profession de la médecine, tant à cause de son -utilité, que parce qu'elle contient en elle plusieurs autres sciences, ce qui rend sa parfaite connoissance for -difficile ; et c'est fort à propos qu'Hippocrate dit dans son premier aphorisme : Vita brevis, ars vero long +utilité, que parce qu'elle contient en elle plusieurs autres sciences, ce qui rend sa parfaite connoissance fort +difficile ; et c'est fort à propos qu'Hippocrate dit dans son premier aphorisme : Vita brevis, ars vero longa, occasio autem praeceps, experimentum periculosum, judicium difficile. Sganarelle, à Gorgibus. Ficile tantina pota baril cambustibus. L'Avocat Vous n'êtes pas de ces médecins qui ne vous appliquez qu'à la médecine qu'on appelle rationale ou dogmatique, et je crois que vous l'exercez tous les jours avec beaucoup de succès : experientia magistra -rerum. Les premiers hommes qui firent profession de la médecine furent tellement estimés d'avoir cette be -science, qu'on les mit au nombre des Dieux pour les belles cures qu'ils faisoient tous les jours. Ce n'est pa +rerum. Les premiers hommes qui firent profession de la médecine furent tellement estimés d'avoir cette belle +science, qu'on les mit au nombre des Dieux pour les belles cures qu'ils faisoient tous les jours. Ce n'est pas qu'on doive mépriser un médecin qui n'auroit pas rendu la santé à son malade, parce qu'elle ne dépend pas absolument de ses remèdes, ni de son savoir : Interdum docta plus valet arte malum. Monsieur, j'ai peur de vous être importun : je prends congé de vous, dans l'espérance que j'ai qu'à la -première vue j'aurai l'honneur de converser avec vous avec plus de loisir. Vos heures vous sont précieuse +première vue j'aurai l'honneur de converser avec vous avec plus de loisir. Vos heures vous sont précieuses, etc. (Il sort). Gorgibus Que vous semble de cet homme−là ? Sganarelle -Il sait quelque petite chose. S'il fût demeuré tant soit peu davantage, je l'allois mettre sur une matière subl +Il sait quelque petite chose. S'il fût demeuré tant soit peu davantage, je l'allois mettre sur une matière sublime et relevée. Cependant, je prends congé de vous. (Gorgibus lui donne de l'argent). Hé ! que voulez−vous faire ? Gorgibus Je sais bien ce que je vous dois. Sganarelle -Vous vous moquez, monsieur Gorgibus. Je n'en prendrai pas, je ne suis pas un homme mercenaire. (Il pre +Vous vous moquez, monsieur Gorgibus. Je n'en prendrai pas, je ne suis pas un homme mercenaire. (Il prend l'argent). Votre très−humble serviteur. (Sganarelle sort et Gorgibus rentre dans sa maison). Scène IX Valère -Je ne sais ce qu'aura fait Sganarelle : je n'ai point eu de ses nouvelles, et je suis fort en peine où je le pour +Je ne sais ce qu'aura fait Sganarelle : je n'ai point eu de ses nouvelles, et je suis fort en peine où je le pourrois rencontrer. (Sganarelle revient en habit de valet) Mais bon, le voici. Hé bien ! Sganarelle, qu'as−tu fait depuis que je ne t'ai point vu ? Scène X Sganarelle, Valère Sganarelle -Merveille sur merveille : j'ai si bien fait que Gorgibus me prend pour un habile médecin. Je me suis intro -chez lui, et lui ai conseillé de faire prendre l'air à sa fille, laquelle est à présent dans un appartement qui es +Merveille sur merveille : j'ai si bien fait que Gorgibus me prend pour un habile médecin. Je me suis introduit +chez lui, et lui ai conseillé de faire prendre l'air à sa fille, laquelle est à présent dans un appartement qui est au bout de leur jardin, tellement qu'elle est fort éloignée du vieillard, et que vous pouvez l'aller voir commodément. Valère Ah ! que tu me donnes de joie ! Sans perdre de temps, je la vais trouver de ce pas. Sganarelle -Il faut avouer que ce bonhomme Gorgibus est un vrai lourdaud de se laisser tromper de la sorte. (Apercev -Gorgibus) Ah ! ma foi, tout est perdu : c'est à ce coup que voilà la médecine renversée, mais il faut que j +Il faut avouer que ce bonhomme Gorgibus est un vrai lourdaud de se laisser tromper de la sorte. (Apercevant +Gorgibus) Ah ! ma foi, tout est perdu : c'est à ce coup que voilà la médecine renversée, mais il faut que je le trompe. Scène XI Sganarelle, Gorgibus Gorgibus Bonjour, Monsieur. Sganarelle -Monsieur, votre serviteur. Vous voyez un pauvre garçon au désespoir ; ne connoissez−vous pas un méde +Monsieur, votre serviteur. Vous voyez un pauvre garçon au désespoir ; ne connoissez−vous pas un médecin qui est arrivé depuis peu en cette ville, qui fait des cures admirables ? Gorgibus Oui, je le connois : il vient de sortir de chez moi. Sganarelle -Je suis son frère, monsieur ; nous sommes gémeaux ; et comme nous nous ressemblons fort, on nous pre +Je suis son frère, monsieur ; nous sommes gémeaux ; et comme nous nous ressemblons fort, on nous prend quelquefois l'un pour l'autre. Gorgibus Je [me] dédonne au diable si je n'y ai été trompé. Et comme vous nommez−vous ? Sganarelle -Narcisse, Monsieur, pour vous rendre service. Il faut que vous sachiez qu'étant dans son cabinet, j'ai répan -deux fioles d'essence qui étoient sur le bout de sa table ; aussitôt il s'est mis dans une colère si étrange co +Narcisse, Monsieur, pour vous rendre service. Il faut que vous sachiez qu'étant dans son cabinet, j'ai répandu +deux fioles d'essence qui étoient sur le bout de sa table ; aussitôt il s'est mis dans une colère si étrange contre moi, qu'il m'a mis hors du logis, et ne me veut plus jamais voir, tellement que je suis un pauvre garçon à présent sans appui, sans support, sans aucune connoissance. Gorgibus @@ -718,42 +718,42 @@ bonne nouvelle. Scène XIII Valère, Sganarelle Valère -Il faut que j'avoue que je n'eusse jamais cru que Sganarelle se fût si bien acquitté de son devoir. (Sganarel -rentre avec ses habits de valet) Ah ! mon pauvre garçon, que je t'ai d'obligation ! que j'ai de joie ! et que +Il faut que j'avoue que je n'eusse jamais cru que Sganarelle se fût si bien acquitté de son devoir. (Sganarelle +rentre avec ses habits de valet) Ah ! mon pauvre garçon, que je t'ai d'obligation ! que j'ai de joie ! et que... ganarelle -Ma foi, vous parlez fort à votre aise. Gorgibus m'a rencontré ; et sans une invention que j'ai trouvée, toute +Ma foi, vous parlez fort à votre aise. Gorgibus m'a rencontré ; et sans une invention que j'ai trouvée, toute la mèche étoit découverte. Mais fuyez−vous−en, le voici. Scène XIV Gorgibus, Sganarelle Gorgibus Je vous cherchois partout pour vous dire que j'ai parlé à votre frère : il m'a assuré qu'il vous pardonnoit ; -mais, pour en être plus assuré, je veux qu'il vous embrasse en ma présence ; entrez dans mon logis, et je l +mais, pour en être plus assuré, je veux qu'il vous embrasse en ma présence ; entrez dans mon logis, et je l'irai chercher. Sganarelle Ah ! Monsieur Gorgibus, je ne crois pas que vous le trouviez à présent ; et puis je ne resterai pas chez vous ; je crains trop sa colère. Gorgibus -Ah ! vous demeurerez, car je vous enfermerai. Je m'en vais à présent chercher votre frère : ne craignez ri +Ah ! vous demeurerez, car je vous enfermerai. Je m'en vais à présent chercher votre frère : ne craignez rien, je vous réponds qu'il n'est plus fâché. (Il sort.) Sganarelle, de la fenêtre. Ma foi, me voilà attrapé ce coup−là ; il n'y a plus moyen de m'en échapper. Le nuage est fort épais, et j'ai bien peur que, s'il vient à crever, il ne grêle sur mon dos force coups de bâton, ou que, par quelque -ordonnance plus forte que toutes celles des médecins, on m'applique tout au moins un cautère royal sur le +ordonnance plus forte que toutes celles des médecins, on m'applique tout au moins un cautère royal sur les épaules. Mes affaires vont mal ; mais pourquoi se désespérer ? Puisque j'ai tant fait, poussons la fourbe -jusques au bout. Oui, oui, il en faut encore sortir, et faire voir que Sganarelle est le roi des fourbes. (Il sau +jusques au bout. Oui, oui, il en faut encore sortir, et faire voir que Sganarelle est le roi des fourbes. (Il saute de la fenêtre et s'en va.) Scène XV Gros−René, Gorgibus, Sganarelle Gros−René -Ah ! ma foi, voilà qui est drôle ! comme diable on saute ici par les fenêtres ! Il faut que je demeure ici, e +Ah ! ma foi, voilà qui est drôle ! comme diable on saute ici par les fenêtres ! Il faut que je demeure ici, et que je voie à quoi tout cela aboutira. Gorgibus -Je ne saurois trouver ce médecin ; je ne sais où diable il s'est caché. (Apercevant Sganarelle qui revient e -habit de médecin.) Mais le voici. Monsieur, ce n'est pas assez d'avoir pardonné à votre frère ; je vous prie -pour ma satisfaction, de l'embrasser : il est chez moi, et je vous cherchois partout pour vous prier de faire +Je ne saurois trouver ce médecin ; je ne sais où diable il s'est caché. (Apercevant Sganarelle qui revient en +habit de médecin.) Mais le voici. Monsieur, ce n'est pas assez d'avoir pardonné à votre frère ; je vous prie, +pour ma satisfaction, de l'embrasser : il est chez moi, et je vous cherchois partout pour vous prier de faire cet accord en ma présence. Sganarelle -Vous vous moquez, monsieur Gorgibus : n'est−ce pas assez que je lui pardonne ? Je ne le veux jamais vo +Vous vous moquez, monsieur Gorgibus : n'est−ce pas assez que je lui pardonne ? Je ne le veux jamais voir. Gorgibus Mais, Monsieur, pour l'amour de moi. Sganarelle @@ -767,13 +767,13 @@ demande pardon, parce que sans doute il me feroit cent hontes et cent opprobres (Gorgibus sort de sa maison par la porte, et Sganarelle par la fenêtre.) Gorgibus Oui−da, je m'en vais lui dire. Monsieur, il dit qu'il est honteux, et qu'il vous prie d'entrer, afin qu'il vous -demande pardon en particulier. Voilà la clef, vous pouvez entrer ; je vous supplie de ne me pas refuser et +demande pardon en particulier. Voilà la clef, vous pouvez entrer ; je vous supplie de ne me pas refuser et de me donner ce contentement. Sganarelle -Il n'y a rien que je ne fasse pour votre satisfaction : vous allez entendre de quelle manière je le vais traiter -(A la fenêtre). Ah ! te voilà, coquin. − Monsieur mon frère, je vous demande pardon, je vous promets qu' -n'y a point de ma faute. − Il n'y a point de ta faute, pilier de débauche, coquin ? Va, je t'apprendrai à vivre -Avoir la hardiesse d'importuner M. Gorgibus, de lui rompre la tête de tes sottises ! − Monsieur mon frère +Il n'y a rien que je ne fasse pour votre satisfaction : vous allez entendre de quelle manière je le vais traiter. +(A la fenêtre). Ah ! te voilà, coquin. − Monsieur mon frère, je vous demande pardon, je vous promets qu'il +n'y a point de ma faute. − Il n'y a point de ta faute, pilier de débauche, coquin ? Va, je t'apprendrai à vivre. +Avoir la hardiesse d'importuner M. Gorgibus, de lui rompre la tête de tes sottises ! − Monsieur mon frère... − Tais−toi, te dis−je. − Je ne vous désoblig... − Tais−toi, coquin. Gros−René Qui diable pensez−vous qui soit chez vous à présent ? @@ -782,7 +782,7 @@ C'est le médecin et Narcisse son frère ; ils avoient quelque différend, et i Gros−René Le diable emporte ! ils ne sont qu'un. Sganarelle, à la fenêtre. -Ivrogne que tu es, je t'apprendrai à vivre. Comme il baisse la vue ! il voit bien qu'il a failli, le pendard. A +Ivrogne que tu es, je t'apprendrai à vivre. Comme il baisse la vue ! il voit bien qu'il a failli, le pendard. Ah ! l'hypocrite, comme il fait le bon apôtre ! Gros−René Monsieur, dites−lui un peu par plaisir qu'il fasse mettre son frère à la fenêtre. @@ -794,18 +794,18 @@ Gorgibus Monsieur, ne me refusez pas cette grâce, après toutes celles que vous m'avez faites. Sganarelle, de la fenêtre. En vérité, Monsieur Gorgibus, vous avez un tel pouvoir sur moi que je ne vous puis rien refuser. Montre, -montre−toi, coquin. (Après avoir disparu un moment, il se remontre en habit de valet). − Monsieur Gorgib -je suis votre obligé. − (Il disparaît encore, et reparaît aussitôt en robe de médecin) Hé bien ! avez−vous v +montre−toi, coquin. (Après avoir disparu un moment, il se remontre en habit de valet). − Monsieur Gorgibus, +je suis votre obligé. − (Il disparaît encore, et reparaît aussitôt en robe de médecin) Hé bien ! avez−vous vu cette image de la débauche ? Gros−René Ma foi, ils ne sont qu'un, et, pour vous le prouver, dites−lui un peu que vous les voulez voir ensemble. Gorgibus Mais faites−moi la grâce de le faire paroître avec vous, et de l'embrasser devant moi à la fenêtre. Sganarelle, de la fenêtre. -C'est une chose que je refuserois à tout autre qu'à vous : mais pour vous montrer que je veux tout faire po -l'amour de vous, je m'y résous, quoique avec peine, et veux auparavant qu'il vous demande pardon de tou +C'est une chose que je refuserois à tout autre qu'à vous : mais pour vous montrer que je veux tout faire pour +l'amour de vous, je m'y résous, quoique avec peine, et veux auparavant qu'il vous demande pardon de toutes les peines qu'il vous a données. − Oui, Monsieur Gorgibus, je vous demande pardon de vous avoir tant -importuné, et vous promets, mon frère, en présence de M. Gorgibus que voilà, de faire si bien désormais, +importuné, et vous promets, mon frère, en présence de M. Gorgibus que voilà, de faire si bien désormais, que vous n'aurez plus lieu de vous plaindre, vous priant de ne plus songer à ce qui s'est passé. (Il embrasse son chapeau et sa fraise qu'il a mis au bout de son coude.) Gorgibus @@ -814,7 +814,7 @@ Gros−René Ah ! par ma foi, il est sorcier. Sganarelle, sortant de la maison, en médecin. Monsieur, voilà la clef de votre maison que je vous rends ; je n'ai pas voulu que ce coquin soit descendu -avec moi, parce qu'il me fait honte : je ne voudrois pas qu'on le vît en ma compagnie dans la ville, où je s +avec moi, parce qu'il me fait honte : je ne voudrois pas qu'on le vît en ma compagnie dans la ville, où je suis en quelque réputation. Vous irez le faire sortir quand bon vous semblera. Je vous donne le bonjour, et suis votre, etc. (Il feint de s'en aller, et, après avoir mis bas sa robe, rentre dans la maison par la fenêtre). Gorgibus @@ -833,9 +833,9 @@ trompe et joue la farce chez vous, Valère et votre fille sont ensemble, qui s'e Gorgibus Ah ! que je suis malheureux ! mais tu seras pendu, fourbe, coquin. Sganarelle -Monsieur, qu'allez−vous faire de me pendre ? Ecoutez un mot, s'il vous plaît : il est vrai que c'est par mo +Monsieur, qu'allez−vous faire de me pendre ? Ecoutez un mot, s'il vous plaît : il est vrai que c'est par mon invention que mon maître est avec votre fille ; mais en le servant, je ne vous ai point désobligé : c'est un -parti sortable pour elle, tant pour la naissance que pour les biens. Croyez−moi, ne faites point un vacarme +parti sortable pour elle, tant pour la naissance que pour les biens. Croyez−moi, ne faites point un vacarme qui tourneroit à votre confusion, et envoyez à tous les diables ce coquin−là, avec Villebrequin. Mais voici nos amants. Scène dernière @@ -6720,41 +6720,41 @@ sur le théâtre du Petit−Bourbon le 18e novembre 1659 par la Troupe de Monsieur, frère unique du Roi Préface -C'est une chose étrange qu'on imprime les gens malgré eux. Je ne vois rien de si injuste, et je pardonnerai +C'est une chose étrange qu'on imprime les gens malgré eux. Je ne vois rien de si injuste, et je pardonnerais toute autre violence plutôt que celle−là. -Ce n'est pas que je veuille faire ici l'auteur modeste, et mépriser, par honneur, ma comédie. J'offenserais m -à propos tout Paris, si je l'accusais d'avoir pu applaudir à une sottise. Comme le public est le juge absolu d +Ce n'est pas que je veuille faire ici l'auteur modeste, et mépriser, par honneur, ma comédie. J'offenserais mal +à propos tout Paris, si je l'accusais d'avoir pu applaudir à une sottise. Comme le public est le juge absolu de ces sortes d'ouvrages, il y aurait de l'impertinence à moi de le démentir ; et, quand j'aurais eu la plus -mauvaise opinion du monde de mes Précieuses ridicules avant leur représentation, je dois croire maintena +mauvaise opinion du monde de mes Précieuses ridicules avant leur représentation, je dois croire maintenant qu'elles valent quelque chose, puisque tant de gens ensemble en ont dit du bien. Mais, comme une grande partie des grâces qu'on y a trouvées dépendent de l'action et du ton de voix, il m'importait qu'on ne les -dépouillât pas de ces ornements ; et je trouvais que le succès qu'elles avaient eu dans la représentation éta +dépouillât pas de ces ornements ; et je trouvais que le succès qu'elles avaient eu dans la représentation était assez beau pour en demeurer là. J'avais résolu, dis−je, de ne les faire voir qu'à la chandelle, pour ne point donner lieu à quelqu'un de dire le proverbe ; et je ne voulais pas qu'elles sautassent du théâtre de Bourbon dans la galerie du Palais. Cependant je n'ai pu l'éviter, et je suis tombé dans la disgrâce de voir une copie dérobée de ma pièce entre les mains des libraires, accompagnée d'un privilège obtenu par surprise. J'ai eu beau crier : O temps ! ô moeurs ! on m'a fait voir une nécessité pour moi d'être imprimé, ou d'avoir un -procès ; et le dernier mal est encore pire que le premier. Il faut donc se laisser aller à la destinée, et conse +procès ; et le dernier mal est encore pire que le premier. Il faut donc se laisser aller à la destinée, et consentir à une chose qu'on ne laisserait pas de faire sans moi. Mon Dieu ! l'étrange embarras qu'un livre à mettre au jour, et qu'un auteur est neuf la première fois qu'on -l'imprime ! Encore si l'on m'avait donné du temps, j'aurais pu mieux songer à moi, et j'aurais pris toutes l +l'imprime ! Encore si l'on m'avait donné du temps, j'aurais pu mieux songer à moi, et j'aurais pris toutes les précautions que messieurs les auteurs, à présent mes confrères, ont coutume de prendre en semblables -occasions. Outre quelque grand seigneur que j'aurais été prendre malgré lui pour protecteur de mon ouvra +occasions. Outre quelque grand seigneur que j'aurais été prendre malgré lui pour protecteur de mon ouvrage, et dont j'aurais tenté la libéralité par une épître dédicatoire bien fleurie, j'aurais tâché de faire une belle et -docte préface ; et je ne manque point de livres qui m'auraient fourni tout ce qu'on peut dire de savant sur +docte préface ; et je ne manque point de livres qui m'auraient fourni tout ce qu'on peut dire de savant sur la tragédie et la comédie, l'étymologie de toutes deux, leur origine, leur définition et le reste. -J'aurais parlé aussi à mes amis, qui, pour la recommandation de ma pièce, ne m'auraient pas refusé, ou de -vers français, ou des vers latins. J'en ai même qui m'auraient loué en grec, et l'on n'ignore pas qu'une loua -en grec est d'une merveilleuse efficace à la tête d'un livre. Mais on me met au jour sans me donner le loisi -me reconnaître ; et je ne puis même obtenir la liberté de dire deux mots pour justifier mes intentions sur l -sujet de cette comédie. J'aurais voulu faire voir qu'elle se tient partout dans les bornes de la satire honnête +J'aurais parlé aussi à mes amis, qui, pour la recommandation de ma pièce, ne m'auraient pas refusé, ou des +vers français, ou des vers latins. J'en ai même qui m'auraient loué en grec, et l'on n'ignore pas qu'une louange +en grec est d'une merveilleuse efficace à la tête d'un livre. Mais on me met au jour sans me donner le loisir de +me reconnaître ; et je ne puis même obtenir la liberté de dire deux mots pour justifier mes intentions sur le +sujet de cette comédie. J'aurais voulu faire voir qu'elle se tient partout dans les bornes de la satire honnête et permise ; que les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes qui méritent -d'être bernés ; que ces vicieuses imitations de ce qu'il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière d -comédie ; et que, par la même raison les véritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avis -de s'offenser du Docteur de la comédie, et du Capitan ; non plus que les juges, les princes et les rois, de v -Trivelin, ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince ou le roi : aussi les véritable -précieuses auraient tort de se piquer, lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. Mais enfin, comme j -dit, on ne me laisse pas le temps de respirer, et M. de Luyne veut m'aller relier de ce pas : à la bonne heur +d'être bernés ; que ces vicieuses imitations de ce qu'il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la +comédie ; et que, par la même raison les véritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avisés +de s'offenser du Docteur de la comédie, et du Capitan ; non plus que les juges, les princes et les rois, de voir +Trivelin, ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince ou le roi : aussi les véritables +précieuses auraient tort de se piquer, lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. Mais enfin, comme j'ai +dit, on ne me laisse pas le temps de respirer, et M. de Luyne veut m'aller relier de ce pas : à la bonne heure, puisque Dieu l'a voulu. Personnages La Grange, amant rebuté. @@ -6787,25 +6787,25 @@ Du Croisy Pas tout à fait, à dire vrai. La Grange Pour moi, je vous avoue que j'en suis tout scandalisé. A−t−on jamais vu, dites−moi, deux pecques -provinciales faire plus les renchéries que celles−là, et deux hommes traités avec plus de mépris que nous -peine ont−elles pu se résoudre à nous faire donner des siéges. Je n'ai jamais vu tant parler à l'oreille qu'ell +provinciales faire plus les renchéries que celles−là, et deux hommes traités avec plus de mépris que nous ? A +peine ont−elles pu se résoudre à nous faire donner des siéges. Je n'ai jamais vu tant parler à l'oreille qu'elles ont fait entre elles, tant bâiller, tant se frotter les yeux, et demander tant de fois : "Quelle heure est−il ? " -Ont−elles répondu que oui et non à tout ce que nous avons pu leur dire ? Et ne m'avouerez−vous pas enfi -que, quand nous aurions été les dernières personnes du monde, on ne pouvoit nous faire pis qu'elles ont fa +Ont−elles répondu que oui et non à tout ce que nous avons pu leur dire ? Et ne m'avouerez−vous pas enfin +que, quand nous aurions été les dernières personnes du monde, on ne pouvoit nous faire pis qu'elles ont fait ? Du Croisy Il me semble que vous prenez la chose fort à coeur. La Grange Sans doute, je l'y prends, et de telle façon, que je veux me venger de cette impertinence. Je connois ce qui -nous a fait mépriser. L'air précieux n'a pas seulement infecté Paris, il s'est aussi répandu dans les province -nos donzelles ridicules en ont humé leur bonne part. En un mot, c'est un ambigu de précieuse et de coquet -que leur personne. Je vois ce qu'il faut être pour en être bien reçu ; et si vous m'en croyez, nous leur jouer +nous a fait mépriser. L'air précieux n'a pas seulement infecté Paris, il s'est aussi répandu dans les provinces, et +nos donzelles ridicules en ont humé leur bonne part. En un mot, c'est un ambigu de précieuse et de coquette +que leur personne. Je vois ce qu'il faut être pour en être bien reçu ; et si vous m'en croyez, nous leur jouerons tous deux une pièce qui leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre à connoître un peu mieux leur monde. Du Croisy Et comment encore ? La Grange -J'ai un certain valet, nommé Mascarille, qui passe, au sentiment de beaucoup de gens, pour une manière d -bel esprit ; car il n'y a rien à meilleur marché que le bel esprit maintenant. C'est un extravagant, qui s'est m +J'ai un certain valet, nommé Mascarille, qui passe, au sentiment de beaucoup de gens, pour une manière de +bel esprit ; car il n'y a rien à meilleur marché que le bel esprit maintenant. C'est un extravagant, qui s'est mis dans la tête de vouloir faire l'homme de condition. Il se pique ordinairement de galanterie et de vers, et dédaigne les autres valets, jusqu'à les appeler brutaux. Du Croisy @@ -6818,11 +6818,11 @@ Gorgibus Eh bien ! vous avez vu ma nièce et ma fille : les affaires iront−elles bien ? Quel est le résultat de cette visite ? La Grange -C'est une chose que vous pourrez mieux apprendre d'elles que de nous. Tout ce que nous pouvons vous di +C'est une chose que vous pourrez mieux apprendre d'elles que de nous. Tout ce que nous pouvons vous dire, c'est que nous vous rendons grâce de la faveur que vous nous avez faite, et demeurons vos très−humbles serviteurs. Gorgibus -Ouais ! il semble qu'ils sortent mal satisfaits d'ici. D'où pourroit venir leur mécontentement ? Il faut savo +Ouais ! il semble qu'ils sortent mal satisfaits d'ici. D'où pourroit venir leur mécontentement ? Il faut savoir un peu ce que c'est. Holà ! Scène III Marotte, Gorgibus @@ -6837,9 +6837,9 @@ Que font−elles ? Marotte De la pommade pour les lèvres. Gorgibus -C'est trop pommadé. Dites−leur qu'elles descendent. Ces pendardes−là, avec leur pommade, ont, je pense -envie de me ruiner. Je ne vois partout que blancs d'oeufs, lait virginal, et mille autres brimborions que je n -connois point. Elles ont usé, depuis que nous sommes ici, le lard d'une douzaine de cochons, pour le moin +C'est trop pommadé. Dites−leur qu'elles descendent. Ces pendardes−là, avec leur pommade, ont, je pense, +envie de me ruiner. Je ne vois partout que blancs d'oeufs, lait virginal, et mille autres brimborions que je ne +connois point. Elles ont usé, depuis que nous sommes ici, le lard d'une douzaine de cochons, pour le moins, et quatre valets vivroient tous les jours des pieds de mouton qu'elles emploient. Scène IV Magdelon, Cathos, Gorgibus @@ -6856,8 +6856,8 @@ Et qu'y trouvez−vous à redire ? Magdelon La belle galanterie que la leur ! Quoi ? débuter d'abord par le mariage ! Gorgibus -Et par où veux−tu donc qu'ils débutent ? par le concubinage ? N'est−ce pas un procédé dont vous avez su -de vous louer toutes deux aussi bien que moi ? Est−il rien de plus obligeant que cela ? Et ce lien sacré où +Et par où veux−tu donc qu'ils débutent ? par le concubinage ? N'est−ce pas un procédé dont vous avez sujet +de vous louer toutes deux aussi bien que moi ? Est−il rien de plus obligeant que cela ? Et ce lien sacré où ils aspirent, n'est−il pas un témoignage de l'honnêteté de leurs intentions ? Magdelon Ah ! mon père, ce que vous dites là est du dernier bourgeois. Cela me fait honte de vous ouïr parler de la @@ -6866,38 +6866,38 @@ Gorgibus Je n'ai que faire ni d'air ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose simple et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens que de débuter par là. Magdelon -Mon Dieu, que, si tout le monde vous ressembloit, un roman seroit bientôt fini ! La belle chose que ce se +Mon Dieu, que, si tout le monde vous ressembloit, un roman seroit bientôt fini ! La belle chose que ce seroit si d'abord Cyrus épousoit Mandane, et qu'Aronce de plain−pied fût marié à Clélie ! Gorgibus Que me vient conter celle−ci ? Magdelon -Mon père, voilà ma cousine qui vous dira, aussi bien que moi, que le mariage ne doit jamais arriver qu'ap +Mon père, voilà ma cousine qui vous dira, aussi bien que moi, que le mariage ne doit jamais arriver qu'après les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments, pousser le -doux, le tendre et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au tem -ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux ; ou bien -conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache u -temps sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l'on ne manque jamais de mettr -le tapis une question galante qui exerce les esprits de l'assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se d -faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s'est un peu éloignée ; et ce -déclaration est suivie d'un prompt courroux, qui paroît à notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l'ama -de notre présence. Ensuite il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discou -de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures, les riva +doux, le tendre et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, +ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux ; ou bien être +conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache un +temps sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l'on ne manque jamais de mettre sur +le tapis une question galante qui exerce les esprits de l'assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit +faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s'est un peu éloignée ; et cette +déclaration est suivie d'un prompt courroux, qui paroît à notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l'amant +de notre présence. Ensuite il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours +de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent à la traverse d'une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de -fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s'ensuit. Voilà comme les chose -traitent dans les belles manières et ce sont des règles dont, en bonne galanterie, on ne sauroit se dispenser +fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s'ensuit. Voilà comme les choses se +traitent dans les belles manières et ce sont des règles dont, en bonne galanterie, on ne sauroit se dispenser. Mais en venir de but en blanc à l'union conjugale, ne faire l'amour qu'en faisant le contrat du mariage, et -prendre justement le roman par la queue ! encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand +prendre justement le roman par la queue ! encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé ; et j'ai mal au coeur de la seule vision que cela me fait. Gorgibus Quel diable de jargon entends−je ici ? Voici bien du haut style. Cathos -En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui s +En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus en galanterie ? Je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la carte de Tendre, et que -Billets−Doux, Petits−Soins, Billets−Galants et Jolis−Vers sont des terres inconnues pour eux. Ne voyez−v +Billets−Doux, Petits−Soins, Billets−Galants et Jolis−Vers sont des terres inconnues pour eux. Ne voyez−vous pas que toute leur personne marque cela, et qu'ils n'ont point cet air qui donne d'abord bonne opinion des gens ? Venir en visite amoureuse avec une jambe toute unie, un chapeau désarmé de plumes, une tête -irrégulière en cheveux, et un habit qui souffre une indigence de rubans ! ... mon Dieu, quels amants sont− -là ! Quelle frugalité d'ajustement et quelle sécheresse de conversation ! On n'y dure point, on n'y tient pa +irrégulière en cheveux, et un habit qui souffre une indigence de rubans ! ... mon Dieu, quels amants sont−ce +là ! Quelle frugalité d'ajustement et quelle sécheresse de conversation ! On n'y dure point, on n'y tient pas. J'ai remarqué encore que leurs rabats ne sont pas de la bonne faiseuse, et qu'il s'en faut plus d'un grand demi−pied que leurs hauts−de−chausses ne soient assez larges. Gorgibus @@ -6908,32 +6908,32 @@ Eh ! de grâce, mon père, défaites−vous de ces noms étranges, et nous appe Gorgibus Comment, ces noms étranges ! Ne sont−ce pas vos noms de baptême ? Magdelon -Mon Dieu, que vous êtes vulgaire ! Pour moi, un de mes étonnements, c'est que vous ayez pu faire une fi +Mon Dieu, que vous êtes vulgaire ! Pour moi, un de mes étonnements, c'est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi. A−t−on jamais parlé dans le beau style de Cathos ni de Magdelon ? et ne m'avouerez−vous pas que ce seroit assez d'un de ces noms pour décrier le plus beau roman du monde ? Cathos -Il est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu délicate pâtit furieusement à entendre prononcer ces mots−là -le nom de Polyxène que ma cousine a choisi, et celui d'Aminte que je me suis donné, ont une grâce dont i +Il est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu délicate pâtit furieusement à entendre prononcer ces mots−là ; et +le nom de Polyxène que ma cousine a choisi, et celui d'Aminte que je me suis donné, ont une grâce dont il faut que vous demeuriez d'accord. Gorgibus -Ecoutez, il n'y a qu'un mot qui serve : je n'entends point que vous ayez d'autres noms que ceux qui vous o -été donnés par vos parrains et marraines ; et pour ces Messieurs dont il est question, je connois leurs fam -et leurs biens, et je veux résolûment que vous vous disposiez à les recevoir pour maris. Je me lasse de vou -avoir sur les bras, et la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante pour un homme de mon âg +Ecoutez, il n'y a qu'un mot qui serve : je n'entends point que vous ayez d'autres noms que ceux qui vous ont +été donnés par vos parrains et marraines ; et pour ces Messieurs dont il est question, je connois leurs familles +et leurs biens, et je veux résolûment que vous vous disposiez à les recevoir pour maris. Je me lasse de vous +avoir sur les bras, et la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante pour un homme de mon âge. Cathos Pour moi, mon oncle, tout ce que je vous puis dire, c'est que je trouve le mariage une chose tout à fait choquante. Comment est−ce qu'on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu ? Magdelon -Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de Paris, où nous ne faisons que d'arriver +Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de Paris, où nous ne faisons que d'arriver. Laissez−nous faire à loisir le tissu de notre roman, et n'en pressez point tant la conclusion. Gorgibus Il n'en faut point douter, elles sont achevées. Encore un coup, je n'entends rien à toutes ces balivernes ; je -veux être maître absolu ; et pour trancher toutes sortes de discours, ou vous serez mariées toutes deux ava +veux être maître absolu ; et pour trancher toutes sortes de discours, ou vous serez mariées toutes deux avant qu'il soit peu, ou, ma foi ! vous serez religieuses : j'en fais un bon serment. Scène V Cathos, Magdelon Cathos -Mon Dieu ! ma chère, que ton père a la forme enfoncée dans la matière ! que son intelligence est épaisse +Mon Dieu ! ma chère, que ton père a la forme enfoncée dans la matière ! que son intelligence est épaisse et qu'il fait sombre dans son âme ! Magdelon Que veux−tu, ma chère ? J'en suis en confusion pour lui. J'ai peine à me persuader que je puisse être @@ -6946,7 +6946,7 @@ Marotte, Cathos, Magdelon Marotte Voilà un laquais qui demande si vous êtes au logis, et dit que son maître vous veut venir voir. Magdelon -Apprenez, sotte, à vous énoncer moins vulgairement. Dites : "Voilà un nécessaire qui demande si vous êt +Apprenez, sotte, à vous énoncer moins vulgairement. Dites : "Voilà un nécessaire qui demande si vous êtes en commodité d'être visibles." Marotte Dame ! je n'entends point le latin, et je n'ai pas appris, comme vous, la filofie dans le Grand Cyre. @@ -6955,15 +6955,15 @@ L'impertinente ! Le moyen de souffrir cela ? Et qui est−il, le maître de ce Marotte Il me l'a nommé le marquis de Mascarille. Magdelon -Ah ! ma chère, un marquis ! Oui, allez dire qu'on nous peut voir. C'est sans doute un bel esprit qui aura o +Ah ! ma chère, un marquis ! Oui, allez dire qu'on nous peut voir. C'est sans doute un bel esprit qui aura ouï parler de nous. Cathos. Assurément, ma chère. Magdelon -Il faut le recevoir dans cette salle basse, plutôt qu'en notre chambre. Ajustons un peu nos cheveux au moin +Il faut le recevoir dans cette salle basse, plutôt qu'en notre chambre. Ajustons un peu nos cheveux au moins, et soutenons notre réputation. Vite, venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces. Marotte -Par ma foi, je ne sais point quelle bête c'est là : il faut parler chrétien, si vous voulez que je vous entende +Par ma foi, je ne sais point quelle bête c'est là : il faut parler chrétien, si vous voulez que je vous entende. Cathos Apportez−nous le miroir, ignorante que vous êtes, et gardez−vous bien d'en salir la glace par la communication de votre image. @@ -6975,7 +6975,7 @@ heurter contre les murailles et les pavés. Premier porteur Dame ! c'est que la porte est étroite : vous avez voulu aussi que nous soyons entrés jusqu'ici. Mascarille -Je le crois bien. Voudriez−vous, faquins, que j'exposasse l'embonpoint de mes plumes aux inclémences de +Je le crois bien. Voudriez−vous, faquins, que j'exposasse l'embonpoint de mes plumes aux inclémences de la saison pluvieuse, et que j'allasse imprimer mes souliers en boue ? Allez, ôtez votre chaise d'ici. Deuxième porteur Payez−nous donc, s'il vous plaît, Monsieur. @@ -7005,7 +7005,7 @@ content ? Premier porteur Non, je ne suis pas content : vous avez donné un soufflet à mon camarade, et... Mascarille -Doucement. Tiens, voilà pour le soufflet. On obtient tout de moi quand on s'y prend de la bonne façon. A +Doucement. Tiens, voilà pour le soufflet. On obtient tout de moi quand on s'y prend de la bonne façon. Allez, venez me reprendre tantôt pour aller au Louvre, au petit coucher. Scène VIII Marotte, Mascarille @@ -7018,7 +7018,7 @@ Les voici. Scène IX Magdelon, Cathos, Mascarille, Almanzor Mascarille, après avoir salué. -Mesdames, vous serez surprises, sans doute, de l'audace de ma visite ; mais votre réputation vous attire c +Mesdames, vous serez surprises, sans doute, de l'audace de ma visite ; mais votre réputation vous attire cette méchante affaire, et le mérite a pour moi des charmes si puissants, que je cours partout après lui. Magdelon Si vous poursuivez le mérite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser. @@ -7043,7 +7043,7 @@ Mais au moins, y a−t−il sûreté ici pour moi ? Cathos Que craignez−vous ? Mascarille -Quelque vol de mon coeur, quelque assassinat de ma franchise. Je vois ici des yeux qui ont la mine d'être +Quelque vol de mon coeur, quelque assassinat de ma franchise. Je vois ici des yeux qui ont la mine d'être de fort mauvais garçons, de faire insulte aux libertés, et de traiter une âme de Turc à More. Comment diable, d'abord qu'on les approche, ils se mettent sur leur garde meurtrière ? Ah ! par ma foi, je m'en défie, et je m'en vais gagner au pied, ou je veux caution bourgeoise qu'ils ne me feront point de mal. @@ -7052,14 +7052,14 @@ Ma chère, c'est le caractère enjoué. Cathos Je vois bien que c'est un Amilcar. Magdelon -Ne craignez rien : nos yeux n'ont point de mauvais desseins, et votre coeur peut dormir en assurance sur +Ne craignez rien : nos yeux n'ont point de mauvais desseins, et votre coeur peut dormir en assurance sur leur prud'homie. Cathos -Mais de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d'heu +Mais de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d'heure ; contentez un peu l'envie qu'il a de vous embrasser. Mascarille, après s'être peigné et avoir ajusté ses canons. Eh bien, Mesdames, que dites−vous de Paris ? Magdelon -Hélas ! qu'en pourrions−nous dire ? Il faudroit être l'antipode de la raison, pour ne pas confesser que Par +Hélas ! qu'en pourrions−nous dire ? Il faudroit être l'antipode de la raison, pour ne pas confesser que Paris est le grand bureau des merveilles, le centre du bon goût, du bel esprit et de la galanterie. Mascarille Pour moi, je tiens que hors de Paris, il n'y a point de salut pour les honnêtes gens. @@ -7068,41 +7068,41 @@ C'est une vérité incontestable. Mascarille Il y fait un peu crotté ; mais nous avons la chaise. Magdelon -Il est vrai que la chaise est un retranchement merveilleux contre les insultes de la boue et du mauvais tem +Il est vrai que la chaise est un retranchement merveilleux contre les insultes de la boue et du mauvais temps. Mascarille Vous recevez beaucoup de visites : quel bel esprit est des vôtres ? Magdelon -Hélas ! nous ne sommes pas encore connues ; mais nous sommes en passe de l'être, et nous avons une am +Hélas ! nous ne sommes pas encore connues ; mais nous sommes en passe de l'être, et nous avons une amie particulière qui nous a promis d'amener ici tous ces Messieurs du Recueil des pièces choisies. Cathos Et certains autres qu'on nous a nommés aussi pour être les arbitres souverains des belles choses. Mascarille -C'est moi qui ferai votre affaire mieux que personne : ils me rendent tous visite ; et je puis dire que je ne +C'est moi qui ferai votre affaire mieux que personne : ils me rendent tous visite ; et je puis dire que je ne me lève jamais sans une demi−douzaine de beaux esprits. Magdelon Eh ! mon Dieu, nous vous serons obligées de la dernière obligation, si vous nous faites cette amitié ; car -enfin il faut avoir la connoissance de tous ces Messieurs−là, si l'on veut être du beau monde. Ce sont ceux +enfin il faut avoir la connoissance de tous ces Messieurs−là, si l'on veut être du beau monde. Ce sont ceux qui donnent le branle à la réputation dans Paris et vous savez qu'il y en a tel dont il ne faut que la seule -fréquentation pour vous donner bruit de connoisseuse, quand il n'y auroit rien autre chose que cela. Mais -moi, ce que je considère particulièrement, c'est que, par le moyen de ces visites spirituelles, on est instruit +fréquentation pour vous donner bruit de connoisseuse, quand il n'y auroit rien autre chose que cela. Mais pour +moi, ce que je considère particulièrement, c'est que, par le moyen de ces visites spirituelles, on est instruite de cent choses qu'il faut savoir de nécessité, et qui sont de l'essence d'un bel esprit. On apprend par là chaque -jour les petites nouvelles galantes, les jolies commerces de prose et de vers. On sait à point nommé : "Un -a composé la plus jolie pièce du monde sur un tel sujet ; une telle a fait des paroles sur un tel air ; celui− +jour les petites nouvelles galantes, les jolies commerces de prose et de vers. On sait à point nommé : "Un tel +a composé la plus jolie pièce du monde sur un tel sujet ; une telle a fait des paroles sur un tel air ; celui−ci a fait un madrigal sur une jouissance ; celui−là a composé des stances sur une infidélité ; Monsieur un tel -écrivit hier au soir un sixain à Mademoiselle une telle, dont elle lui a envoyé la réponse ce matin sur les h -heures ; un tel auteur a fait un tel dessein ; celui−là en est à la troisième partie de son roman ; cet autre m +écrivit hier au soir un sixain à Mademoiselle une telle, dont elle lui a envoyé la réponse ce matin sur les huit +heures ; un tel auteur a fait un tel dessein ; celui−là en est à la troisième partie de son roman ; cet autre met ses ouvrages sous la presse." C'est là ce qui vous fait valoir dans les compagnies ; et si l'on ignore ces choses, je ne donnerois pas un clou de tout l'esprit qu'on peut avoir. Cathos -En effet, je trouve que c'est renchérir sur le ridicule, qu'une personne se pique d'esprit et ne sache pas jusq +En effet, je trouve que c'est renchérir sur le ridicule, qu'une personne se pique d'esprit et ne sache pas jusqu'au moindre petit quatrain qui se fait chaque jour ; et pour moi, j'aurois toutes les hontes du monde s'il falloit qu'on vînt à me demander si j'aurois vu quelque chose de nouveau que je n'aurois pas vu. Mascarille Il est vrai qu'il est honteux de n'avoir pas des premiers tout ce qui se fait ; mais ne vous mettez pas en peine : je veux établir chez vous une Académie de beaux esprits, et je vous promets qu'il ne se fera pas un -bout de vers dans Paris que vous ne sachiez par coeur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voy -je m'en escrime un peu quand je veux ; et vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles de Paris -deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compte +bout de vers dans Paris que vous ne sachiez par coeur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, +je m'en escrime un peu quand je veux ; et vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles de Paris, +deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits. Magdelon Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits ; je ne vois rien de si galant que cela. @@ -7120,7 +7120,7 @@ C'est mon talent particulier ; et je travaille à mettre en madrigaux toute l'h Magdelon Ah ! certes, cela sera du dernier beau. J'en retiens un exemplaire au moins, si vous le faites imprimer. Mascarille -Je vous en promets à chacune un, et des mieux reliés. Cela est au−dessous de ma condition ; mais je le fa +Je vous en promets à chacune un, et des mieux reliés. Cela est au−dessous de ma condition ; mais je le fais seulement pour donner à gagner aux libraires qui me persécutent. Magdelon Je m'imagine que le plaisir est grand de se voir imprimé. @@ -7160,9 +7160,9 @@ Tudieu ! vous avez le goût bon. Magdelon Eh ! je ne l'ai pas tout à fait mauvais. Mascarille -Mais n'admirez−vous pas aussi je n'y prenois pas garde ? Je n'y prenois pas garde, je ne m'apercevois pas +Mais n'admirez−vous pas aussi je n'y prenois pas garde ? Je n'y prenois pas garde, je ne m'apercevois pas de cela : façon de parler naturelle : je n'y prenois pas garde. Tandis que sans songer à mal, tandis -qu'innocemment, sans malice, comme un pauvre mouton ; je vous regarde, c'est−à−dire, je m'amuse à vo +qu'innocemment, sans malice, comme un pauvre mouton ; je vous regarde, c'est−à−dire, je m'amuse à vous considérer, je vous observe, je vous contemple ; Votre oeil en tapinois... Que vous semble de ce mot tapinois ? n'est−il pas bien choisi ? Cathos @@ -7172,7 +7172,7 @@ Tapinois, en cachette : il semble que ce soit un chat qui vienne de prendre une Magdelon Il ne se peut rien de mieux. Mascarille -Me dérobe mon coeur, me l'emporte, me le ravit. Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur ! Ne diriez−v +Me dérobe mon coeur, me l'emporte, me le ravit. Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur ! Ne diriez−vous pas que c'est un homme qui crie et court après un voleur pour le faire arrêter ? Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur ! Magdelon @@ -7200,7 +7200,7 @@ Magdelon Il y a de la chromatique là dedans. Mascarille Ne trouvez−vous pas la pensée bien exprimée dans le chant ? Au voleur ! ... Et puis, comme si l'on crioit -bien fort : au, au, au, au, au, au, voleur ! Et tout d'un coup, comme une personne essoufflée : au voleur ! +bien fort : au, au, au, au, au, au, voleur ! Et tout d'un coup, comme une personne essoufflée : au voleur ! Magdelon C'est là savoir le fin des choses, le grand fin, le fin du fin. Tout est merveilleux, je vous assure ; je suis enthousiasmée de l'air et des paroles. @@ -7222,17 +7222,17 @@ nouvelle que je serai bien aise que nous voyions ensemble. Magdelon Cela n'est pas de refus. Mascarille -Mais je vous demande d'applaudir comme il faut, quand nous serons là ; car je me suis engagé de faire va +Mais je vous demande d'applaudir comme il faut, quand nous serons là ; car je me suis engagé de faire valoir la pièce, et l'auteur m'en est venu prier encore ce matin. C'est la coutume ici qu'à nous autres gens de condition les auteurs viennent lire leurs pièces nouvelles, pour nous engager à les trouver belles, et leur -donner de la réputation ; et je vous laisse à penser si, quand nous disons quelque chose, le parterre ose no -contredire. Pour moi, j'y suis fort exact ; et quand j'ai promis à quelque poète, je crie toujours : "Voilà qu +donner de la réputation ; et je vous laisse à penser si, quand nous disons quelque chose, le parterre ose nous +contredire. Pour moi, j'y suis fort exact ; et quand j'ai promis à quelque poète, je crie toujours : "Voilà qui est beau ! " devant que les chandelles soient allumées. Magdelon -Ne m'en parlez point : c'est un admirable lieu que Paris ; il s'y passe cent choses tous les jours qu'on igno +Ne m'en parlez point : c'est un admirable lieu que Paris ; il s'y passe cent choses tous les jours qu'on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu'on puisse être. Cathos -C'est assez : puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comme il faut sur to +C'est assez : puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comme il faut sur tout ce qu'on dira. Mascarille Je ne sais si je me trompe, mais vous avez toute la mine d'avoir fait quelque comédie. @@ -7243,12 +7243,12 @@ Ah ! ma foi, il faudra que nous la voyions. Entre nous, j'en ai composé une qu Cathos Hé, à quels comédiens la donnerez−vous ? Mascarille -Belle demande ! Aux grands comédiens. Il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir les choses ; le -autres sont des ignorants qui récitent comme l'on parle ; ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s'arrêter -bel endroit : et le moyen de connoître où est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête, et ne vous avertit p +Belle demande ! Aux grands comédiens. Il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir les choses ; les +autres sont des ignorants qui récitent comme l'on parle ; ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s'arrêter au +bel endroit : et le moyen de connoître où est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête, et ne vous avertit par là qu'il faut faire le brouhaha ? Cathos -En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d'un ouvrage ; et les choses ne valent que +En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d'un ouvrage ; et les choses ne valent que ce qu'on les fait valoir. Mascarille Que vous semble de ma petite−oie ? La trouvez−vous congruante à l'habit ? @@ -7281,10 +7281,10 @@ Vous ne me dites rien de mes plumes : comment les trouvez−vous ? Cathos Effroyablement belles. Mascarille -Savez−vous que le brin me coûte un louis d'or ? Pour moi, j'ai cette manie de vouloir donner généraleme +Savez−vous que le brin me coûte un louis d'or ? Pour moi, j'ai cette manie de vouloir donner généralement sur tout ce qu'il y a de plus beau. Magdelon -Je vous assure que nous sympathisons vous et moi : j'ai une délicatesse furieuse pour tout ce que je porte +Je vous assure que nous sympathisons vous et moi : j'ai une délicatesse furieuse pour tout ce que je porte ; et jusqu'à mes chaussettes, je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne ouvrière. Mascarille, s'écriant brusquement. Ahi, ahi, ahi, doucement ! Dieu me damne, Mesdames, c'est fort mal en user ; j'ai à me plaindre de votre @@ -7292,7 +7292,7 @@ procédé ; cela n'est pas honnête. Cathos Qu'est−ce donc ? qu'avez−vous ? Mascarille -Quoi ? toutes deux contre mon coeur, en même temps ! m'attaquer à droit et à gauche ! Ah ! c'est contr +Quoi ? toutes deux contre mon coeur, en même temps ! m'attaquer à droit et à gauche ! Ah ! c'est contre le droit des gens ; la partie n'est pas égale ; et je m'en vais crier au meurtre. Cathos Il faut avouer qu'il dit les choses d'une manière particulière. @@ -7337,12 +7337,12 @@ Que j'ai de joie de te voir ici ! Mascarille Baise−moi donc encore un peu, je te prie. Magdelon -Ma toute bonne, nous commençons d'être connues ; voilà le beau monde qui prend le chemin de nous ven +Ma toute bonne, nous commençons d'être connues ; voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir. Mascarille -Mesdames, agréez que je vous présente ce gentilhomme−ci : sur ma parole, il est digne d'être connu de v +Mesdames, agréez que je vous présente ce gentilhomme−ci : sur ma parole, il est digne d'être connu de vous. Jodelet -Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit ; et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur to +Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit ; et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes. Magdelon C'est pousser vos civilités jusqu'aux derniers confins de la flatterie. @@ -7357,7 +7357,7 @@ visage pâle comme vous le voyez. Jodelet Ce sont fruits des veilles de la cour et des fatigues de la guerre. Mascarille -Savez−vous, Mesdames, que vous voyez dans le Vicomte un des plus vaillants hommes du siècle ? C'est +Savez−vous, Mesdames, que vous voyez dans le Vicomte un des plus vaillants hommes du siècle ? C'est un brave à trois poils. Jodelet Vous ne m'en devez rien, Marquis ; et nous savons ce que vous savez faire aussi. @@ -7368,10 +7368,10 @@ Et dans des lieux où il faisoit fort chaud. Mascarille, les regardant toutes deux. Oui ; mais non pas si chaud qu'ici. Hai, hai, hai ! Jodelet -Notre connoissance s'est faite à l'armée ; et la première fois que nous nous vîmes, il commandoit un régim +Notre connoissance s'est faite à l'armée ; et la première fois que nous nous vîmes, il commandoit un régiment de cavalerie sur les galères de Malte. Mascarille -Il est vrai ; mais vous étiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse ; et je me souviens que je n'étois qu +Il est vrai ; mais vous étiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse ; et je me souviens que je n'étois que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux. Jodelet La guerre est une belle chose ; mais, ma foi, la cour récompense bien mal aujourd'hui les gens de service @@ -7424,11 +7424,11 @@ Ma foi, c'est bien avisé. Magdelon Pour cela, nous y consentons ; mais il faut donc quelque surcroît de compagnie. Mascarille -Holà ! Champagne, Picard, Bourguignon, Casquaret, Basque, la Verdure, Lorrain, Provençal, la Violette -Au diable soient tous les laquais ! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que m +Holà ! Champagne, Picard, Bourguignon, Casquaret, Basque, la Verdure, Lorrain, Provençal, la Violette ! +Au diable soient tous les laquais ! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul. Magdelon -Almanzor, dites aux gens de Monsieur qu'ils aillent querir des violons, et nous faites venir ces Messieurs +Almanzor, dites aux gens de Monsieur qu'ils aillent querir des violons, et nous faites venir ces Messieurs et ces Dames d'ici près, pour peupler la solitude de notre bal. Mascarille Vicomte, que dis−tu de ces yeux ? @@ -7447,10 +7447,10 @@ Cathos Eh ! je vous en conjure de toute la dévotion de mon coeur : que nous ayons quelque chose qu'on ait fait pour nous. Jodelet -J'aurois envie d'en faire autant ; mais je me treuve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quant +J'aurois envie d'en faire autant ; mais je me treuve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quantité des saignées que j'y ai faites ces jours passés. Mascarille -Que diable est cela ? Je fais toujours bien le premier vers ; mais j'ai peine à faire les autres. Ma foi, ceci +Que diable est cela ? Je fais toujours bien le premier vers ; mais j'ai peine à faire les autres. Ma foi, ceci est un peu trop pressé : je vous ferai un impromptu à loisir, que vous trouverez le plus beau du monde. Jodelet Il a de l'esprit comme un démon. @@ -7461,7 +7461,7 @@ Vicomte, dis−moi un peu, y a−t−il longtemps que tu n'as vu la Comtesse ? Jodelet Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite. Mascarille -Sais−tu bien que le Duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu mener à la campagne courir un cerf avec lu +Sais−tu bien que le Duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu mener à la campagne courir un cerf avec lui ? Magdelon Voici nos amies qui viennent. Scène XII @@ -7485,7 +7485,7 @@ Il a tout à fait la taille élégante. Cathos Et a la mine de danser proprement. Mascarille, ayant pris Magdelon. -Ma franchise va danser la courante aussi bien que mes pieds. En cadence, violons, en cadence. Oh ! quel +Ma franchise va danser la courante aussi bien que mes pieds. En cadence, violons, en cadence. Oh ! quels ignorants ! Il n'y a pas moyen de danser avec eux. Le diable vous emporte ! ne sauriez−vous jouer en mesure ? La, la, la, la, la, la, la, la. Ferme, ô violons de village. Jodelet, dansant ensuite. @@ -7516,7 +7516,7 @@ Mon Dieu, je n'ai pas voulu faire semblant de rien ; car je suis violent, et je Magdelon Endurer un affront comme celui−là, en notre présence ! Mascarille -Ce n'est rien : ne laissons pas d'achever. Nous nous connoissons il y a longtemps ; et entre amis, on ne v +Ce n'est rien : ne laissons pas d'achever. Nous nous connoissons il y a longtemps ; et entre amis, on ne va pas se piquer pour si peu de chose. Scène XV Du Croisy, la Grange, Mascarille, Jodelet, Magdelon, Cathos @@ -7525,7 +7525,7 @@ Ma foi, marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets. Entrez, vous a Magdelon Quelle est donc cette audace, de venir nous troubler de la sorte dans notre maison ? Du Croisy -Comment, Mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux reçus que nous ? qu'ils viennent vou +Comment, Mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux reçus que nous ? qu'ils viennent vous faire l'amour à nos dépens, et vous donnent le bal ? Magdelon Vos laquais ? @@ -7534,7 +7534,7 @@ Oui, nos laquais : et cela n'est ni beau ni honnête de nous les débaucher com Magdelon O Ciel ! quelle insolence ! La Grange -Mais ils n'auront pas l'avantage de se servir de nos habits pour vous donner dans la vue ; et si vous les vo +Mais ils n'auront pas l'avantage de se servir de nos habits pour vous donner dans la vue ; et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux. Vite, qu'on les dépouille sur−le−champ. Jodelet Adieu notre braverie. @@ -7551,7 +7551,7 @@ Du Croisy Vite, qu'on leur ôte jusqu'à la moindre chose. La Grange Qu'on emporte toutes ces hardes, dépêchez. Maintenant, Mesdames, en l'état qu'ils sont, vous pouvez -continuer vos amours avec eux tant qu'il vous plaira ; nous vous laissons toute sorte de liberté pour cela, +continuer vos amours avec eux tant qu'il vous plaira ; nous vous laissons toute sorte de liberté pour cela, et nous vous protestons, Monsieur et moi, que nous n'en serons aucunement jaloux. Cathos Ah ! quelle confusion ! @@ -7573,13 +7573,13 @@ d'apprendre de belles affaires, vraiment, de ces Messieurs qui sortent ! Magdelon Ah ! mon père, c'est une pièce sanglante qu'ils nous ont faite. Gorgibus -Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes ! Ils se sont ressentis +Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes ! Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait ; et cependant, malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront. Magdelon Ah ! je jure que nous en serons vengés, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, osez−vous vous tenir ici après votre insolence ? Mascarille -Traiter comme cela un marquis ! Voilà ce que c'est que du monde ! la moindre disgrâce nous fait mépris +Traiter comme cela un marquis ! Voilà ce que c'est que du monde ! la moindre disgrâce nous fait mépriser de ceux qui nous chérissoient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre part : je vois bien qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considère point la vertu toute nue. (Ils sortent tous deux.) @@ -7588,9 +7588,9 @@ Gorgibus, Magdelon, Cathos, Violons Violons Monsieur, nous entendons que vous nous contentiez à leur défaut pour ce que nous avons joué ici. Gorgibus, les battant -Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnoie dont je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sai -qui me tient que je ne vous en fasse autant. Nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà -que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines ; allez vous cacher pour jama +Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnoie dont je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais +qui me tient que je ne vous en fasse autant. Nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce +que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines ; allez vous cacher pour jamais. Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes, puissiez−vous être à tous les diables ! Sganarelle @@ -10900,19 +10900,19 @@ Troupe de Monsieur, frère unique du Roi Adresse A Monseigneur Le Duc d'Orléans frère unique du roi Monseigneur, -Je fais voir ici à la France des choses bien peu proportionnées. Il n'est rien de si grand et de si superbe que +Je fais voir ici à la France des choses bien peu proportionnées. Il n'est rien de si grand et de si superbe que le nom que je mets à la tête de ce livre, et rien de plus bas que ce qu'il contient. Tout le monde trouvera cet assemblage étrange ; et quelques−uns pourront bien dire, pour en exprimer l'inégalité, que c'est poser une -couronne de perles et de diamants sur une statue de terre, et faire entrer par des portiques magnifiques et d -arcs triomphaux superbes dans une méchante cabane. Mais, Monseigneur, ce qui doit me servir d'excuse, -qu'en cette aventure je n'ai eu aucun choix à faire, et que l'honneur que j'ai d'être à Votre Altesse Royale m -imposé une nécessité absolue de lui dédier le premier ouvrage que je mets de moi−même au jour. Ce n'est -un présent que je lui fais, c'est un devoir dont je m'acquitte ; et les hommes ne sont jamais regardés par le -choses qu'ils portent. J'ai donc osé, Monseigneur, dédier une bagatelle à Votre Altesse Royale, parce que +couronne de perles et de diamants sur une statue de terre, et faire entrer par des portiques magnifiques et des +arcs triomphaux superbes dans une méchante cabane. Mais, Monseigneur, ce qui doit me servir d'excuse, c'est +qu'en cette aventure je n'ai eu aucun choix à faire, et que l'honneur que j'ai d'être à Votre Altesse Royale m'a +imposé une nécessité absolue de lui dédier le premier ouvrage que je mets de moi−même au jour. Ce n'est pas +un présent que je lui fais, c'est un devoir dont je m'acquitte ; et les hommes ne sont jamais regardés par les +choses qu'ils portent. J'ai donc osé, Monseigneur, dédier une bagatelle à Votre Altesse Royale, parce que je n'ai pu m'en dispenser ; et, si je me dispense ici de m'étendre sur les belles et glorieuses vérités qu'on -pourrait dire d'Elle, c'est par la juste appréhension que ces grandes idées ne fissent éclater encore davanta -bassesse de mon offrande. Je me suis imposé silence pour trouver un endroit plus propre à placer de si bel -choses ; et tout ce que j'ai prétendu dans cette épître, c'est de justifier mon action à toute la France, et d'av +pourrait dire d'Elle, c'est par la juste appréhension que ces grandes idées ne fissent éclater encore davantage la +bassesse de mon offrande. Je me suis imposé silence pour trouver un endroit plus propre à placer de si belles +choses ; et tout ce que j'ai prétendu dans cette épître, c'est de justifier mon action à toute la France, et d'avoir cette gloire de vous dire à vous−même, Monseigneur, avec toute la soumission possible que je suis, De Votre Altesse Royale, Le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur, @@ -11743,15 +11743,15 @@ Et dont elle est, dit−il, en un fort grand courroux ; C'est sans vouloir l'ouvrir qu'elle vous la fait rendre : Lisez vite, et voyons si je me puis méprendre. Lettre -"Cette lettre vous surprendra sans doute, et l'on peut trouver bien hardi pour moi et le dessein de vous l'éc +"Cette lettre vous surprendra sans doute, et l'on peut trouver bien hardi pour moi et le dessein de vous l'écrire et la manière de vous la faire tenir ; mais je me vois dans un état à ne plus garder de mesures. La juste horreur d'un mariage dont je suis menacée dans six jours me fait hasarder toutes choses ; et dans la résolution de m'en affranchir par quelque voie que ce soit, j'ai cru que je devois plutôt vous choisir que le -désespoir. Ne croyez pas pourtant que vous soyez redevable de tout à ma mauvaise destinée : ce n'est pas -contrainte où je me treuve qui a fait naître les sentiments que j'ai pour vous ; mais c'est elle qui en précip -le témoignage, et qui me fait passer sur des formalités où la bienséance du sexe oblige. Il ne tiendra qu'à v -que je sois à vous bientôt, et j'attends seulement que vous m'ayez marqué les intentions de votre amour po -vous faire savoir la résolution que j'ai prise ; mais surtout songez que le temps presse, et que deux coeurs +désespoir. Ne croyez pas pourtant que vous soyez redevable de tout à ma mauvaise destinée : ce n'est pas la +contrainte où je me treuve qui a fait naître les sentiments que j'ai pour vous ; mais c'est elle qui en précipite +le témoignage, et qui me fait passer sur des formalités où la bienséance du sexe oblige. Il ne tiendra qu'à vous +que je sois à vous bientôt, et j'attends seulement que vous m'ayez marqué les intentions de votre amour pour +vous faire savoir la résolution que j'ai prise ; mais surtout songez que le temps presse, et que deux coeurs qui s'aiment doivent s'entendre à demi−mot." Ergaste Hé bien ! Monsieur, le tour est−il d'original ? @@ -12666,21 +12666,21 @@ Troupe de Monsieur, frère unique du Roi Adresse Au Roi Sire, -J'ajoute une scène à la comédie ; et c'est une espèce de fâcheux assez insupportable qu'un homme qui déd -un livre. Votre Majesté en sait des nouvelles plus que personne de son royaume, et ce n'est pas d'aujourd'h -qu'elle se voit en butte à la furie des épîtres dédicatoires. Mais, bien que je suive l'exemple des autres, et m -mette moi−même au rang de ceux que j'ai joués, j'ose dire toutefois à Votre Majesté que ce que j'en fais n -pas tant pour lui présenter un livre que pour avoir lieu de lui rendre grâces du succès de cette comédie. Je -dois, Sire, ce succès qui a passé mon attente, non seulement à cette glorieuse approbation dont Votre Maj -honora d'abord la pièce, et qui a entraîné si hautement celle de tout le monde, mais encore à l'ordre qu'elle -donna d'y ajouter un caractère de fâcheux, dont elle eut la bonté de m'ouvrir les idées Elle−même, et qui a -trouvé partout le plus beau morceau de l'ouvrage. Il faut avouer, Sire, que je n'ai jamais rien fait avec tant -facilité, ni si promptement que cet endroit où Votre Majesté me commanda de travailler. J'avais une joie à -obéir qui me valait bien mieux qu'Apollon et toutes les Muses ; et je conçois par là ce que je serais capab -d'exécuter pour une comédie entière, si j'étais inspiré par de pareils commandements. Ceux qui sont nés e -rang élevé peuvent se proposer l'honneur de servir Votre Majesté dans les grands emplois, mais, pour moi -toute la gloire où je puis aspirer, c'est de la réjouir. Je borne là l'ambition de mes souhaits ; et je crois qu'e -quelque façon ce n'est pas être inutile à la France que de contribuer quelque chose au divertissement de so +J'ajoute une scène à la comédie ; et c'est une espèce de fâcheux assez insupportable qu'un homme qui dédie +un livre. Votre Majesté en sait des nouvelles plus que personne de son royaume, et ce n'est pas d'aujourd'hui +qu'elle se voit en butte à la furie des épîtres dédicatoires. Mais, bien que je suive l'exemple des autres, et me +mette moi−même au rang de ceux que j'ai joués, j'ose dire toutefois à Votre Majesté que ce que j'en fais n'est +pas tant pour lui présenter un livre que pour avoir lieu de lui rendre grâces du succès de cette comédie. Je le +dois, Sire, ce succès qui a passé mon attente, non seulement à cette glorieuse approbation dont Votre Majesté +honora d'abord la pièce, et qui a entraîné si hautement celle de tout le monde, mais encore à l'ordre qu'elle me +donna d'y ajouter un caractère de fâcheux, dont elle eut la bonté de m'ouvrir les idées Elle−même, et qui a été +trouvé partout le plus beau morceau de l'ouvrage. Il faut avouer, Sire, que je n'ai jamais rien fait avec tant de +facilité, ni si promptement que cet endroit où Votre Majesté me commanda de travailler. J'avais une joie à lui +obéir qui me valait bien mieux qu'Apollon et toutes les Muses ; et je conçois par là ce que je serais capable +d'exécuter pour une comédie entière, si j'étais inspiré par de pareils commandements. Ceux qui sont nés en un +rang élevé peuvent se proposer l'honneur de servir Votre Majesté dans les grands emplois, mais, pour moi, +toute la gloire où je puis aspirer, c'est de la réjouir. Je borne là l'ambition de mes souhaits ; et je crois qu'en +quelque façon ce n'est pas être inutile à la France que de contribuer quelque chose au divertissement de son roi. Quand je n'y réussirai pas, ce ne sera jamais par un défaut de zèle ni d'étude, mais seulement par un mauvais destin qui suit assez souvent les meilleures intentions, et qui sans doute affligerait sensiblement. Sire, @@ -12688,40 +12688,40 @@ De Votre Majesté, Le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur et sujet. Molière. Avertissement -Jamais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle−ci, et c'est une chose, je crois, toute nouvelle qu +Jamais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle−ci, et c'est une chose, je crois, toute nouvelle qu'une comédie ait été conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. Je ne dis pas cela pour me piquer de -l'impromptu et en prétendre de la gloire, mais seulement pour prévenir certaines gens qui pourraient trouv +l'impromptu et en prétendre de la gloire, mais seulement pour prévenir certaines gens qui pourraient trouver à redire que je n'aie pas mis ici toutes les espèces de fâcheux qui se trouvent. Je sais que le nombre en est grand, et à la cour et dans la ville, et que, sans épisodes, j'eusse bien pu en composer une comédie de cinq actes bien fournis, et avoir encore de la matière de reste. Mais, dans le peu de temps qui me fut donné, il -m'était impossible de faire un grand dessein, et de rêver beaucoup sur le choix de mes personnages et sur -disposition de mon sujet. Je me réduisis donc à ne toucher qu'un petit nombre d'importuns, et je pris ceux +m'était impossible de faire un grand dessein, et de rêver beaucoup sur le choix de mes personnages et sur la +disposition de mon sujet. Je me réduisis donc à ne toucher qu'un petit nombre d'importuns, et je pris ceux qui s'offrirent d'abord à mon esprit, et que je crus les plus propres à réjouir les augustes personnes devant qui -j'avais à paraître ; et, pour lier promptement toutes ces choses ensemble, je me servis du premier noeud q -je pus trouver. Ce n'est pas mon dessein d'examiner maintenant si tout cela pouvait être mieux, et si tous c -qui s'y sont divertis ont ri selon les règles : le temps viendra de faire imprimer mes remarques sur les pièc +j'avais à paraître ; et, pour lier promptement toutes ces choses ensemble, je me servis du premier noeud que +je pus trouver. Ce n'est pas mon dessein d'examiner maintenant si tout cela pouvait être mieux, et si tous ceux +qui s'y sont divertis ont ri selon les règles : le temps viendra de faire imprimer mes remarques sur les pièces que j'aurai faites, et je ne désespère pas de faire voir un jour, en grand auteur, que je puis citer Aristote et Horace. En attendant cet examen, qui peut−être ne viendra point, je m'en remets assez aux décisions de la multitude, et je tiens aussi difficile de combattre un ouvrage que le public approuve, que d'en défendre un qu'il condamne. -Il n'y a personne qui ne sache pour quelle réjouissance la pièce fut composée, et cette fête a fait un tel écla -qu'il n'est pas nécessaire d'en parler ; mais il ne sera pas hors de propos de dire deux paroles des ornemen +Il n'y a personne qui ne sache pour quelle réjouissance la pièce fut composée, et cette fête a fait un tel éclat +qu'il n'est pas nécessaire d'en parler ; mais il ne sera pas hors de propos de dire deux paroles des ornements qu'on a mêlés avec la comédie. Le dessein était de donner un ballet aussi ; et, comme il n'y avait qu'un petit nombre choisi de danseurs -excellents, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et l'avis fut de les jeter dans les entr'actes de -comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes baladins de revenir sous d'autres habits. D -sorte que, pour ne point rompre aussi le fil de la pièce par ces manières d'intermèdes, on s'avisa de les cou -au sujet du mieux que l'on put, et de ne faire qu'une seule chose du ballet et de la comédie ; mais, comme +excellents, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et l'avis fut de les jeter dans les entr'actes de la +comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes baladins de revenir sous d'autres habits. De +sorte que, pour ne point rompre aussi le fil de la pièce par ces manières d'intermèdes, on s'avisa de les coudre +au sujet du mieux que l'on put, et de ne faire qu'une seule chose du ballet et de la comédie ; mais, comme le temps était fort précipité, et que tout cela ne fut pas réglé entièrement par une même tête, on trouvera -peut−être quelques endroits du ballet qui n'entrent pas dans la comédie aussi naturellement que d'autres. Q +peut−être quelques endroits du ballet qui n'entrent pas dans la comédie aussi naturellement que d'autres. Quoi qu'il en soit, c'est un mélange qui est nouveau pour nos théâtres, et dont on pourrait chercher quelques -autorités dans l'antiquité ; et, comme tout le monde l'a trouvé agréable, il peut servir d'idée à d'autres cho +autorités dans l'antiquité ; et, comme tout le monde l'a trouvé agréable, il peut servir d'idée à d'autres choses qui pourraient être méditées avec plus de loisir. -D'abord que la toile fut levée, un des acteurs, comme vous pourriez dire moi, parut sur le théâtre en habit +D'abord que la toile fut levée, un des acteurs, comme vous pourriez dire moi, parut sur le théâtre en habit de ville, et, s'adressant au Roi avec le visage d'un homme surpris, fit des excuses en désordre sur ce qu'il se -trouvait là seul, et manquait de temps et d'acteurs pour donner à Sa Majesté le divertissement qu'elle semb +trouvait là seul, et manquait de temps et d'acteurs pour donner à Sa Majesté le divertissement qu'elle semblait attendre. En même temps, au milieu de vingt jets d'eau naturels, s'ouvrit cette coquille que tout le monde a -vue, et l'agréable Naïade qui parut dedans s'avança au bord du théâtre, et, d'un air héroïque, prononça les +vue, et l'agréable Naïade qui parut dedans s'avança au bord du théâtre, et, d'un air héroïque, prononça les vers que M. Pellisson avait faits, et qui servent de prologue. Molière. Prologue @@ -12764,7 +12764,7 @@ Qu'aujourd'hui tout lui plaise, et semble consentir A l'unique dessein de le bien divertir. Fâcheux, retirez−vous ; ou, s'il faut qu'il vous voie, Que ce soit seulement pour exciter sa joie. -La Naïade emmène avec elle, pour la comédie, une partie des gens qu'elle a fait paraître, pendant que le re +La Naïade emmène avec elle, pour la comédie, une partie des gens qu'elle a fait paraître, pendant que le reste se met à danser au son des hautbois, qui se joignent aux violons. Personnages Eraste. @@ -13607,7 +13607,7 @@ Fort bien. Je crois qu'enfin je perdrai patience. Cherchons à m'excuser avecque diligence. Ballet du second acte Première entrée -Des joueurs de boule l'arrêtent pour mesurer un coup dont ils sont en dispute. Il se défait d'eux avec peine +Des joueurs de boule l'arrêtent pour mesurer un coup dont ils sont en dispute. Il se défait d'eux avec peine, et leur laisse danser un pas composé de toutes les postures qui sont ordinaires à ce jeu. Deuxième entrée De petits frondeurs les viennent interrompre, qui sont chassés ensuite. @@ -13732,12 +13732,12 @@ Caritidès C'est pour être instruit : Monsieur, je vous conjure. Au roi. "Sire, -Votre très−humble, très−obéissant, très−fidèle, et très−savant sujet et serviteur, Caritidès, François de nat +Votre très−humble, très−obéissant, très−fidèle, et très−savant sujet et serviteur, Caritidès, François de nation, Grec de profession, ayant considéré les grands et notables abus qui se commettent aux inscriptions des -enseignes des maisons, boutiques, cabarets, jeux de boule, et autres lieux de votre bonne ville de Paris, en +enseignes des maisons, boutiques, cabarets, jeux de boule, et autres lieux de votre bonne ville de Paris, en ce que certains ignorants compositeurs desdites inscriptions renversent, par une barbare, pernicieuse et détestable orthographe, toute sorte de sens et raison, sans aucun égard d'étymologie, analogie, énergie, ni -allégorie quelconque, au grand scandale de la république des lettres, et de la nation françoise, qui se décri +allégorie quelconque, au grand scandale de la république des lettres, et de la nation françoise, qui se décrie et déshonore par lesdits abus et fautes grossières envers les étrangers, et notamment envers les Allemands, curieux lecteurs et inspectateurs desdites inscriptions..." Eraste @@ -13748,9 +13748,9 @@ Eraste Achevez promptement. (Caritidès continue.) "... supplie humblement Votre Majesté de créer, pour le bien de son Etat et la gloire de son empire, une -charge de contrôleur, intendant, correcteur, réviseur, et restaurateur général desdites inscriptions, et d'icel -honorer le suppliant, tant en considération de son rare et éminent savoir, que des grands et signalés servic -qu'il a rendus à l'Etat et à Votre Majesté en faisant l'anagramme de Votredite Majesté en françois, latin, gr +charge de contrôleur, intendant, correcteur, réviseur, et restaurateur général desdites inscriptions, et d'icelle +honorer le suppliant, tant en considération de son rare et éminent savoir, que des grands et signalés services +qu'il a rendus à l'Etat et à Votre Majesté en faisant l'anagramme de Votredite Majesté en françois, latin, grec, hébreu, syriaque, chaldéen, arabe..." Eraste, l'interrompant. Fort bien. Donnez−le vite, et faites la retraite : @@ -14001,7 +14001,7 @@ Quoi ? toujours des Fâcheux ! Holà ! suisses, ici ! Qu'on me fasse sortir ces gredins que voici. Ballet du troisième acte Première entrée -Des suisses avec des hallebardes chassent tous les masques fâcheux, et se retirent ensuite pour laisser dan +Des suisses avec des hallebardes chassent tous les masques fâcheux, et se retirent ensuite pour laisser danser à leur aise Dernière entrée Quatre bergers et une bergère qui, au sentiment de tous ceux qui l'ont vue, ferme le divertissement d'assez @@ -14015,49 +14015,49 @@ par la Troupe de monsieur, frère unique du roi Adresse A Madame Madame, -Je suis le plus embarrassé homme du monde, lorsqu'il me faut dédier un livre, et je me trouve si peu fait a +Je suis le plus embarrassé homme du monde, lorsqu'il me faut dédier un livre, et je me trouve si peu fait au style d'épître dédicatoire, que je ne sais pas où sortir de celle−ci. Un autre auteur, qui serait en ma place, trouverait d'abord cent belles choses à dire de Votre Altesse Royale, sur ce titre de l'Ecole des Femmes, et l'offre qu'il vous en ferait. Mais, pour moi, Madame, je vous avoue mon faible. Je ne sais point cet art de -trouver des rapports entre des choses si peu proportionnées ; et, quelques belles lumières que mes confrèr +trouver des rapports entre des choses si peu proportionnées ; et, quelques belles lumières que mes confrères les auteurs me donnent tous les jours sur des pareils sujets, je ne vois point ce que Votre Altesse Royale -pourrait avoir à démêler avec la comédie que je lui présente. On n'est pas en peine, sans doute, comment i -faut faire pour vous louer. La matière, Madame, ne saute que trop aux yeux ; et, de quelque côté qu'on vo -regarde, on rencontre gloire sur gloire, et qualités sur qualités. Vous en avez, Madame, du côté du rang et +pourrait avoir à démêler avec la comédie que je lui présente. On n'est pas en peine, sans doute, comment il +faut faire pour vous louer. La matière, Madame, ne saute que trop aux yeux ; et, de quelque côté qu'on vous +regarde, on rencontre gloire sur gloire, et qualités sur qualités. Vous en avez, Madame, du côté du rang et de la naissance, qui vous font respecter de toute la terre. Vous en avez du côté des grâces, et de l'esprit, et du -corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qui vous voient. Vous en avez du côté de l'âme, qui, -l'on ose parler ainsi, vous font aimer de tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de vous : je veux dire cet +corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qui vous voient. Vous en avez du côté de l'âme, qui, si +l'on ose parler ainsi, vous font aimer de tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de vous : je veux dire cette douceur pleine de charmes dont vous daignez tempérer la fierté des grands titres que vous portez ; cette bonté tout obligeante, cette affabilité généreuse que vous faites paraître pour tout le monde. Et ce sont particulièrement ces dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne me pourrai taire quelque -jour. Mais encore une fois, Madame, je ne sais point le biais de faire entrer ici des vérités si éclatantes ; e -sont choses, à mon avis, et d'une trop vaste étendue et d'un mérite trop élevé, pour les vouloir renfermer d -une épître et les mêler avec des bagatelles. Tout bien considéré, Madame, je ne vois rien à faire ici pour m -que de vous dédier simplement ma comédie, et de vous assurer, avec tout le respect qu'il m'est possible, q +jour. Mais encore une fois, Madame, je ne sais point le biais de faire entrer ici des vérités si éclatantes ; et ce +sont choses, à mon avis, et d'une trop vaste étendue et d'un mérite trop élevé, pour les vouloir renfermer dans +une épître et les mêler avec des bagatelles. Tout bien considéré, Madame, je ne vois rien à faire ici pour moi +que de vous dédier simplement ma comédie, et de vous assurer, avec tout le respect qu'il m'est possible, que je suis, De Votre Altesse Royale, Madame, Le très humble, très obéissant, et très obligé serviteur, Molière. Préface -Bien des gens ont frondé d'abord cette comédie ; mais les rieurs ont été pour elle, et tout le mal qu'on en +Bien des gens ont frondé d'abord cette comédie ; mais les rieurs ont été pour elle, et tout le mal qu'on en a pu dire n'a pu faire qu'elle n'ait eu un succès dont je me contente. -Je sais qu'on attend de moi dans cette impression quelque préface qui réponde aux censeurs et rende raiso +Je sais qu'on attend de moi dans cette impression quelque préface qui réponde aux censeurs et rende raison de mon ouvrage ; et sans doute que je suis assez redevable à toutes les personnes qui lui ont donné leur approbation, pour me croire obligé de défendre leur jugement contre celui des autres ; mais il se trouve -qu'une grande partie des choses que j'aurais à dire sur ce sujet est déjà dans une dissertation que j'ai faite e +qu'une grande partie des choses que j'aurais à dire sur ce sujet est déjà dans une dissertation que j'ai faite en dialogue, et dont je ne sais encore ce que je ferai. L'idée de ce dialogue, ou, si l'on veut, de cette petite comédie, me vint après les deux ou trois premières représentations de ma pièce. -Je la dis, cette idée, dans une maison où je me trouvai un soir, et d'abord une personne de qualité, dont l'e +Je la dis, cette idée, dans une maison où je me trouvai un soir, et d'abord une personne de qualité, dont l'esprit est assez connu dans le monde, et qui me fait l'honneur de m'aimer, trouva le projet assez à son gré, non -seulement pour me solliciter d'y mettre la main, mais encore pour l'y mettre lui−même ; et je fus étonné q -deux jours après il me montra toute l'affaire exécutée d'une manière à la vérité beaucoup plus galante et p -spirituelle que je ne puis faire, mais où je trouvai des choses trop avantageuses pour moi ; et j'eus peur qu -si je produisais cet ouvrage sur notre théâtre, on ne m'accusât d'avoir mendié les louanges qu'on m'y donn -Cependant cela m'empêcha, par quelque considération, d'achever ce que j'avais commencé. Mais tant de g +seulement pour me solliciter d'y mettre la main, mais encore pour l'y mettre lui−même ; et je fus étonné que +deux jours après il me montra toute l'affaire exécutée d'une manière à la vérité beaucoup plus galante et plus +spirituelle que je ne puis faire, mais où je trouvai des choses trop avantageuses pour moi ; et j'eus peur que, +si je produisais cet ouvrage sur notre théâtre, on ne m'accusât d'avoir mendié les louanges qu'on m'y donnait. +Cependant cela m'empêcha, par quelque considération, d'achever ce que j'avais commencé. Mais tant de gens me pressent tous les jours de le faire, que je ne sais ce qui en sera ; et cette incertitude est cause que je ne -mets point dans cette préface ce qu'on verra dans la Critique, en cas que je me résolve à la faire paraître. S +mets point dans cette préface ce qu'on verra dans la Critique, en cas que je me résolve à la faire paraître. S'il faut que cela soit, je le dis encore, ce sera seulement pour venger le public du chagrin délicat de certaines gens ; car, pour moi, je m'en tiens assez vengé par la réussite de ma comédie ; et je souhaite que toutes celles que je pourrai faire soient traitées par eux comme celle−ci pourvu que le reste soit de même. @@ -15509,14 +15509,14 @@ Et contre mon dessein l'art t'en fut découvert. Horace lit. "Je veux vous écrire, et je suis bien en peine par où je m'y prendrai. J'ai des pensées que je désirerois que vous sussiez ; mais je ne sais comment faire pour vous les dire, et je me défie de mes paroles. Comme je -commence à connoître qu'on m'a toujours tenue dans l'ignorance, j'ai peur de mettre quelque chose qui ne -pas bien, et d'en dire plus que je ne devrois. En vérité, je ne sais ce que vous m'avez fait ; mais je sens qu -suis fâchée à mourir de ce qu'on me fait faire contre vous, que j'aurai toutes les peines du monde à me pas -de vous, et que je serois bien aise d'être à vous. Peut−être qu'il y a du mal à dire cela ; mais enfin je ne pu +commence à connoître qu'on m'a toujours tenue dans l'ignorance, j'ai peur de mettre quelque chose qui ne soit +pas bien, et d'en dire plus que je ne devrois. En vérité, je ne sais ce que vous m'avez fait ; mais je sens que je +suis fâchée à mourir de ce qu'on me fait faire contre vous, que j'aurai toutes les peines du monde à me passer +de vous, et que je serois bien aise d'être à vous. Peut−être qu'il y a du mal à dire cela ; mais enfin je ne puis m'empêcher de le dire, et je voudrois que cela se pût faire sans qu'il y en eût. On me dit fort que tous les -jeunes hommes sont des trompeurs, qu'il ne les faut point écouter, et que tout ce que vous me dites n'est q -pour m'abuser ; mais je vous assure que je n'ai pu encore me figurer cela de vous, et je suis si touchée de -paroles, que je ne saurois croire qu'elles soient menteuses. Dites−moi franchement ce qui en est ; car enfi +jeunes hommes sont des trompeurs, qu'il ne les faut point écouter, et que tout ce que vous me dites n'est que +pour m'abuser ; mais je vous assure que je n'ai pu encore me figurer cela de vous, et je suis si touchée de vos +paroles, que je ne saurois croire qu'elles soient menteuses. Dites−moi franchement ce qui en est ; car enfin, comme je suis sans malice, vous auriez le plus grand tort du monde, si vous me trompiez ; et je pense que j'en mourrois de déplaisir." Arnolphe @@ -16827,15 +16827,15 @@ par la Troupe de Monsieur, frère unique du Roi Adresse A la Reine Mère Madame, -Je sais bien que Votre Majesté n'a que faire de toutes nos dédicaces, et que ces prétendus devoirs, dont on -dit élégamment qu'on s'acquitte envers Elle, sont des hommages, à dire vrai, dont Elle nous dispenserait tr -volontiers. Mais je ne laisse pas d'avoir l'audace de lui dédier la Critique de l'Ecole des femmes ; et je n'a -refuser cette petite occasion de pouvoir témoigner ma joie à Votre Majesté sur cette heureuse convalescen -qui redonne à nos voeux la plus grande et la meilleure princesse du monde, et nous promet en Elle de long -années d'une santé vigoureuse. Comme chacun regarde les choses du côté de ce qui le touche, je me réjou -dans cette allégresse générale, de pouvoir encore obtenir l'honneur de divertir Votre Majesté ; Elle, Mada -qui prouve si bien que la véritable dévotion n'est point contraire aux honnêtes divertissements ; qui, de se -hautes pensées et de ses importantes occupations, descend si humainement dans le plaisir de nos spectacle +Je sais bien que Votre Majesté n'a que faire de toutes nos dédicaces, et que ces prétendus devoirs, dont on lui +dit élégamment qu'on s'acquitte envers Elle, sont des hommages, à dire vrai, dont Elle nous dispenserait très +volontiers. Mais je ne laisse pas d'avoir l'audace de lui dédier la Critique de l'Ecole des femmes ; et je n'ai pu +refuser cette petite occasion de pouvoir témoigner ma joie à Votre Majesté sur cette heureuse convalescence, +qui redonne à nos voeux la plus grande et la meilleure princesse du monde, et nous promet en Elle de longues +années d'une santé vigoureuse. Comme chacun regarde les choses du côté de ce qui le touche, je me réjouis, +dans cette allégresse générale, de pouvoir encore obtenir l'honneur de divertir Votre Majesté ; Elle, Madame, +qui prouve si bien que la véritable dévotion n'est point contraire aux honnêtes divertissements ; qui, de ses +hautes pensées et de ses importantes occupations, descend si humainement dans le plaisir de nos spectacles et ne dédaigne pas de rire de cette même bouche dont Elle prie si bien Dieu. Je flatte, dis−je, mon esprit de l'espérance de cette gloire ; j'en attends le moment avec toutes les impatiences du monde ; et quand je jouirai de ce bonheur, ce sera la plus grande joie que puisse recevoir, @@ -16860,7 +16860,7 @@ Personne du monde. Uranie Vraiment, voilà qui m'étonne, que nous ayons été seules l'une et l'autre tout aujourd'hui. Elise -Cela m'étonne aussi, car ce n'est guère notre coutume ; et votre maison, Dieu merci, est le refuge ordinair +Cela m'étonne aussi, car ce n'est guère notre coutume ; et votre maison, Dieu merci, est le refuge ordinaire de tous les fainéants de la cour. Uranie L'après−dînée, à dire vrai, m'a semblé fort longue. @@ -16873,7 +16873,7 @@ Ah ! très−humble servante au bel esprit ; vous savez que ce n'est pas là q Uranie Pour moi, j'aime la compagnie, je l'avoue. Elise -Je l'aime aussi, mais je l'aime choisie ; et la quantité des sottes visites qu'il vous faut essuyer parmi les au +Je l'aime aussi, mais je l'aime choisie ; et la quantité des sottes visites qu'il vous faut essuyer parmi les autres est cause bien souvent que je prends plaisir d'être seule. Uranie La délicatesse est trop grande, de ne pouvoir souffrir que des gens triés. @@ -16883,27 +16883,27 @@ Uranie Je goûte ceux qui sont raisonnables, et me divertis des extravagants. Elise Ma foi, les extravagants ne vont guère loin sans vous ennuyer, et la plupart de ces gens−là ne sont plus -plaisants dès la seconde visite. Mais à propos d'extravagants, ne voulez−vous pas me défaire de votre mar +plaisants dès la seconde visite. Mais à propos d'extravagants, ne voulez−vous pas me défaire de votre marquis incommode ? Pensez−vous me le laisser toujours sur les bras, et que je puisse durer à ses turlupinades perpétuelles ? Uranie Ce langage est à la mode, et l'on le tourne en plaisanterie à la cour. Elise Tant pis pour ceux qui le font, et qui se tuent tout le jour à parler ce jargon obscur. La belle chose de faire -entrer aux conversations du Louvre de vieilles équivoques ramassées parmi les boues des halles et de la p -Maubert ! La jolie façon de plaisanter pour des courtisans ! et qu'un homme montre d'esprit lorsqu'il vien -vous dire : "Madame, vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, c -chacun vous voit de bon oeil," à cause que Boneuil est un village à trois lieues d'ici ! Cela n'est−il pas bie +entrer aux conversations du Louvre de vieilles équivoques ramassées parmi les boues des halles et de la place +Maubert ! La jolie façon de plaisanter pour des courtisans ! et qu'un homme montre d'esprit lorsqu'il vient +vous dire : "Madame, vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car +chacun vous voit de bon oeil," à cause que Boneuil est un village à trois lieues d'ici ! Cela n'est−il pas bien galant et bien spirituel ? Et ceux qui trouvent ces belles rencontres, n'ont−ils pas lieu de s'en glorifier ? Uranie -On ne dit pas cela aussi comme une chose spirituelle ; et la plupart de ceux qui affectent ce langage saven +On ne dit pas cela aussi comme une chose spirituelle ; et la plupart de ceux qui affectent ce langage savent bien eux−mêmes qu'il est ridicule. Elise Tant pis encore, de prendre peine à dire des sottises, et d'être mauvais plaisants de dessein formé. Je les en tiens moins excusables ; et si j'en étois juge, je sais bien à quoi je condamnerois tous ces Messieurs les turlupins. Uranie -Laissons cette matière qui t'échauffe un peu trop, et disons que Dorante vient bien tard, à mon avis, pour l +Laissons cette matière qui t'échauffe un peu trop, et disons que Dorante vient bien tard, à mon avis, pour le souper que nous devons faire ensemble. Elise Peut−être l'a−t−il oublié, et que... @@ -16945,21 +16945,21 @@ mauvaise signification ? Uranie Elle se défend bien de ce nom pourtant. Elise -Il est vrai : elle se défend du nom, mais non pas de la chose ; car enfin elle l'est depuis les pieds jusqu'à l -tête, et la plus grande façonnière du monde. Il semble que tout son corps soit démonté, et que les mouvem +Il est vrai : elle se défend du nom, mais non pas de la chose ; car enfin elle l'est depuis les pieds jusqu'à la +tête, et la plus grande façonnière du monde. Il semble que tout son corps soit démonté, et que les mouvements de ses hanches, de ses épaules et de sa tête n'aillent que par ressorts. Elle affecte toujours un ton de voix languissant et niais, fait la moue pour montrer une petite bouche, et roule les yeux pour les faire paroître grands. Uranie Doucement donc : si elle venoit à entendre... Elise -Point, point, elle ne monte pas encore. Je me souviens toujours du soir qu'elle eut envie de voir Damon, su -réputation qu'on lui donne, et les choses que le public a vues de lui. Vous connoissez l'homme, et sa natur -paresse à soutenir la conversation. Elle l'avoit invité à souper comme bel esprit, et jamais il ne parut si sot -parmi une demi−douzaine de gens à qui elle avoit fait fête de lui, et qui le regardoient avec de grands yeu +Point, point, elle ne monte pas encore. Je me souviens toujours du soir qu'elle eut envie de voir Damon, sur la +réputation qu'on lui donne, et les choses que le public a vues de lui. Vous connoissez l'homme, et sa naturelle +paresse à soutenir la conversation. Elle l'avoit invité à souper comme bel esprit, et jamais il ne parut si sot, +parmi une demi−douzaine de gens à qui elle avoit fait fête de lui, et qui le regardoient avec de grands yeux, comme une personne qui ne devoit pas être faite comme les autres. Ils pensoient tous qu'il étoit là pour -défrayer la compagnie de bons mots, que chaque parole qui sortoit de sa bouche devoit être extraordinaire -qu'il devoit faire des Impromptus sur tout ce qu'on disoit, et ne demander à boire qu'avec une pointe. Mais +défrayer la compagnie de bons mots, que chaque parole qui sortoit de sa bouche devoit être extraordinaire, +qu'il devoit faire des Impromptus sur tout ce qu'on disoit, et ne demander à boire qu'avec une pointe. Mais il les trompa fort par son silence ; et la dame fut aussi mal satisfaite de lui que je le fus d'elle. Uranie Tais−toi. Je vais la recevoir à la porte de la chambre. @@ -17019,13 +17019,13 @@ Je ne suis pas si délicate, Dieu merci ; et je trouve, pour moi, que cette com guérir les gens que de les rendre malades. Climène Ah mon Dieu ! que dites−vous là ? Cette proposition peut−elle être avancée par une personne qui ait du -revenu en sens commun ? Peut−on impunément, comme vous faites, rompre en visière à la raison ? Et d -le vrai de la chose, est−il un esprit si affamé de plaisanterie, qu'il puisse tâter des fadaises dont cette comé -est assaisonnée ? Pour moi, je vous avoue que je n'ai pas trouvé le moindre grain de sel dans tout cela. Le +revenu en sens commun ? Peut−on impunément, comme vous faites, rompre en visière à la raison ? Et dans +le vrai de la chose, est−il un esprit si affamé de plaisanterie, qu'il puisse tâter des fadaises dont cette comédie +est assaisonnée ? Pour moi, je vous avoue que je n'ai pas trouvé le moindre grain de sel dans tout cela. Les enfants par l'oreille m'ont paru d'un goût détestable ; la tarte à la crème m'a affadi le coeur ; et j'ai pensé vomir au potage. Elise -Mon Dieu ! que tout cela est dit élégamment ! J'aurois cru que cette pièce étoit bonne ; mais Madame a +Mon Dieu ! que tout cela est dit élégamment ! J'aurois cru que cette pièce étoit bonne ; mais Madame a une éloquence si persuasive, elle tourne les choses d'une manière si agréable, qu'il faut être de son sentiment, malgré qu'on en ait. Uranie @@ -17033,24 +17033,24 @@ Pour moi, je n'ai pas tant de complaisance ; et, pour dire ma pensée, je tiens plaisantes que l'auteur ait produites. Climène Ah ! vous me faites pitié, de parler ainsi ; je ne saurois vous souffrir cette obscurité de discernement. -Peut−on, ayant de la vertu, trouver de l'agrément dans une pièce qui tient sans cesse la pudeur en alarme, +Peut−on, ayant de la vertu, trouver de l'agrément dans une pièce qui tient sans cesse la pudeur en alarme, et salit à tous moments l'imagination ? Elise -Les jolies façons de parler que voilà ! Que vous êtes, Madame, une rude joueuse en critique, et que je pla +Les jolies façons de parler que voilà ! Que vous êtes, Madame, une rude joueuse en critique, et que je plains le pauvre Molière de vous avoir pour ennemie ! Climène -Croyez−moi, ma chère, corrigez de bonne foi votre jugement ; et pour votre honneur, n'allez point dire pa +Croyez−moi, ma chère, corrigez de bonne foi votre jugement ; et pour votre honneur, n'allez point dire par le monde que cette comédie vous ait plu. Uranie Moi, je ne sais pas ce que vous y avez trouvé qui blesse la pudeur. Climène -Hélas ! tout ; et je mets en fait qu'une honnête femme ne la sauroit voir sans confusion, tant j'y ai découv +Hélas ! tout ; et je mets en fait qu'une honnête femme ne la sauroit voir sans confusion, tant j'y ai découvert d'ordures et de saletés. Uranie -Il faut donc que pour les ordures vous ayez des lumières que les autres n'ont pas ; car, pour moi, je n'y en +Il faut donc que pour les ordures vous ayez des lumières que les autres n'ont pas ; car, pour moi, je n'y en ai point vu. Climène -C'est que vous ne voulez pas y en avoir vu, assurément ; car enfin toutes ces ordures, Dieu merci, y sont +C'est que vous ne voulez pas y en avoir vu, assurément ; car enfin toutes ces ordures, Dieu merci, y sont à visage découvert. Elles n'ont point la moindre enveloppe qui les couvre, et les yeux les plus hardis sont effrayés de leur nudité. Elise @@ -17082,19 +17082,19 @@ Pour moi, je n'y entends point de mal. Climène Tant pis pour vous. Uranie -Tant mieux plutôt, ce me semble. Je regarde les choses du côté qu'on me les montre, et ne les tourne poin +Tant mieux plutôt, ce me semble. Je regarde les choses du côté qu'on me les montre, et ne les tourne point pour y chercher ce qu'il ne faut pas voir. Climène L'honnêteté d'une femme... Uranie -L'honnêteté d'une femme n'est pas dans les grimaces. Il sied mal de vouloir être plus sage que celles qui s +L'honnêteté d'une femme n'est pas dans les grimaces. Il sied mal de vouloir être plus sage que celles qui sont sages. L'affectation en cette matière est pire qu'en toute autre ; et je ne vois rien de si ridicule que cette -délicatesse d'honneur qui prend tout en mauvaise part, donne un sens criminel aux plus innocentes parole +délicatesse d'honneur qui prend tout en mauvaise part, donne un sens criminel aux plus innocentes paroles, et s'offense de l'ombre des choses. Croyez−moi, celles qui font tant de façons n'en sont pas estimées plus -femmes de bien. Au contraire, leur sévérité mystérieuse et leurs grimaces affectées irritent la censure de t +femmes de bien. Au contraire, leur sévérité mystérieuse et leurs grimaces affectées irritent la censure de tout le monde contre les actions de leur vie. On est ravi de découvrir ce qu'il y peut avoir à redire ; et, pour -tomber dans l'exemple, il y avoit l'autre jour des femmes à cette comédie, vis−à−vis de la loge où nous éti -qui par les mines qu'elles affectèrent durant toute la pièce, leurs détournements de tête, et leurs cachemen +tomber dans l'exemple, il y avoit l'autre jour des femmes à cette comédie, vis−à−vis de la loge où nous étions, +qui par les mines qu'elles affectèrent durant toute la pièce, leurs détournements de tête, et leurs cachements de visage, firent dire de tous côtés cent sottises de leur conduite, que l'on n'auroit pas dites sans cela ; et quelqu'un même des laquais cria tout haut qu'elles étoient plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps. @@ -17113,11 +17113,11 @@ Non, vraiment. Elle ne dit pas un mot qui de soi ne soit fort honnête ; et si quelque autre chose, c'est vous qui faites l'ordure, et non pas elle, puisqu'elle parle seulement d'un ruban qu'on lui a pris. Climène -Ah ! ruban tant qu'il vous plaira ; mais ce le, où elle s'arrête, n'est pas mis pour des prunes. Il vient sur ce -d'étranges pensées. Ce le scandalise furieusement ; et, quoi que vous puissiez dire, vous ne sauriez défend +Ah ! ruban tant qu'il vous plaira ; mais ce le, où elle s'arrête, n'est pas mis pour des prunes. Il vient sur ce le +d'étranges pensées. Ce le scandalise furieusement ; et, quoi que vous puissiez dire, vous ne sauriez défendre l'insolence de ce le. Elise -Il est vrai, ma Cousine, je suis pour Madame contre ce le. Ce le est insolent au dernier point, et vous avez +Il est vrai, ma Cousine, je suis pour Madame contre ce le. Ce le est insolent au dernier point, et vous avez tort de défendre ce le. Climène Il a une obscénité qui n'est pas supportable. @@ -17130,23 +17130,23 @@ Ah ! mon Dieu ! obscénité. Je ne sais ce que ce mot veut dire ; mais je le Climène Enfin, vous voyez comme votre sang prend mon parti. Uranie -Eh mon Dieu ! c'est une causeuse qui ne dit pas ce qu'elle pense. Ne vous y fiez pas beaucoup, si vous m +Eh mon Dieu ! c'est une causeuse qui ne dit pas ce qu'elle pense. Ne vous y fiez pas beaucoup, si vous m'en voulez croire. Elise -Ah ! que vous êtes méchante, de me vouloir rendre suspecte à Madame ! Voyez un peu où j'en serois, si -alloit croire ce que vous dites. Serois−je si malheureuse, Madame, que vous eussiez de moi cette pensée ? +Ah ! que vous êtes méchante, de me vouloir rendre suspecte à Madame ! Voyez un peu où j'en serois, si elle +alloit croire ce que vous dites. Serois−je si malheureuse, Madame, que vous eussiez de moi cette pensée ? Climène Non, non. Je ne m'arrête pas à ses paroles, et je vous crois plus sincère qu'elle ne dit. Elise Ah ! que vous avez bien raison, Madame, et que vous me rendrez justice, quand vous croirez que je vous -trouve la plus engageante personne du monde, que j'entre dans tous vos sentiments et suis charmée de tou +trouve la plus engageante personne du monde, que j'entre dans tous vos sentiments et suis charmée de toutes les expressions qui sortent de votre bouche ! Climène Hélas ! je parle sans affectation. Elise -On le voit bien, Madame, et que tout est naturel en vous. Vos paroles, le ton de votre voix, vos regards, vo -pas, votre action et votre ajustement, ont je ne sais quel air de qualité, qui enchante les gens. Je vous étudi -des yeux et des oreilles ; et je suis si remplie de vous, que je tâche d'être votre singe, et de vous contrefai +On le voit bien, Madame, et que tout est naturel en vous. Vos paroles, le ton de votre voix, vos regards, vos +pas, votre action et votre ajustement, ont je ne sais quel air de qualité, qui enchante les gens. Je vous étudie +des yeux et des oreilles ; et je suis si remplie de vous, que je tâche d'être votre singe, et de vous contrefaire en tout. Climène Vous vous moquez de moi, Madame. @@ -17165,7 +17165,7 @@ Epargnez−moi, s'il vous plaît, Madame. Elise Je vous épargne aussi, Madame, et je ne dis pas la moitié de ce que je pense, Madame. Climène -Ah mon Dieu ! brisons là, de grâce. Vous me jetteriez dans une confusion épouvantable. (A Uranie.) Enf +Ah mon Dieu ! brisons là, de grâce. Vous me jetteriez dans une confusion épouvantable. (A Uranie.) Enfin, nous voilà deux contre vous, et l'opiniâtreté sied si mal aux personnes spirituelles... Scène IV Le Marquis, Climène, Galopin, Uranie, Elise @@ -17198,7 +17198,7 @@ Et pourquoi dire à Monsieur que je n'y suis pas ? Galopin Vous me grondâtes, l'autre jour, de lui avoir dit que vous y étiez. Uranie -Voyez cet insolent ! Je vous prie, Monsieur, de ne pas croire ce qu'il dit. C'est un petit écervelé, qui vous +Voyez cet insolent ! Je vous prie, Monsieur, de ne pas croire ce qu'il dit. C'est un petit écervelé, qui vous a pris pour un autre. Le Marquis Je l'ai bien vu, Madame ; et, sans votre respect, je lui aurois appris à connoître les gens de qualité. @@ -17233,7 +17233,7 @@ Climène Ah ! que j'en suis ravie ! Le Marquis C'est la plus méchante chose du monde. Comment, diable ! à peine ai−je pu trouver place ; j'ai pensé être -étouffé à la porte, et jamais on ne m'a tant marché sur les pieds. Voyez comme mes canons et mes rubans +étouffé à la porte, et jamais on ne m'a tant marché sur les pieds. Voyez comme mes canons et mes rubans en sont ajustés, de grâce. Elise Il est vrai que cela crie vengeance contre L'Ecole des femmes, et que vous la condamnez avec justice. @@ -17244,14 +17244,14 @@ Ah ! voici Dorante que nous attendions. Scène V Dorante, Le Marquis, Climène, Elise, Uranie Dorante -Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatr +Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien de toutes les maisons de Paris, et jamais on n'a rien vu de si plaisant que la -diversité des jugements qui se font là−dessus. Car enfin j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens +diversité des jugements qui se font là−dessus. Car enfin j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens, par les mêmes choses que j'ai vu d'autres estimer le plus. Uranie Voilà Monsieur le Marquis qui en dit force mal. Le Marquis -Il est vrai, je la trouve détestable ; morbleu ! détestable du dernier détestable ; ce qu'on appelle détestabl +Il est vrai, je la trouve détestable ; morbleu ! détestable du dernier détestable ; ce qu'on appelle détestable. Dorante Et moi, mon cher Marquis, je trouve le jugement détestable. Le Marquis @@ -17261,7 +17261,7 @@ Oui, je prétends la soutenir. Le Marquis Parbleu ! je la garantis détestable. Dorante -La caution n'est pas bourgeoise. Mais, Marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est−elle ce que +La caution n'est pas bourgeoise. Mais, Marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est−elle ce que tu dis ? Le Marquis Pourquoi elle est détestable ? @@ -17273,7 +17273,7 @@ Dorante Après cela, il n'y aura plus rien à dire : voilà son procès fait. Mais encore instruis−nous, et nous dis les défauts qui y sont. Le Marquis -Que sais−je, moi ? je ne me suis pas seulement donné la peine de l'écouter. Mais enfin je sais bien que je +Que sais−je, moi ? je ne me suis pas seulement donné la peine de l'écouter. Mais enfin je sais bien que je n'ai jamais rien vu de si méchant. Dieu me damne ; et Dorilas, contre qui j'étois, a été de mon avis. Dorante L'autorité est belle, et te voilà bien appuyé. @@ -17281,38 +17281,38 @@ Le Marquis Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre y fait. Je ne veux point d'autre chose pour témoigner qu'elle ne vaut rien. Dorante -Tu es donc, Marquis, de ces Messieurs du bel air, qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, e +Tu es donc, Marquis, de ces Messieurs du bel air, qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui seroient fâchés d'avoir ri avec lui, fût−ce de la meilleure chose du monde ? Je vis l'autre jour sur le -théâtre un de nos amis, qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre -monde ; et tout ce qui égayoit les autres ridoit son front. A tous les éclats de rire, il haussoit les épaules, e -regardoit le parterre en pitié ; et quelquefois aussi le regardant avec dépit, il lui disoit tout haut : "Ris don -parterre, ris donc." Ce fut une seconde comédie, que le chagrin de notre ami. Il la donna en galant homme -toute l'assemblée, et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvoit pas mieux jouer qu'il fit. Apprends, Marq -je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n'a point de place déterminée à la comédie ; que la différenc +théâtre un de nos amis, qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du +monde ; et tout ce qui égayoit les autres ridoit son front. A tous les éclats de rire, il haussoit les épaules, et +regardoit le parterre en pitié ; et quelquefois aussi le regardant avec dépit, il lui disoit tout haut : "Ris donc, +parterre, ris donc." Ce fut une seconde comédie, que le chagrin de notre ami. Il la donna en galant homme à +toute l'assemblée, et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvoit pas mieux jouer qu'il fit. Apprends, Marquis, +je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n'a point de place déterminée à la comédie ; que la différence du demi−louis d'or et de la pièce de quinze sols ne fait rien du tout au bon goût ; que debout et assis, on peut donner un mauvais jugement ; et qu'enfin, à le prendre en général, je me fierois assez à l'approbation du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent, il y en a plusieurs qui sont capables de juger d'une -pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendr +pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule. Le Marquis Te voilà donc, Chevalier, le défenseur du parterre ? Parbleu ! je m'en réjouis, et je ne manquerais pas de l'avertir que tu es de ses amis. Hay, hay, hay, hay, hay, hay. Dorante Ris tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens, et ne saurois souffrir les ébullitions de cerveau de nos -marquis de Mascarille. J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicules, malgré leur qualité ; de -gens qui décident toujours et parlent hardiment de toutes choses, sans s'y connoître ; qui dans une coméd +marquis de Mascarille. J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicules, malgré leur qualité ; de ces +gens qui décident toujours et parlent hardiment de toutes choses, sans s'y connoître ; qui dans une comédie se récrieront aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons ; qui voyant un tableau, ou -écoutant un concert de musique, blâment de même et louent tout à contre−sens, prennent par où ils peuve -les termes de l'art qu'ils attrapent, et ne manquent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. E -morbleu ! Messieurs, taisez−vous, quand Dieu ne vous a pas donné la connoissance d'une chose ; n'appr -point à rire à ceux qui vous entendent parler, et songez qu'en ne disant mot, on croira peut−être que vous +écoutant un concert de musique, blâment de même et louent tout à contre−sens, prennent par où ils peuvent +les termes de l'art qu'ils attrapent, et ne manquent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. Eh, +morbleu ! Messieurs, taisez−vous, quand Dieu ne vous a pas donné la connoissance d'une chose ; n'apprêtez +point à rire à ceux qui vous entendent parler, et songez qu'en ne disant mot, on croira peut−être que vous êtes d'habiles gens. Le Marquis Parbleu ! Chevalier, tu le prends là... Dorante Mon Dieu, Marquis, ce n'est pas à toi que je parle. C'est à une douzaine de Messieurs qui déshonorent les -gens de cour par leurs manières extravagantes, et font croire parmi le peuple que nous nous ressemblons t -Pour moi, je m'en veux justifier le plus qu'il me sera possible ; et je les dauberai tant en toutes rencontres +gens de cour par leurs manières extravagantes, et font croire parmi le peuple que nous nous ressemblons tous. +Pour moi, je m'en veux justifier le plus qu'il me sera possible ; et je les dauberai tant en toutes rencontres, qu'à la fin ils se rendront sages. Le Marquis Dis−moi un peu, Chevalier, crois−tu que Lysandre ait de l'esprit ? @@ -17321,25 +17321,25 @@ Oui sans doute, et beaucoup. Uranie C'est une chose qu'on ne peut pas nier. Le Marquis -Demandez−lui ce qui lui semble de L'Ecole des femmes : vous verrez qu'il vous dira qu'elle ne lui plaît p +Demandez−lui ce qui lui semble de L'Ecole des femmes : vous verrez qu'il vous dira qu'elle ne lui plaît pas. Dorante -Eh ! mon Dieu ! il y en a beaucoup que le trop d'esprit gâte, qui voient mal les choses à force de lumière +Eh ! mon Dieu ! il y en a beaucoup que le trop d'esprit gâte, qui voient mal les choses à force de lumière, et même qui seroient bien fâchés d'être de l'avis des autres, pour avoir la gloire de décider. Uranie -Il est vrai. Notre ami est de ces gens−là, sans doute. Il veut être le premier de son opinion, et qu'on attend -par respect son jugement. Toute approbation qui marche avant la sienne est un attentat sur ses lumières, d -il se venge hautement en prenant le contraire parti. Il veut qu'on le consulte sur toutes les affaires d'esprit +Il est vrai. Notre ami est de ces gens−là, sans doute. Il veut être le premier de son opinion, et qu'on attende +par respect son jugement. Toute approbation qui marche avant la sienne est un attentat sur ses lumières, dont +il se venge hautement en prenant le contraire parti. Il veut qu'on le consulte sur toutes les affaires d'esprit ; et je suis sûre que, si l'auteur lui eût montré sa comédie avant que de la faire voir au public, il l'eût trouvée la plus belle du monde. Le Marquis Et que direz−vous de la marquise Araminte, qui la publie partout pour épouvantable, et dit qu'elle n'a pu jamais souffrir les ordures dont elle est pleine ? Dorante -Je dirai que cela est digne du caractère qu'elle a pris ; et qu'il y a des personnes qui se rendent ridicules, p -vouloir avoir trop d'honneur. Bien qu'elle ait de l'esprit, elle a suivi le mauvais exemple de celles qui, étan -sur le retour de l'âge, veulent remplacer de quelque chose ce qu'elles voient qu'elles perdent, et prétendent -les grimaces d'une pruderie scrupuleuse leur tiendront lieu de jeunesse et de beauté. Celle−ci pousse l'affa -plus avant qu'aucune, et l'habileté de son scrupule découvre des saletés où jamais personne n'en avoit vu. +Je dirai que cela est digne du caractère qu'elle a pris ; et qu'il y a des personnes qui se rendent ridicules, pour +vouloir avoir trop d'honneur. Bien qu'elle ait de l'esprit, elle a suivi le mauvais exemple de celles qui, étant +sur le retour de l'âge, veulent remplacer de quelque chose ce qu'elles voient qu'elles perdent, et prétendent que +les grimaces d'une pruderie scrupuleuse leur tiendront lieu de jeunesse et de beauté. Celle−ci pousse l'affaire +plus avant qu'aucune, et l'habileté de son scrupule découvre des saletés où jamais personne n'en avoit vu. On tient qu'il va, ce scrupule, jusques à défigurer notre langue, et qu'il n'y a point presque de mots dont la sévérité de cette dame en veuille retrancher ou la tête ou la queue, pour les syllabes déshonnêtes qu'elle y trouve. @@ -17355,21 +17355,21 @@ sentiments. Dorante Je sais bien que ce n'est pas vous, au moins ; et que lorsque vous avez vu cette représentation... Elise -Il est vrai ; mais j'ai changé d'avis ; et Madame sait appuyer le sien par des raisons si convaincantes qu'e +Il est vrai ; mais j'ai changé d'avis ; et Madame sait appuyer le sien par des raisons si convaincantes qu'elle m'a entraînée de son côté. Dorante -Ah ! Madame, je vous demande pardon : et, si vous le voulez, je me dédirai, pour l'amour de vous, de to +Ah ! Madame, je vous demande pardon : et, si vous le voulez, je me dédirai, pour l'amour de vous, de tout ce que j'ai dit. Climène Je ne veux pas que ce soit pour l'amour de moi, mais pour l'amour de la raison ; car enfin cette pièce, à le bien prendre, et tout à fait indéfendable, et je ne conçois pas... Uranie -Ah ! voici l'auteur, Monsieur Lysidas. Il vient tout à propos pour cette matière. Monsieur Lysidas, prenez +Ah ! voici l'auteur, Monsieur Lysidas. Il vient tout à propos pour cette matière. Monsieur Lysidas, prenez un siége vous−même, et vous mettez là. Scène VI Lysidas, Dorante, Le Marquis, Elise, Uranie, Climène Lysidas -Madame, je viens un peu tard ; mais il m'a fallu lire ma pièce chez Madame la Marquise, dont je vous av +Madame, je viens un peu tard ; mais il m'a fallu lire ma pièce chez Madame la Marquise, dont je vous avois parlé ; et les louanges qui lui ont été données m'ont retenu une heure plus que je ne croyois. Elise C'est un grand charme que les louanges pour arrêter un auteur. @@ -17379,7 +17379,7 @@ Lysidas Tous ceux qui étoient là doivent venir à sa première représentation, et m'ont promis de faire leur devoir comme il faut. Uranie -Je le crois. Mais, encore une fois, asseyez−vous, s'il vous plaît. Nous sommes ici sur une matière que je se +Je le crois. Mais, encore une fois, asseyez−vous, s'il vous plaît. Nous sommes ici sur une matière que je serai bien aise que nous poussions. Lysidas Je pense, Madame, que vous retiendrez aussi une loge pour ce jour−là. @@ -17388,12 +17388,12 @@ Nous verrons. Poursuivons, de grâce, notre discours. Lysidas Je vous donne avis, Madame, qu'elles sont presque toutes retenues. Uranie -Voilà qui est bien. Enfin, j'avois besoin de vous, lorsque vous êtes venu, et tout le monde étoit ici contre m +Voilà qui est bien. Enfin, j'avois besoin de vous, lorsque vous êtes venu, et tout le monde étoit ici contre moi. Elise -Il s'est mis d'abord de votre côté ; mais maintenant qu'il sait que Madame est à la tête du parti contraire, j +Il s'est mis d'abord de votre côté ; mais maintenant qu'il sait que Madame est à la tête du parti contraire, je pense que vous n'avez qu'à chercher un autre secours. Climène -Non, non, je ne voudrois pas qu'il fît mal sa cour auprès de Madame votre cousine, et je permets à son esp +Non, non, je ne voudrois pas qu'il fît mal sa cour auprès de Madame votre cousine, et je permets à son esprit d'être du parti de son coeur. Dorante Avec cette permission, Madame, je prendrai la hardiesse de me défendre. @@ -17408,7 +17408,7 @@ Ha, ha. Dorante Que vous en semble ? Lysidas -Je n'ai rien à dire là−dessus ; et vous savez qu'entre nous autres auteurs, nous devons parler des ouvrages +Je n'ai rien à dire là−dessus ; et vous savez qu'entre nous autres auteurs, nous devons parler des ouvrages les uns des autres avec beaucoup de circonspection. Dorante Mais encore, entre nous, que pensez−vous de cette comédie ? @@ -17431,7 +17431,7 @@ Mon Dieu ! je vous connois. Ne dissimulons point. Lysidas Moi, Monsieur ? Dorante -Je vois bien que le bien que vous dites de cette pièce n'est que par honnêteté, et que, dans le fond du coeu +Je vois bien que le bien que vous dites de cette pièce n'est que par honnêteté, et que, dans le fond du coeur, vous êtes de l'avis de beaucoup de gens qui la trouvent mauvaise. Lysidas Hay, hay, hay. @@ -17446,8 +17446,8 @@ Pousse, mon cher Marquis, pousse. Le Marquis Tu vois que nous avons les savant de notre côté. Dorante -Il est vrai, le jugement de Monsieur Lysidas est quelque chose de considérable. Mais Monsieur Lysidas v -bien que je ne me rende pas pour cela ; et puisque j'ai bien l'audace de me défendre contre les sentiments +Il est vrai, le jugement de Monsieur Lysidas est quelque chose de considérable. Mais Monsieur Lysidas veut +bien que je ne me rende pas pour cela ; et puisque j'ai bien l'audace de me défendre contre les sentiments de Madame, il ne trouvera pas mauvais que je combatte les siens. Elise Quoi ? vous voyez contre vous Madame, Monsieur le Marquis et Monsieur Lysidas, et vous osez résister @@ -17463,44 +17463,44 @@ puisse être à couvert de la souveraineté de tes décisions. Le Marquis Parbleu ! tous les autres comédiens qui étoient là pour la voir en ont dit tous les maux du monde. Dorante -Ah ! je ne dis plus mot : tu as raison, Marquis. Puisque les autres comédiens en disent du mal, il faut les -croire assurément. Ce sont tous gens éclairés et qui parlent sans intérêt. Il n'y a plus rien à dire, je me rend +Ah ! je ne dis plus mot : tu as raison, Marquis. Puisque les autres comédiens en disent du mal, il faut les en +croire assurément. Ce sont tous gens éclairés et qui parlent sans intérêt. Il n'y a plus rien à dire, je me rends. Climène Rendez−vous, ou ne vous rendez pas, je sais fort bien que vous ne me persuaderez point de souffrir les immodesties de cette pièce, non plus que les satires désobligeantes qu'on y voit contre les femmes. Uranie -Pour moi, je me garderai bien de m'en offenser et de prendre rien sur mon compte de tout ce qui s'y dit. C -sortes de satires tombent directement sur les moeurs, et ne frappent les personnes que par réflexion. N'allo +Pour moi, je me garderai bien de m'en offenser et de prendre rien sur mon compte de tout ce qui s'y dit. Ces +sortes de satires tombent directement sur les moeurs, et ne frappent les personnes que par réflexion. N'allons point nous appliquer nous−mêmes les traits d'une censure générale ; et profitons de la leçon, si nous -pouvons, sans faire semblant qu'on parle à nous. Toutes les peintures ridicules qu'on expose sur les théâtr -doivent être regardées sans chagrin de tout le monde. Ce sont miroirs publics, où il ne faut jamais témoign +pouvons, sans faire semblant qu'on parle à nous. Toutes les peintures ridicules qu'on expose sur les théâtres +doivent être regardées sans chagrin de tout le monde. Ce sont miroirs publics, où il ne faut jamais témoigner qu'on se voie ; et c'est se taxer hautement d'un défaut, que se scandaliser qu'on le reprenne. Climène -Pour moi, je ne parle pas de ces choses par la part que j'y puisse avoir, et je pense que je vis d'un air dans -monde à ne pas craindre d'être cherchée dans les peintures qu'on fait là des femmes qui se gouvernent ma +Pour moi, je ne parle pas de ces choses par la part que j'y puisse avoir, et je pense que je vis d'un air dans le +monde à ne pas craindre d'être cherchée dans les peintures qu'on fait là des femmes qui se gouvernent mal. Elise -Assurément, Madame, on ne vous y cherchera point. Votre conduite est assez connue, et ce sont de ces so +Assurément, Madame, on ne vous y cherchera point. Votre conduite est assez connue, et ce sont de ces sortes de choses qui ne sont contestées de personne. Uranie -Aussi, Madame, n'ai−je rien dit qui aille à vous ; et mes paroles, comme les satires de la comédie, demeu +Aussi, Madame, n'ai−je rien dit qui aille à vous ; et mes paroles, comme les satires de la comédie, demeurent dans la thèse générale. Climène -Je n'en doute pas, Madame. Mais enfin passons sur ce chapitre. Je ne sais pas de quelle façon vous receve -les injures qu'on dit à notre sexe dans un certain endroit de la pièce ; et pour moi, je vous avoue que je su +Je n'en doute pas, Madame. Mais enfin passons sur ce chapitre. Je ne sais pas de quelle façon vous recevez +les injures qu'on dit à notre sexe dans un certain endroit de la pièce ; et pour moi, je vous avoue que je suis dans une colère épouvantable, de voir que cet auteur impertinent nous appelle des animaux. Uranie Ne voyez−vous pas que c'est un ridicule qu'il fait parler ? Dorante Et puis, Madame, ne savez−vous pas que les injures des amants n'offensent jamais ? qu'il est des amours emportés aussi bien que des doucereux ? et qu'en de pareilles occasions les paroles les plus étranges, et -quelque chose de pis encore, se prennent bien souvent pour des marques d'affection par celles mêmes qui +quelque chose de pis encore, se prennent bien souvent pour des marques d'affection par celles mêmes qui les reçoivent ? Elise -Dites tout ce que vous voudrez, je ne saurois digérer cela, non plus que le potage et la tarte à la crème, do +Dites tout ce que vous voudrez, je ne saurois digérer cela, non plus que le potage et la tarte à la crème, dont Madame a parlé tantôt. Le Marquis -Ah ! ma foi, oui, tarte à la crème ! voilà ce que j'avois remarqué tantôt ; tarte à la crème ! Que je vous s -obligé, Madame, de m'avoir fait souvenir de tarte à la crème ! Y a−t−il assez de pommes en Normandie p +Ah ! ma foi, oui, tarte à la crème ! voilà ce que j'avois remarqué tantôt ; tarte à la crème ! Que je vous suis +obligé, Madame, de m'avoir fait souvenir de tarte à la crème ! Y a−t−il assez de pommes en Normandie pour tarte à la crème ? Tarte à la crème, morbleu ! tarte à la crème ! Dorante Eh bien ! que veux−tu dire : tarte à la crème ? @@ -17525,12 +17525,12 @@ Moi, rien. Tarte à la crème ! Uranie Ah ! je le quitte ! Elise -Monsieur le Marquis s'y prend bien, et vous bourre de la belle manière. Mais je voudrois bien que Monsie +Monsieur le Marquis s'y prend bien, et vous bourre de la belle manière. Mais je voudrois bien que Monsieur Lysidas voulût les achever et leur donner quelques petits coups de sa façon. Lysidas -Ce n'est pas ma coutume de rien blâmer, et je suis assez indulgent pour les ouvrages des autres. Mais, enf +Ce n'est pas ma coutume de rien blâmer, et je suis assez indulgent pour les ouvrages des autres. Mais, enfin, sans choquer l'amitié que Monsieur le Chevalier témoigne pour l'auteur, on m'avouera que ces sortes de -comédies ne sont pas proprement des comédies, et qu'il y a une grande différence de toutes ces bagatelles +comédies ne sont pas proprement des comédies, et qu'il y a une grande différence de toutes ces bagatelles à la beauté des pièces sérieuses. Cependant tout le monde donne là dedans aujourd'hui : on ne court plus qu'à cela, et l'on voit une solitude effroyable aux grands ouvrages, lorsque des sottises ont tout Paris. Je vous avoue que le coeur m'en saigne quelquefois, et cela est honteux pour la France. @@ -17543,63 +17543,63 @@ Hé ! Elise Je m'en suis bien doutée. Dorante -Vous croyez donc, Monsieur Lysidas, que tout l'esprit et toute la beauté sont dans les poèmes sérieux, et q +Vous croyez donc, Monsieur Lysidas, que tout l'esprit et toute la beauté sont dans les poèmes sérieux, et que les pièces comiques sont des niaiseries qui ne méritent aucune louange ? Uranie -Ce n'est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est b +Ce n'est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est bien touchée ; mais la comédie a ses charmes, et je tiens que l'une n'est pas moins difficile à faire que l'autre. Dorante -Assurément, Madame ; et quand, pour la difficulté, vous mettriez un plus du côté de la comédie, peut−êtr +Assurément, Madame ; et quand, pour la difficulté, vous mettriez un plus du côté de la comédie, peut−être que vous ne vous abuseriez pas. Car enfin, je trouve qu'il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la Fortune, accuser les Destins, et dire des injures aux Dieux, que d'entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre des défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez. Ce sont des portraits à plaisir, où -l'on ne cherche point de ressemblance ; et vous n'avez qu'à suivre les traits d'une imagination qui se donn -l'essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, i -faut peindre d'après nature. On veut que ces portraits ressemblent ; et vous n'avez rien fait, si vous n'y fai -reconnoître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n'être point blâmé +l'on ne cherche point de ressemblance ; et vous n'avez qu'à suivre les traits d'une imagination qui se donne +l'essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, il +faut peindre d'après nature. On veut que ces portraits ressemblent ; et vous n'avez rien fait, si vous n'y faites +reconnoître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n'être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens et bien écrites ; mais ce n'est pas assez dans les autres, il y faut plaisanter ; et c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. Climène -Je crois être du nombre des honnêtes gens ; et cependant je n'ai pas trouvé le mot pour rire dans tout ce q +Je crois être du nombre des honnêtes gens ; et cependant je n'ai pas trouvé le mot pour rire dans tout ce que j'ai vu. Le Marquis Ma foi, ni moi non plus. Dorante Pour toi, Marquis, je ne m'en étonne pas : c'est que tu n'y as point trouvé de turlupinades. Lysidas -Ma foi, Monsieur, ce qu'on y rencontre ne vaut guère mieux, et toutes les plaisanteries y sont assez froide +Ma foi, Monsieur, ce qu'on y rencontre ne vaut guère mieux, et toutes les plaisanteries y sont assez froides à mon avis. Dorante La cour n'a pas trouvé cela. Lysidas Ah ! Monsieur, la cour ! Dorante -Achevez, Monsieur Lysidas. Je vois bien que vous voulez dire que la cour ne se connoît pas à ces choses -c'est le refuge ordinaire de vous autres, Messieurs les auteurs, dans le mauvais succès de vos ouvrages, qu -d'accuser l'injustice du siècle et le peu de lumière des courtisans. Sachez, s'il vous plaît, Monsieur Lysidas -que les courtisans ont d'aussi bons yeux que d'autres ; qu'on peut être habile avec un point de Venise et d +Achevez, Monsieur Lysidas. Je vois bien que vous voulez dire que la cour ne se connoît pas à ces choses ; et +c'est le refuge ordinaire de vous autres, Messieurs les auteurs, dans le mauvais succès de vos ouvrages, que +d'accuser l'injustice du siècle et le peu de lumière des courtisans. Sachez, s'il vous plaît, Monsieur Lysidas, +que les courtisans ont d'aussi bons yeux que d'autres ; qu'on peut être habile avec un point de Venise et des plumes, aussi bien qu'avec une perruque courte et un petit rabat uni ; que la grande épreuve de toutes vos comédies, c'est le jugement de la cour ; que c'est son goût qu'il faut étudier pour trouver l'art de réussir ; qu'il n'y a point de lieu où les décisions soient si justes ; et sans mettre en ligne de compte tous les gens savants qui y sont, que, du simple bons sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s'y fait une -manière d'esprit, qui sans comparaison juge plus finement des choses que tout le savoir enrouillé des péda +manière d'esprit, qui sans comparaison juge plus finement des choses que tout le savoir enrouillé des pédants. Uranie -Il est vrai que, pour peu qu'on y demeure, il vous passe là tous les jours assez de choses devant les yeux p -acquérir quelque habitude de les connoître, et surtout pour ce qui est de la bonne et mauvaise plaisanterie +Il est vrai que, pour peu qu'on y demeure, il vous passe là tous les jours assez de choses devant les yeux pour +acquérir quelque habitude de les connoître, et surtout pour ce qui est de la bonne et mauvaise plaisanterie. Dorante -La cour a quelques ridicules, j'en demeure d'accord, et je suis, comme on voit, le premier à les fronder. M -ma foi, il y en a un grand nombre parmi les beaux esprits de profession ; et si l'on joue quelques marquis -trouve qu'il y a bien plus de quoi jouer les auteurs, et que ce seroit une chose plaisante à mettre sur le théâ +La cour a quelques ridicules, j'en demeure d'accord, et je suis, comme on voit, le premier à les fronder. Mais, +ma foi, il y en a un grand nombre parmi les beaux esprits de profession ; et si l'on joue quelques marquis, je +trouve qu'il y a bien plus de quoi jouer les auteurs, et que ce seroit une chose plaisante à mettre sur le théâtre que leurs grimaces savantes et leurs raffinements ridicules, leur vicieuse coutume d'assassiner les gens de -leurs ouvrages, leur friandise de louanges, leurs ménagements de pensées, leur trafic de réputation, et leur +leurs ouvrages, leur friandise de louanges, leurs ménagements de pensées, leur trafic de réputation, et leurs ligues offensives et défensives, aussi bien que leurs guerres d'esprit, et leurs combats de prose et de vers. Lysidas Molière est bien heureux, Monsieur, d'avoir un protecteur aussi chaud que vous. Mais enfin, pour venir au fait, il est question de savoir si sa pièce est bonne, et je m'offre d'y montrer partout cent défauts visibles. Uranie -C'est une étrange chose de vous autres Messieurs les poètes, que vous condamniez toujours les pièces où -le monde court, et ne disiez jamais du bien que de celles où personne ne va. Vous montrez pour les unes u +C'est une étrange chose de vous autres Messieurs les poètes, que vous condamniez toujours les pièces où tout +le monde court, et ne disiez jamais du bien que de celles où personne ne va. Vous montrez pour les unes une haine invincible, et pour les autres une tendresse qui n'est pas concevable. Dorante C'est qu'il est généreux de se ranger du côté des affligés. @@ -17611,75 +17611,75 @@ règles de l'art. Uranie Je vous avoue que je n'ai aucune habitude avec ces Messieurs−là, et que je ne sais point les règles de l'art. Dorante -Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les ignorants et nous étourdissez tou +Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les ignorants et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l'art soient les plus grands mystères du monde ; et -cependant ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plai +cependant ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l'on prend à ces sortes de poèmes ; et le même bon sens qui a fait autrefois ces observations les fait aisément tous les jours sans le secours d'Horace et d'Aristote. Je voudrois bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon -chemin. Veut−on que tout un public s'abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n'y soit pas juge du pl +chemin. Veut−on que tout un public s'abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n'y soit pas juge du plaisir qu'il y prend ? Uranie -J'ai remarqué une chose de ces Messieurs−là : c'est que ceux qui parlent le plus des règles, et qui les save +J'ai remarqué une chose de ces Messieurs−là : c'est que ceux qui parlent le plus des règles, et qui les savent mieux que les autres, font des comédies que personne ne trouve belles. Dorante -Et c'est ce qui marque, Madame, comme on doit s'arrêter peu à leurs disputes embarrassées. Car enfin, si +Et c'est ce qui marque, Madame, comme on doit s'arrêter peu à leurs disputes embarrassées. Car enfin, si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas et que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il -faudroit de nécessité que les règles eussent été mal faites. Moquons−nous donc de cette chicane où ils veu -assujettir le goût du public, et ne consultons dans une comédie que l'effet qu'elle fait sur nous. Laissons−n +faudroit de nécessité que les règles eussent été mal faites. Moquons−nous donc de cette chicane où ils veulent +assujettir le goût du public, et ne consultons dans une comédie que l'effet qu'elle fait sur nous. Laissons−nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d'avoir du plaisir. Uranie -Pour moi, quand je vois une comédie, je regarde seulement si les choses me touchent ; et, lorsque je m'y +Pour moi, quand je vois une comédie, je regarde seulement si les choses me touchent ; et, lorsque je m'y suis bien divertie, je ne vais point demander si j'ai eu tort, et si les règles d'Aristote me défendoient de rire. Dorante -C'est justement comme un homme qui auroit trouvé une sauce excellente, et qui voudroit examiner si elle +C'est justement comme un homme qui auroit trouvé une sauce excellente, et qui voudroit examiner si elle est bonne sur les préceptes du Cuisinier françois. Uranie Il est vrai ; et j'admire les raffinements de certaines gens sur des choses que nous devons sentir par nous−mêmes. Dorante -Vous avez raison, Madame, de les trouver étranges, tous ces raffinements mystérieux. Car enfin, s'ils ont -nous voilà réduits à ne nous plus croire ; nos propres sens seront esclaves en toutes choses ; et, jusques a +Vous avez raison, Madame, de les trouver étranges, tous ces raffinements mystérieux. Car enfin, s'ils ont lieu, +nous voilà réduits à ne nous plus croire ; nos propres sens seront esclaves en toutes choses ; et, jusques au manger et au boire, nous n'oserons plus trouver rien de bon, sans le congé de Messieurs les experts. Lysidas Enfin, Monsieur, toute votre raison, c'est que L'Ecole des femmes a plu ; et vous ne vous souciez point qu'elle soit dans les règles, pourvu... Dorante Tout beau, Monsieur Lysidas, je ne vous accorde pas cela. Je dis bien que le grand art est de plaire, et que -cette comédie ayant plu à ceux pour qui elle est faite, je trouve que c'est assez pour elle et qu'elle doit peu -soucier du reste. Mais, avec cela, je soutiens qu'elle ne pèche contre aucune des règles dont vous parlez. J -ai lues, Dieu merci, autant qu'un autre ; et je ferois voir aisément que peut−être n'avons−nous point de piè +cette comédie ayant plu à ceux pour qui elle est faite, je trouve que c'est assez pour elle et qu'elle doit peu se +soucier du reste. Mais, avec cela, je soutiens qu'elle ne pèche contre aucune des règles dont vous parlez. Je les +ai lues, Dieu merci, autant qu'un autre ; et je ferois voir aisément que peut−être n'avons−nous point de pièce au théâtre plus régulière que celle−là. Elise Courage, Monsieur Lysidas ! nous sommes perdus si vous reculez. Lysidas Quoi ? Monsieur, la protase, l'épitase, et la péripétie ? ... Dorante -Ah ! Monsieur Lysidas, vous nous assommez avec vos grands mots. Ne paroissez point si savant, de grâc -Humanisez votre discours, et parlez pour être entendu. Pensez−vous qu'un nom grec donne plus de poids +Ah ! Monsieur Lysidas, vous nous assommez avec vos grands mots. Ne paroissez point si savant, de grâce. +Humanisez votre discours, et parlez pour être entendu. Pensez−vous qu'un nom grec donne plus de poids à vos raisons ? Et ne trouveriez−vous pas qu'il fût aussi beau de dire l'exposition du sujet, que la protase, le noeud, que l'épitase, et le dénouement, que la péripétie ? Lysidas Ce sont termes de l'art dont il est permis de se servir. Mais, puisque ces mots blessent vos oreilles, je -m'expliquerai d'une autre façon, et je vous prie de répondre positivement à trois ou quatre choses que je v -dire. Peut−on souffrir une pièce qui pèche contre le nom propre des pièces de théâtre ? Car enfin, le nom -poème dramatique vient d'un mot grec qui signifie agir, pour montrer que la nature de ce poème consiste -l'action ; et dans cette comédie−ci, il ne se passe point d'actions, et tout consiste en des récits que vient fa +m'expliquerai d'une autre façon, et je vous prie de répondre positivement à trois ou quatre choses que je vais +dire. Peut−on souffrir une pièce qui pèche contre le nom propre des pièces de théâtre ? Car enfin, le nom de +poème dramatique vient d'un mot grec qui signifie agir, pour montrer que la nature de ce poème consiste dans +l'action ; et dans cette comédie−ci, il ne se passe point d'actions, et tout consiste en des récits que vient faire ou Agnès ou Horace. Le Marquis Ah ! ah ! Chevalier. Climène Voilà qui est spirituellement remarqué, et c'est prendre le fin des choses. Lysidas -Est−il rien de si peu spirituel, ou, pour mieux dire, rien de si bas, que quelques mots où tout le monde rit, +Est−il rien de si peu spirituel, ou, pour mieux dire, rien de si bas, que quelques mots où tout le monde rit, et surtout celui des enfants par l'oreille ? Climène Fort bien. Elise Ah ! Lysidas -La scène du valet et de la servante au dedans de la maison, n'est−elle pas d'une longueur ennuyeuse, et tou +La scène du valet et de la servante au dedans de la maison, n'est−elle pas d'une longueur ennuyeuse, et tout à fait impertinente ? Le Marquis Cela est vrai. @@ -17688,7 +17688,7 @@ Assurément. Elise Il a raison. Lysidas -Arnolphe ne donne−t−il pas trop librement son argent à Horace ? Et puisque c'est le personnage ridicule +Arnolphe ne donne−t−il pas trop librement son argent à Horace ? Et puisque c'est le personnage ridicule de la pièce, falloit−il lui faire faire l'action d'un honnête homme ? Le Marquis Bon. La remarque est encore bonne. @@ -17697,7 +17697,7 @@ Admirable. Elise Merveilleuse. Lysidas -Le sermon et les Maximes ne sont−elles pas des choses ridicules, et qui choquent même le respect que l'o +Le sermon et les Maximes ne sont−elles pas des choses ridicules, et qui choquent même le respect que l'on doit à nos mystères ? Le Marquis C'est bien dit. @@ -17741,15 +17741,15 @@ Oui, si tu parles toujours. Climène De grâce, écoutons ses raisons. Dorante -Premièrement, il n'est pas vrai de dire que toute la pièce n'est qu'en récits. On y voit beaucoup d'actions qu +Premièrement, il n'est pas vrai de dire que toute la pièce n'est qu'en récits. On y voit beaucoup d'actions qui se passent sur la scène, et les récits eux−mêmes y sont des actions, suivant la constitution du sujet ; d'autant -qu'ils sont tous faits innocemment, ces récits, à la personne intéressée, qui par là entre, à tous coups, dans -confusion à réjouir les spectateurs, et prend, à chaque nouvelle, toutes les mesures qu'il peut pour se parer +qu'ils sont tous faits innocemment, ces récits, à la personne intéressée, qui par là entre, à tous coups, dans une +confusion à réjouir les spectateurs, et prend, à chaque nouvelle, toutes les mesures qu'il peut pour se parer du malheur qu'il craint. Uranie Pour moi, je trouve que la beauté du sujet de L'Ecole des femmes consiste dans cette confidence -perpétuelle ; et ce qui me paroît assez plaisant, c'est qu'un homme qui a de l'esprit, et qui est averti de tou -par une innocente qui est sa maîtresse, et par un étourdi qui est son rival, ne puisse avec cela éviter ce qui +perpétuelle ; et ce qui me paroît assez plaisant, c'est qu'un homme qui a de l'esprit, et qui est averti de tout +par une innocente qui est sa maîtresse, et par un étourdi qui est son rival, ne puisse avec cela éviter ce qui lui arrive. Le Marquis Bagatelle, bagatelle. @@ -17758,7 +17758,7 @@ Foible réponse. Elise Mauvaises raisons. Dorante -Pour ce qui est des enfants par l'oreille, ils ne sont plaisants que par réflexion à Arnolphe ; et l'auteur n'a +Pour ce qui est des enfants par l'oreille, ils ne sont plaisants que par réflexion à Arnolphe ; et l'auteur n'a pas mis cela pour être de soi un bon mot, mais seulement pour une chose qui caractérise l'homme, et peint d'autant mieux son extravagance, puisqu'il rapporte une sottise triviale qu'a dite Agnès comme la chose la plus belle du monde, et qui lui donne une joie inconcevable. @@ -17769,11 +17769,11 @@ Cela ne satisfait point. Elise C'est ne rien dire. Dorante -Quant à l'argent qu'il donne librement, outre que la lettre de son meilleur ami lui est une caution suffisante -n'est pas incompatible qu'une personne soit ridicule en de certaines choses et honnête homme en d'autres. +Quant à l'argent qu'il donne librement, outre que la lettre de son meilleur ami lui est une caution suffisante, il +n'est pas incompatible qu'une personne soit ridicule en de certaines choses et honnête homme en d'autres. Et pour la scène d'Alain et de Georgette dans le logis, que quelques−uns ont trouvée longue et froide, il est certain qu'elle n'est pas sans raison, et de même qu'Arnolphe se trouve attrapé, pendant son voyage, par la -pure innocence de sa maîtresse, il demeure, au retour, longtemps à sa porte par l'innocence de ses valets, a +pure innocence de sa maîtresse, il demeure, au retour, longtemps à sa porte par l'innocence de ses valets, afin qu'il soit partout puni par les choses qu'il a cru faire la sûreté de ses précautions. Le Marquis Voilà des raisons qui ne valent rien. @@ -17782,11 +17782,11 @@ Tout cela ne fait que blanchir. Elise Cela fait pitié. Dorante -Pour le discours moral que vous appelez un sermon, il est certain que de vrais dévots qui l'ont ouï n'ont pa -trouvé qu'il choquât ce que vous dites ; et sans doute que ces paroles d'enfer et de chaudières bouillantes -assez justifiées par l'extravagance d'Arnolphe et par l'innocence de celle à qui il parle. Et quant au transpo -amoureux du cinquième acte, qu'on accuse d'être trop outré et trop comique, je voudrois bien savoir si ce -pas faire la satire des amants, et si les honnêtes gens même et les plus sérieux, en de pareilles occasions, n +Pour le discours moral que vous appelez un sermon, il est certain que de vrais dévots qui l'ont ouï n'ont pas +trouvé qu'il choquât ce que vous dites ; et sans doute que ces paroles d'enfer et de chaudières bouillantes sont +assez justifiées par l'extravagance d'Arnolphe et par l'innocence de celle à qui il parle. Et quant au transport +amoureux du cinquième acte, qu'on accuse d'être trop outré et trop comique, je voudrois bien savoir si ce n'est +pas faire la satire des amants, et si les honnêtes gens même et les plus sérieux, en de pareilles occasions, ne font pas des choses... ? Le Marquis Ma foi, Chevalier, tu ferois mieux de te taire. @@ -17831,7 +17831,7 @@ connoissez, pour le mettre en comédie. Climène Il n'auroit garde, sans doute, et ce ne seroit pas des vers à sa louange. Uranie -Point, point ; je connois son humeur : il ne se soucie pas qu'on fronde ses pièces, pourvu qu'il y vienne d +Point, point ; je connois son humeur : il ne se soucie pas qu'on fronde ses pièces, pourvu qu'il y vienne du monde. Dorante Oui. Mais quel dénouement pourroit−il trouver à ceci ? car il ne sauroit y avoir ni mariage, ni @@ -17873,7 +17873,7 @@ Scène I Molière, Brécourt, la Grange, du Croisy, Mlle du Parc, Mlle Béjart, Mlle de Brie, Mlle Molière, Mlle du Croisy, Mlle Hervé Molière -Allons donc, Messieurs et Mesdames, vous moquez−vous avec votre longueur, et ne voulez−vous pas tou +Allons donc, Messieurs et Mesdames, vous moquez−vous avec votre longueur, et ne voulez−vous pas tous venir ici ? La peste soit des gens ! Holà ho ! Monsieur de Brécourt ! Brécourt Quoi ? @@ -17906,10 +17906,10 @@ Mademoiselle Hervé ! Mademoiselle Hervé On y va. Molière -Je crois que je deviendrai fou avec tous ces gens−ci. Eh têtebleu ! Messieurs, me voulez−vous faire enrag +Je crois que je deviendrai fou avec tous ces gens−ci. Eh têtebleu ! Messieurs, me voulez−vous faire enrager aujourd'hui ? Brécourt -Que voulez−vous qu'on fasse ? Nous ne savons pas nos rôles ; et c'est nous faire enrager vous−même, qu +Que voulez−vous qu'on fasse ? Nous ne savons pas nos rôles ; et c'est nous faire enrager vous−même, que de nous obliger à jouer de la sorte. Molière Ah ! les étranges animaux à conduire que des comédiens ! @@ -17920,7 +17920,7 @@ Quelle est votre pensée ? Mademoiselle de Brie De quoi est−il question ? Molière -De grâce, mettons−nous ici ; et puisque nous voilà tous habillés, et que le Roi ne doit venir de deux heure +De grâce, mettons−nous ici ; et puisque nous voilà tous habillés, et que le Roi ne doit venir de deux heures, employons ce temps à répéter notre affaire et voir la manière dont il faut jouer les choses. la Grange Le moyen de jouer ce qu'on ne sait pas ? @@ -17941,42 +17941,42 @@ J'en voudrois être quitte pour dix pistoles. Brécourt Et moi, pour vingt bons coups de fouet, je vous assure. Molière -Vous voilà tous bien malades, d'avoir un méchant rôle à jouer, et que feriez−vous donc si vous étiez en m +Vous voilà tous bien malades, d'avoir un méchant rôle à jouer, et que feriez−vous donc si vous étiez en ma place ? Mademoiselle Béjart Qui, vous ? Vous n'êtes pas à plaindre ; car, ayant fait la pièce, vous n'avez pas peur d'y manquer. Molière -Et n'ai−je à craindre que le manquement de mémoire ? Ne comptez−vous pour rien l'inquiétude d'un succ -qui ne regarde que moi seul ? Et pensez−vous que ce soit une petite affaire que d'exposer quelque chose +Et n'ai−je à craindre que le manquement de mémoire ? Ne comptez−vous pour rien l'inquiétude d'un succès +qui ne regarde que moi seul ? Et pensez−vous que ce soit une petite affaire que d'exposer quelque chose de comique devant une assemblée comme celle−ci que d'entreprendre de faire rire des personnes qui nous -impriment le respect et ne rient que quand ils veulent ? Est−il auteur qui ne doive trembler lorsqu'il en vi +impriment le respect et ne rient que quand ils veulent ? Est−il auteur qui ne doive trembler lorsqu'il en vient à cette épreuve ? Et n'est−ce pas à moi de dire que je voudrois en être quitte pour toutes les choses du monde ? Mademoiselle Béjart -Si cela vous faisoit trembler, vous prendriez mieux vos précautions et n'auriez pas entrepris en huit jours c +Si cela vous faisoit trembler, vous prendriez mieux vos précautions et n'auriez pas entrepris en huit jours ce que vous avez fait. Molière Le moyen de m'en défendre, quand un roi me l'a commandé ? Mademoiselle Béjart -Le moyen ? Une respectueuse excuse fondée sur l'impossibilité de la chose, dans le peu de temps qu'on v -donne ; et tout autre, en votre place, ménageroit mieux sa réputation et se seroit bien gardé de se commet -comme vous faites. Où en serez−vous, je vous prie, si l'affaire réussit mal ? et quel avantage pensez−vou +Le moyen ? Une respectueuse excuse fondée sur l'impossibilité de la chose, dans le peu de temps qu'on vous +donne ; et tout autre, en votre place, ménageroit mieux sa réputation et se seroit bien gardé de se commettre +comme vous faites. Où en serez−vous, je vous prie, si l'affaire réussit mal ? et quel avantage pensez−vous qu'en prendront tous vos ennemis ? Mademoiselle de Brie En effet ; il falloit s'excuser avec respect envers le Roi, ou demander du temps davantage. Molière Mon Dieu, Mademoiselle, les rois n'aiment rien tant qu'une prompte obéissance, et ne se plaisent point du tout à trouver des obstacles. Les choses ne sont bonnes que dans le temps qu'ils les souhaitent ; et leur en -vouloir reculer le divertissement est en ôter pour eux toute la grâce. Ils veulent des plaisirs qui ne se fasse +vouloir reculer le divertissement est en ôter pour eux toute la grâce. Ils veulent des plaisirs qui ne se fassent point attendre ; et les moins préparés leur sont toujours les plus agréables. Nous ne devons jamais nous -regarder dans ce qu'ils desirent de nous : nous ne sommes que pour leur plaire ; et lorsqu'ils nous ordonn +regarder dans ce qu'ils desirent de nous : nous ne sommes que pour leur plaire ; et lorsqu'ils nous ordonnent quelque chose, c'est à nous à profiter de l'envie où ils sont. Il vaut mieux s'acquitter mal de ce qu'ils nous -demandent que de ne s'en acquitter pas assez tôt ; et si l'on a la honte de n'avoir pas bien réussi, on a toujo +demandent que de ne s'en acquitter pas assez tôt ; et si l'on a la honte de n'avoir pas bien réussi, on a toujours la gloire d'avoir obéi vite à leurs commandements. Mais songeons à répéter, s'il vous plaît. Mademoiselle Béjart Comment prétendez−vous que nous fassions, si nous ne savons pas nos rôles ? Molière -Vous les saurez, vous dis−je ; et quand même vous ne les sauriez pas tout à fait, pouvez−vous pas y supp +Vous les saurez, vous dis−je ; et quand même vous ne les sauriez pas tout à fait, pouvez−vous pas y suppléer de votre esprit, puisque c'est de la prose, et que vous savez votre sujet ? Mademoiselle Béjart Je suis votre servante : la prose est pis encore que les vers. @@ -17985,36 +17985,36 @@ Voulez−vous que je vous dise ? vous deviez faire une comédie où vous auriez Molière Taisez−vous, ma femme, vous êtes une bête. Mademoiselle Molière -Grand merci, Monsieur mon mari. Voilà ce que c'est : le mariage change bien les gens, et vous ne m'aurie +Grand merci, Monsieur mon mari. Voilà ce que c'est : le mariage change bien les gens, et vous ne m'auriez pas dit cela il y a dix−huit mois. Molière Taisez−vous, je vous prie. Mademoiselle Molière -C'est une chose étrange qu'une petite cérémonie soit capable de nous ôter toutes nos belles qualités, et qu' +C'est une chose étrange qu'une petite cérémonie soit capable de nous ôter toutes nos belles qualités, et qu'un mari et un galand regardent la même personne avec des yeux si différents. Molière Que de discours ! Mademoiselle Molière -Ma foi, si je faisois une comédie, je la ferois sur ce sujet. Je justifierois les femmes de bien des choses don -on les accuse ; et je ferois craindre aux maris la différence qu'il y a de leurs manières brusques aux civilit +Ma foi, si je faisois une comédie, je la ferois sur ce sujet. Je justifierois les femmes de bien des choses dont +on les accuse ; et je ferois craindre aux maris la différence qu'il y a de leurs manières brusques aux civilités des galans. Molière Ahy ! laissons cela. Il n'est pas question de causer maintenant : nous avons autre chose à faire. Mademoiselle Béjart Mais puisqu'on vous a commandé de travailler sur le sujet de la critique qu'on a faite contre vous, que n'avez−vous fait cette comédie des comédiens, dont vous nous avez parlé il y a longtemps ? C'étoit une -affaire toute trouvée et qui venoit fort bien à la chose, et d'autant mieux qu'ayant entrepris de vous peindre -vous ouvroient l'occasion de les peindre aussi, et que cela auroit pu s'appeler leur portrait, à bien plus just -titre que tout ce qu'ils ont fait ne peut être appelé le vôtre. Car vouloir contrefaire un comédien dans un rô +affaire toute trouvée et qui venoit fort bien à la chose, et d'autant mieux qu'ayant entrepris de vous peindre, ils +vous ouvroient l'occasion de les peindre aussi, et que cela auroit pu s'appeler leur portrait, à bien plus juste +titre que tout ce qu'ils ont fait ne peut être appelé le vôtre. Car vouloir contrefaire un comédien dans un rôle comique, ce n'est pas le peindre lui−même, c'est peindre d'après lui les personnages qu'il représente et se servir des mêmes traits et des mêmes couleurs qu'il est obligé d'employer aux différents tableaux des -caractères ridicules qu'il imite d'après nature ; mais contrefaire un comédien dans des rôles sérieux, c'est -peindre par des défauts qui sont entièrement de lui, puisque ces sortes de personnages ne veulent ni les ge +caractères ridicules qu'il imite d'après nature ; mais contrefaire un comédien dans des rôles sérieux, c'est le +peindre par des défauts qui sont entièrement de lui, puisque ces sortes de personnages ne veulent ni les gestes, ni les tons de voix ridicules dans lesquels on le reconnoît. Molière Il est vrai ; mais j'ai mes raisons pour ne le pas faire, et je n'ai pas cru, entre nous, que la chose en valût la peine ; et puis il falloit plus de temps pour exécuter cette idée. Comme leurs jours de comédies sont les -mêmes que les nôtres, à peine ai−je été les voir que trois ou quatre fois depuis que nous sommes à Paris ; +mêmes que les nôtres, à peine ai−je été les voir que trois ou quatre fois depuis que nous sommes à Paris ; je n'ai attrapé de leur manière de réciter que ce qui m'a d'abord sauté aux yeux, et j'aurois eu besoin de les étudier davantage pour faire des portraits bien ressemblants. Mademoiselle du parc @@ -18022,7 +18022,7 @@ Pour moi, j'en ai reconnu quelques−uns dans votre bouche. Mademoiselle de Brie Je n'ai jamais ouï parler de cela. Molière -C'est une idée qui m'avoit passé une fois par la tête, et que j'ai laissée là comme une bagatelle, une badine +C'est une idée qui m'avoit passé une fois par la tête, et que j'ai laissée là comme une bagatelle, une badinerie, qui peut−être n'auroit point fait rire. Mademoiselle de Brie Dites−la−moi un peu, puisque vous l'avez dite aux autres. @@ -18031,26 +18031,26 @@ Nous n'avons pas le temps maintenant. Mademoiselle de Brie Seulement deux mots. Molière -J'avois songé une comédie où il y auroit eu un poète, que j'aurois représenté moi−même, qui seroit venu p -offrir une pièce à une troupe de comédiens nouvellement arrivés de la campagne. "Avez−vous, auroit−il d -des acteurs et des actrices qui soient capables de bien faire valoir un ouvrage ? Car ma pièce est une pièc -− Eh ! Monsieur, auroient répondu les comédiens, nous avons des hommes et des femmes qui ont été trou +J'avois songé une comédie où il y auroit eu un poète, que j'aurois représenté moi−même, qui seroit venu pour +offrir une pièce à une troupe de comédiens nouvellement arrivés de la campagne. "Avez−vous, auroit−il dit, +des acteurs et des actrices qui soient capables de bien faire valoir un ouvrage ? Car ma pièce est une pièce... +− Eh ! Monsieur, auroient répondu les comédiens, nous avons des hommes et des femmes qui ont été trouvés raisonnables partout où nous avons passé. − Et qui fait les rois parmi vous ? − Voilà un acteur qui s'en démêle parfois. − Qui ? Ce jeune homme bien fait ? Vous moquez−vous ? Il faut un roi qui soit gros et -gras comme quatre, un roi, morbleu ! qui soit entripaillé comme il faut, un roi d'une vaste circonférence, -qui puisse remplir un trône de la belle manière. La belle chose qu'un roi d'une taille galante ! Voilà déjà u +gras comme quatre, un roi, morbleu ! qui soit entripaillé comme il faut, un roi d'une vaste circonférence, et +qui puisse remplir un trône de la belle manière. La belle chose qu'un roi d'une taille galante ! Voilà déjà un grand défaut ; mais que je l'entende un peu réciter une douzaine de vers." Là−dessus le comédien auroit récité, par exemple, quelques vers du roi de Nicomède : Te le dirai−je, Araspe ? il m'a trop bien servi ; Augmentant mon pouvoir... -le plus naturellement qu'il auroit été possible. Et le poète : "Comment ? vous appelez cela réciter ? C'est +le plus naturellement qu'il auroit été possible. Et le poète : "Comment ? vous appelez cela réciter ? C'est se railler ! il faut dire les choses avec emphase. Ecoutez−moi. (Imitant Montfleury, excellent acteur de l'Hôtel de Bourgogne.) Te le dirai−je, Araspe ? ... etc. -Voyez−vous cette posture ? Remarquez bien cela. Là, appuyer comme il faut le dernier vers. Voilà ce qu +Voyez−vous cette posture ? Remarquez bien cela. Là, appuyer comme il faut le dernier vers. Voilà ce qui attire l'approbation et fait faire le brouhaha. − Mais, Monsieur, auroit répondu le comédien, il me semble -qu'un roi qui s'entretient tout seul avec son capitaine des gardes parle un peu plus humainement, et ne pre -guère ce ton de démoniaque. − Vous ne savez ce que c'est. Allez−vous−en réciter comme vous faites, vou +qu'un roi qui s'entretient tout seul avec son capitaine des gardes parle un peu plus humainement, et ne prend +guère ce ton de démoniaque. − Vous ne savez ce que c'est. Allez−vous−en réciter comme vous faites, vous verrez si vous ferez faire aucun ah ! Voyons un peu une scène d'amant et d'amante." Là−dessus une comédienne et un comédien auroient fait une scène ensemble, qui est celle de Camille et de Curiace, Iras−tu, ma chère âme, et ce funeste honneur @@ -18061,8 +18061,8 @@ moquez, vous ne faites rien qui vaille, et voici comme il faut réciter cela. (Imitant Mlle Beauchâteau, comédienne de l'Hôtel de Bourgogne.) Iras−tu, ma chère âme,... etc. Non, je te connois mieux..., etc. -Voyez−vous comme cela est naturel et passionné ? Admirez ce visage riant qu'elle conserve dans les plu -grandes afflictions." Enfin, voilà l'idée ; et il auroit parcouru de même tous les acteurs et toutes les actrice +Voyez−vous comme cela est naturel et passionné ? Admirez ce visage riant qu'elle conserve dans les plus +grandes afflictions." Enfin, voilà l'idée ; et il auroit parcouru de même tous les acteurs et toutes les actrices. Mademoiselle de Brie Je trouve cette idée assez plaisante, et j'en ai reconnu là dès le premier vers. Continuez, je vous prie. Molière, imitant Beauchâteau, aussi comédien, dans les stances du Cid. @@ -18078,17 +18078,17 @@ Et celui−ci ? (Imitant de Villiers, aussi comédien.) Seigneur, Polybe est mort..., etc. Mademoiselle de Brie -Oui, je sais qui c'est ; mais il y en a quelques−uns d'entre eux, je crois, que vous auriez peine à contrefair +Oui, je sais qui c'est ; mais il y en a quelques−uns d'entre eux, je crois, que vous auriez peine à contrefaire. Molière -Mon Dieu, il n'y en a point qu'on ne pût attraper par quelque endroit, si je les avois bien étudiés. Mais vou -me faites perdre un temps qui nous est cher. Songeons à nous, de grâce, et ne nous amusons point davanta +Mon Dieu, il n'y en a point qu'on ne pût attraper par quelque endroit, si je les avois bien étudiés. Mais vous +me faites perdre un temps qui nous est cher. Songeons à nous, de grâce, et ne nous amusons point davantage à discourir. (Parlant à de la Grange.) Vous, prenez garde à bien représenter avec moi votre rôle de marquis. Mademoiselle Molière Toujours des marquis ! Molière -Oui, toujours des marquis. Que diable voulez−vous qu'on prenne pour un caractère agréable de théâtre ? +Oui, toujours des marquis. Que diable voulez−vous qu'on prenne pour un caractère agréable de théâtre ? Le marquis aujourd'hui est le plaisant de la comédie ; et comme dans toutes les comédies anciennes on voit -toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même, dans toutes nos pièces de maintenant, il fau +toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même, dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie. Mademoiselle Béjart Il est vrai, on ne s'en sauroit passer. @@ -18099,42 +18099,42 @@ Mon Dieu, pour moi, je m'acquitterai fort mal de mon personnage, et je ne sais p donné ce rôle de façonnière. Molière Mon Dieu, Mademoiselle, voilà comme vous disiez lorsque l'on vous donna celui de la Critique de l'Ecole -des femmes ; cependant vous vous en êtes acquittée à merveille, et tout le monde est demeuré d'accord qu -ne peut pas mieux faire que vous avez fait. Croyez−moi, celui−ci sera de même ; et vous le jouerez mieu +des femmes ; cependant vous vous en êtes acquittée à merveille, et tout le monde est demeuré d'accord qu'on +ne peut pas mieux faire que vous avez fait. Croyez−moi, celui−ci sera de même ; et vous le jouerez mieux que vous ne pensez. Mademoiselle du parc -Comment cela se pourroit−il faire ? car il n'y a point de personne au monde qui soit moins façonnière qu +Comment cela se pourroit−il faire ? car il n'y a point de personne au monde qui soit moins façonnière que moi. Molière Cela est vrai ; et c'est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne, de bien -représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur. Tâchez donc de bien prendre, tous, le carac +représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur. Tâchez donc de bien prendre, tous, le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous représentez. (A du Croisy.) Vous faites le poète, vous, et vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air -pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude +pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuie sur toutes les syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère orthographe. -(A Brécourt.) Pour vous, vous faites un honnête homme de cour, comme vous avez déjà fait dans la Critiq -de l'Ecole des femmes, c'est−à−dire que vous devez prendre un air posé, un ton de voix naturel, et gesticu +(A Brécourt.) Pour vous, vous faites un honnête homme de cour, comme vous avez déjà fait dans la Critique +de l'Ecole des femmes, c'est−à−dire que vous devez prendre un air posé, un ton de voix naturel, et gesticuler le moins qu'il vous sera possible. (A de la Grange.) Pour vous, je n'ai rien à vous dire. (A Mademoiselle Béjart.) Vous, vous représentez une de ces femmes qui, pourvu qu'elles ne fassent point -l'amour, croient que tout le reste leur est permis, de ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur -pruderie, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent l +l'amour, croient que tout le reste leur est permis, de ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur +pruderie, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres ne soient rien en comparaison d'un misérable honneur dont personne ne se soucie. Ayez toujours ce caractère devant les yeux, pour en bien faire les grimaces. (A Mademoiselle de Brie.) Pour vous, vous faites une de ces femmes qui pensent être les plus vertueuses -personnes du monde pourvu qu'elles sauvent les apparences, de ces femmes qui croient que le péché n'est -dans le scandale, qui veulent conduire doucement les affaires qu'elles ont sur le pied d'attachement honnê +personnes du monde pourvu qu'elles sauvent les apparences, de ces femmes qui croient que le péché n'est que +dans le scandale, qui veulent conduire doucement les affaires qu'elles ont sur le pied d'attachement honnête, et appellent amis ce que les autres nomment galans. Entrez bien dans ce caractère. -(A Mademoiselle Molière.) Vous, vous faites le même personnage que dans la Critique, et je n'ai rien à vo +(A Mademoiselle Molière.) Vous, vous faites le même personnage que dans la Critique, et je n'ai rien à vous dire, non plus qu'à Mademoiselle du Parc. -(A Mademoiselle du Croisy.) Pour vous, vous représentez une de ces personnes qui prêtent doucement de -charités à tout le monde, de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seroien -bien fâchées d'avoir souffert qu'on eût dit du bien du prochain. Je crois que vous ne vous acquitterez pas m +(A Mademoiselle du Croisy.) Pour vous, vous représentez une de ces personnes qui prêtent doucement des +charités à tout le monde, de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seroient +bien fâchées d'avoir souffert qu'on eût dit du bien du prochain. Je crois que vous ne vous acquitterez pas mal de ce rôle. -(A Mademoiselle Hervé.) Et pour vous, vous êtes la soubrette de la Précieuse, qui se mêle de temps en tem +(A Mademoiselle Hervé.) Et pour vous, vous êtes la soubrette de la Précieuse, qui se mêle de temps en temps dans la conversation, et attrape, comme elle peut, tous les termes de sa maîtresse. Je vous dis tous vos -caractères, afin que vous vous les imprimiez fortement dans l'esprit. Commençons maintenant à répéter, e +caractères, afin que vous vous les imprimiez fortement dans l'esprit. Commençons maintenant à répéter, et voyons comme cela ira. Ah ! voici justement un fâcheux ! Il ne nous falloit plus que cela. Scène II La Thorillière, Molière, etc. @@ -18181,15 +18181,15 @@ La peste m'étouffe, Monsieur, si je le sais. La Thorillière Savez−vous point ? ... Molière -Tenez, Monsieur, je suis le plus ignorant homme du monde ; je ne sais rien de tout ce que vous pourrez m -demander, je vous jure. J'enrage ! Ce bourreau vient, avec un air tranquille, vous faire des questions, et n +Tenez, Monsieur, je suis le plus ignorant homme du monde ; je ne sais rien de tout ce que vous pourrez me +demander, je vous jure. J'enrage ! Ce bourreau vient, avec un air tranquille, vous faire des questions, et ne se soucie pas qu'on ait en tête d'autres affaires. La Thorillière Mesdemoiselles, votre serviteur. Molière Ah ! bon, le voilà d'un autre côté. La Thorillière, à Mademoiselle du Croisy. -Vous voilà belle comme un petit ange. Jouez−vous toutes deux aujourd'hui ? (En regardant Mademoisell +Vous voilà belle comme un petit ange. Jouez−vous toutes deux aujourd'hui ? (En regardant Mademoiselle Hervé.) Mademoiselle du Croisy Oui, Monsieur. @@ -18210,7 +18210,7 @@ Oui, mais... La Thorillière Je suis homme sans cérémonie, vous dis−je, et vous pouvez répéter ce qui vous plaira. Molière -Monsieur, ces demoiselles ont peine à vous dire qu'elles souhaiteroient fort que personne ne fût ici pendan +Monsieur, ces demoiselles ont peine à vous dire qu'elles souhaiteroient fort que personne ne fût ici pendant cette répétition. La Thorillière Pourquoi ? il n'y a point de danger pour moi. @@ -18224,19 +18224,19 @@ Point du tout, Monsieur ; ne vous hâtez pas, de grâce. Scène III Molière, La Grange, etc. Molière -Ah ! que le monde est plein d'impertinents ! Or sus, commençons. Figurez−vous donc premièrement que -scène est dans l'antichambre du Roi ; car c'est un lieu où il se passe tous les jours des choses assez plaisan +Ah ! que le monde est plein d'impertinents ! Or sus, commençons. Figurez−vous donc premièrement que la +scène est dans l'antichambre du Roi ; car c'est un lieu où il se passe tous les jours des choses assez plaisantes. Il est aisé de faire venir là toutes les personnes qu'on veut, et on peut trouver des raisons même pour y autoriser la venue des femmes que j'introduis. La comédie s'ouvre par deux marquis qui se rencontrent. -Souvenez−vous bien, vous, de venir, comme je vous ai dit, là, avec cet air qu'on nomme le bel air, peigna -votre perruque et grondant une petite chanson entre vos dents. La, la, la, la, la, la. Rangez−vous donc, vou -autres, car il faut du terrain à deux marquis ; et ils ne sont pas gens à tenir leur personne dans un petit esp +Souvenez−vous bien, vous, de venir, comme je vous ai dit, là, avec cet air qu'on nomme le bel air, peignant +votre perruque et grondant une petite chanson entre vos dents. La, la, la, la, la, la. Rangez−vous donc, vous +autres, car il faut du terrain à deux marquis ; et ils ne sont pas gens à tenir leur personne dans un petit espace. Allons, parlez. la Grange "Bonjour, Marquis." Molière Mon Dieu, ce n'est point là le ton d'un marquis ; il faut le prendre un peu plus haut ; et la plupart de ces -Messieurs affectent une manière de parler particulière, pour se distinguer du commun : "Bonjour, Marqu +Messieurs affectent une manière de parler particulière, pour se distinguer du commun : "Bonjour, Marquis." Recommencez donc. la Grange "Bonjour, Marquis." @@ -18245,7 +18245,7 @@ Molière la Grange "Que fais−tu là ? " Molière -"Parbleu ! tu vois : j'attends que tous ces Messieurs aient débouché la porte, pour présenter là mon visag +"Parbleu ! tu vois : j'attends que tous ces Messieurs aient débouché la porte, pour présenter là mon visage." la Grange "Têtebleu ! quelle foule ! Je n'ai garde de m'y aller frotter, et j'aime mieux entrer des derniers." Molière @@ -18270,7 +18270,7 @@ Molière la Grange "Quoi ! tu veux soutenir que ce n'est pas toi qu'on joue dans le marquis de la Critique ? " Molière -"Il est vrai, c'est moi. Détestable, morbleu ! détestable ! tarte à la crème ! C'est moi, c'est moi, assuréme +"Il est vrai, c'est moi. Détestable, morbleu ! détestable ! tarte à la crème ! C'est moi, c'est moi, assurément, c'est moi." la Grange "Oui, parbleu ! c'est toi ; tu n'as que faire de railler ; et si tu veux, nous gagerons, et verrons qui a raison @@ -18302,7 +18302,7 @@ Molière Brécourt "Quoi ? " Molière -Bon. Voilà l'autre qui prend le ton de marquis ! Vous ai−je pas dit que vous faites un rôle où l'on doit par +Bon. Voilà l'autre qui prend le ton de marquis ! Vous ai−je pas dit que vous faites un rôle où l'on doit parler naturellement ? Brécourt Il est vrai. @@ -18315,22 +18315,22 @@ Molière Brécourt "Et quelle ? " Molière -"Nous disputons qui est le marquis de la Critique de Molière : il gage que c'est moi, et moi je gage que c' +"Nous disputons qui est le marquis de la Critique de Molière : il gage que c'est moi, et moi je gage que c'est lui." Brécourt -"Et moi, je juge que ce n'est ni l'un ni l'autre. Vous êtes fous tous deux, de vouloir vous appliquer ces sort -de choses ; et voilà de quoi j'ouïs l'autre jour se plaindre Molière, parlant à des personnes qui le chargeoie +"Et moi, je juge que ce n'est ni l'un ni l'autre. Vous êtes fous tous deux, de vouloir vous appliquer ces sortes +de choses ; et voilà de quoi j'ouïs l'autre jour se plaindre Molière, parlant à des personnes qui le chargeoient de même chose que vous. Il disoit que rien ne lui donnoit du déplaisir comme d'être accusé de regarder quelqu'un dans les portraits qu'il fait ; que son dessein est de peindre les moeurs sans vouloir toucher aux personnes, et que tous les personnages qu'il représente sont des personnages en l'air, et des fantômes -proprement, qu'il habille à sa fantaisie, pour réjouir les spectateurs ; qu'il seroit bien fâché d'y avoir jama -marqué qui que ce soit ; et que si quelque chose étoit capable de le dégoûter de faire des comédies, c'étoi -ressemblances qu'on y vouloit toujours trouver, et dont ses ennemis tâchoient malicieusement d'appuyer l -pensée, pour lui rendre de mauvais offices auprès de certaines personnes à qui il n'a jamais pensé. Et en e -je trouve qu'il a raison ; car pourquoi vouloir, je vous prie, appliquer tous ses gestes et toutes ses paroles, -chercher à lui faire des affaires en disant hautement : "Il joue un tel" lorsque ce sont des choses qui peuve -convenir à cent personnes ? Comme l'affaire de la comédie est de représenter en général tous les défauts -hommes, et principalement des hommes de notre siècle, il est impossible à Molière de faire aucun caractè +proprement, qu'il habille à sa fantaisie, pour réjouir les spectateurs ; qu'il seroit bien fâché d'y avoir jamais +marqué qui que ce soit ; et que si quelque chose étoit capable de le dégoûter de faire des comédies, c'étoit les +ressemblances qu'on y vouloit toujours trouver, et dont ses ennemis tâchoient malicieusement d'appuyer la +pensée, pour lui rendre de mauvais offices auprès de certaines personnes à qui il n'a jamais pensé. Et en effet +je trouve qu'il a raison ; car pourquoi vouloir, je vous prie, appliquer tous ses gestes et toutes ses paroles, et +chercher à lui faire des affaires en disant hautement : "Il joue un tel" lorsque ce sont des choses qui peuvent +convenir à cent personnes ? Comme l'affaire de la comédie est de représenter en général tous les défauts des +hommes, et principalement des hommes de notre siècle, il est impossible à Molière de faire aucun caractère qui ne rencontre quelqu'un dans le monde ; et s'il faut qu'on l'accuse d'avoir songé toutes les personnes où l'on peut trouver les défauts qu'il peint, il faut sans doute qu'il ne fasse plus de comédies." Molière @@ -18338,31 +18338,31 @@ Molière la Grange "Point du tout. C'est toi qu'il épargne, et nous trouverons d'autres juges." Molière -"Soit. Mais, dis−moi, Chevalier, crois−tu pas que ton Molière est épuisé maintenant, et qu'il ne trouvera p +"Soit. Mais, dis−moi, Chevalier, crois−tu pas que ton Molière est épuisé maintenant, et qu'il ne trouvera plus de matière pour... ? " Brécourt "Plus de matière ? Eh ! mon pauvre Marquis, nous lui en fournirons toujours assez, et nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit." Molière -Attendez, il faut marquer davantage tout cet endroit. Ecoutez−le−moi dire un peu. "Et qu'il ne trouvera pl -de matière pour... − Plus de matière ? Hé ! mon pauvre Marquis, nous lui en fournirons toujours assez, e -nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit. Crois−tu q +Attendez, il faut marquer davantage tout cet endroit. Ecoutez−le−moi dire un peu. "Et qu'il ne trouvera plus +de matière pour... − Plus de matière ? Hé ! mon pauvre Marquis, nous lui en fournirons toujours assez, et +nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit. Crois−tu qu'il ait épuisé dans ses comédies tout le ridicule des hommes ? Et, sans sortir de la cour, n'a−t−il pas encore -vingt caractères de gens où il n'a point touché ? N'a−t−il pas, par exemple, ceux qui se font les plus grand +vingt caractères de gens où il n'a point touché ? N'a−t−il pas, par exemple, ceux qui se font les plus grandes amitiés du monde, et qui, le dos tourné, font galanterie de se déchirer l'un l'autre ? N'a−t−il pas ces adulateurs à outrance, ces flatteurs insipides, qui n'assaisonnent d'aucun sel les louanges qu'ils donnent, et -dont toutes les flatteries ont une douceur fade qui fait mal au coeur à ceux qui les écoutent ? N'a−t−il pas -lâches courtisans de la faveur, ces perfides adorateurs de la fortune, qui vous encensent dans la prospérité +dont toutes les flatteries ont une douceur fade qui fait mal au coeur à ceux qui les écoutent ? N'a−t−il pas ces +lâches courtisans de la faveur, ces perfides adorateurs de la fortune, qui vous encensent dans la prospérité et vous accablent dans la disgrâce ? N'a−t−il pas ceux qui sont toujours mécontents de la cour, ces suivants inutiles, ces incommodes assidus, ces gens, dis−je, qui pour services ne peuvent compter que des -importunités, et qui veulent que l'on les récompense d'avoir obsédé le Prince dix ans durant ? N'a−t−il pa -ceux qui caressent également tout le monde, qui promènent leurs civilités à droit et à gauche, et courent à +importunités, et qui veulent que l'on les récompense d'avoir obsédé le Prince dix ans durant ? N'a−t−il pas +ceux qui caressent également tout le monde, qui promènent leurs civilités à droit et à gauche, et courent à tous ceux qu'ils voient avec les mêmes embrassades et les mêmes protestations d'amitié ? "Monsieur, votre -très−humble serviteur. − Monsieur, je suis tout à votre service. − Tenez−moi des vôtres, mon cher. − Fait +très−humble serviteur. − Monsieur, je suis tout à votre service. − Tenez−moi des vôtres, mon cher. − Faites état de moi, Monsieur, comme du plus chaud de vos amis. − Monsieur, je suis ravi de vous embrasser. − Ah ! Monsieur, je ne vous voyois pas ! Faites−moi la grâce de m'employer. Soyez persuadé que je suis -entièrement à vous. Vous êtes l'homme du monde que je révère le plus. Il n'y a personne que j'honore à l'é -de vous. Je vous conjure de le croire. Je vous supplie de n'en point douter. − Serviteur. − Très−humble va +entièrement à vous. Vous êtes l'homme du monde que je révère le plus. Il n'y a personne que j'honore à l'égal +de vous. Je vous conjure de le croire. Je vous supplie de n'en point douter. − Serviteur. − Très−humble valet. Va, va, Marquis, Molière aura toujours plus de sujets qu'il n'en voudra ; et tout ce qu'il a touché jusqu'ici n'est rien que bagatelle au prix de ce qui reste." Voilà à peu près comme cela doit être joué. Brécourt @@ -18372,11 +18372,11 @@ Poursuivez. Brécourt "Voici Climène et Elise." Molière -Là−dessus vous arrivez toutes deux. (A Mademoiselle au Parc.) Prenez bien garde, vous, à vous déhanche -comme il faut, et à faire bien des façons. Cela vous contraindra un peu ; mais qu'y faire ? Il faut parfois s +Là−dessus vous arrivez toutes deux. (A Mademoiselle au Parc.) Prenez bien garde, vous, à vous déhancher +comme il faut, et à faire bien des façons. Cela vous contraindra un peu ; mais qu'y faire ? Il faut parfois se faire violence. Mademoiselle Molière -"Certes, Madame, je vous ai reconnue de loin, et j'ai bien vu à votre air que ce ne pouvoit être une autre q +"Certes, Madame, je vous ai reconnue de loin, et j'ai bien vu à votre air que ce ne pouvoit être une autre que vous. Mademoiselle du parc Vous voyez : je viens attendre ici la sortie d'un homme avec qui j'ai une affaire à démêler. @@ -18389,7 +18389,7 @@ Mademoiselle du parc Mademoiselle Molière Après vous, Madame." Molière -Bon. Après ces petites cérémonies muettes, chacun prendra place et parlera assis, hors les marquis, qui tan +Bon. Après ces petites cérémonies muettes, chacun prendra place et parlera assis, hors les marquis, qui tantôt se lèveront et tantôt s'assoiront, suivant leur inquiétude naturelle. "Parbleu ! Chevalier, tu devrois faire prendre médecine à tes canons. Brécourt @@ -18399,7 +18399,7 @@ Ils se portent fort mal. Brécourt Serviteur à la turlupinade ! Mademoiselle Molière -Mon Dieu ! Madame, que je vous trouve le teint d'une blancheur éblouissante, et les lèvres d'un couleur d +Mon Dieu ! Madame, que je vous trouve le teint d'une blancheur éblouissante, et les lèvres d'un couleur de feu surprenant ! Mademoiselle du parc Ah ! que dites−vous là, Madame ? ne me regardez point, je suis du dernier laid aujourd'hui. @@ -18432,35 +18432,35 @@ Résolûment, vous vous montrerez. On ne peut point se passer de vous voir. Mademoiselle du parc Mon Dieu, que vous êtes une étrange personne ! Vous voulez furieusement ce que vous voulez. Mademoiselle Molière -Ah ! Madame, vous n'avez aucun désavantage à paroître au grand jour, je vous jure. Les méchantes gens +Ah ! Madame, vous n'avez aucun désavantage à paroître au grand jour, je vous jure. Les méchantes gens qui assuroient que vous mettiez quelque chose ! Vraiment, je les démentirai bien maintenant. Mademoiselle du parc Hélas ! je ne sais pas seulement ce qu'on appelle mettre quelque chose. Mais où vont ces dames ? Scène V Mlle de Brie, Mlle du Parc, etc. Mademoiselle de Brie -Vous voulez bien, Mesdames, que nous vous donnions, en passant, la plus agréable nouvelle du monde. V -Monsieur Lysidas qui vient de nous avertir qu'on a fait une pièce contre Molière, que les grands comédien +Vous voulez bien, Mesdames, que nous vous donnions, en passant, la plus agréable nouvelle du monde. Voilà +Monsieur Lysidas qui vient de nous avertir qu'on a fait une pièce contre Molière, que les grands comédiens vont jouer. Molière Il est vrai, on me l'a voulu lire ; et c'est un nommé Br... Brou... Brossaut qui l'a faite. Du Croisy Monsieur, elle est affichée sous le nom de Boursaut ; mais, à vous dire le secret, bien des gens ont mis la main à cet ouvrage, et l'on en doit concevoir une assez haute attente. Comme tous les auteurs et tous les -comédiens regardent Molière comme leur plus grand ennemi, nous nous sommes tous unis pour le desserv -Chacun de nous a donné un coup de pinceau à son portrait ; mais nous nous sommes bien gardés d'y mett +comédiens regardent Molière comme leur plus grand ennemi, nous nous sommes tous unis pour le desservir. +Chacun de nous a donné un coup de pinceau à son portrait ; mais nous nous sommes bien gardés d'y mettre nos noms : il lui auroit été trop glorieux de succomber, aux yeux du monde, sous les efforts de tout le -Parnasse ; et pour rendre sa défaite plus ignominieuse, nous avons voulu choisir tout exprès un auteur san +Parnasse ; et pour rendre sa défaite plus ignominieuse, nous avons voulu choisir tout exprès un auteur sans réputation. Mademoiselle du parc Pour moi, je vous avoue que j'en ai toutes les joies imaginables. Molière Et moi aussi. Par la sambleu ! le railleur sera raillé ; il aura sur les doigts, ma foi ! Mademoiselle du parc -Cela lui apprendra à vouloir satiriser tout. Comment ? cet impertinent ne veut pas que les femmes aient d +Cela lui apprendra à vouloir satiriser tout. Comment ? cet impertinent ne veut pas que les femmes aient de l'esprit ? Il condamne toutes nos expressions élevées et prétend que nous parlions toujours terre à terre ! Mademoiselle de Brie -Le langage n'est rien ; mais il censure tous nos attachements, quelque innocents qu'ils puissent être ; et d +Le langage n'est rien ; mais il censure tous nos attachements, quelque innocents qu'ils puissent être ; et de la façon qu'il en parle, c'est être criminelle que d'avoir du mérite. Mademoiselle du Croisy Cela est insupportable. Il n'y a pas une femme qui puisse plus rien faire. Que ne laisse−t−il en repos nos @@ -18479,38 +18479,38 @@ Vous avez raison, Madame. Trop de gens sont intéressés à la trouver belle. Je ceux qui se croient satirisés par Molière ne prendront pas l'occasion de se venger de lui en applaudissant à cette comédie. Brécourt -Sans doute, et pour moi je réponds de douze marquis, de six précieuses, de vingt coquettes, et de trente co +Sans doute, et pour moi je réponds de douze marquis, de six précieuses, de vingt coquettes, et de trente cocus, qui ne manqueront pas d'y battre des mains. Mademoiselle Molière -En effet. Pourquoi aller offenser toutes ces personnes−là, et particulièrement les cocus, qui sont les meille +En effet. Pourquoi aller offenser toutes ces personnes−là, et particulièrement les cocus, qui sont les meilleurs gens du monde ? Molière Par la sambleu ! on m'a dit qu'on le va dauber, lui et toutes ses comédies, de la belle manière, et que les comédiens et les auteurs, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope, sont diablement animés contre lui. Mademoiselle Molière -Cela lui sied fort bien. Pourquoi fait−il de méchantes pièces que tout Paris va voir, et où il peint si bien le -gens, que chacun s'y connoît ? Que ne fait−il des comédies comme celles de Monsieur Lysidas ? Il n'aur -personne contre lui, et tous les auteurs en diroient du bien. Il est vrai que de semblables comédies n'ont pa -grand concours de monde ; mais, en revanche, elles sont toujours bien écrites, personne n'écrit contre elle +Cela lui sied fort bien. Pourquoi fait−il de méchantes pièces que tout Paris va voir, et où il peint si bien les +gens, que chacun s'y connoît ? Que ne fait−il des comédies comme celles de Monsieur Lysidas ? Il n'auroit +personne contre lui, et tous les auteurs en diroient du bien. Il est vrai que de semblables comédies n'ont pas ce +grand concours de monde ; mais, en revanche, elles sont toujours bien écrites, personne n'écrit contre elles, et tous ceux qui les voient meurent d'envie de les trouver belles. Du Croisy Il est vrai que j'ai l'avantage de ne point faire d'ennemis, et que tous mes ouvrages ont l'approbation des savants. Mademoiselle Molière -Vous faites bien d'être content de vous. Cela vaut mieux que tous les applaudissements du public, et que t -l'argent qu'on sauroit gagner aux pièces de Molière. Que vous importe qu'il vienne du monde à vos coméd +Vous faites bien d'être content de vous. Cela vaut mieux que tous les applaudissements du public, et que tout +l'argent qu'on sauroit gagner aux pièces de Molière. Que vous importe qu'il vienne du monde à vos comédies, pourvu qu'elles soient approuvées par Messieurs vos confrères ? la Grange Mais quand jouera−t−on le Portrait du peintre ? Du Croisy -Je ne sais ; mais je me prépare fort à paroître des premiers sur les rangs, pour crier : "Voilà qui est beau +Je ne sais ; mais je me prépare fort à paroître des premiers sur les rangs, pour crier : "Voilà qui est beau ! " Molière Et moi de même, parbleu ! la Grange Et moi aussi, Dieu me sauve ! Mademoiselle du parc -Pour moi, j'y payerai de ma personne comme il faut ; et je réponds d'une bravoure d'approbation, qui met -en déroute tous les jugements ennemis. C'est bien la moindre chose que nous devions faire, que d'épauler +Pour moi, j'y payerai de ma personne comme il faut ; et je réponds d'une bravoure d'approbation, qui mettra +en déroute tous les jugements ennemis. C'est bien la moindre chose que nous devions faire, que d'épauler de nos louanges le vengeur de nos intérêts. Mademoiselle Molière C'est fort bien dit. @@ -18525,91 +18525,91 @@ Point de quartier à ce contrefaiseur de gens. Molière Ma foi, Chevalier, mon ami, il faudra que ton Molière se cache. Brécourt -Qui, lui ? Je te promets, Marquis, qu'il fait dessein d'aller, sur le théâtre, rire avec tous les autres du portr +Qui, lui ? Je te promets, Marquis, qu'il fait dessein d'aller, sur le théâtre, rire avec tous les autres du portrait qu'on a fait de lui. Molière Parbleu ! ce sera donc du bout des dents qu'il y rira Brécourt -Va, va, peut−être qu'il y trouvera plus de sujets de rire que tu ne penses. On m'a montré la pièce ; et comm -tout ce qu'il y a d'agréable sont effectivement les idées qui ont été prises de Molière, la joie que cela pourr -donner n'aura pas lieu de lui déplaire, sans doute ; car, pour l'endroit où on s'efforce de le noircir, je suis l -plus trompé du monde, si cela est approuvé de personne ; et quant à tous les gens qu'ils ont tâché d'anime -contre lui, sur ce qu'il fait, dit−on, des portraits trop ressemblants, outre que cela est de fort mauvaise grâc +Va, va, peut−être qu'il y trouvera plus de sujets de rire que tu ne penses. On m'a montré la pièce ; et comme +tout ce qu'il y a d'agréable sont effectivement les idées qui ont été prises de Molière, la joie que cela pourra +donner n'aura pas lieu de lui déplaire, sans doute ; car, pour l'endroit où on s'efforce de le noircir, je suis le +plus trompé du monde, si cela est approuvé de personne ; et quant à tous les gens qu'ils ont tâché d'animer +contre lui, sur ce qu'il fait, dit−on, des portraits trop ressemblants, outre que cela est de fort mauvaise grâce, je ne vois rien de plus ridicule et de plus mal repris ; et je n'avois pas cru jusqu'ici que ce fût un sujet de blâme pour un comédien que de peindre trop bien les hommes. la Grange Les comédiens m'ont dit qu'ils l'attendoient sur la réponse, et que... Brécourt -Sur la réponse ? Ma foi, je le trouverois un grand fou, s'il se mettoit en peine de répondre à leurs invectiv -Tout le monde sait assez de quel motif elles peuvent partir ; et la meilleure réponse qu'il leur puisse faire -c'est une comédie qui réussisse comme toutes ses autres. Voilà le vrai moyen de se venger d'eux comme i -faut ; et de l'humeur dont je les connois, je suis fort assuré qu'une pièce nouvelle qui leur enlèvera le mon +Sur la réponse ? Ma foi, je le trouverois un grand fou, s'il se mettoit en peine de répondre à leurs invectives. +Tout le monde sait assez de quel motif elles peuvent partir ; et la meilleure réponse qu'il leur puisse faire, +c'est une comédie qui réussisse comme toutes ses autres. Voilà le vrai moyen de se venger d'eux comme il +faut ; et de l'humeur dont je les connois, je suis fort assuré qu'une pièce nouvelle qui leur enlèvera le monde les fâchera bien plus que toutes les satires qu'on pourroit faire de leurs personnes. Molière "Mais, Chevalier..." Mademoiselle Béjart Souffrez que j'interrompe pour un peu la répétition. Voulez−vous que je vous die ? Si j'avois été en votre -place, j'aurois poussé les choses autrement. Tout le monde attend de vous une réponse vigoureuse ; et apr -la manière dont on m'a dit que vous étiez traité dans cette comédie, vous étiez en droit de tout dire contre +place, j'aurois poussé les choses autrement. Tout le monde attend de vous une réponse vigoureuse ; et après +la manière dont on m'a dit que vous étiez traité dans cette comédie, vous étiez en droit de tout dire contre les comédiens, et vous deviez n'en épargner aucun. Molière -J'enrage de vous ouïr parler de la sorte ; et voilà votre manie, à vous autres femmes. Vous voudriez que j -prisse feu d'abord contre eux, et qu'à leur exemple j'allasse éclater promptement en invectives et en injure +J'enrage de vous ouïr parler de la sorte ; et voilà votre manie, à vous autres femmes. Vous voudriez que je +prisse feu d'abord contre eux, et qu'à leur exemple j'allasse éclater promptement en invectives et en injures. Le bel honneur que j'en pourrois tirer, et le grand dépit que je leur ferois ! Ne se sont−ils pas préparés de -bonne volonté à ces sortes de choses ? Et lorsqu'ils ont délibéré s'ils joueroient le Portrait du peintre, sur -crainte d'une riposte, quelques−uns d'entre eux n'ont−ils pas répondu : "Qu'il nous rende toutes les injure -qu'il voudra, pourvu que nous gagnions de l'argent ? " N'est−ce pas là la marque d'une âme fort sensible à +bonne volonté à ces sortes de choses ? Et lorsqu'ils ont délibéré s'ils joueroient le Portrait du peintre, sur la +crainte d'une riposte, quelques−uns d'entre eux n'ont−ils pas répondu : "Qu'il nous rende toutes les injures +qu'il voudra, pourvu que nous gagnions de l'argent ? " N'est−ce pas là la marque d'une âme fort sensible à la honte ? et ne vengerois−je pas bien d'eux en leur donnant ce qu'ils veulent bien recevoir ? Mademoiselle de Brie -Ils se sont fort plaints, toutefois, de trois ou quatre mots que vous avez dits d'eux dans la Critique et dans +Ils se sont fort plaints, toutefois, de trois ou quatre mots que vous avez dits d'eux dans la Critique et dans vos Précieuses. Molière Il est vrai, ces trois ou quatre mots sont fort offensants, et ils ont grande raison de les citer. Allez, allez, ce -n'est pas cela. Le plus grand mal que je leur aie fait, c'est que j'ai eu le bonheur de plaire un peu plus qu'il +n'est pas cela. Le plus grand mal que je leur aie fait, c'est que j'ai eu le bonheur de plaire un peu plus qu'ils n'auroient voulu ; et tout leur procédé, depuis que nous sommes venus à Paris, a trop marqué ce qui les -touche. Mais laissons−les faire tant qu'ils voudront ; toutes leurs entreprises ne doivent point m'inquiéter +touche. Mais laissons−les faire tant qu'ils voudront ; toutes leurs entreprises ne doivent point m'inquiéter. Ils critiquent mes pièces ; tant mieux ; et Dieu me garde d'en faire jamais qui leur plaise ! Ce seroit une mauvaise affaire pour moi. Mademoiselle de Brie Il n'y a pas grand plaisir pourtant à voir déchirer ses ouvrages. Molière -Et qu'est−ce que cela me fait ? N'ai−je pas obtenu de ma comédie tout ce que j'en voulois obtenir, puisqu -a eu le bonheur d'agréer aux augustes personnes à qui particulièrement je m'efforce de plaire ? N'ai−je pa +Et qu'est−ce que cela me fait ? N'ai−je pas obtenu de ma comédie tout ce que j'en voulois obtenir, puisqu'elle +a eu le bonheur d'agréer aux augustes personnes à qui particulièrement je m'efforce de plaire ? N'ai−je pas lieu d'être satisfait de sa destinée, et toutes leurs censures ne viennent−elles pas trop tard ? Est−ce moi, je vous prie, que cela regarde maintenant ? et lorsqu'on attaque une pièce qui a eu du succès, n'est−ce pas attaquer plutôt le jugement de ceux qui l'ont approuvée que l'art de celui qui l'a faite ? Mademoiselle de Brie -Ma foi, j'aurois joué ce petit Monsieur l'auteur, qui se mêle d'écrire contre des gens qui ne songent pas à l +Ma foi, j'aurois joué ce petit Monsieur l'auteur, qui se mêle d'écrire contre des gens qui ne songent pas à lui. Molière -Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour que Monsieur Boursaut ! Je voudrois bien savoir de quell +Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour que Monsieur Boursaut ! Je voudrois bien savoir de quelle façon on pourroit l'ajuster pour le rendre plaisant, et si, quand on le berneroit sur un théâtre, il seroit assez -heureux pour faire rire le monde. Ce lui seroit trop d'honneur que d'être joué devant une auguste assemblé -il ne demanderoit pas mieux ; et il m'attaque de gaieté de coeur, pour se faire connoître de quelque façon -ce soit. C'est un homme qui n'a rien à perdre, et les comédiens ne me l'ont déchaîné que pour m'engager à +heureux pour faire rire le monde. Ce lui seroit trop d'honneur que d'être joué devant une auguste assemblée : +il ne demanderoit pas mieux ; et il m'attaque de gaieté de coeur, pour se faire connoître de quelque façon que +ce soit. C'est un homme qui n'a rien à perdre, et les comédiens ne me l'ont déchaîné que pour m'engager à une sotte guerre, et me détourner, par cet artifice, des autres ouvrages que j'ai à faire ; et cependant, vous êtes -assez simples pour donner toutes dans ce panneau. Mais enfin j'en ferai ma déclaration publiquement. Je n -prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre−critiques. Qu'ils disent tous les maux -monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en saisissent après nous, qu'ils les retournent comme un h +assez simples pour donner toutes dans ce panneau. Mais enfin j'en ferai ma déclaration publiquement. Je ne +prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre−critiques. Qu'ils disent tous les maux du +monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en saisissent après nous, qu'ils les retournent comme un habit pour les mettre sur leur théâtre, et tâchent à profiter de quelque agrément qu'on y trouve, et d'un peu de -bonheur que j'ai, j'y consens : ils en ont besoin, et je serai bien aise de contribuer à les faire subsister, pou -qu'ils se contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes ; -y a des choses qui ne font rire ni les spectateurs, ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon coeur m -ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix, et ma façon de réciter, pour en faire et dir -tout ce qu'il leur plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage : je ne m'oppose point à toutes ces choses, +bonheur que j'ai, j'y consens : ils en ont besoin, et je serai bien aise de contribuer à les faire subsister, pourvu +qu'ils se contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes ; et il +y a des choses qui ne font rire ni les spectateurs, ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon coeur mes +ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix, et ma façon de réciter, pour en faire et dire +tout ce qu'il leur plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage : je ne m'oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde. Mais, en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la -grâce de me laisser le reste et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m -dit qu'ils m'attaquoient dans leurs comédies. C'est de quoi je prierai civilement cet honnête Monsieur qui +grâce de me laisser le reste et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m'a +dit qu'ils m'attaquoient dans leurs comédies. C'est de quoi je prierai civilement cet honnête Monsieur qui se mêle d'écrire pour eux, et voilà toute la réponse qu'ils auront de moi. Mademoiselle Béjart Mais enfin... Molière -Mais enfin, vous me feriez devenir fou. Ne parlons point de cela davantage ; nous nous amusons à faire d +Mais enfin, vous me feriez devenir fou. Ne parlons point de cela davantage ; nous nous amusons à faire des discours, au lieu de répéter notre comédie. Où en étions−nous ? Je ne m'en souviens plus. Mademoiselle de Brie Vous en étiez à l'endroit... Molière -Mon Dieu ! j'entends du bruit : c'est le Roi qui arrive assurément ; et je vois bien que nous n'aurons pas -temps de passer outre. Voilà ce que c'est de s'amuser. Oh bien ! faites donc pour le reste du mieux qu'il v +Mon Dieu ! j'entends du bruit : c'est le Roi qui arrive assurément ; et je vois bien que nous n'aurons pas le +temps de passer outre. Voilà ce que c'est de s'amuser. Oh bien ! faites donc pour le reste du mieux qu'il vous sera possible. Mademoiselle Béjart Par ma foi, la frayeur me prend, et je ne saurois aller jouer mon rôle, si je ne le répète tout entier. @@ -18634,9 +18634,9 @@ Béjart, Molière, etc. Béjart Messieurs, je viens vous avertir que le Roi est venu, et qu'il attend que vous commenciez. Molière -Ah ! Monsieur, vous me voyez dans la plus grande peine du monde, je suis désespéré à l'heure que je vou +Ah ! Monsieur, vous me voyez dans la plus grande peine du monde, je suis désespéré à l'heure que je vous parle ! Voici des femmes qui s'effrayent et qui disent qu'il leur faut répéter leurs rôles avant que d'aller -commencer. Nous demandons, de grâce, encore un moment. Le Roi a de la bonté, et il sait bien que la cho +commencer. Nous demandons, de grâce, encore un moment. Le Roi a de la bonté, et il sait bien que la chose a été précipitée. Eh ! de grâce, tâchez de vous remettre, prenez courage, je vous prie. Mademoiselle du parc Vous devez vous aller excuser. @@ -18659,7 +18659,7 @@ Molière, Mlle Béjart, etc. Autre Nécessaire Messieurs, commencez donc. Molière -Oui, Monsieur, nous y allons. Eh ! que de gens se font de fête, et viennent dire : "Commencez donc", à q +Oui, Monsieur, nous y allons. Eh ! que de gens se font de fête, et viennent dire : "Commencez donc", à qui le Roi ne l'a pas commandé ! Scène X Molière, Mlle Béjart, etc. @@ -18672,11 +18672,11 @@ Béjart, Molière, etc. Molière Monsieur, vous venez pour nous dire de commencer, mais... Béjart -Non, Messieurs, je viens pour vous dire qu'on a dit au Roi l'embarras où vous vous trouviez, et que, par u -bonté toute particulière, il remet votre nouvelle comédie à une autre fois, et se contente, pour aujourd'hui, +Non, Messieurs, je viens pour vous dire qu'on a dit au Roi l'embarras où vous vous trouviez, et que, par une +bonté toute particulière, il remet votre nouvelle comédie à une autre fois, et se contente, pour aujourd'hui, de la première que vous pourrez donner. Molière -Ah ! Monsieur, vous me redonnez la vie ! Le Roi nous fait la plus grande grâce du monde de nous donne +Ah ! Monsieur, vous me redonnez la vie ! Le Roi nous fait la plus grande grâce du monde de nous donner du temps pour ce qu'il avoit souhaité, et nous allons tous le remercier des extrêmes bontés qu'il nous fait paroître. Le Mariage forcé @@ -18716,7 +18716,7 @@ Pour vous communiquer une affaire que j'ai en tête, et vous prier de m'en dire Géronimo Très−volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre, et nous pouvons parler ici en toute liberté. Sganarelle -Mettez donc dessus, s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence, que l'on m'a proposée ; et il est b +Mettez donc dessus, s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence, que l'on m'a proposée ; et il est bon de ne rien faire sans le conseil de ses amis. Géronimo Je vous suis obligé de m'avoir choisi pour cela. Vous n'avez qu'à me dire ce que c'est. @@ -18783,23 +18783,23 @@ Combien y a−t−il que vous êtes revenu ici ? Sganarelle Je revins en cinquante−six. Géronimo -De cinquante−six à soixante−huit, il y a douze ans, ce me semble. Cinq ans en Hollande, font dix−sept ; +De cinquante−six à soixante−huit, il y a douze ans, ce me semble. Cinq ans en Hollande, font dix−sept ; sept ans en Angleterre, font vingt−quatre ; huit dans notre séjour à Rome font trente−deux ; et vingt que vous -aviez lorsque nous nous connûmes, cela fait justement cinquante−deux : si bien, seigneur Sganarelle, que -sur votre propre confession, vous êtes environ à votre cinquante−deuxième ou cinquante−troisième année +aviez lorsque nous nous connûmes, cela fait justement cinquante−deux : si bien, seigneur Sganarelle, que, +sur votre propre confession, vous êtes environ à votre cinquante−deuxième ou cinquante−troisième année. Sganarelle Qui, moi ? Cela ne se peut pas. Géronimo Mon Dieu, le calcul est juste ; et là−dessus je vous dirai franchement et en ami, comme vous m'avez fait -promettre de vous parler, que le mariage n'est guère votre fait. C'est une chose à laquelle il faut que les jeu +promettre de vous parler, que le mariage n'est guère votre fait. C'est une chose à laquelle il faut que les jeunes gens pensent bien mûrement avant que de la faire ; mais les gens de votre âge n'y doivent point penser du -tout ; et si l'on dit que la plus grande de toutes les folies est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal +tout ; et si l'on dit que la plus grande de toutes les folies est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos que de la faire, cette folie, dans la saison où nous devons être plus sages. Enfin je vous en dis -nettement ma pensée. Je ne vous conseille point de songer au mariage ; et je vous trouverois le plus ridicu -du monde, si, ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante de +nettement ma pensée. Je ne vous conseille point de songer au mariage ; et je vous trouverois le plus ridicule +du monde, si, ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante des chaînes. Sganarelle -Et moi je vous dis que je suis résolu de me marier, et que je ne serai point ridicule en épousant la fille que +Et moi je vous dis que je suis résolu de me marier, et que je ne serai point ridicule en épousant la fille que je recherche. Géronimo Ah ! c'est une autre chose : vous ne m'aviez pas dit cela. @@ -18817,8 +18817,8 @@ Géronimo Oh ! mariez−vous donc : je ne dis plus mot. Sganarelle Je quitterois le dessein que j'ai fait ? Vous semble−t−il, seigneur Géronimo, que je ne sois plus propre à -songer à une femme ? Ne parlons point de l'âge que je puis avoir ; mais regardons seulement les choses. -a−t−il homme de trente ans qui paroisse plus frais et plus vigoureux que vous me voyez ? N'ai−je pas tou +songer à une femme ? Ne parlons point de l'âge que je puis avoir ; mais regardons seulement les choses. Y +a−t−il homme de trente ans qui paroisse plus frais et plus vigoureux que vous me voyez ? N'ai−je pas tous les mouvements de mon corps aussi bons que jamais, et voit−on que j'aie besoin de carrosse ou de chaise pour cheminer ? N'ai−je pas encore toutes mes dents, les meilleures du monde ? Ne fais−je pas vigoureusement mes quatre repas par jour, et peut−on voir un estomac qui ait plus de force que le mien ? @@ -18827,12 +18827,12 @@ Géronimo Vous avez raison ; je m'étois trompé : vous ferez bien de vous marier. Sganarelle J'y ai répugné autrefois ; mais j'ai maintenant de puissantes raisons pour cela. Outre la joie que j'aurai de -posséder une belle femme, qui me fera mille caresses, qui me dorlotera et me viendra frotter lorsque je se -las, outre cette joie, dis−je, je considère qu'en demeurant comme je suis, je laisse périr dans le monde la ra -des Sganarelles, et qu'en me mariant, je pourrai me voir revivre en d'autres moi−mêmes, que j'aurai le pla -de voir des créatures qui seront sorties de moi, de petites figures qui me ressembleront comme deux goutt -d'eau, qui se joueront continuellement dans la maison, qui m'appelleront leur papa quand je reviendrai de -ville et me diront de petites folies les plus agréables du monde. Tenez, il me semble déjà que j'y suis, et qu +posséder une belle femme, qui me fera mille caresses, qui me dorlotera et me viendra frotter lorsque je serai +las, outre cette joie, dis−je, je considère qu'en demeurant comme je suis, je laisse périr dans le monde la race +des Sganarelles, et qu'en me mariant, je pourrai me voir revivre en d'autres moi−mêmes, que j'aurai le plaisir +de voir des créatures qui seront sorties de moi, de petites figures qui me ressembleront comme deux gouttes +d'eau, qui se joueront continuellement dans la maison, qui m'appelleront leur papa quand je reviendrai de la +ville et me diront de petites folies les plus agréables du monde. Tenez, il me semble déjà que j'y suis, et que j'en vois une demi−douzaine autour de moi. Géronimo Il n'y a rien de plus agréable que cela ; et je vous conseille de vous marier le plus vite que vous pourrez. @@ -18869,17 +18869,17 @@ N'ai−je pas raison d'avoir fait ce choix ? Géronimo Sans doute. Ah ! que vous serez bien marié ? Dépêchez−vous de l'être. Sganarelle -Vous me comblez de joie, de me dire cela. Je vous remercie de votre conseil, et je vous invite ce soir à me +Vous me comblez de joie, de me dire cela. Je vous remercie de votre conseil, et je vous invite ce soir à mes noces. Géronimo Je n'y manquerai pas, et je veux y aller en masque, afin de les mieux honorer. Sganarelle Serviteur. Géronimo -La jeune Dorimène, fille du seigneur Alcantor, avec le seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquante−trois an +La jeune Dorimène, fille du seigneur Alcantor, avec le seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquante−trois ans : ô le beau mariage ! ô le beau mariage ! Sganarelle -Ce mariage doit être heureux, car il donne de la joie à tout le monde, et je fais rire tous ceux à qui j'en par +Ce mariage doit être heureux, car il donne de la joie à tout le monde, et je fais rire tous ceux à qui j'en parle. Me voilà maintenant le plus content des hommes. Scène II Dorimène, Sganarelle @@ -18892,40 +18892,40 @@ homme qui n'ait en la voyant des démangeaisons de se marier ? Où allez−vous Dorimène Je vais faire quelques emplettes. Sganarelle -Hé bien ! ma belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un et l'autre. Vous ne serez plus en dro -de me rien refuser ; et je pourrai faire avec vous tout ce qu'il me plaira, sans que personne s'en scandalise -Vous allez être à moi depuis la tête jusqu'aux pieds, et je serai maître de tout : de vos petits yeux éveillés -votre petit nez fripon, de vos lèvres appétissantes, de vos oreilles amoureuses, de votre petit menton joli, d -vos petits tetons rondelets, de votre... ; enfin, toute votre personne sera à ma discrétion, et je serai à mêm +Hé bien ! ma belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un et l'autre. Vous ne serez plus en droit +de me rien refuser ; et je pourrai faire avec vous tout ce qu'il me plaira, sans que personne s'en scandalise. +Vous allez être à moi depuis la tête jusqu'aux pieds, et je serai maître de tout : de vos petits yeux éveillés, de +votre petit nez fripon, de vos lèvres appétissantes, de vos oreilles amoureuses, de votre petit menton joli, de +vos petits tetons rondelets, de votre... ; enfin, toute votre personne sera à ma discrétion, et je serai à même pour vous caresser comme je voudrai. N'êtes−vous pas bien aise de ce mariage, mon aimable pouponne ? Dorimène -Tout à fait aise, je vous jure ; car enfin la sévérité de mon père m'a tenue jusques ici dans une sujétion la +Tout à fait aise, je vous jure ; car enfin la sévérité de mon père m'a tenue jusques ici dans une sujétion la plus fâcheuse du monde. Il y a je ne sais combien que j'enrage du peu de liberté qu'il me donne, et j'ai cent fois souhaité qu'il me mariât, pour sortir promptement de la contrainte où j'étois avec lui, et me voir en état de -faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela, et je me prépare désormais à -donner du divertissement, et à réparer comme il faut le temps que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort gal +faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela, et je me prépare désormais à me +donner du divertissement, et à réparer comme il faut le temps que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort galant homme, et que vous savez comme il faut vivre, je crois que nous ferons le meilleur ménage du monde -ensemble, et que vous ne serez point de ces maris incommodes qui veulent que leurs femmes vivent comm -des loups−garous. Je vous avoue que je ne m'accommoderois pas de cela, et que la solitude me désespère +ensemble, et que vous ne serez point de ces maris incommodes qui veulent que leurs femmes vivent comme +des loups−garous. Je vous avoue que je ne m'accommoderois pas de cela, et que la solitude me désespère. J'aime le jeu, les visites, les assemblées, les cadeaux et les promenades, en un mot, toutes les choses de plaisir, et vous devez être ravi d'avoir une femme de mon humeur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé -ensemble, et je ne vous contraindrai point dans vos actions, comme j'espère que, de votre côté, vous ne m -contraindrez point dans les miennes ; car, pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaisance mutuelle, e -qu'on ne se doit point marier pour se faire enrager l'un l'autre. Enfin nous vivrons, étant mariés, comme de +ensemble, et je ne vous contraindrai point dans vos actions, comme j'espère que, de votre côté, vous ne me +contraindrez point dans les miennes ; car, pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaisance mutuelle, et +qu'on ne se doit point marier pour se faire enrager l'un l'autre. Enfin nous vivrons, étant mariés, comme deux personnes qui savent leur monde. Aucun soupçon jaloux ne nous troublera la cervelle ; et c'est assez que vous serez assuré de ma fidélité, comme je serai persuadée de la vôtre. Mais qu'avez−vous ? je vous vois tout changé de visage. Sganarelle Ce sont quelques vapeurs qui me viennent de monter à la tête. Dorimène -C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de gens ; mais notre mariage vous dissipera tout cela. Adie +C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de gens ; mais notre mariage vous dissipera tout cela. Adieu. Il me tarde déjà que je n'aie des habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les choses qu'il me faut, et je vous envoyrai les marchands. Scène III Géronimo, Sganarelle Géronimo -Ah ! seigneur Sganarelle, je suis ravi de vous trouver encore ici ; et j'ai rencontré un orfèvre qui, sur le b -que vous cherchez quelque beau diamant en bague pour faire un présent à votre épouse, m'a fort prié de v +Ah ! seigneur Sganarelle, je suis ravi de vous trouver encore ici ; et j'ai rencontré un orfèvre qui, sur le bruit +que vous cherchez quelque beau diamant en bague pour faire un présent à votre épouse, m'a fort prié de vous venir parler pour lui, et de vous dire qu'il en a un à vendre, le plus parfait du monde. Sganarelle Mon Dieu ! cela n'est pas pressé. @@ -18933,15 +18933,15 @@ Géronimo Comment ? que veut dire cela ? Où est l'ardeur que vous montriez tout à l'heure ? Sganarelle Il m'est venu, depuis un moment, de petits scrupules sur le mariage. Avant que de passer plus avant, je -voudrois bien agiter à fond cette matière, et que l'on m'expliquât un songe que j'ai fait cette nuit, et qui vie -tout à l'heure de me revenir dans l'esprit. Vous savez que les songes sont comme des miroirs, où l'on déco -quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me sembloit que j'étois dans un vaisseau, sur une mer bien agi +voudrois bien agiter à fond cette matière, et que l'on m'expliquât un songe que j'ai fait cette nuit, et qui vient +tout à l'heure de me revenir dans l'esprit. Vous savez que les songes sont comme des miroirs, où l'on découvre +quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me sembloit que j'étois dans un vaisseau, sur une mer bien agitée, et que... Géronimo -Seigneur Sganarelle, j'ai maintenant quelque petite affaire qui m'empêche de vous ouïr. Je n'entends rien d +Seigneur Sganarelle, j'ai maintenant quelque petite affaire qui m'empêche de vous ouïr. Je n'entends rien du tout aux songes ; et quant au raisonnement du mariage, vous avez deux savants, deux philosophes vos -voisins, qui sont gens à vous débiter tout ce qu'on peut dire sur ce sujet. Comme ils sont de sectes différen -vous pouvez examiner leurs diverses opinions là−dessus. Pour moi, je me contente de ce que je vous ai di +voisins, qui sont gens à vous débiter tout ce qu'on peut dire sur ce sujet. Comme ils sont de sectes différentes, +vous pouvez examiner leurs diverses opinions là−dessus. Pour moi, je me contente de ce que je vous ai dit tantôt et demeure votre serviteur. Sganarelle Il a raison. Il faut que je consulte un peu ces gens−là sur l'incertitude où je suis. @@ -18952,7 +18952,7 @@ Allez, vous êtes un impertinent, mon ami, un homme bannissable de la républiqu Sganarelle Ah ! bon, en voici un fort à propos. Pancrace -Oui, je te soutiendrai par vives raisons que tu es un ignorant, ignorantissime, ignorantifiant et ignorantifié +Oui, je te soutiendrai par vives raisons que tu es un ignorant, ignorantissime, ignorantifiant et ignorantifié par tous les cas et modes imaginables. Sganarelle Il a pris querelle contre quelqu'un. Seigneur... @@ -18981,7 +18981,7 @@ La majeure en est inepte, la mineure impertinente et la conclusion ridicule. Sganarelle Je... Pancrace -Je crèverois plutôt que d'avouer ce que tu dis, et je soutiendrai mon opinion jusqu'à la dernière goutte de m +Je crèverois plutôt que d'avouer ce que tu dis, et je soutiendrai mon opinion jusqu'à la dernière goutte de mon encre. Sganarelle Puis−je ? ... @@ -18994,26 +18994,26 @@ Un sujet le plus juste du monde. Sganarelle Et quoi, encore ? Pancrace -Un ignorant m'a voulu soutenir une proposition erronée, une proposition épouvantable, effroyable, exécra +Un ignorant m'a voulu soutenir une proposition erronée, une proposition épouvantable, effroyable, exécrable. Sganarelle Puis−je demander ce que c'est ? Pancrace Ah ! seigneur Sganarelle, tout est renversé aujourd'hui, et le monde est tombé dans une corruption -générale ; une licence épouvantable règne partout ; et les magistrats, qui sont établis pour maintenir l'ord +générale ; une licence épouvantable règne partout ; et les magistrats, qui sont établis pour maintenir l'ordre dans cet Etat, devroient rougir de honte, en souffrant un scandale aussi intolérable que celui dont je veux parler. Sganarelle Quoi donc ? Pancrace -N'est−ce pas une chose horrible, une chose qui crie vengeance au Ciel, que d'endurer qu'on dise publiquem +N'est−ce pas une chose horrible, une chose qui crie vengeance au Ciel, que d'endurer qu'on dise publiquement la forme d'un chapeau ? Sganarelle Comment ? Pancrace -Je soutiens qu'il faut dire la figure d'un chapeau, et non pas la forme ; d'autant qu'il y a cette différence en +Je soutiens qu'il faut dire la figure d'un chapeau, et non pas la forme ; d'autant qu'il y a cette différence entre la forme et la figure, que la forme est la disposition extérieure des corps qui sont animés, et la figure, la -disposition extérieure des corps qui sont inanimés ; et puisque le chapeau est un corps inanimé, il faut dir -figure d'un chapeau et non pas la forme. Oui, ignorant que vous êtes, c'est comme il faut parler ; et ce son +disposition extérieure des corps qui sont inanimés ; et puisque le chapeau est un corps inanimé, il faut dire la +figure d'un chapeau et non pas la forme. Oui, ignorant que vous êtes, c'est comme il faut parler ; et ce sont les termes exprès d'Aristote dans le chapitre de la Qualité. Sganarelle Je pensois que tout fût perdu. Seigneur Docteur, ne songez plus à tout cela. Je... @@ -19040,14 +19040,14 @@ Cela est vrai. Je... Pancrace En termes exprès. Sganarelle -Vous avez raison. Oui, vous êtes un sot et un impudent de vouloir disputer contre un docteur qui sait lire e -écrire. Voilà qui est fait : je vous prie de m'écouter. Je viens vous consulter sur une affaire qui m'embarra -J'ai dessein de prendre une femme pour me tenir compagnie dans mon ménage. La personne est belle et b -faite ; elle me plaît beaucoup, et est ravie de m'épouser. Son père me l'a accordée ; mais je crains un peu -que vous savez, la disgrâce dont on ne plaint personne ; et je voudrois bien vous prier, comme philosoph +Vous avez raison. Oui, vous êtes un sot et un impudent de vouloir disputer contre un docteur qui sait lire et +écrire. Voilà qui est fait : je vous prie de m'écouter. Je viens vous consulter sur une affaire qui m'embarrasse. +J'ai dessein de prendre une femme pour me tenir compagnie dans mon ménage. La personne est belle et bien +faite ; elle me plaît beaucoup, et est ravie de m'épouser. Son père me l'a accordée ; mais je crains un peu ce +que vous savez, la disgrâce dont on ne plaint personne ; et je voudrois bien vous prier, comme philosophe, de me dire votre sentiment. Eh ! quel est votre avis là−dessus ? Pancrace -Plutôt que d'accorder qu'il faille dire la forme d'un chapeau, j'accorderois que datur vacuum in rerum natu +Plutôt que d'accorder qu'il faille dire la forme d'un chapeau, j'accorderois que datur vacuum in rerum natura, et que je ne suis qu'une bête. Sganarelle La peste soit de l'homme ! Eh ! Monsieur le Docteur, écoutez un peu les gens. On vous parle une heure @@ -19117,7 +19117,7 @@ Ah ! françois. Sganarelle Fort bien. Pancrace -Passez donc de l'autre côté ; car cette oreille−ci est destinée pour les langues scientifiques et étrangères, e +Passez donc de l'autre côté ; car cette oreille−ci est destinée pour les langues scientifiques et étrangères, et l'autre est pour la maternelle. Sganarelle Il faut bien des cérémonies avec ces sortes de gens−ci ! @@ -19130,7 +19130,7 @@ Sur une difficulté de philosophie, sans doute ? Sganarelle Pardonnez−moi : je... Pancrace -Vous voulez peut−être savoir si la substance et l'accident sont termes synonymes ou équivoques à l'égard +Vous voulez peut−être savoir si la substance et l'accident sont termes synonymes ou équivoques à l'égard de l'Etre ? Sganarelle Point du tout. Je... @@ -19167,22 +19167,22 @@ Expliquez donc votre pensée, car je ne puis pas la deviner. Sganarelle Je vous la veux expliquer aussi ; mais il faut m'écouter. Sganarelle, en même temps que le Docteur. -L'affaire que j'ai à vous dire, c'est que j'ai envie de me marier avec une fille qui est jeune et belle. Je l'aim +L'affaire que j'ai à vous dire, c'est que j'ai envie de me marier avec une fille qui est jeune et belle. Je l'aime fort, et l'ai demandée à son père ; mais, comme j'appréhende... Pancrace, en même temps que Sganarelle. -La parole a été donnée à l'homme pour expliquer sa pensée ; et tout ainsi que les pensées sont les portrait +La parole a été donnée à l'homme pour expliquer sa pensée ; et tout ainsi que les pensées sont les portraits des choses, de même nos paroles sont−elles les portraits de nos pensées ; mais ces portraits diffèrent des autres portraits en ce que les autres portraits sont distingués partout de leurs originaux, et que la parole -enferme en soi son original, puisqu'elle n'est autre chose que la pensée expliquée par un signe extérieur : -vient que ceux qui pensent bien sont aussi ceux qui parlent le mieux. Expliquez−moi donc votre pensée p +enferme en soi son original, puisqu'elle n'est autre chose que la pensée expliquée par un signe extérieur : d'où +vient que ceux qui pensent bien sont aussi ceux qui parlent le mieux. Expliquez−moi donc votre pensée par la parole, qui est le plus intelligible de tous les signes. Sganarelle. Il repousse le Docteur dans sa maison, et tire la porte pour l'empêcher de sortir. Peste de l'homme ! Pancrace, au dedans de la maison. Oui, la parole est animi index et speculum ; c'est le truchement du coeur, c'est l'image de l'âme. (Pancrace monte à la fenêtre et continue, et Sganarelle quitte la porte.) -C'est un miroir qui nous représente naïvement les secrets les plus arcanes de nos individus. Et puisque vou -avez la faculté de ratiociner et de parler tout ensemble, à quoi tient−il que vous ne vous serviez de la paro +C'est un miroir qui nous représente naïvement les secrets les plus arcanes de nos individus. Et puisque vous +avez la faculté de ratiociner et de parler tout ensemble, à quoi tient−il que vous ne vous serviez de la parole pour me faire entendre votre pensée ? Sganarelle C'est ce que je veux faire ; mais vous ne voulez pas m'écouter. @@ -19205,7 +19205,7 @@ Je vous... Pancrace Point d'ambages, de circonlocution. (Sganarelle, de dépit de ne pouvoir parler, ramasse des pierres pour en casser la tête du Docteur.) -Hé quoi ? vous vous emportez, au lieu de vous expliquer. Allez, vous êtes plus impertinent que celui qui +Hé quoi ? vous vous emportez, au lieu de vous expliquer. Allez, vous êtes plus impertinent que celui qui m'a voulu soutenir qu'il faut dire la forme d'un chapeau ; et je vous prouverai, en toute rencontre, par raisons démonstratives et convaincantes, et par arguments in barbara, que vous n'êtes et ne serez jamais qu'une pécore, et que je suis et serai toujours, in utroque jure, le docteur Pancrace. @@ -19217,25 +19217,25 @@ Homme de lettre, homme d'érudition. Sganarelle Encore... Pancrace -Homme de suffisance, homme de capacité, (s'en allant) homme consommé dans toutes les sciences nature -morales et politiques, (revenant) homme savant, savantissime per omnes modos et casus, (s'en allant) hom -qui possède superlative fables, mythologies et histoires, (revenant) grammaire, poésie, rhétorique, dialecti -et sophistique, (s'en allant) mathématique, arithmétique, optique, onirocritique, physique et métaphysique +Homme de suffisance, homme de capacité, (s'en allant) homme consommé dans toutes les sciences naturelles, +morales et politiques, (revenant) homme savant, savantissime per omnes modos et casus, (s'en allant) homme +qui possède superlative fables, mythologies et histoires, (revenant) grammaire, poésie, rhétorique, dialectique +et sophistique, (s'en allant) mathématique, arithmétique, optique, onirocritique, physique et métaphysique, (revenant) cosmimométrie, géométrie, architecture, spéculoire et spéculatoire, (en s'en allant) médecine, astronomie, astrologie, physionomie, métoposcopie, chiromancie, géomancie, etc. Sganarelle -Au diable les savants qui ne veulent point écouter les gens ! On me l'avoit bien dit, que son maître Aristo +Au diable les savants qui ne veulent point écouter les gens ! On me l'avoit bien dit, que son maître Aristote n'étoit rien qu'un bavard. Il faut que j'aille trouver l'autre ; il est plus posé, et plus raisonnable. Holà ! Scène V Marphurius, Sganarelle Marphurius Que voulez−vous de moi, seigneur Sganarelle ? Sganarelle -Seigneur Docteur, j'aurois besoin de votre conseil sur une petite affaire dont il s'agit, et je suis venu ici po +Seigneur Docteur, j'aurois besoin de votre conseil sur une petite affaire dont il s'agit, et je suis venu ici pour cela. Ah ! voilà qui va bien : il écoute le monde celui−ci. Marphurius Seigneur Sganarelle, changez, s'il vous plaît, cette façon de parler. Notre philosophie ordonne de ne point -énoncer de proposition décisive, de parler de tout avec incertitude, de suspendre toujours son jugement ; +énoncer de proposition décisive, de parler de tout avec incertitude, de suspendre toujours son jugement ; et, par cette raison, vous ne devez pas dire : "Je suis venu ; " mais "Il me semble que je suis venu." Sganarelle Il me semble ! @@ -19254,8 +19254,8 @@ Quoi ? je ne suis pas ici, et vous ne me parlez pas ? Marphurius Il m'apparoît que vous êtes là, et il me semble que je vous parle ; mais il n'est pas assuré que cela soit. Sganarelle -Eh ! que diable ! vous vous moquez. Me voilà, et vous voilà bien nettement, et il n'y a point de me semb -tout cela. Laissons ces subtilités, je vous prie, et parlons de mon affaire. Je viens vous dire que j'ai envie d +Eh ! que diable ! vous vous moquez. Me voilà, et vous voilà bien nettement, et il n'y a point de me semble à +tout cela. Laissons ces subtilités, je vous prie, et parlons de mon affaire. Je viens vous dire que j'ai envie de me marier. Marphurius Je n'en sais rien. @@ -19325,7 +19325,7 @@ Marphurius Comment ? Quelle insolence ! M'outrager de la sorte ! Avoir eu l'audace de battre un philosophe comme moi ! Sganarelle -Corrigez, s'il vous plaît, cette manière de parler. Il faut douter de toutes choses, et vous ne devez pas dire +Corrigez, s'il vous plaît, cette manière de parler. Il faut douter de toutes choses, et vous ne devez pas dire que je vous ai battu, mais qu'il vous semble que je vous ai battu. Marphurius Ah ! je m'en vais faire ma plainte au commissaire du quartier des coups que j'ai reçus. @@ -19351,7 +19351,7 @@ Marphurius Laisse−moi faire. Sganarelle Comment ? on ne sauroit tirer une parole positive de ce chien d'homme−là, et l'on est aussi savant à la fin -qu'au commencement. Que dois−je faire dans l'incertitude des suites de mon mariage ? Jamais homme ne +qu'au commencement. Que dois−je faire dans l'incertitude des suites de mon mariage ? Jamais homme ne fut plus embarrassé que je suis. Ah ! voici des Egyptiennes ; il faut que je me fasse dire par elles ma bonne aventure. Scène VI @@ -19362,7 +19362,7 @@ Elles sont gaillardes. Ecoutez, vous autres, y a−t−il moyen de me dire ma bo I. Egyptienne Oui, mon bon Monsieur, nous voici deux qui te la diront. 2. Egyptienne -Tu n'as seulement qu'à nous donner ta main, avec la croix dedans, et nous te dirons quelque chose pour to +Tu n'as seulement qu'à nous donner ta main, avec la croix dedans, et nous te dirons quelque chose pour ton bon profit. Sganarelle Tenez, les voilà toutes deux avec ce que vous demandez. @@ -19408,8 +19408,8 @@ Oui, si je le serai ou non ? (Toutes deux chantent et dansent : La, la, la, la...) Sganarelle Peste soit des carognes, qui me laissent dans l'inquiétude ! Il faut absolument que je sache la destinée de -mon mariage ; et pour cela, je veux aller trouver ce grand magicien dont tout le monde parle tant, et qui, -son art admirable, fait voir tout ce que l'on souhaite. Ma foi, je crois que je n'ai que faire d'aller au magici +mon mariage ; et pour cela, je veux aller trouver ce grand magicien dont tout le monde parle tant, et qui, par +son art admirable, fait voir tout ce que l'on souhaite. Ma foi, je crois que je n'ai que faire d'aller au magicien, et voici qui me montre tout ce que je puis demander. Scène VII Dorimène, Lycaste, Sganarelle @@ -19426,15 +19426,15 @@ Et vos noces se feront dès ce soir ? Dorimène Dès ce soir. Lycaste -Et vous pouvez, cruelle que vous êtes, oublier de la sorte l'amour que j'ai pour vous, et les obligeantes par +Et vous pouvez, cruelle que vous êtes, oublier de la sorte l'amour que j'ai pour vous, et les obligeantes paroles que vous m'aviez données ? Dorimène -Moi ? Point du tout. Je vous considère toujours de même, et ce mariage ne doit point vous inquiéter : c'e -un homme que je n'épouse point par amour, et sa seule richesse me fait résoudre à l'accepter. Je n'ai point -bien ; vous n'en avez point aussi, et vous savez que sans cela on passe mal le temps au monde, qu'à quelq -prix que ce soit, il faut tâcher d'en avoir. J'ai embrassé cette occasion−ci de me mettre à mon aise ; et je l -fait sur l'espérance de me voir bientôt délivrée du barbon que je prends. C'est un homme qui mourra avan -qu'il soit peu, et qui n'a tout au plus que six mois dans le ventre. Je vous le garantis défunt dans le temps q +Moi ? Point du tout. Je vous considère toujours de même, et ce mariage ne doit point vous inquiéter : c'est +un homme que je n'épouse point par amour, et sa seule richesse me fait résoudre à l'accepter. Je n'ai point de +bien ; vous n'en avez point aussi, et vous savez que sans cela on passe mal le temps au monde, qu'à quelque +prix que ce soit, il faut tâcher d'en avoir. J'ai embrassé cette occasion−ci de me mettre à mon aise ; et je l'ai +fait sur l'espérance de me voir bientôt délivrée du barbon que je prends. C'est un homme qui mourra avant +qu'il soit peu, et qui n'a tout au plus que six mois dans le ventre. Je vous le garantis défunt dans le temps que je dis ; et je n'aurai pas longuement à demander pour moi au Ciel l'heureux état de veuve. Ah ! nous parlions de vous, et nous en disions tout le bien qu'on en sauroit dire. Lycaste @@ -19442,7 +19442,7 @@ Est−ce là, Monsieur... ? Dorimène Oui, c'est Monsieur qui me prend pour femme. Lycaste -Agréez, Monsieur, que je vous félicite de votre mariage, et vous présente en même temps mes très−humb +Agréez, Monsieur, que je vous félicite de votre mariage, et vous présente en même temps mes très−humbles services. Je vous assure que vous épousez là une très−honnête personne ; et vous, Mademoiselle, je me réjouis avec vous aussi de l'heureux choix que vous avez fait. Vous ne pouviez pas mieux trouver, et Monsieur a toute la mine d'être un fort bon mari. Oui, Monsieur, je veux faire amitié avec vous, et lier @@ -19498,7 +19498,7 @@ Sganarelle Seigneur Alcantor, j'ai demandé votre fille en mariage, il est vrai, et vous me l'avez accordée ; mais je me trouve un peu avancé en âge pour elle, et je considère que je ne suis point du tout son fait. Alcantor -Pardonnez−moi, ma fille vous trouve bien comme vous êtes ; et je suis sûr qu'elle vivra fort contente ave +Pardonnez−moi, ma fille vous trouve bien comme vous êtes ; et je suis sûr qu'elle vivra fort contente avec vous. Sganarelle Point. J'ai parfois des bizarreries épouvantables, et elle auroit trop à souffrir de ma mauvaise humeur. @@ -19519,7 +19519,7 @@ Point du tout. Je vous l'ai promise ; et vous l'aurez en dépit de tous ceux qu Sganarelle Que diable ! Alcantor -Voyez−vous, j'ai une estime et une amitié pour vous toute particulière ; et je refuserois ma fille à un princ +Voyez−vous, j'ai une estime et une amitié pour vous toute particulière ; et je refuserois ma fille à un prince pour vous la donner. Sganarelle Seigneur Alcantor, je vous suis obligé de l'honneur que vous me faites, mais je vous déclare que je ne me @@ -19531,11 +19531,11 @@ Oui, moi. Alcantor Et la raison ? Sganarelle -La raison ? c'est que je ne me sens point propre pour le mariage, et que je veux imiter mon père, et tous c +La raison ? c'est que je ne me sens point propre pour le mariage, et que je veux imiter mon père, et tous ceux de ma race, qui ne se sont jamais voulu marier. Alcantor -Ecoutez, les volontés sont libres ; et je suis homme à ne contraindre jamais personne. Vous vous êtes eng -avec moi pour épouser ma fille, et tout est préparé pour cela ; mais puisque vous voulez retirer votre paro +Ecoutez, les volontés sont libres ; et je suis homme à ne contraindre jamais personne. Vous vous êtes engagé +avec moi pour épouser ma fille, et tout est préparé pour cela ; mais puisque vous voulez retirer votre parole, je vais voir ce qu'il y a à faire ; et vous aurez bientôt de mes nouvelles. Sganarelle Encore est−il plus raisonnable que je ne pensois, et je croyois avoir bien plus de peine à m'en dégager. Ma @@ -19565,7 +19565,7 @@ Oui, s'il vous plaît. Sganarelle A quoi bon ? Alcidas -Monsieur, comme vous refusez d'épouser ma soeur après la parole donnée, je crois que vous ne trouverez +Monsieur, comme vous refusez d'épouser ma soeur après la parole donnée, je crois que vous ne trouverez pas mauvais le petit compliment que je viens vous faire. Sganarelle Comment ? @@ -19596,9 +19596,9 @@ Tout de bon ? Sganarelle Tout de bon. Alcidas -Au moins, Monsieur, vous n'avez pas lieu de vous plaindre, et vous voyez que je fais les choses dans l'ord -Vous nous manquez de parole, je me veux battre contre vous ; vous refusez de vous battre, je vous donne -coups de bâton : tout cela est dans les formes ; et vous êtes trop honnête homme pour ne pas approuver m +Au moins, Monsieur, vous n'avez pas lieu de vous plaindre, et vous voyez que je fais les choses dans l'ordre. +Vous nous manquez de parole, je me veux battre contre vous ; vous refusez de vous battre, je vous donne des +coups de bâton : tout cela est dans les formes ; et vous êtes trop honnête homme pour ne pas approuver mon procédé. Sganarelle Quel diable d'homme est−ce ci ? @@ -19619,21 +19619,21 @@ Avec votre permission donc... Sganarelle Ah ! ah ! ah ! ah ! Alcidas -Monsieur, j'ai tous les regrets du monde d'être obligé d'en user ainsi avec vous ; mais je ne cesserai point +Monsieur, j'ai tous les regrets du monde d'être obligé d'en user ainsi avec vous ; mais je ne cesserai point, s'il vous plaît que vous n'ayez promis de vous battre, ou d'épouser ma soeur. Sganarelle Hé bien ! j'épouserai, j'épouserai... Alcidas -Ah ! Monsieur, je suis ravi que vous vous mettiez à la raison, et que les choses se passent doucement. Ca +Ah ! Monsieur, je suis ravi que vous vous mettiez à la raison, et que les choses se passent doucement. Car enfin vous êtes l'homme du monde que j'estime le plus, je vous jure ; et j'aurois été au désespoir que vous m'eussiez contraint à vous maltraiter. Je vais appeler mon père, pour lui dire que tout est d'accord. Scène X Alcantor, Alcidas, Sganarelle Alcidas -Mon père, voilà Monsieur, qui est tout à fait raisonnable. Il a voulu faire les choses de bonne grâce, et vou +Mon père, voilà Monsieur, qui est tout à fait raisonnable. Il a voulu faire les choses de bonne grâce, et vous pouvez lui donner ma soeur. Alcantor -Monsieur, voilà sa main, vous n'avez qu'à donner la vôtre. Loué soit le Ciel ! M'en voilà déchargé, et c'es +Monsieur, voilà sa main, vous n'avez qu'à donner la vôtre. Loué soit le Ciel ! M'en voilà déchargé, et c'est vous désormais que regarde le soin de sa conduite. Allons nous réjouir, et célébrer cet heureux mariage. La Princesse d'Elide Comédie Galante @@ -19700,7 +19700,7 @@ Allons, debout, vite debout : Pour la chasse ordonnée il faut préparer tout. Debout, vite debout, dépêchons, debout. Lyciscas, en s'éveillant. -Par là morbleu ! vous êtes de grands braillards, vous autres, et vous avez la gueule ouverte de bon matin +Par là morbleu ! vous êtes de grands braillards, vous autres, et vous avez la gueule ouverte de bon matin ? Musiciens Ne vois−tu pas le jour qui se répand partout ? Allons, debout, Lyciscas, debout. @@ -19740,7 +19740,7 @@ Pour la chasse ordonnée il faut préparer tout. Vite debout, dépêchons, debout. Lyciscas Eh bien ! laissez−moi : je vais me lever. Vous êtes d'étranges gens, de me tourmenter comme cela. Vous -serez cause que je ne me porterai pas bien de toute la journée, car, voyez−vous, le sommeil est nécessaire +serez cause que je ne me porterai pas bien de toute la journée, car, voyez−vous, le sommeil est nécessaire à l'homme ; et lorsqu'on ne dort pas sa réfection, il arrive... que... on est... Ier Lyciscas ! @@ -20202,20 +20202,20 @@ Uh, uh, uh. Voilà un écho qui est bouffon ! Scène II Un Ours, Moron Moron -Ah ! Monsieur l'ours, je suis votre serviteur de tout mon coeur. De grâce, épargnez−moi. Je vous assure q -je ne vaux rien du tout à manger, je n'ai que la peau et les os, et je vois de certaines gens là−bas qui seroie +Ah ! Monsieur l'ours, je suis votre serviteur de tout mon coeur. De grâce, épargnez−moi. Je vous assure que +je ne vaux rien du tout à manger, je n'ai que la peau et les os, et je vois de certaines gens là−bas qui seroient bien mieux votre affaire. Eh ! eh ! eh ! Monseigneur, tout doux, s'il vous plaît. Là, là, là, là. Ah ! Monseigneur, que Votre Altesse est jolie et bien faite ! Elle a tout à fait l'air galand et la taille la plus -mignonne du monde. Ah ! beau poil, belle tête, beaux yeux brillants et bien fendus ! Ah ! beau petit nez +mignonne du monde. Ah ! beau poil, belle tête, beaux yeux brillants et bien fendus ! Ah ! beau petit nez ! belle petite bouche ! petites quenottes jolies ! Ah ! belle gorge ! belles petites menottes ! petits ongles -bien faits A l'aide ! au secours ! je suis mort ! miséricorde ! Pauvre Moron ! Ah ! mon Dieu ! Et vite, +bien faits A l'aide ! au secours ! je suis mort ! miséricorde ! Pauvre Moron ! Ah ! mon Dieu ! Et vite, à moi, à moi, je suis perdu ! (Les chasseurs paroissent.) Eh ! Messieurs, ayez pitié de moi. Bon ! Messieurs, tuez−moi ce vilain animal−là. O Ciel, daigne les -assister ! Bon ! le voilà qui fuit. Le voilà qui s'arrête, et qui se jette sur eux. Bon ! en voilà un qui vient d +assister ! Bon ! le voilà qui fuit. Le voilà qui s'arrête, et qui se jette sur eux. Bon ! en voilà un qui vient de lui donner un coup dans la gueule. Les voilà tous à l'entour de lui. Courage ! ferme, allons, mes amis ! Bon ! poussez fort ! Encore ! Ah ! le voilà qui est à terre ; c'en est fait, il est mort. Descendons -maintenant, pour lui donner cent coups. Serviteur, Messieurs ; je vous rends grâce de m'avoir délivré de c +maintenant, pour lui donner cent coups. Serviteur, Messieurs ; je vous rends grâce de m'avoir délivré de cette bête. Maintenant que vous l'avez tuée, je m'en vais l'achever et en triompher avec vous. Acte II Scène I @@ -20265,27 +20265,27 @@ Si d'entre les mortels on bannissoit l'amour ? Non, non, tous les plaisirs se goûtent à le suivre, Et vivre sans aimer n'est pas proprement vivre. Avis. − Le dessein de l'auteur étoit de traiter ainsi toute la comédie. Mais un commandement du Roi qui -pressa cette affaire l'obligea d'achever tout le reste en prose, et de passer légèrement sur plusieurs scènes q +pressa cette affaire l'obligea d'achever tout le reste en prose, et de passer légèrement sur plusieurs scènes qu'il auroit étendues davantage s'il avoit eu plus de loisir. Aglante Pour moi, je tiens que cette passion est la plus agréable affaire de la vie ; qu'il est nécessaire d'aimer pour vivre heureusement, et que tous les plaisirs sont fades, s'il ne s'y mêle un peu d'amour. La Princesse -Pouvez−vous bien toutes deux, étant ce que vous êtes, prononcer ces paroles ? et ne devez−vous pas roug -d'appuyer une passion qui n'est qu'erreur, que foiblesse et qu'emportement, et dont tous les désordres ont t -de répugnance avec la gloire de notre sexe ? J'en prétends soutenir l'honneur jusqu'au dernier moment de -vie, et ne veux point du tout me commettre à ces gens qui font les esclaves auprès de nous, pour devenir u -jour nos tyrans. Toutes ces larmes, tous ces soupirs, tous ces hommages, tous ces respects sont des embûc +Pouvez−vous bien toutes deux, étant ce que vous êtes, prononcer ces paroles ? et ne devez−vous pas rougir +d'appuyer une passion qui n'est qu'erreur, que foiblesse et qu'emportement, et dont tous les désordres ont tant +de répugnance avec la gloire de notre sexe ? J'en prétends soutenir l'honneur jusqu'au dernier moment de ma +vie, et ne veux point du tout me commettre à ces gens qui font les esclaves auprès de nous, pour devenir un +jour nos tyrans. Toutes ces larmes, tous ces soupirs, tous ces hommages, tous ces respects sont des embûches qu'on tend à notre coeur, et qui souvent l'engagent à commettre des lâchetés. Pour moi, quand je regarde -certains exemples, et les bassesses épouvantables où cette passion ravale les personnes sur qui elle étend s -puissance, je sens tout mon coeur qui s'émeut ; et je ne puis souffrir qu'une âme qui fait profession d'un p +certains exemples, et les bassesses épouvantables où cette passion ravale les personnes sur qui elle étend sa +puissance, je sens tout mon coeur qui s'émeut ; et je ne puis souffrir qu'une âme qui fait profession d'un peu de fierté ne trouve pas une honte horrible à de telles foiblesses. Cynthie -Eh ! Madame, il est de certaines foiblesses qui ne sont point honteuses, et qu'il est beau même d'avoir dan +Eh ! Madame, il est de certaines foiblesses qui ne sont point honteuses, et qu'il est beau même d'avoir dans les plus hauts degrés de gloire. J'espère que vous changerez un jour de pensée ; et s'il plaît au Ciel, nous verrons votre coeur avant qu'il soit peu... La Princesse -Arrêtez, n'achevez pas ce souhait étrange. J'ai une horreur trop invincible pour ces sortes d'abaissements : +Arrêtez, n'achevez pas ce souhait étrange. J'ai une horreur trop invincible pour ces sortes d'abaissements : et si jamais j'étois capable d'y descendre, je serois personne sans doute à ne me le point pardonner. Aglante Prenez garde ; Madame, l'Amour sait se venger des mépris que l'on fait de lui, et peut−être... @@ -20294,7 +20294,7 @@ Non, non. Je brave tous ses traits ; et le grand pouvoir qu'on lui donne n'est excuse des foibles coeurs, qui le font invincible pour autoriser leur foiblesse. Cynthie Mais enfin toute la terre reconnoît sa puissance, et vous voyez que les dieux même sont assujettis à son -empire. On nous fait voir que Jupiter n'a pas aimé pour une fois, et que Diane même, dont vous affectez ta +empire. On nous fait voir que Jupiter n'a pas aimé pour une fois, et que Diane même, dont vous affectez tant l'exemple, n'a pas rougi de pousser des soupirs d'amour. La Princesse Les croyances publiques sont toujours mêlées d'erreur : les dieux ne sont point faits comme se les fait le @@ -20306,10 +20306,10 @@ Viens, approche, Moron, viens nous aider à défendre l'Amour contre les sentime La Princesse Voilà votre parti fortifié d'un grand défenseur. Moron -Ma foi, Madame, je crois qu'après mon exemple il n'y a plus rien à dire, et qu'il ne faut plus mettre en dou +Ma foi, Madame, je crois qu'après mon exemple il n'y a plus rien à dire, et qu'il ne faut plus mettre en doute le pouvoir de l'Amour. J'ai bravé ses armes assez longtemps, et fait de mon drôle comme un autre ; mais -enfin ma fierté a baissé l'oreille, et vous avez une traîtresse qui m'a rendu plus doux qu'un agneau. Après c -on ne doit plus faire aucun scrupule d'aimer ; et puisque j'ai bien passé par là, il peut bien y en passer d'au +enfin ma fierté a baissé l'oreille, et vous avez une traîtresse qui m'a rendu plus doux qu'un agneau. Après cela, +on ne doit plus faire aucun scrupule d'aimer ; et puisque j'ai bien passé par là, il peut bien y en passer d'autres. Cynthie Quoi ? Moron se mêle d'aimer ? Moron @@ -20327,42 +20327,42 @@ Lycas Madame, le prince votre père vient vous trouver ici, et conduit avec lui les princes de Pyle et d'Ithaque, et celui de Messène. La Princesse -O Ciel ! que prétend−il faire en me les amenant ? Auroit−il résolu ma perte, et voudrait−il bien me force +O Ciel ! que prétend−il faire en me les amenant ? Auroit−il résolu ma perte, et voudrait−il bien me forcer au choix de quelqu'un d'eux ? Scène IV Le Prince, Euryale, Aristomène, Théocle, La Princesse, Aglante, Cynthie, Philis, Moron La Princesse Seigneur, je vous demande la licence de prévenir par deux paroles la déclaration des pensées que vous pouvez avoir. Il y a deux vérités, seigneur, aussi constantes l'une que l'autre, et dont je puis vous assurer -également : l'une, que vous avez un absolu pouvoir sur moi, et que vous ne sauriez m'ordonner rien où je +également : l'une, que vous avez un absolu pouvoir sur moi, et que vous ne sauriez m'ordonner rien où je ne réponde aussitôt par une obéissance aveugle ; l'autre, que je regarde l'hyménée ainsi que le trépas, et qu'il -m'est impossible de forcer cette aversion naturelle. Me donner un mari, et me donner la mort, c'est une mê -chose ; mais votre volonté va la première, et mon obéissance m'est bien plus chère que ma vie. Après cel +m'est impossible de forcer cette aversion naturelle. Me donner un mari, et me donner la mort, c'est une même +chose ; mais votre volonté va la première, et mon obéissance m'est bien plus chère que ma vie. Après cela, parlez, seigneur, prononcez librement ce que vous voulez. La Prince -Ma fille, tu as tort de prendre de telles alarmes, et je me plains de toi, qui peux mettre dans ta pensée que +Ma fille, tu as tort de prendre de telles alarmes, et je me plains de toi, qui peux mettre dans ta pensée que je sois assez mauvais père pour vouloir faire violence à tes sentiments et me servir tyranniquement de la -puissance que le Ciel me donne sur toi. Je souhaite, à la vérité, que ton coeur puisse aimer quelqu'un : tou +puissance que le Ciel me donne sur toi. Je souhaite, à la vérité, que ton coeur puisse aimer quelqu'un : tous mes voeux seroient satisfaits, si cela pouvoit arriver ; et je n'ai proposé les fêtes et les jeux que je fais -célébrer ici qu'afin d'y pouvoir attirer tout ce que la Grèce a d'illustre, et que, parmi cette noble jeunesse, t +célébrer ici qu'afin d'y pouvoir attirer tout ce que la Grèce a d'illustre, et que, parmi cette noble jeunesse, tu puisses enfin rencontrer où arrêter tes yeux et déterminer tes pensées. Je ne demande, dis−je, au Ciel autre bonheur que celui de te voir un époux. J'ai, pour obtenir cette grâce, fait encore ce matin un sacrifice à -Vénus ; et si je sais bien expliquer le langage des dieux, elle m'a promis un miracle. Mais, quoi qu'il en so -je veux en user avec toi en père qui chérit sa fille. Si tu trouves où attacher tes voeux, ton choix sera le mi +Vénus ; et si je sais bien expliquer le langage des dieux, elle m'a promis un miracle. Mais, quoi qu'il en soit, +je veux en user avec toi en père qui chérit sa fille. Si tu trouves où attacher tes voeux, ton choix sera le mien, et je ne considérerai ni intérêts d'Etat, ni avantages d'alliance ; si ton coeur demeure insensible, je -n'entreprendrai point de le forcer. Mais au moins sois complaisante aux civilités qu'on te rend, et ne m'obl +n'entreprendrai point de le forcer. Mais au moins sois complaisante aux civilités qu'on te rend, et ne m'oblige point à faire les excuses de ta froideur. Traite ces princes avec l'estime que tu leur dois, reçois avec reconnoissance les témoignages de leur zèle, et viens voir cette course où leur adresse va paroître. Théocle Tout le monde va faire des efforts pour remporter le prix de cette course. Mais, à vous dire vrai, j'ai peu d'ardeur pour la victoire, puisque ce n'est pas votre coeur qu'on y doit disputer. Aristomène -Pour moi, Madame, vous êtes le seul prix que je me propose partout ; c'est vous que je crois disputer dan +Pour moi, Madame, vous êtes le seul prix que je me propose partout ; c'est vous que je crois disputer dans ces combats d'adresse, et je n'aspire maintenant à remporter l'honneur de cette course que pour obtenir un degré de gloire qui m'approche de votre coeur. Euryale -Pour moi, Madame, je n'y vais point du tout avec cette pensée. Comme j'ai fait toute ma vie profession de -rien aimer, tous les soins que je prends ne vont point où tendent les autres. Je n'ai aucune prétention sur v +Pour moi, Madame, je n'y vais point du tout avec cette pensée. Comme j'ai fait toute ma vie profession de ne +rien aimer, tous les soins que je prends ne vont point où tendent les autres. Je n'ai aucune prétention sur votre coeur, et le seul honneur de la course est tout l'avantage où j'aspire. (Ils la quittent.) La Princesse @@ -20373,17 +20373,17 @@ Il est vrai que cela est un peu fier. Moron Ah ! quelle brave botte il vient là de lui porter ! La Princesse -Ne trouvez−vous pas qu'il y auroit plaisir d'abaisser son orgueil, et de soumettre un peu ce coeur qui tranc +Ne trouvez−vous pas qu'il y auroit plaisir d'abaisser son orgueil, et de soumettre un peu ce coeur qui tranche tant du brave ? Cynthie -Comme vous êtes accoutumée à ne jamais recevoir que des hommages et des adorations de tout le monde +Comme vous êtes accoutumée à ne jamais recevoir que des hommages et des adorations de tout le monde, un compliment pareil au sien doit vous surprendre, à la vérité. La Princesse -Je vous avoue que cela m'a donné de l'émotion, et que je souhaiterois fort de trouver les moyens de châtie +Je vous avoue que cela m'a donné de l'émotion, et que je souhaiterois fort de trouver les moyens de châtier cette hauteur. Je n'avois pas beaucoup d'envie de me trouver à cette course ; mais j'y veux aller exprès, et employer toute chose pour lui donner de l'amour. Cynthie -Prenez garde, Madame : l'entreprise est périlleuse, et lorsqu'on veut donner de l'amour, on court risque d' +Prenez garde, Madame : l'entreprise est périlleuse, et lorsqu'on veut donner de l'amour, on court risque d'en recevoir. La Princesse Ah ! n'appréhendez rien, je vous prie. Allons, je vous réponds de moi. @@ -20398,7 +20398,7 @@ Moron Ah ! cruelle ! si c'étoit Tircis qui t'en priât, tu demeurerois bien vite. Philis Cela se pourroit faire, et je demeure d'accord que je trouve bien mieux mon compte avec l'une qu'avec -l'autre ; car il me divertit avec sa voix, et toi, tu m'étourdis de ton caquet. Lorsque tu chanteras aussi bien +l'autre ; car il me divertit avec sa voix, et toi, tu m'étourdis de ton caquet. Lorsque tu chanteras aussi bien que lui, je te promets de t'écouter. Moron Eh ! demeure un peu. @@ -20433,8 +20433,8 @@ Eh bien ! oui, demeure. Je ne dirai mot. Philis Prends−y bien garde, au moins ; car à la moindre parole, je prends la fuite. Moron. Il fait une scène de gestes. -Soit. Ah ! Philis ! ... Eh ! ... Elle s'enfuit, et je ne saurois l'attraper. Voilà ce que c'est : si je savois chante -j'en ferois bien mieux mes affaires. La plupart des femmes aujourd'hui se laissent prendre par les oreilles +Soit. Ah ! Philis ! ... Eh ! ... Elle s'enfuit, et je ne saurois l'attraper. Voilà ce que c'est : si je savois chanter, +j'en ferois bien mieux mes affaires. La plupart des femmes aujourd'hui se laissent prendre par les oreilles ; elles sont cause que tout le monde se mêle de musique, et l'on ne réussit auprès d'elles que par les petites chansons et les petits vers qu'on leur fait entendre. Il faut que j'apprenne à chanter pour faire comme les autres. Bon, voici justement mon homme. @@ -20496,38 +20496,38 @@ Acte III Scène I La Princesse, Aglante, Cynthie, Philis Cynthie -Il est vrai, Madame, que ce jeune prince a fait voir une adresse non commune, et que l'air dont il a paru a -quelque chose de surprenant. Il sort vainqueur de cette course. Mais je doute fort qu'il en sorte avec le mê -coeur qu'il y a porté ; car enfin vous lui avez tiré des traits dont il est difficile de se défendre ; et sans par -de tout le reste, la grâce de votre danse et la douceur de votre voix ont eu des charmes aujourd'hui à touch +Il est vrai, Madame, que ce jeune prince a fait voir une adresse non commune, et que l'air dont il a paru a été +quelque chose de surprenant. Il sort vainqueur de cette course. Mais je doute fort qu'il en sorte avec le même +coeur qu'il y a porté ; car enfin vous lui avez tiré des traits dont il est difficile de se défendre ; et sans parler +de tout le reste, la grâce de votre danse et la douceur de votre voix ont eu des charmes aujourd'hui à toucher les plus insensibles. La Princesse -Le voici qui s'entretient avec Moron : nous saurons un peu de quoi il lui parle. Ne rompons point encore +Le voici qui s'entretient avec Moron : nous saurons un peu de quoi il lui parle. Ne rompons point encore leur entretien, et prenons cette route pour revenir à leur rencontre. Scène II Euryale, Moron, Arbate Euryale -Ah ! Moron, je te l'avoue, j'ai été enchanté ; et jamais tant de charmes n'ont frappé tout ensemble mes ye -et mes oreilles. Elle est adorable en tout temps, il est vrai ; mais ce moment l'a emporté sur tous les autre +Ah ! Moron, je te l'avoue, j'ai été enchanté ; et jamais tant de charmes n'ont frappé tout ensemble mes yeux +et mes oreilles. Elle est adorable en tout temps, il est vrai ; mais ce moment l'a emporté sur tous les autres, et des grâces nouvelles ont redoublé l'éclat de ses beautés. Jamais son visage ne s'est paré de plus vives couleurs, ni ses yeux ne se sont armés de traits plus vifs et plus perçants. La douceur de sa voix a voulu se faire paroître dans un air tout charmant qu'elle a daigné chanter ; et les sons merveilleux qu'elle formoit -passoient jusqu'au fond de mon âme, et tenoient tous mes sens dans un ravissement à ne pouvoir en reven -Elle a fait éclater ensuite une disposition toute divine, et ses pieds amoureux, sur l'émail d'un tendre gazon +passoient jusqu'au fond de mon âme, et tenoient tous mes sens dans un ravissement à ne pouvoir en revenir. +Elle a fait éclater ensuite une disposition toute divine, et ses pieds amoureux, sur l'émail d'un tendre gazon, traçoient d'aimables caractères qui m'enlevoient hors de moi−même, et m'attachoient par des noeuds -invincibles aux doux et justes mouvements dont tout son corps suivoit les mouvements de l'harmonie. Enf +invincibles aux doux et justes mouvements dont tout son corps suivoit les mouvements de l'harmonie. Enfin jamais âme n'a eu de plus puissantes émotions que la mienne ; et j'ai pensé plus de vingt fois oublier ma résolution, pour me jeter à ses pieds et lui faire un aveu sincère de l'ardeur que je sens pour elle. Moron Donnez−vous−en bien de garde, seigneur, si vous m'en voulez croire. Vous avez trouvé la meilleure -invention du monde, et je me trompe fort si elle ne vous réussit. Les femmes sont des animaux d'un nature -bizarre ; nous les gâtons par nos douceurs ; et je crois−tout de bon que nous les verrions nous courir, san +invention du monde, et je me trompe fort si elle ne vous réussit. Les femmes sont des animaux d'un naturel +bizarre ; nous les gâtons par nos douceurs ; et je crois−tout de bon que nous les verrions nous courir, sans tous ces respects et ces soumissions où les hommes les acoquinent. Arbate Seigneur, voici la Princesse qui s'est un peu éloignée de sa suite. Moron -Demeurez ferme au moins dans le chemin que vous avez pris. Je m'en vais voir ce qu'elle me dira. Cepend -promenez−vous ici dans ces petites routes, sans faire aucun semblant d'avoir envie de la joindre ; et si vo +Demeurez ferme au moins dans le chemin que vous avez pris. Je m'en vais voir ce qu'elle me dira. Cependant +promenez−vous ici dans ces petites routes, sans faire aucun semblant d'avoir envie de la joindre ; et si vous l'abordez, demeurez avec elle le moins qu'il vous sera possible. Scène III La Princesse, Moron @@ -20547,12 +20547,12 @@ La Princesse Pour moi, je le confesse, Moron, cette fuite m'a choquée ; et j'ai toutes les envies du monde de l'engager, pour rabattre un peu son orgueil. Moron -Ma foi, Madame, vous ne feriez pas mal : il le mériteroit bien ; mais à vous dire vrai, je doute fort que vo +Ma foi, Madame, vous ne feriez pas mal : il le mériteroit bien ; mais à vous dire vrai, je doute fort que vous y puissiez réussir. La Princesse Comment ? Moron -Comment ? C'est le plus orgueilleux petit vilain que vous ayez jamais vu. Il lui semble qu'il n'y a personn +Comment ? C'est le plus orgueilleux petit vilain que vous ayez jamais vu. Il lui semble qu'il n'y a personne au monde qui le mérite, et que la terre n'est pas digne de le porter. La Princesse Mais encore, ne t'a−t−il point parlé de moi ? @@ -20579,20 +20579,20 @@ De grâce, Moron, va le faire aviser que je suis ici, et l'oblige à me venir ab Scène IV La Princesse, Euryale, Moron, Arbate Moron -Seigneur, je vous donne avis que tout va bien. La Princesse souhaite que vous l'abordiez ; mais songez bi +Seigneur, je vous donne avis que tout va bien. La Princesse souhaite que vous l'abordiez ; mais songez bien à continuer votre rôle ; et de peur de l'oublier, ne soyez pas longtemps avec elle. La Princesse -Vous êtes bien solitaire, seigneur : et c'est une humeur bien extraordinaire que la vôtre, de renoncer ainsi +Vous êtes bien solitaire, seigneur : et c'est une humeur bien extraordinaire que la vôtre, de renoncer ainsi à notre sexe, et de fuir, à votre âge, cette galanterie dont se piquent tous vos pareils. Euryale -Cette humeur, Madame, n'est pas si extraordinaire, qu'on n'en trouvât des exemples sans aller loin d'ici ; +Cette humeur, Madame, n'est pas si extraordinaire, qu'on n'en trouvât des exemples sans aller loin d'ici ; et vous ne sauriez condamner la résolution que j'ai prise de n'aimer jamais rien, sans condamner aussi vos sentiments. La Princesse -Il y a grande différence ; et ce qui sied bien à un sexe ne sied pas bien à l'autre. Il est beau qu'une femme -insensible, et conserve son coeur exempt des flammes de l'amour ; mais ce qui est vertu en elle devient u -crime dans un homme ; et comme la beauté est le partage de notre sexe, vous sauriez ne nous point aimer -sans nous dérober les hommages qui nous sont dus, et commettre une offense dont nous devons toutes no +Il y a grande différence ; et ce qui sied bien à un sexe ne sied pas bien à l'autre. Il est beau qu'une femme soit +insensible, et conserve son coeur exempt des flammes de l'amour ; mais ce qui est vertu en elle devient un +crime dans un homme ; et comme la beauté est le partage de notre sexe, vous sauriez ne nous point aimer, +sans nous dérober les hommages qui nous sont dus, et commettre une offense dont nous devons toutes nous ressentir. Euryale Je ne vois pas, Madame, que celles qui ne veulent point aimer doivent prendre aucun intérêt à ces sortes @@ -20600,7 +20600,7 @@ d'offenses. La Princesse Ce n'est pas une raison, seigneur ; et sans vouloir aimer, on est toujours bien aise d'être aimée. Euryale -Pour moi, je ne suis pas de même ; et dans le dessein où je suis de ne rien aimer, je serois fâché d'être aim +Pour moi, je ne suis pas de même ; et dans le dessein où je suis de ne rien aimer, je serois fâché d'être aimé. La Princesse Et la raison ? Euryale @@ -20608,13 +20608,13 @@ C'est qu'on a obligation à ceux qui nous aiment, et que je serois fâché d'êt La Princesse Si bien donc que, pour fuir l'ingratitude, vous aimeriez qui vous aimeroit ? Euryale -Moi, Madame ? point du tout. Je dis bien que je serois fâché d'être ingrat ; mais je me résoudrois plutôt d +Moi, Madame ? point du tout. Je dis bien que je serois fâché d'être ingrat ; mais je me résoudrois plutôt de l'être que d'aimer. La Princesse Telle personne vous aimeroit, peut−être que votre coeur... Euryale -Non ! Madame, rien n'est capable de toucher mon coeur. Ma liberté est la seule maîtresse à qui je consac -mes voeux ; et quand le Ciel emploieroit ses soins à composer une beauté parfaite, quand il assembleroit +Non ! Madame, rien n'est capable de toucher mon coeur. Ma liberté est la seule maîtresse à qui je consacre +mes voeux ; et quand le Ciel emploieroit ses soins à composer une beauté parfaite, quand il assembleroit en elle tous les dons les plus merveilleux et du corps et de l'âme, enfin quand il exposeroit à mes yeux un miracle d'esprit, d'adresse et de beauté, et que cette personne m'aimeroit avec toutes les tendresses imaginables, je vous l'avoue franchement, je ne l'aimerois pas. @@ -20631,7 +20631,7 @@ Ah ! Moron, je n'en puis plus ! et je me suis fait des efforts étranges. La Princesse C'est avoir une insensibilité bien grande, que de parler comme vous faites. Euryale -Le Ciel ne m'a pas fait d'une autre humeur. Mais, Madame, j'interromps votre promenade, et mon respect +Le Ciel ne m'a pas fait d'une autre humeur. Mais, Madame, j'interromps votre promenade, et mon respect doit m'avertir que vous aimez la solitude. Scène V La Princesse, Moron, Philis, Tircis @@ -20646,7 +20646,7 @@ Ne pourrois−tu, Moron, me servir dans un tel dessein ? Moron Vous savez bien, Madame, que je suis tout à votre service. La Princesse -Parle−lui de moi dans tes entretiens ; vante−lui adroitement ma personne et les avantages de ma naissanc +Parle−lui de moi dans tes entretiens ; vante−lui adroitement ma personne et les avantages de ma naissance ; et tâche d'ébranler ses sentiments par la douceur de quelque espoir. Je te permets de dire tout ce que tu voudras, pour tâcher à me l'engager. Moron @@ -20654,14 +20654,14 @@ Laissez−moi faire. La Princesse C'est une chose qui me tient au coeur. Je souhaite ardemment qu'il m'aime. Moron -Il est bien fait, oui, ce petit pendard−là ; il a bon air, bonne physionomie ; et je crois qu'il seroit assez le +Il est bien fait, oui, ce petit pendard−là ; il a bon air, bonne physionomie ; et je crois qu'il seroit assez le fait d'une jeune Princesse. La Princesse Enfin tu peux tout espérer de moi, si tu trouves moyen d'enflammer pour moi son coeur. Moron -Il n'y a rien qui ne se puisse faire. Mais, Madame, s'il venoit à vous aimer, que feriez−vous, s'il vous plaît +Il n'y a rien qui ne se puisse faire. Mais, Madame, s'il venoit à vous aimer, que feriez−vous, s'il vous plaît ? La Princesse -Ah ! ce seroit lors que je prendrois plaisir à triompher pleinement de sa vanité, à punir son mépris par me +Ah ! ce seroit lors que je prendrois plaisir à triompher pleinement de sa vanité, à punir son mépris par mes froideurs, et exercer sur lui toutes les cruautés que je pourrois imaginer. Moron Il ne se rendra jamais. @@ -20670,13 +20670,13 @@ Ah ! Moron, il faut faire en sorte qu'il se rende. Moron Non, il n'en fera rien. Je le connois : ma peine sera inutile. La Princesse -Si faut−il pourtant tenter toute chose, et éprouver si son âme est entièrement insensible. Allons, je veux lu +Si faut−il pourtant tenter toute chose, et éprouver si son âme est entièrement insensible. Allons, je veux lui parler, et suivre une pensée qui vient de me venir. Quatrième intermède Scène I Philis, Tircis Philis -Viens, Tircis. Laissons−les aller, et me dis un peu ton martyre de la façon que tu sais faire. Il y a longtemp +Viens, Tircis. Laissons−les aller, et me dis un peu ton martyre de la façon que tu sais faire. Il y a longtemps que tes yeux me parlent ; mais je suis plus aise d'ouïr ta voix. Tircis, en chantant. Tu m'écoutes, hélas ! dans ma triste langueur ; @@ -20715,8 +20715,8 @@ comme à un autre ? Philis En vérité, Tircis, il ne se peut rien de plus agréable, et tu l'emportes sur tous les rivaux que tu as. Moron -Mais pourquoi est−ce que je ne puis pas chanter ? N'ai−je pas un estomac, un gosier et une langue comm -autre ? Oui, oui, allons : je veux chanter aussi, et te montrer que l'amour fait faire toutes choses. Voici un +Mais pourquoi est−ce que je ne puis pas chanter ? N'ai−je pas un estomac, un gosier et une langue comme un +autre ? Oui, oui, allons : je veux chanter aussi, et te montrer que l'amour fait faire toutes choses. Voici une chanson que j'ai faite pour toi. Philis Oui, dis ; je veux bien t'écouter pour la rareté du fait @@ -20731,8 +20731,8 @@ En seras−tu plus grasse De m'avoir fait mourir ? Vivat ! Moron. Philis -Voilà qui est le mieux du monde. Mais, Moron, je souhaiterois bien d'avoir la gloire que quelque amant fû -mort pour moi. C'est un avantage dont je n'ai point encore joui ; et je trouve que j'aimerois de tout mon c +Voilà qui est le mieux du monde. Mais, Moron, je souhaiterois bien d'avoir la gloire que quelque amant fût +mort pour moi. C'est un avantage dont je n'ai point encore joui ; et je trouve que j'aimerois de tout mon coeur une personne qui m'aimeroit assez pour se donner la mort. Moron Tu aimerois une personne qui se tueroit pour toi ! @@ -20753,7 +20753,7 @@ Tircis chante. Courage, Moron ! meurs promptement En généreux amant. Moron -Je vous prie de vous mêler de vos affaires, et de me laisser tuer à ma fantaisie. Allons, je vais faire honte +Je vous prie de vous mêler de vos affaires, et de me laisser tuer à ma fantaisie. Allons, je vais faire honte à tous les amants. Tiens, je ne suis pas homme à faire tant de façons. Vois ce poignard. Prends bien garde comme je vais me percer le coeur. (Se riant de Tircis.) Je suis votre serviteur : quelque niais. Philis @@ -20763,15 +20763,15 @@ Scène I Euryale, La Princesse, Moron La Princesse Prince, comme jusques ici nous avons fait paroître une conformité de sentiments, et que le Ciel a semblé -mettre en nous mêmes attachements pour notre liberté, et même aversion pour l'amour, je suis bien aise d +mettre en nous mêmes attachements pour notre liberté, et même aversion pour l'amour, je suis bien aise de vous ouvrir mon coeur, et de vous faire confidence d'un changement dont vous serez surpris. J'ai toujours regardé l'hymen comme une chose affreuse, et j'avois fait serment d'abandonner plutôt la vie que de me résoudre jamais à perdre cette liberté pour qui j'avois des tendresses si grandes ; mais enfin un moment a -dissipé toutes ces résolutions. Le mérite d'un prince m'a frappé aujourd'hui les yeux ; et mon âme tout d'u -coup, comme par un miracle, est devenue sensible aux traits de cette passion que j'avois toujours méprisée -J'ai trouvé d'abord des raisons pour autoriser ce changement, et puis l'appuyer de la volonté de répondre a +dissipé toutes ces résolutions. Le mérite d'un prince m'a frappé aujourd'hui les yeux ; et mon âme tout d'un +coup, comme par un miracle, est devenue sensible aux traits de cette passion que j'avois toujours méprisée. +J'ai trouvé d'abord des raisons pour autoriser ce changement, et puis l'appuyer de la volonté de répondre aux ardentes sollicitations d'un père, et aux voeux de tout un Etat ; mais, à vous dire vrai, je suis en peine du -jugement que vous ferez de moi, et je voudrois savoir si vous condamnerez, ou non, le dessein que j'ai de +jugement que vous ferez de moi, et je voudrois savoir si vous condamnerez, ou non, le dessein que j'ai de me donner un époux. Euryale Vous pourriez faire un tel choix, Madame, que je l'approuverois sans doute. @@ -20787,10 +20787,10 @@ J'aurois trop peur de me tromper. La Princesse Mais encore, pour qui souhaiteriez−vous que je me déclarasse ? Euryale -Je sais bien, à vous dire vrai, pour qui je le souhaiterois ; mais, avant que de m'expliquer, je dois savoir v +Je sais bien, à vous dire vrai, pour qui je le souhaiterois ; mais, avant que de m'expliquer, je dois savoir votre pensée. La Princesse -Eh bien ! Prince, je veux bien vous la découvrir. Je suis sûre que vous allez approuver mon choix ; et po +Eh bien ! Prince, je veux bien vous la découvrir. Je suis sûre que vous allez approuver mon choix ; et pour ne vous point tenir en suspens davantage, le prince de Messène est celui de qui le mérite s'est attiré mes voeux. Euryale @@ -20798,7 +20798,7 @@ O Ciel ! La Princesse Mon invention a réussi, Moron : le voilà qui se trouble. Moron, parlant à la Princesse. -Bon, Madame. (Au Prince.) Courage, seigneur ! (A la Princesse.) Il en tient. (Au Prince.) Ne vous défaite +Bon, Madame. (Au Prince.) Courage, seigneur ! (A la Princesse.) Il en tient. (Au Prince.) Ne vous défaites pas. Ne trouvez−vous pas que j'ai raison, et que ce prince a tout le mérite qu'on peut avoir ? Moron, au Prince. @@ -20806,23 +20806,23 @@ Remettez−vous et songez à répondre. La Princesse D'où vient, Prince, que vous ne dites mot, et semblez interdit ? Euryale -Je le suis, à la vérité ; et j'admire, Madame, comme le Ciel a pu former deux âmes aussi semblables en to -que les nôtres, deux âmes en qui l'on ait vu une plus grande conformité de sentiments, qui aient fait éclate -dans le même temps, une résolution à braver les traits de l'Amour, et qui, dans le même moment, aient fai +Je le suis, à la vérité ; et j'admire, Madame, comme le Ciel a pu former deux âmes aussi semblables en tout +que les nôtres, deux âmes en qui l'on ait vu une plus grande conformité de sentiments, qui aient fait éclater, +dans le même temps, une résolution à braver les traits de l'Amour, et qui, dans le même moment, aient fait paroître une égale facilité à perdre le nom d'insensibles. Car enfin, Madame, puisque votre exemple m'autorise, je ne feindrai point de vous dire que l'amour aujourd'hui s'est rendu maître de mon coeur, et -qu'une des Princesses vos cousines, l'aimable et belle Aglante, a renversé d'un coup d'oeil tous les projets -ma fierté. Je suis ravi, Madame, que, par cette égalité de défaite, nous n'ayons rien à nous reprocher l'un e +qu'une des Princesses vos cousines, l'aimable et belle Aglante, a renversé d'un coup d'oeil tous les projets de +ma fierté. Je suis ravi, Madame, que, par cette égalité de défaite, nous n'ayons rien à nous reprocher l'un et l'autre, et je ne doute point que, comme je vous loue infiniment de votre choix, vous n'approuviez aussi le -mien. Il faut que ce miracle éclate aux yeux de tout le monde, et nous ne devons point différer à nous rend -tous deux contents. Pour moi, Madame, je vous sollicite de vos suffrages pour obtenir celle que je souhait +mien. Il faut que ce miracle éclate aux yeux de tout le monde, et nous ne devons point différer à nous rendre +tous deux contents. Pour moi, Madame, je vous sollicite de vos suffrages pour obtenir celle que je souhaite, et vous trouverez bon que j'aille de ce pas en faire la demande au prince votre père. Moron Ah ! digne, ah ! brave coeur ! Scène II La Princesse, Moron La Princesse -Ah ! Moron, je n'en puis plus ; et ce coup, que je n'attendois pas, triomphe absolument de toute ma ferm +Ah ! Moron, je n'en puis plus ; et ce coup, que je n'attendois pas, triomphe absolument de toute ma fermeté. Moron Il est vrai que le coup est surprenant, et j'avois cru d'abord que votre stratagème avoit fait son effet. La Princesse @@ -20831,7 +20831,7 @@ soumettre. Scène III La Princesse, Aglante, Moron La Princesse -Princesse, j'ai à vous prier d'une chose qu'il faut absolument que vous m'accordiez. Le prince d'Ithaque vo +Princesse, j'ai à vous prier d'une chose qu'il faut absolument que vous m'accordiez. Le prince d'Ithaque vous aime et veut vous demander au prince mon père. Aglante Le prince d'Ithaque, Madame ? @@ -20839,10 +20839,10 @@ La Princesse Oui. Il vient de m'en assurer lui−même, et m'a demandé mon suffrage pour vous obtenir ; mais je vous conjure de rejeter cette proposition, et de ne point prêter l'oreille à tout ce qu'il pourra vous dire. Aglante -Mais, Madame, s'il étoit vrai que ce prince m'aimât effectivement, pourquoi, n'ayant aucun dessein de vou +Mais, Madame, s'il étoit vrai que ce prince m'aimât effectivement, pourquoi, n'ayant aucun dessein de vous engager, ne voudriez−vous pas souffrir... ? La Princesse -Non, Aglante. Je vous le demande ; faites−moi ce plaisir, je vous prie, et trouvez bon que, n'ayant pu avo +Non, Aglante. Je vous le demande ; faites−moi ce plaisir, je vous prie, et trouvez bon que, n'ayant pu avoir l'avantage de le soumettre, je lui dérobe la joie de vous obtenir. Aglante Madame, il faut vous obéir ; mais je croirois que la conquête d'un tel coeur ne seroit pas une victoire à @@ -20852,8 +20852,8 @@ Non, non, il n'aura pas la joie de me braver entièrement. Scène IV Aristomène, Moron, La Princesse, Aglante Aristomène -Madame, je viens à vos pieds, rendre grâce à l'Amour de mes heureux destins, et vous témoigner, avec me -transports, le ressentiment où je suis des bontés surprenantes dont vous daignez favoriser le plus soumis d +Madame, je viens à vos pieds, rendre grâce à l'Amour de mes heureux destins, et vous témoigner, avec mes +transports, le ressentiment où je suis des bontés surprenantes dont vous daignez favoriser le plus soumis de vos captifs. La Princesse Comment ? @@ -20865,7 +20865,7 @@ Il vous a dit qu'il tenoit cela de ma bouche ? Aristomène Oui, Madame. La Princesse -C'est un étourdi ; et vous êtes un peu trop crédule, Prince, d'ajouter foi si promptement à ce qu'il vous a d +C'est un étourdi ; et vous êtes un peu trop crédule, Prince, d'ajouter foi si promptement à ce qu'il vous a dit. Une pareille nouvelle mériteroit bien, ce me semble, qu'on en doutât un peu de temps ; et c'est tout ce que vous pourriez faire de la croire, si je vous l'avois dite moi−même. Aristomène @@ -20876,7 +20876,7 @@ moments de solitude. Scène V La Princesse, Aglante, Moron La Princesse -Ah ! qu'en cette aventure le Ciel me traite avec une rigueur étrange ! Au moins, Princesse, souvenez−vo +Ah ! qu'en cette aventure le Ciel me traite avec une rigueur étrange ! Au moins, Princesse, souvenez−vous de la prière que je vous ai faite. Aglante Je vous l'ai dit déjà, Madame, il faut vous obéir. @@ -20887,10 +20887,10 @@ La Princesse Non, je ne puis souffrir qu'il soit heureux avec une autre ; et si la chose étoit, je crois que j'en mourrois de déplaisir. Moron -Ma foi, Madame, avouons la dette : vous voudriez qu'il fût à vous ; et dans toutes vos actions il est aisé d +Ma foi, Madame, avouons la dette : vous voudriez qu'il fût à vous ; et dans toutes vos actions il est aisé de voir que vous aimez un peu ce jeune prince. La Princesse -Moi, je l'aime ? O Ciel ! je l'aime ? Avez−vous l'insolence de prononcer ces paroles ? Sortez de ma vue +Moi, je l'aime ? O Ciel ! je l'aime ? Avez−vous l'insolence de prononcer ces paroles ? Sortez de ma vue, impudent, et ne vous présentez jamais devant moi. Moron Madame... @@ -20901,19 +20901,19 @@ Ma foi, son coeur en a sa provision, et... (Il rencontre un regard de la Princesse, qui l'oblige à se retirer.) Scène VI La Princesse -De quelle émotion inconnue sens−je mon coeur atteint, et quelle inquiétude secrète est venue troubler tou -d'un coup la tranquillité de mon âme ? Ne seroit−ce point aussi ce qu'on vient de me dire ! et, sans en rie -savoir, n'aimerois−je point ce jeune prince ? Ah ! si cela étoit, je serois personne à me désespérer ; mais +De quelle émotion inconnue sens−je mon coeur atteint, et quelle inquiétude secrète est venue troubler tout +d'un coup la tranquillité de mon âme ? Ne seroit−ce point aussi ce qu'on vient de me dire ! et, sans en rien +savoir, n'aimerois−je point ce jeune prince ? Ah ! si cela étoit, je serois personne à me désespérer ; mais il est impossible que cela soit, et je vois bien que je ne puis pas l'aimer. Quoi ? je serois capable de cette lâcheté ! J'ai vu toute la terre à mes pieds avec la plus grande insensibilité du monde ; les respects, les hommages et les soumissions n'ont jamais pu toucher mon âme, et la fierté et le dédain en auroient -triomphé ! J'ai méprisé tous ceux qui m'ont aimée, et j'aimerois le seul qui me méprise ! Non, non, je sai +triomphé ! J'ai méprisé tous ceux qui m'ont aimée, et j'aimerois le seul qui me méprise ! Non, non, je sais bien que je ne l'aime pas. Il n'y a pas de raison à cela. Mais si ce n'est pas de l'amour que ce que je sens -maintenant, qu'est−ce donc que ce peut être ? Et d'où vient ce poison qui me court par toutes les veines, e +maintenant, qu'est−ce donc que ce peut être ? Et d'où vient ce poison qui me court par toutes les veines, et ne me laisse point en repos avec moi−même ? Sors de mon coeur, qui que tu sois, ennemi qui te caches. -Attaque−moi visiblement, et deviens à mes yeux la plus affreuse bête de tous nos bois, afin que mon dard -mes flèches me puissent défaire de toi. O vous, admirables personnes, qui par la douceur de vos chants av -l'art d'adoucir les plus fâcheuses inquiétudes, approchez−vous d'ici, de grâce, et tâchez de charmer avec v +Attaque−moi visiblement, et deviens à mes yeux la plus affreuse bête de tous nos bois, afin que mon dard et +mes flèches me puissent défaire de toi. O vous, admirables personnes, qui par la douceur de vos chants avez +l'art d'adoucir les plus fâcheuses inquiétudes, approchez−vous d'ici, de grâce, et tâchez de charmer avec votre musique le chagrin où je suis. Cinquième Intermède Chère Philis,... @@ -20953,23 +20953,23 @@ Toutes deux ensemble. Aimons, c'est le vrai moyen De savoir ce qu'on en doit croire. La Princesse les interrompt en cet endroit et leur dit : -Achevez seules, si vous voulez. Je ne saurois demeurer en repos ; et quelque douceur qu'aient vos chants +Achevez seules, si vous voulez. Je ne saurois demeurer en repos ; et quelque douceur qu'aient vos chants, ils ne font que redoubler mon inquiétude. Acte V Scène I Le Prince, Euryale, Moron, Aglante, Cynthie Moron -Oui, seigneur, ce n'est point raillerie : j'en suis ce qu'on appelle disgracié ; il m'a fallu tirer mes chausses +Oui, seigneur, ce n'est point raillerie : j'en suis ce qu'on appelle disgracié ; il m'a fallu tirer mes chausses au plus vite, et jamais vous n'avez vu un emportement plus brusque que le sien. Le Prince. -Ah ! Prince, que je devrai de grâces à ce stratagème amoureux, s'il faut qu'il ait trouvé le secret de touche +Ah ! Prince, que je devrai de grâces à ce stratagème amoureux, s'il faut qu'il ait trouvé le secret de toucher son coeur ! Euryale Quelque chose, seigneur, que l'on vienne de vous en dire, je n'ose encore, pour moi, me flatter de ce doux -espoir ; mais enfin, si ce n'est pas à moi trop de témérité que d'oser aspirer à l'honneur de votre alliance, s +espoir ; mais enfin, si ce n'est pas à moi trop de témérité que d'oser aspirer à l'honneur de votre alliance, si ma personne et mes Etats... La Prince -Prince, n'entrons point dans ces compliments. Je trouve en vous de quoi remplir tous les souhaits d'un pèr +Prince, n'entrons point dans ces compliments. Je trouve en vous de quoi remplir tous les souhaits d'un père ; et si vous avez le coeur de ma fille, il ne vous manque rien. Scène II La Princesse, Le Prince, Euryale, Aglante, Cynthie, Moron @@ -20980,8 +20980,8 @@ Oui, l'honneur de votre alliance m'est d'un prix très−considérable, et je so suffrages à la demande que vous me faites. La Princesse Seigneur, je me jette à vos pieds pour vous demander une grâce. Vous m'avez toujours témoigné une -tendresse extrême, et je crois vous devoir bien plus par les bontés que vous m'avez fait voir que par le jou -que vous m'avez donné. Mais si jamais pour moi vous avez eu de l'amitié, je vous en demande aujourd'hu +tendresse extrême, et je crois vous devoir bien plus par les bontés que vous m'avez fait voir que par le jour +que vous m'avez donné. Mais si jamais pour moi vous avez eu de l'amitié, je vous en demande aujourd'hui la plus sensible preuve que vous me puissiez accorder : c'est de n'écouter point, seigneur, la demande de ce prince, et de ne pas souffrir que la Princesse Aglante soit unie avec lui. La Prince @@ -21003,13 +21003,13 @@ Il ne m'a pas trouvée assez bien faite pour m'adresser ses voeux. La Prince Et quelle offense te fait cela ? Tu ne veux accepter personne. La Princesse -N'importe. Il me devoit aimer comme les autres, et me laisser au moins la gloire de le refuser. Sa déclarat +N'importe. Il me devoit aimer comme les autres, et me laisser au moins la gloire de le refuser. Sa déclaration me fait un affront ; et ce m'est une honte sensible qu'à mes yeux, et au milieu de votre cour, il a recherché une autre que moi. La Prince Mais quel intérêt dois−tu prendre à lui ? La Princesse -J'en prends, seigneur, à me venger de son mépris ; et comme je sais bien qu'il aime Aglante avec beaucou +J'en prends, seigneur, à me venger de son mépris ; et comme je sais bien qu'il aime Aglante avec beaucoup d'ardeur, je veux empêcher, s'il vous plaît, qu'il ne soit heureux avec elle. La Prince Cela te tient donc bien au coeur ? @@ -21023,11 +21023,11 @@ Moi, seigneur ? La Prince Oui, tu l'aimes. La Princesse -Je l'aime, dites−vous ? et vous m'imputez cette lâcheté ! O Ciel ! quelle est mon infortune ! Puis−je bie +Je l'aime, dites−vous ? et vous m'imputez cette lâcheté ! O Ciel ! quelle est mon infortune ! Puis−je bien, sans mourir, entendre ces paroles ? et faut−il que je sois si malheureuse, qu'on me soupçonne de l'aimer ? Ah ! si c'étoit un autre que vous, seigneur, qui me tînt ce discours, je ne sais pas ce que je ne ferois point. La Prince -Eh bien ! oui, tu ne l'aimes pas, tu le hais, j'y consens ; et je veux bien, pour te contenter, qu'il n'épouse p +Eh bien ! oui, tu ne l'aimes pas, tu le hais, j'y consens ; et je veux bien, pour te contenter, qu'il n'épouse pas la Princesse Aglante. La Princesse Ah ! seigneur, vous me donnez la vie. @@ -21036,15 +21036,15 @@ Mais afin d'empêcher qu'il ne puisse être jamais à elle, il faut que tu le pr La Princesse Vous vous moquez, seigneur, et ce n'est pas ce qu'il demande. Euryale -Pardonnez−moi, Madame, je suis assez téméraire pour cela, et je prends à témoin le prince votre père si c -n'est pas vous que j'ai demandée. C'est trop vous tenir dans l'erreur ; il faut lever le masque, et, dussiez−v +Pardonnez−moi, Madame, je suis assez téméraire pour cela, et je prends à témoin le prince votre père si ce +n'est pas vous que j'ai demandée. C'est trop vous tenir dans l'erreur ; il faut lever le masque, et, dussiez−vous vous en prévaloir contre moi, découvrir à vos yeux les véritables sentiments de mon coeur. Je n'ai jamais aimé que vous, et jamais je n'aimerai que vous : c'est vous, Madame, qui m'avez enlevé cette qualite d'insensible que j'avois toujours affectée ; et tout ce que j'ai pu vous dire n'a été qu'une feinte, qu'un -mouvement secret m'a inspirée, et que je n'ai suivie qu'avec toutes les violences imaginables. Il falloit qu' +mouvement secret m'a inspirée, et que je n'ai suivie qu'avec toutes les violences imaginables. Il falloit qu'elle cessât bientôt, sans doute, et je m'étonne seulement qu'elle ait pu durer la moitié d'un jour ; car enfin je mourois, je brûlois dans l'âme, quand je vous déguisois mes sentiments ; et jamais coeur n'a souffert une -contrainte égale à la mienne. Que si cette feinte, Madame, a quelque chose qui vous offense, je suis tout p +contrainte égale à la mienne. Que si cette feinte, Madame, a quelque chose qui vous offense, je suis tout prêt de mourir pour vous en venger : vous n'avez qu'à parler, et ma main sur−le−champ fera gloire d'exécuter l'arrêt que vous prononcerez. La Princesse @@ -21053,7 +21053,7 @@ l'aime bien mieux une feinte, que non pas une vérité. La Prince Si bien donc, ma fille, que tu veux bien accepter ce prince pour époux ? La Princesse -Seigneur, je ne sais pas encore ce que je veux. Donnez−moi le temps d'y songer, je vous prie, et m'épargn +Seigneur, je ne sais pas encore ce que je veux. Donnez−moi le temps d'y songer, je vous prie, et m'épargnez un peu la confusion où je suis. La Prince Vous jugez, Prince, ce que cela veut dire, et vous vous pouvez fonder là−dessus. @@ -21067,16 +21067,16 @@ Seigneur, je serai meilleur courtisan une autre fois, et je me garderai bien de Scène III Aristomène, Théocle, Le Prince, La Princesse, Aglante, Cynthie, Moron La Prince -Je crains bien, Princes, que le choix de ma fille ne soit pas en votre faveur ; mais voilà deux Princesses q +Je crains bien, Princes, que le choix de ma fille ne soit pas en votre faveur ; mais voilà deux Princesses qui peuvent bien vous consoler de ce petit malheur. Aristomène -Seigneur, nous savons prendre notre parti ; et si ces aimables Princesses n'ont point trop de mépris pour l +Seigneur, nous savons prendre notre parti ; et si ces aimables Princesses n'ont point trop de mépris pour les coeurs qu'on a rebutés, nous pouvons revenir par elles à l'honneur de votre alliance. Scène IV Philis, Aristomène, Théocle, Le Prince, La Princesse, Aglante, Cynthie, Moron Philis -Seigneur, la déesse Vénus vient d'annoncer partout le changement du coeur de la Princesse. Tous les paste -et toutes les bergères en témoignent leur joie par des danses et des chansons ; et si ce n'est point un spect +Seigneur, la déesse Vénus vient d'annoncer partout le changement du coeur de la Princesse. Tous les pasteurs +et toutes les bergères en témoignent leur joie par des danses et des chansons ; et si ce n'est point un spectacle que vous méprisiez, vous allez voir l'allégresse publique se répandre jusques ici. Sixième intermède Usez mieux,... @@ -21113,170 +21113,170 @@ le 5e août 1667, puis le 5e février 1669 par la Troupe du Roi Préface -Voici une comédie dont on a fait beaucoup de bruit, qui a été longtemps persécutée, et les gens qu'elle jou -ont bien fait voir qu'ils étaient plus puissants en France que tous ceux que j'ai joués jusques ici. Les marqu +Voici une comédie dont on a fait beaucoup de bruit, qui a été longtemps persécutée, et les gens qu'elle joue +ont bien fait voir qu'ils étaient plus puissants en France que tous ceux que j'ai joués jusques ici. Les marquis, les précieuses, les cocus et les médecins, ont souffert doucement qu'on les ait représentés, et ils ont fait -semblant de se divertir, avec tout le monde, des peintures que l'on a faites d'eux ; mais les hypocrites n'on -point entendu raillerie ; ils se sont effarouchés d'abord, et ont trouvé étrange que j'eusse la hardiesse de jo +semblant de se divertir, avec tout le monde, des peintures que l'on a faites d'eux ; mais les hypocrites n'ont +point entendu raillerie ; ils se sont effarouchés d'abord, et ont trouvé étrange que j'eusse la hardiesse de jouer leurs grimaces et de vouloir décrier un métier dont tant d'honnêtes gens se mêlent. C'est un crime qu'ils ne -sauraient me pardonner ; et ils se sont tous armés contre ma comédie avec une fureur épouvantable. Ils n -eu garde de l'attaquer par le côté qui les a blessés : ils sont trop politiques pour cela, et savent trop bien v -pour découvrir le fond de leur âme. Suivant leur louable coutume, ils ont couvert leurs intérêts de la cause -Dieu ; et le Tartuffe, dans leur bouche, est une pièce qui offense la piété. Elle est, d'un bout à l'autre, plei +sauraient me pardonner ; et ils se sont tous armés contre ma comédie avec une fureur épouvantable. Ils n'ont +eu garde de l'attaquer par le côté qui les a blessés : ils sont trop politiques pour cela, et savent trop bien vivre +pour découvrir le fond de leur âme. Suivant leur louable coutume, ils ont couvert leurs intérêts de la cause de +Dieu ; et le Tartuffe, dans leur bouche, est une pièce qui offense la piété. Elle est, d'un bout à l'autre, pleine d'abominations, et l'on n'y trouve rien qui ne mérite le feu. Toutes les syllabes en sont impies ; les gestes -mêmes y sont criminels ; et le moindre coup d'oeil, le moindre branlement de tête, le moindre pas à droite +mêmes y sont criminels ; et le moindre coup d'oeil, le moindre branlement de tête, le moindre pas à droite ou à gauche, y cachent des mystères qu'ils trouvent moyen d'expliquer à mon désavantage. -J'ai eu beau la soumettre aux lumières de mes amis, et à la censure de tout le monde, les corrections que j' -pu faire, le jugement du roi et de la reine, qui l'ont vue, l'approbation des grands princes et de messieurs le -ministres, qui l'ont honorée publiquement de leur présence, le témoignage des gens de bien, qui l'ont trouv -profitable, tout cela n'a de rien servi. Ils n'en veulent point démordre ; et, tous les jours encore, ils font cr +J'ai eu beau la soumettre aux lumières de mes amis, et à la censure de tout le monde, les corrections que j'y ai +pu faire, le jugement du roi et de la reine, qui l'ont vue, l'approbation des grands princes et de messieurs les +ministres, qui l'ont honorée publiquement de leur présence, le témoignage des gens de bien, qui l'ont trouvée +profitable, tout cela n'a de rien servi. Ils n'en veulent point démordre ; et, tous les jours encore, ils font crier en public des zélés indiscrets, qui me disent des injures pieusement, et me damnent par charité. -Je me soucierais fort peu de tout ce qu'ils peuvent dire, n'était l'artifice qu'ils ont de me faire des ennemis -je respecte, et de jeter dans leur parti de véritables gens de bien, dont ils préviennent la bonne foi, et qui, p -la chaleur qu'ils ont pour les intérêts du ciel, sont faciles à recevoir les impressions qu'on veut leur donner -Voilà ce qui m'oblige à me défendre. C'est aux vrais dévots que je veux partout me justifier sur la conduit -ma comédie ; et je les conjure, de tout mon coeur, de ne point condamner les choses avant que de les voir +Je me soucierais fort peu de tout ce qu'ils peuvent dire, n'était l'artifice qu'ils ont de me faire des ennemis que +je respecte, et de jeter dans leur parti de véritables gens de bien, dont ils préviennent la bonne foi, et qui, par +la chaleur qu'ils ont pour les intérêts du ciel, sont faciles à recevoir les impressions qu'on veut leur donner. +Voilà ce qui m'oblige à me défendre. C'est aux vrais dévots que je veux partout me justifier sur la conduite de +ma comédie ; et je les conjure, de tout mon coeur, de ne point condamner les choses avant que de les voir, de se défaire de toute prévention, et de ne point servir la passion de ceux dont les grimaces les déshonorent. Si l'on prend la peine d'examiner de bonne foi ma comédie, on verra sans doute que mes intentions y sont partout innocentes, et qu'elle ne tend nullement à jouer les choses que l'on doit révérer ; que je l'ai traitée -avec toutes les précautions que demandait la délicatesse de la matière et que j'ai mis tout l'art et tous les so +avec toutes les précautions que demandait la délicatesse de la matière et que j'ai mis tout l'art et tous les soins qu'il m'a été possible pour bien distinguer le personnage de l'hypocrite d'avec celui du vrai dévot. J'ai employé pour cela deux actes entiers à préparer la venue de mon scélérat. Il ne tient pas un seul moment -l'auditeur en balance ; on le connaît d'abord aux marques que je lui donne ; et, d'un bout à l'autre, il ne di -pas un mot, il ne fait pas une action, qui ne peigne aux spectateurs le caractère d'un méchant homme, et n +l'auditeur en balance ; on le connaît d'abord aux marques que je lui donne ; et, d'un bout à l'autre, il ne dit +pas un mot, il ne fait pas une action, qui ne peigne aux spectateurs le caractère d'un méchant homme, et ne fasse éclater celui du véritable homme de bien que je lui oppose. -Je sais bien que, pour réponse, ces messieurs tâchent d'insinuer que ce n'est point au théâtre à parler de ce +Je sais bien que, pour réponse, ces messieurs tâchent d'insinuer que ce n'est point au théâtre à parler de ces matières ; mais je leur demande, avec leur permission, sur quoi ils fondent cette belle maxime. C'est une -proposition qu'ils ne font que supposer, et qu'ils ne prouvent en aucune façon ; et, sans doute, il ne serait -difficile de leur faire voir que la comédie, chez les anciens, a pris son origine de la religion, et faisait parti -leurs mystères ; que les Espagnols, nos voisins, ne célèbrent guère de fêtes où la comédie ne soit mêlée, e -que même, parmi nous, elle doit sa naissance aux soins d'une confrérie à qui appartient encore aujourd'hu +proposition qu'ils ne font que supposer, et qu'ils ne prouvent en aucune façon ; et, sans doute, il ne serait pas +difficile de leur faire voir que la comédie, chez les anciens, a pris son origine de la religion, et faisait partie de +leurs mystères ; que les Espagnols, nos voisins, ne célèbrent guère de fêtes où la comédie ne soit mêlée, et +que même, parmi nous, elle doit sa naissance aux soins d'une confrérie à qui appartient encore aujourd'hui l'hôtel de Bourgogne ; que c'est un lieu qui fut donné pour y représenter les plus importants mystères de notre foi ; qu'on en voit encore des comédies imprimées en lettres gothiques, sous le nom d'un docteur de -Sorbonne et, sans aller chercher si loin que l'on a joué, de notre temps, des pièces saintes de M. de Cornei +Sorbonne et, sans aller chercher si loin que l'on a joué, de notre temps, des pièces saintes de M. de Corneille, qui ont été l'admiration de toute la France. -Si l'emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes, je ne vois pas par quelle raison il y en aur +Si l'emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes, je ne vois pas par quelle raison il y en aura de privilégiés. Celui−ci est, dans l'Etat, d'une conséquence bien plus dangereuse que tous les autres ; et nous -avons vu que le théâtre a une grande vertu pour la correction. Les plus beaux traits d'une sérieuse morale -moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire ; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes q -la peinture de leurs défauts. C'est une grande atteinte aux vices, que de les exposer à la risée de tout le mo +avons vu que le théâtre a une grande vertu pour la correction. Les plus beaux traits d'une sérieuse morale sont +moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire ; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que +la peinture de leurs défauts. C'est une grande atteinte aux vices, que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions ; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant ; mais on ne veut point être ridicule. On me reproche d'avoir mis des termes de piété dans la bouche de mon imposteur. Eh ! pouvais−je m'en -empêcher, pour bien représenter le caractère d'un hypocrite ? Il suffit, ce me semble, que je fasse connaît -les motifs criminels qui lui font dire les choses, et que j'en aie retranché les termes consacrés, dont on aur -eu peine à lui entendre faire un mauvais usage. − Mais il débite au quatrième acte une morale pernicieuse +empêcher, pour bien représenter le caractère d'un hypocrite ? Il suffit, ce me semble, que je fasse connaître +les motifs criminels qui lui font dire les choses, et que j'en aie retranché les termes consacrés, dont on aurait +eu peine à lui entendre faire un mauvais usage. − Mais il débite au quatrième acte une morale pernicieuse. − Mais cette morale est−elle quelque chose dont tout le monde n'eût les oreilles rebattues ? Dit−elle rien de -nouveau dans ma comédie ? Et peut−on craindre que des choses si généralement détestées fassent quelqu +nouveau dans ma comédie ? Et peut−on craindre que des choses si généralement détestées fassent quelque impression dans les esprits ; que je les rende dangereuses en les faisant monter sur le théâtre ; qu'elles -reçoivent quelque autorité de la bouche d'un scélérat ? Il n'y a nulle apparence à cela ; et l'on doit approu +reçoivent quelque autorité de la bouche d'un scélérat ? Il n'y a nulle apparence à cela ; et l'on doit approuver la comédie du Tartuffe, ou condamner généralement toutes les comédies. C'est à quoi l'on s'attache furieusement depuis un temps ; et jamais on ne s'était si fort déchaîné contre le théâtre. Je ne puis pas nier qu'il n'y ait eu des Pères de l'Eglise qui ont condamné la comédie ; mais on ne -peut pas me nier aussi qu'il n'y en ait eu quelques−uns qui l'ont traitée un peu plus doucement. Ainsi l'auto +peut pas me nier aussi qu'il n'y en ait eu quelques−uns qui l'ont traitée un peu plus doucement. Ainsi l'autorité dont on prétend appuyer la censure est détruite par ce partage : et toute la conséquence qu'on peut tirer de cette diversité d'opinions en des esprits éclairés des mêmes lumières, c'est qu'ils ont pris la comédie différemment, et que les uns l'ont considérée dans sa pureté, lorsque les autres l'ont regardée dans sa corruption, et confondue avec tous ces vilains spectacles qu'on a eu raison de nommer des spectacles de turpitude. Et, en effet, puisqu'on doit discourir des choses et non pas des mots, et que la plupart des contrariétés -viennent de ne pas entendre et d'envelopper dans un même mot des choses opposées, il ne faut qu'ôter le v -de l'équivoque, et regarder ce qu'est la comédie en soi, pour voir si elle est condamnable. On connaîtra, sa -doute, que, n'étant autre chose qu'un poème ingénieux, qui, par des leçons agréables, reprend les défauts d +viennent de ne pas entendre et d'envelopper dans un même mot des choses opposées, il ne faut qu'ôter le voile +de l'équivoque, et regarder ce qu'est la comédie en soi, pour voir si elle est condamnable. On connaîtra, sans +doute, que, n'étant autre chose qu'un poème ingénieux, qui, par des leçons agréables, reprend les défauts des hommes, on ne saurait la censurer sans injustice ; et, si nous voulons ouïr là−dessus le témoignage de l'antiquité, elle nous dira que ses plus célèbres philosophes ont donné des louanges à la comédie, eux qui -faisaient profession d'une sagesse si austère, et qui criaient sans cesse après les vices de leur siècle. Elle n +faisaient profession d'une sagesse si austère, et qui criaient sans cesse après les vices de leur siècle. Elle nous fera voir qu'Aristote a consacré des veilles au théâtre, et s'est donné le soin de réduire en préceptes l'art de -faire des comédies. Elle nous apprendra que ses plus grands hommes, et des premiers en dignité, on fait g +faire des comédies. Elle nous apprendra que ses plus grands hommes, et des premiers en dignité, on fait gloire d'en composer eux−mêmes, qu'il y en a eu d'autres qui n'ont pas dédaigné de réciter en public celles qu'il avaient composées ; que la Grèce a fait pour cet art éclater son estime par les prix glorieux et par les superbes théâtres dont elle a voulu l'honorer ; et que, dans Rome enfin, ce même art a reçu aussi des -honneurs extraordinaires : je ne dis pas dans Rome débauchée, et sous la licence des empereurs, mais dan +honneurs extraordinaires : je ne dis pas dans Rome débauchée, et sous la licence des empereurs, mais dans Rome disciplinée, sous la sagesse des consuls, et dans le temps de la vigueur de la vertu romaine. -J'avoue qu'il y a eu des temps où la comédie s'est corrompue. Et qu'est−ce que dans le monde on ne corro -point tous les jours ? Il n'y a chose si innocente où les hommes ne puissent porter du crime ; point d'art s +J'avoue qu'il y a eu des temps où la comédie s'est corrompue. Et qu'est−ce que dans le monde on ne corrompt +point tous les jours ? Il n'y a chose si innocente où les hommes ne puissent porter du crime ; point d'art si salutaire dont ils ne soient capables de renverser les intentions ; rien de si bon en soi qu'ils ne puissent tourner à de mauvais usages. La médecine est un art profitable, et chacun la révère comme une des plus -excellentes choses que nous ayons ; et cependant il y a eu des temps où elle s'est rendue odieuse, et souve -on en a fait un art d'empoisonner les hommes. La philosophie est un présent du ciel ; elle nous a été donn +excellentes choses que nous ayons ; et cependant il y a eu des temps où elle s'est rendue odieuse, et souvent +on en a fait un art d'empoisonner les hommes. La philosophie est un présent du ciel ; elle nous a été donnée pour porter nos esprits à la connaissance d'un Dieu par la contemplation des merveilles de la nature ; et pourtant on n'ignore pas que souvent on l'a détournée de son emploi, et qu'on l'a occupée publiquement à -soutenir l'impiété. Les choses mêmes les plus saintes ne sont point à couvert de la corruption des hommes -et nous voyons des scélérats qui, tous les jours, abusent de la piété et la font servir méchamment aux crim +soutenir l'impiété. Les choses mêmes les plus saintes ne sont point à couvert de la corruption des hommes ; +et nous voyons des scélérats qui, tous les jours, abusent de la piété et la font servir méchamment aux crimes les plus grands. Mais on ne laisse pas pour cela de faire les distinctions qu'il est besoin de faire. On n'enveloppe point dans une fausse conséquence la bonté des choses que l'on corrompt, avec la malice des -corrupteurs. On sépare toujours le mauvais usage d'avec l'intention de l'art ; et comme on ne s'avise point +corrupteurs. On sépare toujours le mauvais usage d'avec l'intention de l'art ; et comme on ne s'avise point de défendre la médecine pour avoir été bannie de Rome, ni la philosophie pour avoir été condamnée -publiquement dans Athènes, on ne doit point aussi vouloir interdire la comédie pour avoir été censurée en -certains temps. Cette censure a eu ses raisons, qui ne subsistent point ici. Elle s'est renfermée dans ce qu'e -pu voir ; et nous ne devons point la tirer des bornes qu'elle s'est données, l'étendre plus loin qu'il ne faut, -lui faire embrasser l'innocent avec le coupable. La comédie qu'elle a eu dessein d'attaquer n'est point du to +publiquement dans Athènes, on ne doit point aussi vouloir interdire la comédie pour avoir été censurée en de +certains temps. Cette censure a eu ses raisons, qui ne subsistent point ici. Elle s'est renfermée dans ce qu'elle a +pu voir ; et nous ne devons point la tirer des bornes qu'elle s'est données, l'étendre plus loin qu'il ne faut, et +lui faire embrasser l'innocent avec le coupable. La comédie qu'elle a eu dessein d'attaquer n'est point du tout la comédie que nous voulons défendre. Il se faut bien garder de confondre celle−là avec celle−ci. Ce sont -deux personnes de qui les moeurs sont tout à fait opposées. Elles n'ont aucun rapport l'une avec l'autre que +deux personnes de qui les moeurs sont tout à fait opposées. Elles n'ont aucun rapport l'une avec l'autre que la ressemblance du nom ; et ce serait une injustice épouvantable que de vouloir condamner Olympe, qui est femme de bien, parce qu'il y a une Olympe qui a été une débauchée. De semblables arrêts, sans doute, -feraient un grand désordre dans le monde. Il n'y aurait rien par là qui ne fût condamné ; et, puisque l'on n -garde point cette rigueur à tant de choses dont on abuse tous les jours, on doit bien faire la même grâce à +feraient un grand désordre dans le monde. Il n'y aurait rien par là qui ne fût condamné ; et, puisque l'on ne +garde point cette rigueur à tant de choses dont on abuse tous les jours, on doit bien faire la même grâce à la comédie, et approuver les pièces de théâtre où l'on verra régner l'instruction et l'honnêteté. Je sais qu'il y a des esprits dont la délicatesse ne peut souffrir aucune comédie ; qui disent que les plus -honnêtes sont les plus dangereuses ; que les passions que l'on y dépeint sont d'autant plus touchantes qu'e +honnêtes sont les plus dangereuses ; que les passions que l'on y dépeint sont d'autant plus touchantes qu'elles sont pleines de vertu, et que les âmes sont attendries par ces sortes de représentations. Je ne vois pas quel -grand crime c'est que de s'attendrir à la vue d'une passion honnête ; et c'est un haut étage de vertu que cet -pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme. Je doute qu'une si grande perfection soit dans le -forces de la nature humaine ; et je ne sais s'il n'est pas mieux de travailler à rectifier et adoucir les passion -des hommes que de vouloir les retrancher entièrement. J'avoue qu'il y a des lieux qu'il vaut mieux fréquen -que le théâtre ; et, si l'on veut blâmer toutes les choses qui ne regardent pas directement Dieu et notre salu -est certain que la comédie en doit être, et je ne trouve point mauvais qu'elle soit condamnée avec le reste +grand crime c'est que de s'attendrir à la vue d'une passion honnête ; et c'est un haut étage de vertu que cette +pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme. Je doute qu'une si grande perfection soit dans les +forces de la nature humaine ; et je ne sais s'il n'est pas mieux de travailler à rectifier et adoucir les passions +des hommes que de vouloir les retrancher entièrement. J'avoue qu'il y a des lieux qu'il vaut mieux fréquenter +que le théâtre ; et, si l'on veut blâmer toutes les choses qui ne regardent pas directement Dieu et notre salut, il +est certain que la comédie en doit être, et je ne trouve point mauvais qu'elle soit condamnée avec le reste ; mais, supposé, comme il est vrai, que les exercices de la piété souffrent des intervalles et que les hommes aient besoin de divertissement, je soutiens qu'on ne leur en peut trouver un qui soit plus innocent que la comédie. Je me suis étendu trop loin. Finissons par un mot d'un grand prince sur la comédie du Tartuffe. Huit jours après qu'elle eut été défendue, on représenta devant la cour une pièce intitulée Scaramouche -ermite ; et le roi, en sortant, dit au grand prince que je veux dire. "Je voudrais bien savoir pourquoi les ge +ermite ; et le roi, en sortant, dit au grand prince que je veux dire. "Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière ne disent mot de celle de Scaramouche" ; à quoi le -prince répondit : "La raison de cela, c'est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont -messieurs−là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux−mêmes ; c'est ce qu'ils ne peuven +prince répondit : "La raison de cela, c'est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces +messieurs−là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux−mêmes ; c'est ce qu'ils ne peuvent souffrir". Premier placet présenté au Roi Sur la comédie du Tartuffe. Sire, -Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j'ai cru que, dans l'emploi où je -trouve, je n'avais rien de mieux à faire que d'attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; +Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j'ai cru que, dans l'emploi où je me +trouve, je n'avais rien de mieux à faire que d'attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; et, comme l'hypocrisie, sans doute, en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, -j'avais eu, Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume -je faisais une comédie qui décriât les hypocrites, et mît en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiée +j'avais eu, Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si +je faisais une comédie qui décriât les hypocrites, et mît en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux monnayeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistique. -Je l'ai faite, Sire, cette comédie, avec tout le soin, comme je crois, et toutes les circonspections que pouva +Je l'ai faite, Sire, cette comédie, avec tout le soin, comme je crois, et toutes les circonspections que pouvait demander la délicatesse de la matière ; et, pour mieux conserver l'estime et le respect qu'on doit aux vrais -dévots, j'en ai distingué le plus que j'ai pu le caractère que j'avais à toucher. Je n'ai point laissé d'équivoqu -j'ai ôté ce qui pouvait confondre le bien avec le mal, et ne me suis servi dans cette peinture que des couleu +dévots, j'en ai distingué le plus que j'ai pu le caractère que j'avais à toucher. Je n'ai point laissé d'équivoque, +j'ai ôté ce qui pouvait confondre le bien avec le mal, et ne me suis servi dans cette peinture que des couleurs expresses et des traits essentiels qui font reconnaître d'abord un véritable et franc hypocrite. -Cependant toutes mes précautions ont été inutiles. On a profité, Sire, de la délicatesse de votre âme sur le +Cependant toutes mes précautions ont été inutiles. On a profité, Sire, de la délicatesse de votre âme sur les matières de religion, et l'on a su vous prendre par l'endroit seul que vous êtes prenable, je veux dire par le respect des choses saintes. Les tartuffes, sous main, ont eu l'adresse de trouver grâce auprès de Votre Majesté ; et les originaux enfin ont fait supprimer la copie, quelque innocente qu'elle fût, et quelque ressemblante qu'on la trouvât. -Bien que ce m'eût été un coup sensible que la suppression de cet ouvrage, mon malheur, pourtant était ado -par la manière dont Votre Majesté s'était expliquée sur ce sujet ; et j'ai cru, sire, qu'elle m'ôtait tout lieu d +Bien que ce m'eût été un coup sensible que la suppression de cet ouvrage, mon malheur, pourtant était adouci, +par la manière dont Votre Majesté s'était expliquée sur ce sujet ; et j'ai cru, sire, qu'elle m'ôtait tout lieu de me plaindre, ayant eu la bonté de déclarer qu'elle ne trouvait rien à dire dans cette comédie qu'elle me défendait de produire en public. -Mais, malgré cette glorieuse déclaration du plus grand roi du monde et du plus éclairé, malgré l'approbati -encore de M. le légat, et de la plus grande partie de nos prélats, qui tous, dans les lectures particulières qu +Mais, malgré cette glorieuse déclaration du plus grand roi du monde et du plus éclairé, malgré l'approbation +encore de M. le légat, et de la plus grande partie de nos prélats, qui tous, dans les lectures particulières que je leur ai faites de mon ouvrage se sont trouvés d'accord avec les sentiments de Votre Majesté ; malgré tout -cela, dis−je, on voit un livre composé par le curé de..., qui donne hautement un démenti à tous ces auguste -témoignages. Votre Majesté a beau dire, et M. le légat et MM. les prélats ont beau donner leur jugement, +cela, dis−je, on voit un livre composé par le curé de..., qui donne hautement un démenti à tous ces augustes +témoignages. Votre Majesté a beau dire, et M. le légat et MM. les prélats ont beau donner leur jugement, ma comédie, sans l'avoir vue, est diabolique, et diabolique mon cerveau ; je suis un démon vêtu de chair et -habillé en homme, un libertin, un impie digne d'un supplice exemplaire. Ce n'est pas assez que le feu expi -public mon offense, j'en serais quitte à trop bon marché ; le zèle charitable de ce galant homme de bien n -garde de demeurer là ; il ne veut point que j'aie de miséricorde auprès de Dieu ; il veut absolument que j +habillé en homme, un libertin, un impie digne d'un supplice exemplaire. Ce n'est pas assez que le feu expie en +public mon offense, j'en serais quitte à trop bon marché ; le zèle charitable de ce galant homme de bien n'a +garde de demeurer là ; il ne veut point que j'aie de miséricorde auprès de Dieu ; il veut absolument que je sois damné, c'est une affaire résolue. Ce livre, Sire, a été présenté à Votre Majesté ; et, sans doute, elle juge bien elle−même combien il m'est -fâcheux de me voir exposé tous les jours aux insultes de ces messieurs ; quel tort me feront dans le mond -telles calomnies, s'il faut qu'elles soient tolérées ; et quel intérêt j'ai enfin à me purger de son imposture, e -faire voir au public que ma comédie n'est rien moins que ce qu'on veut qu'elle soit. Je ne dirai point, Sire, -que j'aurais à demander pour ma réputation et pour justifier à tout le monde l'innocence de mon ouvrage : -rois éclairés comme vous n'ont pas besoin qu'on leur marque ce qu'on souhaite ; ils voient, comme Dieu, -qu'il nous faut, et savent mieux que nous ce qu'ils nous doivent accorder. Il me suffit de mettre mes intérê +fâcheux de me voir exposé tous les jours aux insultes de ces messieurs ; quel tort me feront dans le monde de +telles calomnies, s'il faut qu'elles soient tolérées ; et quel intérêt j'ai enfin à me purger de son imposture, et à +faire voir au public que ma comédie n'est rien moins que ce qu'on veut qu'elle soit. Je ne dirai point, Sire, ce +que j'aurais à demander pour ma réputation et pour justifier à tout le monde l'innocence de mon ouvrage : les +rois éclairés comme vous n'ont pas besoin qu'on leur marque ce qu'on souhaite ; ils voient, comme Dieu, ce +qu'il nous faut, et savent mieux que nous ce qu'ils nous doivent accorder. Il me suffit de mettre mes intérêts entre les mains de Votre Majesté ; et j'attends d'elle, avec respect, tout ce qu'il lui plaira d'ordonner là−dessus. Second placet présenté au Roi @@ -21284,37 +21284,37 @@ Dans son camp devant la ville de Lille en Flandre, par les nommés De la Thorill comédiens de Sa Majesté, et compagnons de sieur Molière, sur la défense qui fut faite, le 6 août 1667, de représenter le Tartuffe jusques à nouvel ordre de Sa Majesté. Sire, -C'est une chose bien téméraire à moi que de venir importuner un grand monarque au milieu de ses glorieu +C'est une chose bien téméraire à moi que de venir importuner un grand monarque au milieu de ses glorieuses conquêtes ; mais, dans l'état où je me vois, où trouver, Sire, une protection qu'au lieu où je la viens chercher ? et qui puis−je solliciter contre l'autorité de la puissance qui m'accable, que la source de la -puissance et de l'autorité, que le juste dispensateur des ordres absolus, que le souverain juge et le maître d +puissance et de l'autorité, que le juste dispensateur des ordres absolus, que le souverain juge et le maître de toutes choses ? Ma comédie, Sire, n'a pu jouir ici des bontés de Votre Majesté. En vain je l'ai produite sous le titre de l'Imposteur, et déguisé le personnage sous l'ajustement d'un homme du monde ; j'ai eu beau lui donner un petit chapeau, de grands cheveux, un grand collet, une épée, et des dentelles sur tout l'habit, mettre en -plusieurs endroits des adoucissements, et retrancher avec soin tout ce que j'ai jugé capable de fournir l'om +plusieurs endroits des adoucissements, et retrancher avec soin tout ce que j'ai jugé capable de fournir l'ombre d'un prétexte aux célèbres originaux du portrait que je voulais faire : tout cela n'a de rien servi. La cabale -s'est réveillée aux simples conjectures qu'ils ont pu avoir de la chose. Ils ont trouvé moyen de surprendre -esprits qui, dans toute autre matière, font une haute profession de ne se point laisser surprendre. Ma comé -n'a pas plutôt paru, qu'elle s'est vue foudroyée par le coup d'un pouvoir qui doit imposer du respect ; et to -ce que j'ai pu faire en cette rencontre pour me sauver moi−même de l'éclat de cette tempête, c'est de dire q -Votre Majesté avait eu la bonté de m'en permettre la représentation, et que je n'avais pas cru qu'il fût beso +s'est réveillée aux simples conjectures qu'ils ont pu avoir de la chose. Ils ont trouvé moyen de surprendre des +esprits qui, dans toute autre matière, font une haute profession de ne se point laisser surprendre. Ma comédie +n'a pas plutôt paru, qu'elle s'est vue foudroyée par le coup d'un pouvoir qui doit imposer du respect ; et tout +ce que j'ai pu faire en cette rencontre pour me sauver moi−même de l'éclat de cette tempête, c'est de dire que +Votre Majesté avait eu la bonté de m'en permettre la représentation, et que je n'avais pas cru qu'il fût besoin de demander cette permission à d'autres, puisqu'il n'y avait qu'elle seule qui me l'eût défendue. Je ne doute point, Sire, que les gens que je peins dans ma comédie ne remuent bien des ressorts auprès de Votre Majesté, et ne jettent dans leur parti, comme ils l'ont déjà fait, de véritables gens de bien, qui sont d'autant plus prompts à se laisser tromper qu'ils jugent d'autrui par eux−mêmes. Ils ont l'art de donner de -belles couleurs à toutes leurs intentions. Quelque mine qu'ils fassent, ce n'est point du tout l'intérêt de Die +belles couleurs à toutes leurs intentions. Quelque mine qu'ils fassent, ce n'est point du tout l'intérêt de Dieu qui les peut émouvoir : ils l'ont assez montré dans les comédies qu'ils ont souffert qu'on ait jouées tant de fois en public, sans en dire le moindre mot. Celles−là n'attaquaient que la piété et la religion, dont ils se -soucient fort peu : mais celle−ci les attaque et les joue eux−mêmes ; et c'est ce qu'ils ne peuvent souffrir +soucient fort peu : mais celle−ci les attaque et les joue eux−mêmes ; et c'est ce qu'ils ne peuvent souffrir. Ils ne sauraient me pardonner de dévoiler leurs impostures aux yeux de tout le monde ; et, sans doute on ne -manquera pas de dire à Votre Majesté que chacun s'est scandalisé de ma comédie. Mais la vérité pure, Sir -c'est que tout Paris ne s'est scandalisé que de la défense qu'on en a faite, que les plus scrupuleux en ont tro +manquera pas de dire à Votre Majesté que chacun s'est scandalisé de ma comédie. Mais la vérité pure, Sire, +c'est que tout Paris ne s'est scandalisé que de la défense qu'on en a faite, que les plus scrupuleux en ont trouvé la représentation profitable, et qu'on s'est étonné que des personnes d'une probité si connue aient eu une si -grande déférence pour des gens qui devraient être l'horreur de tout le monde et sont si opposés à la véritab +grande déférence pour des gens qui devraient être l'horreur de tout le monde et sont si opposés à la véritable piété, dont elles font profession. -J'attends avec respect l'arrêt que Votre Majesté daignera prononcer sur cette matière ; mais il est très assu -Sire, qu'il ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les tartuffes ont l'avantage ; qu'ils prendront d +J'attends avec respect l'arrêt que Votre Majesté daignera prononcer sur cette matière ; mais il est très assuré, +Sire, qu'il ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les tartuffes ont l'avantage ; qu'ils prendront droit par là de me persécuter plus que jamais, et voudront trouver à redire aux choses les plus innocentes qui pourront sortir de ma plume. Daignent vos bonté, Sire, me donner une protection contre leur rage envenimée ; et puissé−je, au retour @@ -21323,14 +21323,14 @@ plaisirs après de si nobles travaux, et faire rire le monarque qui fait tremble Troisième placet présenté au Roi Le 5 février 1669 Sire, -Un fort honnête médecin, dont j'ai l'honneur d'être le malade, me promet et veut s'obliger par−devant nota -de me faire vivre encore trente années, si je puis lui obtenir une grâce de Votre Majesté. Je lui ai dit, sur s +Un fort honnête médecin, dont j'ai l'honneur d'être le malade, me promet et veut s'obliger par−devant notaire +de me faire vivre encore trente années, si je puis lui obtenir une grâce de Votre Majesté. Je lui ai dit, sur sa promesse, que je ne lui demandais pas tant, et que je serais satisfait de lui pourvu qu'il s'obligeât de ne me -point tuer. Cette grâce, Sire, est un canonicat de votre chapelle royale de Vincennes, vacant par la mort de -Oserai−je demander encore cette grâce à Votre Majesté le propre jour de la grande résurrection de Tartuff -ressuscité par vos bontés ? Je suis, par cette première faveur, réconcilié avec les dévots ; et je le serais, p +point tuer. Cette grâce, Sire, est un canonicat de votre chapelle royale de Vincennes, vacant par la mort de... +Oserai−je demander encore cette grâce à Votre Majesté le propre jour de la grande résurrection de Tartuffe, +ressuscité par vos bontés ? Je suis, par cette première faveur, réconcilié avec les dévots ; et je le serais, par cette seconde, avec les médecins. C'est pour moi, sans doute, trop de grâces à la fois ; mais peut−être n'en -est−ce pas trop pour Votre Majesté ; et j'attends, avec un peu d'espérance respectueuse, la réponse de mo +est−ce pas trop pour Votre Majesté ; et j'attends, avec un peu d'espérance respectueuse, la réponse de mon placet. Personnages Mme Pernelle, mère d'Orgon. @@ -22175,7 +22175,7 @@ Je me parle à moi−même. Orgon Fort bien. Pour châtier son insolence extrême, Il faut que je lui donne un revers de ma main. -(Il se met en posture de lui donner un soufflet ; et Dorine, à chaque coup d'oeil qu'il jette, se tient droite s +(Il se met en posture de lui donner un soufflet ; et Dorine, à chaque coup d'oeil qu'il jette, se tient droite sans parler.) Ma fille, vous devez approuver mon dessein... Croire que le mari... que j'ai su vous élire... @@ -24274,26 +24274,26 @@ Scène I Sganarelle, Gusman Sganarelle, tenant une tabatière. Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie, il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des -honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non−seulement il réjouit et purge les cerveau +honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non−seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez−vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et -comme on est ravi d'en donner à droit et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend pas même qu'on +comme on est ravi d'en donner à droit et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au−devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments -d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu not +d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours. Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire, ta maîtresse, surprise de notre départ, s'est mise en -campagne après nous, et son coeur, que mon maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis−tu, sans +campagne après nous, et son coeur, que mon maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis−tu, sans le venir chercher ici. Veux−tu qu'entre nous je te dise ma pensée ? J'ai peur qu'elle ne soit mal payée de son -amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger d +amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là. Gusman Et la raison encore ? Dis−moi, je te prie, Sganarelle, qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais augure ? Ton maître t'a−t−il ouvert son coeur là−dessus, et t'a−t−il dit qu'il eût pour nous quelque froideur qui l'ait obligé à partir ? Sganarelle -Non pas ; mais, à vue de pays, je connois à peu près le train des choses ; et sans qu'il m'ait encore rien di +Non pas ; mais, à vue de pays, je connois à peu près le train des choses ; et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerois presque que l'affaire va là. Je pourrois peut−être me tromper ; mais enfin, sur de tels sujets, l'expérience m'a pu donner quelques lumières. Gusman -Quoi ? ce départ si peu prévu seroit une infidélité de Dom Juan ? Il pourroit faire cette injure aux chaste +Quoi ? ce départ si peu prévu seroit une infidélité de Dom Juan ? Il pourroit faire cette injure aux chastes feux de Done Elvire ? Sganarelle Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage... @@ -24306,33 +24306,33 @@ Mais les saints noeuds du mariage le tiennent engagé. Sganarelle Eh ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois−moi, quel homme est Dom Juan. Gusman -Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie ; et je ne compren +Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie ; et je ne comprends point comme après tant d'amour et tant d'impatience témoignée, tant d'hommages pressants, de voeux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionnées, de protestations ardentes et de serments réitérés, tant de transports enfin et tant d'emportements qu'il a fait paroître, jusqu'à forcer, dans sa passion, l'obstacle sacré -d'un couvent, pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne comprends pas, dis−je, comme, après tout ce +d'un couvent, pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne comprends pas, dis−je, comme, après tout cela, il auroit le coeur de pouvoir manquer à sa parole. Sganarelle Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu connoissois le pèlerin, tu trouverois la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n'en ai point de certitude -encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu ; mai +encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu ; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos, que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la -terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, -loup−garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d'Epicure, un vrai Sardanapale, qui fe -l'oreille à toutes les remontrances [chrétiennes] qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nou -croyons. Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse : crois qu'il auroit plus fait pour sa passion, et qu'avec elle -auroit encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne se sert poi -d'autres pièges pour attraper les belles, et c'est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise -paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disois le nom de toutes celle -qu'il a épousées en divers lieux, ce seroit un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et chang -de couleur à ce discours ; ce n'est là qu'une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faud +terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni +loup−garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d'Epicure, un vrai Sardanapale, qui ferme +l'oreille à toutes les remontrances [chrétiennes] qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous +croyons. Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse : crois qu'il auroit plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il +auroit encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne se sert point +d'autres pièges pour attraper les belles, et c'est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, +paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disois le nom de toutes celles +qu'il a épousées en divers lieux, ce seroit un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes +de couleur à ce discours ; ce n'est là qu'une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudroit bien d'autres coups de pinceau. Suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour ; qu'il me -vaudroit bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiteroi -qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose ; il faut que je l +vaudroit bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiterois +qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose ; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j'en aie : la crainte en moi fait l'office du zèle, bride mes sentiments, et me réduit d'applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais : -séparons−nous. Ecoute au moins : je t'ai fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bie -vite de la bouche ; mais s'il falloit qu'il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirois hautement que tu au +séparons−nous. Ecoute au moins : je t'ai fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien +vite de la bouche ; mais s'il falloit qu'il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirois hautement que tu aurois menti. Scène II Dom Juan, Sganarelle @@ -24385,31 +24385,31 @@ vouliez pas, ce seroit peut−être une autre affaire. Dom Juan Eh bien ! je te donne la liberté de parler et de me dire tes sentiments. Sganarelle -En ce cas, Monsieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre méthode, et que je trouve fo +En ce cas, Monsieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre méthode, et que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites. Dom Juan -Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui -qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle -s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui no -peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n'est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles o -droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les juste -prétentions qu'elles ont toutes sur nos coeurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cè +Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et +qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de +s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous +peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n'est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont +droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes +prétentions qu'elles ont toutes sur nos coeurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une -belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de tou -et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refus -mon coeur à tout ce que je vois d'aimable ; et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avois dix mill -les donnerois tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir -l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le coeur d'u +belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, +et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser +mon coeur à tout ce que je vois d'aimable ; et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avois dix mille, je +les donnerois tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de +l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le coeur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des transports, par des -larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied tou +larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener -doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à -ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d'un te -amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos desirs, et présenter à notre coeur les charmes attray -d'une conquête à faire. Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne -j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuve +doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire +ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d'un tel +amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos desirs, et présenter à notre coeur les charmes attrayants +d'une conquête à faire. Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne, et +j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes desirs : je me sens un -coeur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterois qu'il y eût d'autres mondes, pour y pou +coeur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterois qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. Sganarelle Vertu de ma vie, comme vous débitez ! Il semble que vous avez appris cela par coeur, et vous parlez tout @@ -24417,14 +24417,14 @@ comme un livre. Dom Juan Qu'as−tu à dire là−dessus ? Sganarelle -Ma foi ! j'ai à dire..., je ne sais que dire ; car vous tournez les choses d'une manière, qu'il semble que vou -avez raison ; et cependant il est vrai que vous ne l'avez pas. J'avois les plus belles pensées du monde, et v -discours m'ont brouillé tout cela. Laissez faire : une autre fois je mettrai mes raisonnements par écrit, pou +Ma foi ! j'ai à dire..., je ne sais que dire ; car vous tournez les choses d'une manière, qu'il semble que vous +avez raison ; et cependant il est vrai que vous ne l'avez pas. J'avois les plus belles pensées du monde, et vos +discours m'ont brouillé tout cela. Laissez faire : une autre fois je mettrai mes raisonnements par écrit, pour disputer avec vous. Dom Juan Tu feras bien. Sganarelle -Mais, Monsieur, cela seroit−il de la permission que vous m'avez donnée, si je vous disois que je suis tant +Mais, Monsieur, cela seroit−il de la permission que vous m'avez donnée, si je vous disois que je suis tant soit peu scandalisé de la vie que vous menez ? Dom Juan Comment ? quelle vie est−ce que je mène ? @@ -24433,34 +24433,34 @@ Fort bonne. Mais, par exemple, de vous voir tous les mois vous marier comme vous Dom Juan Y a−t−il rien de plus agréable ? Sganarelle -Il est vrai, je conçois que cela est fort agréable et fort divertissant, et je m'en accommoderois assez, moi, s +Il est vrai, je conçois que cela est fort agréable et fort divertissant, et je m'en accommoderois assez, moi, s'il n'y avoit point de mal, mais, Monsieur, se jouer ainsi d'un mystère sacré, et... Dom Juan -Va, va, c'est une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble, sans que tu t'en mettes +Va, va, c'est une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble, sans que tu t'en mettes en peine. Sganarelle -Ma foi ! Monsieur, j'ai toujours ouï dire, que c'est une méchante raillerie que de se railler du Ciel, et que +Ma foi ! Monsieur, j'ai toujours ouï dire, que c'est une méchante raillerie que de se railler du Ciel, et que les libertins ne font jamais une bonne fin. Dom Juan Holà ! maître sot, vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les faiseurs de remontrances. Sganarelle -Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m'en garde. Vous savez ce que vous faites, vous ; et si vous ne croyez r +Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m'en garde. Vous savez ce que vous faites, vous ; et si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons ; mais il y a de certains petits impertinents dans le monde, qui sont libertins sans -savoir pourquoi, qui font les esprits forts, parce qu'ils croient que cela leur sied bien ; et si j'avois un maît -comme cela, je lui dirois fort nettement, le regardant en face : "Osez−vous bien ainsi vous jouer au Ciel, -ne tremblez−vous point de vous moquer comme vous faites des choses les plus saintes ? C'est bien à vou -petit ver de terre, petit mirmidon que vous êtes (je parle au maître que j'ai dit), c'est bien à vous à vouloir -mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes révèrent ? Pensez−vous que pour être de qualité, pou +savoir pourquoi, qui font les esprits forts, parce qu'ils croient que cela leur sied bien ; et si j'avois un maître +comme cela, je lui dirois fort nettement, le regardant en face : "Osez−vous bien ainsi vous jouer au Ciel, et +ne tremblez−vous point de vous moquer comme vous faites des choses les plus saintes ? C'est bien à vous, +petit ver de terre, petit mirmidon que vous êtes (je parle au maître que j'ai dit), c'est bien à vous à vouloir vous +mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes révèrent ? Pensez−vous que pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre chapeau, un habit bien doré, et des rubans -couleur de feu (ce n'est pas à vous que je parle, c'est à l'autre), pensez−vous, dis−je, que vous en soyez plu +couleur de feu (ce n'est pas à vous que je parle, c'est à l'autre), pensez−vous, dis−je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu'on n'ose vous dire vos vérités ? Apprenez de moi, qui suis -votre valet, que le Ciel punit tôt ou tard les impies, qu'une méchante vie amène une méchante mort, et que +votre valet, que le Ciel punit tôt ou tard les impies, qu'une méchante vie amène une méchante mort, et que..." Dom Juan Paix ! Sganarelle De quoi est−il question ? Dom Juan -Il est question de te dire qu'une beauté me tient au coeur, et qu'entraîné par ses appas, je l'ai suivie jusques +Il est question de te dire qu'une beauté me tient au coeur, et qu'entraîné par ses appas, je l'ai suivie jusques en cette ville. Sganarelle Et n'y craignez−vous rien, Monsieur, de la mort de ce commandeur que vous tuâtes il y a six mois ? @@ -24473,16 +24473,16 @@ J'ai eu ma grâce de cette affaire. Sganarelle Oui, mais cette grâce n'éteint pas peut−être le ressentiment des parents et des amis, et... Dom Juan -Ah ! n'allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement à ce qui nous peut donner -plaisir. La personne dont je te parle est une jeune fiancée, la plus agréable du monde, qui a été conduite ic +Ah ! n'allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement à ce qui nous peut donner du +plaisir. La personne dont je te parle est une jeune fiancée, la plus agréable du monde, qui a été conduite ici par celui même qu'elle y vient épouser ; et le hasard me fit voir ce couple d'amants trois ou quatre jours avant leur voyage. Jamais je n'ai vu deux personnes être si contents l'un de l'autre, et faire éclater plus -d'amour. La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'émotion ; j'en fus frappé au coeur -mon amour commença par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abord de les voir si bien ensemble ; le dép +d'amour. La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'émotion ; j'en fus frappé au coeur et +mon amour commença par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abord de les voir si bien ensemble ; le dépit alarma mes desirs, et je me figurai un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence, et rompre cet -attachement, dont la délicatesse de mon coeur se tenoit offensée ; mais jusques ici tous mes efforts ont ét +attachement, dont la délicatesse de mon coeur se tenoit offensée ; mais jusques ici tous mes efforts ont été inutiles, et j'ai recours au dernier remède. Cet époux prétendu doit aujourd'hui régaler sa maîtresse d'une -promenade sur mer. Sans t'en avoir rien dit, toutes choses sont préparées pour satisfaire mon amour, et j'a +promenade sur mer. Sans t'en avoir rien dit, toutes choses sont préparées pour satisfaire mon amour, et j'ai une petite barque et des gens, avec quoi fort facilement je prétends enlever la belle. Sganarelle Ha ! Monsieur... @@ -24500,21 +24500,21 @@ Est−elle folle, de n'avoir pas changé d'habit, et de venir en ce lieu−ci av Scène III Done Elvire, Dom Juan, Sganarelle Done Elvire -Me ferez−vous la grâce, Dom Juan, de vouloir bien me reconnoître ? et puis−je au moins espérer que vou +Me ferez−vous la grâce, Dom Juan, de vouloir bien me reconnoître ? et puis−je au moins espérer que vous daigniez tourner le visage de ce côté ? Dom Juan Madame, je vous avoue que je suis surpris, et que je ne vous attendois pas ici. Done Elvire -Oui, je vois bien que vous ne m'y attendiez pas ; et vous êtes surpris, à la vérité, mais tout autrement que +Oui, je vois bien que vous ne m'y attendiez pas ; et vous êtes surpris, à la vérité, mais tout autrement que je ne l'espérois ; et la manière dont vous le paroissez me persuade pleinement ce que je refusois de croire. J'admire ma simplicité et la foiblesse de mon coeur à douter d'une trahison que tant d'apparences me -confirmoient. J'ai été assez bonne, je le confesse, ou plutôt assez sotte pour me vouloir tromper moi−mêm +confirmoient. J'ai été assez bonne, je le confesse, ou plutôt assez sotte pour me vouloir tromper moi−même, et travailler à démentir mes yeux et mon jugement. J'ai cherché des raisons pour excuser à ma tendresse le -relâchement d'amitié qu'elle voyoit en vous ; et je me suis forgé exprès cent sujets légitimes d'un départ s -précipité, pour vous justifier du crime dont ma raison vous accusoit. Mes justes soupçons chaque jour avo +relâchement d'amitié qu'elle voyoit en vous ; et je me suis forgé exprès cent sujets légitimes d'un départ si +précipité, pour vous justifier du crime dont ma raison vous accusoit. Mes justes soupçons chaque jour avoient beau me parler : j'en rejetois la voix qui vous rendoit criminel à mes yeux, et j'écoutois avec plaisir mille chimères ridicules qui vous peignoient innocent à mon coeur. Mais enfin cet abord ne me permet plus de -douter, et le coup d'oeil qui m'a reçue m'apprend bien plus de choses que je ne voudrois en savoir. Je sera +douter, et le coup d'oeil qui m'a reçue m'apprend bien plus de choses que je ne voudrois en savoir. Je serai bien aise pourtant d'ouïr de votre bouche les raisons de votre départ. Parlez, Dom Juan, je vous prie, et voyons de quel air vous saurez vous justifier ! Dom Juan @@ -24544,37 +24544,37 @@ Monsieur... Dom Juan Si... Sganarelle -Madame, les conquérants, Alexandre et les autres mondes sont causes de notre départ. Voilà, Monsieur, to +Madame, les conquérants, Alexandre et les autres mondes sont causes de notre départ. Voilà, Monsieur, tout ce que je puis dire. Done Elvire Vous plaît−il, Dom juan, nous éclaircir ces beaux mystères ? Dom Juan Madame, à vous dire la vérité... Done Elvire -Ah ! que vous savez mal vous défendre pour un homme de cour, et qui doit être accoutumé à ces sortes d +Ah ! que vous savez mal vous défendre pour un homme de cour, et qui doit être accoutumé à ces sortes de choses ! J'ai pitié de vous voir la confusion que vous avez. Que ne vous armez−vous le front d'une noble -effronterie ? Que ne me jurez−vous que vous êtes toujours dans les mêmes sentiments pour moi, que vou -m'aimez toujours avec une ardeur sans égale, et que rien n'est capable de vous détacher de moi que la mor -Que ne me dites−vous que des affaires de la dernière conséquence vous ont obligé à partir sans m'en donn -avis ; qu'il faut que, malgré vous, vous demeuriez ici quelque temps, et que je n'ai qu'à m'en retourner d'o -viens, assurée que vous suivrez mes pas le plus tôt qu'il vous sera possible ; qu'il est certain que vous brû +effronterie ? Que ne me jurez−vous que vous êtes toujours dans les mêmes sentiments pour moi, que vous +m'aimez toujours avec une ardeur sans égale, et que rien n'est capable de vous détacher de moi que la mort ? +Que ne me dites−vous que des affaires de la dernière conséquence vous ont obligé à partir sans m'en donner +avis ; qu'il faut que, malgré vous, vous demeuriez ici quelque temps, et que je n'ai qu'à m'en retourner d'où je +viens, assurée que vous suivrez mes pas le plus tôt qu'il vous sera possible ; qu'il est certain que vous brûlez de me rejoindre, et qu'éloigné de moi, vous souffrez ce que souffre un corps qui est séparé de son âme ? Voilà comme il faut vous défendre ; et non pas être interdit comme vous êtes. Dom Juan -Je vous avoue, Madame, que je n'ai point le talent de dissimuler, et que je porte un coeur sincère. Je ne vo +Je vous avoue, Madame, que je n'ai point le talent de dissimuler, et que je porte un coeur sincère. Je ne vous dirai point que je suis toujours dans les mêmes sentiments pour vous, et que je brûle de vous rejoindre, -puisque enfin il est assuré que je ne suis parti que pour vous fuir ; non point par les raisons que vous pou +puisque enfin il est assuré que je ne suis parti que pour vous fuir ; non point par les raisons que vous pouvez vous figurer, mais par un pur motif de conscience, et pour ne croire pas qu'avec vous davantage je puisse -vivre sans péché. Il m'est venu des scrupules, Madame, et j'ai ouvert les yeux de l'âme sur ce que je faisoi -J'ai fait réflexion que, pour vous épouser, je vous ai dérobée à la clôture d'un convent, que vous avez romp -des voeux qui vous engageoient autre part, et que le Ciel est fort jaloux de ces sortes de choses. Le repent -m'a pris, et j'ai craint le courroux céleste ; j'ai cru que notre mariage n'étoit qu'un adultère déguisé, qu'il n +vivre sans péché. Il m'est venu des scrupules, Madame, et j'ai ouvert les yeux de l'âme sur ce que je faisois. +J'ai fait réflexion que, pour vous épouser, je vous ai dérobée à la clôture d'un convent, que vous avez rompu +des voeux qui vous engageoient autre part, et que le Ciel est fort jaloux de ces sortes de choses. Le repentir +m'a pris, et j'ai craint le courroux céleste ; j'ai cru que notre mariage n'étoit qu'un adultère déguisé, qu'il nous attireroit quelque disgrâce d'en haut, et qu'enfin je devois tâcher de vous oublier, et vous donner moyen de retourner à vos premières chaînes. Voudriez−vous, Madame, vous opposer à une si sainte pensée, et que j'allasse, en vous retenant, me mettre le Ciel sur les bras, que par... ? Done Elvire Ah ! scélérat, c'est maintenant que je te connois tout entier ; et pour mon malheur, je te connois lorsqu'il -n'en est plus temps, et qu'une telle connoissance ne peut plus me servir qu'à me désespérer. Mais sache qu +n'en est plus temps, et qu'une telle connoissance ne peut plus me servir qu'à me désespérer. Mais sache que ton crime ne demeurera pas impuni, et que le même Ciel dont tu te joues me saura venger de ta perfidie. Dom Juan Sganarelle, le Ciel ! @@ -24583,11 +24583,11 @@ Vraiment oui, nous nous moquons bien de cela, nous autres. Dom Juan Madame... Done Elvire -Il suffit. Je n'en veux pas ouïr davantage, et je m'accuse même d'en avoir trop entendu. C'est une lâcheté q +Il suffit. Je n'en veux pas ouïr davantage, et je m'accuse même d'en avoir trop entendu. C'est une lâcheté que de se faire expliquer trop sa honte ; et, sur de tels sujets, un noble coeur, au premier mot, doit prendre son -parti. N'attends pas que j'éclate ici en reproches et en injures : non, non, je n'ai point un courroux à exhale +parti. N'attends pas que j'éclate ici en reproches et en injures : non, non, je n'ai point un courroux à exhaler en paroles vaines, et toute sa chaleur se réserve pour sa vengeance. Je te le dis encore ; le Ciel te punira, -perfide, de l'outrage que tu me fais ; et si le Ciel n'a rien que tu puisses appréhender, appréhende du moin +perfide, de l'outrage que tu me fais ; et si le Ciel n'a rien que tu puisses appréhender, appréhende du moins la colère d'une femme offensée. Sganarelle Si le remords le pouvoit prendre ! @@ -24605,32 +24605,32 @@ Parquienne, il ne s'en est pas fallu l'époisseur d'une éplinque qu'ils ne se s Charlotte C'est donc le coup de vent da matin qui les avoit renvarsés dans la mar ? Pierrot -Aga, guien, Charlotte ; je m'en vas te conter tout fin drait comme cela est venu ; car, comme dit l'autre, j -les ai le premier avisés, avisés le premier je les ai. Enfin donc j'estions sur le bord de la mar, moi et le gro -Lucas, et je nous amusions à batifoler avec des mottes de tarre que je nous jesquions à la teste ; car, comm +Aga, guien, Charlotte ; je m'en vas te conter tout fin drait comme cela est venu ; car, comme dit l'autre, je +les ai le premier avisés, avisés le premier je les ai. Enfin donc j'estions sur le bord de la mar, moi et le gros +Lucas, et je nous amusions à batifoler avec des mottes de tarre que je nous jesquions à la teste ; car, comme tu sais bian, le gros Lucas aime à batifoler, et moi par fouas je batifole itou. En batifolant donc, pisque -batifoler y a, j'ai aparçu de tout loin queuque chose qui grouilloit dans gliau, et qui venoit comme envars n +batifoler y a, j'ai aparçu de tout loin queuque chose qui grouilloit dans gliau, et qui venoit comme envars nous par secousse. Je voyois cela fixiblement, et pis tout d'un coup je voyois que je ne voyois plus rien. "Eh ! Lucas, ç'ai−je fait, je pense que vlà des hommes qui nageant là−bas. − Voire, ce m'a−t−il fait, t'as esté au -trépassement d'un chat, t'as la vue trouble. − Palsanquienne, ç'ai−je fait, je n'ai point la vue trouble : ce so -des hommes. − Point du tout, ce m'a−t−il fait, t'as la barlue. − Veux−tu gager, ç'ai−je fait, que je n'ai poin -barlue, c'ai−je fait, et que sont deux hommes, ç'ai−je fait, qui nageant droit ici ? ç'ai−je fait. − Morquenne +trépassement d'un chat, t'as la vue trouble. − Palsanquienne, ç'ai−je fait, je n'ai point la vue trouble : ce sont +des hommes. − Point du tout, ce m'a−t−il fait, t'as la barlue. − Veux−tu gager, ç'ai−je fait, que je n'ai point la +barlue, c'ai−je fait, et que sont deux hommes, ç'ai−je fait, qui nageant droit ici ? ç'ai−je fait. − Morquenne, ce m'a−t−il fait, je gage que non. − O ! ça, ç'ai−je fait, veux−tu gager dix sols que si ? − Je le veux bian, ce m'a−t−il fait ; et pour te montrer, vlà argent su jeu," ce m'a−t−il fait. Moi, je n'ai point esté ni fou, ni estourdi ; j'ai bravement bouté à tarre quatre pièces tapées et cinq sols en doubles, jergniguenne, aussi -hardiment que si j'avois avalé un varre de vin ; car je ses hasardeux, moi, et je vas à la débandade. Je savo -bian ce que je faisois pourtant. Queuque gniais ! Enfin donc, je n'avons pas putost eu gagé, que j'avons vu -deux hommes tout à plain, qui nous faisiant signe de les aller querir ; et moi de tirer auparavant les enjeu -"Allons, Lucas, ç'ai−je dit, tu vois bian qu'ils nous appelont : allons viste à leu secours. − Non, ce m'a−t− +hardiment que si j'avois avalé un varre de vin ; car je ses hasardeux, moi, et je vas à la débandade. Je savois +bian ce que je faisois pourtant. Queuque gniais ! Enfin donc, je n'avons pas putost eu gagé, que j'avons vu les +deux hommes tout à plain, qui nous faisiant signe de les aller querir ; et moi de tirer auparavant les enjeux. +"Allons, Lucas, ç'ai−je dit, tu vois bian qu'ils nous appelont : allons viste à leu secours. − Non, ce m'a−t−il dit, ils m'ont fait pardre." O ! donc, tanquia qu'à la parfin, pour le faire court, je l'ai tant sarmonné, que je -nous sommes boutés dans une barque, et pis j'avons tant fait cahin caha, que je les avons tirés de gliau, et -je les avons menés cheux nous auprès du feu, et pis ils se sant dépouillés tous nus pour se sécher, et pis il -est venu encore deux de la mesme bande, qui s'equiant sauvés tout seul, et pis Mathurine est arrivée là, à q +nous sommes boutés dans une barque, et pis j'avons tant fait cahin caha, que je les avons tirés de gliau, et pis +je les avons menés cheux nous auprès du feu, et pis ils se sant dépouillés tous nus pour se sécher, et pis il y en +est venu encore deux de la mesme bande, qui s'equiant sauvés tout seul, et pis Mathurine est arrivée là, à qui l'en a fait les doux yeux. Vlà justement, Charlotte, comme tout ça s'est fait. Charlotte Ne m'as−tu pas dit, Piarrot, qu'il y en a un qu'est bien pu mieux fait que les autres ? Pierrot -Oui, c'est le maître. Il faut que ce soit queuque gros, gros Monsieur, car il a du dor à son habit tout depis l +Oui, c'est le maître. Il faut que ce soit queuque gros, gros Monsieur, car il a du dor à son habit tout depis le haut jusqu'en bas ; et ceux qui le servont sont des Monsieux eux−mesmes ; et stapandant, tout gros Monsieur qu'il est, il seroit, par ma fique, nayé, si je naviomme esté là. Charlotte @@ -24640,15 +24640,15 @@ O ! parquenne, sans nous, il en avoit pour sa maine de fèves. Charlotte Est−il encore cheux toi tout nu, Piarrot ? Pierrot -Nannain : ils l'avont rhabillé tout devant nous. Mon quieu, je n'en avois jamais vu s'habiller. Que d'histoir -et d'angigorniaux boutont ces Messieus−là les courtisans ! Je me pardrois là dedans, pour moi, et j'estois +Nannain : ils l'avont rhabillé tout devant nous. Mon quieu, je n'en avois jamais vu s'habiller. Que d'histoires +et d'angigorniaux boutont ces Messieus−là les courtisans ! Je me pardrois là dedans, pour moi, et j'estois tout ébobi de voir ça. Quien, Charlotte, ils avont des cheveux qui ne tenont point à leu teste ; et ils boutont ça après tout, comme un gros bonnet de filace. Ils ant des chemises qui ant des manches où j'entrerions tout -brandis, toi et moi. En glieu d'hau−de−chausse, ils portont un garde−robe aussi large que d'ici à Pasque ; +brandis, toi et moi. En glieu d'hau−de−chausse, ils portont un garde−robe aussi large que d'ici à Pasque ; en glieu de pourpoint, de petites brassières, qui ne leu venont pas usqu'au brichet ; et en glieu de rabats, un -grand mouchoir de cou à réziau, aveuc quatre grosses houppes de linge qui leu pendont sur l'estomaque. I -avont itou d'autres petits rabats au bout des bras, et de grands entonnois de passement aux jambes, et parm -tout ça tant de rubans, tant de rubans, que c'est une vraie piquié. Ignia pas jusqu'aux souliers qui n'en soio +grand mouchoir de cou à réziau, aveuc quatre grosses houppes de linge qui leu pendont sur l'estomaque. Ils +avont itou d'autres petits rabats au bout des bras, et de grands entonnois de passement aux jambes, et parmi +tout ça tant de rubans, tant de rubans, que c'est une vraie piquié. Ignia pas jusqu'aux souliers qui n'en soiont farcis tout depis un bout jusqu'à l'autre ; et ils sont faits d'eune façon que je me romprois le cou aveuc. Charlotte Par ma fi, Piarrot, il faut que j'aille voir un peu ça. @@ -24674,7 +24674,7 @@ Oui, ce n'est que ça, et c'est bian assez. Charlotte Mon quieu, Piarrot, tu me viens toujou dire la mesme chose. Pierrot -Je te dis toujou la mesme chose, parce que c'est toujou la mesme chose ; et si ce n'étoit pas toujou la mes +Je te dis toujou la mesme chose, parce que c'est toujou la mesme chose ; et si ce n'étoit pas toujou la mesme chose ; je ne te dirois pas toujou la mesme chose. Charlotte Mais qu'est−ce qu'il te faut ? Que veux−tu ? @@ -24685,7 +24685,7 @@ Est−ce que je ne t'aime pas ? Pierrot Non, tu ne m'aimes pas ; et si, je fais tout ce que je pis pour : ça : je t'achète, sans reproche, des rubans à tous les marciers qui passont ; je me romps le cou à t'aller denicher des marles ; je fais jouer pour toi les -vielleux quand ce vient ta feste ; et tout ça, comme si je me frappois la teste contre un mur. Vois−tu, ça n +vielleux quand ce vient ta feste ; et tout ça, comme si je me frappois la teste contre un mur. Vois−tu, ça n'est ni biau ni honneste de n'aimer pas les gens qui nous aimont. Charlotte Mais, mon gnieu, je t'aime aussi. @@ -24698,13 +24698,13 @@ Je veux que l'en fasse comme l'en fait quand l'en aime comme il faut. Charlotte Ne t'aimé−je pas aussi comme il faut ? Pierrot -Non : quand ça est, ça se voit, et l'en fait mille petites singeries aux personnes quand on les aime du bon -coeur. Regarde la grosse Thomasse, comme elle est assotée du jeune Robain : alle est toujou autour de li +Non : quand ça est, ça se voit, et l'en fait mille petites singeries aux personnes quand on les aime du bon du +coeur. Regarde la grosse Thomasse, comme elle est assotée du jeune Robain : alle est toujou autour de li à l'agacer, et ne le laisse jamais en repos ; toujou al li fait queuque niche ou li baille quelque taloche en -passant ; et l'autre jour qu'il estoit assis sur un escabiau, al fut le tirer de dessous li, et le fit choir tout de s -long par tarre. Jarni ! vlà où l'en voit les gens qui aimont ; mais toi, tu ne me dis jamais mot, t'es toujou l -comme eune vraie souche de bois ; et je passerois vingt fois devant toi, que tu ne te grouillerois pas pour -bailler le moindre coup, ou me dire la moindre chose. Ventrequenne ! ça n'est pas bian, après tout, et t'es +passant ; et l'autre jour qu'il estoit assis sur un escabiau, al fut le tirer de dessous li, et le fit choir tout de son +long par tarre. Jarni ! vlà où l'en voit les gens qui aimont ; mais toi, tu ne me dis jamais mot, t'es toujou là +comme eune vraie souche de bois ; et je passerois vingt fois devant toi, que tu ne te grouillerois pas pour me +bailler le moindre coup, ou me dire la moindre chose. Ventrequenne ! ça n'est pas bian, après tout, et t'es trop froide pour les gens. Charlotte Que veux−tu que j'y fasse ? C'est mon himeur, et je ne me pis refondre. @@ -24720,7 +24720,7 @@ Pourquoi me viens−tu aussi tarabuster l'esprit ? Pierrot Morqué ! queu mal te fais−je ! Je ne te demande qu'un peu d'amiquié. Charlotte -Eh bian ! laisse faire aussi, et ne me presse point tant. Peut−être que ça viendra tout d'un coup sans y son +Eh bian ! laisse faire aussi, et ne me presse point tant. Peut−être que ça viendra tout d'un coup sans y songer. Pierrot Touche donc là, Charlotte. Charlotte @@ -24740,14 +24740,14 @@ Scène II Dom Juan, Sganarelle, Charlotte Dom Juan Nous avons manqué notre coup, Sganarelle, et cette bourrasque imprévue a renversé avec notre barque le -projet que nous avions fait ; mais, à te dire vrai, la paysanne que je viens de quitter répare ce malheur, et +projet que nous avions fait ; mais, à te dire vrai, la paysanne que je viens de quitter répare ce malheur, et je lui ai trouvé des charmes qui effacent de mon esprit tout le chagrin que me donnoit le mauvais succès de -notre entreprise. Il ne faut pas que ce coeur m'échappe, et j'y ai déjà jeté des dispositions à ne pas me souf +notre entreprise. Il ne faut pas que ce coeur m'échappe, et j'y ai déjà jeté des dispositions à ne pas me souffrir longtemps de pousser des soupirs. Sganarelle Monsieur, j'avoue que vous m'étonnez. A peine sommes−nous échappés d'un péril de mort, qu'au lieu de rendre grâce au Ciel de la pitié qu'il a daigné prendre de nous, vous travaillez tout de nouveau à attirer sa -colère par vos fantaisies accoutumées et vos amours cr... Paix ! coquin que vous êtes ; vous ne savez ce +colère par vos fantaisies accoutumées et vos amours cr... Paix ! coquin que vous êtes ; vous ne savez ce que vous dites, et Monsieur sait ce qu'il fait. Allons. Dom Juan, apercevant Charlotte. Ah ! ah ! d'où sort cette autre paysanne, Sganarelle ? As−tu rien vu de plus joli ? et ne trouves−tu pas, @@ -24755,7 +24755,7 @@ dis−moi, que celle−ci vaut bien l'autre ? Sganarelle Assurément. Autre pièce nouvelle. Dom Juan -D'où me vient, la belle, une rencontre si agréable ? Quoi ? dans ces lieux champêtres, parmi ces arbres e +D'où me vient, la belle, une rencontre si agréable ? Quoi ? dans ces lieux champêtres, parmi ces arbres et ces rochers, on trouve des personnes faites comme vous êtes ? Charlotte Vous voyez, Monsieur. @@ -24776,10 +24776,10 @@ Ah ! la belle personne, et que ses yeux sont pénétrants ! Charlotte Monsieur, vous me rendez toute honteuse. Dom Juan -Ah ! n'ayez point de honte d'entendre dire vos vérités. Sganarelle, qu'en dis−tu ? Peut−on voir rien de plu -agréable ? Tournez−vous un peu, s'il vous plaît. Ah ! que cette taille est jolie ! Haussez un peu la tête, d -grâce. Ah ! que ce visage est mignon ! Ouvrez vos yeux entièrement. Ah ! qu'ils sont beaux ! Que je vo -un peu vos dents, je vous prie. Ah ! qu'elles sont amoureuses, et ces lèvres appétissantes ! Pour moi, je s +Ah ! n'ayez point de honte d'entendre dire vos vérités. Sganarelle, qu'en dis−tu ? Peut−on voir rien de plus +agréable ? Tournez−vous un peu, s'il vous plaît. Ah ! que cette taille est jolie ! Haussez un peu la tête, de +grâce. Ah ! que ce visage est mignon ! Ouvrez vos yeux entièrement. Ah ! qu'ils sont beaux ! Que je voie +un peu vos dents, je vous prie. Ah ! qu'elles sont amoureuses, et ces lèvres appétissantes ! Pour moi, je suis ravi, et je n'ai jamais vu une si charmante personne. Charlotte Monsieur, cela vous plaît à dire, et je ne sais pas si c'est pour vous railler de moi. @@ -24800,7 +24800,7 @@ Fi ! Monsieur, elles sont noires comme je ne sais quoi. Dom Juan Ha ! que dites−vous là ? Elles sont les plus belles du monde ; souffrez que je les baise, je vous prie. Charlotte -Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me faites, et si j'avois su ça tantôt, je n'aurois pas manqué de les l +Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me faites, et si j'avois su ça tantôt, je n'aurois pas manqué de les laver avec du son. Dom Juan Et dites−moi un peu, belle Charlotte, vous n'êtes pas mariée sans doute ? @@ -24808,15 +24808,15 @@ Charlotte Non, Monsieur ; mais je dois bientôt l'être avec Piarrot, le fils de la voisine Simonette. Dom Juan Quoi ? une personne comme vous seroit la femme d'un simple paysan ! Non, non : c'est profaner tant de -beautés, et vous n'êtes pas née pour demeurer dans un village. Vous méritez sans doute une meilleure fort -et le Ciel, qui le connoît bien, m'a conduit ici tout exprès pour empêcher ce mariage, et rendre justice à vo +beautés, et vous n'êtes pas née pour demeurer dans un village. Vous méritez sans doute une meilleure fortune, +et le Ciel, qui le connoît bien, m'a conduit ici tout exprès pour empêcher ce mariage, et rendre justice à vos charmes ; car enfin, belle Charlotte, je vous aime de tout mon coeur, et il ne tiendra qu'à vous que je vous -arrache de ce misérable lieu, et ne vous mette dans l'état où vous méritez d'être. Cet amour est bien promp +arrache de ce misérable lieu, et ne vous mette dans l'état où vous méritez d'être. Cet amour est bien prompt sans doute ; mais quoi ? c'est un effet, Charlotte, de votre grande beauté, et l'on vous aime autant en un quart d'heure qu'on feroit une autre en six mois. Charlotte -Aussi vrai, Monsieur, je ne sais comment faire quand vous parlez. Ce que vous dites me fait aise, et j'auro -toutes les envies du monde de vous croire ; mais on m'a toujou dit qu'il ne faut jamais croire les Monsieu +Aussi vrai, Monsieur, je ne sais comment faire quand vous parlez. Ce que vous dites me fait aise, et j'aurois +toutes les envies du monde de vous croire ; mais on m'a toujou dit qu'il ne faut jamais croire les Monsieux, et que vous autres courtisans êtes des enjoleus, qui ne songez qu'à abuser les filles. Dom Juan Je ne suis pas de ces gens−là. @@ -24826,10 +24826,10 @@ Charlotte Voyez−vous, Monsieur, il n'y a pas plaisir à se laisser abuser. Je suis une pauvre paysanne ; mais j'ai l'honneur en recommandation, et j'aimerois mieux me voir morte, que de me voir déshonorée. Dom Juan -Moi, j'aurois l'âme assez méchante pour abuser une personne comme vous ? Je serois assez lâche pour vo +Moi, j'aurois l'âme assez méchante pour abuser une personne comme vous ? Je serois assez lâche pour vous déshonorer ? Non, non : j'ai trop de conscience pour cela. Je vous aime, Charlotte, en tout bien et en tout honneur ; et pour vous montrer que je vous dis vrai, sachez que je n'ai point d'autre dessein que de vous -épouser : en voulez−vous un plus grand témoignage ? M'y voilà prêt quand vous voudrez ; et je prends +épouser : en voulez−vous un plus grand témoignage ? M'y voilà prêt quand vous voudrez ; et je prends à témoin l'homme que voilà de la parole que je vous donne. Sganarelle Non, non, ne craignez point : il se mariera avec vous tant que vous voudrez. @@ -24837,8 +24837,8 @@ Dom Juan Ah ! Charlotte, je vois bien que vous ne me connoissez pas encore. Vous me faites grand tort de juger de moi par les autres ; et s'il y a des fourbes dans le monde, des gens qui ne cherchent qu'à abuser des filles, vous devez me tirer du nombre, et ne pas mettre en doute la sincérité de ma foi. Et puis votre beauté vous -assure de tout. Quand on est faite comme vous, on doit être à couvert de toutes ces sortes de crainte ; vou -n'avez point l'air, croyez−moi, d'une personne qu'on abuse ; et pour moi, je l'avoue, je me percerois le coe +assure de tout. Quand on est faite comme vous, on doit être à couvert de toutes ces sortes de crainte ; vous +n'avez point l'air, croyez−moi, d'une personne qu'on abuse ; et pour moi, je l'avoue, je me percerois le coeur de mille coups, si j'avois eu la moindre pensée de vous trahir. Charlotte Mon Dieu ! je ne sais si vous dites vrai, ou non ; mais vous faites que l'on vous croit. @@ -24850,7 +24850,7 @@ Oui, pourvu que ma tante le veuille. Dom Juan Touchez donc là, Charlotte, puisque vous le voulez bien de votre part. Charlotte -Mais au moins, Monsieur, ne m'allez pas tromper, je vous prie : il y auroit de la conscience à vous, et vou +Mais au moins, Monsieur, ne m'allez pas tromper, je vous prie : il y auroit de la conscience à vous, et vous voyez comme j'y vais à la bonne foi. Dom Juan Comment ? Il semble que vous doutiez encore de ma sincérité ! Voulez−vous que je fasse des serments @@ -24868,7 +24868,7 @@ souffrez que, par mille baisers, je lui exprime le ravissement où je suis... Scène III Dom Juan, Sganarelle, Pierrot, Charlotte Pierrot, se mettant entre−deux et poussant Dom Juan. -Tout doucement, Monsieur, tenez−vous, s'il vous plaît. Vous vous échauffez trop, et vous pourriez gagner +Tout doucement, Monsieur, tenez−vous, s'il vous plaît. Vous vous échauffez trop, et vous pourriez gagner la Puresie. Dom Juan, repoussant rudement Pierrot. Qui m'amène cet impertinent ? @@ -24885,20 +24885,20 @@ Quement ? que je le laisse faire ? Je ne veux pas, moi. Dom Juan Ah ! Pierrot -Testiguenne ! parce qu'ous estes Monsieu, ous viendrez caresser nos femmes à notre barbe ? Allez−v's−e +Testiguenne ! parce qu'ous estes Monsieu, ous viendrez caresser nos femmes à notre barbe ? Allez−v's−en caresser les vostres. Dom Juan Heu ? Pierrot Heu. (Dom Juan lui donne un soufflet.) Testigué ! ne me frappez pas. (Autre soufflet.) Oh ! jernigué ! -(Autre soufflet.) Ventrequé ! (Autre soufflet.) Palsanqué ! Morquenne ! ça n'est pas bian de battre gens, +(Autre soufflet.) Ventrequé ! (Autre soufflet.) Palsanqué ! Morquenne ! ça n'est pas bian de battre gens, et ce n'est pas là la récompense de v's avoir sauvé d'estre nayé. Charlotte Piarrot, ne te fâche point. Pierrot Je me veux fâcher ; et t'es une vilaine, toi, d'endurer qu'on te cajole. Charlotte -Oh ! Piarrot, ce n'est pas ce que tu penses. Ce Monsieur veut m'épouser, et tu ne dois pas te bouter en col +Oh ! Piarrot, ce n'est pas ce que tu penses. Ce Monsieur veut m'épouser, et tu ne dois pas te bouter en colère. Pierrot Quement ? Jerni ! tu m'es promise. Charlotte @@ -24909,8 +24909,8 @@ Charlotte Va, va, Piarrot, ne te mets point en peine : si je sis Madame, je te ferai gagner queuque chose, et tu apporteras du beurre et du fromage cheux nous. Pierrot -Ventrequenne ! je gni en porterai jamais, quand tu m'en poyrois deux fois autant. Est−ce donc comme ça -t'escoutes ce qu'il te dit ? Morquenne ! si j'avois su ça tantost, je me serois bian gardé de le tirer de gliau +Ventrequenne ! je gni en porterai jamais, quand tu m'en poyrois deux fois autant. Est−ce donc comme ça que +t'escoutes ce qu'il te dit ? Morquenne ! si j'avois su ça tantost, je me serois bian gardé de le tirer de gliau, et je gli aurois baillé un bon coup d'aviron sur la teste. Dom juan, s'approchant de Pierrot pour le frapper. Qu'est−ce que vous dites ? @@ -24939,7 +24939,7 @@ Te voilà payé de ta charité. Pierrot Jarni ! je vas dire à sa tante tout ce ménage−ci. Dom Juan -Enfin je m'en vais être le plus heureux de tous les hommes, et je ne changerois pas mon bonheur à toutes +Enfin je m'en vais être le plus heureux de tous les hommes, et je ne changerois pas mon bonheur à toutes les choses du monde. Que de plaisirs quand vous serez ma femme ! et que... Scène IV Dom Juan, Sganarelle, Charlotte, Mathurine @@ -24953,7 +24953,7 @@ engagé à vous. Charlotte Qu'est−ce que c'est donc que vous veut Mathurine ? Dom Juan, bas, à Charlotte. -Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudroit bien que je l'épousasse ; mais je lui dis que c'est vous +Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudroit bien que je l'épousasse ; mais je lui dis que c'est vous que je veux, Mathurine Quoi ? Charlotte... @@ -25050,14 +25050,14 @@ Dites. Mathurine, à Dom Juan. Parlez. Dom Juan, embarrassé, leur dit à toutes deux. -Que voulez−vous que je dise ? Vous soutenez également toutes deux que je vous ai promis de vous prend -pour femmes. Est−ce chacune de vous ne sait pas ce qui en est, sans qu'il soit nécessaire que je m'expliqu +Que voulez−vous que je dise ? Vous soutenez également toutes deux que je vous ai promis de vous prendre +pour femmes. Est−ce chacune de vous ne sait pas ce qui en est, sans qu'il soit nécessaire que je m'explique davantage ? Pourquoi m'obliger là−dessus à des redites ? Celle à qui j'ai promis effectivement n'a−t−elle pas en elle même de quoi se moquer des discours de l'autre, et doit−elle se mettre en peine, pourvu que -j'accomplisse ma promesse ? Tous les discours n'avancent point les choses ; il faut faire et non pas dire, -les effets décident mieux que les paroles. Aussi n'est−ce rien que par là que je vous veux mettre d'accord, -l'on verra, quand je me marierai, laquelle des deux a mon coeur. (Bas, à Mathurine : ) Laissez−lui croire -qu'elle voudra. (Bas, à Charlotte : ) Laissez−la se flatter dans son imagination. (Bas, à Mathurine : ) Je v +j'accomplisse ma promesse ? Tous les discours n'avancent point les choses ; il faut faire et non pas dire, et +les effets décident mieux que les paroles. Aussi n'est−ce rien que par là que je vous veux mettre d'accord, et +l'on verra, quand je me marierai, laquelle des deux a mon coeur. (Bas, à Mathurine : ) Laissez−lui croire ce +qu'elle voudra. (Bas, à Charlotte : ) Laissez−la se flatter dans son imagination. (Bas, à Mathurine : ) Je vous adore. (Bas, à Charlotte.) Je suis tout à vous. (Bas, à Mathurine : ) Tous les visages sont laids auprès du vôtre. (Bas, à Charlotte : ) On ne peut plus souffrir les autres quand on vous a vue. J'ai un petit ordre à donner ; je viens vous retrouver dans un quart d'heure. @@ -25072,15 +25072,15 @@ demeurez dans votre village. Dom Juan, revenant. Je voudrois bien savoir pourquoi Sganarelle ne me suit pas. Sganarelle -Mon maître est un fourbe ; il n'a dessein que de vous abuser, et en a bien abusé d'autres ; c'est l'épouseur -genre humain, et... (Il aperçoit Dom Juan.) Cela est faux ; et quiconque vous dira cela, vous lui devez dir -qu'il en a menti. Mon maître n'est point l'épouseur du genre humain, il n'est point fourbe, il n'a pas dessein +Mon maître est un fourbe ; il n'a dessein que de vous abuser, et en a bien abusé d'autres ; c'est l'épouseur du +genre humain, et... (Il aperçoit Dom Juan.) Cela est faux ; et quiconque vous dira cela, vous lui devez dire +qu'il en a menti. Mon maître n'est point l'épouseur du genre humain, il n'est point fourbe, il n'a pas dessein de vous tromper, et n'en a point abusé d'autres. Ah ! tenez, le voilà ; demandez le plutôt à lui−même. Dom Juan Oui. Sganarelle Monsieur, comme le monde est plein de médisants, je vais au−devant des choses ; et je leur disois que, si -quelqu'un leur venoit dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent pas de l +quelqu'un leur venoit dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent pas de lui dire qu'il en auroit menti. Dom Juan Sganarelle. @@ -25098,20 +25098,20 @@ Dom Juan Comment ? La Ramée Douze hommes à cheval vous cherchent, qui doivent arriver ici dans un moment ; je ne sais pas par quel -moyen ils peuvent vous avoir suivi ; mais j'ai appris cette nouvelle d'un paysan qu'ils ont interrogé, et auq +moyen ils peuvent vous avoir suivi ; mais j'ai appris cette nouvelle d'un paysan qu'ils ont interrogé, et auquel ils vous ont dépeint. L'affaire presse, et le plus tôt que vous pourrez sortir d'ici sera le meilleur. Dom Juan, à Charlotte et Mathurine -Une affaire pressante m'oblige de partir d'ici ; mais je vous prie de vous ressouvenir de la parole que je v -ai donnée, et de croire que vous aurez de mes nouvelles avant qu'il soit demain au soir. Comme la partie n -pas égale, il faut user dé stratagème, et éluder adroitement le malheur qui me cherche. Je veux que Sganar +Une affaire pressante m'oblige de partir d'ici ; mais je vous prie de vous ressouvenir de la parole que je vous +ai donnée, et de croire que vous aurez de mes nouvelles avant qu'il soit demain au soir. Comme la partie n'est +pas égale, il faut user dé stratagème, et éluder adroitement le malheur qui me cherche. Je veux que Sganarelle se revête de mes habits, et moi... Sganarelle Monsieur, vous vous moquez. M'exposer à être tué sous vos habits, et... Dom Juan -Allons vite, c'est trop d'honneur que je vous fais, et bien heureux est le valet qui peut avoir la gloire de mo +Allons vite, c'est trop d'honneur que je vous fais, et bien heureux est le valet qui peut avoir la gloire de mourir pour son maître. Sganarelle -Je vous remercie d'un tel honneur. O Ciel, puisqu'il s'agit de mort, fais−moi la grâce de n'être point pris po +Je vous remercie d'un tel honneur. O Ciel, puisqu'il s'agit de mort, fais−moi la grâce de n'être point pris pour un autre ! Acte III Scène I @@ -25134,16 +25134,16 @@ maladies. Dom Juan Tu leur as répondu que tu n'y entendois rien ? Sganarelle -Moi ? Point du tout. J'ai voulu soutenir l'honneur de mon habit : j'ai raisonné sur le mal, et leur ai fait de +Moi ? Point du tout. J'ai voulu soutenir l'honneur de mon habit : j'ai raisonné sur le mal, et leur ai fait des ordonnances à chacun. Dom Juan Et quels remèdes encore leur as−tu ordonnés ? Sganarelle -Ma foi ! Monsieur, j'en ai pris par où j'en ai pu attraper ; j'ai fait mes ordonnances à l'aventure, et ce sero +Ma foi ! Monsieur, j'en ai pris par où j'en ai pu attraper ; j'ai fait mes ordonnances à l'aventure, et ce seroit une chose plaisante si les malades guérissoient, et qu'on m'en vînt remercier. Dom Juan -Et pourquoi non ? Par quelle raison n'aurois−tu pas les mêmes privilèges qu'ont tous les autres médecins -Ils n'ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rie +Et pourquoi non ? Par quelle raison n'aurois−tu pas les mêmes privilèges qu'ont tous les autres médecins ? +Ils n'ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard et des forces de la nature. Sganarelle @@ -25155,8 +25155,8 @@ Quoi ? vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin émétique ? Dom Juan Et pourquoi veux−tu que j'y croie ? Sganarelle -Vous avez l'âme bien mécréante. Cependant vous voyez, depuis un temps, que le vin émétique fait bruire -fuseaux. Ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n'y a pas trois semaines que j'en ai vu, m +Vous avez l'âme bien mécréante. Cependant vous voyez, depuis un temps, que le vin émétique fait bruire ses +fuseaux. Ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n'y a pas trois semaines que j'en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux. Dom Juan Et quel ? @@ -25175,7 +25175,7 @@ Voulez−vous rien de plus efficace ? Dom Juan Tu as raison. Sganarelle -Mais laissons là la médecine, où vous ne croyez point, et parlons des autres choses, car cet habit me donn +Mais laissons là la médecine, où vous ne croyez point, et parlons des autres choses, car cet habit me donne de l'esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous : vous savez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me défendez que les remontrances. Dom Juan @@ -25213,16 +25213,16 @@ Dom Juan Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit. Sganarelle La belle croyance [et les beaux articles de foi] que voilà ! Votre religion, à ce que je vois, est donc -l'arithmétique ? Il faut avouer qu'il se met d'étranges folies dans la tête des hommes, et que pour avoir bie +l'arithmétique ? Il faut avouer qu'il se met d'étranges folies dans la tête des hommes, et que pour avoir bien étudié on est bien moins sage le plus souvent. Pour moi, Monsieur, je n'ai point étudié comme vous. Dieu -merci, et personne ne saurait se vanter de m'avoir jamais rien appris ; mais avec mon petit sens, mon peti +merci, et personne ne saurait se vanter de m'avoir jamais rien appris ; mais avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous -voyons n'est pas un champignon, qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui -fait ces arbres−là, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voilà là−haut, et si tout cela s'est bâti de lui−mêm -Vous voilà vous, par exemple, vous êtes là : est−ce que vous vous êtes fait tout seul, et n'a−t−il pas fallu -votre père ait engrossé votre mère pour vous faire ? Pouvez−vous voir toutes les inventions dont la mach -de l'homme est composée sans admirer de quelle façon cela est agencé l'un dans l'autre : ces nerfs, ces os -ces veines, ces artères, ces... ce poumon, ce coeur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là, et qui +voyons n'est pas un champignon, qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui a +fait ces arbres−là, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voilà là−haut, et si tout cela s'est bâti de lui−même. +Vous voilà vous, par exemple, vous êtes là : est−ce que vous vous êtes fait tout seul, et n'a−t−il pas fallu que +votre père ait engrossé votre mère pour vous faire ? Pouvez−vous voir toutes les inventions dont la machine +de l'homme est composée sans admirer de quelle façon cela est agencé l'un dans l'autre : ces nerfs, ces os, +ces veines, ces artères, ces... ce poumon, ce coeur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là, et qui... Oh ! dame, interrompez−moi donc si vous voulez : je ne saurais disputer si l'on ne m'interrompt ; vous vous taisez exprès et me laissez parler par belle malice. Dom Juan @@ -25230,7 +25230,7 @@ J'attends que ton raisonnement soit fini. Sganarelle Mon raisonnement est qu'il y a quelque chose d'admirable dans l'homme, quoi que vous puissiez dire, que tous les savants ne sauroient expliquer. Cela n'est−il pas merveilleux que me voilà ici, et que j'aie quelque -chose dans la tête qui pense cent choses différentes en un moment, et fait de mon corps tout ce qu'elle veu +chose dans la tête qui pense cent choses différentes en un moment, et fait de mon corps tout ce qu'elle veut ? Je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au ciel, baisser la tête, remuer les pieds, aller à droit, à gauche, en avant, en arrière, tourner... (Il se laisse tomber en tournant.) @@ -25240,7 +25240,7 @@ Sganarelle Morbleu ! je suis bien sot de m'amuser à raisonner avec vous. Croyez ce que vous voudrez : il m'importe bien que vous soyez damné ! Dom Juan -Mais tout en raisonnant, je crois que nous sommes égarés. Appelle un peu cet homme que voilà là−bas, p +Mais tout en raisonnant, je crois que nous sommes égarés. Appelle un peu cet homme que voilà là−bas, pour lui demander le chemin. Sganarelle Holà, ho, l'homme ! ho, mon compère ! ho, l'ami ! un petit mot s'il vous plaît. @@ -25250,7 +25250,7 @@ Sganarelle Enseignez−nous un peu le chemin qui mène à la ville. Le pauvre. Vous n'avez qu'à suivre cette route, Messieurs, et détourner à main droite quand vous serez au bout de la -forêt. Mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que depuis quelque temps il y +forêt. Mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour. Dom Juan Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon coeur. @@ -25279,12 +25279,12 @@ Tu te moques : un homme qui prie le Ciel tout le jour ne peut pas manquer d'êt Le pauvre Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n'ai pas un morceau de pain à me mettre sous les dents. Dom Juan -[Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins. Ah ! ah ! ] je m'en vais te donner un louis d +[Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins. Ah ! ah ! ] je m'en vais te donner un louis d'or [tout à l'heure, pourvu que tu veuilles jurer. Le pauvre Ah ! Monsieur, voudriez−vous que je commisse un tel péché ? Dom Juan -Tu n'as qu'à voir si tu veux gagner un louis d'or ou non. En voici un que je te donne, si tu jures ; tiens, il f +Tu n'as qu'à voir si tu veux gagner un louis d'or ou non. En voici un que je te donne, si tu jures ; tiens, il faut jurer. Le pauvre Monsieur ! @@ -25303,7 +25303,7 @@ autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâchet Scène III Dom Juan, Dom Carlos, Sganarelle Sganarelle -Mon maître est un vrai enragé d'aller se présenter à un péril qui ne le cherche pas ; mais, ma foi ! le seco +Mon maître est un vrai enragé d'aller se présenter à un péril qui ne le cherche pas ; mais, ma foi ! le secours a servi, et les deux ont fait fuir les trois. Dom Carlos, l'épée à la main. On voit, par la fuite de ces voleurs, de quel secours est votre bras. Souffrez, Monsieur, que je vous rende @@ -25313,60 +25313,60 @@ Je n'ai rien fait, Monsieur, que vous n'eussiez fait en ma place. Notre propre h pareilles aventures, et l'action de ces coquins étoit si lâche que c'eût été y prendre part que de ne s'y pas opposer. Mais par quelle rencontre vous êtes−vous trouvé entre leurs mains ? Dom Carlos -Je m'étois par hasard égaré d'un frère et de tous ceux de notre suite ; et comme je cherchois à les rejoindr -j'ai fait rencontre de ces voleurs, qui d'abord ont tué mon cheval ; et qui, sans votre valeur, en auroient fa +Je m'étois par hasard égaré d'un frère et de tous ceux de notre suite ; et comme je cherchois à les rejoindre, +j'ai fait rencontre de ces voleurs, qui d'abord ont tué mon cheval ; et qui, sans votre valeur, en auroient fait autant de moi. Dom Juan Votre dessein est−il d'aller du côté de la ville ? Dom Carlos -Oui, mais sans y vouloir entrer ; et nous nous voyons obligés, mon frère et moi, à tenir la campagne pour -de ces fâcheuses affaires qui réduisent les gentilshommes à se sacrifier, eux et leur famille, à la sévérité d -leur honneur, puisque enfin le plus doux succès en est toujours funeste, et que, si l'on ne quitte pas la vie, -est contraint de quitter le Royaume ; et c'est en quoi je trouve la condition d'un gentilhomme malheureus -de ne pouvoir point s'assurer sur toute la prudence et toute l'honnêteté de sa conduite, d'être asservi par le -lois de l'honneur au déréglement de la conduite d'autrui, et de voir sa vie, son repos et ses biens dépendre -la fantaisie du premier téméraire qui s'avisera de lui faire une de ces injures pour qui un honnête homme d +Oui, mais sans y vouloir entrer ; et nous nous voyons obligés, mon frère et moi, à tenir la campagne pour une +de ces fâcheuses affaires qui réduisent les gentilshommes à se sacrifier, eux et leur famille, à la sévérité de +leur honneur, puisque enfin le plus doux succès en est toujours funeste, et que, si l'on ne quitte pas la vie, on +est contraint de quitter le Royaume ; et c'est en quoi je trouve la condition d'un gentilhomme malheureuse, +de ne pouvoir point s'assurer sur toute la prudence et toute l'honnêteté de sa conduite, d'être asservi par les +lois de l'honneur au déréglement de la conduite d'autrui, et de voir sa vie, son repos et ses biens dépendre de +la fantaisie du premier téméraire qui s'avisera de lui faire une de ces injures pour qui un honnête homme doit périr. Dom Juan -On a cet avantage, qu'on fait courir le même risque et passer mal aussi le temps à ceux qui prennent fanta +On a cet avantage, qu'on fait courir le même risque et passer mal aussi le temps à ceux qui prennent fantaisie de nous venir faire une offense de gaieté de coeur. Mais ne seroit−ce point une indiscrétion que de vous demander quelle peut être votre affaire ? Dom Carlos -La chose en est aux termes de n'en plus faire de secret, et lorsque l'injure a une fois éclaté, notre honneur -va point à vouloir cacher notre honte, mais à faire éclater notre vengeance, et à publier même le dessein q -nous en avons. Ainsi, Monsieur, je ne feindrai point de vous dire que l'offense que nous cherchons à veng -est une soeur séduite et enlevée d'un convent ; et que l'auteur de cette offense est un Dom Juan Tenorio, f -de Dom Louis Tenorio. Nous le cherchons depuis quelques jours, et nous l'avons suivi ce matin sur le rap +La chose en est aux termes de n'en plus faire de secret, et lorsque l'injure a une fois éclaté, notre honneur ne +va point à vouloir cacher notre honte, mais à faire éclater notre vengeance, et à publier même le dessein que +nous en avons. Ainsi, Monsieur, je ne feindrai point de vous dire que l'offense que nous cherchons à venger +est une soeur séduite et enlevée d'un convent ; et que l'auteur de cette offense est un Dom Juan Tenorio, fils +de Dom Louis Tenorio. Nous le cherchons depuis quelques jours, et nous l'avons suivi ce matin sur le rapport d'un valet qui nous a dit qu'il sortoit à cheval, accompagné de quatre ou cinq, et qu'il avoit pris le long de cette côte ; mais tous nos soins ont été inutiles, et nous n'avons pu découvrir ce qu'il est devenu. Dom Juan Le connoissez−vous, Monsieur, ce Dom Juan dont vous parlez ? Dom Carlos -Non, quant à moi. Je ne l'ai jamais vu, et je l'ai seulement ouï dépeindre à mon frère ; mais la renommée +Non, quant à moi. Je ne l'ai jamais vu, et je l'ai seulement ouï dépeindre à mon frère ; mais la renommée n'en dit pas force bien, et c'est un homme dont la vie... Dom Juan -Arrêtez, Monsieur, s'il vous plaît. Il est un peu de mes amis, et ce seroit à moi une espèce de lâcheté, que +Arrêtez, Monsieur, s'il vous plaît. Il est un peu de mes amis, et ce seroit à moi une espèce de lâcheté, que d'en ouïr dire du mal. Dom Carlos -Pour l'amour de vous, Monsieur, je n'en dirai rien du tout, et c'est bien la moindre chose que je vous doive +Pour l'amour de vous, Monsieur, je n'en dirai rien du tout, et c'est bien la moindre chose que je vous doive, après m'avoir sauvé la vie, que de me taire devant vous d'une personne que vous connoissez, lorsque je ne puis en parler sans en dire du mal ; mais, quelque ami que vous lui soyez, j'ose espérer que vous n'approuverez pas son action, et ne trouverez pas étrange que nous cherchions d'en prendre la vengeance. Dom Juan -Au contraire, je vous y veux servir, et vous épargner des soins inutiles. Je suis ami de Dom Juan, je ne pu +Au contraire, je vous y veux servir, et vous épargner des soins inutiles. Je suis ami de Dom Juan, je ne puis pas m'en empêcher ; mais il n'est pas raisonnable qu'il offense impunément des gentilshommes, et je m'engage à vous faire faire raison par lui. Dom Carlos Et quelle raison peut−on faire à ces sortes d'injures ? Dom Juan -Toute celle que votre honneur et souhaiter ; et, sans vous donner la peine de chercher Dom Juan davantag +Toute celle que votre honneur et souhaiter ; et, sans vous donner la peine de chercher Dom Juan davantage, je m'oblige à le faire trouver au lieu que vous voudrez, et quand il vous plaira. Dom Carlos -Cet espoir est bien doux, Monsieur, à des coeurs offensés ; mais, après ce que je vous dois, ce me seroit u +Cet espoir est bien doux, Monsieur, à des coeurs offensés ; mais, après ce que je vous dois, ce me seroit une trop sensible douleur que vous fussiez de la partie. Dom Juan Je suis si attaché à Dom Juan qu'il ne sauroit se battre que je ne me batte aussi ; mais enfin j'en réponds -comme de moi−même, et vous n'avez qu'à dire quand vous voulez qu'il paroisse et vous donne satisfactio +comme de moi−même, et vous n'avez qu'à dire quand vous voulez qu'il paroisse et vous donne satisfaction. Dom Carlos Que ma destinée est cruelle ! Faut−il que je vous doive la vie, et que Dom Juan soit de vos amis ? Scène IV @@ -25377,16 +25377,16 @@ vois−je ici ! Quoi ? mon frère, vous voilà avec notre ennemi mortel ? Dom Carlos Notre ennemi mortel ? Dom Juan ; se reculant de trois pas et mettant fièrement la main sur la garde de son épée. -Oui, je suis Dom Juan moi−même, et l'avantage du nombre ne m'obligea pas à vouloir déguiser mon nom +Oui, je suis Dom Juan moi−même, et l'avantage du nombre ne m'obligea pas à vouloir déguiser mon nom. Dom Alonse Ah ! traître, il faut que tu périsses, et... Dom Carlos -Ah ! mon frère, arrêtez. Je lui suis redevable de la vie ; et sans le secours de son bras, j'aurois été tué par +Ah ! mon frère, arrêtez. Je lui suis redevable de la vie ; et sans le secours de son bras, j'aurois été tué par des voleurs que j'ai trouvés ! Dom Alonse Et voulez−vous que cette considération empêche notre vengeance ? Tous les services que nous rend une main ennemie ne sont d'aucun mérite pour engager notre âme ; et s'il faut mesurer l'obligation à l'injure, -votre reconnoissance, mon frère, est ici ridicule ; et comme l'honneur est infiniment plus précieux que la +votre reconnoissance, mon frère, est ici ridicule ; et comme l'honneur est infiniment plus précieux que la vie, c'est ne devoir rien proprement que d'être redevable de la vie à qui nous a ôté l'honneur. Dom Carlos Je sais la différence, mon frère, qu'un gentilhomme doit toujours mettre entre l'un et l'autre, et la @@ -25394,7 +25394,7 @@ reconnoissance de l'obligation n'efface point en moi le ressentiment de l'injure rende ici ce qu'il m'a prêté, que je m'acquitte sur−le−champ de la vie que je lui dois, par un délai de notre vengeance, et lui laisse la liberté de jouir, durant quelques jours, du fruit de son bienfait. Dom Alonse -Non, non, c'est hasarder notre vengeance que de la reculer et l'occasion de la prendre peut ne plus revenir +Non, non, c'est hasarder notre vengeance que de la reculer et l'occasion de la prendre peut ne plus revenir. Le Ciel nous l'offre ici, c'est à nous d'en profiter. Lorsque l'honneur est blessé mortellement, on ne doit point songer à garder aucunes mesures ; et si vous répugnez à prêter votre bras à cette action, vous n'avez qu'a vous retirer et laisser à ma main la gloire d'un tel sacrifice. @@ -25403,34 +25403,34 @@ De grâce, mon frère... Dom Alonse Tous ces discours sont superflus : il faut qu'il meure. Dom Carlos -Arrêtez−vous, dis−je, mon frère. Je ne souffrirai point du tout qu'on attaque ses jours, et je jure le Ciel qu -le défendrai ici contre qui que ce soit, et je saurai lui faire un rempart de cette même vie qu'il a sauvée ; e +Arrêtez−vous, dis−je, mon frère. Je ne souffrirai point du tout qu'on attaque ses jours, et je jure le Ciel que je +le défendrai ici contre qui que ce soit, et je saurai lui faire un rempart de cette même vie qu'il a sauvée ; et pour adresser vos coups, il faudra que vous me perciez. Dom Alonse Quoi ? vous prenez le parti de notre ennemi contre moi ; et loin d'être saisi à son aspect des mêmes transports que je sens, vous faites voir pour lui des sentiments pleins de douceur ? Dom Carlos -Mon frère, montrons de la modération dans une action légitime, et ne vengeons point notre honneur avec -emportement que vous témoignez. Ayons du coeur dont nous soyons les maîtres, une valeur qui n'ait rien -farouche, et qui se porte aux choses par une pure délibération de notre raison, et non point par le mouvem +Mon frère, montrons de la modération dans une action légitime, et ne vengeons point notre honneur avec cet +emportement que vous témoignez. Ayons du coeur dont nous soyons les maîtres, une valeur qui n'ait rien de +farouche, et qui se porte aux choses par une pure délibération de notre raison, et non point par le mouvement d'une aveugle colère. Je ne veux point, mon frère, demeurer redevable à mon ennemi, et je lui ai une -obligation dont il faut que je m'acquitte avant toute chose. Notre vengeance, pour être différée, n'en sera p +obligation dont il faut que je m'acquitte avant toute chose. Notre vengeance, pour être différée, n'en sera pas moins éclatante : au contraire, elle en tirera de l'avantage ; et cette occasion de l'avoir pu prendre la fera paroître plus juste aux yeux de tout le monde. Dom Alonse -O l'étrange foiblesse, et l'aveuglement effroyable d'hasarder ainsi les intérêts de son honneur pour la ridic +O l'étrange foiblesse, et l'aveuglement effroyable d'hasarder ainsi les intérêts de son honneur pour la ridicule pensée d'une obligation chimérique ! Dom Carlos -Non, mon frère, ne vous mettez pas en peine. Si je fais une faute, je saurai bien la réparer, et je me charge +Non, mon frère, ne vous mettez pas en peine. Si je fais une faute, je saurai bien la réparer, et je me charge de tout le soin de notre honneur ; je sais à quoi il nous oblige, et cette suspension d'un jour, que ma -reconnoissance lui demande, ne fera qu'augmenter l'ardeur que j'ai de le satisfaire. Dom Juan, vous voyez +reconnoissance lui demande, ne fera qu'augmenter l'ardeur que j'ai de le satisfaire. Dom Juan, vous voyez que j'ai soin de vous rendre le bien que j'ai reçu de vous, et vous devez par là juger du reste, croire que je -m'acquitte avec même chaleur de ce que je dois, et que je ne serai pas moins exact à vous payer l'injure qu -bienfait. Je ne veux point vous obliger ici à expliquer vos sentiments, et je vous donne la liberté de penser -loisir aux résolutions que vous avez à prendre. Vous connoissez assez la grandeur de l'offense que vous n -avez faite, et je vous fais juge vous−même des réparations qu'elle demande. Il est des moyens doux pour n +m'acquitte avec même chaleur de ce que je dois, et que je ne serai pas moins exact à vous payer l'injure que le +bienfait. Je ne veux point vous obliger ici à expliquer vos sentiments, et je vous donne la liberté de penser à +loisir aux résolutions que vous avez à prendre. Vous connoissez assez la grandeur de l'offense que vous nous +avez faite, et je vous fais juge vous−même des réparations qu'elle demande. Il est des moyens doux pour nous satisfaire ; il en est de violents et de sanglants ; mais enfin, quelque choix que vous fassiez, vous m'avez -donné parole de me faire faire raison par Dom Juan : songez à me la faire, je vous prie, et vous ressouven +donné parole de me faire faire raison par Dom Juan : songez à me la faire, je vous prie, et vous ressouvenez que, hors d'ici, je ne dois plus qu'à mon honneur. Dom Juan Je n'ai rien exigé de vous, et vous tiendrai ce que j'ai promis. @@ -25463,8 +25463,8 @@ Il vous seroit aisé de pacifier toutes choses. Dom Juan Oui ; mais ma passion est usée pour Done Elvire, et l'engagement ne compatit point avec mon humeur. J'aime la liberté en amour, tu le sais, et je ne saurois me résoudre à renfermer mon coeur entre quatre -murailles. Je te l'ai dit vingt fois, j'ai une pente naturelle à me laisser aller à tout ce qui m'attire. Mon coeu -à toutes les belles, et c'est à elles à le prendre tour à tour et à le garder tant qu'elles le pourront. Mais quel +murailles. Je te l'ai dit vingt fois, j'ai une pente naturelle à me laisser aller à tout ce qui m'attire. Mon coeur est +à toutes les belles, et c'est à elles à le prendre tour à tour et à le garder tant qu'elles le pourront. Mais quel est le superbe édifice que je vois entre ces arbres ? Sganarelle Vous ne le savez pas ? @@ -25473,7 +25473,7 @@ Non, vraiment. Sganarelle. Bon ! c'est le tombeau que le Commandeur faisoit faire lorsque vous le tuâtes. Dom Juan -Ah ! tu as raison. Je ne savois pas que c'étoit de ce côté−ci qu'il étoit. Tout le monde m'a dit des merveill +Ah ! tu as raison. Je ne savois pas que c'étoit de ce côté−ci qu'il étoit. Tout le monde m'a dit des merveilles de cet ouvrage, aussi bien que de la statue du Commandeur, et j'ai envie de l'aller voir. Sganarelle Monsieur, n'allez point là. @@ -25482,11 +25482,11 @@ Pourquoi ? Sganarelle Cela n'est pas civil, d'aller voir un homme que vous avez tué. Dom Juan -Au contraire, c'est une visite dont je lui veux faire civilité, et qu'il doit recevoir de bonne grâce, s'il est gal +Au contraire, c'est une visite dont je lui veux faire civilité, et qu'il doit recevoir de bonne grâce, s'il est galant homme. Allons, entrons dedans. (Le tombeau s'ouvre, où l'on voit un superbe mausolée et la statue du Commandeur.) Sganarelle -Ah ! que cela est beau ! Les belles statues ! le beau marbre ! les beaux piliers ! Ah ! que cela est beau +Ah ! que cela est beau ! Les belles statues ! le beau marbre ! les beaux piliers ! Ah ! que cela est beau ! Qu'en dites−vous, Monsieur ? Dom Juan Qu'on ne peut voir aller plus loin l'ambition d'un homme mort ; et ce que je trouve admirable, c'est qu'un @@ -25497,10 +25497,10 @@ Voici la statue du Commandeur. Dom Juan Parbleu ! le voilà bon, avec son habit d'empereur romain ! Sganarelle -Ma foi, Monsieur, voilà qui est bien fait. Il semble qu'il est en vie, et qu'il s'en va parler. Il jette des regard +Ma foi, Monsieur, voilà qui est bien fait. Il semble qu'il est en vie, et qu'il s'en va parler. Il jette des regards sur nous qui me feroient peur, si j'étois tout seul, et je pense qu'il ne prend pas plaisir de nous voir. Dom Juan -Il auroit tort, et ce seroit mal recevoir l'honneur que je lui fais. Demande−lui s'il veut venir souper avec m +Il auroit tort, et ce seroit mal recevoir l'honneur que je lui fais. Demande−lui s'il veut venir souper avec moi. Sganarelle C'est une chose dont il n'a pas besoin, je crois. Dom Juan @@ -25510,7 +25510,7 @@ Vous moquez−vous ? Ce seroit être fou que d'aller parler à une statue. Dom Juan Fais ce que je te dis. Sganarelle -Quelle bizarrerie ! Seigneur Commandeur... je ris de ma sottise, mais c'est mon maître qui me la fait faire +Quelle bizarrerie ! Seigneur Commandeur... je ris de ma sottise, mais c'est mon maître qui me la fait faire. Seigneur Commandeur, mon maître Dom Juan vous demande si vous voulez lui faire l'honneur de venir souper avec lui. (La Statue baisse la tête.) Ha ! Dom Juan @@ -25528,7 +25528,7 @@ La Statue m'a fait signe. Dom Juan La peste le coquin ! Sganarelle -Elle m'a fait signe, vous dis−je : il n'est rien de plus vrai. Allez−vous−en lui parler vous−même pour voir +Elle m'a fait signe, vous dis−je : il n'est rien de plus vrai. Allez−vous−en lui parler vous−même pour voir. Peut−être... Dom Juan Viens, maraud, viens, je te veux bien faire toucher au doigt ta poltronnerie. Prends garde. Le Seigneur @@ -25544,18 +25544,18 @@ Acte IV Scène I Dom Juan, Sganarelle Dom Juan -Quoi qu'il en soit, laissons cela : c'est une bagatelle, et nous pouvons avoir été trompés par un faux jour, +Quoi qu'il en soit, laissons cela : c'est une bagatelle, et nous pouvons avoir été trompés par un faux jour, ou surpris de quelque vapeur qui nous ait troublé la vue. Sganarelle -Eh ! Monsieur, ne cherchez point à démentir ce que nous avons vu des yeux que voilà. Il n'est rien de plu +Eh ! Monsieur, ne cherchez point à démentir ce que nous avons vu des yeux que voilà. Il n'est rien de plus véritable que ce signe de tête ; et je ne doute point que le Ciel, scandalisé de votre vie, n'ait produit ce miracle pour vous convaincre, et pour vous retirer de... Dom Juan -Ecoute. Si tu m'importunes davantage de tes sottes moralités, si tu me dis encore le moindre mot là−dessu +Ecoute. Si tu m'importunes davantage de tes sottes moralités, si tu me dis encore le moindre mot là−dessus, je vais appeler quelqu'un, demander un nerf de boeuf, te faire tenir par trois ou quatre, et te rouer de mille coups. M'entends−tu bien ? Sganarelle -Fort bien, Monsieur, le mieux du monde. Vous vous expliquez clairement ; c'est ce qu'il y a de bon en vo +Fort bien, Monsieur, le mieux du monde. Vous vous expliquez clairement ; c'est ce qu'il y a de bon en vous, que vous n'allez point chercher de détours : vous dites les choses avec une netteté admirable. Dom Juan Allons, qu'on me fasse souper le plus tôt que l'on pourra. Une chaise, petit garçon. @@ -25564,25 +25564,25 @@ Dom Juan, La Violette, Sganarelle La Violette Monsieur, voilà votre marchand, M. Dimanche, qui demande à vous parler. Sganarelle -Bon, voilà ce qu'il nous faut, qu'un compliment de créancier. De quoi s'avise−t−il de nous venir demander +Bon, voilà ce qu'il nous faut, qu'un compliment de créancier. De quoi s'avise−t−il de nous venir demander de l'argent, et que ne lui disois−tu que Monsieur n'y est pas ? La Violette -Il y a trois quarts d'heure que je lui dis ; mais il ne veut pas le croire, et s'est assis là dedans pour attendre +Il y a trois quarts d'heure que je lui dis ; mais il ne veut pas le croire, et s'est assis là dedans pour attendre. Sganarelle Qu'il attende, tant qu'il voudra. Dom Juan -Non, au contraire, faites−le entrer. C'est une fort mauvaise politique que de se faire celer aux créanciers. I +Non, au contraire, faites−le entrer. C'est une fort mauvaise politique que de se faire celer aux créanciers. Il est bon de les payer de quelque chose, et j'ai le secret de les renvoyer satisfaits sans leur donner un double. Scène III Dom Juan, M. Dimanche, Sganarelle, Suite Dom Juan, faisant de grandes civilités. -Ah ! Monsieur Dimanche, approchez. Que je suis ravi de vous voir, et que je veux de mal à mes gens de -vous pas faire entrer d'abord ! J'avois donné ordre qu'on ne me fît parler personne ; mais cet ordre n'est p +Ah ! Monsieur Dimanche, approchez. Que je suis ravi de vous voir, et que je veux de mal à mes gens de ne +vous pas faire entrer d'abord ! J'avois donné ordre qu'on ne me fît parler personne ; mais cet ordre n'est pas pour vous, et vous êtes en droit de ne trouver jamais de porte fermée chez moi. M. Dimanche Monsieur, je vous suis fort obligé. Dom Juan, parlant à ses laquais. -Parbleu ! coquins, je vous apprendrai à laisser M. Dimanche dans une antichambre, et je vous ferai conno +Parbleu ! coquins, je vous apprendrai à laisser M. Dimanche dans une antichambre, et je vous ferai connoître les gens. M. Dimanche Monsieur, cela n'est rien. @@ -25647,7 +25647,7 @@ Et le petit Colin, fait−il toujours bien du bruit avec son tambour ? M. Dimanche Toujours de même, Monsieur. Je... Dom Juan -Et votre petit chien Brusquet ? gronde−t−il toujours aussi fort, et mord−il toujours bien aux jambes les ge +Et votre petit chien Brusquet ? gronde−t−il toujours aussi fort, et mord−il toujours bien aux jambes les gens qui vont chez vous ? M. Dimanche Plus que jamais, Monsieur, et nous ne saurions en chevir. @@ -25682,7 +25682,7 @@ M. Dimanche, se levant de même. Monsieur, il n'est pas nécessaire, et je m'en irai bien tout seul. Mais... (Sganarelle ôte les sièges promptement.) Dom Juan -Comment ? Je veux qu'on vous escorte, et je m'intéresse trop à votre personne. Je suis votre serviteur, et +Comment ? Je veux qu'on vous escorte, et je m'intéresse trop à votre personne. Je suis votre serviteur, et de plus votre débiteur. M. Dimanche Ah ! Monsieur... @@ -25695,14 +25695,14 @@ Voulez−vous que je vous reconduise ? M. Dimanche Ah ! Monsieur, vous vous moquez, Monsieur... Dom Juan -Embrassez−moi donc, s'il vous plaît. Je vous prie encore une fois d'être persuadé que je suis tout à vous, e +Embrassez−moi donc, s'il vous plaît. Je vous prie encore une fois d'être persuadé que je suis tout à vous, et qu'il n'y a rien au monde que je ne fisse pour votre service. (Il sort.) Sganarelle Il faut avouer que vous avez en Monsieur un homme qui vous aime bien. M. Dimanche -Il est vrai ; il me fait tant de civilités et tant de compliments que je ne saurois jamais lui demander de l'ar +Il est vrai ; il me fait tant de civilités et tant de compliments que je ne saurois jamais lui demander de l'argent. Sganarelle -Je vous assure que toute sa maison périroit pour vous ; et je voudrois qu'il vous arrivât quelque chose, qu +Je vous assure que toute sa maison périroit pour vous ; et je voudrois qu'il vous arrivât quelque chose, que quelqu'un s'avisât de vous donner des coups de bâton ; vous verriez de quelle manière... M. Dimanche Je le crois ; mais, Sganarelle, je vous prie de lui dire un petit mot de mon argent. @@ -25747,36 +25747,36 @@ Monsieur, voilà Monsieur votre père. Dom Juan Ah ! me voici bien : il me falloit cette visite pour me faire enrager. Dom Louis -Je vois bien que je vous embarrasse et que vous vous passeriez fort aisément de ma venue. A dire vrai, no +Je vois bien que je vous embarrasse et que vous vous passeriez fort aisément de ma venue. A dire vrai, nous nous incommodons étrangement l'un et l'autre ; et si vous êtes las de me voir, je suis bien las aussi de vos -déportements. Hélas ! que nous savons peu ce que nous faisons quand nous ne laissons pas au Ciel le soi -des choses qu'il nous faut, quand nous voulons être plus avisés que lui, et que nous venons à l'importuner -nos souhaits aveugles et nos demandes inconsidérées ! J'ai souhaité un fils avec des ardeurs nompareilles -je l'ai demandé sans relâche avec des transports incroyables ; et ce fils, que j'obtiens en fatiguant le Ciel d -voeux, est le chagrin et le supplice de cette vie même dont je croyois qu'il devoit être la joie et la consolat -De quel oeil, à votre avis, pensez−vous que je puisse voir cet amas d'actions indignes, dont on a peine, au -yeux du monde, d'adoucir le mauvais visage, cette suite continuelle de méchantes affaires, qui nous rédui -à toutes heures, à lasser les bontés du Souverain, et qui ont épuisé auprès de lui le mérite de mes services +déportements. Hélas ! que nous savons peu ce que nous faisons quand nous ne laissons pas au Ciel le soin +des choses qu'il nous faut, quand nous voulons être plus avisés que lui, et que nous venons à l'importuner par +nos souhaits aveugles et nos demandes inconsidérées ! J'ai souhaité un fils avec des ardeurs nompareilles ; +je l'ai demandé sans relâche avec des transports incroyables ; et ce fils, que j'obtiens en fatiguant le Ciel de +voeux, est le chagrin et le supplice de cette vie même dont je croyois qu'il devoit être la joie et la consolation. +De quel oeil, à votre avis, pensez−vous que je puisse voir cet amas d'actions indignes, dont on a peine, aux +yeux du monde, d'adoucir le mauvais visage, cette suite continuelle de méchantes affaires, qui nous réduisent, +à toutes heures, à lasser les bontés du Souverain, et qui ont épuisé auprès de lui le mérite de mes services et le crédit de mes amis ? Ah ! quelle bassesse est la vôtre ! Ne rougissez−vous point de mériter si peu votre -naissance ? Etes−vous en droit, dites−moi, d'en tirer quelque vanité ? Et qu'avez−vous fait dans le mond -pour être gentilhomme ? Croyez−vous qu'il suffise d'en porter le nom et les armes, et que ce nous soit un +naissance ? Etes−vous en droit, dites−moi, d'en tirer quelque vanité ? Et qu'avez−vous fait dans le monde +pour être gentilhomme ? Croyez−vous qu'il suffise d'en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d'être sorti d'un sang noble lorsque nous vivons en infâmes ? Non, non, la naissance n'est rien où la -vertu n'est pas. Aussi nous n'avons part à la gloire de nos ancêtres qu'autant que nous nous efforçons de le -ressembler ; et cet éclat de leurs actions qu'ils répandent sur nous, nous impose un engagement de leur fa +vertu n'est pas. Aussi nous n'avons part à la gloire de nos ancêtres qu'autant que nous nous efforçons de leur +ressembler ; et cet éclat de leurs actions qu'ils répandent sur nous, nous impose un engagement de leur faire le même honneur, de suivre les pas qu'ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leurs vertus, si nous -voulons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes +voulons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes né : ils vous désavouent pour leur sang, et tout ce qu'ils ont fait d'illustre ne vous donne aucun avantage ; au contraire, l'éclat n'en rejaillit sur vous qu'à votre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui éclaire aux -yeux d'un chacun la honte de vos actions. Apprenez enfin qu'un gentilhomme qui vit mal est un monstre d -la nature, que la vertu est le premier titre de noblesse, que je regarde bien moins au nom qu'on signe qu'au +yeux d'un chacun la honte de vos actions. Apprenez enfin qu'un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans +la nature, que la vertu est le premier titre de noblesse, que je regarde bien moins au nom qu'on signe qu'aux actions qu'on fait, et que je ferois plus d'état du fils d'un crocheteur qui seroit honnête homme, que du fils d'un monarque qui vivroit comme vous. Dom Juan Monsieur, si vous étiez assis, vous en seriez mieux pour parler. Dom Louis -Non, insolent, je ne veux point m'asseoir, ni parler davantage, et je vois bien que toutes mes paroles ne fo -rien sur ton âme. Mais sache, fils indigne, que la tendresse paternelle est poussée à bout par tes actions, qu -saurai, plus tôt que tu ne penses, mettre une borne à tes déréglements, prévenir sur toi le courroux du Ciel +Non, insolent, je ne veux point m'asseoir, ni parler davantage, et je vois bien que toutes mes paroles ne font +rien sur ton âme. Mais sache, fils indigne, que la tendresse paternelle est poussée à bout par tes actions, que je +saurai, plus tôt que tu ne penses, mettre une borne à tes déréglements, prévenir sur toi le courroux du Ciel, et laver par ta punition la honte de t'avoir fait naître. (Il sort.) Scène V Dom Juan, Sganarelle @@ -25793,10 +25793,10 @@ Dom Juan se lève de son siège. J'ai tort ? Sganarelle Oui, Monsieur, vous avez tort d'avoir souffert ce qu'il vous a dit, et vous le deviez mettre dehors par les -épaules. A−t−on jamais rien vu de plus impertinent ? Un père venir faire des remontrances à son fils, et l +épaules. A−t−on jamais rien vu de plus impertinent ? Un père venir faire des remontrances à son fils, et lui dire de corriger ses actions, de se ressouvenir de sa naissance, de mener une vie d'honnête homme, et cent -autres sottises de pareille nature ! Cela se peut−il souffrir à un homme comme vous, qui savez comme il -vivre ? J'admire votre patience ; et si j'avois été en votre place, je l'aurois envoyé promener. O complaisa +autres sottises de pareille nature ! Cela se peut−il souffrir à un homme comme vous, qui savez comme il faut +vivre ? J'admire votre patience ; et si j'avois été en votre place, je l'aurois envoyé promener. O complaisance maudite ! à quoi me réduis−tu ? Dom Juan Me fera−t−on souper bientôt ? @@ -25809,14 +25809,14 @@ Que pourroit−ce être ? Sganarelle Il faut voir. Done Elvire -Ne soyez point surpris, Dom Juan, de me voir à cette heure et dans cet équipage. C'est un motif pressant q +Ne soyez point surpris, Dom Juan, de me voir à cette heure et dans cet équipage. C'est un motif pressant qui m'oblige à cette visite, et ce que j'ai à vous dire ne veut point du tout de retardement. Je ne viens point ici -pleine de ce courroux que j'ai tantôt fait éclater, et vous me voyez bien changée de ce que j'étois ce marin -n'est plus cette Done Elvire qui faisoit des voeux contre vous, et dont l'âme irritée ne jetoit que menaces e -respiroit que vengeance. Le Ciel a banni de mon âme toutes ces insignes ardeurs que je sentois pour vous +pleine de ce courroux que j'ai tantôt fait éclater, et vous me voyez bien changée de ce que j'étois ce marin. Ce +n'est plus cette Done Elvire qui faisoit des voeux contre vous, et dont l'âme irritée ne jetoit que menaces et ne +respiroit que vengeance. Le Ciel a banni de mon âme toutes ces insignes ardeurs que je sentois pour vous, tous ces transports tumultueux d'un attachement criminel, tous ces honteux emportements d'un amour terrestre et grossier ; et il n'a laissé dans mon coeur pour vous qu'une flamme épurée de tout le commerce -des sens, une tendresse toute sainte, un amour détaché de tout, qui n'agit point pour soi, et ne se met en pe +des sens, une tendresse toute sainte, un amour détaché de tout, qui n'agit point pour soi, et ne se met en peine que de votre intérêt. Dom Juan, à Sganarelle. Tu pleures, je pense. @@ -25824,28 +25824,28 @@ Sganarelle Pardonnez−moi. Done Elvire C'est ce parfait et pur amour qui me conduit ici pour votre bien, pour vous faire part d'un avis du Ciel, et -tâcher de vous retirer du précipice où vous courez. Oui, Dom Juan, je sais tous les déréglements de votre -et ce même Ciel, qui m'a touché le coeur et fait jeter les yeux sur les égarements de ma conduite, m'a insp +tâcher de vous retirer du précipice où vous courez. Oui, Dom Juan, je sais tous les déréglements de votre vie, +et ce même Ciel, qui m'a touché le coeur et fait jeter les yeux sur les égarements de ma conduite, m'a inspiré de vous venir trouver, et de vous dire, de sa part, que vos offenses ont épuisé sa miséricorde, que sa colère -redoutable est prête de tomber sur vous, qu'il est en vous de l'éviter par un prompt repentir, et que peut−êt -vous n'avez pas encore un jour à vous pouvoir soustraire au plus grand de tous les malheurs. Pour moi, je +redoutable est prête de tomber sur vous, qu'il est en vous de l'éviter par un prompt repentir, et que peut−être +vous n'avez pas encore un jour à vous pouvoir soustraire au plus grand de tous les malheurs. Pour moi, je ne tiens plus à vous par aucun attachement du monde ; je suis revenue, grâces au Ciel, de toutes mes folles -pensées ; ma retraite est résolue, et je ne demande qu'assez de vie pour pouvoir expier la faute que j'ai fai +pensées ; ma retraite est résolue, et je ne demande qu'assez de vie pour pouvoir expier la faute que j'ai faite, et mériter, par une austère pénitence, le pardon de l'aveuglement où m'ont plongée les transports d'une -passion condamnable. Mais, dans cette retraite, j'aurois une douleur extrême qu'une personne que j'ai chér -tendrement devînt un exemple funeste de la justice du Ciel ; et ce me sera une joie incroyable si je puis v +passion condamnable. Mais, dans cette retraite, j'aurois une douleur extrême qu'une personne que j'ai chérie +tendrement devînt un exemple funeste de la justice du Ciel ; et ce me sera une joie incroyable si je puis vous porter à détourner de dessus votre tête l'épouvantable coup qui vous menace. De grâce, Dom Juan, -accordez−moi, pour dernière faveur, cette douce consolation ; ne me refusez point votre salut, que je vou -demande avec larmes ; et si vous n'êtes point touché de votre intérêt, soyez−le au moins de mes prières, e +accordez−moi, pour dernière faveur, cette douce consolation ; ne me refusez point votre salut, que je vous +demande avec larmes ; et si vous n'êtes point touché de votre intérêt, soyez−le au moins de mes prières, et m'épargnez le cruel déplaisir de vous voir condamner à des supplices éternels. Sganarelle Pauvre femme ! Done Elvire Je vous ai aimé avec une tendresse extrême, rien au monde ne m'a été si cher que vous ; j'ai oublié mon -devoir pour vous, j'ai fait toutes choses pour vous ; et toute la récompense que je vous en demande, c'est +devoir pour vous, j'ai fait toutes choses pour vous ; et toute la récompense que je vous en demande, c'est de corriger votre vie, et de prévenir votre perte. Sauvez−vous, je vous prie, ou pour l'amour de vous, ou pour -l'amour de moi. Encore une fois, Dom Juan, je vous le demande avec larmes ; et si ce n'est assez des larm -d'une personne que vous avez aimée, je vous en conjure par tout ce qui est le plus capable de vous touche +l'amour de moi. Encore une fois, Dom Juan, je vous le demande avec larmes ; et si ce n'est assez des larmes +d'une personne que vous avez aimée, je vous en conjure par tout ce qui est le plus capable de vous toucher. Sganarelle Coeur de tigre ! Done Elvire @@ -25857,7 +25857,7 @@ Non, Dom Juan, ne me retenez pas davantage. Dom Juan Madame, vous me ferez plaisir de demeurer, je vous assure. Done Elvire -Non, vous dis−je, ne perdons point de temps en discours superflus. Laissez−moi vite aller, ne faites aucun +Non, vous dis−je, ne perdons point de temps en discours superflus. Laissez−moi vite aller, ne faites aucune instance pour me conduire, et songez seulement à profiter de mon avis. Scène VII Dom Juan, Sganarelle, suite. @@ -25876,7 +25876,7 @@ Sganarelle, il faut songer à s'amender pourtant. Sganarelle Oui−da ! Dom Juan -Oui, ma foi ! il faut s'amender ; encore vingt ou trente ans de cette vie−ci, et puis nous songerons à nous +Oui, ma foi ! il faut s'amender ; encore vingt ou trente ans de cette vie−ci, et puis nous songerons à nous. Sganarelle Oh ! Dom Juan @@ -25889,8 +25889,8 @@ Il me semble que tu as la joue enflée ; qu'est−ce que c'est ? Parle donc, q Sganarelle Rien. Dom Juan -Montre un peu. Parbleu ! c'est une fluxion qui lui est tombée sur la joue. Vite une lancette pour percer ce -Le pauvre garçon n'en peut plus, et cet abcès le pourroit étouffer. Attends : voyez comme il étoit mûr. Ah +Montre un peu. Parbleu ! c'est une fluxion qui lui est tombée sur la joue. Vite une lancette pour percer cela. +Le pauvre garçon n'en peut plus, et cet abcès le pourroit étouffer. Attends : voyez comme il étoit mûr. Ah ! coquin que vous êtes ! Sganarelle Ma foi ! Monsieur, je voulois voir si votre cuisinier n'avoit point mis trop de sel ou trop de poivre. @@ -25926,7 +25926,7 @@ Une chaise et un couvert, vite donc. (A Sganarelle.) Allons, mets−toi à table Sganarelle Monsieur, je n'ai plus de faim. Dom Juan -Mets−toi là, te dis−je. A boire. A la santé du Commandeur : je te la porte, Sganarelle. Qu'on lui donne du +Mets−toi là, te dis−je. A boire. A la santé du Commandeur : je te la porte, Sganarelle. Qu'on lui donne du vin. Sganarelle Monsieur, je n'ai pas soif. Dom Juan @@ -25949,33 +25949,33 @@ Acte V Scène I Dom Louis, Dom Juan, Sganarelle Dom Louis -Quoi ? mon fils, seroit−il possible que la bonté du Ciel eût exaucé mes voeux ? Ce que vous me dites est -bien vrai ? ne m'abusez−vous point d'un faux espoir, et puis−je prendre quelque assurance sur la nouveau +Quoi ? mon fils, seroit−il possible que la bonté du Ciel eût exaucé mes voeux ? Ce que vous me dites est−il +bien vrai ? ne m'abusez−vous point d'un faux espoir, et puis−je prendre quelque assurance sur la nouveauté surprenante d'une telle conversion ? Dom Juan, faisant l'hypocrite. -Oui, vous me voyez revenu de toutes mes erreurs ; je ne suis plus le même d'hier au soir, et le Ciel tout d +Oui, vous me voyez revenu de toutes mes erreurs ; je ne suis plus le même d'hier au soir, et le Ciel tout d'un coup a fait en moi un changement qui va surprendre tout le monde : il a touché mon âme et dessillé mes -yeux, et je regarde avec horreur le long aveuglement où j'ai été, et les désordres criminels de la vie que j'a -menée. J'en repasse dans mon esprit toutes les abominations, et m'étonne comme le Ciel les a pu souffrir s -longtemps, et n'a pas vingt fois sur ma tête laissé tomber les coups de sa justice redoutable. Je vois les grâ -que sa bonté m'a faites en ne me punissant point de mes crimes ; et je prétends en profiter comme je dois +yeux, et je regarde avec horreur le long aveuglement où j'ai été, et les désordres criminels de la vie que j'ai +menée. J'en repasse dans mon esprit toutes les abominations, et m'étonne comme le Ciel les a pu souffrir si +longtemps, et n'a pas vingt fois sur ma tête laissé tomber les coups de sa justice redoutable. Je vois les grâces +que sa bonté m'a faites en ne me punissant point de mes crimes ; et je prétends en profiter comme je dois, faire éclater aux yeux du monde un soudain changement de vie, réparer par là le scandale de mes actions passées, et m'efforcer d'en obtenir du Ciel une pleine rémission. C'est à quoi je vais travailler ; et je vous prie, Monsieur, de vouloir bien contribuer à ce dessein, et de m'aider vous−même à faire choix d'une -personne qui me serve de guide, et sous la conduite de qui je puisse marcher sûrement dans le chemin où +personne qui me serve de guide, et sous la conduite de qui je puisse marcher sûrement dans le chemin où je m'en vais entrer. Dom Louis -Ah ! mon fils, que la tendresse d'un père est aisément rappelée, et que les offenses d'un fils s'évanouissen -vite au moindre mot de repentir ! Je ne me souviens plus déjà de tous les déplaisirs que vous m'avez donn -et tout est effacé par les paroles que vous venez de me faire entendre. Je ne me sens pas, je l'avoue ; je jet +Ah ! mon fils, que la tendresse d'un père est aisément rappelée, et que les offenses d'un fils s'évanouissent +vite au moindre mot de repentir ! Je ne me souviens plus déjà de tous les déplaisirs que vous m'avez donnés, +et tout est effacé par les paroles que vous venez de me faire entendre. Je ne me sens pas, je l'avoue ; je jette des larmes de joie ; tous mes voeux sont satisfaits, et je n'ai plus rien désormais à demander au Ciel. -Embrassez−moi, mon fils, et persistez, je vous conjure, dans cette louable pensée. Pour moi, j'en vais tout +Embrassez−moi, mon fils, et persistez, je vous conjure, dans cette louable pensée. Pour moi, j'en vais tout de ce pas porter l'heureuse nouvelle à votre mère, partager avec elle les doux transports du ravissement où je suis, et rendre grâce au Ciel des saintes résolutions qu'il a daigné vous inspirer. Scène II Dom Juan, Sganarelle Sganarelle -Ah ! Monsieur, que j'ai de joie de vous voir converti ! Il y a longtemps que j'attendois cela, et voilà, grâc +Ah ! Monsieur, que j'ai de joie de vous voir converti ! Il y a longtemps que j'attendois cela, et voilà, grâce au Ciel, tous mes souhaits accomplis. Dom Juan La peste le benêt ! @@ -25992,59 +25992,59 @@ Sganarelle Vous ne vous rendez pas à la surprenante merveille de cette statue mouvante et parlante ? Dom Juan Il y a bien quelque chose là dedans que je ne comprends pas ; mais quoi que ce puisse être, cela n'est pas -capable ni de convaincre mon esprit, ni d'ébranler mon âme ; et si j'ai dit que je voulois corriger ma cond -et me jeter dans un train de vie exemplaire, c'est un dessein que j'ai formé par pure politique, un stratagèm -utile, une grimace nécessaire où je veux me contraindre, pour ménager un père dont j'ai besoin, et me met -couvert, du côté des hommes, de cent fâcheuses aventures qui pourroient m'arriver. Je veux bien, Sganare -t'en faire confidence, et je suis bien aise d'avoir un témoin du fond de mon âme et des véritables motifs qu +capable ni de convaincre mon esprit, ni d'ébranler mon âme ; et si j'ai dit que je voulois corriger ma conduite +et me jeter dans un train de vie exemplaire, c'est un dessein que j'ai formé par pure politique, un stratagème +utile, une grimace nécessaire où je veux me contraindre, pour ménager un père dont j'ai besoin, et me mettre à +couvert, du côté des hommes, de cent fâcheuses aventures qui pourroient m'arriver. Je veux bien, Sganarelle, +t'en faire confidence, et je suis bien aise d'avoir un témoin du fond de mon âme et des véritables motifs qui m'obligent à faire les choses. Sganarelle Quoi ? vous ne croyez rien du tout, et vous voulez cependant vous ériger en homme de bien ? Dom Juan -Et pourquoi non ? Il y en a tant d'autres comme moi, qui se mêlent de ce métier, et qui se servent du mêm +Et pourquoi non ? Il y en a tant d'autres comme moi, qui se mêlent de ce métier, et qui se servent du même masque pour abuser le monde ! Sganarelle Ah ! quel homme ! quel homme ! Dom Juan Il n'y a plus de honte maintenant à cela : l'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d'homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu'on puisse -jouer aujourd'hui, et la profession d'hypocrite a de merveilleux avantages. C'est un art de qui l'imposture e +jouer aujourd'hui, et la profession d'hypocrite a de merveilleux avantages. C'est un art de qui l'imposture est toujours respectée ; et quoiqu'on la découvre, on n'ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des -hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l'hypocrisie est -vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d'une impunité souvera +hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l'hypocrisie est un +vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d'une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces ; une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les jette tous sur les bras ; et ceux que l'on sait même agir de bonne foi là−dessus, et que chacun connoît pour être -véritablement touchés ; ceux−là, dis−je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent hautement dans l +véritablement touchés ; ceux−là, dis−je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois−tu que j'en -connoisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait u +connoisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d'être les plus méchants -hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues et les connoître pour ce qu'ils sont, ils ne laissent pa +hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues et les connoître pour ce qu'ils sont, ils ne laissent pas pour cela d'être en crédit parmi les gens ; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d'yeux rajustent dans le monde tout ce qu'ils peuvent faire. C'est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j'aurai -soin de me cacher et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer -prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin c'est là le vr -moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m'érigerai en censeur des actions d'autrui, jugerai m -de tout le monde, et n'aurai bonne opinion que de moi. Dès qu'une fois on m'aura choqué tant soit peu, je -pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts d -Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d'impiété, et saurai déchaîn +soin de me cacher et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, +prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin c'est là le vrai +moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m'érigerai en censeur des actions d'autrui, jugerai mal +de tout le monde, et n'aurai bonne opinion que de moi. Dès qu'une fois on m'aura choqué tant soit peu, je ne +pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du +Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d'impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connoissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d'injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C'est ainsi qu'il faut profiter des foiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siècle. Sganarelle -O Ciel ! qu'entends−je ici ? Il ne vous manquoit plus que d'être hypocrite pour vous achever de tout poin +O Ciel ! qu'entends−je ici ? Il ne vous manquoit plus que d'être hypocrite pour vous achever de tout point, et voilà le comble des abominations. Monsieur, cette dernière−ci m'emporte et je ne puis m'empêcher de -parler. Faites−moi tout ce qu'il vous plaira, battez−moi, assommez−moi de coups, tuez−moi, si vous voul -il faut que je décharge mon coeur, et qu'en valet fidèle je vous dise ce que je dois. Sachez, Monsieur, que -va la cruche à l'eau, qu'enfin elle se brise ; et comme dit fort bien cet auteur que je ne connois pas, l'homm -est en ce monde ainsi que l'oiseau sur la branche ; la branche est attachée à l'arbre ; qui s'attache à l'arbre +parler. Faites−moi tout ce qu'il vous plaira, battez−moi, assommez−moi de coups, tuez−moi, si vous voulez : +il faut que je décharge mon coeur, et qu'en valet fidèle je vous dise ce que je dois. Sachez, Monsieur, que tant +va la cruche à l'eau, qu'enfin elle se brise ; et comme dit fort bien cet auteur que je ne connois pas, l'homme +est en ce monde ainsi que l'oiseau sur la branche ; la branche est attachée à l'arbre ; qui s'attache à l'arbre, suit de bons préceptes ; les bons préceptes valent mieux que les belles paroles ; les belles paroles se trouvent à la cour ; à la cour sont les courtisans ; les courtisans suivent la mode ; la mode vient de la -fantaisie ; la fantaisie est une faculté de l'âme ; l'âme est ce qui nous donne la vie ; la vie finit par la mor +fantaisie ; la fantaisie est une faculté de l'âme ; l'âme est ce qui nous donne la vie ; la vie finit par la mort ; la mort nous fait penser au Ciel ; le Ciel est au−dessus de la terre ; la terre n'est point la mer ; la mer est -sujette aux orages ; les orages tourmentent les vaisseaux ; les vaisseaux ont besoin d'un bon pilote ; un b +sujette aux orages ; les orages tourmentent les vaisseaux ; les vaisseaux ont besoin d'un bon pilote ; un bon pilote a de la prudence ; la prudence n'est point dans les jeunes gens ; les jeunes gens doivent obéissance -aux vieux ; les vieux aiment les richesses ; les richesses font les riches ; les riches ne sont pas pauvres ; +aux vieux ; les vieux aiment les richesses ; les richesses font les riches ; les riches ne sont pas pauvres ; les pauvres ont de la nécessité, nécessité n'a point de loi ; qui n'a point de loi vit en bête brute ; et par conséquent, vous serez damné à tous les diables. Dom Juan @@ -26055,14 +26055,14 @@ Scène III Dom Carlos, Dom Juan, Sganarelle Dom Carlos Dom Juan, je vous trouve à propos, et suis bien aise de vous parler ici plutôt que chez vous, pour vous -demander vos résolutions. Vous savez que ce soin me regarde, et que je me suis en votre présence chargé -cette affaire. Pour moi je ne le cèle point, je souhaite fort que les choses aillent dans la douceur ; et il n'y +demander vos résolutions. Vous savez que ce soin me regarde, et que je me suis en votre présence chargé de +cette affaire. Pour moi je ne le cèle point, je souhaite fort que les choses aillent dans la douceur ; et il n'y a rien que je ne fasse pour porter votre esprit à vouloir prendre cette voie, et pour vous voir publiquement confirmer à ma soeur le nom de votre femme. Dom Juan, d'un ton hypocrite. -Hélas ! je voudrois bien, de tout mon coeur, vous donner la satisfaction que vous souhaitez ; mais le Cie +Hélas ! je voudrois bien, de tout mon coeur, vous donner la satisfaction que vous souhaitez ; mais le Ciel s'y oppose directement : il a inspiré à mon âme le dessein de changer de vie, et je n'ai point d'autres pensées -maintenant que de quitter entièrement tous les attachements du monde, de me dépouiller au plus tôt de tou +maintenant que de quitter entièrement tous les attachements du monde, de me dépouiller au plus tôt de toutes sortes de vanités, et de corriger désormais par une austère conduite tous les dérèglements criminels où m'a porté le feu d'une aveugle jeunesse. Dom Carlos. @@ -26072,11 +26072,11 @@ Dom Juan Hélas ! point du tout. C'est un dessein que votre soeur elle−même a pris : elle a résolu sa retraite, et nous avons été touchés tous deux en même temps. Dom Carlos -Sa retraite ne peut nous satisfaire, pouvant être imputée au mépris que vous feriez d'elle et de notre famill +Sa retraite ne peut nous satisfaire, pouvant être imputée au mépris que vous feriez d'elle et de notre famille ; et notre honneur demande qu'elle vive avec vous. Dom Juan Je vous assure que cela ne se peut. J'en avois, pour moi, toutes les envies du monde, et je me suis même -encore aujourd'hui conseillé au Ciel pour cela ; mais, lorsque je l'ai consulté j'ai entendu une voix qui m'a +encore aujourd'hui conseillé au Ciel pour cela ; mais, lorsque je l'ai consulté j'ai entendu une voix qui m'a dit que je ne devois point songer à votre soeur, et qu'avec elle assurément je ne ferois point mon salut. Dom Carlos Croyez−vous, Dom Juan, nous éblouir par ces belles excuses ? @@ -26099,19 +26099,19 @@ Et quoi ? toujours le Ciel ? Dom Juan Le Ciel le souhaite comme cela. Dom Carlos -Il suffit, Dom Juan, je vous entends. Ce n'est pas ici que je veux vous prendre, et le lieu ne le souffre pas +Il suffit, Dom Juan, je vous entends. Ce n'est pas ici que je veux vous prendre, et le lieu ne le souffre pas ; mais, avant qu'il soit peu, je saurai vous trouver. Dom Juan Vous ferez ce que vous voudrez ; vous savez que je ne manque point de coeur, et que je sais me servir de -mon épée quand il le faut. Je m'en vais passer tout à l'heure dans cette petite rue écartée qui mène au gran -convent ; mais je vous déclare, pour moi, que ce n'est point moi qui me veux battre : le Ciel m'en défend +mon épée quand il le faut. Je m'en vais passer tout à l'heure dans cette petite rue écartée qui mène au grand +convent ; mais je vous déclare, pour moi, que ce n'est point moi qui me veux battre : le Ciel m'en défend la pensée ; et si vous m'attaquez, nous verrons ce qui en arrivera Dom Carlos Nous verrons, de vrai, nous verrons. Scène IV Dom Juan, Sganarelle Sganarelle -Monsieur, quel diable de style prenez−vous là ? Ceci est bien pis que le reste, et je vous aimerois bien mi +Monsieur, quel diable de style prenez−vous là ? Ceci est bien pis que le reste, et je vous aimerois bien mieux encore comme vous étiez auparavant. J'espérois toujours de votre salut ; mais c'est maintenant que j'en désespère ; et je crois que le Ciel, qui vous a souffert jusques ici, ne pourra souffrir du tout cette dernière horreur. @@ -26138,7 +26138,7 @@ Spectre, fantôme ; ou diable, je veux voir ce que c'est. Sganarelle O ciel ! voyez−vous, Monsieur, ce changement de figure ? Dom Juan -Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un cor +Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit. (Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper.) Sganarelle @@ -26156,16 +26156,16 @@ Donnez−moi la main. Dom Juan La voilà. La Statue -Dom Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvre +Dom Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre. Dom Juan O Ciel ! que sens−je ? un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah ! -(Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur dom Juan ; la terre s'ouvre et l'abîme ; et +(Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur dom Juan ; la terre s'ouvre et l'abîme ; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé.) Sganarelle [Ah ! mes gages ! mes gages ! ] Voilà par sa mort un chacun satisfait. Ciel offensé, lois violées, filles -séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le mond +séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content ; il n'y a que moi seul de malheureux, qui, après tant d'années de service, n'ai point d'autre récompense que de voir à mes yeux l'impiété de mon maître punie par le plus épouvantable châtiment du monde. [Mes gages ! mes gages ! mes gages ! ] @@ -26232,30 +26232,30 @@ Scène I Sganarelle, Aminte, Lucrèce, M. Guillaume, M. Josse Sganarelle Ah ! l'étrange chose que la vie ! et que je puis bien dire, avec ce grand philosophe de l'antiquité, que qui -terre a, guerre a, et qu'un malheur ne vient jamais sans l'autre ! Je n'avois qu'une seule femme, qui est mo +terre a, guerre a, et qu'un malheur ne vient jamais sans l'autre ! Je n'avois qu'une seule femme, qui est morte. M. Guillaume Et combien donc en voulez−vous avoir ? Sganarelle -Elle est morte, Monsieur mon ami. Cette perte m'est très−sensible, et je ne puis m'en ressouvenir sans ple +Elle est morte, Monsieur mon ami. Cette perte m'est très−sensible, et je ne puis m'en ressouvenir sans pleurer. Je n'étois pas fort satisfait de sa conduite, et nous avions le plus souvent dispute ensemble ; mais enfin la -mort rajuste toutes choses. Elle est morte : je la pleure. Si elle étoit en vie, nous nous querellerions. De to -les enfants que le Ciel m'avoit donnés, il ne m'a laissé qu'une fille, et cette fille est toute ma peine. Car en +mort rajuste toutes choses. Elle est morte : je la pleure. Si elle étoit en vie, nous nous querellerions. De tous +les enfants que le Ciel m'avoit donnés, il ne m'a laissé qu'une fille, et cette fille est toute ma peine. Car enfin je la vois dans une mélancolie la plus sombre du monde, dans une tristesse épouvantable, dont il n'y a pas moyen de la retirer, et dont je ne saurois même apprendre la cause. Pour moi, j'en perds l'esprit, et j'aurois -besoin d'un bon conseil sur cette matière. Vous êtes ma nièce ; vous, ma voisine ; et vous, mes compères +besoin d'un bon conseil sur cette matière. Vous êtes ma nièce ; vous, ma voisine ; et vous, mes compères et mes amis : je vous prie de me conseiller tous ce que je dois faire. M. Josse -Pour moi, je tiens que la braverie et l'ajustement est la chose qui réjouit le plus les filles ; et si j'étois que +Pour moi, je tiens que la braverie et l'ajustement est la chose qui réjouit le plus les filles ; et si j'étois que de vous, je lui achèterois, dès aujourd'hui, une belle garniture de diamants, ou de rubis, ou d'émeraudes. M. Guillaume -Et moi, si j'étois en votre place, j'achèterois une belle tenture de tapisserie de verdure, ou à personnages, q +Et moi, si j'étois en votre place, j'achèterois une belle tenture de tapisserie de verdure, ou à personnages, que je ferois mettre à sa chambre, pour lui réjouit l'esprit et la vue. Aminte -Pour moi, je ne ferois point tant de façon ; et je la marierois fort bien, et le plus tôt que je pourrois, avec c +Pour moi, je ne ferois point tant de façon ; et je la marierois fort bien, et le plus tôt que je pourrois, avec cette personne qui vous la fit, dit−on, demander il y a quelque temps. Lucrèce Et moi, je tiens que votre fille n'est point du tout propre pour le mariage. Elle est d'une complexion trop -délicate et trop peu saine, et c'est la vouloir envoyer bientôt en l'autre monde, que de l'exposer, comme ell +délicate et trop peu saine, et c'est la vouloir envoyer bientôt en l'autre monde, que de l'exposer, comme elle est, à faire des enfants. Le monde n'est point du tout son fait, et je vous conseille de la mettre dans un convent, où elle trouvera des divertissements qui seront mieux de son humeur. Sganarelle @@ -26266,24 +26266,24 @@ mine d'avoir quelque tenture qui vous incommode. Celui que vous aimez, ma voisin inclination pour ma fille, et vous ne seriez pas fâchée de la voir la femme d'un autre. Et quant à vous, ma chère nièce, ce n'est pas mon dessein, comme on sait, de marier ma fille avec qui que ce soit, et j'ai mes raisons pour cela ; mais le conseil que vous me donnez de la faire religieuse est d'une femme qui pourroit -bien souhaiter charitablement d'être mon héritière universelle. Ainsi, Messieurs et Mesdames, quoique tou -vos conseils soient les meilleurs du monde, vous trouverez bon, s'il vous plaît, que je n'en suive aucun. Vo +bien souhaiter charitablement d'être mon héritière universelle. Ainsi, Messieurs et Mesdames, quoique tous +vos conseils soient les meilleurs du monde, vous trouverez bon, s'il vous plaît, que je n'en suive aucun. Voilà de mes donneurs de conseils à la mode. Scène II Lucinde, Sganarelle Sganarelle -Ah ! voilà ma fille qui prend l'air. Elle ne me voit pas ; elle soupire ; elle lève les yeux au ciel. Dieu vou +Ah ! voilà ma fille qui prend l'air. Elle ne me voit pas ; elle soupire ; elle lève les yeux au ciel. Dieu vous gard ! Bon jour, ma mie. Hé bien ! qu'est−ce ? Comme vous en va ? Hé ! quoi ? toujours triste et -mélancolique comme cela, et tu ne veux pas me dire ce que tu as. Allons donc, découvre−moi ton petit co -Là, ma pauvre mie, dis ; dis ; dis tes petites pensées à ton petit papa mignon. Courage ! Veux−tu que je +mélancolique comme cela, et tu ne veux pas me dire ce que tu as. Allons donc, découvre−moi ton petit coeur. +Là, ma pauvre mie, dis ; dis ; dis tes petites pensées à ton petit papa mignon. Courage ! Veux−tu que je te baise ? Viens. J'enrage de la voir de cette humeur−là. Mais, dis−moi, me veux−tu faire mourir de déplaisir, et ne puis−je -savoir d'où vient cette grande langueur ? Découvre−m'en la cause, et je te promets que je ferai toutes cho -pour toi. Oui, tu n'as qu'à me dire le sujet de ta tristesse ; je t'assure ici, et te fais serment qu'il n'y a rien q -je ne fasse pour te satisfaire : c'est tout dire. Est−ce que tu es jalouse de quelqu'une de tes compagnes que +savoir d'où vient cette grande langueur ? Découvre−m'en la cause, et je te promets que je ferai toutes choses +pour toi. Oui, tu n'as qu'à me dire le sujet de ta tristesse ; je t'assure ici, et te fais serment qu'il n'y a rien que +je ne fasse pour te satisfaire : c'est tout dire. Est−ce que tu es jalouse de quelqu'une de tes compagnes que tu voies plus brave que toi ? et seroit−il quelque étoffe nouvelle dont tu voulusses avoir un habit ? Non. Est−ce que ta chambre ne te semble pas assez parée, et que tu souhaiterois quelque cabinet de la foire -Saint−Laurent ? Ce n'est pas cela. Aurois−tu envie d'apprendre quelque chose ? et veux−tu que je te don +Saint−Laurent ? Ce n'est pas cela. Aurois−tu envie d'apprendre quelque chose ? et veux−tu que je te donne un maître pour te montrer à jouer du clavecin ? Nenni. Aimerois−tu quelqu'un, et souhaiterois−tu d'être mariée ? (Lucinde lui fait signe que c'est cela.) @@ -26300,12 +26300,12 @@ Il n'est pas nécessaire ; et puisqu'elle veut être de cette humeur, je suis d Lisette Laissez−moi faire, vous dis−je. Peut−être qu'elle se découvrira plus librement à moi qu'à vous. Quoi ? Madame, vous ne nous direz point ce que vous avez, et vous voulez affliger ainsi tout le monde ? Il me -semble qu'on n'agit point comme vous faites, et que, si vous avez quelque répugnance à vous expliquer à -père, vous n'en devez avoir aucune à me découvrir votre coeur. Dites−moi, souhaitez−vous quelque chose -lui ? Il nous a dit plus d'une fois qu'il n'épargneroit rien pour vous contenter. Est−ce qu'il ne vous donne p -toute la liberté que vous souhaiteriez, et les promenades et les cadeaux ne tenteroient−ils point votre âme -Heu. Avez−vous reçu quelque déplaisir de quelqu'un ? Heu. N'auriez−vous point quelque secrète inclinat -avec qui vous souhaiteriez que votre père vous mariât ? Ah ! je vous entends. Voilà l'affaire. Que diable +semble qu'on n'agit point comme vous faites, et que, si vous avez quelque répugnance à vous expliquer à un +père, vous n'en devez avoir aucune à me découvrir votre coeur. Dites−moi, souhaitez−vous quelque chose de +lui ? Il nous a dit plus d'une fois qu'il n'épargneroit rien pour vous contenter. Est−ce qu'il ne vous donne pas +toute la liberté que vous souhaiteriez, et les promenades et les cadeaux ne tenteroient−ils point votre âme ? +Heu. Avez−vous reçu quelque déplaisir de quelqu'un ? Heu. N'auriez−vous point quelque secrète inclination, +avec qui vous souhaiteriez que votre père vous mariât ? Ah ! je vous entends. Voilà l'affaire. Que diable ? pourquoi tant de façons ? Monsieur, le mystère est découvert ; et... Sganarelle, l'interrompant. Va, fille ingrate, je ne te veux plus parler, et je te laisse dans ton obstination. @@ -26380,32 +26380,32 @@ tour. Mais d'où vient donc, Madame, que jusqu'ici vous m'avez caché votre mal Lucinde Hélas ! de quoi m'auroit servi de te le découvrir plus tôt ? et n'aurois−je pas autant gagné à le tenir caché toute ma vie ? Crois−tu que je n'aie pas bien prévu tout ce que tu vois maintenant ; que je ne susse pas à -fond tous les sentiments de mon père, et que le refus qu'il a fait porter à celui qui m'a demandée par un am +fond tous les sentiments de mon père, et que le refus qu'il a fait porter à celui qui m'a demandée par un ami n'ait pas étouffé dans mon âme toute sorte d'espoir ? Lisette Quoi ? c'est cet inconnu qui vous a fait demander, pour qui vous... Lucinde -Peut−être n'est−il pas honnête à une fille de s'expliquer si librement ; mais enfin je t'avoue que, s'il m'éto +Peut−être n'est−il pas honnête à une fille de s'expliquer si librement ; mais enfin je t'avoue que, s'il m'étoit permis de vouloir quelque chose, ce seroit lui que je voudrois. Nous n'avons eu ensemble aucune -conversation, et sa bouche ne m'a point déclaré la passion qu'il a pour moi ; mais, dans tous les lieux où i +conversation, et sa bouche ne m'a point déclaré la passion qu'il a pour moi ; mais, dans tous les lieux où il m'a pu voir, ses regards et ses actions m'ont toujours parlé si tendrement, et la demande qu'il a fait faire de moi m'a paru d'un si honnête homme, que mon coeur n'a pu s'empêcher d'être sensible à ses ardeurs ; et cependant tu vois où la dureté de mon père réduit toute cette tendresse. Lisette -Allez, laissez−moi faire. Quelque sujet que j'aie de me plaindre de vous du secret que vous m'avez fait, je +Allez, laissez−moi faire. Quelque sujet que j'aie de me plaindre de vous du secret que vous m'avez fait, je ne veux pas laisser de servir votre amour ; et pourvu que vous ayez assez de résolution... Lucinde Mais que veux−tu que je fasse contre l'autorité d'un père ? Et s'il est inexorable à mes voeux... Lisette -Allez, allez, il ne faut pas se laisser mener comme un oison ; et pourvu que l'honneur n'y soit pas offensé +Allez, allez, il ne faut pas se laisser mener comme un oison ; et pourvu que l'honneur n'y soit pas offensé, on peut se libérer un peu de la tyrannie d'un père. Que prétend−il que vous fassiez ? N'êtes−vous pas en âge -d'être mariée ? et croit−il que vous soyez de marbre ? Allez, encore un coup, je veux servir votre passion -je prends, dès à présent, sur moi tout le soin de ses intérêts, et vous verrez que je sais des détours.... Mais +d'être mariée ? et croit−il que vous soyez de marbre ? Allez, encore un coup, je veux servir votre passion ; +je prends, dès à présent, sur moi tout le soin de ses intérêts, et vous verrez que je sais des détours.... Mais je vois votre père. Rentrons, et me laissez agir. Scène V Sganarelle -Il est bon quelquefois de ne point faire semblant d'entendre les choses qu'on n'entend que trop bien ; et j'a -fait sagement de parer la déclaration d'un desir que je ne suis pas résolu de contenter. A−t−on jamais rien +Il est bon quelquefois de ne point faire semblant d'entendre les choses qu'on n'entend que trop bien ; et j'ai +fait sagement de parer la déclaration d'un desir que je ne suis pas résolu de contenter. A−t−on jamais rien vu de plus tyrannique que cette coutume où l'on veut assujettir les pères ? rien de plus impertinent et de plus ridicule que d'amasser du bien avec de grands travaux, et élever une fille avec beaucoup de soin et de tendresse, pour se dépouiller de l'un et de l'autre entre les mains d'un homme qui ne nous touche de rien ? @@ -26457,8 +26457,8 @@ Monsieur, ne pleurez donc point comme cela ; car vous me feriez rire. Sganarelle Dis donc vite. Lisette -Votre fille, toute saisie des paroles que vous lui avez dites et de la colère effroyable où elle vous a vu con -elle, est montée vite dans sa chambre, et, pleine de désespoir, a ouvert la fenêtre qui regarde sur la rivière +Votre fille, toute saisie des paroles que vous lui avez dites et de la colère effroyable où elle vous a vu contre +elle, est montée vite dans sa chambre, et, pleine de désespoir, a ouvert la fenêtre qui regarde sur la rivière. Sganarelle Hé bien ? Lisette @@ -26467,19 +26467,19 @@ père, et puisqu'il me renonce pour sa fille, je veux mourir." Sganarelle Elle s'est jetée. Lisette -Non, Monsieur : elle a fermé tout doucement la fenêtre, et s'est allée mettre sur son lit. Là elle s'est prise -pleurer amèrement ; et tout d'un coup son visage a pâli, ses yeux se sont tournés, le coeur lui a manqué, e +Non, Monsieur : elle a fermé tout doucement la fenêtre, et s'est allée mettre sur son lit. Là elle s'est prise à +pleurer amèrement ; et tout d'un coup son visage a pâli, ses yeux se sont tournés, le coeur lui a manqué, et elle m'est demeurée entre les bras. Sganarelle Ah ! ma fille ! Lisette -A force de la tourmenter, je l'ai fait revenir ; mais cela lui reprend de moment en moment, et je crois qu'e +A force de la tourmenter, je l'ai fait revenir ; mais cela lui reprend de moment en moment, et je crois qu'elle ne passera pas la journée. Sganarelle -Champagne, Champagne, Champagne, vite, qu'on m'aille querir des médecins, et en quantité : on n'en eu +Champagne, Champagne, Champagne, vite, qu'on m'aille querir des médecins, et en quantité : on n'en eut trop avoir dans une pareille aventure. Ah ! ma fille ! ma pauvre fille ! Premier Entracte -Champagne, en dansant, frappe aux portes de quatre médecins, qui dansent et entrent avec cérémonie che +Champagne, en dansant, frappe aux portes de quatre médecins, qui dansent et entrent avec cérémonie chez le père de la malade. Acte II Scène I @@ -26494,14 +26494,14 @@ Est−ce que votre fille ne peut pas bien mourir sans le secours de ces Messieur Sganarelle Est−ce que les médecins font mourir ? Lisette -Sans doute ; et j'ai connu un homme qui prouvoit, par bonnes raisons, qu'il ne faut jamais dire : "Une tel -personne est morte d'une fièvre et d'une fluxion sur la poitrine" ; mais : "Elle est morte de quatre médeci +Sans doute ; et j'ai connu un homme qui prouvoit, par bonnes raisons, qu'il ne faut jamais dire : "Une telle +personne est morte d'une fièvre et d'une fluxion sur la poitrine" ; mais : "Elle est morte de quatre médecins et de deux apothicaires." Sganarelle Chut. N'offensez pas ces Messieurs−là. Lisette -Ma foi ! Monsieur, notre chat est réchappé depuis peu d'un saut qu'il fit du haut de la maison dans la rue -il fut trois jours sans manger, et sans pouvoir remuer ni pied ni patte ; mais il est bien heureux de ce qu'il +Ma foi ! Monsieur, notre chat est réchappé depuis peu d'un saut qu'il fit du haut de la maison dans la rue ; et +il fut trois jours sans manger, et sans pouvoir remuer ni pied ni patte ; mais il est bien heureux de ce qu'il n'y a point de chats médecins, car ses affaires étoient faites, et il n'auroient pas manqué de le purger et de le saigner. Sganarelle @@ -26557,7 +26557,7 @@ Lisette Hippocrate dira ce qu'il lui plaira ; mais le cocher est mort. Sganarelle Paix ! discoureuse ; allons, sortons d'ici. Messieurs, je vous supplie de consulter de la bonne manière. -Quoique ce ne soit pas la coutume de payer auparavant, toutefois, de peur que je l'oublie, et afin que ce so +Quoique ce ne soit pas la coutume de payer auparavant, toutefois, de peur que je l'oublie, et afin que ce soit une affaire faite, voici... (Il les paye, et chacun, en recevant l'argent, fait un geste différent.) Scène III @@ -26566,39 +26566,39 @@ Messieurs des Fonandrès, Tomès, Macroton et Bahys M. des Fonandrès Paris est étrangement grand, et il faut faire de longs trajets quand la pratique donne un peu. M. Tomès -Il faut avouer que j'ai une mule admirable pour cela, et qu'on a peine à croire le chemin que je lui fais fair +Il faut avouer que j'ai une mule admirable pour cela, et qu'on a peine à croire le chemin que je lui fais faire tous les jours. M. des Fonandrès J'ai un cheval merveilleux, et c'est un animal infatigable. M. Tomès Savez−vous le chemin que ma mule a fait aujourd'hui ? J'ai été premièrement tout contre l'Arsenal ; de -l'Arsenal, au bout du faubourg Saint−Germain ; du faubourg Saint−Germain, au fond du Marais ; du fon +l'Arsenal, au bout du faubourg Saint−Germain ; du faubourg Saint−Germain, au fond du Marais ; du fond du Marais, à la porte Saint−Honoré ; de la porte Saint−Honoré, au faubourg Saint−Jacques, du faubourg Saint Jacques, à la porte de Richelieu, de la porte de Richelieu, ici ; et d'ici, je dois aller encore à la place Royale. M. des Fonandrès. Mon cheval a fait tout cela aujourd'hui ; et de plus, j'ai été à Ruel voir un malade. M. Tomès -Mais à repos, quel parti prenez−vous dans la querelle des deux médecins Théophraste et Artémius ? car c +Mais à repos, quel parti prenez−vous dans la querelle des deux médecins Théophraste et Artémius ? car c'est une affaire qui partage tout notre corps. M. des Fonandrès Moi, je suis pour Artémius. M. Tomès -Et moi aussi. Ce n'est pas que son avis, comme on a vu, n'ait tué le malade, et que celui de Théophraste ne -beaucoup meilleur assurément ; mais enfin il a tort dans les circonstances, et il ne devoit pas être d'un aut +Et moi aussi. Ce n'est pas que son avis, comme on a vu, n'ait tué le malade, et que celui de Théophraste ne fût +beaucoup meilleur assurément ; mais enfin il a tort dans les circonstances, et il ne devoit pas être d'un autre avis que son ancien. Qu'en dites−vous ? M. des Fonandrès Sans doute. Il faut toujours garder les formalités, quoi qu'il puisse arriver. M. Tomès Pour moi, j'y suis sévère en diable, à moins que ce soit entre amis ; et l'on nous assembla un jour, trois de -nous autres, avec un médecin de dehors, pour une consultation, où j'arrêtai toute l'affaire, et ne voulus poi -endurer qu'on opinât, si les choses n'alloient dans l'ordre. Les gens de la maison faisoient ce qu'ils pouvoi +nous autres, avec un médecin de dehors, pour une consultation, où j'arrêtai toute l'affaire, et ne voulus point +endurer qu'on opinât, si les choses n'alloient dans l'ordre. Les gens de la maison faisoient ce qu'ils pouvoient et la maladie pressoit ; mais je n'en voulus point démordre, et la malade mourut bravement pendant cette contestation. M. des Fonandrès C'est fort bien fait d'apprendre aux gens à vivre, et de leur montrer leur bec jaune. M. Tomès -Un homme mort n'est qu'un homme mort, et ne fait point de conséquence ; mais une formalité négligée p +Un homme mort n'est qu'un homme mort, et ne fait point de conséquence ; mais une formalité négligée porte un notable préjudice à tout le corps des médecins. Scène IV Sganarelle, Messieurs Tomès, des Fonandrès, Macroton et Bahys @@ -26658,38 +26658,38 @@ Si vous la faites saigner, elle ne sera pas en vie dans un quart d'heure. Scène V Sganarelle, Messieurs Macroton et Bahys, médecins Sganarelle -A qui croire des deux ? et quelle résolution prendre, sur des avis si opposés ? Messieurs, je vous conjure +A qui croire des deux ? et quelle résolution prendre, sur des avis si opposés ? Messieurs, je vous conjure de déterminer mon esprit, et de me dire, sans passion, ce que vous croyez le plus propre à soulager ma fille. M. Macroton. Il parle en allongeant ses mots. -Mon−si−eur. dans. ces. ma−ti−è−res−là. il. faut. pro−cé−der. a−vec−que. cir−con−spec−tion. et. ne. ri−en +Mon−si−eur. dans. ces. ma−ti−è−res−là. il. faut. pro−cé−der. a−vec−que. cir−con−spec−tion. et. ne. ri−en. fai−re. com−me. on. dit. à. la. vo−lé−e. d'au−tant. que. les. fau−tes. qu'on. y. peut. fai−re. sont. se−lon. no−tre. maî−tre. Hip−po−cra−te. d'u−ne. dan−ge−reu−se. con−sé−quen−ce. M. Bahys. Celui−ci parle toujours en bredouillant. Il est vrai, il faut bien prendre garde à ce qu'on fait ; car ce ne sont pas ici des jeux d'enfant, et quand on a -failli, il n'est pas aisé de réparer le manquement et de rétablir ce qu'on a gâté : experimentum periculosum -C'est pourquoi il s'agit de raisonner auparavant comme il faut, de peser mûrement les choses, de regarder +failli, il n'est pas aisé de réparer le manquement et de rétablir ce qu'on a gâté : experimentum periculosum. +C'est pourquoi il s'agit de raisonner auparavant comme il faut, de peser mûrement les choses, de regarder le tempérament des gens, d'examiner les causes de la maladie, et de voir les remèdes qu'on y doit apporter. Sganarelle L'un va en tortue, et l'autre court la poste. M. Macroton -Or. Mon−si−eur. pour. ve−nir. au. fait. je. trou−ve. que. vo−tre. fil−le. a. u−ne. ma−la−die. chro−ni−que. -qu'el−le. peut. pé−ri−cli−ter. si. on. ne. lui. don−ne. du. se−cours. d'au−tant. que. les. sym−ptô−mes. qu'el +Or. Mon−si−eur. pour. ve−nir. au. fait. je. trou−ve. que. vo−tre. fil−le. a. u−ne. ma−la−die. chro−ni−que. et. +qu'el−le. peut. pé−ri−cli−ter. si. on. ne. lui. don−ne. du. se−cours. d'au−tant. que. les. sym−ptô−mes. qu'el−le. a. sont. in−di−ca−tifs. d'u−ne. va−peur. fu−li−gi−neu−se. et. mor−di−can−te. qui. lui. pi−co−te. les. -mem−bra−nes. du. cer−veau. Or. cet−te. va−peur. que. nous. nom−mons. en. grec. at−mos. est. causé−e. p -des. hu−meurs. pu−tri−des. te−na−ces. et. con−glu−ti−neu−ses. qui. sont. con−te−nues. dans. le. bas. ven +mem−bra−nes. du. cer−veau. Or. cet−te. va−peur. que. nous. nom−mons. en. grec. at−mos. est. causé−e. par. +des. hu−meurs. pu−tri−des. te−na−ces. et. con−glu−ti−neu−ses. qui. sont. con−te−nues. dans. le. bas. ven−tre. M. Bahys -Et comme ces humeurs ont été là engendrées par une longue succession de temps, elles s'y sont recuites e +Et comme ces humeurs ont été là engendrées par une longue succession de temps, elles s'y sont recuites et ont acquis cette malignité qui fume vers la région du cerveau. M. Macroton -Si. bi−en. donc. que. pour. ti−rer. dé−ta−cher. ar−ra−cher. ex−pul−ser. é−va−cu−er. les−di−tes. hu−meur +Si. bi−en. donc. que. pour. ti−rer. dé−ta−cher. ar−ra−cher. ex−pul−ser. é−va−cu−er. les−di−tes. hu−meurs. il. fau−dra. u−ne. pur−ga−tion. vi−gou−reu−se. Mais. au. pré−a−la−ble. je. trou−ve. à. pro−pos. et. il. n'y. a. -pas. d'in−con−vé−nient. d'u−ser. de. pe−tits. re−mè−des. a−no−dins. c'est.à.dire. de. pe−tits. la−ve−ments -ré−mol−li−ents. et. dé−ter−sifs. de. ju−leps. et. de. si−rops. ra−fraî−chis−sants. qu'on. mé−le−ra. dans. sa +pas. d'in−con−vé−nient. d'u−ser. de. pe−tits. re−mè−des. a−no−dins. c'est.à.dire. de. pe−tits. la−ve−ments. +ré−mol−li−ents. et. dé−ter−sifs. de. ju−leps. et. de. si−rops. ra−fraî−chis−sants. qu'on. mé−le−ra. dans. sa. pti−san−ne. M. Bahys Après, nous en viendrons à la purgation, et à la saignée que nous réitérerons, s'il en est besoin. M. Macroton -Ce. n'est. pas. qu'a−vec. tout. ce−la. vo−tre. fil−le. ne. puis−se. mou−rir. mais. au. moins. vous. au−rez. fa +Ce. n'est. pas. qu'a−vec. tout. ce−la. vo−tre. fil−le. ne. puis−se. mou−rir. mais. au. moins. vous. au−rez. fait. quel−que. cho−se. et. vous. au−rez. la. con−so−la−tion. qu'el−le. se−ra. mor−te. dans. les. for−mes. M. Bahys Il vaut mieux mourir selon les règles, que de réchapper contre les règles. @@ -26698,12 +26698,12 @@ Nous. vous. di−sons. sin−cè−re−ment. no−tre pen−sée. M. Bahys Et vous avons parlé comme nous parlerions à notre propre frère. Sganarelle, à M. Macroton. -Je. vous. rends. très−hum−bles. grâ−ces. (A. M. Bahys.) Et vous suis infiniment obligé de la peine que vo +Je. vous. rends. très−hum−bles. grâ−ces. (A. M. Bahys.) Et vous suis infiniment obligé de la peine que vous avez prise. Scène VI Sganarelle Me voilà justement un peu plus incertain que je n'étois auparavant. Morbleu ! il me vient une fantaisie. Il -faut que j'aille acheter de l'orviétan, et que je lui en fasse prendre ; l'orviétan est un remède dont beaucou +faut que j'aille acheter de l'orviétan, et que je lui en fasse prendre ; l'orviétan est un remède dont beaucoup de gens se sont bien trouvés. Scène VII L'Opérateur, Sganarelle @@ -26725,7 +26725,7 @@ Descente, Rougeole. O grande puissance de l'orviétan ! Sganarelle -Monsieur, je crois que tout l'or du monde n'est pas capable de payer votre remède ; mais pourtant voici u +Monsieur, je crois que tout l'or du monde n'est pas capable de payer votre remède ; mais pourtant voici une pièce de trente sols que vous prendrez, s'il vous plaît. L'Opérateur chantant. Admirez mes bontés, et le peu qu'on vous vend @@ -26748,36 +26748,36 @@ Acte III Scène I Messieurs Filerin, Tomès et des Fonandrès M. Filerin -N'avez−vous point de honte, Messieurs, de montrer si peu de prudence, pour des gens de votre âge, et de -être querellés comme de jeunes étourdis ? Ne voyez−vous pas bien quel tort ces sortes de querelles nous -parmi le monde ? et n'est−ce pas assez que les savants voient les contrariétés et les dissensions qui sont e +N'avez−vous point de honte, Messieurs, de montrer si peu de prudence, pour des gens de votre âge, et de vous +être querellés comme de jeunes étourdis ? Ne voyez−vous pas bien quel tort ces sortes de querelles nous font +parmi le monde ? et n'est−ce pas assez que les savants voient les contrariétés et les dissensions qui sont entre nos auteurs et nos anciens maîtres, sans découvrir encore au peuple, par nos débats et nos querelles, la -forfanterie de notre art ? Pour moi, je ne comprends rien du tout à cette méchante politique de quelques− +forfanterie de notre art ? Pour moi, je ne comprends rien du tout à cette méchante politique de quelques−uns de nos gens ; et il faut confesser que toutes ces contestations nous ont décriés, depuis peu, d'une étrange -manière, et que, si nous n'y prenons garde, nous allons nous ruiner nous−mêmes. Je n'en parle pas pour m +manière, et que, si nous n'y prenons garde, nous allons nous ruiner nous−mêmes. Je n'en parle pas pour mon intérêt ; car, Dieu merci, j'ai déjà établi mes petites affaires. Qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il grêle, ceux qui sont morts sont morts, et j'ai de quoi me passer des vivants ; mais enfin toutes ces disputes ne valent rien -pour la médecine. Puisque le Ciel nous fait la grâce que, depuis tant de siècles, on demeure infatué de nou +pour la médecine. Puisque le Ciel nous fait la grâce que, depuis tant de siècles, on demeure infatué de nous, ne désabusons point les hommes avec nos cabales extravagantes, et profitons de leur sottise le plus doucement que nous pourrons. Nous ne sommes pas les seuls, comme vous savez, qui tâchons à nous prévaloir de la foiblesse humaine. C'est là que va l'étude de la plupart du monde, et chacun s'efforce de prendre les hommes par leur foible, pour en tirer quelque profit. Les flatteurs, par exemple, cherchent à profiter de l'amour que les hommes ont pour les louanges, en leur donnant tout le vain encens qu'ils -souhaitent ; et c'est un art où l'on fait, comme on voit, des fortunes considérables. Les alchimistes tâchent -profiter de la passion qu'on a pour les richesses, en promettant des montagnes d'or à ceux qui les écoutent -les diseurs d'horoscope, par leurs prédictions trompeuses, profitent de la vanité et de l'ambition des crédul -esprits. Mais le plus grand foible des hommes, c'est l'amour qu'ils ont pour la vie ; et nous en profitons, n +souhaitent ; et c'est un art où l'on fait, comme on voit, des fortunes considérables. Les alchimistes tâchent à +profiter de la passion qu'on a pour les richesses, en promettant des montagnes d'or à ceux qui les écoutent ; et +les diseurs d'horoscope, par leurs prédictions trompeuses, profitent de la vanité et de l'ambition des crédules +esprits. Mais le plus grand foible des hommes, c'est l'amour qu'ils ont pour la vie ; et nous en profitons, nous autres, par notre pompeux galimatias, et savons prendre nos avantages de cette vénération que la peur de -mourir leur donne pour notre métier. Conservons−nous donc dans le degré d'estime où leur foiblesse nous -mis, et soyons de concert auprès des malades pour nous attribuer les heureux succès de la maladie, et reje +mourir leur donne pour notre métier. Conservons−nous donc dans le degré d'estime où leur foiblesse nous a +mis, et soyons de concert auprès des malades pour nous attribuer les heureux succès de la maladie, et rejeter sur la nature toutes les bévues de notre art. N'allons point, dis−je, détruire sottement les heureuses préventions d'une erreur qui donne du pain à tant de personnes. M. Tomès -Vous avez raison en tout ce que vous dites ; mais ce sont chaleurs de sang, dont parfois on n'est pas le ma +Vous avez raison en tout ce que vous dites ; mais ce sont chaleurs de sang, dont parfois on n'est pas le maître. M. Filerin Allons donc, Messieurs, mettez bas toute rancune, et faisons ici votre accommodement. M. des Fonandrès -J'y consens. Qu'il me passe mon émétique pour la malade dont il s'agit, et je lui passerai tout ce qu'il voud +J'y consens. Qu'il me passe mon émétique pour la malade dont il s'agit, et je lui passerai tout ce qu'il voudra pour le premier malade dont il sera question. M. Filerin On ne peut pas mieux dire, et voilà se mettre à la raison. @@ -26792,7 +26792,7 @@ Quoi ? Messieurs, vous voilà, et vous ne songez pas à réparer le tort qu'on M. Tomès Comment ? Qu'est−ce ? Lisette -Un insolent qui a eu l'effronterie d'entreprendre sur votre métier, et qui, sans votre ordonnance, vient de tu +Un insolent qui a eu l'effronterie d'entreprendre sur votre métier, et qui, sans votre ordonnance, vient de tuer un homme d'un grand coup d'épée au travers du corps. M. Tomès Ecoutez, vous faites la railleuse ; mais vous passerez par nos mains quelque jour. @@ -26803,14 +26803,14 @@ Lisette, Clitandre Clitandre Hé bien ! Lisette, me trouves−tu bien ainsi ? Lisette -Le mieux du monde ; et je vous attendois avec impatience. Enfin le Ciel m'a faite d'un naturel le plus hum +Le mieux du monde ; et je vous attendois avec impatience. Enfin le Ciel m'a faite d'un naturel le plus humain du monde, et je ne puis voir deux amants soupirer l'un pour l'autre, qu'il ne me prenne une tendresse -charitable, et un desir ardent de soulager les maux qu'ils souffrent. Je veux, à quelque prix que ce soit, tire -Lucinde de la tyrannie où elle est, et la mettre en votre pouvoir. Vous m'avez plu d'abord ; je me connois -gens, et elle ne peut pas mieux choisir. L'amour risque des choses extraordinaires ; et nous avons concert +charitable, et un desir ardent de soulager les maux qu'ils souffrent. Je veux, à quelque prix que ce soit, tirer +Lucinde de la tyrannie où elle est, et la mettre en votre pouvoir. Vous m'avez plu d'abord ; je me connois en +gens, et elle ne peut pas mieux choisir. L'amour risque des choses extraordinaires ; et nous avons concerté ensemble une manière de stratagème, qui pourra peut−être nous réussir. Toutes nos mesures sont déjà prises : l'homme à qui nous avons affaire n'est pas des plus fins de ce monde ; et si cette aventure nous -manque, nous trouverons mille autres voies pour arriver à notre but. Attendez−moi là seulement, je revien +manque, nous trouverons mille autres voies pour arriver à notre but. Attendez−moi là seulement, je reviens vous querir. Scène IV Sganarelle, Lisette @@ -26858,8 +26858,8 @@ La science ne se mesure pas à la barbe, et ce n'est pas par le menton qu'il est Sganarelle Monsieur, on m'a dit que vous aviez des remèdes admirables pour faire aller à la selle. Clitandre -Monsieur, mes remèdes sont différents de ceux des autres : ils ont l'émétique, les saignées, les médecines -les lavements ; mais moi, je guéris par des paroles, par des sons, par des lettres, par des talismans et par d +Monsieur, mes remèdes sont différents de ceux des autres : ils ont l'émétique, les saignées, les médecines et +les lavements ; mais moi, je guéris par des paroles, par des sons, par des lettres, par des talismans et par des anneaux constellés. Lisette Que vous ai−je dit ? @@ -26882,22 +26882,22 @@ Tenez, Monsieur, voilà une chaise auprès d'elle. Allons laissez−les là tous Sganarelle Pourquoi ? Je veux demeurer là. Lisette -Vous moquez−vous ? Il faut s'éloigner : un médecin a cent choses à demander qu'il n'est pas honnête qu' +Vous moquez−vous ? Il faut s'éloigner : un médecin a cent choses à demander qu'il n'est pas honnête qu'un homme entende. Clitandre, parlant à Lucinde à part. Ah ! Madame, que le ravissement où je me trouve est grand ! et que je sais peu par où vous commencer -mon discours ! Tant que je ne vous ai parlé que des yeux, j'avois, ce me sembloit, cent choses à vous dire -et maintenant que j'ai la liberté de vous parler de la façon que je souhaitois je demeure interdit ; et la gran +mon discours ! Tant que je ne vous ai parlé que des yeux, j'avois, ce me sembloit, cent choses à vous dire ; +et maintenant que j'ai la liberté de vous parler de la façon que je souhaitois je demeure interdit ; et la grande joie où je suis étouffe toutes mes paroles. Lucinde Je puis vous dire la même chose, et je sens, comme vous, des mouvements de joie qui m'empêchent de pouvoir parler. Clitandre Ah ! Madame, que je serois heureux s'il étoit vrai que vous sentissiez tout ce que je sens, et qu'il me fût -permis de juger de votre âme par la mienne ! Mais, Madame, puis−je au moins croire que ce soit à vous à +permis de juger de votre âme par la mienne ! Mais, Madame, puis−je au moins croire que ce soit à vous à qui je doive la pensée de cet heureux stratagème qui me fait jouir de votre présence ? Lucinde -Si vous ne m'en devez pas la pensée, vous m'êtes redevable au moins d'en avoir approuvé la proposition a +Si vous ne m'en devez pas la pensée, vous m'êtes redevable au moins d'en avoir approuvé la proposition avec beaucoup de joie. Sganarelle, à Lisette. Il me semble qu'il lui parle de bien près. @@ -26908,16 +26908,16 @@ Serez−vous constante, Madame, dans ces bontés que vous me témoignez ? Lucinde Mais vous, serez−vous ferme dans les résolutions que vous avez montrées ? Clitandre -Ah ! Madame, jusqu'à la mort. Je n'ai point de plus forte envie que d'être à vous, et je vais le faire paroîtr +Ah ! Madame, jusqu'à la mort. Je n'ai point de plus forte envie que d'être à vous, et je vais le faire paroître dans ce que vous m'allez voir faire. Sganarelle Hé bien ! notre malade, elle me semble un peu plus gaie. Clitandre -C'est que j'ai déjà fait agir sur elle un de ces remèdes que mon art m'enseigne. Comme l'esprit a grand em -sur le corps, et que c'est de lui bien souvent que procèdent les maladies, ma coutume est de courir à guérir -esprits, avant que de venir au corps. J'ai donc observé ses regards, les traits de son visage, et les lignes de -deux mains ; et par la science que le Ciel m'a donnée, j'ai reconnu que c'étoit de l'esprit qu'elle étoit mala -et que tout son mal ne venoit que d'une imagination déréglée, d'un desir dépravé de vouloir être mariée. P +C'est que j'ai déjà fait agir sur elle un de ces remèdes que mon art m'enseigne. Comme l'esprit a grand empire +sur le corps, et que c'est de lui bien souvent que procèdent les maladies, ma coutume est de courir à guérir les +esprits, avant que de venir au corps. J'ai donc observé ses regards, les traits de son visage, et les lignes de ses +deux mains ; et par la science que le Ciel m'a donnée, j'ai reconnu que c'étoit de l'esprit qu'elle étoit malade, +et que tout son mal ne venoit que d'une imagination déréglée, d'un desir dépravé de vouloir être mariée. Pour moi, je ne vois rien de plus extravagant et de plus ridicule que cette envie qu'on a du mariage. Sganarelle Voilà un habile homme ! @@ -26926,9 +26926,9 @@ Et j'ai eu, et aurai pour lui, toute ma vie, une aversion effroyable. Sganarelle Voilà un grand médecin ! Clitandre -Mais, comme il faut flatter l'imagination des malades, et que j'ai vu en elle de l'aliénation d'esprit, et mêm -qu'il y avoit du péril à ne lui pas donner un prompt secours, je l'ai prise par son foible, et lui ai dit que j'éto -venu ici pour vous la demander en mariage. Soudain son visage a changé, son teint s'est éclairci, ses yeux +Mais, comme il faut flatter l'imagination des malades, et que j'ai vu en elle de l'aliénation d'esprit, et même +qu'il y avoit du péril à ne lui pas donner un prompt secours, je l'ai prise par son foible, et lui ai dit que j'étois +venu ici pour vous la demander en mariage. Soudain son visage a changé, son teint s'est éclairci, ses yeux se sont animés ; et si vous voulez, pour quelques jours, l'entretenir dans cette erreur, vous verrez que nous la tirerons d'où elle est. Sganarelle @@ -26936,7 +26936,7 @@ Oui−da, je le veux bien. Clitandre Après nous ferons agir d'autres remèdes pour la guérir entièrement de cette fantaisie. Sganarelle -Oui, cela est le mieux du monde. Hé bien ! ma fille, voilà Monsieur qui a envie de t'épouser, et je lui ai d +Oui, cela est le mieux du monde. Hé bien ! ma fille, voilà Monsieur qui a envie de t'épouser, et je lui ai dit que je le voulois bien. Lucinde Hélas ! est−il possible ? @@ -26958,7 +26958,7 @@ Lucinde Ah ! que je suis heureuse, si cela est véritable ! Clitandre N'en doutez point, Madame. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je vous aime, et que je brûle de me voir votre -mari. Je ne suis venu ici que pour cela ; et si vous voulez que je vous dise nettement les choses comme el +mari. Je ne suis venu ici que pour cela ; et si vous voulez que je vous dise nettement les choses comme elles sont, cet habit n'est qu'un pur prétexte inventé, et je n'ai fait le médecin que pour m'approcher de vous et obtenir ce que je souhaite. Lucinde @@ -26979,7 +26979,7 @@ Acceptez, pour gage de ma foi, cet anneau que je vous donne. C'est un anneau con Lucinde Faisons donc le contrat, afin que rien n'y manque. Clitandre -Hélas ! je le veux bien, Madame. (A Sganarelle.) Je vais faire monter l'homme qui écrit mes remèdes, et +Hélas ! je le veux bien, Madame. (A Sganarelle.) Je vais faire monter l'homme qui écrit mes remèdes, et lui faire croire que c'est un notaire. Sganarelle Fort bien. @@ -27019,9 +27019,9 @@ Plus qu'on ne peut s'imaginer. Sganarelle Voilà qui est bien, voilà qui est bien. Clitandre -Au reste, je n'ai pas eu seulement la précaution d'amener un notaire ; j'ai eu celle encore de faire venir de -voix et des instruments pour célébrer la fête et pour nous réjouir. Qu'on les fasse venir. Ce sont des gens q -je mène avec moi, et dont je me sers tous les jours pour pacifier avec leur harmonie les troubles de l'esprit +Au reste, je n'ai pas eu seulement la précaution d'amener un notaire ; j'ai eu celle encore de faire venir des +voix et des instruments pour célébrer la fête et pour nous réjouir. Qu'on les fasse venir. Ce sont des gens que +je mène avec moi, et dont je me sers tous les jours pour pacifier avec leur harmonie les troubles de l'esprit. Scène dernière La Comédie, le Ballet et la Musique Tous trois ensemble. @@ -29410,30 +29410,30 @@ Messieurs, ces traits pour vous n'ont point d'obscurité, Et je ne doute pas que sa civilité A connoître sa main n'ait trop su vous instruire ; Mais ceci vaut assez la peine de le lire. -Vous êtes un étrange homme de condamner mon enjouement, et de me reprocher que je n'ai jamais tant d -joie que lorsque je ne suis pas avec vous. Il n'y a rien de plus injuste ; et si vous ne venez vite me demand +Vous êtes un étrange homme de condamner mon enjouement, et de me reprocher que je n'ai jamais tant de +joie que lorsque je ne suis pas avec vous. Il n'y a rien de plus injuste ; et si vous ne venez vite me demander pardon de cette offense, je ne vous la pardonnerai de ma vie. Notre grand flandrin de Vicomte... Il devroit être ici. Notre grand flandrin de Vicomte, par qui vous commencez vos plaintes, est un homme qui ne sauroit me -revenir ; et depuis que je l'ai vu, trois quarts d'heure durant, cracher dans un puits pour faire des ronds, je +revenir ; et depuis que je l'ai vu, trois quarts d'heure durant, cracher dans un puits pour faire des ronds, je n'ai pu jamais prendre bonne opinion de lui. Pour le petit marquis... C'est moi−même, messieurs, sans nulle vanité. -Pour le petit Marquis, qui me tint hier longtemps la main, je trouve qu'il n'y a rien de si mince que toute s +Pour le petit Marquis, qui me tint hier longtemps la main, je trouve qu'il n'y a rien de si mince que toute sa personne ; et ce sont de ces mérites qui n'ont que la cape et l'épée. Pour l'homme aux rubans verts... A vous le dé, Monsieur. -Pour l'homme aux rubans verts, il me divertit quelquefois avec ses brusqueries et son chagrin bourru ; ma +Pour l'homme aux rubans verts, il me divertit quelquefois avec ses brusqueries et son chagrin bourru ; mais il est cent moments où je le trouve le plus fâcheux du monde. Et pour l'homme à la veste... Voici votre paquet. -Et pour l'homme à la veste, qui s'est jeté dans le bel esprit et veut être auteur malgré tout le monde, je ne p -me donner la peine d'écouter ce qu'il dit ; et sa prose me fatigue autant que ses vers. Mettez−vous donc e +Et pour l'homme à la veste, qui s'est jeté dans le bel esprit et veut être auteur malgré tout le monde, je ne puis +me donner la peine d'écouter ce qu'il dit ; et sa prose me fatigue autant que ses vers. Mettez−vous donc en tête que je ne me divertis pas toujours si bien que vous pensez ; que je vous trouve à dire plus que je ne -voudrois, dans toutes les parties où l'on m'entraîne ; et que c'est un merveilleux assaisonnement aux plais +voudrois, dans toutes les parties où l'on m'entraîne ; et que c'est un merveilleux assaisonnement aux plaisirs qu'on goûte que la présence des gens qu'on aime. Clitandre Me voici maintenant moi. -Votre Clitandre dont vous me parlez, et qui fait tant le doucereux, est le dernier des hommes pour qui j'au -de l'amitié. Il est extravagant de se persuader qu'on l'aime ; et vous l'êtes de croire qu'on ne vous aime pa -Changez, pour être raisonnable, vos sentiments contre les siens ; et voyez−moi le plus que vous pourrez p +Votre Clitandre dont vous me parlez, et qui fait tant le doucereux, est le dernier des hommes pour qui j'aurois +de l'amitié. Il est extravagant de se persuader qu'on l'aime ; et vous l'êtes de croire qu'on ne vous aime pas. +Changez, pour être raisonnable, vos sentiments contre les siens ; et voyez−moi le plus que vous pourrez pour m'aider à porter le chagrin d'en être obsédée. D'un fort beau caractère on voit là le modèle, Madame, et vous savez comment cela s'appelle ? @@ -29580,7 +29580,7 @@ Allons, Madame, allons employer toute chose, Pour rompre le dessein que son coeur se propose. Le Médecin malgré lui Comédie -Représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre du Palais−Royal le vendredi 6e du mois d'août 166 +Représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre du Palais−Royal le vendredi 6e du mois d'août 1666 par la Troupe du Roi Personnages Sganarelle, mari de Martine. @@ -29603,12 +29603,12 @@ Martine Et je te dis, moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie, et ne je ne me suis point mariée avec toi pour souffrir tes fredaines. Sganarelle -O la grande fatigue que d'avoir une femme ! et qu'Aristote a bien raison, quand il dit qu'une femme est pi +O la grande fatigue que d'avoir une femme ! et qu'Aristote a bien raison, quand il dit qu'une femme est pire qu'un démon ! Martine Voyez un peu l'habile homme, avec son benêt d'Aristote ! Sganarelle -Oui, habile homme : trouve−moi un faiseur de fagots qui sache, comme moi, raisonner des choses, qui ai +Oui, habile homme : trouve−moi un faiseur de fagots qui sache, comme moi, raisonner des choses, qui ait servi six ans un fameux médecin, et qui ait su, dans son jeune âge, son rudiment par coeur. Martine Peste du fou fieffé ! @@ -29619,7 +29619,7 @@ Que maudit soit l'heure et le jour où je m'avisai d'aller dire oui ! Sganarelle Que maudit soit le bec cornu de notaire qui me fit signer ma ruine ! Martine -C'est bien à toi, vraiment, à te plaindre de cette affaire. Devrois−tu être un seul moment sans rendre grâce +C'est bien à toi, vraiment, à te plaindre de cette affaire. Devrois−tu être un seul moment sans rendre grâce au Ciel de m'avoir pour ta femme ? et méritois−tu d'épouser une personne comme moi ? Sganarelle Il est vrai que tu me fis trop d'honneur, et que j'eus lieu de me louer la première nuit de nos noces ! Hé ! @@ -29627,10 +29627,10 @@ morbleu ! ne me fais point parler là−dessus : je dirois de certaines choses Martine Quoi ? que dirois−tu ? Sganarelle -Baste, laissons là ce chapitre. Il suffit que nous savons ce que nous savons, et que tu fus bien heureuse de +Baste, laissons là ce chapitre. Il suffit que nous savons ce que nous savons, et que tu fus bien heureuse de me trouver. Martine -Qu'appelles−tu bien heureuse de te trouver ? Un homme qui me réduit à l'hôpital, un débauché, un traître +Qu'appelles−tu bien heureuse de te trouver ? Un homme qui me réduit à l'hôpital, un débauché, un traître, qui me mange tout ce que j'ai ? Sganarelle Tu as menti : j'en bois une partie. @@ -29661,7 +29661,7 @@ Mets−les à terre. Martine Qui me demandent à toute heure du pain. Sganarelle -Donne−leur le fouet : quand j'ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit saoul dans ma mai +Donne−leur le fouet : quand j'ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit saoul dans ma maison. Martine Et tu prétends, ivrogne, que les choses aillent toujours de même ? Sganarelle @@ -29751,9 +29751,9 @@ Il est vrai. Martine Et vous êtes un sot de venir vous fourrer où vous n'avez que faire. M. Robert -(Il passe ensuite vers le mari, qui pareillement lui parle toujours en le faisant reculer, le frappe avec le mê +(Il passe ensuite vers le mari, qui pareillement lui parle toujours en le faisant reculer, le frappe avec le même bâton et le met en fuite ; il dit à la fin : ) -Compère, je vous demande pardon de tout mon coeur. Faites, rossez, battez, comme il faut, votre femme +Compère, je vous demande pardon de tout mon coeur. Faites, rossez, battez, comme il faut, votre femme ; je vous aiderai, si vous le voulez. Sganarelle Il ne me plaît pas, moi. @@ -29776,7 +29776,7 @@ Je n'ai que faire de votre aide. M. Robert Très−volontiers. Sganarelle -Et vous êtes un impertinent, de vous ingérer des affaires d'autrui. Apprenez que Cicéron dit qu'entre l'arbr +Et vous êtes un impertinent, de vous ingérer des affaires d'autrui. Apprenez que Cicéron dit qu'entre l'arbre et le doigt il ne faut point mettre l'écorce. (Ensuite il revient vers sa femme, et lui dit, en lui pressant la main : ) O çà, faisons la paix nous deux. Touche là. @@ -29815,24 +29815,24 @@ Eh bien va, je te demande pardon : mets là ta main. Martine Je te pardonne ; (elle dit le reste bas) mais tu le payeras. Sganarelle -Tu es une folle de prendre garde à cela : ce sont petites choses qui sont de temps en temps nécessaires da +Tu es une folle de prendre garde à cela : ce sont petites choses qui sont de temps en temps nécessaires dans l'amitié ; et cinq ou six coups de bâton, entre gens qui s'aiment, ne font que ragaillardir l'affection. Va, je m'en vais au bois, et je te promets aujourd'hui plus d'un cent de fagots. Scène III Martine, seule. Va, quelque mine que je fasse, je n'oublie pas mon ressentiment ; et je brûle en moi−même de trouver les -moyens de te punir des coups que tu me donnes. Je sais bien qu'une femme a toujours dans les mains de q -se venger d'un mari ; mais c'est une punition trop délicate pour mon pendard : je veux une vengeance qu +moyens de te punir des coups que tu me donnes. Je sais bien qu'une femme a toujours dans les mains de quoi +se venger d'un mari ; mais c'est une punition trop délicate pour mon pendard : je veux une vengeance qui se fasse un peu mieux sentir ; et ce n'est pas contentement pour l'injure que j'ai reçue. Scène IV Valère, Lucas, Martine Lucas -Parguenne ! j'avons pris là tous deux une gueble de commission ; et je ne sais pas, moi, ce que je penson +Parguenne ! j'avons pris là tous deux une gueble de commission ; et je ne sais pas, moi, ce que je pensons attraper. Valère -Que veux−tu, mon pauvre nourricier ? il faut bien obéir à nôtre maître ; et puis nous avons intérêt, l'un e -l'autre, à la santé de sa fille, notre maîtresse ; et sans doute son mariage, différé par sa maladie, nous vaud -quelque récompense. Horace, qui est libéral, a bonne part aux prétentions qu'on peut avoir sur sa personne +Que veux−tu, mon pauvre nourricier ? il faut bien obéir à nôtre maître ; et puis nous avons intérêt, l'un et +l'autre, à la santé de sa fille, notre maîtresse ; et sans doute son mariage, différé par sa maladie, nous vaudroit +quelque récompense. Horace, qui est libéral, a bonne part aux prétentions qu'on peut avoir sur sa personne ; et quoiqu'elle ait fait voir de l'amitié pour un certain Léandre, tu sais bien que son père n'a jamais voulu consentir à le recevoir pour son gendre. Martine, rêvant à part elle. @@ -29840,26 +29840,26 @@ Ne puis−je point trouver quelque invention pour me venger ? Lucas Mais quelle fantaisie s'est−il boutée là dans la tête, puisque les médecins y avont tous pardu leur latin ? Valère -On trouve quelquefois, à force de chercher, ce qu'on ne trouve pas d'abord ; et souvent, en de simples lieu +On trouve quelquefois, à force de chercher, ce qu'on ne trouve pas d'abord ; et souvent, en de simples lieux... Martine -Oui, il faut que je m'en venge à quelque prix que ce soit : ces coups de bâton me reviennent au coeur, je n -les saurois digérer, et... (Elle dit tout ceci en rêvant, de sorte que ne prenant pas garde à ces deux hommes -elle les heurte en se retournant, et leur dit : ) Ah ! Messieurs, je vous demande pardon ; je ne vous voyoi +Oui, il faut que je m'en venge à quelque prix que ce soit : ces coups de bâton me reviennent au coeur, je ne +les saurois digérer, et... (Elle dit tout ceci en rêvant, de sorte que ne prenant pas garde à ces deux hommes, +elle les heurte en se retournant, et leur dit : ) Ah ! Messieurs, je vous demande pardon ; je ne vous voyois pas, et cherchois dans ma tête quelque chose qui m'embarrasse. Valère Chacun a ses soins dans le monde, et nous cherchons aussi ce que nous voudrions bien trouver. Martine Seroit−ce quelque chose où je vous puisse aider ? Valère -Cela se pourroit faire ; et nous tâchons de rencontrer quelque habile homme, quelque médecin particulier -qui pût donner quelque soulagement à la fille notre maître, attaquée d'une maladie qui lui a ôté tout d'un c -l'usage de la langue. Plusieurs médecins ont déjà épuisé toute leur science après elle : mais on trouve parf +Cela se pourroit faire ; et nous tâchons de rencontrer quelque habile homme, quelque médecin particulier, +qui pût donner quelque soulagement à la fille notre maître, attaquée d'une maladie qui lui a ôté tout d'un coup +l'usage de la langue. Plusieurs médecins ont déjà épuisé toute leur science après elle : mais on trouve parfois des gens avec des secrets admirables, de certains remèdes particuliers, qui font le plus souvent ce que les autres n'ont su faire ; et c'est là ce que nous cherchons. Martine (Elle dit ces premières lignes bas.) Ah ! que le Ciel m'inspire une admirable invention pour me venger de mon pendard ! (Haut.) Vous ne -pouviez jamais vous mieux adresser pour rencontrer ce que vous cherchez ; et nous avons ici un homme, +pouviez jamais vous mieux adresser pour rencontrer ce que vous cherchez ; et nous avons ici un homme, le plus merveilleux homme du monde, pour les maladies désespérées. Valère Et de grâce, où pouvons−nous le rencontrer ? @@ -29870,18 +29870,18 @@ Un médecin qui coupe du bois ! Valère Qui s'amuse à cueillir des simples, voulez−vous dire ? Martine -Non : c'est un homme extraordinaire qui se plaît à cela, fantasque, bizarre, quinteux, et que vous ne prend -jamais pour ce qu'il est. Il va vêtu d'une façon extravagante, affecte quelquefois de paroître ignorant, tient -science renfermée, et ne fuit rien tant tous les jours que d'exercer les merveilleux talents qu'il a eus du Cie +Non : c'est un homme extraordinaire qui se plaît à cela, fantasque, bizarre, quinteux, et que vous ne prendriez +jamais pour ce qu'il est. Il va vêtu d'une façon extravagante, affecte quelquefois de paroître ignorant, tient sa +science renfermée, et ne fuit rien tant tous les jours que d'exercer les merveilleux talents qu'il a eus du Ciel pour la médecine. Valère -C'est une chose admirable, que tous les grands hommes ont toujours du caprice, quelque petit grain de fol +C'est une chose admirable, que tous les grands hommes ont toujours du caprice, quelque petit grain de folie mêlé à leur science. Martine La folie de celui−ci est plus grande qu'on ne peut croire, car elle va parfois jusqu'à vouloir être battu pour -demeurer d'accord de sa capacité ; et je vous donne avis que vous n'en viendrez point à bout, qu'il n'avou -jamais qu'il est médecin, s'il se le met en fantaisie, que vous ne preniez chacun un bâton, et ne le réduisiez -force de coups, à vous confesser à la fin ce qu'il vous cachera d'abord. C'est ainsi que nous en usons quan +demeurer d'accord de sa capacité ; et je vous donne avis que vous n'en viendrez point à bout, qu'il n'avouera +jamais qu'il est médecin, s'il se le met en fantaisie, que vous ne preniez chacun un bâton, et ne le réduisiez, à +force de coups, à vous confesser à la fin ce qu'il vous cachera d'abord. C'est ainsi que nous en usons quand nous avons besoin de lui. Valère Voilà une étrange folie ! @@ -29890,16 +29890,16 @@ Il est vrai ; mais, après cela, vous verrez qu'il fait des merveilles. Valère Comment s'appelle−t−il ? Martine -Il s'appelle Sganarelle ; mais il est aisé à connoître : c'est un homme qui a une large barbe noire, et qui p +Il s'appelle Sganarelle ; mais il est aisé à connoître : c'est un homme qui a une large barbe noire, et qui porte une fraise, avec un habit jaune et vert. Lucas Un habit jaune et vart ! C'est donc le médecin des paroquets ? Valère Mais est−il bien vrai qu'il soit si habile que vous le dites ? Martine -Comment ? C'est un homme qui fait des miracles. Il y a six mois qu'une femme fut abandonnée de tous le -autres médecins : on la tenoit morte il y avoit déjà six heures, et l'on se disposoit à l'ensevelir, lorsqu'on y -venir de force l'homme dont nous parlons. Il lui mit, l'ayant vue, une petite goutte de je ne sais quoi dans +Comment ? C'est un homme qui fait des miracles. Il y a six mois qu'une femme fut abandonnée de tous les +autres médecins : on la tenoit morte il y avoit déjà six heures, et l'on se disposoit à l'ensevelir, lorsqu'on y fit +venir de force l'homme dont nous parlons. Il lui mit, l'ayant vue, une petite goutte de je ne sais quoi dans la bouche, et, dans le même instant, elle se leva de son lit, et se mit aussitôt à se promener dans sa chambre, comme si de rien n'eût été. Lucas @@ -29907,9 +29907,9 @@ Ah ! Valère Il falloit que ce fût quelque goutte d'or potable. Martine -Cela pourroit bien être. Il n'y a pas trois semaines encore qu'un jeune enfant de douze ans tomba du haut d +Cela pourroit bien être. Il n'y a pas trois semaines encore qu'un jeune enfant de douze ans tomba du haut du clocher en bas, et se brisa, sur le pavé, la tête, les bras et les jambes. On n'y eut pas plus tôt amené notre -homme, qu'il le frotta par tout le corps d'un certain onguent qu'il sait faire ; et l'enfant aussitôt se leva sur +homme, qu'il le frotta par tout le corps d'un certain onguent qu'il sait faire ; et l'enfant aussitôt se leva sur ses pieds, et courut jouer à la fossette. Lucas Ah ! @@ -29926,7 +29926,7 @@ Mais souvenez−vous bien au moins de l'avertissement que je vous ai donné. Lucas Eh, morguenne ! laissez−nous faire : s'il ne tient qu'à battre, la vache est à nous. Valère -Nous sommes bien heureux d'avoir fait cette rencontre ; et j'en conçois, pour moi, la meilleure espérance +Nous sommes bien heureux d'avoir fait cette rencontre ; et j'en conçois, pour moi, la meilleure espérance du monde. Scène V Sganarelle, Valère, Lucas @@ -29935,7 +29935,7 @@ La, la, la. Valère J'entends quelqu'un qui chante, et qui coupe du bois. Sganarelle -La, la, la... Ma foi, c'est assez travaillé pour un coup. Prenons un peu d'haleine. (Il boit, et dit après avoir b +La, la, la... Ma foi, c'est assez travaillé pour un coup. Prenons un peu d'haleine. (Il boit, et dit après avoir bu : ) Voilà du bois qui est salé comme tous les diables. Qu'ils sont doux, Bouteille jolie, @@ -29952,7 +29952,7 @@ Lucas Je pense que vous dites vrai, et que j'avons bouté le nez dessus. Valère Voyons de près. -Sganarelle, les apercevant, les regarde, en se tournant vers l'un et puis vers l'autre, et, abaissant la voix, di +Sganarelle, les apercevant, les regarde, en se tournant vers l'un et puis vers l'autre, et, abaissant la voix, dit : Ah ! ma petite friponne ! que je t'aime, mon petit bouchon ! ... Mon sort.. feroit... bien des... jaloux, Si... @@ -29963,7 +29963,7 @@ Lucas Le velà tout craché comme on nous l'a défiguré. Sganarelle, à part. (Ici il pose sa bouteille à terre, et Valère se baissant pour le saluer, comme il croit que c'est à dessein de la -prendre, il la met de l'autre côté ; ensuite de quoi, Lucas faisant la même chose, il la reprend et la tient ce +prendre, il la met de l'autre côté ; ensuite de quoi, Lucas faisant la même chose, il la reprend et la tient centre son estomac, avec divers gestes qui font un grand jeu de théâtre.) Ils consultent en me regardant. Quel dessein auroient−ils ? Valère @@ -29979,19 +29979,19 @@ Nous ne voulons que lui faire toutes les civilités que nous pourrons. Sganarelle En ce cas, c'est moi qui se nomme Sganarelle. Valère -Monsieur, nous sommes ravis de vous voir. On nous a adressés à vous pour ce que nous cherchons ; et no +Monsieur, nous sommes ravis de vous voir. On nous a adressés à vous pour ce que nous cherchons ; et nous venons implorer votre aide, dont nous avons besoin. Sganarelle -Si c'est quelque chose, Messieurs, qui dépende de mon petit négoce, je suis tout prêt à vous rendre service +Si c'est quelque chose, Messieurs, qui dépende de mon petit négoce, je suis tout prêt à vous rendre service. Valère -Monsieur, c'est trop de grâce que vous nous faites. Mais, Monsieur, couvrez−vous, s'il vous plaît ; le sole +Monsieur, c'est trop de grâce que vous nous faites. Mais, Monsieur, couvrez−vous, s'il vous plaît ; le soleil pourroit vous incommoder. Lucas Monsieu, boutez dessus. Sganarelle, bas. Voici des gens bien pleins de cérémonie. Valère -Monsieur, il ne faut pas trouver étrange que nous venions à vous : les habiles gens sont toujours recherch +Monsieur, il ne faut pas trouver étrange que nous venions à vous : les habiles gens sont toujours recherchés, et nous sommes instruits de votre capacité. Sganarelle Il est vrai, Messieurs, que je suis le premier homme du monde pour faire des fagots. @@ -30090,7 +30090,7 @@ Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde. Lucas Par ma figué ! j'en sis fâché, franchement. Sganarelle -Que diable est−ce ci, Messieurs ? De grâce, est−ce pour rire, ou si tous deux vous extravaguez, de vouloi +Que diable est−ce ci, Messieurs ? De grâce, est−ce pour rire, ou si tous deux vous extravaguez, de vouloir que je sois médecin ? Valère Quoi ? vous ne vous rendez pas encore, et vous vous défendez d'être médecin ? @@ -30135,13 +30135,13 @@ Un médecin qui a gari je ne sai combien de maladies. Sganarelle Tudieu ! Valère -Une femme étoit tenue pour morte il y avoit six heures ; elle étoit prête à ensevelir, lorsque, avec une gou +Une femme étoit tenue pour morte il y avoit six heures ; elle étoit prête à ensevelir, lorsque, avec une goutte de quelque chose, vous la fîtes revenir et marcher d'abord par la chambre. Sganarelle Peste ! Lucas -Un petit enfant de douze ans se laissit choir du haut d'un clocher, de quoi il eut la tête, les jambes et les br -cassés ; et vous, avec je ne sai quel onguent, vous fîtes qu'aussitôt il se relevit sur ses pieds ; et s'en fut jo +Un petit enfant de douze ans se laissit choir du haut d'un clocher, de quoi il eut la tête, les jambes et les bras +cassés ; et vous, avec je ne sai quel onguent, vous fîtes qu'aussitôt il se relevit sur ses pieds ; et s'en fut jouer à la fossette. Sganarelle Diantre ! @@ -30153,7 +30153,7 @@ Je gagnerai ce que je voudrai ? Valère Oui. Sganarelle -Ah ! je suis médecin, sans contredit : je l'avois oublié : mais je m'en ressouviens. De quoi est−il questio +Ah ! je suis médecin, sans contredit : je l'avois oublié : mais je m'en ressouviens. De quoi est−il question ? Où faut−il se transporter ? Valère Nous vous conduirons. Il est question d'aller voir une fille qui a perdu la parole. @@ -30175,9 +30175,9 @@ Acte II Scène I Géronte, Valère, Lucas, Jacqueline Valère -Oui, Monsieur, je crois que vous serez satisfait ; et nous vous avons amené le plus grand médecin du mon +Oui, Monsieur, je crois que vous serez satisfait ; et nous vous avons amené le plus grand médecin du monde. Lucas -Oh ! morguenne ! il faut tirer l'échelle après ceti−là, et tous les autres ne sont pas daignes de li déchausse +Oh ! morguenne ! il faut tirer l'échelle après ceti−là, et tous les autres ne sont pas daignes de li déchausser ses souillez. Valère C'est un homme qui a fait des cures merveilleuses. @@ -30187,7 +30187,7 @@ Valère Il est un peu capricieux, comme je vous ai dit ; et parfois il a des moments où son esprit s'échappe et ne paroît pas ce qu'il est. Lucas -Oui, il aime à bouffonner ; et l'an diroit par fois, ne v's en déplaise, qu'il a quelque petit coup de hache à l +Oui, il aime à bouffonner ; et l'an diroit par fois, ne v's en déplaise, qu'il a quelque petit coup de hache à la tête. Valère Mais, dans le fond, il est toute science, et bien souvent il dit des choses tout à fait relevées. @@ -30200,47 +30200,47 @@ Je meurs d'envie de le voir ; faites−le−moi vite venir. Valère Je le vais querir. Jacqueline -Par ma fi ! Monsieu, ceti−ci fera justement ce qu'ant fait les autres. Je pense que ce sera queussi queumi -la meilleure médeçaine que l'an pourroit bailler à votre fille, ce seroit, selon moi, un biau et bon mari, pou +Par ma fi ! Monsieu, ceti−ci fera justement ce qu'ant fait les autres. Je pense que ce sera queussi queumi ; et +la meilleure médeçaine que l'an pourroit bailler à votre fille, ce seroit, selon moi, un biau et bon mari, pour qui elle eût de l'amiquié. Géronte Ouais ! Nourrice, ma mie, vous vous mêlez de bien des choses. Lucas Taisez−vous, notre ménagère Jaquelaine : ce n'est pas à vous à bouter là votre nez. Jacqueline -Je vous dis et vous douze que tous ces médecins n'y feront rian que de l'iau claire ; que votre fille a besoi +Je vous dis et vous douze que tous ces médecins n'y feront rian que de l'iau claire ; que votre fille a besoin d'autre chose que de ribarbe et de sené, et qu'un mari est une emplâtre qui garit tous les maux des filles. Géronte Est−elle en état maintenant qu'on s'en voulût charger, avec l'infirmité qu'elle a ? Et lorsque j'ai été dans le dessein de la marier, ne s'est−elle pas opposée à mes volontés ? Jacqueline -Je le crois bian : vous li vouilliez bailler cun homme qu'alle n'aime point. Que ne preniais−vous ce Mons -Liandre, qui li touchoit au coeur ? Alle auroit été fort obéissante ; et je m'en vas gager qu'il la prendroit, +Je le crois bian : vous li vouilliez bailler cun homme qu'alle n'aime point. Que ne preniais−vous ce Monsieu +Liandre, qui li touchoit au coeur ? Alle auroit été fort obéissante ; et je m'en vas gager qu'il la prendroit, li, comme alle est, si vous la li vouillais donner. Géronte Ce Léandre n'est pas ce qu'il lui faut : il n'a pas du bien comme l'autre. Jacqueline Il a un oncle qui est si riche, dont il est hériquié. Géronte -Tous ces biens à venir me semblent autant de chansons. Il n'est rien tel que ce qu'on tient ; et l'on court gr -risque de s'abuser, lorsque l'on compte sur le bien qu'un autre vous garde. La mort n'a pas toujours les ore +Tous ces biens à venir me semblent autant de chansons. Il n'est rien tel que ce qu'on tient ; et l'on court grand +risque de s'abuser, lorsque l'on compte sur le bien qu'un autre vous garde. La mort n'a pas toujours les oreilles ouvertes aux voeux et aux prières de Messieurs les héritiers ; et l'on a le temps d'avoir les dents longues, lorsqu'on attend, pour vivre, le trépas de quelqu'un. Jacqueline Enfin j'ai toujours ouï dire qu'en mariage, comme ailleurs, contentement passe richesse. Les bères et les mères ant cette maudite couteume de demander toujours : "Qu'a−t−il ? " et : "Qu'a−t−elle ? " et le -compère Biarre a marié sa fille Simonette au gros Thomas pour un quarquié de vaigne qu'il avoit davanta +compère Biarre a marié sa fille Simonette au gros Thomas pour un quarquié de vaigne qu'il avoit davantage que le jeune Robin, où alle avoit bouté son amiquié ; et velà que la pauvre creiature en est devenue jaune -comme un coing, et n'a point profité tout depuis ce temps−là. C' est un bel exemple pour vous, Monsieu. O +comme un coing, et n'a point profité tout depuis ce temps−là. C' est un bel exemple pour vous, Monsieu. On n'a que son plaisir en ce monde ; et j'aimerois mieux bailler à ma fille un bon mari qui li fût agriable, que toutes les rentes de la Biausse. Géronte -Peste ! Madame la Nourrice, comme vous dégoisez ! Taisez−vous, je vous prie : vous prenez trop de so +Peste ! Madame la Nourrice, comme vous dégoisez ! Taisez−vous, je vous prie : vous prenez trop de soin, et vous échauffez votre lait. Lucas (En disant ceci, il frappe sur la poitrine à Géronte.) -Morgué ! tais−toi, t'es cune impartinante. Monsieu n'a que faire de tes discours, et il sait ce qu'il a à faire -Mêle−toi de donner à teter à ton enfant, sans tant faire la raisonneuse. Monsieu est le père de sa fille, et il +Morgué ! tais−toi, t'es cune impartinante. Monsieu n'a que faire de tes discours, et il sait ce qu'il a à faire. +Mêle−toi de donner à teter à ton enfant, sans tant faire la raisonneuse. Monsieu est le père de sa fille, et il est bon et sage pour voir ce qu'il li faut. Géronte Tout doux ! oh ! tout doux ! @@ -30349,7 +30349,7 @@ Lucas, en le tirant. Tout doucement, s'il vous plaît. Sganarelle Je vous assure que je suis ravi que vous soyez unis ensemble. Je la félicite d'avoir (il fait encore semblant -d'embrasser Lucas, et, passant dessous ses bras, se jette au col de sa femme) un mari comme vous ; et je v +d'embrasser Lucas, et, passant dessous ses bras, se jette au col de sa femme) un mari comme vous ; et je vous félicite, vous, d'avoir une femme si belle ; si sage, et si bien faite comme elle est. Lucas, en le tirant encore. Eh ! testigué ! point tant de compliment, je vous supplie. @@ -30375,7 +30375,7 @@ Là dedans. Géronte Fort bien. Sganarelle, en voulant toucher les tetons de la Nourrice. -Mais comme je m'intéresse à toute votre famille, il faut que j'essaye un peu le lait de votre nourrice, et qu +Mais comme je m'intéresse à toute votre famille, il faut que j'essaye un peu le lait de votre nourrice, et que je visite son sein. Lucas, le tirant, en lui faisant faire la pirouette. Nanin, nanin ; je n'avons que faire de ça. @@ -30390,7 +30390,7 @@ Je me moque de ça. Sganarelle, en le regardant de travers. Je te donnerai la fièvre. Jacqueline, prenant Lucas par le bras et lui faisant aussi faire la pirouette. -Ote−toi de là aussi ; est−ce que je ne sis pas assez grande pour me défendre moi−même, s'il me fait quelq +Ote−toi de là aussi ; est−ce que je ne sis pas assez grande pour me défendre moi−même, s'il me fait quelque chose qui ne soit pas à faire ? Lucas Je ne veux pas qu'il te tâte, moi. @@ -30409,7 +30409,7 @@ Qu'elle s'en garde bien ! il ne faut pas qu'elle meure sans l'ordonnance du mé Géronte Allons, un siége. Sganarelle -Voilà une malade qui n'est pas tant dégoûtante, et je tiens qu'un homme bien sain s'en accommoderoit ass +Voilà une malade qui n'est pas tant dégoûtante, et je tiens qu'un homme bien sain s'en accommoderoit assez. Géronte Vous l'avez fait rire, Monsieur. Sganarelle @@ -30428,14 +30428,14 @@ Han, hi, hom. Sganarelle, la contrefaisant. Han, hi, hom, han, ha : je ne vous entends point. Quel diable de langage est−ce là ? Géronte -Monsieur, c'est là sa maladie. Elle est devenue muette, sans que jusques ici on en ait pu savoir la cause ; +Monsieur, c'est là sa maladie. Elle est devenue muette, sans que jusques ici on en ait pu savoir la cause ; et c'est un accident qui a fait reculer son mariage. Sganarelle Et pourquoi ? Géronte Celui qu'elle doit épouser veut attendre sa guérison pour conclure les choses. Sganarelle -Et qui est ce sot−là qui ne veut pas que sa femme soit muette ? Plût à Dieu que la mienne eût cette malad +Et qui est ce sot−là qui ne veut pas que sa femme soit muette ? Plût à Dieu que la mienne eût cette maladie ! je me garderois bien de la vouloir guérir. Géronte Enfin, Monsieur, nous vous prions d'employer tous vos soins pour la soulager de son mal. @@ -30469,7 +30469,7 @@ Jacqueline Voyez comme il a deviné sa maladie ! Sganarelle Nous autres grands médecins, nous connoissons d'abord les choses. Un ignorant auroit été embarrassé, et -vous eût été dire : "C'est ceci, c'est cela" ; mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprend +vous eût été dire : "C'est ceci, c'est cela" ; mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille est muette. Géronte Oui ; mais je voudrois bien que vous me pussiez dire d'où cela vient. @@ -30493,7 +30493,7 @@ Sganarelle, levant son bras depuis le coude. Grand homme tout à fait : un homme qui étoit plus grand que moi de tout cela. Pour revenir donc à notre raisonnement, je tiens que cet empêchement de l'action de sa langue est causé par de certaines humeurs, qu'entre nous autres savants nous appelons humeurs peccantes ; peccantes, c'est−à−dire... humeurs -peccantes ; d'autant que les vapeurs formées par les exhalaisons des influences qui s'élèvent dans la régio +peccantes ; d'autant que les vapeurs formées par les exhalaisons des influences qui s'élèvent dans la région des maladies, venant... pour ainsi dire... à... Entendez−vous le latin ? Géronte En aucune façon. @@ -30502,8 +30502,8 @@ Vous n'entendez point le latin ! Géronte Non. Sganarelle, en faisant diverses plaisantes postures. -Cabricias arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo haec Musa, "la Muse", bonus, bona, bonum, D -sanctus, estne oratio latinas ? Etiam, "oui". Quare, "pourquoi" ? Quia substantivo et adjectivum concord +Cabricias arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo haec Musa, "la Muse", bonus, bona, bonum, Deus +sanctus, estne oratio latinas ? Etiam, "oui". Quare, "pourquoi" ? Quia substantivo et adjectivum concordat in generi, numerum, et casus. Géronte Ah ! que n'ai−je étudié ? @@ -30512,10 +30512,10 @@ L'habile homme que velà ! Lucas Oui, ça est si biau, que je n'y entends goutte. Sganarelle -Or ces vapeurs dont je vous parle venant à passer, du côté gauche, où est le foie, au côté droit, où est le co +Or ces vapeurs dont je vous parle venant à passer, du côté gauche, où est le foie, au côté droit, où est le coeur, il se trouve que le poumon, que nous appelons en latin armyan, ayant communication avec le cerveau, que -nous nommons en grec nasmus, par le moyen de la veine cave, que nous appelons en hébreu cubile, renco -en son chemin lesdites vapeurs, qui remplissent les ventricules de l'omoplate ; et parce que lesdites vapeu +nous nommons en grec nasmus, par le moyen de la veine cave, que nous appelons en hébreu cubile, rencontre +en son chemin lesdites vapeurs, qui remplissent les ventricules de l'omoplate ; et parce que lesdites vapeurs... comprenez bien ce raisonnement, je vous prie ; et parce que lesdites vapeurs ont une certaine malignité... Ecoutez bien ceci, je vous conjure. Géronte @@ -30526,7 +30526,7 @@ Géronte Je le suis. Sganarelle Qui est causée par l'âcreté des humeurs engendrées dans la concavité du diaphragme, il arrive que ces -vapeurs... Ossabandus, nequeys, nequer, potarinum, quipsa milus. Voilà justement ce qui fait que votre fil +vapeurs... Ossabandus, nequeys, nequer, potarinum, quipsa milus. Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette. Jacqueline Ah ! que ça est bian dit, notte homme ! @@ -30534,7 +30534,7 @@ Lucas Que n'ai−je la langue aussi bian pendue ? Géronte On ne peut pas mieux raisonner, sans doute. Il n'y a qu'une seule chose qui m'a choqué : c'est l'endroit du -foie et du coeur. Il me semble que vous les placez autrement qu'ils ne sont ; que le coeur est du côté gauc +foie et du coeur. Il me semble que vous les placez autrement qu'ils ne sont ; que le coeur est du côté gauche, et le foie du côté droit. Sganarelle Oui, cela étoit autrefois ainsi ; mais nous avons changé tout cela, et nous faisons maintenant la médecine @@ -30550,17 +30550,17 @@ Ce que je crois qu'il faille faire ? Géronte Oui. Sganarelle -Mon avis est qu'on la remette sur son lit, et qu'on lui fasse prendre pour remède quantité de pain trempé d +Mon avis est qu'on la remette sur son lit, et qu'on lui fasse prendre pour remède quantité de pain trempé dans du vin. Géronte Pourquoi cela, Monsieur ? Sganarelle -Parce qu'il y a dans le vin et le pain, mêlés ensemble, une vertu sympathique qui fait parler. Ne voyez−vo +Parce qu'il y a dans le vin et le pain, mêlés ensemble, une vertu sympathique qui fait parler. Ne voyez−vous pas bien qu'on ne donne autre chose aux perroquets, et qu'ils apprennent à parler en mangeant de cela ? Géronte Cela est vrai. Ah ! le grand homme ! Vite, quantité de pain et de vin ! Sganarelle -Je reviendrai voir, sur le soir, en quel état elle sera. (A la Nourrice) Doucement, vous. Monsieur, voilà un +Je reviendrai voir, sur le soir, en quel état elle sera. (A la Nourrice) Doucement, vous. Monsieur, voilà une nourrice à laquelle il faut que je fasse quelques petits remèdes. Jaqueline Qui ? moi ? Je me porte le mieux du monde. @@ -30568,10 +30568,10 @@ Sganarelle Tant pis, Nourrice, tant pis. Cette grande santé est à craindre, et il ne sera mauvais de vous faire quelque petite saignée amiable, de vous donner quelque petit clystère dulcifiant. Géronte -Mais, Monsieur, voilà une mode que je ne comprends point. Pourquoi s'aller faire saigner quand on n'a po +Mais, Monsieur, voilà une mode que je ne comprends point. Pourquoi s'aller faire saigner quand on n'a point de maladie ? Sganarelle -Il n'importe, la mode en est salutaire ; et comme on boit pour la soif à venir, il faut se faire aussi saigner p +Il n'importe, la mode en est salutaire ; et comme on boit pour la soif à venir, il faut se faire aussi saigner pour la maladie à venir. Jaqueline, en se retirant. Ma fi ! je me moque de ça, et je ne veux point faire de mon corps une boutique d'apothicaire. @@ -30633,12 +30633,12 @@ Je ne suis point malade, Monsieur, et ce n'est pas pour cela que je viens à vou Sganarelle Si vous n'êtes pas malade, que diable ne le dites−vous donc ? Léandre -Non : pour vous dire la chose en deux mots, je m'appelle Léandre, qui suis amoureux de Lucinde, que vo +Non : pour vous dire la chose en deux mots, je m'appelle Léandre, qui suis amoureux de Lucinde, que vous venez de visiter ; et comme, par la mauvaise humeur de son père toute sorte d'accès m'est fermé auprès -d'elle, je me hasarde à vous prier de vouloir servir mon amour, et de me donner lieu d'exécuter un stratagè +d'elle, je me hasarde à vous prier de vouloir servir mon amour, et de me donner lieu d'exécuter un stratagème que j'ai trouvé, pour lui pouvoir dire deux mots, d'où dépendent absolument mon bonheur et ma vie. Sganarelle, paroissant en colère. -Pour qui me prenez−vous ? Comment oser vous adresser à moi pour vous servir dans votre amour, et vou +Pour qui me prenez−vous ? Comment oser vous adresser à moi pour vous servir dans votre amour, et vouloir ravaler la dignité de médecin à des emplois de cette nature ? Léandre Monsieur, ne faites point de bruit. @@ -30655,19 +30655,19 @@ Je vous apprendrai que je ne suis point homme à cela, et que c'est une insolenc Léandre, tirant une bourse qu'il lui donne. Monsieur... Sganarelle, tenant la bourse -De vouloir m'employer... Je ne parle pas pour vous, car vous êtes honnête homme, et je serois ravi de vou -rendre service ; mais il y a de certains impertinents au monde qui viennent prendre les gens pour ce qu'ils +De vouloir m'employer... Je ne parle pas pour vous, car vous êtes honnête homme, et je serois ravi de vous +rendre service ; mais il y a de certains impertinents au monde qui viennent prendre les gens pour ce qu'ils ne sont pas ; et je vous avoue que cela me met en colère. Léandre Je vous demande pardon, Monsieur, de la liberté que... Sganarelle Vous vous moquez. De quoi est−il question ? Léandre -Vous saurez donc, Monsieur, que cette maladie que vous voulez guérir est une feinte maladie. Les médec -ont raisonné là−dessus comme il faut ; et ils n'ont pas manqué de dire que cela procédoit, qui du cerveau, +Vous saurez donc, Monsieur, que cette maladie que vous voulez guérir est une feinte maladie. Les médecins +ont raisonné là−dessus comme il faut ; et ils n'ont pas manqué de dire que cela procédoit, qui du cerveau, qui des entrailles, qui de la rate, qui du foie ; mais il est certain que l'amour en est la véritable cause, et que Lucinde n'a trouvé cette maladie que pour se délivrer d'un mariage dont elle étoit importunée. Mais, de -crainte qu'on ne nous voye ensemble, retirons−nous d'ici, et je vous dirai en marchant ce que je souhaite d +crainte qu'on ne nous voye ensemble, retirons−nous d'ici, et je vous dirai en marchant ce que je souhaite de vous. Sganarelle Allons, Monsieur : vous m'avez donné pour votre amour une tendresse qui n'est pas concevable ; et j'y @@ -30681,30 +30681,30 @@ changement d'habit et de perruque est assez capable, je crois, de me déguiser Sganarelle Sans doute. Léandre -Tout ce que je souhaiterois seroit de savoir cinq ou six grands mots de médecine, pour parer mon discours +Tout ce que je souhaiterois seroit de savoir cinq ou six grands mots de médecine, pour parer mon discours et me donner l'air d'habile homme. Sganarelle Allez, allez, tout cela n'est pas nécessaire : il suffit de l'habit, et je n'en sais pas plus que vous. Léandre Comment ? Sganarelle -Diable emporte si j'entends rien en médecine ! Vous êtes honnête homme, et je veux bien me confier à vo +Diable emporte si j'entends rien en médecine ! Vous êtes honnête homme, et je veux bien me confier à vous, comme vous vous confiez à moi. Léandre Quoi ? vous n'êtes pas effectivement... Sganarelle Non, vous dis−je : ils m'ont fait médecin malgré mes dents. Je ne m'étois jamais mêlé d'être si savant que -cela ; et toutes mes études n'ont été que jusqu'en sixième. Je ne sais point sur quoi cette imagination leur -venue ; mais quand j'ai vu qu'à toute force ils vouloient que je fusse médecin, je me suis résolu de l'être, a -dépens de qui il appartiendra. Cependant vous ne sauriez croire comment l'erreur s'est répandue, et de que -façon chacun est endiablé à me croire habile homme. On me vient chercher de tous les côtés ; et si les ch -vont toujours de même, je suis d'avis de m'en tenir, toute ma vie, à la médecine. Je trouve que c'est le mét -le meilleur de tous ; car, soi, qu'on fasse bien ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte -la méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos ; et nous taillons, comme il nous plaît, sur l'étoffe o -nous travaillons. Un cordonnier, en faisant des souliers, ne sauroit gâter un morceau de cuir qu'il n'en pay -pots cassés ; mais ici l'on peut gâter un homme sans qu'il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour no -et c'est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession est qu'il y a parmi les morts u -honnêteté, une discrétion la plus grande du monde ; et jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui l'a t +cela ; et toutes mes études n'ont été que jusqu'en sixième. Je ne sais point sur quoi cette imagination leur est +venue ; mais quand j'ai vu qu'à toute force ils vouloient que je fusse médecin, je me suis résolu de l'être, aux +dépens de qui il appartiendra. Cependant vous ne sauriez croire comment l'erreur s'est répandue, et de quelle +façon chacun est endiablé à me croire habile homme. On me vient chercher de tous les côtés ; et si les choses +vont toujours de même, je suis d'avis de m'en tenir, toute ma vie, à la médecine. Je trouve que c'est le métier +le meilleur de tous ; car, soi, qu'on fasse bien ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte : +la méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos ; et nous taillons, comme il nous plaît, sur l'étoffe où +nous travaillons. Un cordonnier, en faisant des souliers, ne sauroit gâter un morceau de cuir qu'il n'en paye les +pots cassés ; mais ici l'on peut gâter un homme sans qu'il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous ; +et c'est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession est qu'il y a parmi les morts une +honnêteté, une discrétion la plus grande du monde ; et jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui l'a tué. Léandre Il est vrai que les morts sont fort honnêtes gens sur cette matière. Sganarelle, voyant des hommes qui viennent vers lui. @@ -30729,16 +30729,16 @@ Alle est malade d'hypocrisie, Monsieu. Sganarelle D'hypocrisie ? Thibaut -Oui, c'est−à−dire qu'alle est enflée par tout ; et l'an dit que c'est quantité de sériosités qu'alle a dans le cor -et que son foie, son ventre, ou sa rate, comme vous voudrais l'appeler, au glieu de faire du sang, ne fait pl +Oui, c'est−à−dire qu'alle est enflée par tout ; et l'an dit que c'est quantité de sériosités qu'alle a dans le corps, +et que son foie, son ventre, ou sa rate, comme vous voudrais l'appeler, au glieu de faire du sang, ne fait plus que de l'iau. Alle a, de deux jours l'un, la fièvre quotiguenne, avec des lassitules et des douleurs dans les mufles des jambes. -On entend dans sa gorge des fleumes qui sont tout prêts à l'étouffer ; et par fois il lui prend des syncoles e -des conversions, que je crayons qu'alle est passée. J'avons dans notre village un apothicaire, révérence par -qui li a donné je ne sai combien d'histoires ; et il m'en coûte plus d'eune douzaine de bons écus en laveme -ne v's en déplaise, en apostumes qu'on li a fait prendre, en infections de jacinthe, et en portions cordales. M +On entend dans sa gorge des fleumes qui sont tout prêts à l'étouffer ; et par fois il lui prend des syncoles et +des conversions, que je crayons qu'alle est passée. J'avons dans notre village un apothicaire, révérence parler, +qui li a donné je ne sai combien d'histoires ; et il m'en coûte plus d'eune douzaine de bons écus en lavements, +ne v's en déplaise, en apostumes qu'on li a fait prendre, en infections de jacinthe, et en portions cordales. Mais tout ça, comme dit l'autre, n'a été que de l'onguent miton mitaine. Il veloit li bailler d'eune certaine drogue -que l'on appelle du vin amétile ; mais j'ai−s−eu peur, franchement, que ça l'envoyît à patres ; et l'an dit q +que l'on appelle du vin amétile ; mais j'ai−s−eu peur, franchement, que ça l'envoyît à patres ; et l'an dit que ces gros médecins tuont je ne sai combien de monde avec cette invention−là. Sganarelle, tendant toujours la main et la branlant, comme pour signe qu'il demande de l'argent. Venons au fait, mon ami, venons au fait. @@ -30747,16 +30747,16 @@ Le fait est, Monsieu, que je venons vous prier de nous dire ce qu'il faut que je Sganarelle Je ne vous entends point du tout. Perrin -Monsieu, ma mère est malade ; et velà deux écus que je vous apportons pour nous bailler queuque remèd +Monsieu, ma mère est malade ; et velà deux écus que je vous apportons pour nous bailler queuque remède. Sganarelle -Ah ! je vous entends, vous. Voilà un garçon qui parle clairement, qui s'explique comme il faut. Vous dite +Ah ! je vous entends, vous. Voilà un garçon qui parle clairement, qui s'explique comme il faut. Vous dites que votre mère est malade d'hydropisie, qu'elle est enflée par tout le corps, qu'elle a la fièvre, avec des douleurs dans les jambes, et qu'il lui prend parfois des syncopes et des convulsions, c'est−à−dire des évanouissements ? Perrin Eh ! oui, Monsieu, c'est justement ça. Sganarelle -J'ai compris d'abord vos paroles. Vous avez un père qui' ne sait ce qu'il dit. Maintenant vous me demande +J'ai compris d'abord vos paroles. Vous avez un père qui' ne sait ce qu'il dit. Maintenant vous me demandez un remède ? Perrin Oui, Monsieu. @@ -30769,7 +30769,7 @@ Tenez, voilà un morceau de formage qu'il faut que vous lui fassiez prendre. Perrin Du fromage, Monsieu ? Sganarelle -Oui, c'est un formage préparé, où il entre de l'or, du coral, et des perles, et quantité d'autres choses précieu +Oui, c'est un formage préparé, où il entre de l'or, du coral, et des perles, et quantité d'autres choses précieuses. Perrin Monsieu, je vous sommes bien obligés ; et j'allons li faire prendre ça tout à l'heure. Sganarelle @@ -30782,7 +30782,7 @@ rhubarbe, la casse, et le séné qui purgent toute la mélancolie de mon âme. Jacqueline Par ma figué ! Monsieu le Médecin, ça est trop bian dit pour moi, et je n'entends rien à tout votre latin. Sganarelle -Devenez malade, Nourrice, je vous prie ; devenez malade, pour l'amour de moi : j'aurois toutes les joies +Devenez malade, Nourrice, je vous prie ; devenez malade, pour l'amour de moi : j'aurois toutes les joies du monde de vous guérir. Jacqueline Je sis votte sarvante : j'aime bian mieux qu'an ne me guérisse pas. @@ -30792,26 +30792,26 @@ Jacqueline Que velez−vous, Monsieu ? c'est pour la pénitence de mes fautes ; et là où la chèvre est liée, il faut bian qu'alle y broute. Sganarelle -Comment ? un rustre comme cela ! un homme qui vous observe toujours, et ne veut pas que personne vo +Comment ? un rustre comme cela ! un homme qui vous observe toujours, et ne veut pas que personne vous parle ! Jacqueline Hélas ! vous n'avez rien vu encore, et ce n'est qu'un petit échantillon de sa mauvaise humeur. Sganarelle Est−il possible ? et qu'un homme ait l'âme assez basse pour maltraiter une personne comme vous ? Ah ! -que j'en sais, belle Nourrice, et qui ne sont pas loin d'ici, qui se tiendroient heureux de baiser seulement le -petits bouts de vos petons ! Pourquoi faut−il qu'une personne si bien faite soit tombée en de telles mains, -qu'un franc animal, un brutal, un stupide, un sot... ? Pardonnez−moi, Nourrice, si je parle ainsi de votre m +que j'en sais, belle Nourrice, et qui ne sont pas loin d'ici, qui se tiendroient heureux de baiser seulement les +petits bouts de vos petons ! Pourquoi faut−il qu'une personne si bien faite soit tombée en de telles mains, et +qu'un franc animal, un brutal, un stupide, un sot... ? Pardonnez−moi, Nourrice, si je parle ainsi de votre mari. Jacqueline Eh ! Monsieu, je sai bien qu'il mérite tous ces noms−là. Sganarelle -Oui, sans doute, Nourrice, il les mérité ; et il mériteroit encore que vous lui missiez quelque chose sur la +Oui, sans doute, Nourrice, il les mérité ; et il mériteroit encore que vous lui missiez quelque chose sur la tête, pour le punir des soupçons qu'il a. Jacqueline -Il est bien vrai que si je n'avois devant les yeux que son intérêt, il pourroit m'obliger à queuque étrange ch +Il est bien vrai que si je n'avois devant les yeux que son intérêt, il pourroit m'obliger à queuque étrange chose. Sganarelle Ma foi ! vous ne feriez pas mal de vous venger de lui avec quelqu'un. C'est un homme, je vous le dis, qui mérite bien cela ; et si j'étois assez heureux, belle Nourrice, pour être choisi pour... -(En cet endroit, tous deux apercevant Lucas qui étoit derrière eux et entendoit leur dialogue, chacun se ret +(En cet endroit, tous deux apercevant Lucas qui étoit derrière eux et entendoit leur dialogue, chacun se retire de son côté, mais le Médecin d'une manière fort plaisante.) Scène IV Géronte, Lucas @@ -30863,11 +30863,11 @@ Sganarelle Cela lui fera du bien. Allez−vous−en, Monsieur l'Apothicaire, tâter un peu son pouls, afin que je raisonne tantôt avec vous de sa maladie. (En cet endroit, il tire Géronte à un bout du théâtre, et, lui passant un bras sur les épaules, lui rabat la main -sous le menton, avec laquelle il le fait retourner vers lui, lorsqu'il veut regarder ce que sa fille et l'apothica +sous le menton, avec laquelle il le fait retourner vers lui, lorsqu'il veut regarder ce que sa fille et l'apothicaire font ensemble, lui tenant cependant le discours suivant pour l'amuser : ) Monsieur, c'est une grande et subtile question entre les doctes, de savoir si les femmes sont plus faciles à -guérir que les hommes. Je vous prie d'écouter ceci, s'il vous plaît. Les uns disent que non, les autres disen -que oui ; et moi je dis que oui et non : d'autant que l'incongruité des humeurs opaques qui se rencontrent +guérir que les hommes. Je vous prie d'écouter ceci, s'il vous plaît. Les uns disent que non, les autres disent +que oui ; et moi je dis que oui et non : d'autant que l'incongruité des humeurs opaques qui se rencontrent au tempérament naturel des femmes étant cause que la partie brutale veut toujours prendre empire sur la sensitive, on voit que l'inégalité de leurs opinions dépend du mouvement oblique du cercle de la lune ; et comme le soleil, qui darde ses rayons sur la concavité de la terre, trouve... @@ -30921,7 +30921,7 @@ Géronte Ah ! quelle impétuosité de paroles ! Il n'y a pas moyen d'y résister. Monsieur, je vous prie de la faire redevenir muette. Sganarelle -C'est une chose qui m'est impossible. Tout ce que je puis faire pour votre service est de vous rendre sourd +C'est une chose qui m'est impossible. Tout ce que je puis faire pour votre service est de vous rendre sourd, si vous voulez. Géronte Je vous remercie. Penses−tu donc... @@ -30932,20 +30932,20 @@ Tu épouseras Horace, dès ce soir. Lucinde J'épouserai plutôt la mort. Sganarelle -Mon Dieu ! arrêtez−vous, laissez−moi médicamenter cette affaire. C'est une maladie qui la tient, et je sai +Mon Dieu ! arrêtez−vous, laissez−moi médicamenter cette affaire. C'est une maladie qui la tient, et je sais le remède qu'il y faut apporter. Géronte Seroit−il possible, Monsieur, que vous pussiez aussi guérir cette maladie d'esprit ? Sganarelle Oui : laissez−moi faire, j'ai des remèdes pour tout, et notre apothicaire nous servira pour cette cure. (Il -appelle l'Apothicaire et lui parle.) Un mot. Vous voyez que l'ardeur qu'elle a pour ce Léandre est tout à fa -contraire aux volontés du père, qu'il n'y a point de temps à perdre, que les humeurs sont fort aigries, et qu -est nécessaire de trouver promptement un remède à ce mal, qui pourroit empirer par le retardement. Pour +appelle l'Apothicaire et lui parle.) Un mot. Vous voyez que l'ardeur qu'elle a pour ce Léandre est tout à fait +contraire aux volontés du père, qu'il n'y a point de temps à perdre, que les humeurs sont fort aigries, et qu'il +est nécessaire de trouver promptement un remède à ce mal, qui pourroit empirer par le retardement. Pour moi, je n'y en vois qu'un seul, qui est une prise de fuite purgative, que vous mêlerez comme il faut avec deux -drachmes de matrimonium en pilules. Peut−être fera−t−elle quelque difficulté à prendre ce remède ; mais -comme vous êtes habile homme dans votre métier, c'est à vous de l'y résoudre, et de lui faire avaler la cho +drachmes de matrimonium en pilules. Peut−être fera−t−elle quelque difficulté à prendre ce remède ; mais, +comme vous êtes habile homme dans votre métier, c'est à vous de l'y résoudre, et de lui faire avaler la chose du mieux que vous pourrez. Allez−vous−en lui faire faire un petit tour de jardin, afin de préparer les -humeurs, tandis que j'entretiendrai ici son père ; mais surtout ne perdez point de temps : au remède vite, +humeurs, tandis que j'entretiendrai ici son père ; mais surtout ne perdez point de temps : au remède vite, au remède spécifique ! Scène VII Géronte, Sganarelle @@ -30993,7 +30993,7 @@ Il n'a pas affaire à un sot, et vous savez des rubriques qu'il ne sait pas. Plu Scène VIII Lucas, Géronte, Sganarelle Lucas -Ah ! paisanguenne, Monsieu, vaici bian du tintamarre : votre fille s'en est enfuie avec son Liandre. C'éto +Ah ! paisanguenne, Monsieu, vaici bian du tintamarre : votre fille s'en est enfuie avec son Liandre. C'étoit lui qui étoit l'Apothicaire ; et velà Monsieu le Médecin qui a fait cette belle opération−là. Géronte Comment ? m'assassiner de la façon ! Allons, un commissaire ! et qu'on empêche qu'il ne sorte. Ah, @@ -31003,7 +31003,7 @@ Ah ! par ma fi ! Monsieu le Médecin, vous serez pendu : ne bougez de là seu Scène IX Martine, Sganarelle, Lucas Martine -Ah ! mon Dieu ! que j'ai eu de peine à trouver ce logis ! Dites−moi un peu des nouvelles du médecin qu +Ah ! mon Dieu ! que j'ai eu de peine à trouver ce logis ! Dites−moi un peu des nouvelles du médecin que je vous ai donné. Lucas Le velà, qui va être pendu. @@ -31039,8 +31039,8 @@ Scène XI et Dernière Léandre, Lucinde, Jacqueline, Lucas, Géronte, Sganarelle, Martine Léandre Monsieur, je viens faire paroître Léandre à vos yeux, et remettre Lucinde en votre pouvoir. Nous avons eu -dessein de prendre la fuite nous deux, et de nous aller marier ensemble ; mais cette entreprise a fait place -un procédé plus honnête. Je ne prétends point vous voler votre fille, et ce n'est que de votre main que je v +dessein de prendre la fuite nous deux, et de nous aller marier ensemble ; mais cette entreprise a fait place à +un procédé plus honnête. Je ne prétends point vous voler votre fille, et ce n'est que de votre main que je veux la recevoir. Ce que je vous dirai, Monsieur, c'est que je viens tout à l'heure de recevoir des lettres par où j'apprends que mon oncle est mort, et que je suis héritier de tous ses biens. Géronte @@ -31049,7 +31049,7 @@ monde. Sganarelle La médecine l'a échappé belle ! Martine -Puisque tu ne seras point pendu, rends−moi grâce d'être médecin ; car c'est moi qui t'ai procuré cet honne +Puisque tu ne seras point pendu, rends−moi grâce d'être médecin ; car c'est moi qui t'ai procuré cet honneur. Sganarelle Oui, c'est toi qui m'as procuré je ne sais combien de coups de bâton. Léandre @@ -32070,7 +32070,7 @@ Si tu nommes jamais ma belle. Lycas Bagatelle, bagatelle. La quatrième scène est entre Lycas et Iris, jeune bergère dont Lycas est amoureux. -La cinquième scène est entre Lycas et un pâtre, qui apporte un cartel à Lycas de la part de Philène, son riv +La cinquième scène est entre Lycas et un pâtre, qui apporte un cartel à Lycas de la part de Philène, son rival. La sixième scène est entre Lycas et Coridon. La septième scène est entre Lycas et Philène. Philène, venant pour se battre, chante. @@ -32081,10 +32081,10 @@ Obtiendra l'avantage. (Lycas parle, et Philène reprend.) C'est par trop discourir, Allons, il faut mourir. -La huitième scène est de huit paysans, qui, venant pour séparer Philène et Lycas, prennent querelle et dan +La huitième scène est de huit paysans, qui, venant pour séparer Philène et Lycas, prennent querelle et dansent en se battant. -Les huit paysans sont : Les sieurs Dolivet, Paysan, Desonets, Du Pron, La Pierre, Mercier, Pesan et Le R -La neuvième scène est entre Coridon, jeune berger, et les huit paysans, qui, par les persuasions de Corido +Les huit paysans sont : Les sieurs Dolivet, Paysan, Desonets, Du Pron, La Pierre, Mercier, Pesan et Le Roy. +La neuvième scène est entre Coridon, jeune berger, et les huit paysans, qui, par les persuasions de Coridon, se réconcilient, et, après s'être réconciliés, dansent. La dixième scène est entre Philène, Lycas et Coridon. La onzième scène est entre Iris, bergère, et Coridon, berger. @@ -32094,7 +32094,7 @@ N'attendez pas qu'ici je me vante moi−même : Pour le choix que vous balancez, Vous avez des yeux, je vous aime, C'est vous en dire assez. -La treizième scène est entre Philène et Lycas, qui, rebutés par la belle Iris, chantent ensemble leur désespo +La treizième scène est entre Philène et Lycas, qui, rebutés par la belle Iris, chantent ensemble leur désespoir. Philène Hélas ! Peut−on sentir de plus vive douleur ? Nous préférer un servile pasteur ! @@ -32174,7 +32174,7 @@ Mais quitter la vie Pour une beauté Dont on est rebuté, Ah ! quelle folie ! -La quinzième et dernière scène est d'une Egyptienne, suivie d'une douzaine de gens, qui, ne cherchant que +La quinzième et dernière scène est d'une Egyptienne, suivie d'une douzaine de gens, qui, ne cherchant que la joie, dansent avec elles aux chansons qu'elle chante agréablement. En voici les paroles. Premier air D'un pauvre coeur @@ -32238,10 +32238,10 @@ Scène I Hali, Musiciens Hali, aux Musiciens. Chut... N'avancez pas davantage, et demeurez dans cet endroit, jusqu'à ce que je vous appelle. Il fait noir -comme dans un four : le ciel s'est habillé ce soir en Scaramouche et je ne vois pas une étoile qui montre l -bout de son nez. Sotte condition que celle d'un esclave ! de ne vivre jamais pour soi, et d'être toujours tou -entier aux passions d'un maître ! de n'être réglé que par ses humeurs, et de se voir réduit à faire ses propre -affaires de tous les soucis qu'il peut prendre ! Le mien me fait ici épouser ses inquiétudes ; et parce qu'il +comme dans un four : le ciel s'est habillé ce soir en Scaramouche et je ne vois pas une étoile qui montre le +bout de son nez. Sotte condition que celle d'un esclave ! de ne vivre jamais pour soi, et d'être toujours tout +entier aux passions d'un maître ! de n'être réglé que par ses humeurs, et de se voir réduit à faire ses propres +affaires de tous les soucis qu'il peut prendre ! Le mien me fait ici épouser ses inquiétudes ; et parce qu'il est amoureux, il faut que, nuit et jour, je n'aie aucun repos. Mais voici des flambeaux, et sans doute c'est lui. Scène II Adraste et deux laquais, Hali @@ -32251,18 +32251,18 @@ Hali Et qui pourroit−ce être que moi ? A ces heures de nuit, hors vous et moi, Monsieur, je ne crois pas que personne s'avise de courir maintenant les rues. Adraste -Aussi ne crois−je pas qu'on puisse voir personne qui sente dans son coeur la peine que je sens. Car, enfin, -n'est rien d'avoir à combattre l'indifférence ou les rigueurs d'une beauté qu'on aime : on a toujours au moi -le plaisir de la plainte et la liberté des soupirs ; mais ne pouvoir trouver aucune occasion de parler à ce qu -adore, ne pouvoir savoir d'une belle si l'amour qu'inspirent ses yeux est pour lui plaire ou lui déplaire, c'es -plus fâcheuse, à mon gré, de toutes les inquiétudes ; et c'est où me réduit l'incommode jaloux qui veille, a +Aussi ne crois−je pas qu'on puisse voir personne qui sente dans son coeur la peine que je sens. Car, enfin, ce +n'est rien d'avoir à combattre l'indifférence ou les rigueurs d'une beauté qu'on aime : on a toujours au moins +le plaisir de la plainte et la liberté des soupirs ; mais ne pouvoir trouver aucune occasion de parler à ce qu'on +adore, ne pouvoir savoir d'une belle si l'amour qu'inspirent ses yeux est pour lui plaire ou lui déplaire, c'est la +plus fâcheuse, à mon gré, de toutes les inquiétudes ; et c'est où me réduit l'incommode jaloux qui veille, avec tant de souci, sur ma charmante Grecque et ne fait pas un pas sans la traîner à ses côtés. Hali -Mais il est en amour plusieurs façons de se parler ; et il me semble, à moi que vos yeux et les siens, depu +Mais il est en amour plusieurs façons de se parler ; et il me semble, à moi que vos yeux et les siens, depuis près de deux mois, se sont dit bien des choses. Adraste -Il est vrai qu'elle et moi souvent nous nous sommes parlé des yeux ; mais comment reconnoître que, chac -de notre côté, nous ayons comme il faut expliqué ce langage ? Et que sais−je, après tout, si elle entend bi +Il est vrai qu'elle et moi souvent nous nous sommes parlé des yeux ; mais comment reconnoître que, chacun +de notre côté, nous ayons comme il faut expliqué ce langage ? Et que sais−je, après tout, si elle entend bien tout ce que mes regards lui disent ? et si les siens me disent ce que je crois parfois entendre ? Hali Il faut chercher quelque moyen de se parler d'autre manière. @@ -32271,7 +32271,7 @@ As−tu là tes musiciens ? Hali Oui. Adraste -Fais−les approcher. Je veux, jusques au jour, les faire ici chanter, et voir si leur musique n'obligera point c +Fais−les approcher. Je veux, jusques au jour, les faire ici chanter, et voir si leur musique n'obligera point cette belle à paroître à quelque fenêtre. Hali Les voici. Que chanteront−ils ? @@ -32286,16 +32286,16 @@ Ah ! Monsieur, c'est du beau bécarre. Adraste Que diantre veux−tu dire avec ton beau bécarre ? Hali -Monsieur, je tiens pour le bécarre : vous savez que je m'y connois. Le bécarre me charme : hors du bécar +Monsieur, je tiens pour le bécarre : vous savez que je m'y connois. Le bécarre me charme : hors du bécarre, point de salut en harmonie. Ecoutez un peu ce trio. Adraste Non : je veux quelque chose de tendre et de passionné, quelque chose qui m'entretienne dans une douce rêverie. Hali -Je vois bien que vous êtes pour le bémol ; mais il y a moyen de nous contenter l'un l'autre. Il faut qu'ils v -chantent une certaine scène d'une petite comédie que je leur ai vu essayer. Ce sont deux bergers amoureux +Je vois bien que vous êtes pour le bémol ; mais il y a moyen de nous contenter l'un l'autre. Il faut qu'ils vous +chantent une certaine scène d'une petite comédie que je leur ai vu essayer. Ce sont deux bergers amoureux, tous remplis de langueur, qui, sur le bémol, viennent séparément faire leurs plaintes dans un bois, puis se -découvrent l'un à l'autre la cruauté de leurs maîtresses ; et là−dessus vient un berger joyeux, avec un béca +découvrent l'un à l'autre la cruauté de leurs maîtresses ; et là−dessus vient un berger joyeux, avec un bécarre admirable, qui se moque de leur foiblesse. Adraste J'y consens. Voyons ce que c'est. @@ -32366,21 +32366,21 @@ Hali Non. (Dom Pèdre est derrière eux, qui les écoute.) Adraste -Quoi ? tous nos efforts ne pourront obtenir que je parle un moment à cette aimable Grecque ? et ce jalou +Quoi ? tous nos efforts ne pourront obtenir que je parle un moment à cette aimable Grecque ? et ce jaloux maudit, ce traître de Sicilien, me fermera toujours tout accès auprès d'elle ? Hali Je voudrois, de bon coeur, que le diable l'eût emporté, pour la fatigue qu'il nous donne, le fâcheux, le bourreau qu'il est. Ah ! si nous le tenions ici, que je prendrois de joie à venger sur son dos tous les pas inutiles que sa jalousie nous fait faire ! Adraste -Si faut−il bien pourtant trouver quelque moyen, quelque invention, quelque ruse, pour attraper notre bruta +Si faut−il bien pourtant trouver quelque moyen, quelque invention, quelque ruse, pour attraper notre brutal : j'y suis trop engagé pour en avoir le démenti ; et quand j'y devrois employer... Hali Monsieur, je ne sais pas ce que cela veut dire, mais la porte est ouverte ; et si vous le voulez, j'entrerai doucement pour découvrir d'où cela vient. (Dom Pèdre se retire sur sa porte.) Adraste -Oui, fais ; mais sans faire de bruit ; je ne m'éloigne pas de toi. Plût au Ciel que ce fût la charmante Isidor +Oui, fais ; mais sans faire de bruit ; je ne m'éloigne pas de toi. Plût au Ciel que ce fût la charmante Isidore ! Dom Pèdre, lui donnant sur la joue. Qui va là ? Hali, lui faisant de même. @@ -32407,18 +32407,18 @@ Adraste Quoi ? tous nos soins seront donc inutiles ? Et toujours ce fâcheux jaloux se moquera de nos desseins. Hali Non : le courroux du point d'honneur me prend ; il ne sera pas dit qu'on triomphe de mon adresse ; ma -qualité de fourbe s'indigne de tous ces obstacles, et je prétends faire éclater les talents que j'ai eus du Ciel +qualité de fourbe s'indigne de tous ces obstacles, et je prétends faire éclater les talents que j'ai eus du Ciel. Adraste Je voudrois seulement que, par quelque moyen, par un billet, par quelque bouche, elle fût avertie des -sentiments qu'on a pour elle, et savoir les siens là−dessus. Après, on peut trouver facilement les moyens.. +sentiments qu'on a pour elle, et savoir les siens là−dessus. Après, on peut trouver facilement les moyens... Hali -Laissez−moi faire seulement : j'en essayerai tant de toutes les manières, que quelque chose enfin nous po -réussir. Allons, le jour paroît ; je vais chercher mes gens, et venir attendre, en ce lieu, que notre jaloux so +Laissez−moi faire seulement : j'en essayerai tant de toutes les manières, que quelque chose enfin nous pourra +réussir. Allons, le jour paroît ; je vais chercher mes gens, et venir attendre, en ce lieu, que notre jaloux sorte. Scène VI Dom Pèdre, Isidore Isidore Je ne sais pas quel plaisir vous prenez à me réveiller si matin ; cela s'ajuste assez mal, ce me semble, au -dessein que vous avez pris de me faire peindre aujourd'hui ; et ce n'est guère pour avoir le teint frais et le +dessein que vous avez pris de me faire peindre aujourd'hui ; et ce n'est guère pour avoir le teint frais et les yeux brillants que se lever ainsi dès la pointe du jour. Dom Pèdre J'ai une affaire qui m'oblige à sortir à l'heure qu'il est. @@ -32453,50 +32453,50 @@ Assurément. Dom Pèdre C'est dire fort net ses pensées. Isidore -A quoi bon de dissimuler ? Quelque mine qu'on fasse, on est toujours bien aise d'être aimée : ces homma -à nos appas ne sont jamais pour nous déplaire. Quoi qu'on en puisse dire, la grande ambition des femmes -croyez−moi, d'inspirer de l'amour. Tous les soins qu'elles prennent ne sont que pour cela ; et l'on n'en voi +A quoi bon de dissimuler ? Quelque mine qu'on fasse, on est toujours bien aise d'être aimée : ces hommages +à nos appas ne sont jamais pour nous déplaire. Quoi qu'on en puisse dire, la grande ambition des femmes est, +croyez−moi, d'inspirer de l'amour. Tous les soins qu'elles prennent ne sont que pour cela ; et l'on n'en voit point de si fière qui ne s'applaudisse en son coeur des conquêtes que font ses yeux. Dom Pèdre Mais si vous prenez, vous, du plaisir à vous voir aimée, savez−vous bien, moi qui vous aime, que je n'y en prends nullement ? Isidore Je ne sais pas pourquoi cela ; et si j'aimois quelqu'un, je n'aurois point de plus grand plaisir que de le voir -aimé de tout le monde. Y a−t−il rien qui marque davantage la beauté du choix que l'on fait ? et n'est−ce p +aimé de tout le monde. Y a−t−il rien qui marque davantage la beauté du choix que l'on fait ? et n'est−ce pas pour s'applaudir, que ce que nous aimons soit trouvé fort aimable ? Dom Pèdre -Chacun aime à sa guise, et ce n'est pas là ma méthode. Je serai fort ravi qu'on ne vous trouve point si belle +Chacun aime à sa guise, et ce n'est pas là ma méthode. Je serai fort ravi qu'on ne vous trouve point si belle, et vous m'obligerez de n'affecter point tant de la paroître à d'autres yeux. Isidore Quoi ? jaloux de ces choses−là ? Dom Pèdre -Oui, jaloux de ces choses−là, mais jaloux comme un tigre, et, si voulez : comme un diable. Mon amour v -veut toute à moi ; sa délicatesse s'offense d'un souris, d'un regard qu'on vous peut arracher ; et tous les so -qu'on me voit prendre ne sont que pour fermer tout accès aux galants, et m'assurer la possession d'un coeu +Oui, jaloux de ces choses−là, mais jaloux comme un tigre, et, si voulez : comme un diable. Mon amour vous +veut toute à moi ; sa délicatesse s'offense d'un souris, d'un regard qu'on vous peut arracher ; et tous les soins +qu'on me voit prendre ne sont que pour fermer tout accès aux galants, et m'assurer la possession d'un coeur dont je ne puis souffrir qu'on me vole la moindre chose. Isidore Certes, voulez−vous que je dise ? vous prenez un mauvais parti ; et la possession d'un coeur est fort mal -assurée, lorsqu'on prétend le retenir par force. Pour moi, je vous l'avoue, si j'étois galant d'une femme qui -au pouvoir de quelqu'un, je mettrois toute mon étude à rendre ce quelqu'un jaloux, et l'obliger à veiller nu +assurée, lorsqu'on prétend le retenir par force. Pour moi, je vous l'avoue, si j'étois galant d'une femme qui fût +au pouvoir de quelqu'un, je mettrois toute mon étude à rendre ce quelqu'un jaloux, et l'obliger à veiller nuit et jour celle que je voudrois gagner. C'est un admirable moyen d'avancer ses affaires, et l'on ne tarde guère à profiter du chagrin et de la colère que donne à l'esprit d'une femme la contrainte et la servitude. Dom Pèdre Si bien donc que, si quelqu'un vous en contoit, il vous trouveroit disposée à recevoir ses voeux ? Isidore -Je ne vous dis rien là−dessus. Mais les femmes enfin n'aiment pas qu'on les gêne ; et c'est beaucoup risqu +Je ne vous dis rien là−dessus. Mais les femmes enfin n'aiment pas qu'on les gêne ; et c'est beaucoup risquer que de leur montrer des soupçons, et de les tenir renfermées. Dom Pèdre -Vous reconnoissez peu ce que vous me devez ; et il me semble qu'une esclave que l'on a affranchie, et do +Vous reconnoissez peu ce que vous me devez ; et il me semble qu'une esclave que l'on a affranchie, et dont on veut faire sa femme... Isidore -Quelle obligation vous ai−je, si vous changez mon esclavage en un autre beaucoup plus rude ? si vous ne +Quelle obligation vous ai−je, si vous changez mon esclavage en un autre beaucoup plus rude ? si vous ne me laissez jouir d'aucune liberté, et me fatiguez, comme on voit, d'une garde continuelle ? Dom Pèdre Mais tout cela ne part que d'un excès d'amour. Isidore Si c'est votre façon d'aimer, je vous prie de me haïr. Dom Pèdre -Vous êtes aujourd'hui dans une humeur désobligeante ; et je pardonne ces paroles au chagrin où vous pou +Vous êtes aujourd'hui dans une humeur désobligeante ; et je pardonne ces paroles au chagrin où vous pouvez être de vous être levée matin. Scène VII Dom Pèdre, Hali, Isidore @@ -32506,8 +32506,8 @@ Trêve aux cérémonies. Que voulez−vous ? Hali (Il se retourne devers Isidore, à chaque parole qu'il dit à Dom Pèdre, et lui fait des signes pour lui faire connoître le dessein de son maître.) -Signor (avec la permission de la Signore), je vous dirai (avec la permission de la Signore) que je viens vo -trouver (avec la permission de la Signore), pour vous prier (avec la permission de la Signore) de vouloir b +Signor (avec la permission de la Signore), je vous dirai (avec la permission de la Signore) que je viens vous +trouver (avec la permission de la Signore), pour vous prier (avec la permission de la Signore) de vouloir bien (avec la permission de la Signore)... Dom Pèdre Avec la permission de la Signore, passez un peu de ce côté. @@ -32516,8 +32516,8 @@ Signor, je suis un virtuose. Dom Pèdre Je n'ai rien à donner. Hali -Ce n'est pas ce que je demande. Mais comme je me mêle un peu de musique et de danse, j'ai instruit quelq -esclaves qui voudroient bien trouver un maître qui se plût à ces choses ; et comme je sais que vous êtes u +Ce n'est pas ce que je demande. Mais comme je me mêle un peu de musique et de danse, j'ai instruit quelques +esclaves qui voudroient bien trouver un maître qui se plût à ces choses ; et comme je sais que vous êtes une personne considérable, je voudrois vous prier de les voir et de les entendre, pour les acheter, s'ils vous plaisent, ou pour leur enseigner quelqu'un de vos amis qui voulût s'en accommoder. Isidore @@ -32577,10 +32577,10 @@ Ma ti bastonara, Si ti non andara. Andara, andara, O ti bastonara. -Oh ! oh ! quels égrillards ! Allons, rentrons ici : j'ai changé de pensée ; et puis le temps se couvre un p +Oh ! oh ! quels égrillards ! Allons, rentrons ici : j'ai changé de pensée ; et puis le temps se couvre un peu. (A Hali, qui paraît encore là.) Ah ! fourbe, que je vous y trouve ! Hali -Hé bien ! oui, mon maître l'adore ; il n'a point de plus grand desir que de lui montrer son amour ; et si el +Hé bien ! oui, mon maître l'adore ; il n'a point de plus grand desir que de lui montrer son amour ; et si elle y consent, il la prendra pour femme. Dom Pèdre Oui, oui, je la lui garde. @@ -32604,17 +32604,17 @@ Adraste, Hali Hali Monsieur, j'ai déjà fait quelque petite tentative ; mais je... Adraste -Ne te mets point en peine ; j'ai trouvé par hasard tout ce que je voulois, et je vais jouir du bonheur de voi -chez elle cette belle. Je me suis rencontré chez le peintre Damon, qui m'a dit qu'aujourd'hui il venoit faire -portrait de cette adorable personne ; et comme il est depuis longtemps de mes plus intimes amis, il a voul -servir mes feux, et m'envoie à sa place, avec un petit mot de lettre pour me faire accepter. Tu sais que de t +Ne te mets point en peine ; j'ai trouvé par hasard tout ce que je voulois, et je vais jouir du bonheur de voir +chez elle cette belle. Je me suis rencontré chez le peintre Damon, qui m'a dit qu'aujourd'hui il venoit faire le +portrait de cette adorable personne ; et comme il est depuis longtemps de mes plus intimes amis, il a voulu +servir mes feux, et m'envoie à sa place, avec un petit mot de lettre pour me faire accepter. Tu sais que de tout temps je me suis plu à la peinture, et que parfois je manie le pinceau, contre la coutume de France, qui ne -veut pas qu'un gentilhomme sache rien faire : ainsi j'aurai la liberté de voir cette belle à mon aise. Mais je -doute pas que mon jaloux fâcheux ne soit toujours présent, et n'empêche tous les propos que nous pourrio +veut pas qu'un gentilhomme sache rien faire : ainsi j'aurai la liberté de voir cette belle à mon aise. Mais je ne +doute pas que mon jaloux fâcheux ne soit toujours présent, et n'empêche tous les propos que nous pourrions avoir ensemble ; et pour te dire vrai, j'ai, par le moyen d'une jeune esclave, un stratagème pour tirer cette belle Grecque des mains de son jaloux, si je puis obtenir d'elle qu'elle y consente. Hali -Laissez−moi faire, je veux vous faire un peu de jour à la pouvoir entretenir. Il ne sera pas dit que je ne ser +Laissez−moi faire, je veux vous faire un peu de jour à la pouvoir entretenir. Il ne sera pas dit que je ne serve de rien dans cette affaire−là. Quand allez−vous ? Adraste Tout de ce pas, et j'ai déjà préparé toutes choses. @@ -32633,11 +32633,11 @@ Vous l'avez devant vous. Adraste Il prendra, s'il lui plaît, la peine de lire cette lettre. Dom Pèdre lit. -Je vous envoie, au lieu de moi, pour le portrait que vous savez, ce gentilhomme françois, qui, comme curi -d'obliger les honnêtes gens, a bien voulu prendre ce soin, sur la proposition que je lui en ai faite. Il est, san +Je vous envoie, au lieu de moi, pour le portrait que vous savez, ce gentilhomme françois, qui, comme curieux +d'obliger les honnêtes gens, a bien voulu prendre ce soin, sur la proposition que je lui en ai faite. Il est, sans contredit, le premier homme du monde pour ces sortes d'ouvrages, et j'ai cru que je ne pouvois rendre un service plus agréable que de vous l'envoyer, dans le dessein que vous avez d'avoir un portrait achevé de la -personne que vous aimez. Gardez−vous bien surtout de lui parler d'aucune récompense ; car c'est un hom +personne que vous aimez. Gardez−vous bien surtout de lui parler d'aucune récompense ; car c'est un homme qui s'en offenseroit, et qui ne fait les choses que pour la gloire et pour la réputation. Dom Pèdre, parlant au François. Seigneur François, c'est une grande grâce que vous me voulez faire ; et je vous suis fort obligé. @@ -32648,7 +32648,7 @@ Je vais faire venir la personne dont il s'agit. Scène XI Isidore, Dom Pèdre, Adraste et deux laquais Dom Pèdre -Voici un gentilhomme que Damon nous envoie, qui se veut bien donner la peine de vous peindre. (Adrast +Voici un gentilhomme que Damon nous envoie, qui se veut bien donner la peine de vous peindre. (Adraste baise Isidore en la saluant, et Dom Pèdre lui dit : ) Holà ! Seigneur François, cette façon de saluer n'est point d'usage en ce pays. Adraste @@ -32659,8 +32659,8 @@ Isidore Je reçois cet honneur avec beaucoup de joie. L'aventure me surprend fort, et pour dire le vrai, je ne m'attendois pas d'avoir un peintre si illustre. Adraste -Il n'y a personne sans doute qui ne tînt à beaucoup de gloire de toucher à un tel ouvrage. Je n'ai pas grand -habileté ; mais le sujet, ici, ne fournit que trop de lui−même, et il y a moyen de faire quelque chose de be +Il n'y a personne sans doute qui ne tînt à beaucoup de gloire de toucher à un tel ouvrage. Je n'ai pas grande +habileté ; mais le sujet, ici, ne fournit que trop de lui−même, et il y a moyen de faire quelque chose de beau sur un original fait comme celui−là. Isidore L'original est peu de chose : mais l'adresse du peintre en saura couvrir les défauts. @@ -32687,7 +32687,7 @@ Isidore Suis−je bien ainsi ? Adraste Oui. Levez−vous un peu, s'il vous plaît. Un peu plus de ce côté−là ; le corps tourné ainsi ; la tête un peu -levée, afin que la beauté du cou paroisse. Ceci un peu plus découvert. (Il parle de sa gorge.) Bon. Là, un p +levée, afin que la beauté du cou paroisse. Ceci un peu plus découvert. (Il parle de sa gorge.) Bon. Là, un peu davantage. Encore tant soit peu. Dom Pèdre Il y a bien de la peine à vous mettre ; ne sauriez−vous vous tenir comme il faut ? @@ -32702,11 +32702,11 @@ Adraste Un peu plus de ce côté ; vos yeux toujours tournés vers moi, je vous en prie ; vos regards attachés aux miens. Isidore -Je ne suis pas comme ces femmes qui veulent, en se faisant peindre, des portraits qui ne sont point elles, e -sont point satisfaites du peintre s'il ne les fait toujours plus belles que le jour. Il faudroit, pour les contente -ne faire qu'un portrait pour toutes ; car toutes demandent les mêmes choses : un teint tout de lis et de ros -un nez bien fait, une petite bouche, et de grands yeux vifs, bien fendus, et surtout le visage pas plus gros q -le poing, l'eussent−elles d'un pied de large. Pour moi, je vous demande un portrait qui soit moi, et qui n'ob +Je ne suis pas comme ces femmes qui veulent, en se faisant peindre, des portraits qui ne sont point elles, et ne +sont point satisfaites du peintre s'il ne les fait toujours plus belles que le jour. Il faudroit, pour les contenter, +ne faire qu'un portrait pour toutes ; car toutes demandent les mêmes choses : un teint tout de lis et de roses, +un nez bien fait, une petite bouche, et de grands yeux vifs, bien fendus, et surtout le visage pas plus gros que +le poing, l'eussent−elles d'un pied de large. Pour moi, je vous demande un portrait qui soit moi, et qui n'oblige point à demander qui c'est. Adraste Il seroit malaisé qu'on demandât cela du vôtre, et vous avez des traits à qui fort peu d'autres ressemblent. @@ -32714,20 +32714,20 @@ Qu'ils ont de douceurs et de charmes, et qu'on court de risque à les peindre ! Dom Pèdre Le nez me semble un peu trop gros. Adraste -J'ai lu, je ne sais où, qu'Apelle peignit autrefois une maîtresse d'Alexandre, et qu'il en devint, la peignant, -éperdument amoureux, qu'il fut près d'en perdre la vie : de sorte qu'Alexandre, par générosité, lui céda l'o -de ses voeux. (Il parle à Dom Pèdre.) Je pourrois faire ici ce qu'Apelle fit autrefois ; mais vous ne feriez p +J'ai lu, je ne sais où, qu'Apelle peignit autrefois une maîtresse d'Alexandre, et qu'il en devint, la peignant, si +éperdument amoureux, qu'il fut près d'en perdre la vie : de sorte qu'Alexandre, par générosité, lui céda l'objet +de ses voeux. (Il parle à Dom Pèdre.) Je pourrois faire ici ce qu'Apelle fit autrefois ; mais vous ne feriez pas peut−être ce que fit Alexandre. Isidore -Tout cela sent la nation ; et toujours Messieurs les François ont un fonds de galanterie qui se répand parto +Tout cela sent la nation ; et toujours Messieurs les François ont un fonds de galanterie qui se répand partout. Adraste On ne se trompe guère à ces sortes de choses ; et vous avez l'esprit trop éclairé pour ne pas voir de quelle -source partent les choses qu'on vous dit. Oui, quand Alexandre seroit ici, et que ce seroit votre amant, je n +source partent les choses qu'on vous dit. Oui, quand Alexandre seroit ici, et que ce seroit votre amant, je ne pourrois m'empêcher de vous dire que je n'ai rien vu de si beau que ce que je vois maintenant, et que... Dom Pèdre Seigneur François, vous ne devriez pas, ce me semble, parler ; cela vous détourne de votre ouvrage. Adraste -Ah ! point du tout. J'ai toujours de coutume de parler quand je peins ; et il est besoin, dans ces choses, d' +Ah ! point du tout. J'ai toujours de coutume de parler quand je peins ; et il est besoin, dans ces choses, d'un peu de conversation, pour réveiller l'esprit, et tenir les visages dans la gaieté nécessaire aux personnes que l'on veut peindre. Scène XII @@ -32750,16 +32750,16 @@ Nous voilà assez loin. Adraste, regardant Isidore. Elle a les yeux bleus. Hali -Seigneur, j'ai reçu un soufflet : vous savez ce qu'est un soufflet, lorsqu'il se donne à main ouverte, sur le b -milieu de la joue. J'ai ce soufflet fort sur le coeur : et je suis dans l'incertitude si, pour me venger de l'affr +Seigneur, j'ai reçu un soufflet : vous savez ce qu'est un soufflet, lorsqu'il se donne à main ouverte, sur le beau +milieu de la joue. J'ai ce soufflet fort sur le coeur : et je suis dans l'incertitude si, pour me venger de l'affront, je dois me battre avec mon homme, ou bien le faire assassiner. Dom Pèdre Assassiner, c'est le plus court chemin. Quel est votre ennemi ? Hali Parlons bas, s'il vous plaît. Adraste, aux genoux d'Isidore, pendant que Dom Pèdre parle à Hali. -Oui, charmante Isidore, mes regards vous le disent depuis plus de deux mois, et vous les avez entendus : -vous aime plus que tout ce que l'on peut aimer, et je n'ai point d'autre pensée, d'autre but, d'autre passion, +Oui, charmante Isidore, mes regards vous le disent depuis plus de deux mois, et vous les avez entendus : je +vous aime plus que tout ce que l'on peut aimer, et je n'ai point d'autre pensée, d'autre but, d'autre passion, que d'être à vous toute ma vie. Isidore Je ne sais si vous dites vrai, mais vous persuadez. @@ -32786,7 +32786,7 @@ Lorsqu'on est une fois résolu sur la chose, s'arrête−t−on sur le temps ? Dom Pèdre, à Hali. Voilà mon sentiment, et je vous baise les mains. Hali -Seigneur, quand vous aurez reçu quelque soufflet, je suis homme aussi de conseil, et je pourrai vous rendr +Seigneur, quand vous aurez reçu quelque soufflet, je suis homme aussi de conseil, et je pourrai vous rendre la pareille. Dom Pèdre Je vous laisse aller sans vous reconduire ; mais, entre cavaliers, cette liberté est permise. @@ -32794,32 +32794,32 @@ Adraste Non, il n'est rien qui puisse effacer de mon coeur les tendres témoignages... (Dom Pèdre, apercevant Adraste qui parle de près à Isidore.) Je regardois ce petit trou qu'elle a au côté du menton, et je croyois d'abord que ce fût une tache. Mais c'est -assez pour aujourd'hui, nous finirons une autre fois. (Parlant à Dom Pèdre.) Non, ne regardez rien encore -faites serrer cela, je vous prie. (A Isidore.) Et vous, je vous conjure de ne vous relâcher point, et de garder +assez pour aujourd'hui, nous finirons une autre fois. (Parlant à Dom Pèdre.) Non, ne regardez rien encore ; +faites serrer cela, je vous prie. (A Isidore.) Et vous, je vous conjure de ne vous relâcher point, et de garder un esprit gai, pour le dessein que j'ai d'achever notre ouvrage. Isidore Je conserverai pour cela toute la gaieté qu'il faut. Scène XIII Dom Pèdre, Isidore Isidore -Qu'en dites−vous ? ce gentilhomme me paroît le plus civ. du monde, et l'on doit demeurer d'accord que le +Qu'en dites−vous ? ce gentilhomme me paroît le plus civ. du monde, et l'on doit demeurer d'accord que les François ont quelque chose en eux de poli, de galant, que n'ont point les autres nations. Dom Pèdre -Oui ; mais ils ont cela de mauvais, qu'ils s'émancipent un peu trop, et s'attachent, en étourdis, à conter de +Oui ; mais ils ont cela de mauvais, qu'ils s'émancipent un peu trop, et s'attachent, en étourdis, à conter des fleurettes à tout ce qu'ils rencontrent. Isidore C'est qu'ils savent qu'on plaît aux Dames par ces choses. Dom Pèdre -Oui ; mais s'ils plaisent aux Dames, ils déplaisent fort aux Messieurs ; et l'on n'est point bien aise de voir +Oui ; mais s'ils plaisent aux Dames, ils déplaisent fort aux Messieurs ; et l'on n'est point bien aise de voir, sur sa moustache, cajoler hardiment sa femme ou sa maîtresse. Isidore Ce qu'ils en font n'est que par jeu. Scène XIV Climène, Dom Pèdre, Isidore Climène, voilée. -Ah ! seigneur cavalier, sauvez−moi, s'il vous plaît, des mains d'un mari furieux dont je suis poursuivie. S -jalousie est incroyable, et passe, dans ses mouvements, tout ce qu'on peut imaginer. Il va jusques à vouloi -que je sois toujours voilée ; et pour m'avoir trouvée le visage un peu découvert, il a mis l'épée à la main, +Ah ! seigneur cavalier, sauvez−moi, s'il vous plaît, des mains d'un mari furieux dont je suis poursuivie. Sa +jalousie est incroyable, et passe, dans ses mouvements, tout ce qu'on peut imaginer. Il va jusques à vouloir +que je sois toujours voilée ; et pour m'avoir trouvée le visage un peu découvert, il a mis l'épée à la main, et m'a réduite à me jeter chez vous, pour vous demander votre appui contre son injustice. Mais je le vois paroître. De grâce, seigneur cavalier, sauvez−moi de sa fureur. Dom Pèdre @@ -32827,37 +32827,37 @@ Entrez là dedans avec elle, et n'appréhendez rien. Scène XV Adraste, Dom Pèdre Dom Pèdre -Hé quoi ? seigneur, c'est vous ? Tant de jalousie pour un François ? Je pensois qu'il n'y eût que nous qui +Hé quoi ? seigneur, c'est vous ? Tant de jalousie pour un François ? Je pensois qu'il n'y eût que nous qui en fussions capables. Adraste -Les François excellent toujours dans toutes les choses qu'ils font ; et quand nous nous mêlons d'être jalou -nous le sommes vingt fois plus qu'un Sicilien. L'infâme croit avoir trouvé chez vous un assuré refuge ; m +Les François excellent toujours dans toutes les choses qu'ils font ; et quand nous nous mêlons d'être jaloux, +nous le sommes vingt fois plus qu'un Sicilien. L'infâme croit avoir trouvé chez vous un assuré refuge ; mais vous êtes trop raisonnable pour blâmer mon ressentiment. Laissez−moi, je vous prie, la traiter comme elle mérite. Dom Pèdre Ah ! de grâce, arrêtez. L'offense est trop petite pour un courroux si grand. Adraste -La grandeur d'une telle offense n'est pas dans l'importance des choses que l'on fait : elle est à transgresser +La grandeur d'une telle offense n'est pas dans l'importance des choses que l'on fait : elle est à transgresser les ordres qu'on nous donne ; et sur de pareilles matières, ce qui n'est qu'une bagatelle devient fort criminel lorsqu'il est défendu. Dom Pèdre -De la façon qu'elle a parlé, tout ce qu'elle en a fait a été sans dessein ; et je vous prie enfin de vous remett +De la façon qu'elle a parlé, tout ce qu'elle en a fait a été sans dessein ; et je vous prie enfin de vous remettre bien ensemble. Adraste Hé quoi ? vous prenez son parti, vous qui êtes si délicat sur ces sortes de choses ? Dom Pèdre -Oui, je prends son parti ; et si vous voulez m'obliger, vous oublierez votre colère, et vous vous réconcilie -tous deux. C'est une grâce que je vous demande ; et je la recevrai comme un essai de l'amitié que je veux +Oui, je prends son parti ; et si vous voulez m'obliger, vous oublierez votre colère, et vous vous réconcilierez +tous deux. C'est une grâce que je vous demande ; et je la recevrai comme un essai de l'amitié que je veux qui soit entre nous. Adraste Il ne m'est pas permis, à ces conditions, de vous rien refuser ; je ferai ce que vous voudrez. Scène XVI Climène, Adraste, Dom Pèdre Dom Pèdre -Holà ! venez. Vous n'avez qu'à me suivre, et j'ai fait votre paix. Vous ne pouviez jamais mieux tomber qu +Holà ! venez. Vous n'avez qu'à me suivre, et j'ai fait votre paix. Vous ne pouviez jamais mieux tomber que chez moi. Climène -Je vous suis obligée plus qu'on ne sauroit croire ; mais je m'en vais prendre mon voile ; je n'ai garde, san +Je vous suis obligée plus qu'on ne sauroit croire ; mais je m'en vais prendre mon voile ; je n'ai garde, sans lui, de paroître à ses yeux. Dom Pèdre La voici qui s'en va venir ; et son âme, je vous assure, a paru toute réjouie lorsque je lui ai dit que j'avois @@ -32865,27 +32865,27 @@ raccommodé tout. Scène XVII Isidore, sous le voile de Climène, Adraste, Dom Pèdre Dom Pèdre -Puisque vous m'avez bien voulu donner votre ressentiment, trouvez bon qu'en ce lieu je vous fasse touche -dans la main l'un de l'autre, et que tous deux je vous conjure de vivre, pour l'amour de moi, dans une parfa +Puisque vous m'avez bien voulu donner votre ressentiment, trouvez bon qu'en ce lieu je vous fasse toucher +dans la main l'un de l'autre, et que tous deux je vous conjure de vivre, pour l'amour de moi, dans une parfaite union. Adraste Oui, je vous le promets, que, pour l'amour de vous, je m'en vais, avec elle, vivre le mieux du monde. Dom Pèdre Vous m'obligez sensiblement, et j'en garderai la mémoire. Adraste -Je vous donne ma parole, seigneur Dom Pèdre, qu'à votre considération, je m'en vais la traiter du mieux q +Je vous donne ma parole, seigneur Dom Pèdre, qu'à votre considération, je m'en vais la traiter du mieux qu'il me sera possible. Dom Pèdre -C'est trop de grâce que vous me faites. Il est bon de pacifier et d'adoucir toujours les choses. Holà ! Isido +C'est trop de grâce que vous me faites. Il est bon de pacifier et d'adoucir toujours les choses. Holà ! Isidore, venez. Scène XVIII Climène, Dom Pèdre Dom Pèdre Comment ? que veut dire cela ? Climène, sans voile. -Ce que cela veut dire ? Qu'un jaloux est un monstre haï de tout le monde, et qu'il n'y a personne qui ne so -ravi de lui nuire, n'y eût−il point d'autre intérêt ; que toutes les serrures et les verrous du monde ne retien -point les personnes, et que c'est le coeur qu'il faut arrêter par la douceur et par la complaisance ; qu'Isidor +Ce que cela veut dire ? Qu'un jaloux est un monstre haï de tout le monde, et qu'il n'y a personne qui ne soit +ravi de lui nuire, n'y eût−il point d'autre intérêt ; que toutes les serrures et les verrous du monde ne retiennent +point les personnes, et que c'est le coeur qu'il faut arrêter par la douceur et par la complaisance ; qu'Isidore est entre les mains du cavalier qu'elle aime, et que vous êtes pris pour dupe. Dom Pèdre Dom Pèdre souffrira cette injure mortelle ! Non, non : j'ai trop de coeur, et je vais demander l'appui de la @@ -32931,29 +32931,29 @@ Scène dernière Plusieurs Maures font une danse entre eux, par où finit la comédie. Amphitryon Comédie -Représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Palais−Royal, le 13e janvier 1668 par la Troup +Représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Palais−Royal, le 13e janvier 1668 par la Troupe du Roi Adresse A son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince Monseigneur, N'en déplaise à nos beaux esprits, je ne vois rien de plus ennuyeux que les épîtres dédicatoires ; et Votre -Altesse Sérénissime trouvera bon, s'il lui plaît, que je ne suive point ici le style de ces messieurs−là, et ref -de me servir de deux ou trois misérables pensées qui ont été tournées et retournées tant de fois, qu'elles so -usées de tous les côtés. Le nom du GRAND CONDE est un nom trop glorieux pour le traiter comme on f +Altesse Sérénissime trouvera bon, s'il lui plaît, que je ne suive point ici le style de ces messieurs−là, et refuse +de me servir de deux ou trois misérables pensées qui ont été tournées et retournées tant de fois, qu'elles sont +usées de tous les côtés. Le nom du GRAND CONDE est un nom trop glorieux pour le traiter comme on fait de tous les autres noms. Il ne faut l'appliquer, ce nom illustre, qu'à des emplois qui soient dignes de lui et, -pour dire de belles choses, je voudrois parler de le mettre à la tête d'une armée plutôt qu'à la tête d'un livre -et je conçois bien mieux ce qu'il est capable de faire en l'opposant aux forces des ennemis de cet Etat qu'e +pour dire de belles choses, je voudrois parler de le mettre à la tête d'une armée plutôt qu'à la tête d'un livre ; +et je conçois bien mieux ce qu'il est capable de faire en l'opposant aux forces des ennemis de cet Etat qu'en l'opposant à la critique des ennemis d'une comédie. -Ce n'est pas, MONSEIGNEUR, que la glorieuse approbation de VOTRE ALTESSE SERENISSIME ne f +Ce n'est pas, MONSEIGNEUR, que la glorieuse approbation de VOTRE ALTESSE SERENISSIME ne fût une puissante protection pour toutes ces sortes d'ouvrages, et qu'on ne soit persuadé des lumières de votre -esprit autant que de l'intrépidité de votre coeur et de la grandeur de votre âme. On sait, par toute la terre, q +esprit autant que de l'intrépidité de votre coeur et de la grandeur de votre âme. On sait, par toute la terre, que l'éclat de votre mérite n'est point renfermé dans les bornes de cette valeur indomptable qui se fait des adorateurs chez ceux même qu'elle surmonte ; qu'il s'étend, ce mérite, jusques aux connoissances les plus -fines et les plus relevées, et que les décisions de votre jugement sur tous les ouvrages d'esprit ne manquen +fines et les plus relevées, et que les décisions de votre jugement sur tous les ouvrages d'esprit ne manquent point d'être suivies par le sentiment des plus délicats. Mais on sait aussi, Monseigneur, que toutes ces -glorieuses approbations dont nous nous vantons en public ne nous coûtent rien à faire imprimer ; et que c -sont des choses dont nous disposons comme nous voulons. On sait, dis−je, qu'une épître dédicatoire dit to +glorieuses approbations dont nous nous vantons en public ne nous coûtent rien à faire imprimer ; et que ce +sont des choses dont nous disposons comme nous voulons. On sait, dis−je, qu'une épître dédicatoire dit tout ce qu'il lui plaît, et qu'un auteur est en pouvoir d'aller saisir les personnes les plus augustes, et de parer de leurs grands noms les premiers feuillets de son livre ; qu'il a la liberté de s'y donner, autant qu'il le veut, l'honneur de leur estime, et de se faire des protecteurs qui n'ont jamais songé à l'être. @@ -35692,15 +35692,15 @@ La scène est devant la maison de George Dandin. Acte premier Scène I George Dandin -Ah ! qu'une femme Demoiselle est une étrange affaire, et que mon mariage est une leçon bien parlante à +Ah ! qu'une femme Demoiselle est une étrange affaire, et que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les paysans qui veulent s'élever au−dessus de leur condition, et s'allier, comme j'ai fait, à la maison d'un gentilhomme ! La noblesse de soi est bonne, c'est une chose considérable assurément ; mais elle est accompagnée de tant de mauvaises circonstances, qu'il est très−bon de ne s'y point frotter. Je suis devenu là−dessus savant à mes dépens, et connois le style des nobles lorsqu'ils nous font, nous autres, entrer dans leur famille. L'alliance qu'ils font est petite avec nos personnes : c'est notre bien seul qu'ils épousent, et -j'aurois bien mieux fait, tout riche que je suis, de m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre -femme qui se tient au−dessus de moi, s'offense de porter mon nom, et pense qu'avec tout mon bien je n'ai -assez acheté la qualité de son mari. George Dandin, George Dandin, vous avez fait une sottise la plus gran +j'aurois bien mieux fait, tout riche que je suis, de m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une +femme qui se tient au−dessus de moi, s'offense de porter mon nom, et pense qu'avec tout mon bien je n'ai pas +assez acheté la qualité de son mari. George Dandin, George Dandin, vous avez fait une sottise la plus grande du monde. Ma maison m'est effroyable maintenant, et je n'y rentre point sans y trouver quelque chagrin. Scène II George Dandin, Lubin @@ -35747,12 +35747,12 @@ Doucement. J'ai peur qu'on ne nous écoute. George Dandin Point, point. Lubin -C'est que je viens de parler à la maîtresse du logis, de la part d'un certain Monsieur qui lui fait les doux ye +C'est que je viens de parler à la maîtresse du logis, de la part d'un certain Monsieur qui lui fait les doux yeux, et il ne faut pas qu'on sache cela ? entendez−vous ? George Dandin Oui. Lubin -Voilà la raison. On m'a chargé de prendre garde que personne ne me vît, et je vous prie au moins de ne pa +Voilà la raison. On m'a chargé de prendre garde que personne ne me vît, et je vous prie au moins de ne pas dire que vous m'ayez vu. George Dandin Je n'ai garde. @@ -35761,7 +35761,7 @@ Je suis bien aise de faire les choses secrètement comme on m'a recommandé. George Dandin C'est bien fait. Lubin -Le mari, à ce qu'ils disent, est un jaloux qui ne veut pas qu'on fasse l'amour à sa femme, et il feroit le diab +Le mari, à ce qu'ils disent, est un jaloux qui ne veut pas qu'on fasse l'amour à sa femme, et il feroit le diable à quatre si cela venoit à ses oreilles : vous comprenez bien ? George Dandin Fort bien. @@ -35779,40 +35779,40 @@ bien ? George Dandin Assurément. Hé ? comment nommez−vous celui qui vous a envoyé là−dedans ? Lubin -C'est le seigneur de notre pays, Monsieur le vicomte de chose... Foin ! je ne me souviens jamais commen +C'est le seigneur de notre pays, Monsieur le vicomte de chose... Foin ! je ne me souviens jamais comment diantre ils baragouinent ce nom−là. Monsieur Cli... Clitande. George Dandin Est−ce ce jeune courtisan qui demeure... Lubin Oui : auprès de ces arbres. George Dandin, à part. -C'est pour cela que depuis peu ce Damoiseau poli s'est venu loger contre moi ; j'avois bon nez sans doute +C'est pour cela que depuis peu ce Damoiseau poli s'est venu loger contre moi ; j'avois bon nez sans doute, et son voisinage déjà m'avoit donné quelque soupçon. Lubin -Testigué ! c'est le plus honnête homme que vous ayez jamais vu. Il m'a donné trois pièces d'or pour aller -seulement à la femme qu'il est amoureux d'elle, et qu'il souhaite fort l'honneur de pouvoir lui parler. Voye -s'il y a là une grande fatigue pour me payer si bien, et ce qu'est au prix de cela une journée de travail où je +Testigué ! c'est le plus honnête homme que vous ayez jamais vu. Il m'a donné trois pièces d'or pour aller dire +seulement à la femme qu'il est amoureux d'elle, et qu'il souhaite fort l'honneur de pouvoir lui parler. Voyez +s'il y a là une grande fatigue pour me payer si bien, et ce qu'est au prix de cela une journée de travail où je ne gagne que dix sols. George Dandin Hé bien ! avez−vous fait votre message ? Lubin -Oui, j'ai trouvé là−dedans une certaine Claudine, qui tout du premier coup a compris ce que je voulois, et +Oui, j'ai trouvé là−dedans une certaine Claudine, qui tout du premier coup a compris ce que je voulois, et qui m'a fait parler à sa maîtresse. George Dandin, à part. Ah ! coquine de servante ! Lubin -Morguéne ! cette Claudine−là est tout à fait jolie, elle a gagné mon amitié, et il ne tiendra qu'à elle que no +Morguéne ! cette Claudine−là est tout à fait jolie, elle a gagné mon amitié, et il ne tiendra qu'à elle que nous ne soyons mariés ensemble. George Dandin Mais quelle réponse a fait la maîtresse à ce Monsieur le courtisan ? Lubin -Elle m'a dit de lui dire... attendez, je ne sais si je me souviendrai bien de tout cela... qu'elle lui est tout à fa +Elle m'a dit de lui dire... attendez, je ne sais si je me souviendrai bien de tout cela... qu'elle lui est tout à fait obligée de l'affection qu'il a pour elle, et qu'à cause de son mari, qui est fantasque, il garde d'en rien faire paroître, et qu'il faudra songer à chercher quelque invention pour se pouvoir entretenir tous deux. George Dandin, à part. Ah ! pendarde de femme ! Lubin -Testiguiéne ! cela sera drôle ; car le mari ne se doutera point de la manigance, voilà ce qui est de bon ; e +Testiguiéne ! cela sera drôle ; car le mari ne se doutera point de la manigance, voilà ce qui est de bon ; et il aura un pied de nez avec sa jalousie : est−ce pas ? George Dandin Cela est vrai. @@ -35824,15 +35824,15 @@ Lubin Pour moi, je vais faire semblant de rien : je suis un fin matois, et l'on ne diroit pas que j'y touche. Scène III George Dandin -Hé bien ! George Dandin, vous voyez de quel air votre femme vous traite. Voilà ce que c'est d'avoir voul -épouser une Demoiselle : l'on vous accommode de toutes pièces, sans que vous puissiez vous venger, et l -gentilhommerie vous tient les bras liés. L'égalité de condition laisse du moins à l'honneur d'un mari liberté -ressentiment ; et si c'étoit une paysanne, vous auriez maintenant toutes vos coudées franches à vous en fa -la justice à bons coups de bâton. Mais vous avez voulu tâter de la noblesse, et il vous ennuyoit d'être maît +Hé bien ! George Dandin, vous voyez de quel air votre femme vous traite. Voilà ce que c'est d'avoir voulu +épouser une Demoiselle : l'on vous accommode de toutes pièces, sans que vous puissiez vous venger, et la +gentilhommerie vous tient les bras liés. L'égalité de condition laisse du moins à l'honneur d'un mari liberté de +ressentiment ; et si c'étoit une paysanne, vous auriez maintenant toutes vos coudées franches à vous en faire +la justice à bons coups de bâton. Mais vous avez voulu tâter de la noblesse, et il vous ennuyoit d'être maître chez vous. Ah ! j'enrage de tout mon coeur, et je me donnerois volontiers des soufflets. Quoi ? écouter -impudemment l'amour d'un Damoiseau, et y promettre en même temps de la correspondance ! Morbleu ! -ne veux point laisser passer une occasion de la sorte. Il me faut de ce pas aller faire mes plaintes au père e -la mère, et les rendre témoins, à telle fin que de raison, des sujets de chagrin et de ressentiment que leur fi +impudemment l'amour d'un Damoiseau, et y promettre en même temps de la correspondance ! Morbleu ! je +ne veux point laisser passer une occasion de la sorte. Il me faut de ce pas aller faire mes plaintes au père et à +la mère, et les rendre témoins, à telle fin que de raison, des sujets de chagrin et de ressentiment que leur fille me donne. Mais les voici l'un et l'autre fort à propos. Scène IV Monsieur et Madame de Sotenville, George Dandin @@ -35841,7 +35841,7 @@ Qu'est−ce, mon gendre ? vous me paroissez tout troublé. George Dandin Aussi en ai−je du sujet, et... Madame De Sotenville -Mon Dieu ! notre gendre, que vous avez peu de civilité de ne pas saluer les gens quand vous les approche +Mon Dieu ! notre gendre, que vous avez peu de civilité de ne pas saluer les gens quand vous les approchez ! George Dandin Ma foi ! ma belle−mère, c'est que j'ai d'autres choses en tête, et... Madame De Sotenville @@ -35850,13 +35850,13 @@ vous instruire de la manière qu'il faut vivre parmi les personnes de qualité ? George Dandin Comment ? Madame De Sotenville -Ne vous déferez−vous jamais avec moi de la familiarité de ce mot de "ma belle−mère", et ne sauriez−vou +Ne vous déferez−vous jamais avec moi de la familiarité de ce mot de "ma belle−mère", et ne sauriez−vous vous accoutumer à me dire "Madame" ? George Dandin Parbleu ! si vous m'appelez votre gendre, il me semble que je puis vous appeler ma belle−mère. Madame De Sotenville Il y a fort à dire, et les choses ne sont pas égales. Apprenez, s'il vous plaît, que ce n'est pas à vous à vous -servir de ce mot−là avec une personne de ma condition ; que tout notre gendre que vous soyez, il y a gran +servir de ce mot−là avec une personne de ma condition ; que tout notre gendre que vous soyez, il y a grande différence de vous à nous, et que vous devez vous connoître. Monsieur De Sotenville C'en est assez, mamour, laissons cela. @@ -35865,21 +35865,21 @@ Mon Dieu ! Monsieur de Sotenville, vous avez des indulgences qui n'appartiennen savez pas vous faire rendre par les gens ce qui vous est dû. Monsieur De Sotenville Corbleu ! pardonnez−moi, on ne peut point me faire de leçons là−dessus, et j'ai su montrer en ma vie, par -vingt actions de vigueur, que je ne suis point homme à démordre jamais d'une partie de mes prétentions. M -il suffit de lui avoir donné un petit avertissement. Sachons un peu, mon gendre, ce que vous avez dans l'es +vingt actions de vigueur, que je ne suis point homme à démordre jamais d'une partie de mes prétentions. Mais +il suffit de lui avoir donné un petit avertissement. Sachons un peu, mon gendre, ce que vous avez dans l'esprit. George Dandin Puisqu'il faut donc parler catégoriquement, je vous dirai, Monsieur de Sotenville, que j'ai lieu de... Monsieur De Sotenville -Doucement, mon gendre. Apprenez qu'il n'est pas respectueux d'appeler les gens par leur nom, et qu'à ceu +Doucement, mon gendre. Apprenez qu'il n'est pas respectueux d'appeler les gens par leur nom, et qu'à ceux qui sont au−dessus de nous il faut dire "Monsieur" tout court. George Dandin -Hé bien ! Monsieur tout court, et non plus Monsieur de Sotenville, j'ai à vous dire que ma femme me don +Hé bien ! Monsieur tout court, et non plus Monsieur de Sotenville, j'ai à vous dire que ma femme me donne... Monsieur De Sotenville Tout beau ! Apprenez aussi que vous ne devez pas dire "ma femme", quand vous parlez de notre fille. George Dandin J'enrage. Comment ? ma femme n'est pas ma femme ? Madame de Sotenville. -Oui, notre gendre, elle est votre femme ; mais il ne vous est pas permis de l'appeler ainsi, et c'est tout ce q +Oui, notre gendre, elle est votre femme ; mais il ne vous est pas permis de l'appeler ainsi, et c'est tout ce que vous pourriez faire, si vous aviez épousé une de vos pareilles. George Dandin Ah ! George Dandin, où t'es−tu fourré ? Eh ! de grâce, mettez, pour un moment, votre gentilhommerie à @@ -35890,7 +35890,7 @@ Et la raison, mon gendre ? Madame De Sotenville Quoi ? parler ainsi d'une chose dont vous avez tiré de si grands avantages ? George Dandin -Et quels avantages, Madame, puisque Madame y a ? L'aventure n'a pas été mauvaise pour vous, car sans +Et quels avantages, Madame, puisque Madame y a ? L'aventure n'a pas été mauvaise pour vous, car sans moi vos affaires, avec votre permission, étoient fort délabrées, et mon argent a servi à reboucher d'assez bons trous ; mais moi, de quoi y ai−je profité, je vous prie, que d'un allongement de nom, et au lieu de George Dandin, d'avoir reçu par vous le titre de "Monsieur de la Dandinière" ? @@ -35904,11 +35904,11 @@ Oui, voilà qui est bien, mes enfants seront gentilshommes ; mais je serai cocu Monsieur De Sotenville Que veut dire cela, mon gendre ? George Dandin -Cela veut dire que votre fille ne vit pas comme il faut qu'une femme vive, et qu'elle fait des choses qui so +Cela veut dire que votre fille ne vit pas comme il faut qu'une femme vive, et qu'elle fait des choses qui sont contre l'honneur. Madame De Sotenville Tout beau ! prenez garde à ce que vous dites. Ma fille est d'une race trop pleine de vertu, pour se porter -jamais à faire aucune chose dont l'honnêteté soit blessée ; et de la maison de la Prudoterie il y a plus de tr +jamais à faire aucune chose dont l'honnêteté soit blessée ; et de la maison de la Prudoterie il y a plus de trois cents ans qu'on n'a point remarqué qu'il y ait eu de femme ; Dieu merci, qui ait fait parler d'elle. Monsieur De Sotenville Corbleu ! dans la maison de Sotenville on n'a jamais vu de coquette, et la bravoure n'y est pas plus @@ -35922,22 +35922,22 @@ seulement que la faveur de lui parler. George Dandin Ho bien ! votre fille n'est pas si difficile que cela, et elle s'est apprivoisée depuis qu'elle est chez moi. Monsieur De Sotenville -Expliquez−vous, mon gendre. Nous ne sommes point gens à la supporter dans de mauvaises actions, et no +Expliquez−vous, mon gendre. Nous ne sommes point gens à la supporter dans de mauvaises actions, et nous serons les premiers, sa mère et moi, à vous en faire la justice. Madame De Sotenville Nous n'entendons point raillerie sur les matières de l'honneur, et nous l'avons élevée dans toute la sévérité possible. George Dandin -Tout ce que je vous puis dire, c'est qu'il y a ici un certain courtisan que vous avez vu, qui est amoureux d' +Tout ce que je vous puis dire, c'est qu'il y a ici un certain courtisan que vous avez vu, qui est amoureux d'elle à ma barbe, et qui lui a fait faire des protestations d'amour qu'elle a très−humainement écoutées. Madame De Sotenville -Jour de Dieu ! je l'étranglerois de mes propres mains, s'il falloit qu'elle forlignât de l'honnêteté de sa mère +Jour de Dieu ! je l'étranglerois de mes propres mains, s'il falloit qu'elle forlignât de l'honnêteté de sa mère. Monsieur De Sotenville -Corbleu ! je lui passerois mon épée au travers du corps, à elle et au galant, si elle avoit forfait à son honn +Corbleu ! je lui passerois mon épée au travers du corps, à elle et au galant, si elle avoit forfait à son honneur. George Dandin Je vous ai dit ce qui se passe pour vous faire mes plaintes, et je vous demande raison de cette affaire−là. Monsieur De Sotenville -Ne vous tourmentez point, je vous la ferai de tous deux, et je suis homme pour serrer le bouton à qui que +Ne vous tourmentez point, je vous la ferai de tous deux, et je suis homme pour serrer le bouton à qui que ce puisse être. Mais êtes−vous bien sûr aussi de ce que vous nous dites ? George Dandin Très−sûr. @@ -35949,10 +35949,10 @@ Je ne vous ai rien dit, vous dis−je, qui ne soit véritable. Monsieur De Sotenville Mamour, allez−vous−en parler à votre fille, tandis qu'avec mon gendre j'irai parler à l'homme. Madame De Sotenville -Se pourroit−il, mon fils, qu'elle s'oubliât de la sorte, après le sage exemple que vous savez vous−même qu +Se pourroit−il, mon fils, qu'elle s'oubliât de la sorte, après le sage exemple que vous savez vous−même que je lui ai donné ? Monsieur De Sotenville -Nous allons éclaircir l'affaire. Suivez−moi, mon gendre, et ne vous mettez pas en peine. Vous verrez de q +Nous allons éclaircir l'affaire. Suivez−moi, mon gendre, et ne vous mettez pas en peine. Vous verrez de quel bois nous nous chauffons lorsqu'on s'attaque à ceux qui nous peuvent appartenir. George Dandin Le voici qui vient vers nous. @@ -35967,7 +35967,7 @@ Je m'appelle le baron de Sotenville. Clitandre Je m'en réjouis fort. Monsieur De Sotenville -Mon nom est connu à la cour, et j'eus l'honneur dans ma jeunesse de me signaler des premiers à l'arrière− +Mon nom est connu à la cour, et j'eus l'honneur dans ma jeunesse de me signaler des premiers à l'arrière−ban de Nancy. Clitandre A la bonne heure. @@ -35977,7 +35977,7 @@ Montauban. Clitandre J'en suis ravi. Monsieur De Sotenville -Et j'ai eu un aïeul, Bertrand de Sotenville, qui fut si considéré en son temps, que d'avoir permission de ven +Et j'ai eu un aïeul, Bertrand de Sotenville, qui fut si considéré en son temps, que d'avoir permission de vendre tout son bien pour le voyage d'outre−mer. Clitandre Je le veux croire. @@ -35987,15 +35987,15 @@ laquelle je m'intéresse, et pour l'homme que vous voyez, qui a l'honneur d'êtr Clitandre Qui, moi ? Monsieur De Sotenville -Oui ; et je suis bien aise de vous parler, pour tirer de vous, s'il vous plaît, un éclaircissement de cette affa +Oui ; et je suis bien aise de vous parler, pour tirer de vous, s'il vous plaît, un éclaircissement de cette affaire. Clitandre Voilà une étrange médisance ! Qui vous a dit cela, Monsieur ? Monsieur De Sotenville Quelqu'un qui croit le bien savoir. Clitandre -Ce quelqu'un−là en a menti. Je suis honnête homme. Me croyez−vous capable, Monsieur, d'une action au +Ce quelqu'un−là en a menti. Je suis honnête homme. Me croyez−vous capable, Monsieur, d'une action aussi lâche que celle−là ? Moi, aimer une jeune et belle personne, qui a l'honneur d'être la fille de Monsieur le -baron de Sotenville ! je vous révère trop pour cela, et suis trop votre serviteur. Quiconque vous l'a dit est +baron de Sotenville ! je vous révère trop pour cela, et suis trop votre serviteur. Quiconque vous l'a dit est un sot. Monsieur De Sotenville Allons, mon gendre. @@ -36029,9 +36029,9 @@ Clitandre Est−ce donc vous, Madame, qui avez dit à votre mari que je suis amoureux de vous ? Angélique Moi ? et comment lui aurois−je dit ? est−ce que cela est ? Je voudrois bien le voir vraiment que vous -fussiez amoureux de moi. Jouez−vous−y, je vous en prie, vous trouverez à qui parler. C'est une chose que -vous conseille de faire. Ayez recours, pour voir, à tous les détours des amants : essayez un peu, par plaisi -m'envoyer des ambassades, à m'écrire secrètement de petits billets doux, à épier les moments que mon ma +fussiez amoureux de moi. Jouez−vous−y, je vous en prie, vous trouverez à qui parler. C'est une chose que je +vous conseille de faire. Ayez recours, pour voir, à tous les détours des amants : essayez un peu, par plaisir, à +m'envoyer des ambassades, à m'écrire secrètement de petits billets doux, à épier les moments que mon mari n'y sera pas, ou le temps que je sortirai, pour me parler de votre amour. Vous n'avez qu'à y venir, je vous promets que vous serez reçu comme il faut. Clitandre @@ -36044,15 +36044,15 @@ On dira ce que l'on voudra ; mais vous savez si je vous ai parlé d'amour, lors Angélique Vous n'aviez qu'à le faire, vous auriez été bien venu. Clitandre -Je vous assure qu'avec moi vous n'avez rien à craindre ; que je ne suis point homme à donner du chagrin -belles ; et que je vous respecte trop et vous et Messieurs vos parents, pour avoir la pensée d'être amoureu +Je vous assure qu'avec moi vous n'avez rien à craindre ; que je ne suis point homme à donner du chagrin aux +belles ; et que je vous respecte trop et vous et Messieurs vos parents, pour avoir la pensée d'être amoureux de vous. Madame De Sotenville Hé bien ! vous le voyez. Monsieur De Sotenville Vous voilà satisfait, mon gendre. Que dites−vous à cela ? George Dandin -Je dis que ce sont là des contes à dormir debout ; que je sais bien ce que je sais, et que tantôt, puisqu'il fa +Je dis que ce sont là des contes à dormir debout ; que je sais bien ce que je sais, et que tantôt, puisqu'il faut parler, elle a reçu une ambassade de sa part. Angélique Moi, j'ai reçu une ambassade ? @@ -36065,7 +36065,7 @@ Est−il vrai ? Claudine Par ma foi, voilà une étrange fausseté ! George Dandin -Taisez−vous, carogne que vous êtes. Je sais de vos nouvelles, et c'est vous qui tantôt avez introduit le cou +Taisez−vous, carogne que vous êtes. Je sais de vos nouvelles, et c'est vous qui tantôt avez introduit le courrier. Claudine Qui, moi ? George Dandin @@ -36074,38 +36074,38 @@ Claudine Hélas ! que le monde aujourd'hui est rempli de méchanceté, de m'aller soupçonner ainsi, moi qui suis l'innocence même ! George Dandin -Taisez−vous, bonne pièce. Vous faites la sournoise ; mais je vous connois il y a longtemps, et vous êtes u +Taisez−vous, bonne pièce. Vous faites la sournoise ; mais je vous connois il y a longtemps, et vous êtes une dessalée. Claudine Madame, est−ce que... ? George Dandin -Taisez−vous, vous dis−je, vous pourriez bien porter la folle enchère de tous les autres ; et vous n'avez po +Taisez−vous, vous dis−je, vous pourriez bien porter la folle enchère de tous les autres ; et vous n'avez point de père gentilhomme. Angélique C'est une imposture si grande, et qui me touche si fort au coeur, que je ne puis pas même avoir la force d'y -répondre. Cela est bien horrible d'être accusée par un mari lorsqu'on ne lui fait rien qui ne soit à faire. Hél +répondre. Cela est bien horrible d'être accusée par un mari lorsqu'on ne lui fait rien qui ne soit à faire. Hélas ! si je suis blâmable de quelque chose, c'est d'en user trop bien avec lui. Claudine Assurément. Angélique -Tout mon malheur est de le trop considérer ; et plût au Ciel que je fusse capable de souffrir, comme il dit +Tout mon malheur est de le trop considérer ; et plût au Ciel que je fusse capable de souffrir, comme il dit, les galanteries de quelqu'un ! je ne serois pas tant à plaindre. Adieu : je me retire, et je ne puis plus endurer qu'on m'outrage de cette sorte. Madame De Sotenville Allez, vous ne méritez pas l'honnête femme qu'on vous a donnée. Claudine Par ma foi ! il mériteroit qu'elle lui fît dire vrai ; et si j'étois en sa place, je n'y marchanderois pas. Oui, -Monsieur, vous devez, pour le punir, faire l'amour à ma maîtresse. Poussez, c'est moi qui vous le dis, ce s +Monsieur, vous devez, pour le punir, faire l'amour à ma maîtresse. Poussez, c'est moi qui vous le dis, ce sera fort bien employé ; et je m'offre à vous y servir, puisqu'il m'en a déjà taxée. Monsieur De Sotenville -Vous méritez, mon gendre, qu'on vous dise ces choses−là ; et votre procédé met tout le monde contre vou +Vous méritez, mon gendre, qu'on vous dise ces choses−là ; et votre procédé met tout le monde contre vous. Madame De Sotenville -Allez, songez à mieux traiter une Demoiselle bien née, et prenez garde désormais à ne plus faire de pareil +Allez, songez à mieux traiter une Demoiselle bien née, et prenez garde désormais à ne plus faire de pareilles bévues. George Dandin J'enrage de bon coeur d'avoir tort, lorsque j'ai raison. Clitandre -Monsieur, vous voyez comme j'ai été faussement accusé : vous êtes homme qui savez les maximes du po +Monsieur, vous voyez comme j'ai été faussement accusé : vous êtes homme qui savez les maximes du point d'honneur, et je vous demande raison de l'affront qui m'a été fait. Monsieur De Sotenville Cela est juste, et c'est l'ordre des procédés. Allons, mon gendre, faites satisfaction à Monsieur. @@ -36114,9 +36114,9 @@ Comment satisfaction ? Monsieur De Sotenville Oui, cela se doit dans les règles pour l'avoir à tort accusé. George Dandin -C'est une chose, moi, dont je ne demeure pas d'accord, de l'avoir à tort accusé, et je sais bien ce que j'en p +C'est une chose, moi, dont je ne demeure pas d'accord, de l'avoir à tort accusé, et je sais bien ce que j'en pense. Monsieur De Sotenville -Il n'importe. Quelque pensée qui vous puisse rester, il a nié : c'est satisfaire les personnes, et l'on n'a nul d +Il n'importe. Quelque pensée qui vous puisse rester, il a nié : c'est satisfaire les personnes, et l'on n'a nul droit de se plaindre de tout homme qui se dédit. George Dandin Si bien donc que si je le trouvois couché avec ma femme, il en seroit quitte pour se dédire ? @@ -36125,12 +36125,12 @@ Point de raisonnement. Faites−lui les excuses que je vous dis. George Dandin Moi, je lui ferai encore des excuses après... ? Monsieur De Sotenville -Allons, vous dis−je. Il n'y a rien à balancer, et vous n'avez que faire d'avoir peur d'en trop faire, puisque c +Allons, vous dis−je. Il n'y a rien à balancer, et vous n'avez que faire d'avoir peur d'en trop faire, puisque c'est moi qui vous conduis. George Dandin Je ne saurois... Monsieur De Sotenville -Corbleu ! mon gendre, ne m'échauffez pas la bile : je me mettrois avec lui contre vous. Allons, laissez−v +Corbleu ! mon gendre, ne m'échauffez pas la bile : je me mettrois avec lui contre vous. Allons, laissez−vous gouverner par moi. George Dandin Ah ! George Dandin ! @@ -36173,14 +36173,14 @@ Non : je veux qu'il achève, et que tout aille dans les formes. "Que je suis vo George Dandin "Que je suis votre serviteur." Clitandre -Monsieur, je suis le vôtre de tout mon coeur, et je ne songe plus à ce qui s'est passé. Pour vous, Monsieur +Monsieur, je suis le vôtre de tout mon coeur, et je ne songe plus à ce qui s'est passé. Pour vous, Monsieur, je vous donne le bonjour, et suis fâché du petit chagrin que vous avez eu. Monsieur De Sotenville Je vous baise les mains ; et quand il vous plaira, je vous donnerai le divertissement de courre un lièvre. Clitandre C'est trop de grâce que vous me faites. Monsieur De Sotenville -Voilà, mon gendre, comme il faut pousser les choses. Adieu. Sachez que vous êtes entré dans une famille +Voilà, mon gendre, comme il faut pousser les choses. Adieu. Sachez que vous êtes entré dans une famille qui vous donnera de l'appui, et ne souffrira point que l'on vous fasse aucun affront. Scène VII George Dandin @@ -36191,10 +36191,10 @@ Acte II Scène I Claudine, Lubin Claudine -Oui, j'ai bien deviné qu'il falloit que cela vînt de toi, et que tu l'eusses dit à quelqu'un qui l'ait rapporté à n +Oui, j'ai bien deviné qu'il falloit que cela vînt de toi, et que tu l'eusses dit à quelqu'un qui l'ait rapporté à notre maître. Lubin -Par ma foi ! je n'en ai touché qu'un petit mot en passant à un homme, afin qu'il ne dît point qu'il m'avoit v +Par ma foi ! je n'en ai touché qu'un petit mot en passant à un homme, afin qu'il ne dît point qu'il m'avoit vu sortir, et il faut que les gens en ce pays−ci soient de grands babillards. Claudine Vraiment ce Monsieur le Vicomte a bien choisi son monde, que de te prendre pour son ambassadeur, et il @@ -36236,25 +36236,25 @@ Comment est−ce que tu fais pour être si jolie ? Claudine Je fais comme font les autres. Lubin -Vois−tu ? il ne faut point tant de beurre pour faire un quarteron : si tu veux, tu seras ma femme, je serai +Vois−tu ? il ne faut point tant de beurre pour faire un quarteron : si tu veux, tu seras ma femme, je serai ton mari, et nous serons tous deux mari et femme. Claudine Tu serois peut−être jaloux comme notre maître. Lubin Point. Claudine -Pour moi, je hais les maris soupçonneux, et j'en veux un qui ne s'épouvante de rien, un si plein de confian +Pour moi, je hais les maris soupçonneux, et j'en veux un qui ne s'épouvante de rien, un si plein de confiance, et si sûr de ma chasteté, qu'il me vît sans inquiétude au milieu de trente hommes. Lubin Hé bien ! je serai tout comme cela. Claudine -C'est la plus sotte chose du monde que de se défier d'une femme, et de la tourmenter. La vérité de l'affaire +C'est la plus sotte chose du monde que de se défier d'une femme, et de la tourmenter. La vérité de l'affaire est qu'on n'y gagne rien de bon : cela nous fait songer à mal, et ce sont souvent les maris qui, avec leurs vacarmes, se font eux−mêmes ce qu'ils sont. Lubin Hé bien ! je te donnerai la liberté de faire tout ce qu'il te plaira. Claudine -Voilà comme il faut faire pour n'être point trompé. Lorsqu'un mari se met à notre discrétion, nous ne pren +Voilà comme il faut faire pour n'être point trompé. Lorsqu'un mari se met à notre discrétion, nous ne prenons de liberté que ce qu'il nous en faut, et il en est comme avec ceux qui nous ouvrent leur bourse et nous disent : "Prenez." Nous en usons honnêtement, et nous nous contentons de la raison. Mais ceux qui nous chicanent, nous nous efforçons de les tondre, et nous ne les épargnons point. @@ -36279,7 +36279,7 @@ Claudine. Claudine Ahy ! Lubin -Ah ! que tu es rude à pauvres gens. Fi ! que cela est malhonnête de refuser les personnes ! N'as−tu point +Ah ! que tu es rude à pauvres gens. Fi ! que cela est malhonnête de refuser les personnes ! N'as−tu point de honte d'être belle, et de ne vouloir pas qu'on te caresse ? Eh là ! Claudine Je te donnerai sur le nez. @@ -36312,26 +36312,26 @@ qu'elle soit seule. Scène II George Dandin, Angélique, Clitandre George Dandin -Non, non, on ne m'abuse pas avec tant de facilité, et je ne suis que trop certain que le rapport que l'on m'a +Non, non, on ne m'abuse pas avec tant de facilité, et je ne suis que trop certain que le rapport que l'on m'a fait est véritable. J'ai de meilleurs yeux qu'on ne pense, et votre galimatias ne m'a point tantôt ébloui. Clitandre Ah ! la voilà ; mais le mari est avec elle. George Dandin -Au travers de toutes vos grimaces, j'ai vu la vérité de ce que l'on m'a dit, et le peu de respect que vous ave -pour le noeud qui nous joint. Mon Dieu ! laissez là votre révérence, ce n'est pas de ces sortes de respect d +Au travers de toutes vos grimaces, j'ai vu la vérité de ce que l'on m'a dit, et le peu de respect que vous avez +pour le noeud qui nous joint. Mon Dieu ! laissez là votre révérence, ce n'est pas de ces sortes de respect dont je vous parle, et vous n'avez que faire de vous moquer. Angélique Moi, me moquer ! En aucune façon. George Dandin Je sais votre pensée et connois... Encore ? Ah ! ne raillons pas davantage ! Je n'ignore pas qu'à cause de -votre noblesse vous me tenez fort au−dessous de vous, et le respect que je vous veux dire ne regarde poin +votre noblesse vous me tenez fort au−dessous de vous, et le respect que je vous veux dire ne regarde point ma personne : j'entends parler de celui que vous devez à des noeuds aussi vénérables que le sont ceux du mariage. Il ne faut point lever les épaules, et je ne dis point de sottises. Angélique Qui songe à lever les épaules ? George Dandin -Mon Dieu ! nous voyons clair. Je vous dis encore une fois que le mariage est une chaîne à laquelle on do -porter toute sorte de respect, et que c'est fort mal fait à vous d'en user comme vous faites. Oui, oui, mal fa +Mon Dieu ! nous voyons clair. Je vous dis encore une fois que le mariage est une chaîne à laquelle on doit +porter toute sorte de respect, et que c'est fort mal fait à vous d'en user comme vous faites. Oui, oui, mal fait à vous ; et vous n'avez que faire de hocher la tête, et de me faire la grimace. Angélique Moi ! Je ne sais ce que vous voulez dire. @@ -36349,11 +36349,11 @@ Le voilà qui vient rôder autour de vous. Angélique Hé bien, est−ce ma faute ? Que voulez−vous que j'y fasse ? George Dandin -Je veux que vous y fassiez ce que fait une femme qui ne veut plaire qu'à son mari. Quoi qu'on en puisse d -les galants n'obsèdent jamais que quand on le veut bien. Il y a un certain air doucereux qui les attire, ainsi +Je veux que vous y fassiez ce que fait une femme qui ne veut plaire qu'à son mari. Quoi qu'on en puisse dire, +les galants n'obsèdent jamais que quand on le veut bien. Il y a un certain air doucereux qui les attire, ainsi que le miel fait les mouches ; et les honnêtes femmes ont des manières qui les savent chasser d'abord. Angélique -Moi, les chasser ? et par quelle raison ? Je ne me scandalise point qu'on me trouve bien faite, et cela me +Moi, les chasser ? et par quelle raison ? Je ne me scandalise point qu'on me trouve bien faite, et cela me fait du plaisir. George Dandin Oui. Mais quel personnage voulez−vous que joue un mari pendant cette galanterie ? @@ -36362,31 +36362,31 @@ Le personnage d'un honnête homme qui est bien aise de voir sa femme considéré George Dandin Je suis votre valet. Ce n'est pas là mon compte, et les Dandins ne sont point accoutumés à cette mode−là. Angélique -Oh ! les Dandins s'y accoutumeront s'ils veulent. Car pour moi, je vous déclare que mon dessein n'est pas -renoncer au monde, et de m'enterrer toute vive dans un mari. Comment ? parce qu'un homme s'avise de n -épouser, il faut d'abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce av -les vivants ? C'est une chose merveilleuse que cette tyrannie de Messieurs les maris, et je les trouve bons -vouloir qu'on soit morte à tous les divertissements, et qu'on ne vive que pour eux. Je me moque de cela, e +Oh ! les Dandins s'y accoutumeront s'ils veulent. Car pour moi, je vous déclare que mon dessein n'est pas de +renoncer au monde, et de m'enterrer toute vive dans un mari. Comment ? parce qu'un homme s'avise de nous +épouser, il faut d'abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce avec +les vivants ? C'est une chose merveilleuse que cette tyrannie de Messieurs les maris, et je les trouve bons de +vouloir qu'on soit morte à tous les divertissements, et qu'on ne vive que pour eux. Je me moque de cela, et ne veux point mourir si jeune. George Dandin C'est ainsi que vous satisfaites aux engagements de la foi que vous m'avez donnée publiquement ? Angélique -Moi ? Je ne vous l'ai point donnée de bon coeur, et vous me l'avez arrachée. M'avez−vous, avant le maria -demandé mon consentement, et si je voulois bien de vous ? Vous n'avez consulté, pour cela, que mon pèr +Moi ? Je ne vous l'ai point donnée de bon coeur, et vous me l'avez arrachée. M'avez−vous, avant le mariage, +demandé mon consentement, et si je voulois bien de vous ? Vous n'avez consulté, pour cela, que mon père et ma mère ; ce sont eux proprement qui vous ont épousé, et c'est pourquoi vous ferez bien de vous plaindre -toujours à eux des torts que l'on pourra vous faire. Pour moi, qui ne vous ai point dit de vous marier avec +toujours à eux des torts que l'on pourra vous faire. Pour moi, qui ne vous ai point dit de vous marier avec moi, et que vous avez prise sans consulter mes sentiments, je prétends n'être point obligée à me soumettre en esclave à vos volontés ; et je veux jouir, s'il vous plaît, de quelque nombre de beaux jours que m'offre la -jeunesse, prendre les douces libertés que l'âge me permet, voir un peu le beau monde, et goûter le plaisir d -m'ouïr dire des douceurs. Préparez−vous−y, pour votre punition, et rendez grâces au Ciel de ce que je ne +jeunesse, prendre les douces libertés que l'âge me permet, voir un peu le beau monde, et goûter le plaisir de +m'ouïr dire des douceurs. Préparez−vous−y, pour votre punition, et rendez grâces au Ciel de ce que je ne suis pas capable de quelque chose de pis. George Dandin Oui ! c'est ainsi que vous le prenez. Je suis votre mari, et je vous dis que je n'entends pas cela. Angélique Moi je suis votre femme, et je vous dis que je l'entends. George Dandin -Il me prend des tentations d'accommoder tout son visage à la compote, et le mettre en état de ne plaire de -vie aux diseurs de fleurettes. Ah ! allons, George Dandin ; je ne pourrois me retenir, et il vaut mieux qui +Il me prend des tentations d'accommoder tout son visage à la compote, et le mettre en état de ne plaire de sa +vie aux diseurs de fleurettes. Ah ! allons, George Dandin ; je ne pourrois me retenir, et il vaut mieux quitter la place. Scène III Claudine, Angélique @@ -36411,10 +36411,10 @@ Clitandre, Lubin, Claudine Claudine Vraiment, Monsieur, vous avez pris là un habile messager. Clitandre -Je n'ai pas osé envoyer de mes gens. Mais, ma pauvre Claudine, il faut que je te récompense des bons offi +Je n'ai pas osé envoyer de mes gens. Mais, ma pauvre Claudine, il faut que je te récompense des bons offices que je sais que tu m'as rendus. Claudine -Eh ! Monsieur, il n'est pas nécessaire. Non, Monsieur, vous n'avez que faire de vous donner cette peine−l +Eh ! Monsieur, il n'est pas nécessaire. Non, Monsieur, vous n'avez que faire de vous donner cette peine−là ; et je vous rends service parce que vous le méritez, et que je me sens au coeur de l'inclination pour vous. Clitandre Je te suis obligé. @@ -36433,7 +36433,7 @@ Oui : venez avec moi, je vous ferai parler à elle. Clitandre Mais le trouvera−t−elle bon ? et n'y a−t−il rien à risquer ? Claudine -Non, non : son mari n'est pas au logis ; et puis, ce n'est pas lui qu'elle a le plus à ménager ; c'est son père +Non, non : son mari n'est pas au logis ; et puis, ce n'est pas lui qu'elle a le plus à ménager ; c'est son père et sa mère ; et pourvu qu'ils soient prévenus, tout le reste n'est point à craindre. Clitandre Je m'abandonne à ta conduite. @@ -36488,21 +36488,21 @@ Lubin Tarare ! Scène VI George Dandin -Je n'ai pu me servir avec cet innocent de la pensée que j'avois. Mais le nouvel avis qui lui est échappé fero +Je n'ai pu me servir avec cet innocent de la pensée que j'avois. Mais le nouvel avis qui lui est échappé feroit la même chose, et si le galant est chez moi, ce seroit pour avoir raison aux yeux du père et de la mère, et les convaincre pleinement de l'effronterie de leur fille. Le mal est tout ceci, c'est que je ne sais comment faire -pour profiter d'un tel avis. Si je rentre chez moi, je ferai évader le drôle, et quelque chose que je puisse vo -moi−même de mon déshonneur, je n'en serai point cru à mon serment, et l'on me dira que je rêve. Si, d'au +pour profiter d'un tel avis. Si je rentre chez moi, je ferai évader le drôle, et quelque chose que je puisse voir +moi−même de mon déshonneur, je n'en serai point cru à mon serment, et l'on me dira que je rêve. Si, d'autre part, je vais quérir beau−père et belle−mère sans être sûr de trouver chez moi le galant, ce sera la même chose, et je retomberai dans l'inconvénient de tantôt. Pourrois−je point m'éclaircir doucement s'il y est encore ? Ah Ciel ! il n'en faut plus douter, et je viens de l'apercevoir par le trou de la porte. Le sort me -donne ici de quoi confondre ma partie ; et pour achever l'aventure, il fait venir à point nommé les juges d +donne ici de quoi confondre ma partie ; et pour achever l'aventure, il fait venir à point nommé les juges dont j'avois besoin. Scène VII Monsieur et Madame de Sotenville, George Dandin George Dandin Enfin vous ne m'avez pas voulu croire tantôt, et votre fille l'a emporté sur moi ; mais j'ai en main de quoi -vous faire voir comme elle m'accommode et, Dieu merci ! mon déshonneur est si clair maintenant, que v +vous faire voir comme elle m'accommode et, Dieu merci ! mon déshonneur est si clair maintenant, que vous n'en pourrez plus douter. Monsieur De Sotenville Comment, mon gendre, vous en êtes encore là−dessus ? @@ -36533,7 +36533,7 @@ Je m'en souviens assez, et ne m'en souviendrai que trop. Monsieur De Sotenville Si vous vous en souvenez, songez donc à parler d'elle avec plus de respect. George Dandin -Mais que ne songe−t−elle plutôt à me traiter plus honnêtement ? Quoi ? parce qu'elle est Demoiselle, il f +Mais que ne songe−t−elle plutôt à me traiter plus honnêtement ? Quoi ? parce qu'elle est Demoiselle, il faut qu'elle ait la liberté de me faire ce qui lui plaît, sans que j'ose souffler ? Monsieur De Sotenville Qu'avez−vous donc, et que pouvez−vous dire ? N'avez−vous pas vu ce matin qu'elle s'est défendue de @@ -36577,16 +36577,16 @@ Clitandre Ah Ciel ! Angélique Ne faites pas semblant de rien, et me laissez faire tous deux. Quoi ? vous osez en user de la sorte, après -l'affaire de tantôt, et c'est ainsi que vous dissimulez vos sentiments ? On me vient rapporter que vous ave -l'amour pour moi, et que vous faites des desseins de me solliciter ; j'en témoigne mon dépit, et m'explique -vous clairement en présence de tout le monde ; vous niez hautement la chose, et me donnez parole de n'a +l'affaire de tantôt, et c'est ainsi que vous dissimulez vos sentiments ? On me vient rapporter que vous avez de +l'amour pour moi, et que vous faites des desseins de me solliciter ; j'en témoigne mon dépit, et m'explique à +vous clairement en présence de tout le monde ; vous niez hautement la chose, et me donnez parole de n'avoir aucune pensée de m'offenser ; et cependant, le même jour, vous prenez la hardiesse de venir chez moi me -rendre visite, de me dire que vous m'aimez, et de me faire cent sots contes pour me persuader de répondre -vos extravagances : comme si j'étois femme à violer la foi que j'ai donnée à un mari, et m'éloigner jamais +rendre visite, de me dire que vous m'aimez, et de me faire cent sots contes pour me persuader de répondre à +vos extravagances : comme si j'étois femme à violer la foi que j'ai donnée à un mari, et m'éloigner jamais de la vertu que mes parents m'ont enseignée. Si mon père savoit cela, il vous apprendroit bien à tenter de ces -entreprises. Mais une honnête femme n'aime point les éclats ; je n'ai garde de lui en rien dire, et je veux v -montrer que, toute femme que je suis, j'ai assez de courage pour me venger moi−même des offenses que l -me fait. L'action que vous avez faite n'est pas d'un gentilhomme, et ce n'est pas en gentilhomme aussi que +entreprises. Mais une honnête femme n'aime point les éclats ; je n'ai garde de lui en rien dire, et je veux vous +montrer que, toute femme que je suis, j'ai assez de courage pour me venger moi−même des offenses que l'on +me fait. L'action que vous avez faite n'est pas d'un gentilhomme, et ce n'est pas en gentilhomme aussi que je veux vous traiter. (Elle prend un bâton et bat son mari, au lieu de Clitandre, qui se met entre−deux.) Clitandre @@ -36600,17 +36600,17 @@ Apprenez à qui vous vous jouez. Angélique Ah mon père, vous êtes là ! . Monsieur De Sotenville -Oui ma fille, et je vois qu'en sagesse et en courage tu te montres un digne rejeton de la maison de Sotenvi +Oui ma fille, et je vois qu'en sagesse et en courage tu te montres un digne rejeton de la maison de Sotenville. Viens çà, approche−toi que je t'embrasse. Madame De Sotenville -Embrasse−moi aussi, ma fille. Las ! je pleure de joie, et reconnois mon sang aux choses que tu viens de f +Embrasse−moi aussi, ma fille. Las ! je pleure de joie, et reconnois mon sang aux choses que tu viens de faire. Monsieur De Sotenville -Mon gendre, que vous devez être ravi, et que cette aventure est pour vous pleine de douceurs ! Vous avie -un juste sujet de vous alarmer ; mais vos soupçons se trouvent dissipés le plus avantageusement du mond +Mon gendre, que vous devez être ravi, et que cette aventure est pour vous pleine de douceurs ! Vous aviez +un juste sujet de vous alarmer ; mais vos soupçons se trouvent dissipés le plus avantageusement du monde. Madame De Sotenville Sans doute, notre gendre, et vous devez maintenant être le plus. content des hommes. Claudine -Assurément. Voilà une femme, celle−là. Vous êtes trop heureux de l'avoir, et vous devriez baiser les pas o +Assurément. Voilà une femme, celle−là. Vous êtes trop heureux de l'avoir, et vous devriez baiser les pas où elle passe. George Dandin Euh ! traîtresse ! @@ -36618,30 +36618,30 @@ Monsieur De Sotenville Qu'est−ce, mon gendre ? Que ne remerciez−vous un peu votre femme de l'amitié que vous voyez qu'elle montre pour vous ? Angélique -Non, non, mon père, il n'est pas nécessaire. Il ne m'a aucune obligation de ce qu'il vient de voir, et tout ce +Non, non, mon père, il n'est pas nécessaire. Il ne m'a aucune obligation de ce qu'il vient de voir, et tout ce que j'en fais n'est que pour l'amour de moi−même. Monsieur De Sotenville Où allez−vous, ma fille ? Angélique Je me retire, mon père, pour ne me voir point obligée à recevoir ses compliments. Claudine -Elle a raison d'être en colère. C'est une femme qui mérite d'être adorée, et vous ne la traitez pas comme vo +Elle a raison d'être en colère. C'est une femme qui mérite d'être adorée, et vous ne la traitez pas comme vous devriez. George Dandin Scélérate ! Monsieur De Sotenville -C'est un petit ressentiment de l'affaire de tantôt, et cela se passera avec un peu de caresse que vous lui fere -Adieu, mon gendre, vous voilà en état de ne vous plus inquiéter. Allez−vous−en faire la paix ensemble, e +C'est un petit ressentiment de l'affaire de tantôt, et cela se passera avec un peu de caresse que vous lui ferez. +Adieu, mon gendre, vous voilà en état de ne vous plus inquiéter. Allez−vous−en faire la paix ensemble, et tâchez de l'apaiser par des excuses de votre emportement. Madame De Sotenville Vous devez considérer que c'est une jeune fille élevée à la vertu, et qui n'est point accoutumée à se voir -soupçonnée d'aucune vilaine action. Adieu. Je suis ravie de voir vos désordres finis et des transports de jo +soupçonnée d'aucune vilaine action. Adieu. Je suis ravie de voir vos désordres finis et des transports de joie que vous doit donner sa conduite. George Dandin -Je ne dis mot, car je ne gagnerois rien à parler, et jamais il ne s'est rien vu d'égal à ma disgrâce. Oui, j'adm -mon malheur, et la subtile adresse de ma carogne de femme pour se donner toujours raison, et me faire av -tort. Est−il possible que toujours j'aurai du dessous avec elle, que les apparences toujours tourneront contr -moi, et que je ne parviendrai point à convaincre mon effrontée ? O Ciel, seconde mes desseins, et m'acco +Je ne dis mot, car je ne gagnerois rien à parler, et jamais il ne s'est rien vu d'égal à ma disgrâce. Oui, j'admire +mon malheur, et la subtile adresse de ma carogne de femme pour se donner toujours raison, et me faire avoir +tort. Est−il possible que toujours j'aurai du dessous avec elle, que les apparences toujours tourneront contre +moi, et que je ne parviendrai point à convaincre mon effrontée ? O Ciel, seconde mes desseins, et m'accorde la grâce de faire voir aux gens que l'on me déshonore. Acte III Scène I @@ -36658,7 +36658,7 @@ Clitandre Elle a tort assurément ; mais si d'un côté elle nous empêche de voir, elle empêche de l'autre que nous ne soyons vus. Lubin -Vous avez raison, elle n'a pas tant de tort. Je voudrois bien savoir, Monsieur, vous qui êtes savant, pourqu +Vous avez raison, elle n'a pas tant de tort. Je voudrois bien savoir, Monsieur, vous qui êtes savant, pourquoi il ne fait point jour la nuit. Clitandre C'est une grande question, et qui est difficile. Tu es curieux, Lubin. @@ -36750,12 +36750,12 @@ allée ? Seroit−elle sortie ? Lubin (Il prend George Dandin pour Claudine.) Où es−tu donc, Claudine ? Ah ! te voilà. Par ma foi, ton maître est plaisamment attrapé, et je trouve ceci -aussi drôle que les coups de bâton de tantôt dont on m'a fait récit. Ta maîtresse dit qu'il ronfle, à cette heu -comme tous les diantres, et il ne sait pas que Monsieur le Vicomte et elle sont ensemble pendant qu'il dor +aussi drôle que les coups de bâton de tantôt dont on m'a fait récit. Ta maîtresse dit qu'il ronfle, à cette heure, +comme tous les diantres, et il ne sait pas que Monsieur le Vicomte et elle sont ensemble pendant qu'il dort. Je voudrois bien savoir quel songe il fait maintenant. Cela est tout à fait risible ! De quoi s'avise−t−il aussi d'être jaloux de sa femme, et de vouloir qu'elle soit à lui tout seul ? C'est un impertinent, et Monsieur le -Vicomte lui fait trop d'honneur. Tu ne dis mot, Claudine. Allons, suivons−les, et me donne ta petite meno -que je la baise. Ah ! que cela est doux ! il me semble, que je mange des confitures. (Comme il baise la m +Vicomte lui fait trop d'honneur. Tu ne dis mot, Claudine. Allons, suivons−les, et me donne ta petite menotte +que je la baise. Ah ! que cela est doux ! il me semble, que je mange des confitures. (Comme il baise la main de Dandin, Dandin la lui pousse rudement au visage). Tubleu ! comme vous y allez ! Voilà une petite menotte qui est un peu bien rude. George Dandin @@ -36788,13 +36788,13 @@ Colin Ici. George Dandin (Comme ils se vont tous deux chercher, l'un passe d'un côté, et l'autre de l'autre.) -Peste soit du maroufle qui s'éloigne de moi ! Je te dis que tu ailles, de ce pas trouver mon beau−père et m +Peste soit du maroufle qui s'éloigne de moi ! Je te dis que tu ailles, de ce pas trouver mon beau−père et ma belle−mère, et leur dire que je les conjure de se rendre ici tout à l'heure. M'entends−tu bien ? Réponds, Colin, Colin. Colin, de l'autre côté. Monsieur. George Dandin -Voilà un pendard qui me fera enrager. Viens−t'en à moi. (Ils se cognent.) Ah ! le traître ! il m'a estropié. +Voilà un pendard qui me fera enrager. Viens−t'en à moi. (Ils se cognent.) Ah ! le traître ! il m'a estropié. Où est−ce que tu es ? Approche, que je te donne mille coups. Je pense qu'il me fuit. Colin Assurément. @@ -36812,8 +36812,8 @@ Colin Assurément ? George Dandin Oui. Approche. Bon. Tu es bien heureux de ce que j'ai besoin de toi. Va−t'en vite de ma part prier mon -beau−père et ma belle−mère de se rendre ici le plus tôt qu'ils pourront, et leur dis que c'est pour une affair -la dernière conséquence ; et s'ils faisoient quelque difficulté à cause de l'heure, ne manque pas de les pres +beau−père et ma belle−mère de se rendre ici le plus tôt qu'ils pourront, et leur dis que c'est pour une affaire de +la dernière conséquence ; et s'ils faisoient quelque difficulté à cause de l'heure, ne manque pas de les presser, et de leur bien faire entendre qu'il est très−important qu'ils viennent en quelque état qu'ils soient. Tu m'entends bien maintenant ? Colin @@ -36836,27 +36836,27 @@ vous ai pas dit encore la moindre partie de ce que j'ai à vous dire. Angélique Nous en écouterons une autre fois davantage. Clitandre -Hélas ! de quel coup me percez−vous l'âme lorsque vous parlez de vous retirer, et avec combien de chagr +Hélas ! de quel coup me percez−vous l'âme lorsque vous parlez de vous retirer, et avec combien de chagrins m'allez−vous laisser maintenant ? Angélique Nous trouverons moyen de nous revoir. Clitandre -Oui ; mais je songe qu'en me quittant, vous allez trouver un mari. Cette pensée m'assassine, et les privilèg +Oui ; mais je songe qu'en me quittant, vous allez trouver un mari. Cette pensée m'assassine, et les privilèges qu'ont les maris sont des choses cruelles pour un amant qui aime bien. Angélique Serez−vous assez fort pour avoir cette inquiétude, et pensez−vous qu'on soit capable d'aimer de certains -maris qu'il y a ? On les rend, parce qu'on ne s'en peut défendre, et que l'on dépend de parents qui n'ont de -yeux que pour le bien ; mais on sait leur rendre justice, et l'on se moque fort de les considérer au delà de +maris qu'il y a ? On les rend, parce qu'on ne s'en peut défendre, et que l'on dépend de parents qui n'ont des +yeux que pour le bien ; mais on sait leur rendre justice, et l'on se moque fort de les considérer au delà de ce qu'ils méritent. George Dandin Voilà nos carognes de femmes. Clitandre -Ah ! qu'il faut avouer que celui qu'on vous a donné étoit peu digne de l'honneur qu'il a reçu, et que c'est u +Ah ! qu'il faut avouer que celui qu'on vous a donné étoit peu digne de l'honneur qu'il a reçu, et que c'est une étrange chose que l'assemblage qu'on a fait d'une personne comme vous avec un homme comme lui ! George Dandin, à part. Pauvres maris ! voilà comme on vous traite. Clitandre -Vous méritez sans doute une autre destinée, et le Ciel ne vous a point faite pour être la femme d'un paysan +Vous méritez sans doute une autre destinée, et le Ciel ne vous a point faite pour être la femme d'un paysan. George Dandin Plût au Ciel fût−elle la tienne ! tu changerois bien de langage. Rentrons ; c'en est assez. (Il entre et ferme la porte.) @@ -36867,7 +36867,7 @@ Ah ! Claudine, que tu es cruelle ! Angélique Elle a raison. Séparons−nous. Clitandre -Il faut donc s'y résoudre, puisque vous le voulez. Mais au moins je vous conjure de me plaindre un peu de +Il faut donc s'y résoudre, puisque vous le voulez. Mais au moins je vous conjure de me plaindre un peu des méchants moments que je vais passer. Angélique Adieu. @@ -36892,14 +36892,14 @@ Appelez le garçon qui couche là. Angélique Colin, Colin, Colin. George Dandin, mettant la tête à sa fenêtre. -Colin, Colin ? Ah ! je vous y prends donc, Madame ma femme, et vous faites des escampativos pendant +Colin, Colin ? Ah ! je vous y prends donc, Madame ma femme, et vous faites des escampativos pendant que je dors. Je suis bien−aise de cela, et de vous voir dehors à l'heure qu'il est. Angélique Hé bien ! quel grand mal est−ce qu'il y a à prendre le frais de la nuit ? George Dandin -Oui, oui, l'heure est bonne à prendre le frais. C'est bien plutôt le chaud, Madame la coquine ; et nous savo +Oui, oui, l'heure est bonne à prendre le frais. C'est bien plutôt le chaud, Madame la coquine ; et nous savons toute l'intrigue du rendez−vous, et du Damoiseau. Nous avons entendu votre galant entretien, et les beaux -vers à ma louange que vous avez dits l'un et l'autre. Mais ma consolation, c'est que je vais être vengé, et q +vers à ma louange que vous avez dits l'un et l'autre. Mais ma consolation, c'est que je vais être vengé, et que votre père et votre mère seront convaincus maintenant de la justice de mes plaintes, et du dérèglement de votre conduite. Je les ai envoyé quérir, et ils vont être ici dans un moment. Angélique @@ -36909,13 +36909,13 @@ Madame. George Dandin Voilà un coup sans doute où vous ne vous attendiez pas. C'est maintenant que je triomphe, et j'ai de quoi mettre à bas votre orgueil, et détruire vos artifices. Jusques ici vous avez joué mes accusations, ébloui vos -parents, et plâtré vos malversations. J'ai eu beau voir, et beau dire, et votre adresse toujours l'a emporté su -mon bon droit, et toujours vous avez trouvé moyen d'avoir raison ; mais à cette fois, Dieu merci, les chos +parents, et plâtré vos malversations. J'ai eu beau voir, et beau dire, et votre adresse toujours l'a emporté sur +mon bon droit, et toujours vous avez trouvé moyen d'avoir raison ; mais à cette fois, Dieu merci, les choses vont être éclaircies, et votre effronterie sera pleinement confondue. Angélique Hé ! je vous prie, faites−moi ouvrir la porte. George Dandin -Non, non ; il faut attendre la venue de ceux que j'ai mandés, et je veux qu'ils vous trouvent dehors à la be +Non, non ; il faut attendre la venue de ceux que j'ai mandés, et je veux qu'ils vous trouvent dehors à la belle heure qu'il est. En attendant qu'ils viennent, songez, si vous voulez, à chercher dans votre tête quelque nouveau détour pour vous tirer de cette affaire, à inventer quelque moyen de rhabiller votre escapade, à trouver quelque belle ruse pour éluder ici les gens et paroître innocente, quelque prétexte spécieux de @@ -36924,22 +36924,22 @@ Angélique Non : mon intention n'est pas de vous rien déguiser. Je ne prétends point me défendre, ni vous nier les choses, puisque vous les savez. George Dandin -C'est que vous voyez bien que tous les moyens vous en sont fermés, et que dans cette affaire vous ne saur +C'est que vous voyez bien que tous les moyens vous en sont fermés, et que dans cette affaire vous ne sauriez inventer d'excuse qu'il ne me soit facile de convaincre de fausseté. Angélique -Oui je confesse que j'ai tort, et que vous avez sujet de vous plaindre. Mais je vous demande par grâce de n +Oui je confesse que j'ai tort, et que vous avez sujet de vous plaindre. Mais je vous demande par grâce de ne m'exposer point maintenant à la mauvaise humeur de mes parents, et de me faire promptement ouvrir. George Dandin Je vous baise les mains. Angélique Eh ! mon pauvre petit mari, je vous en conjure ! George Dandin -Ah ! mon pauvre petit mari ? Je suis votre petit mari maintenant, parce que vous vous sentez prise. Je su +Ah ! mon pauvre petit mari ? Je suis votre petit mari maintenant, parce que vous vous sentez prise. Je suis bien aise de cela, et vous ne vous étiez jamais avisée de me dire de ces douceurs. Angélique Tenez, je vous promets de ne vous plus donner aucun sujet de déplaisir, et de me... George Dandin -Tout cela n'est rien. Je ne veux point perdre cette aventure, et il m'importe qu'on soit une fois éclairci à fo +Tout cela n'est rien. Je ne veux point perdre cette aventure, et il m'importe qu'on soit une fois éclairci à fond de vos déportements. Angélique De grâce, laissez−moi vous dire. Je vous demande un moment d'audience. @@ -36949,19 +36949,19 @@ Angélique Il est vrai que j'ai failli, je vous l'avoue encore une fois, et que votre ressentiment est juste ; que j'ai pris le temps de sortir pendant que vous dormiez, et que cette sortie est un rendez−vous que j'avois donné à la personne que vous dites. Mais enfin ce sont des actions que vous devez pardonner à mon âge ; des -emportements de jeune personne qui n'a encore rien vu, et ne fait que d'entrer au monde ; des libertés où +emportements de jeune personne qui n'a encore rien vu, et ne fait que d'entrer au monde ; des libertés où l'on s'abandonne sans y penser de mal, et qui sans doute dans le fond n'ont rien de... George Dandin Oui : vous le dites et ce sont de ces choses qui ont besoin qu'on les croie pieusement. Angélique -Je ne veux point m'excuser par là d'être coupable envers vous, et je vous prie seulement d'oublier une offe +Je ne veux point m'excuser par là d'être coupable envers vous, et je vous prie seulement d'oublier une offense dont je vous demande pardon de tout mon coeur, et de m'épargner en cette rencontre le déplaisir que me pourroient causer les reproches fâcheux de mon père et de ma mère. Si vous m'accordez généreusement la grâce que je vous demande, ce procédé obligeant, cette bonté que vous me ferez voir, me gagnera entièrement. Elle touchera tout à fait mon coeur, et y fera naître pour vous ce que tout le pouvoir de mes -parents et les liens du mariage n'avoient pu y jeter. En un mot, elle sera cause que je renoncerai à toutes le +parents et les liens du mariage n'avoient pu y jeter. En un mot, elle sera cause que je renoncerai à toutes les galanteries, et n'aurai de l'attachement que pour vous. Oui, je vous donne ma parole que vous m'allez voir -désormais la meilleure femme du monde, et que je vous témoignerai tant d'amitié, que vous en serez satis +désormais la meilleure femme du monde, et que je vous témoignerai tant d'amitié, que vous en serez satisfait. George Dandin Ah ! crocodile, qui flatte les gens pour les étrangler. Angélique @@ -36981,7 +36981,7 @@ Je vous en conjure de tout mon coeur ! George Dandin Non, non, non. Je veux qu'on soit détrompé de vous, et que votre confusion éclate. Angélique -Hé bien ! si vous me réduisez au désespoir, je vous avertis qu'une femme en cet état est capable de tout, e +Hé bien ! si vous me réduisez au désespoir, je vous avertis qu'une femme en cet état est capable de tout, et que je ferai quelque chose ici dont vous vous repentirez. George Dandin Et que ferez−vous, s'il vous plaît ? @@ -36994,42 +36994,42 @@ Pas tant à la bonne heure pour vous que vous vous imaginez. On sait de tous cô chagrins perpétuels que vous concevez contre moi. Lorsqu'on me trouvera morte, il n'y aura personne qui mette en doute que ce ne soit vous qui m'aurez tué ; et mes parents ne sont pas gens assurément à laisser cette mort impunie, et ils en feront sur votre personne toute la punition que leur pourront offrir et les -poursuites de la justice, et la chaleur de leur ressentiment. C'est par là que je trouverai moyen de me veng -de vous, et je ne suis pas la première qui ait su recourir à de pareilles vengeances, qui n'ait pas fait difficu +poursuites de la justice, et la chaleur de leur ressentiment. C'est par là que je trouverai moyen de me venger +de vous, et je ne suis pas la première qui ait su recourir à de pareilles vengeances, qui n'ait pas fait difficulté de se donner la mort pour perdre ceux qui ont la cruauté de nous pousser à la dernière extrémité. George Dandin Je suis votre valet. On ne s'avise plus de se tuer soi−même, et la mode en est passée il y a longtemps. Angélique -C'est une chose dont vous pouvez vous tenir sûr ; et si vous persistez dans votre refus, si vous ne me faite -ouvrir, je vous jure que tout à l'heure je vais vous faire voir jusques où peut aller la résolution d'une perso +C'est une chose dont vous pouvez vous tenir sûr ; et si vous persistez dans votre refus, si vous ne me faites +ouvrir, je vous jure que tout à l'heure je vais vous faire voir jusques où peut aller la résolution d'une personne qu'on met au désespoir. George Dandin Bagatelles, bagatelles. C'est pour me faire peur. Angélique Hé bien ! puisqu'il le faut, voici qui nous contentera tous deux, et montrera si je me moque. Ah ! c'en est -fait. Fasse le Ciel que ma mort soit vengée comme je le souhaite, et que celui qui en est cause reçoive un +fait. Fasse le Ciel que ma mort soit vengée comme je le souhaite, et que celui qui en est cause reçoive un juste châtiment de la dureté qu'il a eue pour moi ! George Dandin -Ouais ! seroit−elle bien si malicieuse que de s'être tuée pour me faire pendre ? Prenons un bout de chand +Ouais ! seroit−elle bien si malicieuse que de s'être tuée pour me faire pendre ? Prenons un bout de chandelle pour aller voir. Angélique St. Paix ! Rangeons−nous chacune immédiatement contre un des côtés de la porte. George Dandin La méchanceté d'une femme iroit−elle bien jusque−là ? (Il sort avec un bout de chandelle, sans les -apercevoir ; elles entrent ; aussitôt elles ferment la porte.) Il n'y a personne. Eh ! Je m'en étois bien dout +apercevoir ; elles entrent ; aussitôt elles ferment la porte.) Il n'y a personne. Eh ! Je m'en étois bien douté, et la pendarde s'est retirée, voyant qu'elle ne gagnoit rien après moi, ni par prières ni par petites menaces. -Tant mieux ! cela rendra ses affaires encore plus mauvaises, et le père et la mère qui vont venir en verron +Tant mieux ! cela rendra ses affaires encore plus mauvaises, et le père et la mère qui vont venir en verront mieux son crime. Ah ! ah ! la porte s'est fermée. Holà ! ho ! quelqu'un ! qu'on m'ouvre promptement ! Angélique, à la fenêtre avec Claudine. -Comment ? c'est toi ! D'où viens−tu, bon pendard ? Est−il l'heure de revenir chez soi quand le jour est p +Comment ? c'est toi ! D'où viens−tu, bon pendard ? Est−il l'heure de revenir chez soi quand le jour est près de paroître ? et cette manière de vie est−elle celle que doit suivre un honnête mari ? Claudine -Cela est−il beau d'aller ivrogner toute la nuit ? et de laisser ainsi toute seule une pauvre jeune femme dan +Cela est−il beau d'aller ivrogner toute la nuit ? et de laisser ainsi toute seule une pauvre jeune femme dans la maison ? George Dandin Comment ? vous avez... Angélique -Va, va, traître, je suis lasse de tes déportements, et je m'en veux plaindre, sans plus tarder, à mon père et à +Va, va, traître, je suis lasse de tes déportements, et je m'en veux plaindre, sans plus tarder, à mon père et à ma mère. George Dandin Quoi ? c'est ainsi que vous osez... @@ -37037,12 +37037,12 @@ Scène VII Monsieur et Madame de Sotenville, Colin, Claudine, Angélique, George Dandin (M. et Mme de Sotenville sont en habits de nuit, et conduits par Colin qui porte une lanterne.) Angélique -Approchez, de grâce, et venez me faire raison de l'insolence la plus grande du monde d'un mari à qui le vi +Approchez, de grâce, et venez me faire raison de l'insolence la plus grande du monde d'un mari à qui le vin et la jalousie ont troublé de telle sorte la cervelle, qu'il ne sait plus ni ce qu'il dit, ni ce qu'il fait, et vous a lui−même envoyé quérir pour vous faire témoins de l'extravagance la plus étrange dont on ait jamais ouï parler. Le voilà qui revient comme vous voyez, après s'être fait attendre toute la nuit ; et, si vous voulez l'écouter, il vous dira qu'il a les plus grandes plaintes du monde à vous faire de moi ; que durant qu'il -dormoit, je me suis dérobée d'auprès de lui pour m'en aller courir, et cent autres contes de même nature qu +dormoit, je me suis dérobée d'auprès de lui pour m'en aller courir, et cent autres contes de même nature qu'il est allé rêver. George Dandin. Voilà une méchante carogne. @@ -37056,7 +37056,7 @@ Voilà une furieuse impudence que de nous envoyer quérir. George Dandin Jamais... Angélique -Non, mon père, je ne puis plus souffrir un mari de la sorte. Ma patience est poussée à bout, et il vient de m +Non, mon père, je ne puis plus souffrir un mari de la sorte. Ma patience est poussée à bout, et il vient de me dire cent paroles injurieuses. Monsieur De Sotenville Corbleu ! vous êtes un malhonnête homme. @@ -37073,7 +37073,7 @@ Vous n'avez qu'à l'écouter, il va vous en conter de belles. George Dandin Je désespère. Claudine -Il a tant bu, que je ne pense pas qu'on puisse durer contre lui, et l'odeur du vin qu'il souffle est montée jus +Il a tant bu, que je ne pense pas qu'on puisse durer contre lui, et l'odeur du vin qu'il souffle est montée jusqu'à nous. George Dandin Monsieur mon beau−père, je vous conjure... @@ -37136,7 +37136,7 @@ Ce mot me ferme la bouche, et vous avez sur moi une puissance absolue. Claudine Quelle douceur ! Angélique -Il est fâcheux d'être contrainte d'oublier de telles injures ; mais quelle violence que je me fasse, c'est à mo +Il est fâcheux d'être contrainte d'oublier de telles injures ; mais quelle violence que je me fasse, c'est à moi de vous obéir. Claudine Pauvre mouton ! @@ -37167,18 +37167,18 @@ George Dandin Monsieur De Sotenville Prenez−y garde, et sachez que c'est ici la dernière de vos impertinences que nous souffrirons. Madame De Sotenville -Jour de Dieu ! si vous y retournez, on vous apprendra le respect que vous devez à votre femme, et à ceux +Jour de Dieu ! si vous y retournez, on vous apprendra le respect que vous devez à votre femme, et à ceux de qui elle sort. Monsieur De Sotenville Voilà le jour qui va paroître. Rentrez chez vous, et songez bien à être sage. Et nous, mamour, allons nous mettre au lit. Scène VIII George Dandin -Ah ! je le quitte maintenant, et je n'y vois plus de remède ; lorsqu'on a, comme moi, épousé une méchant +Ah ! je le quitte maintenant, et je n'y vois plus de remède ; lorsqu'on a, comme moi, épousé une méchante femme, le meilleur parti qu'on puisse prendre, c'est de s'aller jeter dans l'eau la tête la première. L'Avare Comédie -Représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Palais−Royal le 9e du mois de septembre 1668 +Représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Palais−Royal le 9e du mois de septembre 1668 par la Troupe du Roi Personnages Harpagon, père de Cléante et d'Elise, et amoureux de Mariane. @@ -37199,7 +37199,7 @@ Acte I Scène I Valère, Elise Valère -Hé quoi ? charmante Elise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez e +Hé quoi ? charmante Elise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi ? Je vous vois soupirer, hélas ! au milieu de ma joie ! Est−ce du regret, dites−moi, de m'avoir fait heureux, et vous repentez−vous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre ? @@ -37210,24 +37210,24 @@ vrai, le succès me donne de l'inquiétude ; et je crains fort de vous aimer un Valère Hé ! que pouvez−vous craindre, Elise, dans les bontés que vous avez pour moi ? Elise -Hélas ! cent choses à la fois : l'emportement d'un père, les reproches d'une famille, les censures du mond -mais plus que tout, Valère, le changement de votre coeur, et cette froideur criminelle dont ceux de votre s +Hélas ! cent choses à la fois : l'emportement d'un père, les reproches d'une famille, les censures du monde ; +mais plus que tout, Valère, le changement de votre coeur, et cette froideur criminelle dont ceux de votre sexe payent le plus souvent les témoignages trop ardents d'une innocente amour. Valère Ah ! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres. Soupçonnez−moi de tout, Elise, plutôt que de -manquer à ce que je vous dois : je vous aime trop pour cela, et mon amour pour vous durera autant que m +manquer à ce que je vous dois : je vous aime trop pour cela, et mon amour pour vous durera autant que ma vie. Elise -Ah ! Valère, chacun tient les mêmes discours. Tous les hommes sont semblables par les paroles ; et ce n +Ah ! Valère, chacun tient les mêmes discours. Tous les hommes sont semblables par les paroles ; et ce n'est que les actions qui les découvrent différents. Valère. -Puisque les seules actions font connoître ce que nous sommes, attendez donc au moins à juger de mon coe +Puisque les seules actions font connoître ce que nous sommes, attendez donc au moins à juger de mon coeur par elles, et ne me cherchez point des crimes dans les injustes craintes d'une fâcheuse prévoyance. Ne -m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupçon outrageux, et donnez−moi le temps +m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupçon outrageux, et donnez−moi le temps de vous convaincre, par mille et mille preuves, de l'honnêteté de mes feux. Elise Hélas ! qu'avec facilité on se laisse persuader par les personnes que l'on aime ! Oui, Valère, je tiens votre -coeur incapable de m'abuser. Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, et que vous me serez fidèle +coeur incapable de m'abuser. Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, et que vous me serez fidèle ; je n'en veux point du tout douter, et je retranche mon chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner. Valère @@ -37236,42 +37236,42 @@ Elise Je n'aurois rien à craindre, si tout le monde vous voyoit des yeux dont je vous vois, et je trouve en votre personne de quoi avoir raison aux choses que je fais pour vous. Mon coeur, pour sa défense, a tout votre mérite, appuyé du secours d'une reconnoissance où le Ciel m'engage envers vous. Je me représente à toute -heure ce péril étonnant qui commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cette générosité surprena -qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse -vous me fîtes éclater après m'avoir tirée de l'eau, et les hommages assidus de cet ardent amour que ni le te +heure ce péril étonnant qui commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cette générosité surprenante +qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse que +vous me fîtes éclater après m'avoir tirée de l'eau, et les hommages assidus de cet ardent amour que ni le temps ni les difficultés n'ont rebuté, et qui, vous faisant négliger et parents et patrie, arrête vos pas en ces lieux, y tient en ma faveur votre fortune déguisée, et vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l'emploi de domestique de mon père. Tout cela fait chez moi sans doute un merveilleux effet ; et c'en est assez à mes -yeux pour me justifier l'engagement où j'ai pu consentir ; mais ce n'est pas assez peut−être pour le justifie +yeux pour me justifier l'engagement où j'ai pu consentir ; mais ce n'est pas assez peut−être pour le justifier aux autres, et je ne suis pas sûre qu'on entre dans mes sentiments. Valère -De tout ce que vous avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je prétends auprès de vous mériter quel +De tout ce que vous avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je prétends auprès de vous mériter quelque chose ; et quant aux scrupules que vous avez, votre père lui−même ne prend que trop de soin de vous justifier à tout le monde ; et l'excès de son avarice, et la manière austère dont il vit avec ses enfants pourroient autoriser des choses plus étranges. Pardonnez−moi, charmante Elise, si j'en parle ainsi devant -vous. Vous savez que sur ce chapitre on n'en peut pas dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l'espè +vous. Vous savez que sur ce chapitre on n'en peut pas dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l'espère, retrouver mes parents, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous le rendre favorable. J'en attends des nouvelles avec impatience, et j'en irai chercher moi−même, si elles tardent à venir. Elise -Ah ! Valère, ne bougez d'ici, je vous prie ; et songez seulement à vous bien mettre dans l'esprit de mon p +Ah ! Valère, ne bougez d'ici, je vous prie ; et songez seulement à vous bien mettre dans l'esprit de mon père. Valère Vous voyez comme je m'y prends, et les adroites complaisances qu'il m'a fallu mettre en usage pour -m'introduire à son service ; sous quel masque de sympathie et de rapports de sentiments je me déguise po -lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afin d'acquérir sa tendresse. J'y fais des progrè -admirables ; et j'éprouve que pour gagner les hommes, il n'est point de meilleure voie que de se parer à le -yeux de leurs inclinations, que de donner dans leurs maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce qu -font. On n'a que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance ; et la manière dont on les joue a beau -visible, les plus fins toujours sont de grandes dupes du côté de la flatterie ; et il n'y a rien de si impertinen -de si ridicule qu'on ne fasse avaler lorsqu'on l'assaisonne en louange. La sincérité souffre un peu au métie +m'introduire à son service ; sous quel masque de sympathie et de rapports de sentiments je me déguise pour +lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afin d'acquérir sa tendresse. J'y fais des progrès +admirables ; et j'éprouve que pour gagner les hommes, il n'est point de meilleure voie que de se parer à leurs +yeux de leurs inclinations, que de donner dans leurs maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce qu'ils +font. On n'a que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance ; et la manière dont on les joue a beau être +visible, les plus fins toujours sont de grandes dupes du côté de la flatterie ; et il n'y a rien de si impertinent et +de si ridicule qu'on ne fasse avaler lorsqu'on l'assaisonne en louange. La sincérité souffre un peu au métier que je fais ; mais quand on a besoin des hommes, il faut bien s'ajuster à eux ; et puisqu'on ne sauroit les gagner que par là, ce n'est pas la faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être flattés. Elise -Mais que ne tâchez−vous aussi à gagner l'appui de mon frère, en cas que la servante s'avisât de révéler no +Mais que ne tâchez−vous aussi à gagner l'appui de mon frère, en cas que la servante s'avisât de révéler notre secret ? Valère -On ne peut pas ménager l'un et l'autre ; et l'esprit du père et celui du fils sont des choses si opposées, qu'i +On ne peut pas ménager l'un et l'autre ; et l'esprit du père et celui du fils sont des choses si opposées, qu'il est difficile d'accommoder ces deux confidences ensemble. Mais vous, de votre part, agissez auprès de votre -frère, et servez−vous de l'amitié qui est entre vous deux pour le jeter dans nos intérêts. Il vient, je me retir +frère, et servez−vous de l'amitié qui est entre vous deux pour le jeter dans nos intérêts. Il vient, je me retire. Prenez ce temps pour lui parler ; et ne lui découvrez de notre affaire que ce que vous jugerez à propos. Elise Je ne sais si j'aurai la force de lui faire cette confidence. @@ -37287,12 +37287,12 @@ Bien des choses, ma soeur, enveloppées dans un mot : j'aime. Elise Vous aimez ? Cléante -Oui, j'aime. Mais avant que d'aller plus loin, je sais que je dépends d'un père, et que le nom de fils me sou -à ses volontés ; que nous ne devons point engager notre foi sans le consentement de ceux dont nous tenon +Oui, j'aime. Mais avant que d'aller plus loin, je sais que je dépends d'un père, et que le nom de fils me soumet +à ses volontés ; que nous ne devons point engager notre foi sans le consentement de ceux dont nous tenons le jour ; que le Ciel les a fait les maîtres de nos voeux, et qu'il nous est enjoint de n'en disposer que par leur -conduite ; que n'étant prévenus d'aucune folle ardeur, ils sont en état de se tromper bien moins que nous, -de voir beaucoup mieux ce qui nous est propre ; qu'il en faut plutôt croire les lumières de leur prudence q -l'aveuglement de notre passion ; et que l'emportement de la jeunesse nous entraîne le plus souvent dans d +conduite ; que n'étant prévenus d'aucune folle ardeur, ils sont en état de se tromper bien moins que nous, et +de voir beaucoup mieux ce qui nous est propre ; qu'il en faut plutôt croire les lumières de leur prudence que +l'aveuglement de notre passion ; et que l'emportement de la jeunesse nous entraîne le plus souvent dans des précipices fâcheux. Je vous dis tout cela, ma soeur, afin que vous ne vous donniez pas la peine de me le dire ; car enfin mon amour ne veut rien écouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances. Elise @@ -37306,7 +37306,7 @@ Cléante Non, ma soeur ; mais vous n'aimez pas : vous ignorez la douce violence qu'un tendre amour fait sur nos coeurs, et j'appréhende votre sagesse. Elise -Hélas ! mon frère, ne parlons point de ma sagesse. Il n'est personne qui n'en manque, du moins une fois e +Hélas ! mon frère, ne parlons point de ma sagesse. Il n'est personne qui n'en manque, du moins une fois en sa vie ! et si je vous ouvre mon coeur, peut−être serai−je à vos yeux bien moins sage que vous. Cléante Ah ! plût au Ciel que votre âme, comme la mienne... @@ -37314,20 +37314,20 @@ Elise Finissons auparavant votre affaire, et me dites qui est celle que vous aimez. Cléante Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quartiers, et qui semble être faite pour donner de l'amour à -tous ceux qui la voient. La nature, ma soeur, n'a rien formé de plus aimable ; et je me sentis transporté dè +tous ceux qui la voient. La nature, ma soeur, n'a rien formé de plus aimable ; et je me sentis transporté dès le moment que je la vis. Elle se nomme Mariane, et vit sous la conduite d'une bonne femme de mère, qui est -presque toujours malade, et pour qui cette aimable fille a des sentiments d'amitié qui ne sont pas imaginab -Elle la sert, la plaint, et la console avec une tendresse qui vous toucheroit l'âme. Elle se prend d'un air le p -charmant du monde aux choses qu'elle fait, et l'on voit briller mille grâces en toutes ses actions : une dou -pleine d'attraits, une bonté toute engageante, une honnêteté adorable, une... Ah ! ma soeur, je voudrois qu +presque toujours malade, et pour qui cette aimable fille a des sentiments d'amitié qui ne sont pas imaginables. +Elle la sert, la plaint, et la console avec une tendresse qui vous toucheroit l'âme. Elle se prend d'un air le plus +charmant du monde aux choses qu'elle fait, et l'on voit briller mille grâces en toutes ses actions : une douceur +pleine d'attraits, une bonté toute engageante, une honnêteté adorable, une... Ah ! ma soeur, je voudrois que vous l'eussiez vue. Elise -J'en vois beaucoup, mon frère, dans les choses que vous me dites ; et pour comprendre ce qu'elle est, il m +J'en vois beaucoup, mon frère, dans les choses que vous me dites ; et pour comprendre ce qu'elle est, il me suffit que vous l'aimez. Cléante -J'ai découvert sous main qu'elles ne sont pas fort accommodées, et que leur discrète conduite a de la peine -étendre à tous leurs besoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez−vous, ma soeur, quelle joie ce peut êtr -que de relever la fortune d'une personne que l'on aime ; que de donner adroitement quelques petits secour +J'ai découvert sous main qu'elles ne sont pas fort accommodées, et que leur discrète conduite a de la peine à +étendre à tous leurs besoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez−vous, ma soeur, quelle joie ce peut être +que de relever la fortune d'une personne que l'on aime ; que de donner adroitement quelques petits secours aux modestes nécessités d'une vertueuse famille ; et concevez quel déplaisir ce m'est de voir que, par l'avarice d'un père, je sois dans l'impuissance de goûter cette joie, et de faire éclater à cette belle aucun témoignage de mon amour. @@ -37336,25 +37336,25 @@ Oui, je conçois assez, mon frère, quel doit être votre chagrin. Cléante Ah ! ma soeur, il est plus grand qu'on ne peut croire. Car enfin peut−on rien voir de plus cruel que cette rigoureuse épargne qu'on exerce sur nous, que cette sécheresse étrange où l'on nous fait languir ? Et que -nous servira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d +nous servira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d'en jouir, et si pour m'entretenir même, il faut que maintenant je m'engage de tous côtés, si je suis réduit avec vous à chercher tous les jours le secours des marchands, pour avoir moyen de porter des habits -raisonnables ? Enfin j'ai voulu vous parler, pour m'aider à sonder mon père sur les sentiments où je suis ; -si je l'y trouve contraire, j'ai résolu d'aller en d'autres lieux, avec cette aimable personne, jouir de la fortun +raisonnables ? Enfin j'ai voulu vous parler, pour m'aider à sonder mon père sur les sentiments où je suis ; et +si je l'y trouve contraire, j'ai résolu d'aller en d'autres lieux, avec cette aimable personne, jouir de la fortune que le Ciel voudra nous offrir. Je fais chercher partout pour ce dessein de l'argent à emprunter ; et si vos -affaires, ma soeur, sont semblables aux miennes, et qu'il faille que notre père s'oppose à nos desirs, nous l -quitterons là tous deux et nous affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis si longtemps son avari +affaires, ma soeur, sont semblables aux miennes, et qu'il faille que notre père s'oppose à nos desirs, nous le +quitterons là tous deux et nous affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis si longtemps son avarice insupportable. Elise -Il est bien vrai que, tous les jours, il nous donne de plus en plus sujet de regretter la mort de notre mère, e +Il est bien vrai que, tous les jours, il nous donne de plus en plus sujet de regretter la mort de notre mère, et que... Cléante -J'entends sa voix. Eloignons−nous un peu, pour nous achever notre confidence ; et nous joindrons après n +J'entends sa voix. Eloignons−nous un peu, pour nous achever notre confidence ; et nous joindrons après nos forces pour venir attaquer la dureté de son humeur. Scène III Harpagon, La Flèche Harpagon -Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas. Allons, que l'on détale de chez moi, maître juré filou, vr +Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas. Allons, que l'on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence. La Flèche Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard et je pense, sauf correction, qu'il a le diable au @@ -37372,9 +37372,9 @@ Tu m'as fait que je veux que tu sortes. La Flèche Mon maître, votre fils, m'a donné ordre de l'attendre. Harpagon -Va−t'en l'attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à observ +Va−t'en l'attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes -affaires, un traître, dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et fure +affaires, un traître, dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furettent de tous côtés pour voir s'il n'y a rien à voler. La Flèche Comment diantre voulez−vous qu'on fasse pour vous voler ? Etes−vous un homme volable, quand vous @@ -37386,12 +37386,12 @@ argent. Ne serois−tu point homme à aller faire courir le bruit que j'ai chez La Flèche Vous avez de l'argent caché ? Harpagon -Non, coquin, je ne dis pas cela. (A part.) J'enrage. Je demande si malicieusement tu n'irois point faire cou +Non, coquin, je ne dis pas cela. (A part.) J'enrage. Je demande si malicieusement tu n'irois point faire courir le bruit que j'en ai. La Flèche Hé ! que nous importe que vous en ayez ou que vous n'en ayez pas, si c'est pour nous la même chose ? Harpagon -Tu fais le raisonneur. Je te baillerai de ce raisonnement−ci par les oreilles. (Il lève la main pour lui donner +Tu fais le raisonneur. Je te baillerai de ce raisonnement−ci par les oreilles. (Il lève la main pour lui donner un soufflet.) Sors d'ici, encore une fois. La Flèche Hé bien ! je sors. @@ -37416,7 +37416,7 @@ N'as−tu rien mis ici dedans ? La Flèche Voyez vous−même. Harpagon. (Il tâte le bas de ses chausses.) -Ces grands hauts−de−chausses sont propres à devenir les receleurs des choses qu'on dérobe ; et je voudro +Ces grands hauts−de−chausses sont propres à devenir les receleurs des choses qu'on dérobe ; et je voudrois qu'on en eût fait pendre quelqu'un. La Flèche Ah ! qu'un homme comme cela mériteroit bien ce qu'il craint ! et que j'aurois de joie à le voler ! @@ -37498,19 +37498,19 @@ Adieu : va−t'en à tous les diables. La Flèche Me voilà fort bien congédié. Harpagon -Je te le mets sur ta conscience, au moins. Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort, et je ne me pla +Je te le mets sur ta conscience, au moins. Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort, et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux−là. Scène IV Elise, Cléante, Harpagon Harpagon -Certes ce n'est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d'argent ; et bienheureux qu +Certes ce n'est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d'argent ; et bienheureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve seulement que ce qu'il faut pour sa dépense. On n'est pas peu embarrassé à inventer dans toute une maison une cache fidèle ; car pour moi, les coffres−forts me sont -suspects, et je ne veux jamais m'y fier ; je les tiens justement une franche amorce à voleurs, et c'est toujou -la première chose que l'on va attaquer. Cependant je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré dans mon ja +suspects, et je ne veux jamais m'y fier ; je les tiens justement une franche amorce à voleurs, et c'est toujours +la première chose que l'on va attaquer. Cependant je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré dans mon jardin dix mille écus qu'on me rendit hier. Dix mille écus en or chez soi est une somme assez... (Ici le frère et la soeur paraissent s'entretenant bas.) -O Ciel ! je me serai trahi moi−même : la chaleur m'aura emporté, et je crois que j'ai parlé haut en raisonn +O Ciel ! je me serai trahi moi−même : la chaleur m'aura emporté, et je crois que j'ai parlé haut en raisonnant tout seul. Qu'est−ce ? Cléante Rien, mon père. @@ -37535,12 +37535,12 @@ Si fait, si fait. Elise Pardonnez−moi. Harpagon -Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C'est que je m'entretenois en moi−même de la peine qu' +Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C'est que je m'entretenois en moi−même de la peine qu'il y a aujourd'hui à trouver de l'argent, et je disois qu'il est bienheureux qui peut avoir dix mille écus chez soi. Cléante Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre. Harpagon -Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n'alliez pas prendre les choses de travers et vous imagine +Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n'alliez pas prendre les choses de travers et vous imaginer que je dise que c'est moi qui ai dix mille écus. Cléante Nous n'entrons point dans vos affaires. @@ -37574,29 +37574,29 @@ Cela est étrange, que mes propres enfants me trahissent et deviennent mes ennem Cléante Est−ce être votre ennemi, que de dire que vous avez du bien ! Harpagon -Oui : de pareils discours et les dépenses que vous faites seront cause qu'un de ces jours on me viendra ch +Oui : de pareils discours et les dépenses que vous faites seront cause qu'un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles. Cléante Quelle grande dépense est−ce que je fais ? Harpagon Quelle ? Est−il rien de plus scandaleux que ce somptueux équipage que vous promenez par la ville ? Je querellois hier votre soeur ; mais c'est encore pis. Voilà qui crie vengeance au Ciel ; et à vous prendre -depuis les pieds jusqu'à la tête, il y auroit là de quoi faire une bonne constitution. Je vous l'ai dit vingt fois -mon fils, toutes vos manières me déplaisent fort : vous donnez furieusement dans le marquis ; et pour all +depuis les pieds jusqu'à la tête, il y auroit là de quoi faire une bonne constitution. Je vous l'ai dit vingt fois, +mon fils, toutes vos manières me déplaisent fort : vous donnez furieusement dans le marquis ; et pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez. Cléante Hé ! comment vous dérober ? Harpagon Que sais−je ? Où pouvez−vous donc prendre de quoi entretenir l'état que vous portez ? Cléante -Moi, mon père ? C'est que je joue ; et comme je suis fort heureux, je mets sur moi tout l'argent que je ga +Moi, mon père ? C'est que je joue ; et comme je suis fort heureux, je mets sur moi tout l'argent que je gagne. Harpagon -C'est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez profiter, et mettre à l'honnête intérêt l'arge -que vous gagnez afin de le trouver un jour. Je voudrois bien savoir, sans parler du reste, à quoi servent tou +C'est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez profiter, et mettre à l'honnête intérêt l'argent +que vous gagnez afin de le trouver un jour. Je voudrois bien savoir, sans parler du reste, à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé depuis les pieds jusqu'à la tête, et si une demi−douzaine d'aiguillettes ne -suffit pas pour attacher un haut−de−chausses ? Il est bien nécessaire d'employer de l'argent à des perruqu -lorsque l'on peut porter des cheveux de son cru, qui ne coûtent rien. Je vais gager qu'en perruques et ruban -y a du moins vingt pistoles ; et vingt pistoles rapportent par année dix−huit livres six sols huit deniers, à n +suffit pas pour attacher un haut−de−chausses ? Il est bien nécessaire d'employer de l'argent à des perruques, +lorsque l'on peut porter des cheveux de son cru, qui ne coûtent rien. Je vais gager qu'en perruques et rubans, il +y a du moins vingt pistoles ; et vingt pistoles rapportent par année dix−huit livres six sols huit deniers, à ne les placer qu'au denier douze. Cléante Vous avez raison. @@ -37617,11 +37617,11 @@ Ah ! mon père ! Harpagon Pourquoi ce cri ? Est−ce le mot, ma fille, ou la chose, qui vous fait peur ? Cléante -Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la façon que vous pouvez l'entendre ; et nous craignons q +Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la façon que vous pouvez l'entendre ; et nous craignons que nos sentiments ne soient pas d'accord avec votre choix. Harpagon -Un peu de patience. Ne vous alarmez point. Je sais ce qu'il faut à tous deux ; et vous n'aurez ni l'un ni l'au -aucun lieu de vous plaindre de tout ce que je prétends faire. Et pour commencer par un bout : avez−vous +Un peu de patience. Ne vous alarmez point. Je sais ce qu'il faut à tous deux ; et vous n'aurez ni l'un ni l'autre +aucun lieu de vous plaindre de tout ce que je prétends faire. Et pour commencer par un bout : avez−vous vu, dites−moi, une jeune personne appelée Mariane, qui ne loge pas loin d'ici ? Cléante Oui, mon père. @@ -37658,7 +37658,7 @@ Et qu'un mari auroit satisfaction avec elle ? Cléante Assurément. Harpagon -Il y a une petite difficulté : c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas avec elle tout le bien qu'on pourroit prétendr +Il y a une petite difficulté : c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas avec elle tout le bien qu'on pourroit prétendre. Cléante Ah ! mon père, le bien n'est pas considérable, lorsqu'il est question d'épouser une honnête personne. Harpagon @@ -37685,7 +37685,7 @@ Cléante Il m'a pris tout à coup un éblouissement, et je me retire d'ici. Harpagon Cela ne sera rien. Allez vite boire dans la cuisine un grand verre d'eau claire. Voilà de mes damoiseaux -flouets, qui n'ont non plus de vigueur que des poules. C'est là, ma fille, ce que j'ai résolu pour moi. Quant +flouets, qui n'ont non plus de vigueur que des poules. C'est là, ma fille, ce que j'ai résolu pour moi. Quant à ton frère, je lui destine une certaine veuve dont ce matin on m'est venu parler ; et pour toi, je te donne au seigneur Anselme. Elise @@ -37727,7 +37727,7 @@ C'est une chose où je te réduirai. Elise Je me tuerai plutôt que d'épouser un tel mari. Harpagon -Tu ne te tueras point, et tu l'épouseras. Mais voyez quelle audace ! A−t−on jamais vu une fille parler de l +Tu ne te tueras point, et tu l'épouseras. Mais voyez quelle audace ! A−t−on jamais vu une fille parler de la sorte à son père ? Elise Mais a−t−on jamais vu un père marier sa fille de la sorte ? @@ -37756,7 +37756,7 @@ Sais−tu bien de quoi nous parlons ? Valère Non, mais vous ne sauriez avoir tort, et vous êtes toute raison. Harpagon -Je veux ce soir lui donner pour époux un homme aussi riche que sage ; et la coquine me dit au nez qu'elle +Je veux ce soir lui donner pour époux un homme aussi riche que sage ; et la coquine me dit au nez qu'elle se moque de le prendre. Que dis−tu de cela ? Valère Ce que j'en dis ? @@ -37767,17 +37767,17 @@ Eh, eh. Harpagon Quoi ? Valère -Je dis que dans le fond je suis de votre sentiment ; et vous ne pouvez pas que vous n'ayez raison. Mais au +Je dis que dans le fond je suis de votre sentiment ; et vous ne pouvez pas que vous n'ayez raison. Mais aussi n'a−t−elle pas tort tout à fait, et... Harpagon -Comment ? le seigneur Anselme est un parti considérable, c'est un gentilhomme qui est noble, doux, posé +Comment ? le seigneur Anselme est un parti considérable, c'est un gentilhomme qui est noble, doux, posé, sage, et fort accommodé, et auquel il ne reste aucun enfant de son premier mariage. Sauroit−elle mieux rencontrer ? Valère Cela est vrai. Mais elle pourroit vous dire que c'est un peu précipiter les choses, et qu'il faudroit au moins quelque temps pour voir si son inclination pourra s'accommoder avec... Harpagon -C'est une occasion qu'il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici un avantage qu'ailleurs je ne trouvero +C'est une occasion qu'il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici un avantage qu'ailleurs je ne trouverois pas, et il s'engage à la prendre sans dot. Valère Sans dot ? @@ -37795,30 +37795,30 @@ précautions. Harpagon Sans dot. Valère -Vous avez raison : voilà qui décide tout, cela s'entend. Il y a des gens qui pourroient vous dire qu'en de te -occasions l'inclination d'une fille est une chose sans doute où l'on doit avoir de l'égard ; et que cette grand +Vous avez raison : voilà qui décide tout, cela s'entend. Il y a des gens qui pourroient vous dire qu'en de telles +occasions l'inclination d'une fille est une chose sans doute où l'on doit avoir de l'égard ; et que cette grande inégalité d'âge, d'humeur et de sentiments, rend un mariage sujet à des accidents très−fâcheux. Harpagon Sans dot. Valère -Ah ! il n'y a pas de réplique à cela : on le sait bien ; qui diantre peut aller là contre ? Ce n'est pas qu'il n -ait quantité de pères qui aimeroient mieux ménager la satisfaction de leurs filles que l'argent qu'ils pourro -donner ; qui ne les voudroient point sacrifier à l'intérêt, et chercheroient plus que toute autre chose à mett -dans un mariage cette douce conformité qui sans cesse y maintient l'honneur, la tranquillité et la joie, et q +Ah ! il n'y a pas de réplique à cela : on le sait bien ; qui diantre peut aller là contre ? Ce n'est pas qu'il n'y +ait quantité de pères qui aimeroient mieux ménager la satisfaction de leurs filles que l'argent qu'ils pourroient +donner ; qui ne les voudroient point sacrifier à l'intérêt, et chercheroient plus que toute autre chose à mettre +dans un mariage cette douce conformité qui sans cesse y maintient l'honneur, la tranquillité et la joie, et que... Harpagon Sans dot. Valère Il est vrai : cela ferme la bouche à tout, sans dot. Le moyen de résister à une raison comme celle−là ? Harpagon. Il regarde vers le jardin. -Ouais ! il me semble que j'entends un chien qui aboie. N'est−ce point qu'on en voudroit à mon argent ? N +Ouais ! il me semble que j'entends un chien qui aboie. N'est−ce point qu'on en voudroit à mon argent ? Ne bougez, je reviens tout à l'heure. Elise Vous moquez−vous, Valère, de lui parler comme vous faites ? Valère -C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir mieux à bout. Heurter de front ses sentiments est le moyen de +C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir mieux à bout. Heurter de front ses sentiments est le moyen de tout gâter ; et il y a de certains esprits qu'il ne faut prendre qu'en biaisant, des tempéraments ennemis de toute -résistance, des naturels rétifs, que la vérité fait cabrer, qui toujours se roidissent contre le droit chemin de -raison, et qu'on ne mène qu'en tournant où l'on veut les conduire. Faites semblant de consentir à ce qu'il v +résistance, des naturels rétifs, que la vérité fait cabrer, qui toujours se roidissent contre le droit chemin de la +raison, et qu'on ne mène qu'en tournant où l'on veut les conduire. Faites semblant de consentir à ce qu'il veut, vous en viendrez mieux à vos fins, et... Elise Mais ce mariage, Valère ? @@ -37831,24 +37831,24 @@ Il faut demander un délai, et feindre quelque maladie. Elise Mais on découvrira la feinte, si l'on appelle des médecins. Valère -Vous moquez−vous ? Y connoissent−ils quelque chose ? Allez, allez, vous pourrez avec eux avoir quel m +Vous moquez−vous ? Y connoissent−ils quelque chose ? Allez, allez, vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira, ils vous trouveront des raisons pour vous dire d'où cela vient. Harpagon Ce n'est rien, Dieu merci. Valère Enfin notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à couvert de tout ; et si votre amour, belle -Elise, est capable d'une fermeté... (Il aperçoit Harpagon.) Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne -point qu'elle regarde comme un mari est fait, et lorsque la grande raison de sans dot s'y rencontre, elle doi +Elise, est capable d'une fermeté... (Il aperçoit Harpagon.) Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut +point qu'elle regarde comme un mari est fait, et lorsque la grande raison de sans dot s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui donne. Harpagon Bon. Voilà bien parlé, cela. Valère -Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu et prends la hardiesse de lui parler comme je f +Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu et prends la hardiesse de lui parler comme je fais. Harpagon Comment ? j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un pouvoir absolu. Oui, tu as beau fuir. Je lui donne l'autorité que le Ciel me donne sur toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira. Valère -Après cela, résistez à mes remontrances. Monsieur, je vais la suivre, pour lui continuer les leçons que je lu +Après cela, résistez à mes remontrances. Monsieur, je vais la suivre, pour lui continuer les leçons que je lui faisois. Harpagon Oui, tu m'obligeras. Certes... @@ -37862,7 +37862,7 @@ Harpagon Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout à l'heure. Valère Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et vous devez rendre grâces au Ciel de -l'honnête homme de père qu'il vous a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre +l'honnête homme de père qu'il vous a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là dedans, et sans dot tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse et de probité. Harpagon @@ -37873,17 +37873,17 @@ Cléante, la Flèche Cléante Ah ! traître que tu es, où t'es−tu donc allé fourrer ? Ne t'avois−je pas donné ordre... La Flèche -Oui, Monsieur, et je m'étois rendu ici pour vous attendre de pied ferme ; mais Monsieur votre père, le plu +Oui, Monsieur, et je m'étois rendu ici pour vous attendre de pied ferme ; mais Monsieur votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a chassé dehors malgré moi, et j'ai couru risque d'être battu. Cléante -Comment va notre affaire ? Les choses pressent plus que jamais ; et depuis que je ne t'ai vu, j'ai découve +Comment va notre affaire ? Les choses pressent plus que jamais ; et depuis que je ne t'ai vu, j'ai découvert que mon père est mon rival. La Flèche Votre père amoureux ? Cléante Oui ; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis. La Flèche -Lui se mêler d'aimer ! De quoi diable s'avise−t−il ? Se moque−t−il du monde ? Et l'amour a−t−il été fai +Lui se mêler d'aimer ! De quoi diable s'avise−t−il ? Se moque−t−il du monde ? Et l'amour a−t−il été fait pour des gens bâtis comme lui ? Cléante Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui soit venue en tête. @@ -37903,13 +37903,13 @@ qu'il a fait rage pour vous ; et il assure que votre seule physionomie lui a ga Cléante J'aurai les quinze mille francs que je demande ? La Flèche -Oui ; mais à quelques petites conditions, qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez dessein que les cho +Oui ; mais à quelques petites conditions, qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent. Cléante T'a−t−il fait parler à celui qui doit prêter l'argent ? La Flèche -Ah ! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il apporte encore plus de soin à se cacher que vous, et ce sont d -mystères bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom, et l'on doit aujourd +Ah ! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il apporte encore plus de soin à se cacher que vous, et ce sont des +mystères bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom, et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous, dans une maison empruntée, pour être instruit, par votre bouche, de votre bien et de votre famille ; et je ne doute point que le seul nom de votre père ne rende les choses faciles. Cléante @@ -37917,7 +37917,7 @@ Et principalement notre mère étant morte, dont on ne peut m'ôter le bien. La Flèche Voici quelques articles qu'il a dictés lui−même à notre entremetteur, pour vous être montrés, avant que de rien faire : -Supposé que le prêteur voie toutes ses sûretés, et que l'emprunteur soit majeur, et d'une famille où le bien +Supposé que le prêteur voie toutes ses sûretés, et que l'emprunteur soit majeur, et d'une famille où le bien soit ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras, on fera une bonne et exacte obligation par−devant un notaire, le plus honnête homme qu'il se pourra, et qui, pour cet effet, sera choisi par le prêteur, auquel il importe le plus que l'acte soit dûment dressé. @@ -37931,8 +37931,8 @@ Au denier dix−huit ? Parbleu ! voilà qui est honnête. Il n'y a pas lieu de La Flèche Cela est vrai. Mais comme ledit prêteur n'a pas chez lui la somme dont il est question, et que pour faire plaisir à -l'emprunteur, il est contraint lui−même de l'emprunter d'un autre, sur le pied du denier cinq, il conviendra -ledit premier emprunteur paye cet intérêt, sans préjudice du reste, attendu que ce n'est que pour l'obliger q +l'emprunteur, il est contraint lui−même de l'emprunter d'un autre, sur le pied du denier cinq, il conviendra que +ledit premier emprunteur paye cet intérêt, sans préjudice du reste, attendu que ce n'est que pour l'obliger que ledit prêteur s'engage à cet emprunt. Cléante Comment diable ! quel Juif, quel Arabe est−ce là ? C'est plus qu'au denier quatre. @@ -37946,15 +37946,15 @@ Cléante Il y a encore quelque chose ? La Flèche Ce n'est plus qu'un petit article. -Des quinze mille francs qu'on demande, le prêteur ne pourra compter en argent que douze mille livres, et +Des quinze mille francs qu'on demande, le prêteur ne pourra compter en argent que douze mille livres, et pour les mille écus restants, il faudra que l'emprunteur prenne les hardes, nippes, et bijoux dont s'ensuit le mémoire, et que ledit prêteur a mis, de bonne foi, au plus modique prix qu'il lui a été possible. Cléante Que veut dire cela ? La Flèche Ecoutez le mémoire. -Premièrement, un lit de quatre pieds, à bandes de points de Hongrie, appliqués fort proprement sur un dra -couleur d'olive, avec six chaises et la courte−pointe de même ; le tout bien conditionné, et doublé d'un pe +Premièrement, un lit de quatre pieds, à bandes de points de Hongrie, appliqués fort proprement sur un drap de +couleur d'olive, avec six chaises et la courte−pointe de même ; le tout bien conditionné, et doublé d'un petit taffetas changeant rouge et bleu. Plus, un pavillon à queue, d'une bonne serge d'Aumale rose−sèche, avec le mollet et les franges de soie. Cléante @@ -37962,7 +37962,7 @@ Que veut−il que je fasse de cela ? La Flèche Attendez. Plus, une tenture de tapisserie des amours de Gombaut et de Macée. -Plus, une grande table de bois de noyer, à douze colonnes ou piliers tournés, qui se tire par les deux bouts +Plus, une grande table de bois de noyer, à douze colonnes ou piliers tournés, qui se tire par les deux bouts, et garnie par le dessous de ses six escabelles. Cléante Qu'ai−je affaire, morbleu... ? @@ -37976,17 +37976,17 @@ J'enrage. La Flèche Doucement. Plus, un luth de Bologne, garni de toutes ses cordes, ou peu s'en faut. -Plus, un trou−madame, et un damier, avec un jeu de l'oie renouvelé des Grecs, fort propres à passer le tem +Plus, un trou−madame, et un damier, avec un jeu de l'oie renouvelé des Grecs, fort propres à passer le temps lorsque l'on n'a que faire. -Plus, une peau de lézard, de trois pieds et demi, remplie de foin, curiosité agréable pour pendre au planch +Plus, une peau de lézard, de trois pieds et demi, remplie de foin, curiosité agréable pour pendre au plancher d'une chambre. -Le tout, ci−dessus mentionné, valant loyalement plus de quatre mille cinq cents livres, et rabaissé à la val +Le tout, ci−dessus mentionné, valant loyalement plus de quatre mille cinq cents livres, et rabaissé à la valeur de mille écus, par la discrétion du prêteur. Cléante Que la peste l'étouffe avec sa discrétion, le traître, le bourreau qu'il est ! A−t−on jamais parlé d'une usure semblable ? Et n'est−il pas content du furieux intérêt qu'il exige, sans vouloir encore m'obliger à prendre, pour trois mille livres, les vieux rogatons qu'il ramasse ? Je n'aurai pas deux cents écus de tout cela ; et -cependant il faut bien me résoudre à consentir à ce qu'il veut, car il est en état de me faire tout accepter, et +cependant il faut bien me résoudre à consentir à ce qu'il veut, car il est en état de me faire tout accepter, et il me tient, le scélérat, le poignard sur la gorge. La Flèche Je vous vois, Monsieur, ne vous en déplaise, dans le grand chemin justement que tenoit Panurge pour se @@ -37995,10 +37995,10 @@ Cléante Que veux−tu que j'y fasse ? Voilà où les jeunes gens sont réduits par la maudite avarice des pères ; et on s'étonne après cela que les fils souhaitent qu'ils meurent. La Flèche -Il faut avouer que le vôtre animeroit contre sa vilanie le plus posé homme du monde. Je n'ai pas, Dieu me +Il faut avouer que le vôtre animeroit contre sa vilanie le plus posé homme du monde. Je n'ai pas, Dieu merci, les inclinations fort patibulaires ; et parmi mes confrères que je vois se mêler de beaucoup de petits -commerces, je sais tirer adroitement mon épingle du jeu, et me démêler prudemment de toutes les galante -qui sentent tant soit peu l'échelle ; mais, à vous dire vrai, il me donneroit, par ses procédés, des tentations +commerces, je sais tirer adroitement mon épingle du jeu, et me démêler prudemment de toutes les galanteries +qui sentent tant soit peu l'échelle ; mais, à vous dire vrai, il me donneroit, par ses procédés, des tentations de le voler ; et je croirois, en le volant, faire une action méritoire. Cléante Donne−moi un peu ce mémoire, que je le voie encore. @@ -38008,12 +38008,12 @@ Maître Simon Oui, Monsieur, c'est un jeune homme qui a besoin d'argent. Ses affaires le pressent d'en trouver, et il en passera par tout ce que vous en prescrirez. Harpagon -Mais croyez−vous, maître Simon, qu'il n'y ait rien à péricliter ? et savez−vous le nom, les biens et la fam +Mais croyez−vous, maître Simon, qu'il n'y ait rien à péricliter ? et savez−vous le nom, les biens et la famille de celui pour qui vous parlez ? Maître Simon -Non, je ne puis pas bien vous en instruire à fond, et ce n'est que par aventure que l'on m'a adressé à lui ; m -vous serez de toutes choses éclairci par lui−même ; et son homme m'a assuré que vous serez content, qua -vous le connoîtrez. Tout ce que je saurois vous dire, c'est que sa famille est fort riche, qu'il n'a plus de mè +Non, je ne puis pas bien vous en instruire à fond, et ce n'est que par aventure que l'on m'a adressé à lui ; mais +vous serez de toutes choses éclairci par lui−même ; et son homme m'a assuré que vous serez content, quand +vous le connoîtrez. Tout ce que je saurois vous dire, c'est que sa famille est fort riche, qu'il n'a plus de mère déjà, et qu'il s'obligera, si vous voulez, que son père mourra avant qu'il soit huit mois. Harpagon C'est quelque chose que cela. La charité, maître Simon, nous oblige à faire plaisir aux personnes, lorsque @@ -38025,8 +38025,8 @@ Que veut dire ceci ? Notre maître Simon qui parle à votre père. Cléante Lui auroit−on appris qui je suis ? et serois−tu pour nous trahir ? Maître Simon -Ah ! ah ! vous êtes bien pressés ! Qui vous a dit que c'étoit céans ? Ce n'est pas moi, Monsieur, au moin -qui leur ai découvert votre nom et votre logis ; mais, à mon avis, il n'y a pas grand mal à cela. Ce sont de +Ah ! ah ! vous êtes bien pressés ! Qui vous a dit que c'étoit céans ? Ce n'est pas moi, Monsieur, au moins, +qui leur ai découvert votre nom et votre logis ; mais, à mon avis, il n'y a pas grand mal à cela. Ce sont des personnes discrètes, et vous pouvez ici vous expliquer ensemble. Harpagon Comment ? @@ -38046,7 +38046,7 @@ Cléante Osez−vous bien, après cela, vous présenter aux yeux du monde ? Harpagon N'as−tu point de honte, dis−moi, d'en venir à ces débauches−là ? de te précipiter dans des dépenses -effroyables ? et de faire une honteuse dissipation du bien que tes parents t'ont amassé avec tant de sueurs +effroyables ? et de faire une honteuse dissipation du bien que tes parents t'ont amassé avec tant de sueurs ? Cléante Ne rougissez−vous point de déshonorer votre condition par les commerces que vous faites ? de sacrifier gloire et réputation au desir insatiable d'entasser écu sur écu, et de renchérir, en fait d'intérêts, sur les plus @@ -38057,7 +38057,7 @@ Cléante Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achète un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que faire ? Harpagon -Retire−toi, te dis−je, et ne m'échauffe pas les oreilles. Je ne suis pas fâché de cette aventure ; et ce m'est u +Retire−toi, te dis−je, et ne m'échauffe pas les oreilles. Je ne suis pas fâché de cette aventure ; et ce m'est un avis de tenir l'oeil, plus que jamais, sur toutes ses actions. Scène III Frosine, Harpagon @@ -38075,33 +38075,33 @@ Hé ! c'est toi, mon pauvre La Flèche ? D'où vient cette rencontre ? La Flèche Ah ! ah ! c'est toi, Frosine. Que viens−tu faire ici ? Frosine -Ce que je fais partout ailleurs : m'entremettre d'affaires, me rendre serviable aux gens, et profiter du mieu -qu'il m'est possible des petits talents que je puis avoir. Tu sais que dans ce monde il faut vivre d'adresse, e +Ce que je fais partout ailleurs : m'entremettre d'affaires, me rendre serviable aux gens, et profiter du mieux +qu'il m'est possible des petits talents que je puis avoir. Tu sais que dans ce monde il faut vivre d'adresse, et qu'aux personnes comme moi le Ciel n'a donné d'autres rentes que l'intrigue et que l'industrie. La Flèche As−tu quelque négoce avec le patron du logis ? Frosine Oui, je traite pour lui quelque petite affaire, dont j'espère une récompense. La Flèche -De lui ? Ah, ma foi ! tu seras bien fine si tu en tires quelque chose ; et je te donne avis que l'argent céan +De lui ? Ah, ma foi ! tu seras bien fine si tu en tires quelque chose ; et je te donne avis que l'argent céans est fort cher. Frosine Il y a de certains services qui touchent merveilleusement. La Flèche -Je suis votre valet, et tu ne connois pas encore le seigneur Harpagon. Le seigneur Harpagon est de tous le -humains l'humain le moins humain, le mortel de tous les mortels le plus dur et le plus serré. Il n'est point d +Je suis votre valet, et tu ne connois pas encore le seigneur Harpagon. Le seigneur Harpagon est de tous les +humains l'humain le moins humain, le mortel de tous les mortels le plus dur et le plus serré. Il n'est point de service qui pousse sa reconnaissance jusqu'à lui faire ouvrir les mains. De la louange, de l'estime, de la -bienveillance en paroles et de l'amitié tant qu'il vous plaira ; mais de l'argent, point d'affaires. Il n'est rien +bienveillance en paroles et de l'amitié tant qu'il vous plaira ; mais de l'argent, point d'affaires. Il n'est rien de plus sec et de plus aride que ses bonnes grâces et ses caresses ; et donner est un mot pour qui il a tant d'aversion, qu'il ne dit jamais : Je vous donne, mais : Je vous prête le bon jour. Frosine Mon Dieu ! je sais l'art de traire les hommes, j'ai le secret de m'ouvrir leur tendresse, de chatouiller leurs coeurs, de trouver les endroits par où ils sont sensibles. La Flèche -Bagatelles ici. Je te défie d'attendrir, du côté de l'argent, l'homme dont il est question. Il est Turc là−dessu -mais d'une turquerie à désespérer tout le monde ; et l'on pourroit crever, qu'il n'en branleroit pas. En un m +Bagatelles ici. Je te défie d'attendrir, du côté de l'argent, l'homme dont il est question. Il est Turc là−dessus, +mais d'une turquerie à désespérer tout le monde ; et l'on pourroit crever, qu'il n'en branleroit pas. En un mot, il aime l'argent, plus que réputation, qu'honneur et que vertu ; et la vue d'un demandeur lui donne des -convulsions. C'est le frapper par son endroit mortel, c'est lui percer le coeur, c'est lui arracher les entraille +convulsions. C'est le frapper par son endroit mortel, c'est lui percer le coeur, c'est lui arracher les entrailles ; et si... Mais il revient ; je me retire. Scène V Harpagon, Frosine @@ -38121,7 +38121,7 @@ sont plus vieux que vous. Harpagon Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptés. Frosine -Hé bien ! qu'est−ce que cela, soixante ans ? Voilà bien de quoi ! C'est la fleur de l'âge cela, et vous entre +Hé bien ! qu'est−ce que cela, soixante ans ? Voilà bien de quoi ! C'est la fleur de l'âge cela, et vous entrez maintenant dans la belle saison de l'homme. Harpagon Il est vrai ; mais vingt années de moins pourtant ne me feroient point de mal, que je crois. @@ -38147,27 +38147,27 @@ Par ma foi ! je disois cent ans ; mais vous passerez les six−vingts. Harpagon Est−il possible ? Frosine -Il faudra vous assommer, vous dis−je ; et vous mettrez en terre et vos enfants, et les enfants de vos enfan +Il faudra vous assommer, vous dis−je ; et vous mettrez en terre et vos enfants, et les enfants de vos enfants. Harpagon Tant mieux. Comment va notre affaire ? Frosine -Faut−il le demander ? et me voit−on mêler de rien dont je ne vienne à bout ? J'ai surtout pour les mariag +Faut−il le demander ? et me voit−on mêler de rien dont je ne vienne à bout ? J'ai surtout pour les mariages un talent merveilleux ; il n'est point de partis au monde que je ne trouve en peu de temps le moyen d'accoupler ; et je crois, si je me l'étois mis en tête, que je marierois le Grand Turc avec la République de Venise. Il n'y avoit pas sans doute de si grandes difficultés à cette affaire−ci. Comme j'ai commerce chez -elles, je les ai à fond l'une et l'autre entretenues de vous, et j'ai dit à la mère le dessein que vous aviez conç +elles, je les ai à fond l'une et l'autre entretenues de vous, et j'ai dit à la mère le dessein que vous aviez conçu pour Mariane, à la voir passer dans la rue, et prendre l'air à sa fenêtre. Harpagon Qui a fait réponse... Frosine -Elle a reçu la proposition avec joie ; et quand je lui ai témoigné que vous souhaitiez fort que sa fille assis -ce soir au contrat de mariage qui se doit faire de la vôtre, elle y a consenti sans peine, et me l'a confiée po +Elle a reçu la proposition avec joie ; et quand je lui ai témoigné que vous souhaitiez fort que sa fille assistât +ce soir au contrat de mariage qui se doit faire de la vôtre, elle y a consenti sans peine, et me l'a confiée pour cela. Harpagon -C'est que je suis obligé, Frosine, de donner à souper au seigneur Anselme ; et je serais bien aise qu'elle so +C'est que je suis obligé, Frosine, de donner à souper au seigneur Anselme ; et je serais bien aise qu'elle soit du régale. Frosine -Vous avez raison. Elle doit après dîné rendre visite à votre fille, d'où elle fait son compte d'aller faire un t +Vous avez raison. Elle doit après dîné rendre visite à votre fille, d'où elle fait son compte d'aller faire un tour à la foire, pour venir ensuite au soupé. Harpagon Hé bien ! elles iront ensemble dans mon carrosse, que je leur prêterai. @@ -38175,95 +38175,95 @@ Frosine Voilà justement son affaire. Harpagon Mais, Frosine, as−tu entretenu la mère touchant le bien qu'elle peut donner à sa fille ? Lui as−tu dit qu'il -falloit qu'elle s'aidât un peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle se saignât pour une occasion comme celle−c +falloit qu'elle s'aidât un peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle se saignât pour une occasion comme celle−ci ? Car encore n'épouse−t−on point une fille, sans qu'elle apporte quelque chose. Frosine Comment ? c'est une fille qui vous apportera douze mille livres de rente. Harpagon Douze mille livres de rente ! Frosine -Oui. Premièrement, elle est nourrie et élevée dans une grande épargne de bouche ; c'est une fille accoutum +Oui. Premièrement, elle est nourrie et élevée dans une grande épargne de bouche ; c'est une fille accoutumée à vivre de salade, de lait, de fromage et de pommes, et à laquelle par conséquent il ne faudra ni table bien servie, ni consommés exquis, ni orges mondés perpétuels, ni les autres délicatesses qu'il faudroit pour une -autre femme ; et cela ne va pas à si peu de chose, qu'il ne monte bien, tous les ans, à trois mille francs po -moins. Outre cela, elle n'est curieuse que d'une propreté fort simple, et n'aime point les superbes habits, ni -riches bijoux, ni les meubles somptueux, où donnent ses pareilles avec tant de chaleur ; et cet article−là v -plus de quatre mille livres par an. De plus, elle a une aversion horrible pour le jeu, ce qui n'est pas commu +autre femme ; et cela ne va pas à si peu de chose, qu'il ne monte bien, tous les ans, à trois mille francs pour le +moins. Outre cela, elle n'est curieuse que d'une propreté fort simple, et n'aime point les superbes habits, ni les +riches bijoux, ni les meubles somptueux, où donnent ses pareilles avec tant de chaleur ; et cet article−là vaut +plus de quatre mille livres par an. De plus, elle a une aversion horrible pour le jeu, ce qui n'est pas commun aux femmes d'aujourd'hui ; et j'en sais une de nos quartiers qui a perdu, à trente−et−quarante, vingt mille -francs cette année. Mais n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au jeu par an, et quatre mille fra +francs cette année. Mais n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au jeu par an, et quatre mille francs en habits et bijoux, cela fait neuf mille livres ; et mille écus que nous mettons pour la nourriture, ne voilà−t−il pas par année vos douze mille francs bien comptés ? Harpagon Oui, cela n'est pas mal ; mais ce compte−là n'est rien de réel. Frosine -Pardonnez−moi. N'est−ce pas quelque chose de réel, que de vous apporter en mariage une grande sobriété -l'héritage d'un grand amour de simplicité de parure, et l'acquisition d'un grand fonds de haine pour le jeu ? +Pardonnez−moi. N'est−ce pas quelque chose de réel, que de vous apporter en mariage une grande sobriété, +l'héritage d'un grand amour de simplicité de parure, et l'acquisition d'un grand fonds de haine pour le jeu ? Harpagon -C'est une raillerie, que de vouloir me constituer son dot de toutes les dépenses qu'elle ne fera point. Je n'ir +C'est une raillerie, que de vouloir me constituer son dot de toutes les dépenses qu'elle ne fera point. Je n'irai pas donner quittance de ce que je ne reçois pas ; et il faut bien que je touche quelque chose. Frosine -Mon Dieu ! vous toucherez assez ; et elles m'ont parlé d'un certain pays où elles ont du bien dont vous se +Mon Dieu ! vous toucherez assez ; et elles m'ont parlé d'un certain pays où elles ont du bien dont vous serez le maître. Harpagon -Il faudra voir cela. Mais, Frosine, il y encore une chose qui m'inquiète. La fille est jeune, comme tu vois ; -les jeunes gens d'ordinaire n'aiment que leurs semblables, ne cherchent que leur compagnie. J'ai peur qu'u +Il faudra voir cela. Mais, Frosine, il y encore une chose qui m'inquiète. La fille est jeune, comme tu vois ; et +les jeunes gens d'ordinaire n'aiment que leurs semblables, ne cherchent que leur compagnie. J'ai peur qu'un homme de mon âge ne soit pas de son goût ; et que cela ne vienne à produire chez moi certains petits désordres qui ne m'accommoderoient pas. Frosine -Ah ! que vous la connoissez mal ! C'est encore une particularité que j'avois à vous dire. Elle a une aversi +Ah ! que vous la connoissez mal ! C'est encore une particularité que j'avois à vous dire. Elle a une aversion épouvantable pour tous les jeunes gens, et n'a de l'amour que pour les vieillards. Harpagon Elle ? Frosine Oui, elle. Je voudrois que vous l'eussiez entendu parler là−dessus. Elle ne peut souffrir du tout la vue d'un -jeune homme ; mais elle n'est point plus ravie, dit−elle, que lorsqu'elle peut voir un beau vieillard avec un -barbe majestueuse. Les plus vieux sont pour elle les plus charmants, et je vous avertis de n'aller pas vous -plus jeune que vous êtes. Elle veut tout au moins qu'on soit sexagénaire ; et il n'y a pas quatre mois encor +jeune homme ; mais elle n'est point plus ravie, dit−elle, que lorsqu'elle peut voir un beau vieillard avec une +barbe majestueuse. Les plus vieux sont pour elle les plus charmants, et je vous avertis de n'aller pas vous faire +plus jeune que vous êtes. Elle veut tout au moins qu'on soit sexagénaire ; et il n'y a pas quatre mois encore, qu'étant prête d'être mariée, elle rompit tout net le mariage, sur ce que son amant fit voir qu'il n'avoit que cinquante−six ans, et qu'il ne prit point de lunettes pour signer le contrat. Harpagon Sur cela seulement ? Frosine -Oui. Elle dit que ce n'est pas contentement pour elle que cinquante−six ans ; et surtout, elle est pour les n +Oui. Elle dit que ce n'est pas contentement pour elle que cinquante−six ans ; et surtout, elle est pour les nez qui portent des lunettes. Harpagon Certes, tu me dis là une chose toute nouvelle. Frosine Cela va plus loin qu'on ne vous peut dire. On lui voit dans sa chambre quelques tableaux et quelques estampes ; mais que pensez−vous que ce soit ? Des Adonis ? des Céphales ? des Pâris ? et des -Apollons ? Non : de beaux portraits de Saturne, du roi Priam, du vieux Nestor, et du bon père Anchise su +Apollons ? Non : de beaux portraits de Saturne, du roi Priam, du vieux Nestor, et du bon père Anchise sur les épaules de son fils. Harpagon Cela est admirable ! Voilà ce que je n'aurois jamais pensé ; et je suis bien aise d'apprendre qu'elle est de cette humeur. En effet, si j'avois été femme, je n'aurois point aimé les jeunes hommes. Frosine -Je le crois bien. Voilà de belles drogues que des jeunes gens, pour les aimer ! Ce sont de beaux morveux, +Je le crois bien. Voilà de belles drogues que des jeunes gens, pour les aimer ! Ce sont de beaux morveux, de beaux godelureaux, pour donner envie de leur peau ; et je voudrois bien savoir quel ragoût il y a à eux. Harpagon Pour moi, je n'y en comprends point ; et je ne sais pas comment il y a des femmes qui les aiment tant. Frosine -Il faut être folle fieffée. Trouver la jeunesse aimable ! est−ce avoir le sens commun ? Sont−ce des homm +Il faut être folle fieffée. Trouver la jeunesse aimable ! est−ce avoir le sens commun ? Sont−ce des hommes que de jeunes blondins ? et peut−on s'attacher à ces animaux−là ? Harpagon -C'est ce que je dis tous les jours : avec leur ton de poule laitée, et leurs trois petits brins de barbe relevés -barbe de chat, leurs perruques d'étoupes, leurs hauts−de−chausses tout tombants, et leurs estomacs débrai +C'est ce que je dis tous les jours : avec leur ton de poule laitée, et leurs trois petits brins de barbe relevés en +barbe de chat, leurs perruques d'étoupes, leurs hauts−de−chausses tout tombants, et leurs estomacs débraillés. Frosine -Eh ! cela est bien bâti, auprès d'une personne comme vous. Voilà un homme cela. Il y a là de quoi satisfa +Eh ! cela est bien bâti, auprès d'une personne comme vous. Voilà un homme cela. Il y a là de quoi satisfaire à la vue ; et c'est ainsi qu'il faut être fait, et vêtu, pour donner de l'amour. Harpagon Tu me trouves bien ? Frosine -Comment ? vous êtes à ravir, et votre figure est à peindre. Tournez−vous un peu, s'il vous plaît. Il ne se p -pas mieux. Que je vous voie marcher. Voilà un corps taillé, libre, et dégagé comme il faut, et qui ne marq +Comment ? vous êtes à ravir, et votre figure est à peindre. Tournez−vous un peu, s'il vous plaît. Il ne se peut +pas mieux. Que je vous voie marcher. Voilà un corps taillé, libre, et dégagé comme il faut, et qui ne marque aucune incommodité. Harpagon Je n'en ai pas de grandes, Dieu merci. Il n'y a que ma fluxion, qui me prend de temps en temps. Frosine Cela n'est rien. Votre fluxion ne vous sied point mal, et vous avez grâce à tousser. Harpagon -Dis−moi un peu : Mariane ne m'a−t−elle point encore vu ? N'a−t−elle point pris garde à moi en passant +Dis−moi un peu : Mariane ne m'a−t−elle point encore vu ? N'a−t−elle point pris garde à moi en passant ? Frosine -Non ; mais nous nous sommes fort entretenues de vous. Je lui ai fait un portrait de votre personne ; et je +Non ; mais nous nous sommes fort entretenues de vous. Je lui ai fait un portrait de votre personne ; et je n'ai pas manqué de lui vanter votre mérite, et l'avantage que ce lui seroit d'avoir un mari comme vous. Harpagon Tu as bien fait, et je t'en remercie. @@ -38271,21 +38271,21 @@ Frosine J'aurois, Monsieur, une petite prière à vous faire. (Il prend un air sévère.) J'ai un procès que je suis sur le point de perdre, faute d'un peu d'argent ; et vous pourriez facilement me procurer le gain de ce procès, si vous aviez quelque bonté pour moi. (Il reprend un air gai.) Vous ne sauriez croire le plaisir qu'elle aura de -vous voir. Ah ! que vous lui plairez ! et que votre fraise à l'antique fera sur son esprit un effet admirable -Mais surtout elle sera charmée de votre haut−de−chausses, attaché au pourpoint avec des aiguillettes ; c'e +vous voir. Ah ! que vous lui plairez ! et que votre fraise à l'antique fera sur son esprit un effet admirable ! +Mais surtout elle sera charmée de votre haut−de−chausses, attaché au pourpoint avec des aiguillettes ; c'est pour la rendre folle de vous ; et un amant aiguilletté sera pour elle un ragoût merveilleux. Harpagon Certes, tu me ravis de me dire cela. Frosine -(Il reprend son visage sévère.) En vérité, Monsieur, ce procès m'est d'une conséquence tout à fait grande. -suis ruinée, si je le perds ; et quelque petite assistance me rétabliroit mes affaires. (Il reprend un air gai.) -voudrois que vous eussiez vu le ravissement où elle étoit à m'entendre parler de vous. La joie éclatoit dan +(Il reprend son visage sévère.) En vérité, Monsieur, ce procès m'est d'une conséquence tout à fait grande. Je +suis ruinée, si je le perds ; et quelque petite assistance me rétabliroit mes affaires. (Il reprend un air gai.) Je +voudrois que vous eussiez vu le ravissement où elle étoit à m'entendre parler de vous. La joie éclatoit dans ses yeux, au récit de vos qualités ; et je l'ai mise enfin dans une impatience extrême de voir ce mariage entièrement conclu. Harpagon Tu m'as fait grand plaisir, Frosine ; et je t'en ai, je te l'avoue, toutes les obligations du monde. Frosine -(Il reprend son air sérieux.) Je vous prie, Monsieur, de me donner le petit secours que je vous demande. C +(Il reprend son air sérieux.) Je vous prie, Monsieur, de me donner le petit secours que je vous demande. Cela me remettra sur pied, et je vous en serai éternellement obligée. Harpagon Adieu. Je vais achever mes dépêches. @@ -38302,24 +38302,24 @@ Ne me refusez pas la grâce dont je vous sollicite. Vous ne sauriez croire, Mons Harpagon Je m'en vais. Voilà qu'on m'appelle. Jusqu'à tantôt. Frosine -Que la fièvre te serre, chien de vilain à tous les diables ! Le ladre a été ferme à toutes mes attaques ; mai +Que la fièvre te serre, chien de vilain à tous les diables ! Le ladre a été ferme à toutes mes attaques ; mais il ne me faut pas pourtant quitter la négociation ; et j'ai l'autre côté, en tout cas, d'où je suis assurée de tirer bonne récompense. Acte III Scène I Harpagon, Cléante, Elise, Valère, Dame Claude, Maître Jacques, Brindavoine, La Merluche Harpagon -Allons, venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt et règle à chacun son emploi. Approch +Allons, venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt et règle à chacun son emploi. Approchez, dame Claude. Commençons par vous. (Elle tient un balai.) Bon, vous voilà les armes à la main. Je vous commets au soin de nettoyer partout ; et surtout prenez garde de ne point frotter les meubles trop fort, de -peur de les user. Outre cela, je vous constitue, pendant le soupé, au gouvernement des bouteilles ; et s'il s +peur de les user. Outre cela, je vous constitue, pendant le soupé, au gouvernement des bouteilles ; et s'il s'en écarte quelqu'une et qu'il se casse quelque chose, je m'en prendrai à vous, et le rabattrai sur vos gages. Maître Jacques Châtiment politique. Harpagon Allez. Vous, Brindavoine, et vous, la Merluche, je vous établis dans la charge de rincer les verres, et de -donner à boire, mais seulement lorsque l'on aura soif, et non pas selon la coutume de certains impertinent -laquais, qui viennent provoquer les gens, et les faire aviser de boire lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'o +donner à boire, mais seulement lorsque l'on aura soif, et non pas selon la coutume de certains impertinents de +laquais, qui viennent provoquer les gens, et les faire aviser de boire lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en demande plus d'une fois, et vous ressouvenez de porter toujours beaucoup d'eau. Maître Jacques Oui : le vin pur monte à la tête. @@ -38328,42 +38328,42 @@ Quitterons−nous nos siquenilles, Monsieur ? Harpagon Oui, quand vous verrez venir les personnes ; et gardez bien de gâter vos habits. Brindavoine -Vous savez bien, Monsieur, qu'un des devants de mon pourpoint est couvert d'une grande tache de l'huile +Vous savez bien, Monsieur, qu'un des devants de mon pourpoint est couvert d'une grande tache de l'huile de la lampe. Le Merluche -Et moi, Monsieur, que j'ai mon haut−de−chausses tout troué par derrière, et qu'on me voit, révérence parl +Et moi, Monsieur, que j'ai mon haut−de−chausses tout troué par derrière, et qu'on me voit, révérence parler... Harpagon -Paix. Rangez cela adroitement du côté de la muraille, et présentez toujours le devant au monde. (Harpago -met son chapeau au−devant de son pourpoint, pour montrer à Brindavoine comment il doit faire pour cach -la tache d'huile.) Et vous, tenez toujours votre chapeau ainsi, lorsque vous servirez. Pour vous, ma fille, v +Paix. Rangez cela adroitement du côté de la muraille, et présentez toujours le devant au monde. (Harpagon +met son chapeau au−devant de son pourpoint, pour montrer à Brindavoine comment il doit faire pour cacher +la tache d'huile.) Et vous, tenez toujours votre chapeau ainsi, lorsque vous servirez. Pour vous, ma fille, vous aurez l'oeil sur ce que l'on desservira, et prendrez garde qu'il ne s'en fasse aucun dégât. Cela sied bien aux -filles. Mais cependant préparez−vous à bien recevoir ma maîtresse, qui vous doit venir visiter et vous men +filles. Mais cependant préparez−vous à bien recevoir ma maîtresse, qui vous doit venir visiter et vous mener avec elle à la foire. Entendez−vous ce que je vous dis ? Elise Oui, mon père. Harpagon. -Et vous, mon fils le Damoiseau, à qui j'ai la bonté de pardonner l'histoire de tantôt, ne vous allez pas avise +Et vous, mon fils le Damoiseau, à qui j'ai la bonté de pardonner l'histoire de tantôt, ne vous allez pas aviser non plus de lui faire mauvais visage. Cléante Moi, mon père, mauvais visage ? Et par quelle raison ? Harpagon Mon Dieu ! nous savons le train des enfants dont les pères se remarient, et de quel oeil ils ont coutume de regarder ce qu'on appelle belle−mère. Mais si vous souhaitez que je perde le souvenir de votre dernière -fredaine, je vous recommande surtout de régaler d'un bon visage cette personne−là, et de lui faire enfin to +fredaine, je vous recommande surtout de régaler d'un bon visage cette personne−là, et de lui faire enfin tout le meilleur accueil qu'il vous sera possible. Cléante -A vous dire le vrai, mon père, je ne puis pas vous promettre d'être bien aise qu'elle devienne ma belle−mè -je mentirois, si je vous le disois ; mais pour ce qui est de la bien recevoir, et de lui faire bon visage, je vo +A vous dire le vrai, mon père, je ne puis pas vous promettre d'être bien aise qu'elle devienne ma belle−mère : +je mentirois, si je vous le disois ; mais pour ce qui est de la bien recevoir, et de lui faire bon visage, je vous promets de vous obéir ponctuellement sur ce chapitre. Harpagon Prenez−y garde au moins. Cléante Vous verrez que vous n'aurez pas sujet de vous en plaindre. Harpagon -Vous ferez sagement. Valère, aide−moi à ceci. Ho çà, maître Jacques, approchez−vous, je vous ai gardé p +Vous ferez sagement. Valère, aide−moi à ceci. Ho çà, maître Jacques, approchez−vous, je vous ai gardé pour le dernier. Maître Jacques -Est−ce à votre cocher, Monsieur, ou bien à votre cuisinier, que vous voulez parler ? car je suis l'un et l'au +Est−ce à votre cocher, Monsieur, ou bien à votre cuisinier, que vous voulez parler ? car je suis l'un et l'autre. Harpagon C'est à tous les deux. Maître Jacques @@ -38387,7 +38387,7 @@ Maître Jacques Oui, si vous me donnez bien de l'argent. Harpagon Que diable, toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient autre chose à dire : "De l'argent, de l'argent, de -l'argent." Ah ! ils n'ont que ce mot à la bouche : "De l'argent." Toujours parler d'argent. Voilà leur épée d +l'argent." Ah ! ils n'ont que ce mot à la bouche : "De l'argent." Toujours parler d'argent. Voilà leur épée de chevet, de l'argent. Valère Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle−là. Voilà une belle merveille que de faire bonne @@ -38398,7 +38398,7 @@ Bonne chère avec peu d'argent ! Valère Oui. Maître Jacques -Par ma foi, Monsieur l'intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce secret, et de prendre mon offic +Par ma foi, Monsieur l'intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce secret, et de prendre mon office de cuisinier : aussi bien vous mêlez−vous céans d'être le factoton. Harpagon Taisez−vous. Qu'est−ce qu'il nous faudra ? @@ -38433,11 +38433,11 @@ Harpagon Il a raison. Valère Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c'est un coupe−gorge qu'une table remplie de trop de -viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repa +viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne ; et que, suivant le dire d'un ancien, il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. Harpagon -Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle sentence que j'ai -entendue de ma vie. Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi... Non, ce n'est pas cela. Comme +Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle sentence que j'aie +entendue de ma vie. Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi... Non, ce n'est pas cela. Comment est−ce que tu dis ? Valère Qu'il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. @@ -38448,7 +38448,7 @@ Je ne me souviens pas maintenant de son nom. Harpagon Souviens−toi de m'écrire ces mots : je les veux faire graver en lettres d'or sur la cheminée de ma salle. Valère -Je n'y manquerai pas. Et pour votre soupé, vous n'avez qu'à me laisser faire : je réglerai tout cela comme +Je n'y manquerai pas. Et pour votre soupé, vous n'avez qu'à me laisser faire : je réglerai tout cela comme il faut. Harpagon Fais donc. @@ -38467,21 +38467,21 @@ Harpagon Qu'il faut nettoyer mon carrosse, et tenir mes chevaux tous prêts pour conduire à la foire... Maître Jacques Vos chevaux, Monsieur ? Ma foi, ils ne sont point du tout en état de marcher. Je ne vous dirai point qu'ils -sont sur la litière, les pauvres bêtes n'en ont point, et ce seroit fort mal parler ; mais vous leur faites obser +sont sur la litière, les pauvres bêtes n'en ont point, et ce seroit fort mal parler ; mais vous leur faites observer des jeûnes si austères, que ce ne sont plus rien que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux. Harpagon Les voilà bien malades : ils ne font rien. Maître Jacques Et pour ne faire rien, Monsieur, est−ce qu'il ne faut rien manger ? Il leur vaudroit bien mieux, les pauvres -animaux ; de travailler beaucoup, de manger de même. Cela me fend le coeur, de les voir ainsi exténués -car enfin j'ai une tendresse pour mes chevaux, qu'il me semble que c'est moi−même quand je les vois pâti -je m'ôte tous les jours pour eux les choses de la bouche ; et c'est être, Monsieur, d'un naturel trop dur, que +animaux ; de travailler beaucoup, de manger de même. Cela me fend le coeur, de les voir ainsi exténués ; +car enfin j'ai une tendresse pour mes chevaux, qu'il me semble que c'est moi−même quand je les vois pâtir ; +je m'ôte tous les jours pour eux les choses de la bouche ; et c'est être, Monsieur, d'un naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de son prochain. Harpagon Le travail ne sera pas grand, d'aller jusqu'à la foire. Maître Jacques -Non, Monsieur, je n'ai pas le courage de les mener, et je ferois conscience de leur donner des coups de fou -en l'état où ils sont. Comment voudriez−vous qu'ils traînassent un carrosse, qu'ils ne peuvent pas se traîne +Non, Monsieur, je n'ai pas le courage de les mener, et je ferois conscience de leur donner des coups de fouet, +en l'état où ils sont. Comment voudriez−vous qu'ils traînassent un carrosse, qu'ils ne peuvent pas se traîner eux−mêmes ? Valère Monsieur, j'obligerai le voisin le Picard à se charger de les conduire ; aussi bien nous fera−t−il ici besoin @@ -38495,9 +38495,9 @@ Monsieur l'intendant fait bien le nécessaire. Harpagon Paix ! Maître Jacques -Monsieur, je ne saurois souffrir les flatteurs ; et je vois que ce qu'il en fait, que ses contrôles perpétuels su -pain et le vin, le bois, le sel, et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter et vous faire sa cour. J'enra -de cela, et je suis fâché tous les jours d'entendre ce qu'on dit de vous ; car enfin je me sens pour vous de l +Monsieur, je ne saurois souffrir les flatteurs ; et je vois que ce qu'il en fait, que ses contrôles perpétuels sur le +pain et le vin, le bois, le sel, et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter et vous faire sa cour. J'enrage +de cela, et je suis fâché tous les jours d'entendre ce qu'on dit de vous ; car enfin je me sens pour vous de la tendresse, en dépit que j'en aie ; et après mes chevaux, vous êtes la personne que j'aime le plus. Harpagon Pourrois−je savoir de vous, maître Jacques, ce que l'on dit de moi ? @@ -38511,21 +38511,21 @@ Harpagon Point du tout : au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien aise d'apprendre comme on parle de moi. Maître Jacques Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se moque partout de vous ; qu'on nous -jette de tous côtés cent brocards à votre sujet ; et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au cul et -chausses, et de faire sans cesse des contes de votre lésine. L'un dit que vous faites imprimer des almanach -particuliers, où vous faites doubler les quatre−temps et les vigiles, afin de profiter des jeûnes où vous obli -votre monde. L'autre, que vous avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le temps de -étrennes, ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver une raison de ne leur donner rien. Celui−là cont +jette de tous côtés cent brocards à votre sujet ; et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au cul et aux +chausses, et de faire sans cesse des contes de votre lésine. L'un dit que vous faites imprimer des almanachs +particuliers, où vous faites doubler les quatre−temps et les vigiles, afin de profiter des jeûnes où vous obligez +votre monde. L'autre, que vous avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le temps des +étrennes, ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver une raison de ne leur donner rien. Celui−là conte qu'une fois vous fîtes assigner le chat d'un de vos voisins, pour vous avoir mangé un reste d'un gigot de -mouton. Celui−ci, que l'on vous surprit une nuit, en venant dérober vous−même l'avoine de vos chevaux +mouton. Celui−ci, que l'on vous surprit une nuit, en venant dérober vous−même l'avoine de vos chevaux ; et que votre cocher, qui étoit celui d'avant moi, vous donna dans l'obscurité je ne sais combien de coups de -bâton, dont vous ne voulûtes rien dire. Enfin voulez−vous que je vous dise ? On ne sauroit aller nulle par -l'on ne vous entende accommoder de toutes pièces ; vous êtes la fable et la risée de tout le monde ; et jam +bâton, dont vous ne voulûtes rien dire. Enfin voulez−vous que je vous dise ? On ne sauroit aller nulle part où +l'on ne vous entende accommoder de toutes pièces ; vous êtes la fable et la risée de tout le monde ; et jamais on ne parle de vous, que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain et de fesse−mathieu. Harpagon, en le battant. Vous êtes un sot, un maraud, un coquin, et un impudent. Maître Jacques -Hé bien ! ne l'avois−je pas deviné ? Vous ne m'avez pas voulu croire : je vous l'avois bien dit que je vou +Hé bien ! ne l'avois−je pas deviné ? Vous ne m'avez pas voulu croire : je vous l'avois bien dit que je vous fâcherois de vous dire la vérité. Harpagon Apprenez à parler. @@ -38534,12 +38534,12 @@ Maître Jacques, Valère Valère A ce que je puis voir, maître Jacques, on paye mal votre franchise. Maître Jacques -Morbleu ! Monsieur le nouveau venu, qui faites l'homme d'importance, ce n'est pas votre affaire. Riez de +Morbleu ! Monsieur le nouveau venu, qui faites l'homme d'importance, ce n'est pas votre affaire. Riez de vos coups de bâton quand on vous en donnera, et ne venez point rire des miens. Valère Ah ! Monsieur maître Jacques, ne vous fâchez pas, je vous prie. Maître Jacques -Il file doux. Je veux faire le brave et s'il est assez sot pour me craindre, le frotter quelque peu. Savez−vou +Il file doux. Je veux faire le brave et s'il est assez sot pour me craindre, le frotter quelque peu. Savez−vous bien, Monsieur le rieur, que je ne ris pas, moi ? et que si vous m'échauffez la tête, je vous ferai rire d'une autre sorte ? (Maître Jacques pousse Valère jusques au bout du théâtre, en le menaçant.) @@ -38554,7 +38554,7 @@ Vous êtes un impertinent. Valère Monsieur maître Jacques... Maître Jacques -Il n'y a point de Monsieur maître Jacques pour un double. Si je prends un bâton, je vous rosserai d'importa +Il n'y a point de Monsieur maître Jacques pour un double. Si je prends un bâton, je vous rosserai d'importance. Valère Comment, un bâton ? (Valère le fait reculer autant qu'il l'a fait.) @@ -38577,7 +38577,7 @@ Vous me rosserez, dites−vous ? Maître Jacques Je le disois en raillant. Valère -Et moi, je ne prends point de goût à votre raillerie. (Il lui donne des coups de bâton.) Apprenez que vous ê +Et moi, je ne prends point de goût à votre raillerie. (Il lui donne des coups de bâton.) Apprenez que vous êtes un mauvais railleur. Maître Jacques Peste soit la sincérité ! c'est un mauvais métier. Désormais j'y renonce, et je ne veux plus dire vrai. Passe @@ -38594,27 +38594,27 @@ Dites−lui, je vous prie, que nous sommes ici. Scène IV Mariane, Frosine Mariane -Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état ! et s'il faut dire ce que je sens, que j'appréhende cette vue +Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état ! et s'il faut dire ce que je sens, que j'appréhende cette vue ! Frosine Mais pourquoi, et quelle est votre inquiétude ? Mariane -Hélas ! me le demandez−vous ? et ne vous figurez−vous point les alarmes d'une personne toute prête à v +Hélas ! me le demandez−vous ? et ne vous figurez−vous point les alarmes d'une personne toute prête à voir le supplice où l'on veut l'attacher ? Frosine -Je vois bien que, pour mourir agréablement, Harpagon n'est pas le supplice que vous voudriez embrasser +Je vois bien que, pour mourir agréablement, Harpagon n'est pas le supplice que vous voudriez embrasser ; et je connois à votre mine que le jeune blondin dont vous m'avez parlé vous revient un peu dans l'esprit. Mariane -Oui, c'est une chose, Frosine, dont je ne veux pas me défendre ; et les visites respectueuses qu'il a rendue +Oui, c'est une chose, Frosine, dont je ne veux pas me défendre ; et les visites respectueuses qu'il a rendues chez nous ont fait, je vous l'avoue, quelque effet dans mon âme. Frosine Mais avez−vous su quel il est ? Mariane -Non, je ne sais point quel il est ; mais je sais qu'il est fait d'un air à se faire aimer ; que si l'on pouvoit me -les choses à mon choix, je le prendrois plutôt qu'un autre ; et qu'il ne contribue pas peu à me faire trouver +Non, je ne sais point quel il est ; mais je sais qu'il est fait d'un air à se faire aimer ; que si l'on pouvoit mettre +les choses à mon choix, je le prendrois plutôt qu'un autre ; et qu'il ne contribue pas peu à me faire trouver un tourment effroyable dans l'époux qu'on veut me donner. Frosine Mon Dieu ! tous ces blondins sont agréables, et débitent fort bien leur fait ; mais la plupart sont gueux -comme des rats ; et il vaut mieux pour vous de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien. +comme des rats ; et il vaut mieux pour vous de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien. Je vous avoue que les sens ne trouvent pas si bien leur compte du côté que je dis, et qu'il y a quelques petits dégoûts à essuyer avec un tel époux ; mais cela n'est pas pour durer, et sa mort, croyez−moi, vous mettra bientôt en état d'en prendre un plus aimable, qui réparera toutes choses. @@ -38622,7 +38622,7 @@ Mariane Mon Dieu ! Frosine, c'est une étrange affaire, lorsque, pour être heureuse, il faut souhaiter ou attendre le trépas de quelqu'un, et la mort ne suit pas tous les projets que nous faisons. Frosine -Vous moquez−vous ? Vous ne l'épousez qu'aux conditions de vous laisser veuve bientôt ; et ce doit être +Vous moquez−vous ? Vous ne l'épousez qu'aux conditions de vous laisser veuve bientôt ; et ce doit être là un des articles du contrat. Il seroit bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois. Le voici en propre personne. Mariane @@ -38630,13 +38630,13 @@ Ah ! Frosine, quelle figure ! Scène V Harpagon, Frosine, Mariane Harpagon -Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez l -yeux, sont assez visibles d'eux−mêmes, et qu'il n'est pas besoin de lunettes pour les apercevoir ; mais enf +Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les +yeux, sont assez visibles d'eux−mêmes, et qu'il n'est pas besoin de lunettes pour les apercevoir ; mais enfin c'est avec des lunettes qu'on observe les astres ; et je maintiens et garantis que vous êtes un astre, mais un astre le plus bel astre qui soit dans le pays des astres. Frosine, elle ne répond mot, et ne témoigne, ce me semble, aucune joie de me voir. Frosine -C'est qu'elle est encore toute surprise ; et puis les filles ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles +C'est qu'elle est encore toute surprise ; et puis les filles ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'âme. Harpagon Tu as raison. Voilà, belle mignonne, ma fille qui vient vous saluer. @@ -38674,34 +38674,34 @@ l'autre. Scène VII Cléante, Harpagon, Elise, Mariane, Frosine Cléante -Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où sans doute je ne m'attendois pas ; et mon père ne m +Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où sans doute je ne m'attendois pas ; et mon père ne m'a pas peu surpris lorsqu'il m'a dit tantôt le dessein qu'il avoit formé. Mariane Je puis dire la même chose. C'est une rencontre imprévue qui m'a surprise autant que vous ; et je n'étois point préparée à une pareille aventure. Cléante -Il est vrai que mon père, Madame, ne peut pas faire un plus beau choix, et que ce m'est une sensible joie q -l'honneur de vous voir ; mais avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du dessein où vo -pourriez être de devenir ma belle−mère. Le compliment, je vous l'avoue, est trop difficile pour moi ; et c' -un titre, s'il vous plaît, que je ne vous souhaite point. Ce discours paroîtra brutal aux yeux de quelques−un -mais je suis assuré que vous serez personne à le prendre comme il faudra ; que c'est un mariage, Madame -vous vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance ; que vous n'ignorez pas, sachant ce que je su +Il est vrai que mon père, Madame, ne peut pas faire un plus beau choix, et que ce m'est une sensible joie que +l'honneur de vous voir ; mais avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du dessein où vous +pourriez être de devenir ma belle−mère. Le compliment, je vous l'avoue, est trop difficile pour moi ; et c'est +un titre, s'il vous plaît, que je ne vous souhaite point. Ce discours paroîtra brutal aux yeux de quelques−uns ; +mais je suis assuré que vous serez personne à le prendre comme il faudra ; que c'est un mariage, Madame, où +vous vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance ; que vous n'ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes intérêts ; et que vous voulez bien enfin que je vous dise, avec la permission de mon père, que si les choses dépendoient de moi, cet hymen ne se feroit point. Harpagon Voilà un compliment bien impertinent : quelle belle confession à lui faire ! Mariane Et moi, pour vous répondre, j'ai à vous dire que les choses sont fort égales ; et que si vous auriez de la -répugnance à me voir votre belle−mère, je n'en aurois pas moins sans doute à vous voir mon beau−fils. N -croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à vous donner cette inquiétude. Je serois fort fâchée -vous causer du déplaisir ; et si je ne m'y vois forcée par une puissance absolue, je vous donne ma parole q +répugnance à me voir votre belle−mère, je n'en aurois pas moins sans doute à vous voir mon beau−fils. Ne +croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à vous donner cette inquiétude. Je serois fort fâchée de +vous causer du déplaisir ; et si je ne m'y vois forcée par une puissance absolue, je vous donne ma parole que je ne consentirai point au mariage qui vous chagrine. Harpagon Elle a raison ; à sot compliment il faut une réponse de même. Je vous demande pardon, ma belle, de l'impertinence de mon fils. C'est un jeune sot, qui ne sait pas encore la conséquence des paroles qu'il dit. Mariane Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offensée ; au contraire, il m'a fait plaisir de -m'expliquer ainsi ses véritables sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte ; et, s'il avoit parlé d'autre fa +m'expliquer ainsi ses véritables sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte ; et, s'il avoit parlé d'autre façon, je l'en estimerois bien moins. Harpagon C'est beaucoup de bonté à vous de vouloir ainsi excuser ses fautes. Le temps le rendra plus sage, et vous @@ -38715,18 +38715,18 @@ Voulez−vous que je trahisse mon coeur ? Harpagon Encore ? Avez−vous envie de changer de discours ? Cléante -Hé bien ! puisque vous voulez que je parle d'autre façon, souffrez, Madame, que je me mette ici à la plac -mon père, et que je vous avoue que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous ; que je ne conç +Hé bien ! puisque vous voulez que je parle d'autre façon, souffrez, Madame, que je me mette ici à la place de +mon père, et que je vous avoue que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous ; que je ne conçois rien d'égal au bonheur de vous plaire, et que le titre de votre époux est une gloire, une félicité que je -préférerois aux destinées des plus grands princes de la terre. Oui, Madame, le bonheur de vous posséder e -mes regards la plus belle de toutes les fortunes ; c'est où j'attache toute mon ambition ; il n'y a rien que je +préférerois aux destinées des plus grands princes de la terre. Oui, Madame, le bonheur de vous posséder est à +mes regards la plus belle de toutes les fortunes ; c'est où j'attache toute mon ambition ; il n'y a rien que je ne sois capable de faire pour une conquête si précieuse, et les obstacles les plus puissants... Harpagon Doucement, mon fils, s'il vous plaît. Cléante C'est un compliment que je fais pour vous à Madame. Harpagon -Mon Dieu ! j'ai une langue pour m'expliquer moi−même, et je n'ai pas besoin d'un procureur comme vou +Mon Dieu ! j'ai une langue pour m'expliquer moi−même, et je n'ai pas besoin d'un procureur comme vous. Allons, donnez des siéges. Frosine Non ; il vaut mieux que de ce pas nous allions à la foire, afin d'en revenir plus tôt, et d'avoir tout le temps @@ -38735,14 +38735,14 @@ Harpagon Qu'on mette donc les chevaux au carrosse. Je vous prie de m'excuser, ma belle, si je n'ai pas songé à vous donner un peu de collation avant que de partir. Cléante -J'y ai pourvu, mon père, et j'ai fait apporter ici quelques bassins d'oranges de la Chine, de citrons doux et +J'y ai pourvu, mon père, et j'ai fait apporter ici quelques bassins d'oranges de la Chine, de citrons doux et de confitures, que j'ai envoyé querir de votre part. Harpagon, bas à Valère. Valère ! Valère, à Harpagon. Il a perdu le sens. Cléante -Est−ce que vous trouvez, mon père, que ce ne soit pas assez ? Madame aura la bonté d'excuser cela, s'il lu +Est−ce que vous trouvez, mon père, que ce ne soit pas assez ? Madame aura la bonté d'excuser cela, s'il lui plaît. Mariane C'est une chose qui n'étoit pas nécessaire. @@ -38840,7 +38840,7 @@ Cléante En attendant qu'ils soient ferrés, je vais faire pour vous, mon père, les honneurs de votre logis, et conduire Madame dans le jardin, où je ferai porter la collation. Harpagon -Valère, aie un peu l'oeil à tout cela ; et prends soin, je te prie, de m'en sauver le plus que tu pourras, pour +Valère, aie un peu l'oeil à tout cela ; et prends soin, je te prie, de m'en sauver le plus que tu pourras, pour le renvoyer au marchand. Valère C'est assez. @@ -38850,7 +38850,7 @@ Acte IV Scène I Cléante, Mariane, Elise, Frosine Cléante -Rentrons ici, nous serons beaucoup mieux. Il n'y a plus autour de nous personne de suspect, et nous pouvo +Rentrons ici, nous serons beaucoup mieux. Il n'y a plus autour de nous personne de suspect, et nous pouvons parler librement. Elise Oui, Madame, mon frère m'a fait confidence de la passion qu'il a pour vous. Je sais les chagrins et les @@ -38860,30 +38860,30 @@ Mariane C'est une douce consolation que de voir dans ses intérêts une personne comme vous ; et je vous conjure, Madame, de me garder toujours cette généreuse amitié, si capable de m'adoucir les cruautés de la fortune. Frosine -Vous êtes, par ma foi ! de malheureuses gens l'un et l'autre, de ne m'avoir point, avant tout ceci, avertie d -votre affaire. Je vous aurois sans doute détourné cette inquiétude, et n'aurois point amené les choses où l'o +Vous êtes, par ma foi ! de malheureuses gens l'un et l'autre, de ne m'avoir point, avant tout ceci, avertie de +votre affaire. Je vous aurois sans doute détourné cette inquiétude, et n'aurois point amené les choses où l'on voit qu'elles sont. Cléante -Que veux−tu ? C'est ma mauvaise destinée qui l'a voulu ainsi. Mais, belle Mariane, quelles résolutions so +Que veux−tu ? C'est ma mauvaise destinée qui l'a voulu ainsi. Mais, belle Mariane, quelles résolutions sont les vôtres ? Mariane Hélas ! suis−je en pouvoir de faire des résolutions ? Et dans la dépendance où je me vois, puis−je former que des souhaits ? Cléante -Point d'autre appui pour moi dans votre coeur que de simples souhaits ? point de pitié officieuse ? point +Point d'autre appui pour moi dans votre coeur que de simples souhaits ? point de pitié officieuse ? point de secourable bonté ? point d'affection agissante ? Mariane Que saurois−je vous dire ? Mettez−vous en ma place, et voyez ce que je puis faire. Avisez, ordonnez -vous−même : je m'en remets à vous, et je vous crois trop raisonnable pour vouloir exiger de moi que ce q +vous−même : je m'en remets à vous, et je vous crois trop raisonnable pour vouloir exiger de moi que ce qui peut m'être permis par l'honneur et la bienséance. Cléante -Hélas ! où me réduisez−vous, que de me renvoyer à ce que voudront me permettre les fâcheux sentiment +Hélas ! où me réduisez−vous, que de me renvoyer à ce que voudront me permettre les fâcheux sentiments d'un rigoureux honneur et d'une scrupuleuse bienséance. Mariane -Mais que voulez−vous que je fasse ? Quand je pourrois passer sur quantité d'égards où notre sexe est obl -j'ai de la considération pour ma mère. Elle m'a toujours élevée avec une tendresse extrême, et je ne sauroi +Mais que voulez−vous que je fasse ? Quand je pourrois passer sur quantité d'égards où notre sexe est obligé, +j'ai de la considération pour ma mère. Elle m'a toujours élevée avec une tendresse extrême, et je ne saurois me résoudre à lui donner du déplaisir. Faites, agissez auprès d'elle, employez tous vos soins à gagner son -esprit : vous pouvez faire et dire tout ce que vous voudrez, je vous en donne la licence, et s'il ne tient qu'à +esprit : vous pouvez faire et dire tout ce que vous voudrez, je vous en donne la licence, et s'il ne tient qu'à me déclarer en votre faveur, je veux bien consentir à lui faire un aveu moi−même de tout ce que je sens pour vous. Cléante @@ -38891,7 +38891,7 @@ Frosine, ma pauvre Frosine, voudrois−tu nous servir ? Frosine Par ma foi ! faut−il demander ? je le voudrois de tout mon coeur. Vous savez que de mon naturel je suis assez humaine ; le Ciel ne m'a point fait l'âme de bronze, et je n'ai que trop de tendresse à rendre de petits -services, quand je vois des gens qui s'entre−aiment en tout bien et en tout honneur. Que pourrions−nous f +services, quand je vois des gens qui s'entre−aiment en tout bien et en tout honneur. Que pourrions−nous faire à ceci ? Cléante Songe un peu, je te prie. @@ -38900,27 +38900,27 @@ Ouvre−nous des lumières. Elise Trouve quelque invention pour rompre ce que tu as fait. Frosine -Ceci est assez difficile. Pour votre mère, elle n'est pas tout à fait déraisonnable, et peut−être pourroit−on l -gagner, et la résoudre à transporter au fils le don qu'elle veut faire au père. Mais le mal que j'y trouve, c'es +Ceci est assez difficile. Pour votre mère, elle n'est pas tout à fait déraisonnable, et peut−être pourroit−on la +gagner, et la résoudre à transporter au fils le don qu'elle veut faire au père. Mais le mal que j'y trouve, c'est que votre père est votre père. Cléante Cela s'entend. Frosine -Je veux dire qu'il conservera du dépit, si l'on montre qu'on le refuse ; et qu'il ne sera point d'humeur ensu -donner son consentement à votre mariage. Il faudroit, pour bien faire, que le refus vînt de lui−même, et tâ +Je veux dire qu'il conservera du dépit, si l'on montre qu'on le refuse ; et qu'il ne sera point d'humeur ensuite à +donner son consentement à votre mariage. Il faudroit, pour bien faire, que le refus vînt de lui−même, et tâcher par quelque moyen de le dégoûter de votre personne. Cléante Tu as raison... Frosine Oui, j'ai raison ; je le sais bien. C'est là ce qu'il faudroit ; mais le diantre est d'en pouvoir trouver les -moyens. Attendez : si nous avions quelque femme un peu sur l'âge, qui fût de mon talent, et jouât assez b -pour contrefaire une dame de qualité, par le moyen d'un train fait à la hâte, et d'un bizarre nom de marqui -ou de vicomtesse, que nous supposerions de la basse Bretagne, j'aurois assez d'adresse pour faire accroire +moyens. Attendez : si nous avions quelque femme un peu sur l'âge, qui fût de mon talent, et jouât assez bien +pour contrefaire une dame de qualité, par le moyen d'un train fait à la hâte, et d'un bizarre nom de marquise, +ou de vicomtesse, que nous supposerions de la basse Bretagne, j'aurois assez d'adresse pour faire accroire à votre père que ce seroit une personne riche, outre ses maisons, de cent mille écus en argent comptant ; -qu'elle seroit éperdument amoureuse de lui, et souhaiteroit de se voir sa femme, jusqu'à lui donner tout so -bien par contrat de mariage ; et je ne doute point qu'il ne prêtât l'oreille à la proposition ; car enfin il vou +qu'elle seroit éperdument amoureuse de lui, et souhaiteroit de se voir sa femme, jusqu'à lui donner tout son +bien par contrat de mariage ; et je ne doute point qu'il ne prêtât l'oreille à la proposition ; car enfin il vous aime fort, je le sais ; mais il aime un peu plus l'argent ; et quand, ébloui de ce leurre, il auroit une fois -consenti à ce qui vous touche, il importeroit peu ensuite qu'il se désabusât, en venant à vouloir voir clair a +consenti à ce qui vous touche, il importeroit peu ensuite qu'il se désabusât, en venant à vouloir voir clair aux effets de notre marquise. Cléante Tout cela est fort bien pensé. @@ -38928,11 +38928,11 @@ Frosine Laissez−moi faire. Je viens de me ressouvenir d'une de mes amies, qui sera notre fait. Cléante Sois assurée, Frosine, de ma reconnoissance, si tu viens à bout de la chose. Mais, charmante Mariane, -commençons, je vous prie, par gagner votre mère ; c'est toujours beaucoup faire que de rompre ce mariag +commençons, je vous prie, par gagner votre mère ; c'est toujours beaucoup faire que de rompre ce mariage. Faites−y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu'il vous sera possible ; servez−vous de tout le pouvoir que vous donne sur elle cette amitié qu'elle a pour vous ; déployez sans réserve les grâces -éloquentes, les charmes tout−puissants que le Ciel a placés dans vos yeux et dans votre bouche ; et n'oub -rien, s'il vous plaît, de ces tendres paroles, de ces douces prières, et de ces caresses touchantes à qui je sui +éloquentes, les charmes tout−puissants que le Ciel a placés dans vos yeux et dans votre bouche ; et n'oubliez +rien, s'il vous plaît, de ces tendres paroles, de ces douces prières, et de ces caresses touchantes à qui je suis persuadé qu'on ne sauroit rien refuser. Mariane J'y ferai tout ce que je puis, et n'oublierai aucune chose. @@ -38963,8 +38963,8 @@ Harpagon Mais encore ? Cléante A vous en parler franchement, je ne l'ai pas trouvée ici ce que je l'avois crue. Son air est de franche -coquette ; sa taille est assez gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne croyez p -que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter ; car belle−mère pour belle−mère, j'aime autant celle−là qu +coquette ; sa taille est assez gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne croyez pas +que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter ; car belle−mère pour belle−mère, j'aime autant celle−là qu'une autre. Harpagon Tu lui disois tantôt pourtant... @@ -38975,9 +38975,9 @@ Si bien donc que tu n'aurois pas d'inclination pour elle ? Cléante Moi ? point du tout. Harpagon -J'en suis fâché ; car cela rompt une pensée qui m'étoit venue dans l'esprit. J'ai fait, en la voyant ici, réflex +J'en suis fâché ; car cela rompt une pensée qui m'étoit venue dans l'esprit. J'ai fait, en la voyant ici, réflexion sur mon âge ; et j'ai songé qu'on pourra trouver à redire de me voir marier à une si jeune personne. Cette -considération m'en faisoit quitter le dessein ; et comme je l'ai fait demander, et que je suis pour elle engag +considération m'en faisoit quitter le dessein ; et comme je l'ai fait demander, et que je suis pour elle engagé de parole, je te l'aurois donnée, sans l'aversion que tu témoignes. Cléante A moi ? @@ -38988,7 +38988,7 @@ En mariage ? Harpagon En mariage. Cléante -Ecoutez : il est vrai qu'elle n'est pas fort à mon goût ; mais pour vous faire plaisir, mon père, je me résou +Ecoutez : il est vrai qu'elle n'est pas fort à mon goût ; mais pour vous faire plaisir, mon père, je me résoudrai à l'épouser, si vous voulez. Harpagon Moi ? Je suis plus raisonnable que tu ne penses : je ne veux point forcer ton inclination. @@ -39000,13 +39000,13 @@ Cléante C'est une chose, mon père, qui peut−être viendra ensuite ; et l'on dit que l'amour est souvent un fruit du mariage. Harpagon -Non : du côté de l'homme, on ne doit point risquer l'affaire, et ce sont des suites fâcheuses, où je n'ai gard -de me commettre. Si tu avois senti quelque inclination pour elle, à la bonne heure : je te l'aurois fait épou +Non : du côté de l'homme, on ne doit point risquer l'affaire, et ce sont des suites fâcheuses, où je n'ai garde +de me commettre. Si tu avois senti quelque inclination pour elle, à la bonne heure : je te l'aurois fait épouser, au lieu de moi ; mais cela n'étant pas, je suivrai mon premier dessein, et je l'épouserai moi−même. Cléante -Hé bien ! mon père, puisque les choses sont ainsi, il faut vous découvrir mon coeur, il faut vous révéler n -secret. La vérité est que je l'aime, depuis un jour que je la vis dans une promenade ; que mon dessein étoi -tantôt de vous la demander pour femme ; et que rien ne m'a retenu que la déclaration de vos sentiments, e +Hé bien ! mon père, puisque les choses sont ainsi, il faut vous découvrir mon coeur, il faut vous révéler notre +secret. La vérité est que je l'aime, depuis un jour que je la vis dans une promenade ; que mon dessein étoit +tantôt de vous la demander pour femme ; et que rien ne m'a retenu que la déclaration de vos sentiments, et la crainte de vous déplaire. Harpagon Lui avez−vous rendu visite ? @@ -39035,11 +39035,11 @@ Si j'en dois croire les apparences, je me persuade, mon père, qu'elle a quelque Harpagon Je suis bien aise d'avoir appris un tel secret ; et voilà justement ce que je demandois. Oh sus ! mon fils, savez−vous ce qu'il y a ? c'est qu'il faut songer, s'il vous plaît, à vous défaire de votre amour ; à cesser -toutes vos poursuites auprès d'une personne que je prétends pour moi ; et à vous marier dans peu avec ce +toutes vos poursuites auprès d'une personne que je prétends pour moi ; et à vous marier dans peu avec celle qu'on vous destine. Cléante Oui, mon père, c'est ainsi que vous me jouez ! Hé bien ! puisque les choses en sont venues là, je vous -déclare, moi, que je ne quitterai point la passion que j'ai pour Mariane, qu'il n'y a point d'extrémité où je n +déclare, moi, que je ne quitterai point la passion que j'ai pour Mariane, qu'il n'y a point d'extrémité où je ne m'abandonne pour vous disputer sa conquête, et que si vous avez pour vous le consentement d'une mère, j'aurai d'autres secours peut−être qui combattront pour moi. Harpagon @@ -39086,23 +39086,23 @@ Je te veux faire toi−même, maître Jacques, juge de cette affaire, pour montr Maître Jacques J'y consens. Eloignez−vous un peu. Harpagon -J'aime une fille, que je veux épouser ; et le pendard a l'insolence de l'aimer avec moi, et d'y prétendre ma +J'aime une fille, que je veux épouser ; et le pendard a l'insolence de l'aimer avec moi, et d'y prétendre malgré mes ordres. Maître Jacques Ah ! il a tort. Harpagon -N'est−ce pas une chose épouvantable, qu'un fils qui veut entrer en concurrence avec son père ? et ne doit +N'est−ce pas une chose épouvantable, qu'un fils qui veut entrer en concurrence avec son père ? et ne doit−il pas, par respect, s'abstenir de toucher à mes inclinations ? Maître Jacques Vous avez raison. Laissez−moi lui parler, et demeurez là. (Il vient trouver Cléante à l'autre bout du théâtre.) Cléante -Hé bien ! oui, puisqu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point ; il ne m'importe qui ce soit ; et je ve +Hé bien ! oui, puisqu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point ; il ne m'importe qui ce soit ; et je veux bien aussi me rapporter à toi, maître Jacques, de notre différend. Maître Jacques C'est beaucoup d'honneur que vous me faites. Cléante -Je suis épris d'une jeune personne qui répond à mes voeux, et reçoit tendrement les offres de ma foi ; et m +Je suis épris d'une jeune personne qui répond à mes voeux, et reçoit tendrement les offres de ma foi ; et mon père s'avise de venir troubler notre amour par la demande qu'il en fait faire. Maître Jacques Il a tort assurément. @@ -39110,21 +39110,21 @@ Cléante N'a−t−il point de honte, à son âge, de songer à se marier ? lui sied−il bien d'être encore amoureux ? et ne devroit−il pas laisser cette occupation aux jeunes gens ? Maître Jacques -Vous avez raison, il se moque. Laissez−moi lui dire deux mots. (Il revient à Harpagon.) Hé bien ! votre f -n'est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison. Il dit qu'il sait le respect qu'il vous doit, qu'il -s'est emporté que dans la première chaleur, et qu'il ne fera point refus de se soumettre à ce qu'il vous plair -pourvu que vous vouliez le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque personne en mariage do +Vous avez raison, il se moque. Laissez−moi lui dire deux mots. (Il revient à Harpagon.) Hé bien ! votre fils +n'est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison. Il dit qu'il sait le respect qu'il vous doit, qu'il ne +s'est emporté que dans la première chaleur, et qu'il ne fera point refus de se soumettre à ce qu'il vous plaira, +pourvu que vous vouliez le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque personne en mariage dont il ait lieu d'être content. Harpagon Ah ! dis−lui, maître Jacques, que moyennant cela, il pourra espérer toutes choses de moi ; et que, hors Mariane, je lui laisse la liberté de choisir celle qu'il voudra. Maître Jacques. Il va au fils. -Laissez−moi faire. Hé bien ! votre père n'est pas si déraisonnable que vous le faites ; et il m'a témoigné q -ce sont vos emportements qui l'ont mis en colère ; qu'il n'en veut seulement qu'à votre manière d'agir, et q +Laissez−moi faire. Hé bien ! votre père n'est pas si déraisonnable que vous le faites ; et il m'a témoigné que +ce sont vos emportements qui l'ont mis en colère ; qu'il n'en veut seulement qu'à votre manière d'agir, et qu'il sera fort disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous vouliez vous y prendre par la douceur, et lui rendre les déférences, les respects, et les soumissions qu'un fils doit à son père. Cléante -Ah ! maître Jacques, tu lui peux assurer que, s'il m'accorde Mariane, il me verra toujours le plus soumis d +Ah ! maître Jacques, tu lui peux assurer que, s'il m'accorde Mariane, il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes ; et que jamais je ne ferai aucune chose que par ses volontés. Maître Jacques Cela est fait. Il consent à ce que vous dites. @@ -39135,7 +39135,7 @@ Tout est conclu. Il est content de vos promesses. Cléante Le Ciel en soit loué ! Maître Jacques -Messieurs, vous n'avez qu'à parler ensemble : vous voilà d'accord maintenant ; et vous alliez vous querel +Messieurs, vous n'avez qu'à parler ensemble : vous voilà d'accord maintenant ; et vous alliez vous quereller, faute de vous entendre. Cléante Mon pauvre maître Jacques, je te serai obligé toute ma vie. @@ -39174,7 +39174,7 @@ Ah ! mon père, je ne vous demande plus rien ; et c'est m'avoir assez donné q Harpagon Comment ? Cléante -Je dis, mon père, que je suis trop content de vous, et que je trouve toutes choses dans la bonté que vous av +Je dis, mon père, que je suis trop content de vous, et que je trouve toutes choses dans la bonté que vous avez de m'accorder Mariane. Harpagon Qui est−ce qui parle de t'accorder Mariane ? @@ -39251,33 +39251,33 @@ Vous saurez tout. Sauvons−nous, je l'entends crier. Scène VII Harpagon (Il crie au voleur dès le jardin, et vient sans chapeau.) -Au voleur ! au voleur ! à l'assassin ! au meurtrier ! Justice, juste Ciel ! je suis perdu, je suis assassiné, o +Au voleur ! au voleur ! à l'assassin ! au meurtrier ! Justice, juste Ciel ! je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent. Qui peut−ce être ? Qu'est−il devenu ? Où est−il ? Où se cache−t−il ? Que ferai−je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N'est−il point là ? N'est−il -point ici ? Qui est−ce ? Arrête. Rends−moi mon argent, coquin... (Il se prend lui−même le bras.) Ah ! c' +point ici ? Qui est−ce ? Arrête. Rends−moi mon argent, coquin... (Il se prend lui−même le bras.) Ah ! c'est moi. Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas ! mon pauvre argent, -mon pauvre argent, mon cher ami ! on m'a privé de toi ; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon suppor +mon pauvre argent, mon cher ami ! on m'a privé de toi ; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde : sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus ; je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a−t−il -personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris ? Euh -que dites−vous ? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin o -ait épié l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je parlois à mon traître de fils. Sortons. Je veux al +personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris ? Euh ? +que dites−vous ? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on +ait épié l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je parlois à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller querir la justice, et faire donner la question à toute la maison : à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi -aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tou -me semble mon voleur. Eh ! de quoi est−ce qu'on parle là ? De celui qui m'a dérobé ? Quel bruit fait−on -haut ? Est−ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'o -m'en dise. N'est−il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu' -ont part sans doute au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des ju +aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout +me semble mon voleur. Eh ! de quoi est−ce qu'on parle là ? De celui qui m'a dérobé ? Quel bruit fait−on là +haut ? Est−ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on +m'en dise. N'est−il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils +ont part sans doute au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi−même après. Acte V Scène I Harpagon, Le Commissaire, son Clerc Le Commissaire -Laissez−moi faire : je sais mon métier, Dieu merci. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me mêle de découvr +Laissez−moi faire : je sais mon métier, Dieu merci. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me mêle de découvrir des vols ; et je voudrois avoir autant de sacs de mille francs que j'ai fait pendre de personnes. Harpagon -Tous les magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main ; et si l'on ne me fait retrouver mon arg +Tous les magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main ; et si l'on ne me fait retrouver mon argent, je demanderai justice de la justice. Le Commissaire Il faut faire toutes les poursuites requises. Vous dites qu'il y avoit dans cette cassette... ? @@ -39290,7 +39290,7 @@ Dix mille écus. Le Commissaire Le vol est considérable. Harpagon -Il n'y a point de supplice assez grand pour l'énormité de ce crime ; et s'il demeure impuni, les choses les p +Il n'y a point de supplice assez grand pour l'énormité de ce crime ; et s'il demeure impuni, les choses les plus sacrées ne sont plus en sûreté. Le Commissaire En quelles espèces étoit cette somme ? @@ -39301,12 +39301,12 @@ Qui soupçonnez−vous de ce vol ? Harpagon Tout le monde ; et je veux que vous arrêtiez prisonniers la ville et les faubourgs. Le Commissaire -Il faut, si vous m'en croyez, n'effaroucher personne, et tâcher doucement d'attraper quelques preuves, afin +Il faut, si vous m'en croyez, n'effaroucher personne, et tâcher doucement d'attraper quelques preuves, afin de procéder après par la rigueur au recouvrement des deniers qui vous ont été pris. Scène II Maître Jacques, Harpagon, Le Commissaire, Son Clerc Maître Jacques, au bout du théâtre, en se retournant du côté dont il sort. -Je m'en vais revenir. Qu'on me l'égorge tout à l'heure ; qu'on me lui fasse griller les pieds, qu'on me le me +Je m'en vais revenir. Qu'on me l'égorge tout à l'heure ; qu'on me lui fasse griller les pieds, qu'on me le mette dans l'eau bouillante, et qu'on me le pende au plancher. Harpagon Qui ? celui qui m'a dérobé ? @@ -39322,23 +39322,23 @@ Monsieur est de votre soupé ? Le Commissaire Il faut ici, mon cher ami, ne rien cacher à votre maître. Maître Jacques -Ma foi ! Monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire, et je vous traiterai du mieux qu'il me sera possib +Ma foi ! Monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire, et je vous traiterai du mieux qu'il me sera possible. Harpagon Ce n'est pas là l'affaire. Maître Jacques -Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrois, c'est la faute de Monsieur notre intendant, qui m' +Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrois, c'est la faute de Monsieur notre intendant, qui m'a rogné les ailes avec les ciseaux de son économie. Harpagon -Traître, il s'agit d'autre chose que de souper ; et je veux que tu me dises des nouvelles de l'argent qu'on m +Traître, il s'agit d'autre chose que de souper ; et je veux que tu me dises des nouvelles de l'argent qu'on m'a pris. Maître Jacques On vous a pris de l'argent ? Harpagon Oui, coquin ; et je m'en vais te pendre, si tu ne me le rends. Le Commissaire -Mon Dieu ! ne le maltraitez point. Je vois à sa mine qu'il est honnête homme, et que sans se faire mettre e +Mon Dieu ! ne le maltraitez point. Je vois à sa mine qu'il est honnête homme, et que sans se faire mettre en prison, il vous découvrira ce que vous voulez savoir. Oui, mon ami, si vous nous confessez la chose, il ne -vous sera fait aucun mal, et vous serez récompensé comme il faut par votre maître. On lui a pris aujourd'h +vous sera fait aucun mal, et vous serez récompensé comme il faut par votre maître. On lui a pris aujourd'hui son argent, et il n'est pas que vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire. Maître Jacques, à part. Voici justement ce qu'il me faut pour me venger de notre intendant : depuis qu'il est entré céans, il est le @@ -39348,7 +39348,7 @@ Qu'as−tu à ruminer ? Le Commissaire Laissez−le faire : il se prépare à vous contenter, et je vous ai bien dit qu'il étoit honnête homme. Maître Jacques -Monsieur, si vous voulez que je vous dise les choses, je crois que c'est Monsieur votre cher intendant qui +Monsieur, si vous voulez que je vous dise les choses, je crois que c'est Monsieur votre cher intendant qui a fait le coup. Harpagon Valère ? @@ -39430,7 +39430,7 @@ Valère De quel crime voulez−vous donc parler ? Harpagon De quel crime je veux parler, infâme ! comme si tu ne savois pas ce que je veux dire. C'est en vain que tu -prétendrois de le déguiser : l'affaire est découverte, et l'on vient de m'apprendre tout. Comment abuser ain +prétendrois de le déguiser : l'affaire est découverte, et l'on vient de m'apprendre tout. Comment abuser ainsi de ma bonté, et s'introduire exprès chez moi pour me trahir ? pour me jouer un tour de cette nature ? Valère Monsieur, puisqu'on vous a découvert tout, je ne veux point chercher de détours et vous nier la chose. @@ -39442,17 +39442,17 @@ puisqu'il est ainsi, je vous conjure de ne vous point fâcher, et de vouloir bie Harpagon Et quelles belles raisons peux−tu me donner, voleur infâme ? Valère -Ah ! Monsieur, je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai commis une offense envers vous ; mais, ap +Ah ! Monsieur, je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai commis une offense envers vous ; mais, après tout, ma faute est pardonnable. Harpagon Comment, pardonnable ? Un guet−apens ? un assassinat de la sorte ? Valère -De grâce, ne vous mettez point en colère. Quand vous m'aurez ouï, vous verrez que le mal n'est pas si gra +De grâce, ne vous mettez point en colère. Quand vous m'aurez ouï, vous verrez que le mal n'est pas si grand que vous le faites. Harpagon Le mal n'est pas si grand que je le fais ! Quoi ? mon sang, mes entrailles, pendard ? Valère -Votre sang, Monsieur, n'est pas tombé dans de mauvaises mains. Je suis d'une condition à ne lui point fair +Votre sang, Monsieur, n'est pas tombé dans de mauvaises mains. Je suis d'une condition à ne lui point faire de tort, et il n'y a rien en tout ceci que je ne puisse bien réparer. Harpagon C'est bien mon intention, et que tu me restitues ce que tu m'as ravi. @@ -39473,18 +39473,18 @@ Oui. Harpagon Bel amour, bel amour, ma foi ! l'amour de mes louis d'or. Valère -Non, Monsieur, ce ne sont point vos richesses qui m'ont tenté ; ce n'est pas cela qui m'a ébloui, et je prote +Non, Monsieur, ce ne sont point vos richesses qui m'ont tenté ; ce n'est pas cela qui m'a ébloui, et je proteste de ne prétendre rien à tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j'ai. Harpagon -Non ferai, de par tous les diables ! je ne te le laisserai pas. Mais voyez quelle insolence de vouloir retenir +Non ferai, de par tous les diables ! je ne te le laisserai pas. Mais voyez quelle insolence de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait ! Valère Appelez−vous cela un vol ? Harpagon Si je l'appelle un vol ? Un trésor comme celui−là ! Valère -C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez sans doute ; mais ce ne sera pas le perdre que -me le laisser. Je vous le demande à genoux, ce trésor plein de charmes ; et pour bien faire, il faut que vou +C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez sans doute ; mais ce ne sera pas le perdre que de +me le laisser. Je vous le demande à genoux, ce trésor plein de charmes ; et pour bien faire, il faut que vous me l'accordiez. Harpagon Je n'en ferai rien. Qu'est−ce à dire cela ? @@ -39507,11 +39507,11 @@ Harpagon Vous verrez que c'est par charité chrétienne qu'il veut avoir mon bien ; mais j'y donnerai bon ordre ; et la justice, pendard effronté, me va faire raison de tout. Valère -Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes les violences qu'il vous plaira ; m -je vous prie de croire, au moins, que, s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, et que votre fil +Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes les violences qu'il vous plaira ; mais +je vous prie de croire, au moins, que, s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, et que votre fille en tout ceci n'est aucunement coupable. Harpagon -Je le crois bien, vraiment ; il seroit fort étrange que ma fille eût trempé dans ce crime. Mais je veux ravoi +Je le crois bien, vraiment ; il seroit fort étrange que ma fille eût trempé dans ce crime. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me confesses en quel endroit tu me l'as enlevée. Valère Moi ? je ne l'ai point enlevée, et elle est encore chez vous. @@ -39541,7 +39541,7 @@ Dame Claude, Monsieur, sait la vérité de cette aventure, et elle vous peut ren Harpagon Quoi ? ma servante est complice de l'affaire ? Valère -Oui, Monsieur, elle a été témoin de notre engagement ; et c'est après avoir connu l'honnêteté de ma flamm +Oui, Monsieur, elle a été témoin de notre engagement ; et c'est après avoir connu l'honnêteté de ma flamme, qu'elle m'a aidé à persuader votre fille de me donner sa foi, et recevoir la mienne. Harpagon Eh ? Est−ce que la peur de la justice le fait extravaguer ? Que nous brouilles−tu ici de ma fille ? @@ -39569,20 +39569,20 @@ Ce sont des noms qui ne me sont point dus ; et quand on saura qui je suis... Scène IV Elise, Mariane, Frosine, Harpagon, Valère, Maître Jacques, Le Commissaire, Son Clerc Harpagon -Ah ! fille scélérate ! fille indigne d'un père comme moi ! c'est ainsi que tu pratiques les leçons que je t'a +Ah ! fille scélérate ! fille indigne d'un père comme moi ! c'est ainsi que tu pratiques les leçons que je t'ai données ? Tu te laisses prendre d'amour pour un voleur infâme, et tu lui engages ta foi sans mon consentement ? Mais vous serez trompés l'un et l'autre. Quatre bonnes murailles me répondront de ta conduite ; et une bonne potence me fera raison de ton audace. Valère -Ce ne sera point votre passion qui jugera l'affaire ; et l'on m'écoutera, au moins, avant que de me condam +Ce ne sera point votre passion qui jugera l'affaire ; et l'on m'écoutera, au moins, avant que de me condamner. Harpagon Je me suis abusé de dire une potence, et tu seras roué tout vif. Elise, à genoux devant son père. -Ah ! mon père, prenez des sentiments un peu plus humains, je vous prie, et n'allez point pousser les chos -dans les dernières violences du pouvoir paternel. Ne vous laissez point entraîner aux premiers mouvemen -de votre passion, et donnez−vous le temps de considérer ce que vous voulez faire. Prenez la peine de mieu +Ah ! mon père, prenez des sentiments un peu plus humains, je vous prie, et n'allez point pousser les choses +dans les dernières violences du pouvoir paternel. Ne vous laissez point entraîner aux premiers mouvements +de votre passion, et donnez−vous le temps de considérer ce que vous voulez faire. Prenez la peine de mieux voir celui dont vous vous offensez : il est tout autre que vos yeux ne le jugent ; et vous trouverez moins -étrange que je me sois donnée à lui, lorsque vous saurez que sans lui vous ne m'auriez plus il y a longtemp +étrange que je me sois donnée à lui, lorsque vous saurez que sans lui vous ne m'auriez plus il y a longtemps. Oui, mon père, c'est celui qui me sauva de ce grand péril que vous savez que je courus dans l'eau, et à qui vous devez la vie de cette même fille dont... Harpagon @@ -39600,35 +39600,35 @@ Anselme, Harpagon, Elise, Mariane, Frosine, Valère, Maître Jacques, le Commiss Anselme Qu'est−ce, seigneur Harpagon ? je vous vois tout ému. Harpagon -Ah ! seigneur Anselme, vous me voyez le plus infortuné de tous les hommes ; et voici bien du trouble et -désordre au contrat que vous venez faire ? On m'assassine dans le bien, on m'assassine dans l'honneur ; e -voilà un traître, un scélérat, qui a violé tous les droits les plus saints, qui s'est coulé chez moi sous le titre +Ah ! seigneur Anselme, vous me voyez le plus infortuné de tous les hommes ; et voici bien du trouble et du +désordre au contrat que vous venez faire ? On m'assassine dans le bien, on m'assassine dans l'honneur ; et +voilà un traître, un scélérat, qui a violé tous les droits les plus saints, qui s'est coulé chez moi sous le titre de domestique, pour me dérober mon argent et pour me suborner ma fille. Valère Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias ? Harpagon -Oui, ils se sont donné l'un et l'autre une promesse de mariage. Cet affront vous regarde, seigneur Anselme -c'est vous qui devez vous rendre partie contre lui, et faire toutes les poursuites de la justice, pour vous ven +Oui, ils se sont donné l'un et l'autre une promesse de mariage. Cet affront vous regarde, seigneur Anselme, et +c'est vous qui devez vous rendre partie contre lui, et faire toutes les poursuites de la justice, pour vous venger de son insolence. Anselme -Ce n'est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien prétendre à un coeur qui se seroit donné +Ce n'est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien prétendre à un coeur qui se seroit donné ; mais pour vos intérêts, je suis prêt à les embrasser ainsi que les miens propres. Harpagon -Voilà Monsieur qui est un honnête commissaire, qui n'oubliera rien, à ce qu'il m'a dit, de la fonction de so +Voilà Monsieur qui est un honnête commissaire, qui n'oubliera rien, à ce qu'il m'a dit, de la fonction de son office. Chargez−le comme il faut, Monsieur, et rendez les choses bien criminelles. Valère Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la passion que j'ai pour votre fille ; et le supplice où vous croyez que je puisse être condamné pour notre engagement, lorsqu'on saura ce que je suis... Harpagon -Je me moque de tous ces contes ; et le monde aujourd'hui n'est plein que de ces larrons de noblesse, que d -ces imposteurs, qui tirent avantage de leur obscurité, et s'habillent insolemment du premier nom illustre q +Je me moque de tous ces contes ; et le monde aujourd'hui n'est plein que de ces larrons de noblesse, que de +ces imposteurs, qui tirent avantage de leur obscurité, et s'habillent insolemment du premier nom illustre qu'ils s'avisent de prendre. Valère -Sachez que j'ai le coeur trop bon pour me parer de quelque chose qui ne soit point à moi, et que tout Napl +Sachez que j'ai le coeur trop bon pour me parer de quelque chose qui ne soit point à moi, et que tout Naples peut rendre témoignage de ma naissance. Anselme -Tout beau ! prenez garde à ce que vous allez dire. Vous risquez ici plus que vous ne pensez ; et vous par -devant un homme à qui tout Naples est connu, et qui peut aisément voir clair dans l'histoire que vous fere +Tout beau ! prenez garde à ce que vous allez dire. Vous risquez ici plus que vous ne pensez ; et vous parlez +devant un homme à qui tout Naples est connu, et qui peut aisément voir clair dans l'histoire que vous ferez. Valère, en mettant fièrement son chapeau. Je ne suis point homme à rien craindre, et si Naples vous est connu, vous savez qui étoit Dom Thomas d'Alburcy. @@ -39645,7 +39645,7 @@ Lui ? Valère Oui. Anselme -Allez ; vous vous moquez. Cherchez quelque autre histoire, qui vous puisse mieux réussir, et ne prétende +Allez ; vous vous moquez. Cherchez quelque autre histoire, qui vous puisse mieux réussir, et ne prétendez pas vous sauver sous cette imposture. Valère Songez à mieux parler. Ce n'est point une imposture ; et je n'avance rien qu'il ne me soit aisé de justifier. @@ -39656,49 +39656,49 @@ Oui, je l'ose ; et je suis prêt de soutenir cette vérité contre qui que ce s Anselme L'audace est merveilleuse. Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a seize ans pour le moins que l'homme dont vous nous parlez périt sur mer avec ses enfants et sa femme, en voulant dérober leur vie aux cruelles -persécutions qui ont accompagné les désordres de Naples, et qui en firent exiler plusieurs nobles familles +persécutions qui ont accompagné les désordres de Naples, et qui en firent exiler plusieurs nobles familles. Valère -Oui ; mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son fils, âgé de sept ans, avec un domestique, fut sa +Oui ; mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son fils, âgé de sept ans, avec un domestique, fut sauvé de ce naufrage par un vaisseau espagnol, et que ce fils sauvé est celui qui vous parle ; apprenez que le -capitaine de ce vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour moi ; qu'il me fit élever comme son propr +capitaine de ce vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour moi ; qu'il me fit élever comme son propre fils, et que les armes furent mon emploi dès que je m'en trouvai capable ; que j'ai su depuis peu que mon -père n'étoit point mort, comme je l'avois toujours cru ; que passant ici pour l'aller chercher, une aventure, -le Ciel concertée, me fit voir la charmante Elise ; que cette vue me rendit esclave de ses beautés ; et que -violence de mon amour, et les sévérités de son père, me firent prendre la résolution de m'introduire dans s +père n'étoit point mort, comme je l'avois toujours cru ; que passant ici pour l'aller chercher, une aventure, par +le Ciel concertée, me fit voir la charmante Elise ; que cette vue me rendit esclave de ses beautés ; et que la +violence de mon amour, et les sévérités de son père, me firent prendre la résolution de m'introduire dans son logis, et d'envoyer un autre à la quête de mes parents. Anselme -Mais quels témoignages encore, autres que vos paroles, nous peuvent assurer que ce ne soit point une fab +Mais quels témoignages encore, autres que vos paroles, nous peuvent assurer que ce ne soit point une fable que vous ayez bâtie sur une vérité ? Valère Le capitaine espagnol ; un cachet de rubis qui étoit à mon père ; un bracelet d'agate que ma mère m'avoit mis au bras ; le vieux Pedro, ce domestique qui se sauva avec moi du naufrage. Mariane -Hélas ! à vos paroles je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez point ; et tout ce que vous dites me fa +Hélas ! à vos paroles je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez point ; et tout ce que vous dites me fait connoître clairement que vous êtes mon frère. Valère Vous ma soeur ? Mariane Oui. Mon coeur s'est ému dès le moment que vous avez ouvert la bouche ; et notre mère, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des disgrâces de notre famille. Le Ciel ne nous fit point aussi périr dans ce -triste naufrage ; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de notre liberté ; et ce furent des corsaires q -nous recueillirent, ma mère et moi, sur un débris de notre vaisseau. Après dix ans d'esclavage, une heureu -fortune nous rendit notre liberté, et nous retournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien ven +triste naufrage ; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de notre liberté ; et ce furent des corsaires qui +nous recueillirent, ma mère et moi, sur un débris de notre vaisseau. Après dix ans d'esclavage, une heureuse +fortune nous rendit notre liberté, et nous retournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, sans y pouvoir trouver des nouvelles de notre père. Nous passâmes à Gênes, où ma mère alla ramasser -quelques malheureux restes d'une succession qu'on avoit déchirée ; et de là, fuyant la barbare injustice de +quelques malheureux restes d'une succession qu'on avoit déchirée ; et de là, fuyant la barbare injustice de ses parents, elle vint en ces lieux, où elle n'a presque vécu que d'une vie languissante. Anselme -O Ciel ! quels sont les traits de ta puissance ! et que tu fais bien voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire de +O Ciel ! quels sont les traits de ta puissance ! et que tu fais bien voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire des miracles ! Embrassez−moi, mes enfants, et mêlez tous deux vos transports à ceux de votre père. Valère Vous êtes notre père ? Mariane C'est vous que ma mère a tant pleuré ? Anselme -Oui, ma fille, oui, mon fils, je suis Dom Thomas d'Alburcy, que le Ciel garantit des ondes avec tout l'arge -qu'il portoit, et qui vous ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparoit, après de longs voyag +Oui, ma fille, oui, mon fils, je suis Dom Thomas d'Alburcy, que le Ciel garantit des ondes avec tout l'argent +qu'il portoit, et qui vous ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparoit, après de longs voyages, à chercher dans l'hymen d'une douce et sage personne la consolation de quelque nouvelle famille. Le peu de sûreté que j'ai vu pour ma vie à retourner à Naples, m'a fait y renoncer pour toujours ; et ayant su trouver -moyen d'y faire vendre ce que j'avois, je me suis habitué ici, où, sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'éloig +moyen d'y faire vendre ce que j'avois, je me suis habitué ici, où, sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'éloigner les chagrins de cet autre nom qui m'a causé tant de traverses. Harpagon C'est là votre fils ? @@ -39725,29 +39725,29 @@ Pouvez−vous me croire capable d'une action si lâche ? Harpagon Capable ou non capable, je veux ravoir mon argent. Scène VI -Cléante, Valère, Mariane, Elise, Frosine, Harpagon, Anselme, Maître Jacques, La Flèche, Le commissaire +Cléante, Valère, Mariane, Elise, Frosine, Harpagon, Anselme, Maître Jacques, La Flèche, Le commissaire, Son Clerc Cléante -Ne vous tourmentez point, mon père, et n'accusez personne. J'ai découvert des nouvelles de votre affaire, -viens ici pour vous dire que, si vous voulez vous résoudre à me laisser épouser Mariane, votre argent vou +Ne vous tourmentez point, mon père, et n'accusez personne. J'ai découvert des nouvelles de votre affaire, et je +viens ici pour vous dire que, si vous voulez vous résoudre à me laisser épouser Mariane, votre argent vous sera rendu. Harpagon Où est−il ? Cléante -Ne vous en mettez point en peine : il est en lieu dont je réponds, et tout ne dépend que de moi. C'est à vo -de me dire à quoi vous vous déterminez ; et vous pouvez choisir, ou de me donner Mariane ; ou de perdr +Ne vous en mettez point en peine : il est en lieu dont je réponds, et tout ne dépend que de moi. C'est à vous +de me dire à quoi vous vous déterminez ; et vous pouvez choisir, ou de me donner Mariane ; ou de perdre votre cassette. Harpagon N'en a−t−on rien ôté ? Cléante -Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire à ce mariage, et de joindre votre consentement à ce +Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire à ce mariage, et de joindre votre consentement à celui de sa mère, qui lui laisse la liberté de faire un choix entre nous deux. Mariane Mais vous ne savez pas que ce n'est pas assez que ce consentement, et que le Ciel, avec un frère que vous voyez, vient de me rendre un père dont vous avez à m'obtenir. Anselme -Le Ciel, mes enfants, ne me redonne point à vous pour être contraire à vos voeux. Seigneur Harpagon, vo -jugez bien que le choix d'une jeune personne tombera sur le fils plutôt que sur le père. Allons, ne vous fai +Le Ciel, mes enfants, ne me redonne point à vous pour être contraire à vos voeux. Seigneur Harpagon, vous +jugez bien que le choix d'une jeune personne tombera sur le fils plutôt que sur le père. Allons, ne vous faites point dire ce qu'il n'est pas nécessaire d'entendre, et consentez ainsi que moi à ce double hyménée. Harpagon Il faut, pour me donner conseil, que je voie ma cassette. @@ -39774,7 +39774,7 @@ Oui ! mais je ne prétends pas, moi, les avoir faites pour rien. Harpagon Pour votre payement, voilà un homme que je vous donne à pendre. Maître Jacques -Hélas ! comment faut−il donc faire ? On me donne des coups de bâton pour dire vrai, et on me veut pend +Hélas ! comment faut−il donc faire ? On me donne des coups de bâton pour dire vrai, et on me veut pendre pour mentir. Anselme Seigneur Harpagon, il faut lui pardonner cette imposture. @@ -39786,8 +39786,8 @@ Harpagon Et moi, voir ma chère cassette. Monsieur de Pourceaugnac Comédie−Ballet -Faite à Chambord, pour le divertissement du roi, au mois de septembre 1669, et représentée en public à P -pour la première fois, sur le Théâtre du Palais−Royal, le 15e novembre de la même année 1669, par la Tro +Faite à Chambord, pour le divertissement du roi, au mois de septembre 1669, et représentée en public à Paris, +pour la première fois, sur le Théâtre du Palais−Royal, le 15e novembre de la même année 1669, par la Troupe du Roi Personnages M. de Pourceaugnac. @@ -39814,8 +39814,8 @@ Plusieurs Musiciens. Joueurs d'instruments et danseurs. La scène est à Paris. L'ouverture se fait... -L'ouverture se fait par Eraste, qui conduit un grand concert, de voix et d'instruments, pour une sérénade, d -les paroles chantées par trois voix en manière de dialogue, sont faites sur le sujet de la comédie, et exprim +L'ouverture se fait par Eraste, qui conduit un grand concert, de voix et d'instruments, pour une sérénade, dont +les paroles chantées par trois voix en manière de dialogue, sont faites sur le sujet de la comédie, et expriment les sentiments de deux amants, qui, étant bien ensemble, sont traversés par le caprice des parents. Première voix Répands, charmante nuit, répands sur tous les yeux @@ -39847,7 +39847,7 @@ Ne font que redoubler une amitié fidèle. Aimons−nous donc d'une ardeur éternelle : Quand deux coeurs s'aiment bien, Tout le reste n'est rien. -La sérénade est suivie d'une danse de deux Pages, pendant laquelle quatre Curieux de spectacles, ayant pr +La sérénade est suivie d'une danse de deux Pages, pendant laquelle quatre Curieux de spectacles, ayant pris querelle ensemble, mettent l'épée à la main. Après un assez agréable combat, ils sont séparés par deux Suisses, qui, les ayant mis d'accord, dansent avec eux, au son de tous les instruments. Acte I @@ -39863,7 +39863,7 @@ Aye aussi l'oeil au guet, Nérine, et prends bien garde qu'il ne vienne personne Nérine Reposez−vous sur moi, et dites hardiment ce que vous avez à vous dire. Julie -Avez−vous imaginé pour notre affaire quelque chose de favorable ? et croyez−vous, Eraste, pouvoir veni +Avez−vous imaginé pour notre affaire quelque chose de favorable ? et croyez−vous, Eraste, pouvoir venir à bout de détourner ce fâcheux mariage que mon père s'est mis en tête ? Eraste Au moins y travaillons−nous fortement ; et déjà nous avons préparé un bon nombre de batteries pour @@ -39877,21 +39877,21 @@ Non, non, non, ne bougez : je m'étois trompée. Julie Mon Dieu ! Nérine, que tu es sotte de nous donner de ces frayeurs ! Eraste -Oui, belle Julie, nous avons dressé pour cela quantités de machines, et nous ne feignons point de mettre to +Oui, belle Julie, nous avons dressé pour cela quantités de machines, et nous ne feignons point de mettre tout en usage, sur la permission que vous m'avez donnée. Ne nous demandez point tous les ressorts que nous -ferons jouer : vous en aurez le divertissement ; et, comme aux comédies, il est bon de vous laisser le plai +ferons jouer : vous en aurez le divertissement ; et, comme aux comédies, il est bon de vous laisser le plaisir de la surprise, et de ne vous avertir point de tout ce qu'on vous fera voir. C'est assez de vous dire que nous -avons en main divers stratagèmes tous prêts à produire dans l'occasion, et que l'ingénieuse Nérine et l'adro +avons en main divers stratagèmes tous prêts à produire dans l'occasion, et que l'ingénieuse Nérine et l'adroit Sbrigani entreprennent l'affaire. Nérine Assurément. Votre père se moque−t−il de vouloir vous anger de son avocat de Limoges, Monsieur de -Pourceaugnac, qu'il n'a vu de sa vie, et qui vient par le coche vous enlever à notre barbe ? Faut−il que tro -ou quatre mille écus de plus, sur la parole de votre oncle, lui fassent rejeter un amant qui vous agrée ? et +Pourceaugnac, qu'il n'a vu de sa vie, et qui vient par le coche vous enlever à notre barbe ? Faut−il que trois +ou quatre mille écus de plus, sur la parole de votre oncle, lui fassent rejeter un amant qui vous agrée ? et une personne comme vous est−elle faite pour un Limosin ? S'il a envie de se marier, que ne prend−il une -Limosine et ne laisse−t−il en repos les chrétiens ? Le seul nom de Monsieur de Pourceaugnac m'a mis da -une colère effroyable. J'enrage de Monsieur de Pourceaugnac. Quand il n'y auroit que ce nom−là, Monsie +Limosine et ne laisse−t−il en repos les chrétiens ? Le seul nom de Monsieur de Pourceaugnac m'a mis dans +une colère effroyable. J'enrage de Monsieur de Pourceaugnac. Quand il n'y auroit que ce nom−là, Monsieur de Pourceaugnac, j'y brûlerai mes livres, ou je romprai ce mariage, et vous ne serez point Madame de -Pourceaugnac. Pourceaugnac ! cela se peut−il souffrir ? Non, Pourceaugnac est une chose que je ne saur +Pourceaugnac. Pourceaugnac ! cela se peut−il souffrir ? Non, Pourceaugnac est une chose que je ne saurois supporter ; et nous lui jouerons tant de pièces, nous lui ferons tant de niches sur niches ; que nous renvoyerons à Limoges Monsieur de Pourceaugnac. Eraste @@ -39899,11 +39899,11 @@ Voici notre subtil Napolitain, qui nous dira des nouvelles. Scène II Sbrigani, Julie, Eraste, Nérine Sbrigani -Monsieur, votre homme arrive, je l'ai vu à trois lieues d'ici, où a couché le coche ; et dans la cuisine où il +Monsieur, votre homme arrive, je l'ai vu à trois lieues d'ici, où a couché le coche ; et dans la cuisine où il est descendu pour déjeuner, je l'ai étudié une bonne grosse demie heure, et je le sais déjà par coeur. Pour sa -figure, je ne veux point vous en parler : vous verrez de quel air la nature l'a desseinée, et si l'ajustement q -l'accompagne y répond comme il faut. Mais pour son esprit, je vous avertis par avance qu'il est des plus é -qui se fassent ; que nous trouvons en lui une matière tout à fait disposée pour ce que nous voulons, et qu' +figure, je ne veux point vous en parler : vous verrez de quel air la nature l'a desseinée, et si l'ajustement qui +l'accompagne y répond comme il faut. Mais pour son esprit, je vous avertis par avance qu'il est des plus épais +qui se fassent ; que nous trouvons en lui une matière tout à fait disposée pour ce que nous voulons, et qu'il est homme enfin à donner dans tous les panneaux qu'on lui présentera. Eraste Nous dis−tu vrai ? @@ -39912,23 +39912,23 @@ Oui, si je me connois en gens. Nérine Madame, voilà un illustre ; votre affaire ne pouvoit être mise en de meilleures mains, et c'est le héros de notre siècle pour les exploits dont il s'agit : un homme qui, vingt fois en sa vie, pour servir ses amis, a -généreusement affronté les galères, qui, au péril de ses bras, et de ses épaules, sait mettre noblement à fin +généreusement affronté les galères, qui, au péril de ses bras, et de ses épaules, sait mettre noblement à fin les aventures les plus difficiles ; et qui, tel que vous le voyez, est exilé de son pays pour je ne sais combien d'actions honorables qu'il a généreusement entreprises. Sbrigani -Je suis confus des louanges dont vous m'honorez, et je pourrois vous en donner, avec plus de justice, sur l +Je suis confus des louanges dont vous m'honorez, et je pourrois vous en donner, avec plus de justice, sur les merveilles de votre vie ; et principalement sur la gloire que vous acquîtes, lorsque, avec tant d'honnêteté, vous pipâtes au jeu, pour douze mille écus, ce jeune seigneur étranger que l'on mena chez vous ; lorsque -vous fîtes galamment ce faux contrat qui ruina toute une famille ; lorsque, avec tant de grandeur d'âme, v -sûtes nier le dépôt qu'on vous avoit confié ; et que si généreusement on vous vit prêter votre témoignage +vous fîtes galamment ce faux contrat qui ruina toute une famille ; lorsque, avec tant de grandeur d'âme, vous +sûtes nier le dépôt qu'on vous avoit confié ; et que si généreusement on vous vit prêter votre témoignage à faire pendre ces deux personnages qui ne l'avoient pas mérité. Nérine Ce sont petites bagatelles qui ne valent pas qu'on en parle, et vos éloges me font rougir. Sbrigani -Je veux bien épargner votre modestie : laissons cela ; et pour commencer notre affaire, allons vite joindr -notre provincial, tandis que, de votre côté, vous nous tiendrez prêts au besoin les autres acteurs de la com +Je veux bien épargner votre modestie : laissons cela ; et pour commencer notre affaire, allons vite joindre +notre provincial, tandis que, de votre côté, vous nous tiendrez prêts au besoin les autres acteurs de la comédie. Eraste -Au moins, Madame, souvenez−vous de votre rôle ; et pour mieux couvrir notre jeu, feignez, comme on v +Au moins, Madame, souvenez−vous de votre rôle ; et pour mieux couvrir notre jeu, feignez, comme on vous a dit, d'être la plus contente du monde des résolutions de votre père. Julie S'il ne tient qu'à cela, les choses iront à merveille. @@ -39953,11 +39953,11 @@ Ce qu'on dit quand on aime bien. Julie Mais quoi ? Eraste -Que rien ne pourra vous contraindre, et que, malgré tous les efforts d'un père, vous me promettez d'être à +Que rien ne pourra vous contraindre, et que, malgré tous les efforts d'un père, vous me promettez d'être à moi. Julie Mon Dieu ! Eraste, contentez−vous de ce que je fais maintenant, et n'allez point tenter sur l'avenir les -résolutions de mon coeur ; ne fatiguez point mon devoir par les propositions d'une fâcheuse extrémité, do -peut−être n'aurons−nous pas besoin ; et s'il y faut venir, souffrez au moins que j'y sois entraînée par la su +résolutions de mon coeur ; ne fatiguez point mon devoir par les propositions d'une fâcheuse extrémité, dont +peut−être n'aurons−nous pas besoin ; et s'il y faut venir, souffrez au moins que j'y sois entraînée par la suite des choses. Eraste Eh bien... @@ -39966,11 +39966,11 @@ Ma foi, voici notre homme, songeons à nous. Nérine Ah ! comme il est bâti ! Scène III -Monsieur de Pourceaugnac se tourne du côté d'où il vient, comme parlant à des gens qui le suivent, Sbrig +Monsieur de Pourceaugnac se tourne du côté d'où il vient, comme parlant à des gens qui le suivent, Sbrigani Monsieur de Pourceaugnac Hé bien, quoi ? qu'est−ce ? qu'y a−t−il ? Au diantre soit la sotte ville, et les sottes gens qui y sont ! ne pouvoir faire un pas sans trouver des nigauds qui vous regardent et se mettent à rire ! Eh ! Messieurs les -badauds, faites vos affaires, et laissez passer les personnes sans leur rire au nez. Je me donne au diable, si +badauds, faites vos affaires, et laissez passer les personnes sans leur rire au nez. Je me donne au diable, si je ne baille un coup de poing au premier que je verrai rire. Sbrigani Qu'est−ce que c'est, Messieurs ? que veut dire cela ? à qui en avez−vous ? Faut−il se moquer ainsi des @@ -40018,15 +40018,15 @@ Et quiconque rira de lui aura affaire à moi. Monsieur de Pourceaugnac Monsieur, je vous suis infiniment obligé. Sbrigani -Je suis fâché, Monsieur, de voir recevoir de la sorte une personne comme vous, et je vous demande pardo +Je suis fâché, Monsieur, de voir recevoir de la sorte une personne comme vous, et je vous demande pardon pour la ville. Monsieur de Pourceaugnac Je suis votre serviteur. Sbrigani -Je vous ai vu ce matin, Monsieur, avec le coche, lorsque vous avez déjeuné ; et la grâce avec laquelle vou +Je vous ai vu ce matin, Monsieur, avec le coche, lorsque vous avez déjeuné ; et la grâce avec laquelle vous mangiez votre pain m'a fait naître d'abord de l'amitié pour vous ; et comme je sais que vous n'êtes jamais venu en ce pays, et que vous y êtes tout neuf, je suis bien aise de vous avoir trouvé, pour vous offrir mon -service à cette arrivée, et vous aider à vous conduire parmi ce peuple, qui n'a pas parfois pour les honnête +service à cette arrivée, et vous aider à vous conduire parmi ce peuple, qui n'a pas parfois pour les honnêtes gens toute la considération qu'il faudroit. Monsieur de Pourceaugnac C'est trop de grâce que vous me faites. @@ -40122,7 +40122,7 @@ meilleur ami de toute la famille des Pourceaugnac ? Monsieur de Pourceaugnac Pardonnez−moi. (A Sbrigani.) Ma foi ! je ne sais qui il est. Eraste -Il n'y a pas un Pourceaugnac à Limoges que je ne connoisse depuis le plus grand jusques au plus petit ; je +Il n'y a pas un Pourceaugnac à Limoges que je ne connoisse depuis le plus grand jusques au plus petit ; je ne fréquentois qu'eux dans le temps que j'y étois, et j'avois l'honneur de vous voir presque tous les jours. Monsieur de Pourceaugnac C'est moi qui l'ai reçu, Monsieur. @@ -40139,7 +40139,7 @@ Comment appelez−vous ce traiteur de Limoges qui fait si bonne chère ? Monsieur de Pourceaugnac Petit−Jean ? Eraste -Le voilà. Nous allions le plus souvent ensemble chez lui nous réjouir. Comment est−ce que vous nommez +Le voilà. Nous allions le plus souvent ensemble chez lui nous réjouir. Comment est−ce que vous nommez à Limoges ce lieu où l'on se promène ? Monsieur de Pourceaugnac Le cimetière des Arènes ? @@ -40248,7 +40248,7 @@ Assurément. Au reste, je ne prétends pas que vous preniez d'autre logis que le Monsieur de Pourceaugnac Je n'ai garde de... Eraste -Vous moquez−vous ? Je ne souffrirai point du tout que mon meilleur ami soit autre part que dans ma mai +Vous moquez−vous ? Je ne souffrirai point du tout que mon meilleur ami soit autre part que dans ma maison. Monsieur de Pourceaugnac Ce seroit vous... Eraste @@ -40296,44 +40296,44 @@ Et Monsieur le médecin est−il à la maison ? L'Apothicaire Oui, il est là embarrassé à expédier quelques malades, et je vais lui dire que vous êtes ici. Eraste -Non, ne bougez : j'attendrai qu'il ait fait ; c'est pour lui mettre entre les mains certain parent que nous avo -dont on lui a parlé, et qui se trouve attaqué de quelque folie, que nous serions bien aises qu'il pût guérir av +Non, ne bougez : j'attendrai qu'il ait fait ; c'est pour lui mettre entre les mains certain parent que nous avons, +dont on lui a parlé, et qui se trouve attaqué de quelque folie, que nous serions bien aises qu'il pût guérir avant que de le marier. L'Apothicaire -Je sais ce que c'est, je sais ce que c'est, et j'étois avec lui quand on lui a parlé de cette affaire. Ma foi, ma f -vous ne pouviez pas vous adresser à un médecin plus habile : c'est un homme qui sait la médecine à fond -comme je sais ma croix de par Dieu, et qui, quand on devroit crever, ne démordroit pas d'un iota des règle -des anciens. Oui, il suit toujours le grand chemin, le grand chemin, et ne va point chercher midi à quatorz -heures ; et pour tout l'or du monde, il ne voudroit point avoir guéri une personne avec d'autres remèdes q +Je sais ce que c'est, je sais ce que c'est, et j'étois avec lui quand on lui a parlé de cette affaire. Ma foi, ma foi ! +vous ne pouviez pas vous adresser à un médecin plus habile : c'est un homme qui sait la médecine à fond, +comme je sais ma croix de par Dieu, et qui, quand on devroit crever, ne démordroit pas d'un iota des règles +des anciens. Oui, il suit toujours le grand chemin, le grand chemin, et ne va point chercher midi à quatorze +heures ; et pour tout l'or du monde, il ne voudroit point avoir guéri une personne avec d'autres remèdes que ceux que la Faculté permet. Eraste Il fait fort bien : un malade ne doit point vouloir guérir que la Faculté n'y consente. L'Apothicaire -Ce n'est pas parce que nous sommes grands amis, que j'en parle ; mais il y a plaisir, il y a plaisir d'être so -malade ; et j'aimerois mieux mourir de ses remèdes que de guérir de ceux d'un autre ; car, quoi qui puiss +Ce n'est pas parce que nous sommes grands amis, que j'en parle ; mais il y a plaisir, il y a plaisir d'être son +malade ; et j'aimerois mieux mourir de ses remèdes que de guérir de ceux d'un autre ; car, quoi qui puisse arriver, on est assuré que les choses sont toujours dans l'ordre ; et quand on meurt sous sa conduite, vos héritiers n'ont rien à vous reprocher. Eraste C'est une grande consolation pour un défunt. L'Apothicaire -Assurément : on est bien aise au moins d'être mort méthodiquement. Au reste, il n'est pas de ces médecin -qui marchandent les maladies : c'est un homme expéditif, qui aime à dépêcher ses malades ; et quand on +Assurément : on est bien aise au moins d'être mort méthodiquement. Au reste, il n'est pas de ces médecins +qui marchandent les maladies : c'est un homme expéditif, qui aime à dépêcher ses malades ; et quand on a à mourir, cela se fait avec lui le plus vite du monde. Eraste En effet, il n'est rien tel que de sortir promptement d'affaire. L'Apothicaire -Cela est vrai : à quoi bon tant barguigner et tant tourner autour du pot ? Il faut savoir vitement le court o +Cela est vrai : à quoi bon tant barguigner et tant tourner autour du pot ? Il faut savoir vitement le court ou le long d'une maladie Eraste Vous avez raison. L'Apothicaire -Voilà déjà trois de mes enfants dont il m'a fait l'honneur de conduire la maladie, qui sont morts en moins +Voilà déjà trois de mes enfants dont il m'a fait l'honneur de conduire la maladie, qui sont morts en moins de quatre jours et qui, entre les mains d'un autre, auroient langui plus de trois mois. Eraste Il est bon d'avoir des amis comme cela. L'Apothicaire Sans doute. Il ne me reste plus que deux enfants, dont il prend soin comme des siens ; il les traite et -gouverne à sa fantaisie, sans que je me mêle de rien ; et le plus souvent, quand je reviens de la ville, je su +gouverne à sa fantaisie, sans que je me mêle de rien ; et le plus souvent, quand je reviens de la ville, je suis tout étonné que je les trouve saignés ou purgés par son ordre. Eraste Voilà des soins fort obligeants. @@ -40344,17 +40344,17 @@ Premier Médecin, Un Paysan, Une Paysanne, Eraste, L'Apothicaire Le Paysan Monsieur, il n'en peut plus, et il dit qu'il sent dans la tête les plus grandes douleurs du monde. Premier Médecin -Le malade est un sot, d'autant plus que, dans la maladie dont il est attaqué, ce n'est pas la tête, selon Galie +Le malade est un sot, d'autant plus que, dans la maladie dont il est attaqué, ce n'est pas la tête, selon Galien, mais la rate, qui lui doit faire mal. Le Paysan Quoi que c'en soit, Monsieur, il a toujours avec cela son cours de ventre depuis six mois. Premier Médecin -Bon, c'est signe que le dedans se dégage. Je l'irai visiter dans deux ou trois jours ; mais s'il mouroit avant +Bon, c'est signe que le dedans se dégage. Je l'irai visiter dans deux ou trois jours ; mais s'il mouroit avant ce temps−là, ne manquez pas de m'en donner avis, car il n'est pas de la civilité qu'un médecin visite un mort. La Paysanne Mon père, Monsieur, est toujours malade de plus en plus. Premier Médecin -Ce n'est pas ma faute : je lui donne des remèdes ; que ne guérit−il ? Combien a−t−il été saigné de fois ? +Ce n'est pas ma faute : je lui donne des remèdes ; que ne guérit−il ? Combien a−t−il été saigné de fois ? La Paysanne Quinze, Monsieur, depuis vingt jours. Premier Médecin @@ -40366,13 +40366,13 @@ Et il ne guérit point ? La Paysanne Non, Monsieur. Premier Médecin -C'est signe que la maladie n'est pas dans le sang. Nous le ferons purger autant de fois, pour voir si elle n'e +C'est signe que la maladie n'est pas dans le sang. Nous le ferons purger autant de fois, pour voir si elle n'est pas dans les humeurs, et si rien ne nous réussit, nous l'envoyerons aux bains. L'Apothicaire Voilà le fin cela, voilà le fin de la médecine. Eraste -C'est moi, Monsieur, qui vous ai envoyé parler ces jours passés pour un parent un peu troublé d'esprit, que -veux vous donner chez vous, afin de le guérir avec plus de commodité, et qu'il soit vu de moins de monde +C'est moi, Monsieur, qui vous ai envoyé parler ces jours passés pour un parent un peu troublé d'esprit, que je +veux vous donner chez vous, afin de le guérir avec plus de commodité, et qu'il soit vu de moins de monde. Premier Médecin Oui, Monsieur, j'ai déjà disposé tout, et promets d'en avoir tous les soins imaginables. Eraste @@ -40383,7 +40383,7 @@ consulter sa maladie. Scène VII Monsieur de Pourceaugnac, Eraste, Premier Médecin, L'Apothicaire Eraste -Une petite affaire m'est survenue, qui m'oblige à vous quitter : mais voilà une personne entre les mains d +Une petite affaire m'est survenue, qui m'oblige à vous quitter : mais voilà une personne entre les mains de qui je vous laisse, qui aura soin pour moi de vous traiter du mieux qu'il lui sera possible. Premier Médecin Le devoir de ma profession m'y oblige, et c'est assez que vous me chargiez de ce soin. @@ -40398,13 +40398,13 @@ Un tel emploi ne me donne que de la joie. Eraste Voilà toujours six pistoles d'avance, en attendant ce que j'ai promis. Monsieur de Pourceaugnac -Non, s'il vous plaît, je n'entends pas que vous fassiez de dépense, et que vous envoyiez rien acheter pour m +Non, s'il vous plaît, je n'entends pas que vous fassiez de dépense, et que vous envoyiez rien acheter pour moi. Eraste Mon Dieu ! laissez faire. Ce n'est pas pour ce que vous pensez. Monsieur de Pourceaugnac Je vous demande de ne me traiter qu'en ami. Eraste -C'est ce que je veux faire. (Bas au médecin.) Je vous recommande surtout de ne le point laisser sortir de v +C'est ce que je veux faire. (Bas au médecin.) Je vous recommande surtout de ne le point laisser sortir de vos mains ; car parfois il veut s'échapper. Premier Médecin Ne vous mettez pas en peine. @@ -40436,7 +40436,7 @@ Mangez−vous bien, Monsieur ? Monsieur de Pourceaugnac Oui, et bois encore mieux. Premier Médecin -Tant pis : cette grande appétition du froid et de l'humide est une indication de la chaleur et sécheresse qui +Tant pis : cette grande appétition du froid et de l'humide est une indication de la chaleur et sécheresse qui est au dedans. Dormez−vous fort ? Monsieur de Pourceaugnac Oui, quand j'ai bien soupé. @@ -40453,67 +40453,67 @@ Vos déjections, comment sont−elles ? Monsieur de Pourceaugnac Ma foi ! je ne comprends rien à toutes ces questions, et je veux plutôt boire un coup. Premier Médecin -Un peu de patience, nous allons raisonner sur votre affaire devant vous et nous le ferons en français, pour +Un peu de patience, nous allons raisonner sur votre affaire devant vous et nous le ferons en français, pour être plus intelligibles. Monsieur de Pourceaugnac Quel grand raisonnement faut−il pour manger un morceau ? Premier Médecin -Comme ainsi soit qu'on ne puisse guérir une maladie qu'on ne la connoisse parfaitement, et qu'on ne la pu +Comme ainsi soit qu'on ne puisse guérir une maladie qu'on ne la connoisse parfaitement, et qu'on ne la puisse parfaitement connoître sans en bien établir l'idée particulière, et la véritable espèce, par ses signes -diagnostiques et prognostiques, vous me permettrez, Monsieur notre ancien, d'entrer en considération de l -maladie dont il s'agit, avant que de toucher à la thérapeutique, et aux remèdes qu'il nous conviendra faire +diagnostiques et prognostiques, vous me permettrez, Monsieur notre ancien, d'entrer en considération de la +maladie dont il s'agit, avant que de toucher à la thérapeutique, et aux remèdes qu'il nous conviendra faire pour la parfaite curation d'icelle. Je dis donc, Monsieur, avec votre permission, que notre malade ici présent est malheureusement attaqué, affecté, possédé, travaillé de cette sorte de folie que nous nommons fort bien mélancolie hypocondriaque, espèce de folie très−fâcheuse, et qui ne demande pas moins qu'un Esculape comme vous, consommé dans notre art, vous, dis−je, qui avez blanchi, comme on dit, sous le harnois, et -auquel il en a tant passé par les mains de toutes les façons. Je l'appelle mélancolie hypocondriaque, pour l +auquel il en a tant passé par les mains de toutes les façons. Je l'appelle mélancolie hypocondriaque, pour la distinguer des deux autres ; car le célèbre Galien établit doctement à son ordinaire trois espèces de cette maladie que nous nommons mélancolie, ainsi appelée non−seulement par les Latins, mais encore par les -Grecs, ce qui est bien à remarquer pour notre affaire : la première, qui vient du propre vice du cerveau ; -seconde, qui vient de tout le sang, fait et rendu atrabilaire ; la troisième, appelée hypocondriaque, qui est +Grecs, ce qui est bien à remarquer pour notre affaire : la première, qui vient du propre vice du cerveau ; la +seconde, qui vient de tout le sang, fait et rendu atrabilaire ; la troisième, appelée hypocondriaque, qui est la nôtre, laquelle procède du vice de quelque partie du bas−ventre et de la région inférieure, mais -particulièrement de la rate, dont la chaleur et l'inflammation porte au cerveau de notre malade beaucoup d +particulièrement de la rate, dont la chaleur et l'inflammation porte au cerveau de notre malade beaucoup de fuligines épaisses et crasses, dont la vapeur noire et maligne cause dépravation aux fonctions de la faculté -princesse, et fait la maladie dont, par notre raisonnement, il est manifestement atteint et convaincu. Qu'ain +princesse, et fait la maladie dont, par notre raisonnement, il est manifestement atteint et convaincu. Qu'ainsi ne soit, pour diagnostique incontestable de ce que je dis, vous n'avez qu'à considérer ce grand sérieux que -vous voyez ; cette tristesse accompagnée de crainte et de défiance, signes pathognomoniques et individue -de cette maladie, si bien marquée chez le divin vieillard Hippocrate ; cette physionomie, ces yeux rouges -hagards, cette grande barbe, cette habitude du corps, menue, grêle, noire et velue, lesquels signes le dénot +vous voyez ; cette tristesse accompagnée de crainte et de défiance, signes pathognomoniques et individuels +de cette maladie, si bien marquée chez le divin vieillard Hippocrate ; cette physionomie, ces yeux rouges et +hagards, cette grande barbe, cette habitude du corps, menue, grêle, noire et velue, lesquels signes le dénotent très−affecté de cette maladie, procédante du vice des hypocondres : laquelle maladie, par laps de temps naturalisée, envieillie, habituée, et ayant pris droit de bourgeoisie chez lui, pourroit bien dégénérer ou en manie, ou en phtisie, ou en apoplexie, ou même en fine frénésie et fureur. Tout ceci supposé, puisqu'une maladie bien connue est à demi guérie, car ignoti nulla est curatio morbi, il ne vous sera pas difficile de convenir des remèdes que nous devons faire à Monsieur. Premièrement, pour remédier à cette pléthore obturante, et à cette cacochymie luxuriante par tout le corps, je suis d'avis qu'il soit phlébotomisé -libéralement, c'est−à−dire que les saignées soient fréquentes et plantureuses : en premier lieu de la basiliq -puis de la céphalique ; et même, si le mal est opiniâtre, de lui ouvrir la veine du front, et que l'ouverture s -large, afin que le gros sang puisse sortir ; et en même temps, de le purger, désopiler, et évacuer par purga +libéralement, c'est−à−dire que les saignées soient fréquentes et plantureuses : en premier lieu de la basilique, +puis de la céphalique ; et même, si le mal est opiniâtre, de lui ouvrir la veine du front, et que l'ouverture soit +large, afin que le gros sang puisse sortir ; et en même temps, de le purger, désopiler, et évacuer par purgatifs propres et convenables, c'est−à−dire par cholagogues, mélanogogues, et caetera ; et comme la véritable -source de tout le mal est ou une humeur crasse et féculente, ou une vapeur noire et grossière qui obscurcit -infecte et salit les esprits animaux, il est à propos ensuite qu'il prenne un bain d'eau pure et nette, avec for -petit−lait clair, pour purifier par l'eau la féculence de l'humeur crasse, et éclaircir par le lait clair la noirceu +source de tout le mal est ou une humeur crasse et féculente, ou une vapeur noire et grossière qui obscurcit, +infecte et salit les esprits animaux, il est à propos ensuite qu'il prenne un bain d'eau pure et nette, avec force +petit−lait clair, pour purifier par l'eau la féculence de l'humeur crasse, et éclaircir par le lait clair la noirceur de cette vapeur ; mais, avant toute chose, je trouve qu'il est bon de le réjouir par agréables conversations, chants et instruments de musique, à quoi il n'y a pas d'inconvénient de joindre des danseurs, afin que leurs mouvements, disposition et agilité puissent exciter et réveiller la paresse de ses esprits engourdis, qui occasionne l'épaisseur de son sang, d'où procède la maladie. Voilà les remèdes que j'imagine, auxquels -pourront être ajoutés beaucoup d'autres meilleurs par Monsieur notre maître et ancien, suivant l'expérienc +pourront être ajoutés beaucoup d'autres meilleurs par Monsieur notre maître et ancien, suivant l'expérience, jugement, lumière et suffisance qu'il s'est acquise dans notre art. Dixi. Second Médecin -A Dieu ne plaise, Monsieur, qu'il me tombe en pensée d'ajouter rien à ce que vous venez de dire ! Vous a -si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de Monsieur ; le raisonnem +A Dieu ne plaise, Monsieur, qu'il me tombe en pensée d'ajouter rien à ce que vous venez de dire ! Vous avez +si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de Monsieur ; le raisonnement que vous en avez fait est si docte et si beau, qu'il est impossible qu'il ne soit pas fou, et mélancolique -hypocondriaque ; et quand il ne le seroit pas, il faudroit qu'il le devînt, pour la beauté des choses que vou -avez dites, et la justesse du raisonnement que vous depinxisti, tout ce qui appartient à cette maladie : il ne +hypocondriaque ; et quand il ne le seroit pas, il faudroit qu'il le devînt, pour la beauté des choses que vous +avez dites, et la justesse du raisonnement que vous depinxisti, tout ce qui appartient à cette maladie : il ne se peut rien de plus doctement, sagement, ingénieusement conçu, pensé, imaginé, que ce que vous avez -prononcé au sujet de ce mal, soit pour la diagnose, ou la prognose, ou la thérapie ; et il ne me reste rien ic +prononcé au sujet de ce mal, soit pour la diagnose, ou la prognose, ou la thérapie ; et il ne me reste rien ici, que de féliciter Monsieur d'être tombé entre vos mains, et de lui dire qu'il est trop heureux d'être fou, pour -éprouver l'efficace et la douceur des remèdes que vous avez si judicieusement proposés. Je les approuve t -manibus et pedibus descendo in tuam sententiam. Tout ce que j'y voudrois, c'est de faire les saignées et le +éprouver l'efficace et la douceur des remèdes que vous avez si judicieusement proposés. Je les approuve tous, +manibus et pedibus descendo in tuam sententiam. Tout ce que j'y voudrois, c'est de faire les saignées et les purgations en nombre impair : numero deus impari gaudet ; de prendre le lait clair avant le bain ; de lui -composer un fronteau où il entre du sel : le sel est symbole de la sagesse ; de faire blanchir les murailles -sa chambre, pour dissiper les ténèbres de ses esprits : album est disgregativum visus ; et de lui donner to -l'heure un petit lavement, pour servir de prélude et d'introduction à ces judicieux remèdes, dont, s'il a à gu -il doit recevoir du soulagement. Fasse le Ciel que ces remèdes, Monsieur, qui sont les vôtres, réussissent a +composer un fronteau où il entre du sel : le sel est symbole de la sagesse ; de faire blanchir les murailles de +sa chambre, pour dissiper les ténèbres de ses esprits : album est disgregativum visus ; et de lui donner tout à +l'heure un petit lavement, pour servir de prélude et d'introduction à ces judicieux remèdes, dont, s'il a à guérir, +il doit recevoir du soulagement. Fasse le Ciel que ces remèdes, Monsieur, qui sont les vôtres, réussissent au malade selon notre intention ! Monsieur de Pourceaugnac Messieurs, il y a une heure que je vous écoute. Est−ce que nous jouons une comédie ? @@ -40548,7 +40548,7 @@ Mauvais signe, lorsqu'un malade ne sent pas son mal. Monsieur de Pourceaugnac Je vous dis que je me porte bien. Premier Médecin -Nous savons mieux que vous comment vous vous portez, et nous sommes médecins, qui voyons clair dan +Nous savons mieux que vous comment vous vous portez, et nous sommes médecins, qui voyons clair dans votre constitution. Monsieur de Pourceaugnac Si vous êtes médecins, je n'ai que faire de vous ; et je me moque de la médecine. @@ -40558,7 +40558,7 @@ Monsieur de Pourceaugnac Mon père et ma mère n'ont jamais voulu de remèdes, et ils sont morts tous deux sans l'assistance des médecins. Premier Médecin -Je ne m'étonne pas s'ils ont engendré un fils qui est insensé. Allons, procédons à la curation, et par la douc +Je ne m'étonne pas s'ils ont engendré un fils qui est insensé. Allons, procédons à la curation, et par la douceur exhilarante de l'harmonie, adoucissons, lénifions, et accoisons l'aigreur de ses esprits, que je vois prêts à s'enflammer. Scène IX @@ -40566,7 +40566,7 @@ Monsieur de Pourceaugnac Que diable est−ce là ? Les gens de ce pays−ci sont−ils insensés ? Je n'ai jamais rien vu de tel, et je n'y comprends rien du tout. Scène X -Deux Musiciens italiens en médecins grotesques suivis de Huit Matassins, chantent ces paroles soutenues +Deux Musiciens italiens en médecins grotesques suivis de Huit Matassins, chantent ces paroles soutenues de la symphonie d'un mélange d'instruments. Les deux Musiciens Bon dî, bon dî, bon dî : @@ -40646,7 +40646,7 @@ Vous avez raison : vos remèdes étoient un coup sûr, et c'est de l'argent qu' Premier Médecin Où puis−je en avoir des nouvelles ? Sbrigani -Chez le bonhomme Oronte assurément, dont il vient épouser la fille, et qui, ne sachant rien de l'infirmité d +Chez le bonhomme Oronte assurément, dont il vient épouser la fille, et qui, ne sachant rien de l'infirmité de son gendre futur, voudra peut−être se hâter de conclure le mariage. Premier Médecin Je vais lui parler tout à l'heure. @@ -40655,7 +40655,7 @@ Vous ne ferez point mal. Premier Médecin Il est hypothéqué à mes consultations, et un malade ne se moquera pas d'un médecin. Sbrigani -C'est fort bien dit à vous ; et, si vous m'en croyez, vous ne souffrirez point qu'il se marie, que vous ne l'ay +C'est fort bien dit à vous ; et, si vous m'en croyez, vous ne souffrirez point qu'il se marie, que vous ne l'ayez pansé tout votre soûl. Premier Médecin Laissez−moi faire. @@ -40669,12 +40669,12 @@ Oronte Oui, je l'attends de Limoges, et il devroit être arrivé. Premier Médecin Aussi l'est−il, et il s'en est fui de chez moi, après y avoir été mis ; mais je vous défends, de la part de la -médecine, de procéder au mariage que vous avez conclu, que je ne l'aie dûment préparé pour cela, et mis +médecine, de procéder au mariage que vous avez conclu, que je ne l'aie dûment préparé pour cela, et mis en état de procréer des enfants bien conditionnés et de corps et d'esprit. Oronte Comment donc ? Premier Médecin -Votre prétendu gendre a été constitué mon malade : sa maladie qu'on m'a donné à guérir est un meuble qu +Votre prétendu gendre a été constitué mon malade : sa maladie qu'on m'a donné à guérir est un meuble qui m'appartient, et que je compte entre mes effets ; et je vous déclare que je ne prétends point qu'il se marie, qu'au préalable il n'ait satisfait à la médecine, et subi les remèdes que je lui ai ordonnés. Oronte @@ -40689,7 +40689,7 @@ Oronte Est−ce quelque mal... ? Premier Médecin Les médecins sont obligés au secret : il suffit que je vous ordonne, à vous et à votre fille, de ne point -célébrer, sans mon consentement, vos noces avec lui, sur peine d'encourir la disgrâce de la Faculté, et d'êt +célébrer, sans mon consentement, vos noces avec lui, sur peine d'encourir la disgrâce de la Faculté, et d'être accablés de toutes les maladies qu'il nous plaira. Oronte Je n'ai garde, si cela est, de faire le mariage. @@ -40762,7 +40762,7 @@ marchanne Flamane qui estre venu ici. Oronte Ce Monsieur de Pourceaugnac doit beaucoup à dix ou douze marchands ? Sbrigani -Oui, Montsir ; et depuis huite mois, nous avoir obtenir un petit sentence contre lui, et lui à remettre à pay +Oui, Montsir ; et depuis huite mois, nous avoir obtenir un petit sentence contre lui, et lui à remettre à payer tou ce créanciers de sti mariage que sti Montsir Oronte donne pour son fille. Oronte Hon, hon, il a remis là à payer ses créanciers ? @@ -40776,9 +40776,9 @@ Oronte Votre très−humble valet. Sbrigani Je le suis, Montsir, obliger plus que beaucoup du bon nouvel que Montsir m'avoir donné. -Cela ne va pas mal. Quittons notre ajustement de Flamand, pour songer à d'autres machines ; et tâchons d -semer tant de soupçons et de division entre le beau−père et le gendre, que cela rompe le mariage prétendu -Tous deux également sont propres à gober les hameçons qu'on leur veut tendre ; et, entre nous autres fou +Cela ne va pas mal. Quittons notre ajustement de Flamand, pour songer à d'autres machines ; et tâchons de +semer tant de soupçons et de division entre le beau−père et le gendre, que cela rompe le mariage prétendu. +Tous deux également sont propres à gober les hameçons qu'on leur veut tendre ; et, entre nous autres fourbes de la première classe, nous ne faisons que nous jouer, lorsque nous trouvons un gibier aussi facile que celui−là. Scène IV @@ -40800,23 +40800,23 @@ Je pensois y être régalé comme il faut. Sbrigani Hé bien ? Monsieur de Pourceaugnac -Je vous laisse entre les mains de Monsieur. Des médecins habillés de noir. Dans une chaise. Tâter le poul -Comme ainsi soit. Il est fou. Deux gros joufflus. Grands chapeaux. Bon dî, bon dî. Six pantalons. Ta, ra, t +Je vous laisse entre les mains de Monsieur. Des médecins habillés de noir. Dans une chaise. Tâter le pouls. +Comme ainsi soit. Il est fou. Deux gros joufflus. Grands chapeaux. Bon dî, bon dî. Six pantalons. Ta, ra, ta, ta ; Ta, ra, ta, ta. Alegramente, Monsu Pourceaugnac. Apothicaire. Lavement. Prenez, Monsieur, prenez, -prenez. Il est benin, benin, benin. C'est pour déterger, pour déterger, déterger. Piglia−lo sù, Signor Monsu +prenez. Il est benin, benin, benin. C'est pour déterger, pour déterger, déterger. Piglia−lo sù, Signor Monsu, piglia−lo, piglia−lo, piglia−lo sù. Jamais je n'ai été si soûl de sottises. Sbrigani Qu'est−ce que tout cela veut dire ? Monsieur de Pourceaugnac -Cela veut dire que cet homme−là, avec ses grandes embrassades, est un fourbe qui m'a mis dans une mais +Cela veut dire que cet homme−là, avec ses grandes embrassades, est un fourbe qui m'a mis dans une maison pour se moquer de moi, et me faire une pièce. Sbrigani Cela est−il possible ? Monsieur de Pourceaugnac -Sans doute. Ils étoient une douzaine de possédés après mes chausses ; et j'ai eu toutes les peines du mond +Sans doute. Ils étoient une douzaine de possédés après mes chausses ; et j'ai eu toutes les peines du monde à m'échapper de leurs pattes. Sbrigani -Voyez un peu, les mines sont bien trompeuses ! je l'aurois cru le plus affectionné de vos amis. Voilà un d +Voyez un peu, les mines sont bien trompeuses ! je l'aurois cru le plus affectionné de vos amis. Voilà un de mes étonnements, comme il est possible qu'il y ait des fourbes comme cela dans le monde. Monsieur de Pourceaugnac Ne sens−je point le lavement ? Voyez, je vous prie. @@ -40830,7 +40830,7 @@ Voilà une méchanceté bien grande ! et les hommes sont bien traîtres et scé Monsieur de Pourceaugnac Enseignez−moi, de grâce, le logis de Monsieur Oronte : je suis bien aise d'y aller tout à l'heure. Sbrigani -Ah ! ah ! vous êtes donc de complexion amoureuse, et vous avez ouï parler que ce Monsieur Oronte a un +Ah ! ah ! vous êtes donc de complexion amoureuse, et vous avez ouï parler que ce Monsieur Oronte a une fille... ? Monsieur de Pourceaugnac Oui, je viens l'épouser. @@ -40869,28 +40869,28 @@ Vous devez donc ne me rien cacher. Sbrigani C'est une chose où il y va de l'intérêt du prochain. Monsieur de Pourceaugnac -Afin de vous obliger à m'ouvrir votre coeur, voilà une petite bague que je vous prie de garder pour l'amou +Afin de vous obliger à m'ouvrir votre coeur, voilà une petite bague que je vous prie de garder pour l'amour de moi. Sbrigani Laissez−moi consulter un peu si je le puis faire en conscience. C'est un homme qui cherche son bien, qui -tâche de pourvoir sa fille le plus avantageusement qu'il est possible, et il ne faut nuire à personne. Ce sont -choses qui sont connues à la vérité, mais j'irai les découvrir à un homme qui les ignore, et il est défendu d -scandaliser son prochain. Cela est vrai. Mais, d'autre part, voilà un étranger qu'on veut surprendre, et qui, -bonne foi, vient se marier avec une fille qu'il ne connoît pas et qu'il n'a jamais vue ; un gentilhomme plei +tâche de pourvoir sa fille le plus avantageusement qu'il est possible, et il ne faut nuire à personne. Ce sont des +choses qui sont connues à la vérité, mais j'irai les découvrir à un homme qui les ignore, et il est défendu de +scandaliser son prochain. Cela est vrai. Mais, d'autre part, voilà un étranger qu'on veut surprendre, et qui, de +bonne foi, vient se marier avec une fille qu'il ne connoît pas et qu'il n'a jamais vue ; un gentilhomme plein de franchise, pour qui je me sens de l'inclination, qui me fait l'honneur de me tenir pour son ami, prend -confiance en moi, et me donne une bague à garder pour l'amour de lui. Oui, je trouve que je puis vous dire -choses sans blesser ma conscience ; mais tâchons de vous les dire le plus doucement qu'il nous sera possi -et d'épargner les gens le plus que nous pourrons. De vous dire que cette fille−là mène une vie déshonnête -cela seroit un peu trop fort ; cherchons, pour nous expliquer, quelques termes plus doux. Le mot de galan +confiance en moi, et me donne une bague à garder pour l'amour de lui. Oui, je trouve que je puis vous dire les +choses sans blesser ma conscience ; mais tâchons de vous les dire le plus doucement qu'il nous sera possible, +et d'épargner les gens le plus que nous pourrons. De vous dire que cette fille−là mène une vie déshonnête, +cela seroit un peu trop fort ; cherchons, pour nous expliquer, quelques termes plus doux. Le mot de galante aussi n'est pas assez ; celui de coquette achevée me semble propre à ce que nous voulons, et je m'en puis servir pour vous dire honnêtement ce qu'elle est. Monsieur de Pourceaugnac L'on me veut donc prendre pour dupe ? Sbrigani -Peut−être dans le fond n'y a−t−il pas tant de mal que tout le monde croit. Et puis il y a des gens, après tou +Peut−être dans le fond n'y a−t−il pas tant de mal que tout le monde croit. Et puis il y a des gens, après tout, qui se mettent au−dessus de ces sortes de choses, et qui ne croient pas que leur honneur dépende... Monsieur de Pourceaugnac -Je suis votre serviteur, je ne me veux point mettre sur la tête un chapeau comme celui−là, et l'on aime à al +Je suis votre serviteur, je ne me veux point mettre sur la tête un chapeau comme celui−là, et l'on aime à aller le front levé dans la famille des Pourceaugnac. Sbrigani Voilà le père. @@ -40919,12 +40919,12 @@ Croyez−vous, Monsieur de Pourceaugnac, que les Parisiens soient des bêtes ? Monsieur de Pourceaugnac Vous imaginez−vous, Monsieur Oronte, qu'un homme comme moi soit si affamé de femme ? Oronte -Vous imaginez−vous, Monsieur de Pourceaugnac, qu'une fille comme la mienne soit si affamée de mari ? +Vous imaginez−vous, Monsieur de Pourceaugnac, qu'une fille comme la mienne soit si affamée de mari ? Scène VI Julie, Oronte, Monsieur de Pourceaugnac Julie -On vient de me dire, mon père, que Monsieur de Pourceaugnac est arrivé. Ah ! le voilà sans doute, et mo -coeur me le dit. Qu'il est bien fait ! qu'il a bon air ! et que je suis contente d'avoir un tel époux ! Souffre +On vient de me dire, mon père, que Monsieur de Pourceaugnac est arrivé. Ah ! le voilà sans doute, et mon +coeur me le dit. Qu'il est bien fait ! qu'il a bon air ! et que je suis contente d'avoir un tel époux ! Souffrez que je l'embrasse, et que je lui témoigne... Oronte Doucement, ma fille, doucement. @@ -40985,11 +40985,11 @@ fille, et vos grimaces n'attraperont rien. Oronte Toutes les vôtres n'auront pas grand effet. Monsieur de Pourceaugnac -Vous êtes−vous mis dans la tête que Léonard de Pourceaugnac soit un homme à acheter chat en poche ? -qu'il n'ait pas là dedans quelque morceau de judiciaire pour se conduire, pour se faire informer de l'histoir +Vous êtes−vous mis dans la tête que Léonard de Pourceaugnac soit un homme à acheter chat en poche ? et +qu'il n'ait pas là dedans quelque morceau de judiciaire pour se conduire, pour se faire informer de l'histoire du monde, et voir, en se mariant, si son honneur a bien toutes ses sûretés ? Oronte -Je ne sais pas ce que cela veut dire ; mais vous êtes−vous mis dans la tête qu'un homme de soixante et tro +Je ne sais pas ce que cela veut dire ; mais vous êtes−vous mis dans la tête qu'un homme de soixante et trois ans ait si peu de cervelle, et considère si peu sa fille, que de la marier avec un homme qui a ce que vous savez, et qui a été mis chez un médecin pour être pansé ? Monsieur de Pourceaugnac @@ -40999,12 +40999,12 @@ Le médecin me l'a dit lui−même. Monsieur de Pourceaugnac Le médecin en a menti : je suis gentilhomme, et je le veux voir l'épée à la main. Oronte -Je sais ce que j'en dois croire, et vous ne m'abuserez pas là−dessus, non plus que sur les dettes que vous a +Je sais ce que j'en dois croire, et vous ne m'abuserez pas là−dessus, non plus que sur les dettes que vous avez assignées sur le mariage de ma fille. Monsieur de Pourceaugnac Quelles dettes ? Oronte -La feinte ici est inutile, et j'ai vu le marchand flamand qui, avec les autres créanciers, a obtenu, depuis hui +La feinte ici est inutile, et j'ai vu le marchand flamand qui, avec les autres créanciers, a obtenu, depuis huit mois, sentence contre vous. Monsieur de Pourceaugnac Quel marchand flamand ? quels créanciers ? quelle sentence obtenue contre moi ? @@ -41013,26 +41013,26 @@ Vous savez bien ce que je veux dire. Scène VII Lucette, Oronte, Monsieur de Pourceaugnac Lucette -Ah ! tu es assy, et à la fy yeu te trobi aprés abé fait tant de passés. Podes−tu, scélérat, podes−tu sousteni m +Ah ! tu es assy, et à la fy yeu te trobi aprés abé fait tant de passés. Podes−tu, scélérat, podes−tu sousteni ma bisto ? Monsieur de Pourceaugnac Qu'est−ce que veut cette femme−là ? Lucette -Que te boli, infame ! Tu fas semblan de nou me pas counouysse, et nou rougisses pas, impudent que tu si -tu ne rougisses pas de me beyre ? Nou sabi pas, Moussur, saquos bous dont m'an dit que bouillo espousa +Que te boli, infame ! Tu fas semblan de nou me pas counouysse, et nou rougisses pas, impudent que tu sios, +tu ne rougisses pas de me beyre ? Nou sabi pas, Moussur, saquos bous dont m'an dit que bouillo espousa la fillo ; may yeu bous declari que yeu soun sa fenno, et que y a set ans, Moussur, qu'en passan à Pezenas el -auguet l'adresse dambé sas mignardisos, commo sap tapla fayre, de me gaigna lou cor, et m'oubligel pra q +auguet l'adresse dambé sas mignardisos, commo sap tapla fayre, de me gaigna lou cor, et m'oubligel pra quel mouyen à ly douna la ma per l'espousa. Oronte Oh ! oh ! Monsieur de Pourceaugnac Que diable est−ce ci ? Lucette -Lou trayté me quitel trés ans aprés, sul preteste de qualques affayrés que l'apelabon dins soun païs, et desp +Lou trayté me quitel trés ans aprés, sul preteste de qualques affayrés que l'apelabon dins soun païs, et despey noun ly resçauput quaso de noubelo ; may dins lou tens qui soungeabi lou mens, m'an dounat abist, que begnio dins aquesto bilo, per se remarida danbé un autro jouena fillo, que sous parens ly an proucurado, -sensse saupré res de sou prumié mariatge. Yeu ay tout quitat en diligensso, et me souy rendudo dins aque -loc lou pu leu qu'ay pouscut, per m'oupousa en aquel criminel mariatge, et confondre as ely de tout le mou +sensse saupré res de sou prumié mariatge. Yeu ay tout quitat en diligensso, et me souy rendudo dins aqueste +loc lou pu leu qu'ay pouscut, per m'oupousa en aquel criminel mariatge, et confondre as ely de tout le mounde lou plus méchant des hommes. Monsieur de Pourceaugnac Voilà une étrange effrontée ! @@ -41042,11 +41042,11 @@ fayre ? Monsieur de Pourceaugnac Moi, je suis votre mari ? Lucette -Infame, gausos−tu dire lou contrari ? He tu sabes be, per ma penno, que n'es que trop bertat ; et plaguess +Infame, gausos−tu dire lou contrari ? He tu sabes be, per ma penno, que n'es que trop bertat ; et plaguesso al Cel qu'aco nou fougesso pas, et que m'auquessos layssado dins l'estat d'innoussenço et dins la tranquillitat -oun moun amo bibio daban que tous charmes et tas trounpariés nou m'en benguesson malhurousomen fay -sourty ! yeu nou serio pas reduito à fayré lou tristé perssounatgé qu'yeu fave presentomen, à beyre un ma -cruel mespresa touto l'ardou que yeu ay per el, et me laissa sensse cap de pietat abandounado à las mourté +oun moun amo bibio daban que tous charmes et tas trounpariés nou m'en benguesson malhurousomen fayre +sourty ! yeu nou serio pas reduito à fayré lou tristé perssounatgé qu'yeu fave presentomen, à beyre un marit +cruel mespresa touto l'ardou que yeu ay per el, et me laissa sensse cap de pietat abandounado à las mourtéles doulous que yeu ressenty de sas perfidos acciûs. Oronte Je ne saurois m'empêcher de pleurer. Allez, vous êtes un méchant homme. @@ -41056,14 +41056,14 @@ Scène VIII Nérine, en Picarde, Lucette, Oronte, Monsieur de Pourceaugnac Nérine Ah ! je n'en pis plus, je sis toute essoflée ! Ah ! finfaron, tu m'as bien fait courir, tu ne m'écaperas mie. -Justice, justice ! je boute empeschement au mariage. Chés mon mery, Monsieur, et je veux faire pindre c +Justice, justice ! je boute empeschement au mariage. Chés mon mery, Monsieur, et je veux faire pindre che bon pindar−là. Monsieur de Pourceaugnac Encore ! Oronte Quel diable d'homme est−ce ci ? Lucette -Et que boulés−bous dire, ambe bostre empachomen, et bostro pendarié ? Quaquel homo es bostre marit ? +Et que boulés−bous dire, ambe bostre empachomen, et bostro pendarié ? Quaquel homo es bostre marit ? Nérine Oui, Medeme, et je sis sa femme. Lucette @@ -41105,15 +41105,15 @@ Est−che que tu me démaintiras, méchaint homme ? Monsieur de Pourceaugnac Il est aussi vrai l'un que l'autre. Lucette -Quaign'impudensso ! Et coussy, miserable, nou te soubenes plus de la pauro Françon, et del paure Jeanet +Quaign'impudensso ! Et coussy, miserable, nou te soubenes plus de la pauro Françon, et del paure Jeanet, que soun lous fruits de notre mariatge ? Nérine -Bayez un peu l'insolence. Quoy ? tu ne te souviens mie de chette pauvre ainfain, no petite Madelaine, que +Bayez un peu l'insolence. Quoy ? tu ne te souviens mie de chette pauvre ainfain, no petite Madelaine, que tu m'as laichée pour gaige de ta foy ? Monsieur de Pourceaugnac Voilà deux impudentes carognes ! Lucette -Beny, Françon, beny, Jeanet, beny, toustou, beny, toustoune, beny fayre beyre à un payre dénaturat la dur +Beny, Françon, beny, Jeanet, beny, toustou, beny, toustoune, beny fayre beyre à un payre dénaturat la duretat qu'el a per nautres. Nérine Venez, Madelaine, me n'ainfain, venez−ves−en ichy faire honte à vo père de l'impudainche qu'il a. @@ -41122,11 +41122,11 @@ Ah ! mon papa, mon papa, mon papa ! Monsieur de Pourceaugnac Diantre soit des petits fils de putains ! Lucette -Coussy, trayte, tu nou sios pas dins la darnière confusiu, de ressaupre à tal tous enfants, et de ferma l'aure -à la tendresso paternello ? Tu nou m'escaperas pas, infame ; yeu te boli seguy per tout, et te reproucha to +Coussy, trayte, tu nou sios pas dins la darnière confusiu, de ressaupre à tal tous enfants, et de ferma l'aureillo +à la tendresso paternello ? Tu nou m'escaperas pas, infame ; yeu te boli seguy per tout, et te reproucha ton crime jusquos à tant que me sio beniado, et que t'ayo fayt penia : couqui, te boli fayré penia. Nérine -Ne rougis−tu mie de dire ches mots−là, et d'estre insainsible aux cairesses de chette pauvre ainfain ? Tu n +Ne rougis−tu mie de dire ches mots−là, et d'estre insainsible aux cairesses de chette pauvre ainfain ? Tu ne te sauveras mie de mes pattes ; et en dépit de tes dains, je feray bien voir que je sis ta femme, et je te feray pindre. Les enfants, tous ensemble. @@ -41150,13 +41150,13 @@ Oui. Il pleut en ce pays des femmes et des lavements. Sbrigani Comment donc ? Monsieur de Pourceaugnac -Deux carognes de baragouineuses me sont venu accuser de les avoir épousé toutes deux, et me menacent +Deux carognes de baragouineuses me sont venu accuser de les avoir épousé toutes deux, et me menacent de la justice. Sbrigani -Voilà une méchante affaire, et la justice en ce pays−ci est rigoureuse en diable contre cette sorte de crime +Voilà une méchante affaire, et la justice en ce pays−ci est rigoureuse en diable contre cette sorte de crime. Monsieur de Pourceaugnac Oui ; mais quand il y auroit information, ajournement, décret, et jugement obtenu par surprise, défaut et -contumace, j'ai la voie de conflit de jurisdiction, pour temporiser, et venir aux moyens de nullité qui seron +contumace, j'ai la voie de conflit de jurisdiction, pour temporiser, et venir aux moyens de nullité qui seront dans les procédures. Sbrigani Voilà en parler dans tous les termes, et l'on voit bien, Monsieur, que vous êtes du métier. @@ -41180,17 +41180,17 @@ Ce sont quelques mots que j'ai retenus en lisant les romans. Sbrigani Ah ! fort bien. Monsieur de Pourceaugnac -Pour vous montrer que je n'entends rien du tout à la chicane, je vous prie de me mener chez quelque avoc +Pour vous montrer que je n'entends rien du tout à la chicane, je vous prie de me mener chez quelque avocat pour consulter mon affaire. Sbrigani Je le veux, et vais vous conduire chez deux hommes fort habiles ; mais j'ai auparavant à vous avertir de -n'être point surpris de leur manière de parler : ils ont contracté du barreau certaine habitude de déclamatio +n'être point surpris de leur manière de parler : ils ont contracté du barreau certaine habitude de déclamation qui fait que l'on diroit qu'ils chantent ; et vous prendrez pour musique tout ce qu'ils vous diront. Monsieur de Pourceaugnac Qu'importe comme ils parlent, pourvu qu'ils me disent ce que je veux savoir ? Scène XI Sbrigani, Monsieur de Pourceaugnac -Deux Avocats musiciens, dont l'un parle fort lentement, et l'autre fort vite accompagnés de deux Procureu +Deux Avocats musiciens, dont l'un parle fort lentement, et l'autre fort vite accompagnés de deux Procureurs et de deux Sergents. L'Avocat traînant ces paroles. La polygamie est un cas, @@ -41227,10 +41227,10 @@ Acte III Scène I Eraste, Sbrigani Sbrigani -Oui, les choses s'acheminent où nous voulons ; et comme ses lumières sont fort petites, et son sens le plu +Oui, les choses s'acheminent où nous voulons ; et comme ses lumières sont fort petites, et son sens le plus borné du monde, je lui ai fait prendre une frayeur si grande de la sévérité de la justice de ce pays, et des apprêts qu'on faisoit déjà pour sa mort, qu'il veut prendre la fuite ; et pour se dérober avec plus de facilité -aux gens que je lui ai dit qu'on avoit mis pour l'arrêter aux portes de la ville, il s'est résolu à se déguiser, e +aux gens que je lui ai dit qu'on avoit mis pour l'arrêter aux portes de la ville, il s'est résolu à se déguiser, et le déguisement qu'il a pris est l'habit d'une femme. Eraste Je voudrois bien le voir en cet équipage. @@ -41252,7 +41252,7 @@ Voici notre Demoiselle : allez vite, qu'il ne nous voye ensemble. Scène II Monsieur de Pourceaugnac, en femme, Sbrigani Sbrigani -Pour moi, je ne crois pas qu'en cet état on puisse jamais vous connoître, et vous avez la mine, comme cela +Pour moi, je ne crois pas qu'en cet état on puisse jamais vous connoître, et vous avez la mine, comme cela, d'une femme de condition. Monsieur de Pourceaugnac Voilà qui m'étonne, qu'en ce pays−ci les formes de la justice ne soient point observées. @@ -41265,15 +41265,15 @@ Elle est sévère comme tous les diables, particulièrement sur ces sortes de cr Monsieur de Pourceaugnac Mais quand on est innocent ? Sbrigani -N'importe, ils ne s'enquêtent point de cela ; et puis ils ont en cette ville une haine effroyable pour les gen +N'importe, ils ne s'enquêtent point de cela ; et puis ils ont en cette ville une haine effroyable pour les gens de votre pays, et ils ne sont point plus ravis que de voir pendre un Limosin. Monsieur de Pourceaugnac Qu'est−ce que les Limosins leur ont fait ? Sbrigani -Ce sont des brutaux, ennemis de la gentillesse et du mérite des autres villes. Pour moi, je vous avoue que -suis pour vous dans une peur épouvantable ; et je ne me consolerois de ma vie si vous veniez à être pendu +Ce sont des brutaux, ennemis de la gentillesse et du mérite des autres villes. Pour moi, je vous avoue que je +suis pour vous dans une peur épouvantable ; et je ne me consolerois de ma vie si vous veniez à être pendu. Monsieur de Pourceaugnac -Ce n'est pas tant la peur de la mort qui me fait fuir, que de ce qu'il est fâcheux à un gentilhomme d'être pe +Ce n'est pas tant la peur de la mort qui me fait fuir, que de ce qu'il est fâcheux à un gentilhomme d'être pendu, et qu'une preuve comme celle−là feroit tort à nos titres de noblesse. Sbrigani Vous avez raison, on vous contesteroit après cela le titre d'écuyer. Au reste, étudiez−vous, quand je vous @@ -41282,11 +41282,11 @@ personne de qualité. Monsieur de Pourceaugnac Laissez−moi faire, j'ai vu les personnes du bel air ; tout ce qu'il y a, c'est que j'ai un peu de barbe. Sbrigani -Votre barbe n'est rien, et il y a des femmes qui en ont autant que vous. Cà, voyons un peu comme vous fe +Votre barbe n'est rien, et il y a des femmes qui en ont autant que vous. Cà, voyons un peu comme vous ferez. Bon. Monsieur de Pourceaugnac Allons donc, mon carrosse : où est−ce qu'est mon carrosse ? Mon Dieu ! qu'on est misérable d'avoir des -gens comme cela ! Est−ce qu'on me fera attendre toute la journée sur le pavé, et qu'on ne me fera point v +gens comme cela ! Est−ce qu'on me fera attendre toute la journée sur le pavé, et qu'on ne me fera point venir mon carrosse ? Sbrigani Fort bien. @@ -41296,7 +41296,7 @@ Petit laquais, petit laquais ! Où est−ce donc qu'est ce petit laquais ? Ce point ? Ne me fera−t−on point venir ce petit laquais ? Est−ce que je n'ai point un petit laquais dans le monde ? Sbrigani -Voilà qui va à merveille ; mais je remarque une chose, cette coiffe est un peu trop déliée ; j'en vais queri +Voilà qui va à merveille ; mais je remarque une chose, cette coiffe est un peu trop déliée ; j'en vais querir une un peu plus épaisse, pour vous mieux cacher le visage, en cas de quelque rencontre. Monsieur de Pourceaugnac Que deviendrai−je cependant ? @@ -41364,7 +41364,7 @@ Au secours ! A la force ! Scène IV Un Exempt, deux Archers, Premier et Second Suisses, Monsieur de Pourceaugnac L'Exempt -Qu'est−ce ? quelle violence est−ce là ? et que voulez−vous faire à Madame ? Allons, que l'on sorte de là +Qu'est−ce ? quelle violence est−ce là ? et que voulez−vous faire à Madame ? Allons, que l'on sorte de là, si vous ne voulez que je vous mette en prison. Premier Suisse Party, pon, toy ne l'avoir point. @@ -41402,7 +41402,7 @@ Ils m'ont reconnu. L'Exempt Oui, oui, c'est de quoi je suis ravi. Sbrigani -Eh ! Monsieur, pour l'amour de moi : vous savez que nous sommes amis il y a longtemps ; je vous conju +Eh ! Monsieur, pour l'amour de moi : vous savez que nous sommes amis il y a longtemps ; je vous conjure de ne le point mener en prison. L'Exempt Non ; il m'est impossible. @@ -41427,14 +41427,14 @@ Mon Dieu ! attendez. Dépêchez, donnez−lui−en encore autant. Monsieur de Pourceaugnac Mais... Sbrigani -Dépêchez−vous, vous dis−je, et ne perdez point de temps : vous auriez un grand plaisir, quand vous serie +Dépêchez−vous, vous dis−je, et ne perdez point de temps : vous auriez un grand plaisir, quand vous seriez pendu. Monsieur de Pourceaugnac Ah ! Sbrigani Tenez, Monsieur. L'Exempt -Il faut donc que je m'enfuie avec lui, car il n'y auroit point ici de sûreté pour moi. Laissez−le−moi conduir +Il faut donc que je m'enfuie avec lui, car il n'y auroit point ici de sûreté pour moi. Laissez−le−moi conduire, et ne bougez d'ici. Sbrigani Je vous prie donc d'en avoir un grand soin. @@ -41443,7 +41443,7 @@ Je vous promets de ne le point quitter, que je ne l'aie mis en lieu de sûreté. Monsieur de Pourceaugnac Adieu. Voilà le seul honnête homme que j'ai trouvé en cette ville. Sbrigani -Ne perdez point de temps ; je vous aime tant, que je voudrois que vous fussiez déjà bien loin. Que le Ciel +Ne perdez point de temps ; je vous aime tant, que je voudrois que vous fussiez déjà bien loin. Que le Ciel te conduise ! Par ma foi ! voilà une grande dupe. Mais voici... Scène VI Oronte, Sbrigani @@ -41464,24 +41464,24 @@ Allons vite à la justice. Des archers après eux ! Scène VII Eraste, Julie, Sbrigani, Oronte Eraste -Allons, vous viendrez malgré vous, et je veux vous remettre entre les mains de votre père. Tenez, Monsie +Allons, vous viendrez malgré vous, et je veux vous remettre entre les mains de votre père. Tenez, Monsieur, voilà votre fille que j'ai tirée de force d'entre les mains de l'homme avec qui elle s'enfuyoit ; non pas pour -l'amour d'elle, mais pour votre seule considération ; car, après l'action qu'elle a faite, je dois la mépriser, +l'amour d'elle, mais pour votre seule considération ; car, après l'action qu'elle a faite, je dois la mépriser, et me guérir absolument de l'amour que j'avois pour elle. Oronte Ah ! infâme que tu es ! Eraste Comment ? me traiter de la sorte, après toutes les marques d'amitié que je vous ai données ! Je ne vous blâme point de vous être soumise aux volontés de Monsieur votre père ; il est sage et judicieux dans les -choses qu'il fait et je ne me plains point de lui de m'avoir rejeté pour un autre. S'il a manqué à la parole qu -m'avoit donnée, il a ses raisons pour cela. On lui a fait croire que cet autre est plus riche que moi de quatr +choses qu'il fait et je ne me plains point de lui de m'avoir rejeté pour un autre. S'il a manqué à la parole qu'il +m'avoit donnée, il a ses raisons pour cela. On lui a fait croire que cet autre est plus riche que moi de quatre ou cinq mille écus ; et quatre ou cinq mille écus est un denier considérable, et qui vaut bien la peine qu'un -homme manque à sa parole ; mais oublier en un moment toute l'ardeur que je vous ai montrée, vous laiss +homme manque à sa parole ; mais oublier en un moment toute l'ardeur que je vous ai montrée, vous laisser d'abord enflammer d'amour pour un nouveau venu, et le suivre honteusement sans le consentement de -Monsieur votre père, après les crimes qu'on lui impute, c'est une chose condamnée de tout le monde, et do +Monsieur votre père, après les crimes qu'on lui impute, c'est une chose condamnée de tout le monde, et dont mon coeur ne peut vous faire d'assez sanglants reproches. Julie -Hé bien ! oui, j'ai conçu de l'amour pour lui, et je l'ai voulu suivre, puisque mon père me l'avoit choisi po +Hé bien ! oui, j'ai conçu de l'amour pour lui, et je l'ai voulu suivre, puisque mon père me l'avoit choisi pour époux. Quoi que vous me disiez, c'est un fort honnête homme, et tous les crimes dont on l'accuse sont faussetés épouvantables. Oronte @@ -41496,15 +41496,15 @@ Oui, vous. Oronte Taisez−vous ! vous dis−je. Vous êtes une sotte. Eraste -Non, non, ne vous imaginez pas que j'aie aucune envie de détourner ce mariage, et que ce soit ma passion -m'ait forcé à courir après vous. Je vous l'ai déjà dit, ce n'est que la seule considération que j'ai pour Monsi -votre père, et je n'ai pu souffrir qu'un honnête homme comme lui fût exposé à la honte de tous les bruits q +Non, non, ne vous imaginez pas que j'aie aucune envie de détourner ce mariage, et que ce soit ma passion qui +m'ait forcé à courir après vous. Je vous l'ai déjà dit, ce n'est que la seule considération que j'ai pour Monsieur +votre père, et je n'ai pu souffrir qu'un honnête homme comme lui fût exposé à la honte de tous les bruits qui pourroient suivre une action comme la vôtre. Oronte Je vous suis, seigneur Eraste, infiniment obligé. Eraste -Adieu, Monsieur. J'avois toutes les ardeurs du monde d'entrer dans votre alliance ; j'ai fait tout ce que j'ai -pour obtenir un tel honneur ; mais j'ai été malheureux, et vous ne m'avez pas jugé digne de cette grâce. C +Adieu, Monsieur. J'avois toutes les ardeurs du monde d'entrer dans votre alliance ; j'ai fait tout ce que j'ai pu +pour obtenir un tel honneur ; mais j'ai été malheureux, et vous ne m'avez pas jugé digne de cette grâce. Cela n'empêchera pas que je ne conserve pour vous les sentiments d'estime et de vénération où votre personne m'oblige ; et si je n'ai pu être votre gendre, au moins serai−je éternellement votre serviteur. Oronte @@ -41522,7 +41522,7 @@ Non, non, Monsieur ; ne lui faites point de violence, je vous en prie. Oronte C'est à elle à m'obéir, et je sais me montrer le maître. Eraste -Ne voyez−vous pas l'amour qu'elle a pour cet homme−là ? et voulez−vous que je possède un corps dont u +Ne voyez−vous pas l'amour qu'elle a pour cet homme−là ? et voulez−vous que je possède un corps dont un autre possédera le coeur ? Oronte C'est un sortilège qu'il lui a donné, et vous verrez qu'elle changera de sentiment avant qu'il soit peu. @@ -41532,16 +41532,16 @@ Je ne... Oronte Ah ! que de bruit ! Cà, votre main, vous dis−je. Ah, ah, ah ! Eraste -Ne croyez pas que ce soit pour l'amour de vous que je vous donne la main : ce n'est que Monsieur votre p +Ne croyez pas que ce soit pour l'amour de vous que je vous donne la main : ce n'est que Monsieur votre père dont je suis amoureux, et c'est lui que j'épouse. Oronte -Je vous suis beaucoup obligé, et j'augmente de dix mille écus le mariage de ma fille. Allons, qu'on fasse v +Je vous suis beaucoup obligé, et j'augmente de dix mille écus le mariage de ma fille. Allons, qu'on fasse venir le Notaire pour dresser le contrat. Eraste -En attendant qu'il vienne, nous pouvons jouir du divertissement de la saison, et faire entrer les masques qu +En attendant qu'il vienne, nous pouvons jouir du divertissement de la saison, et faire entrer les masques que le bruit des noces de Monsieur de Pourceaugnac a attirés ici de tous les endroits de la ville. Scène VIII -Plusieurs masques de toutes les manières, dont les uns occupent plusieurs balcons, et les autres sont dans +Plusieurs masques de toutes les manières, dont les uns occupent plusieurs balcons, et les autres sont dans la place, qui, par plusieurs chansons et diverses danses et jeux, cherchent à se donner des plaisirs innocents. Une Egyptienne Sortez, sortez de ces lieux, @@ -41610,22 +41610,22 @@ Cléon, fils d'Anaxarque. Une fausse vénus, d'intelligence avec Anaxarque. La scène se passe en Thessalie, dans la délicieuse vallée de Tempé. Avant−propos -Le roi, qui ne veut que des choses extraordinaires dans tout ce qu'il entreprend, s'est proposé de donner à +Le roi, qui ne veut que des choses extraordinaires dans tout ce qu'il entreprend, s'est proposé de donner à sa cour un divertissement qui fût composé de tous ceux que le théâtre peut fournir ; et, pour embrasser cette -vaste idée et enchaîner ensemble tant de choses diverses, Sa Majesté a choisi pour sujet deux princes riva -qui, dans le champêtre séjour de la vallée de Tempé, où l'on avait célébré la fête des jeux Pythiens, régale +vaste idée et enchaîner ensemble tant de choses diverses, Sa Majesté a choisi pour sujet deux princes rivaux, +qui, dans le champêtre séjour de la vallée de Tempé, où l'on avait célébré la fête des jeux Pythiens, régalent à l'envi une jeune princesse et sa mère de toutes les galanteries dont ils se peuvent aviser. Premier intermède Le théâtre s'ouvre... Le théâtre s'ouvre à l'agréable bruit de quantité d'instruments, et d'abord il offre aux yeux une vaste mer, bordée de chaque côté de quatre grands rochers, dont le sommet porte chacun un Fleuve, accoudé sur les -marques de ces sortes de déités. Au pied de ces rochers sont douze Tritons de chaque côté, et dans le mili -de la mer quatre Amours montés sur des dauphins, et derrière eux le dieu Eole, élevé au−dessus des onde -un petit nuage. Eole commande aux vents de se retirer, et, tandis que les Amours, les Tritons, et les Fleuv -lui répondent, la mer se calme, et du milieu des ondes on voit s'élever une île. Huit Pêcheurs sortent du fo +marques de ces sortes de déités. Au pied de ces rochers sont douze Tritons de chaque côté, et dans le milieu +de la mer quatre Amours montés sur des dauphins, et derrière eux le dieu Eole, élevé au−dessus des ondes sur +un petit nuage. Eole commande aux vents de se retirer, et, tandis que les Amours, les Tritons, et les Fleuves +lui répondent, la mer se calme, et du milieu des ondes on voit s'élever une île. Huit Pêcheurs sortent du fond de la mer avec des nacres de perles et des branches de corail, et, après une danse agréable, vont se placer chacun sur un rocher au−dessous d'un Fleuve. Le choeur de la musique annonce la venue de Neptune, et, -tandis que ce dieu danse avec sa suite, les Pêcheurs, les Tritons et les Fleuves accompagnent ses pas de ge +tandis que ce dieu danse avec sa suite, les Pêcheurs, les Tritons et les Fleuves accompagnent ses pas de gestes différents et de bruit de conques de perles. Tout ce spectacle est une magnifique galanterie, dont l'un des princes régale sur la mer la promenade des princesses. Première entrée de ballet @@ -41712,7 +41712,7 @@ Hélas ! Clitidas Voilà des soupirs qui veulent dire quelque chose, et ma conjecture se trouvera véritable. Sostrate -Sur quelles chimères, dis−moi, pourrois−tu bâtir quelque espoir ? et que peux−tu envisager, que l'affreus +Sur quelles chimères, dis−moi, pourrois−tu bâtir quelque espoir ? et que peux−tu envisager, que l'affreuse longueur d'une vie malheureuse, et des ennuis à ne finir que par la mort ? Clitidas Cette tête−là est plus embarrassée que la mienne ? @@ -41723,25 +41723,25 @@ Serviteur, seigneur Sostrate. Sostrate Où vas−tu, Clitidas ? Clitidas -Mais vous plutôt, que faites−vous ici ? et quelle secrète mélancolie, quelle humeur sombre, s'il vous plaît -vous peut retenir dans ces bois, tandis que tout le monde a couru en foule à la magnificence de la fête don -l'amour du prince Iphicrate vient de régaler sur la mer la promenade des princesses, tandis qu'elles y ont r -des cadeaux merveilleux de musique et de danse, et qu'on a vu les rochers et les ondes se parer de divinité +Mais vous plutôt, que faites−vous ici ? et quelle secrète mélancolie, quelle humeur sombre, s'il vous plaît, +vous peut retenir dans ces bois, tandis que tout le monde a couru en foule à la magnificence de la fête dont +l'amour du prince Iphicrate vient de régaler sur la mer la promenade des princesses, tandis qu'elles y ont reçu +des cadeaux merveilleux de musique et de danse, et qu'on a vu les rochers et les ondes se parer de divinités pour faire honneur à leurs attraits ? Sostrate Je me figure assez, sans la voir, cette magnificence, et tant de gens d'ordinaire s'empressent à porter de la confusion dans ces sortes de fêtes, que j'ai cru à propos de ne pas augmenter le nombre des importuns. Clitidas -Vous savez que votre présence ne gâte jamais rien, et que vous n'êtes point de trop, en quelque lieu que vo -soyez. Votre visage est bien venu partout, et il n'a garde d'être de ces visages disgraciés qui ne sont jamai -bien reçus des regards souverains. Vous êtes également bien auprès des deux princesses ; et la mère et la -vous font assez connoître l'estime qu'elles font de vous, pour n'appréhender pas de fatiguer leurs yeux ; e +Vous savez que votre présence ne gâte jamais rien, et que vous n'êtes point de trop, en quelque lieu que vous +soyez. Votre visage est bien venu partout, et il n'a garde d'être de ces visages disgraciés qui ne sont jamais +bien reçus des regards souverains. Vous êtes également bien auprès des deux princesses ; et la mère et la fille +vous font assez connoître l'estime qu'elles font de vous, pour n'appréhender pas de fatiguer leurs yeux ; et ce n'est pas cette crainte enfin qui vous a retenu. Sostrate J'avoue que je n'ai pas naturellement grande curiosité pour ces sortes de choses. Clitidas -Mon Dieu ! quand on n'auroit nulle curiosité pour les choses, on en a toujours pour aller où l'on trouve to -le monde, et quoi que vous puissiez dire, on ne demeure point tout seul, pendant une fête, à rêver parmi d +Mon Dieu ! quand on n'auroit nulle curiosité pour les choses, on en a toujours pour aller où l'on trouve tout +le monde, et quoi que vous puissiez dire, on ne demeure point tout seul, pendant une fête, à rêver parmi des arbres, comme vous faites, à moins d'avoir en tête quelque chose qui embarrasse. Sostrate Que voudrois−tu que j'y pusse avoir ? @@ -41759,29 +41759,29 @@ Sostrate Moi ? Clitidas Oui. Je gage que je vais deviner tout à l'heure celle que vous aimez. J'ai mes secrets aussi bien que notre -astrologue, dont la princesse Aristione est entêtée ; et, s'il a la science de lire dans les astres la fortune de -hommes, j'ai celle de lire dans les yeux le nom des personnes qu'on aime. Tenez−vous un peu, et ouvrez l -yeux. E, par soi, E ; r, i, ri, Eri ; p, h, i, phi, Eriphi ; l, e, le : Eriphile. Vous êtes amoureux de la princes +astrologue, dont la princesse Aristione est entêtée ; et, s'il a la science de lire dans les astres la fortune des +hommes, j'ai celle de lire dans les yeux le nom des personnes qu'on aime. Tenez−vous un peu, et ouvrez les +yeux. E, par soi, E ; r, i, ri, Eri ; p, h, i, phi, Eriphi ; l, e, le : Eriphile. Vous êtes amoureux de la princesse Eriphile. Sostrate Ah ! Clitidas ; j'avoue que je ne puis cacher mon trouble, et tu me frappes d'un coup de foudre. Clitidas Vous voyez si je suis savant ? Sostrate -Hélas ! si, par quelque aventure, tu as pu découvrir le secret de mon coeur, je te conjure au moins de ne l +Hélas ! si, par quelque aventure, tu as pu découvrir le secret de mon coeur, je te conjure au moins de ne le révéler à qui que ce soit, et surtout de le tenir caché à la belle princesse dont tu viens de dire le nom. Clitidas Et sérieusement parlant, si dans vos actions j'ai bien pu connoître, depuis un temps, la passion que vous voulez tenir secrète, pensez−vous que la princesse Eriphile puisse avoir manqué de lumière pour s'en apercevoir ? Les belles, croyez−moi, sont toujours les plus clairvoyantes à découvrir les ardeurs qu'elles -causent, et le langage des yeux et des soupirs se fait entendre mieux qu'à tout autre à celles à qui il s'adres +causent, et le langage des yeux et des soupirs se fait entendre mieux qu'à tout autre à celles à qui il s'adresse. Sostrate -Laissons−la, Clitidas, laissons−la voir, si elle peut, dans mes soupirs et mes regards l'amour que ses charm +Laissons−la, Clitidas, laissons−la voir, si elle peut, dans mes soupirs et mes regards l'amour que ses charmes m'inspirent ; mais gardons bien que, par nulle autre voie, elle en apprenne jamais rien. Clitidas Et qu'appréhendez−vous ? Est−il possible que ce même Sostrate qui n'a pas craint ni Brennus, ni tous les -Gaulois et dont le bras a si glorieusement contribué à nous défaire de ce déluge de barbares qui ravageoit -Grèce, est−il possible, dis−je, qu'un homme si assuré dans la guerre soit si timide en amour, et que je le v +Gaulois et dont le bras a si glorieusement contribué à nous défaire de ce déluge de barbares qui ravageoit la +Grèce, est−il possible, dis−je, qu'un homme si assuré dans la guerre soit si timide en amour, et que je le voie trembler à dire seulement qu'il aime ? Sostrate Ah ! Clitidas, je tremble avec raison, et tous les Gaulois du monde ensemble sont bien moins redoutables @@ -41793,7 +41793,7 @@ qu'espérez−vous faire ? Sostrate Mourir sans déclarer ma passion. Clitidas -L'espérance est belle. Allez, allez, vous vous moquez : un peu de hardiesse réussit toujours aux amants ; +L'espérance est belle. Allez, allez, vous vous moquez : un peu de hardiesse réussit toujours aux amants ; il n'y a en amour que les honteux qui perdent, et je dirois ma passion à une déesse, moi, si j'en devenois amoureux. Sostrate @@ -41801,10 +41801,10 @@ Trop de choses, hélas ! condamnent mes feux à un éternel silence. Clitidas Hé quoi ? Sostrate -La bassesse de ma fortune, dont il plaît au Ciel de rabattre l'ambition de mon amour ; le rang de la Prince -qui met entre elle et mes désirs une distance si fâcheuse ; la concurrence de deux princes appuyés de tous -grands titres qui peuvent soutenir les prétentions de leurs flammes ; de deux princes qui, par mille et mill -magnificences, se disputent, à tous moments, la gloire de sa conquête, et sur l'amour de qui on attend tous +La bassesse de ma fortune, dont il plaît au Ciel de rabattre l'ambition de mon amour ; le rang de la Princesse, +qui met entre elle et mes désirs une distance si fâcheuse ; la concurrence de deux princes appuyés de tous les +grands titres qui peuvent soutenir les prétentions de leurs flammes ; de deux princes qui, par mille et mille +magnificences, se disputent, à tous moments, la gloire de sa conquête, et sur l'amour de qui on attend tous les jours de voir son choix se déclarer ; mais plus que tout, Clitidas, le respect inviolable où ses beaux yeux assujettissent toute la violence de mon ardeur. Clitidas @@ -41813,15 +41813,15 @@ votre flamme, et n'y est pas insensible. Sostrate Ah ! ne t'avise point de vouloir flatter par pitié le coeur d'un misérable. Clitidas -Ma conjecture est fondée. Je lui vois reculer beaucoup le choix de son époux, et je veux éclaircir un peu c -petite affaire−là. Vous savez que je suis auprès d'elle en quelque espèce de faveur, que j'y ai les accès ouv -et qu'à force de me tourmenter, je me suis acquis le privilège de me mêler à la conversation et parler à tor +Ma conjecture est fondée. Je lui vois reculer beaucoup le choix de son époux, et je veux éclaircir un peu cette +petite affaire−là. Vous savez que je suis auprès d'elle en quelque espèce de faveur, que j'y ai les accès ouverts, +et qu'à force de me tourmenter, je me suis acquis le privilège de me mêler à la conversation et parler à tort et à travers de toutes choses. Quelquefois cela ne me réussit pas, mais quelquefois aussi cela me réussit. -Laissez−moi faire : je suis de vos amis, les gens de mérite me touchent, et je veux prendre mon temps po +Laissez−moi faire : je suis de vos amis, les gens de mérite me touchent, et je veux prendre mon temps pour entretenir la Princesse de... Sostrate Ah ! de grâce, quelque bonté que mon malheur t'inspire, garde−toi bien de lui rien dire de ma flamme. -J'aimerois mieux mourir que de pouvoir être accusé par elle de la moindre témérité, et ce profond respect +J'aimerois mieux mourir que de pouvoir être accusé par elle de la moindre témérité, et ce profond respect où ses charmes divins... Clitidas Taisons−nous : voici tout le monde. @@ -41831,23 +41831,23 @@ Aristione Prince, je ne puis me lasser de le dire, il n'est point de spectacle au monde qui puisse le disputer en magnificence à celui que vous venez de nous donner. Cette fête a eu des ornements qui l'emportent sans doute sur tout ce que l'on sauroit voir, et elle vient de produire à nos yeux quelque chose de si noble, de si -grand et de si majestueux, que le Ciel même ne sauroit aller au delà, et je puis dire assurément qu'il n'y a r +grand et de si majestueux, que le Ciel même ne sauroit aller au delà, et je puis dire assurément qu'il n'y a rien dans l'univers qui s'y puisse égaler. Timoclès Ce sont des ornements dont on ne peut pas espérer que toutes les fêtes soient embellies, et je dois fort -trembler, Madame, pour la simplicité du petit divertissement que je m'apprête à vous donner dans le bois +trembler, Madame, pour la simplicité du petit divertissement que je m'apprête à vous donner dans le bois de Diane. Aristione -Je crois que nous n'y verrons rien que de fort agréable, et certes il faut avouer que la campagne a lieu de n -paroître belle, et que nous n'avons pas le temps de nous ennuyer dans cet agréable séjour qu'ont célébré to -les poètes sous le nom de Tempé. Car enfin, sans parler des plaisirs de la chasse que nous y prenons à tou -heure, et de la solennité des jeux Pythiens que l'on y célèbre tantôt, vous prenez soin l'un et l'autre de nou +Je crois que nous n'y verrons rien que de fort agréable, et certes il faut avouer que la campagne a lieu de nous +paroître belle, et que nous n'avons pas le temps de nous ennuyer dans cet agréable séjour qu'ont célébré tous +les poètes sous le nom de Tempé. Car enfin, sans parler des plaisirs de la chasse que nous y prenons à toute +heure, et de la solennité des jeux Pythiens que l'on y célèbre tantôt, vous prenez soin l'un et l'autre de nous y combler de tous les divertissements qui peuvent charmer les chagrins des plus mélancoliques. D'où vient, Sostrate, qu'on ne vous a point vu dans notre promenade ? Sostrate Une petite indisposition, Madame, m'a empêché de m'y trouver. Iphicrate -Sostrate est de ces gens, Madame, qui croient qu'il ne sied pas bien d'être curieux comme les autres ; et il +Sostrate est de ces gens, Madame, qui croient qu'il ne sied pas bien d'être curieux comme les autres ; et il est beau d'affecter de ne pas courir où tout le monde court. Sostrate Seigneur, l'affectation n'a guère de part à tout ce que je fais, et, sans vous faire compliment, il y avoit des @@ -41859,7 +41859,7 @@ Oui, Madame, mais du rivage. Aristione Et pourquoi du rivage ? Clitidas -Ma foi ! Madame, j'ai craint quelqu'un des accidents qui arrivent d'ordinaire dans ces confusions. Cette n +Ma foi ! Madame, j'ai craint quelqu'un des accidents qui arrivent d'ordinaire dans ces confusions. Cette nuit, j'ai songé de poisson mort, et d'oeufs cassés, et j'ai appris du seigneur Anaxarque que les oeufs cassés et le poisson mort signifient malencontre. Anaxarque @@ -41869,10 +41869,10 @@ C'est qu'il y a tant de choses à dire de vous, qu'on n'en sauroit parler assez. Anaxarque Vous pourriez prendre d'autres matières, puisque je vous en ai prié. Clitidas -Le moyen ? Ne dites−vous pas que l'ascendant est plus fort que tout ? et s'il est écrit dans les astres que j +Le moyen ? Ne dites−vous pas que l'ascendant est plus fort que tout ? et s'il est écrit dans les astres que je sois enclin à parler de vous, comment voulez−vous que je résiste à ma destinée ? Anaxarque -Avec tout le respect, Madame, que je vous dois, il y a une chose qui est fâcheuse dans votre cour, que tou +Avec tout le respect, Madame, que je vous dois, il y a une chose qui est fâcheuse dans votre cour, que tout le monde y prenne liberté de parler, et que le plus honnête homme y soit exposé aux railleries du premier méchant plaisant. Clitidas @@ -41881,55 +41881,55 @@ Aristione Que vous êtes fou de vous chagriner de ce qu'il dit ! Clitidas Avec tout le respect que je dois à Madame, il y a une chose qui m'étonne dans l'astrologie : comment des -gens qui savent tous les secrets des Dieux, et qui possèdent des connoissances à se mettre au−dessus de to +gens qui savent tous les secrets des Dieux, et qui possèdent des connoissances à se mettre au−dessus de tous les hommes, aient besoin de faire leur cour, et de demander quelque chose. Anaxarque Vous devriez gagner un peu mieux votre argent, et donner à Madame de meilleures plaisanteries. Clitidas Ma foi ! on les donne telles qu'on peut. Vous en parlez fort à votre aise, et le métier de plaisant n'est pas -comme celui d'astrologue. Bien mentir et bien plaisanter sont deux choses fort différentes, et il est bien pl +comme celui d'astrologue. Bien mentir et bien plaisanter sont deux choses fort différentes, et il est bien plus facile de tromper les gens que de les faire rire. Aristione Eh ! qu'est−ce donc que cela veut dire ? Clitidas, se parlant à lui−même. Paix ! impertinent que vous êtes. Ne savez−vous pas bien que l'astrologie est une affaire d'Etat, et qu'il ne -faut point toucher à cette corde−là ? Je vous l'ai dit plusieurs fois, vous vous émancipez trop, et vous pren -de certaines libertés qui vous joueront un mauvais tour : je vous en avertis ; vous verrez qu'un de ces jou +faut point toucher à cette corde−là ? Je vous l'ai dit plusieurs fois, vous vous émancipez trop, et vous prenez +de certaines libertés qui vous joueront un mauvais tour : je vous en avertis ; vous verrez qu'un de ces jours on vous donnera du pied au cul, et qu'on vous chassera comme un faquin. Taisez−vous, si vous êtes sage. Aristione Où est ma fille ? Timoclès Madame, elle s'est écartée, et je lui ai présenté une main qu'elle a refusé d'accepter. Aristione -Princes, puisque l'amour que vous avez pour Eriphile a bien voulu se soumettre aux lois que j'ai voulu vou +Princes, puisque l'amour que vous avez pour Eriphile a bien voulu se soumettre aux lois que j'ai voulu vous imposer, puisque j'ai su obtenir de vous que vous fussiez rivaux sans devenir ennemis, et qu'avec pleine -soumission aux sentiments de ma fille, vous attendez un choix dont je l'ai faite seule maîtresse, ouvrez−m -tous deux le fond de votre âme, et me dites sincèrement quel progrès vous croyez l'un et l'autre avoir fait +soumission aux sentiments de ma fille, vous attendez un choix dont je l'ai faite seule maîtresse, ouvrez−moi +tous deux le fond de votre âme, et me dites sincèrement quel progrès vous croyez l'un et l'autre avoir fait sur son coeur. Timoclès -Madame, je ne suis point pour me flatter, j'ai fait ce que j'ai pu pour toucher le coeur de la princesse Eriph -et je m'y suis pris, que je crois, de toutes les tendres manières dont un amant se peut servir, je lui ai fait de -hommages soumis de tous mes voeux, j'ai montré des assiduités, j'ai rendu des soins chaque jour ; j'ai fai -chanter ma passion aux voix les touchantes, et l'ai exprimer en vers aux plumes les plus délicates, je me s +Madame, je ne suis point pour me flatter, j'ai fait ce que j'ai pu pour toucher le coeur de la princesse Eriphile, +et je m'y suis pris, que je crois, de toutes les tendres manières dont un amant se peut servir, je lui ai fait des +hommages soumis de tous mes voeux, j'ai montré des assiduités, j'ai rendu des soins chaque jour ; j'ai fait +chanter ma passion aux voix les touchantes, et l'ai exprimer en vers aux plumes les plus délicates, je me suis plaint de mon martyre en des termes passionnés, j'ai fait dire à mes yeux, aussi bien qu'à ma bouche, le désespoir de mon amour, j'ai poussé, à ses pieds, des soupirs languissants, j'ai même répandu des larmes ; mais tout cela inutilement, et je n'ai point connu qu'elle ait dans l'âme aucun ressentiment de mon ardeur. Aristione Et vous, Prince ? Iphicrate -Pour moi, Madame, connoissant son indifférence et le peu de cas qu'elle fait des devoirs qu'on lui rend, je -voulu perdre auprès d'elle ni plaintes, ni soupirs, ni larmes. Je sais qu'elle est toute soumise à vos volontés +Pour moi, Madame, connoissant son indifférence et le peu de cas qu'elle fait des devoirs qu'on lui rend, je n'ai +voulu perdre auprès d'elle ni plaintes, ni soupirs, ni larmes. Je sais qu'elle est toute soumise à vos volontés, et que ce n'est que de votre main seule qu'elle voudra prendre un époux. Aussi n'est−ce qu'à vous que je -m'adresse pour l'obtenir, à vous plutôt qu'à elle que je rends tous mes soins et tous mes hommages. Et plû -Ciel, Madame, que vous eussiez pu vous résoudre à tenir sa place, que vous eussiez voulu jouir des conqu +m'adresse pour l'obtenir, à vous plutôt qu'à elle que je rends tous mes soins et tous mes hommages. Et plût au +Ciel, Madame, que vous eussiez pu vous résoudre à tenir sa place, que vous eussiez voulu jouir des conquêtes que vous lui faites, et recevoir pour vous les voeux que vous lui renvoyez ! Aristione Prince, le compliment est d'un amant adroit, et vous avez entendu dire qu'il falloit cajoler les mères pour obtenir les filles ; mais ici, par malheur, tout cela devient inutile, et je me suis engagée à laisser le choix entier à l'inclination de ma fille. Iphicrate -Quelque pouvoir que vous lui donniez pour ce choix, ce n'est point compliment, Madame, que ce que je v -dis : je ne recherche la princesse Eriphile que parce qu'elle est votre sang ; je la trouve charmante par tou +Quelque pouvoir que vous lui donniez pour ce choix, ce n'est point compliment, Madame, que ce que je vous +dis : je ne recherche la princesse Eriphile que parce qu'elle est votre sang ; je la trouve charmante par tout ce qu'elle tient de vous, et c'est vous que j'adore en elle. Aristione Voilà qui est fort bien. @@ -41937,18 +41937,18 @@ Iphicrate Oui, Madame, toute la terre voit en vous des attraits et des charmes que je... Aristione De grâce, Prince, ôtons ces charmes et ces attraits : vous savez que ce sont des mots que je retranche des -compliments qu'on veut me faire. Je souffre qu'on me loue de ma sincérité, qu'on dise que je suis une bon -princesse, que j'ai de la parole pour tout le monde, de la chaleur pour mes amis, et de l'estime pour le mér -et la vertu : je puis tâter de tout cela ; mais pour les douceurs de charmes et d'attraits, je suis bien aise qu +compliments qu'on veut me faire. Je souffre qu'on me loue de ma sincérité, qu'on dise que je suis une bonne +princesse, que j'ai de la parole pour tout le monde, de la chaleur pour mes amis, et de l'estime pour le mérite +et la vertu : je puis tâter de tout cela ; mais pour les douceurs de charmes et d'attraits, je suis bien aise qu'on ne m'en serve point ; et quelque vérité qui s'y pût rencontrer, on doit faire quelque scrupule d'en goûter la louange, quand on est mère d'une fille comme la mienne. Iphicrate Ah ! Madame, c'est vous qui voulez être mère malgré tout le monde ; il n'est point d'yeux qui ne s'y opposent ; et si vous le vouliez, la princesse Eriphile ne seroit que votre soeur. Aristione -Mon Dieu ! Prince, je ne donne point dans tous ces galimatias où donnent la plupart des femmes ; je veu +Mon Dieu ! Prince, je ne donne point dans tous ces galimatias où donnent la plupart des femmes ; je veux être mère, parce que je la suis, et ce seroit en vain que je ne la voudrois pas être. Ce titre n'a rien qui me -choque, puisque, de mon consentement, je me suis exposée à le recevoir. C'est un foible de notre sexe, do +choque, puisque, de mon consentement, je me suis exposée à le recevoir. C'est un foible de notre sexe, dont, grâce au Ciel, je suis exempte ; et je ne m'embarrasse point de ces grandes disputes d'âge, sur quoi nous voyons tant de folles. Revenons à notre discours. Est−il possible que jusqu'ici vous n'ayez pu connoître où penche l'inclination d'Eriphile ? @@ -41964,18 +41964,18 @@ Sostrate Madame, vous avez cent personnes dans votre cour sur qui vous pourriez mieux verser l'honneur d'un tel emploi, et je me sens mal propre à bien exécuter ce que vous souhaitez de moi. Aristione -Votre mérite, Sostrate, n'est point borné aux seuls emplois de la guerre : vous avez de l'esprit, de la condu +Votre mérite, Sostrate, n'est point borné aux seuls emplois de la guerre : vous avez de l'esprit, de la conduite, de l'adresse, et ma fille fait cas de vous. Sostrate Quelque autre mieux que moi, Madame,... Aristione Non, non ; en vain vous vous en défendez. Sostrate -Puisque vous le voulez, Madame, il vous faut obéir ; mais je vous jure que, dans toute votre cour, vous n -pouviez choisir personne qui ne fût en état de s'acquitter beaucoup mieux que moi d'une telle commission +Puisque vous le voulez, Madame, il vous faut obéir ; mais je vous jure que, dans toute votre cour, vous ne +pouviez choisir personne qui ne fût en état de s'acquitter beaucoup mieux que moi d'une telle commission. Aristione C'est trop de modestie, et vous vous acquitterez toujours bien de toutes les choses dont on vous chargera. -Découvrez doucement les sentiments d'Eriphile, et faites−la ressouvenir qu'il faut se rendre de bonne heur +Découvrez doucement les sentiments d'Eriphile, et faites−la ressouvenir qu'il faut se rendre de bonne heure dans le bois de Diane. Scène III Iphicrate, Timoclès, Clitidas, Sostrate @@ -41992,7 +41992,7 @@ Je ne vous recommande point mes intérêts. Timoclès Je ne vous dis point de parler pour moi. Sostrate -Seigneurs, il seroit inutile : j'aurois tort de passer les ordres de ma commission, et vous trouverez bon que +Seigneurs, il seroit inutile : j'aurois tort de passer les ordres de ma commission, et vous trouverez bon que je ne parle ni pour l'un, ni pour l'autre.. Iphicrate Je vous laisse agir comme il vous plaira. @@ -42009,10 +42009,10 @@ disputer. Iphicrate Je reconnoîtrai ce service. Timoclès -Mon rival fait sa cour à Clitidas ; mais Clitidas sait bien qu'il m'a promis d'appuyer contre lui les prétenti +Mon rival fait sa cour à Clitidas ; mais Clitidas sait bien qu'il m'a promis d'appuyer contre lui les prétentions de mon amour. Clitidas -Assurément ; et il se moque de croire l'emporter sur vous : voilà, auprès de vous, un beau petit morveux +Assurément ; et il se moque de croire l'emporter sur vous : voilà, auprès de vous, un beau petit morveux de prince. Timoclès Il n'y a rien que je ne fasse pour Clitidas. @@ -42023,16 +42023,16 @@ Eriphile, Cléonice Cléonice On trouvera étrange, Madame, que vous vous soyez ainsi écartée de tout le monde. Eriphile -Ah ! qu'aux personnes comme nous, qui sommes toujours accablées de tant de gens, un peu de solitude e -parfois agréable, et qu'après mille impertinents entretiens il est doux de s'entretenir avec ses pensées ! Qu +Ah ! qu'aux personnes comme nous, qui sommes toujours accablées de tant de gens, un peu de solitude est +parfois agréable, et qu'après mille impertinents entretiens il est doux de s'entretenir avec ses pensées ! Qu'on me laisse ici promener toute seule. Cléonice -Ne voudriez−vous pas, Madame, voir un petit essai de la disposition de ces gens admirables qui veulent s -donner à vous ? Ce sont des personnes qui, par leurs pas, leurs gestes et leurs mouvements, expriment au +Ne voudriez−vous pas, Madame, voir un petit essai de la disposition de ces gens admirables qui veulent se +donner à vous ? Ce sont des personnes qui, par leurs pas, leurs gestes et leurs mouvements, expriment aux yeux toutes choses, et on appelle cela Pantomimes. J'ai tremblé à vous dire ce mot, et il y a des gens dans votre cour qui ne me le pardonneroient pas. Eriphile -Vous avez bien la mine, Cléonice, de me venir ici régaler d'un mauvais divertissement ; car, grâce au Cie +Vous avez bien la mine, Cléonice, de me venir ici régaler d'un mauvais divertissement ; car, grâce au Ciel, vous ne manquez pas de vouloir produire indifféremment tout ce qui se présente à vous, et vous avez une affabilité qui ne rejette rien. Aussi est−ce à vous seule qu'on voit avoir recours toutes les muses nécessitantes ; vous êtes la grande protectrice du mérite incommodé ; et tout ce qu'il y a de vertueux @@ -42044,14 +42044,14 @@ Non, non ; voyons−les, faites−les venir. Cléonice Mais peut−être, Madame, que leur danse sera méchante. Eriphile -Méchant ou non, il la faut voir : ce ne seroit avec vous que reculer la chose, et il vaut mieux en être quitte +Méchant ou non, il la faut voir : ce ne seroit avec vous que reculer la chose, et il vaut mieux en être quitte. Cléonice Ce ne sera ici, Madame, qu'une danse ordinaire : une autre fois... Eriphile Point de préambule, Cléonice ; qu'ils dansent. Second intermède La confidente de... -La confidente de la jeune princesse lui produit trois danseurs, sous le nom de Pantomimes, c'est−à−dire qu +La confidente de la jeune princesse lui produit trois danseurs, sous le nom de Pantomimes, c'est−à−dire qui expriment par leurs gestes toutes sortes de choses. La Princesse les voit danser, et les reçoit à son service. Entrée de ballet De trois Pantomimes @@ -42059,7 +42059,7 @@ Acte II Scène I Eriphile, Cléonice, Clitidas Eriphile -Voilà qui est admirable ! je ne crois pas qu'on puisse mieux danser qu'ils dansent, et je suis bien aise de l +Voilà qui est admirable ! je ne crois pas qu'on puisse mieux danser qu'ils dansent, et je suis bien aise de les avoir à moi. Cléonice Et moi, Madame, je suis bien aise que vous ayez vu que je n'ai pas si méchant goût que vous avez pensé. @@ -42080,7 +42080,7 @@ Je ne vous avois pas vue là, Madame. Eriphile Approche. D'où viens−tu ? Clitidas -De laisser la Princesse votre mère, qui s'en alloit vers le temple d'Apollon, accompagnée de beaucoup de +De laisser la Princesse votre mère, qui s'en alloit vers le temple d'Apollon, accompagnée de beaucoup de gens. Eriphile Ne trouves−tu pas ces lieux les plus charmants du monde ? Clitidas @@ -42093,7 +42093,7 @@ Eriphile D'où vient qu'il n'est pas venu à la promenade ? Clitidas Il a quelque chose dans la tête qui l'empêche de prendre plaisir à tous ces beaux régales. Il m'a voulu -entretenir ; mais vous m'avez défendu si expressément de me charger d'aucune affaire auprès de vous, qu +entretenir ; mais vous m'avez défendu si expressément de me charger d'aucune affaire auprès de vous, que je n'ai point voulu lui prêter l'oreille, et je lui ai dit nettement que je n'avois pas le loisir de l'entendre. Eriphile Tu as eu tort de lui dire cela, et tu devois l'écouter. @@ -42105,16 +42105,16 @@ Clitidas En vérité, c'est un homme qui me revient, un homme fait comme je veux que les hommes soient faits : ne prenant point des manières bruyantes et des tons de voix assommants ; sage et posé en toutes choses ; ne parlant jamais que bien à propos ; point prompt à décider ; point du tout exagérateur incommode ; et, -quelques beaux vers que nos poëtes lui aient récités, je ne lui ai jamais ouï dire : "Voilà qui est plus beau +quelques beaux vers que nos poëtes lui aient récités, je ne lui ai jamais ouï dire : "Voilà qui est plus beau que tout ce qu'a jamais fait Homère." Enfin c'est un homme pour qui je me sens de l'inclination ; et si j'étois princesse, il ne seroit pas malheureux. Eriphile C'est un homme d'un grand mérite, assurément ; mais de quoi t'a−t−il parlé ? Clitidas -Il m'a demandé si vous aviez témoigné grande joie au magnifique régale que l'on vous a donné, m'a parlé -votre personne avec des transports les plus grands du monde, vous a mise au−dessus du ciel, et vous a don +Il m'a demandé si vous aviez témoigné grande joie au magnifique régale que l'on vous a donné, m'a parlé de +votre personne avec des transports les plus grands du monde, vous a mise au−dessus du ciel, et vous a donné toutes les louanges qu'on peut donner à la princesse la plus accomplie de la terre, entremêlant tout cela de -plusieurs soupirs, qui disoient plus qu'il ne vouloit. Enfin, à force de le tourner de tous côtés, et de le pres +plusieurs soupirs, qui disoient plus qu'il ne vouloit. Enfin, à force de le tourner de tous côtés, et de le presser sur la cause de cette profonde mélancolie, dont toute la cour s'aperçoit, il a été contraint de m'avouer qu'il étoit amoureux. Eriphile @@ -42140,11 +42140,11 @@ Il l'aime éperdument, et vous conjure d'honorer sa flamme de votre protection. Eriphile Moi ? Clitidas -Non, non, Madame : je vois que la chose ne vous plaît pas. Votre colère m'a obligé à prendre ce détour, e +Non, non, Madame : je vois que la chose ne vous plaît pas. Votre colère m'a obligé à prendre ce détour, et pour vous dire la vérité, c'est vous qu'il aime éperdument. Eriphile Vous êtes un insolent de venir ainsi surprendre mes sentiments. Allons, sortez d'ici ; vous vous mêlez de -vouloir lire dans les âmes, de vouloir pénétrer dans les secrets du coeur d'une princesse. Otez−vous de me +vouloir lire dans les âmes, de vouloir pénétrer dans les secrets du coeur d'une princesse. Otez−vous de mes yeux, et que je ne vous voye jamais, Clitidas. Clitidas Madame. @@ -42160,9 +42160,9 @@ Il suffit. Eriphile Sostrate t'a donc dit qu'il m'aimoit ? Clitidas -Non, Madame : il faut vous dire la vérité. J'ai tiré de son coeur, par surprise, un secret qu'il veut cacher à +Non, Madame : il faut vous dire la vérité. J'ai tiré de son coeur, par surprise, un secret qu'il veut cacher à tout le monde, et avec lequel il est, dit−il, résolu de mourir ; il a été au désespoir du vol subtil que je lui en ai -fait ; et bien loin de me charger de vous le découvrir, il m'a conjuré, avec toutes les instantes prières qu'o +fait ; et bien loin de me charger de vous le découvrir, il m'a conjuré, avec toutes les instantes prières qu'on sauroit faire, de ne vous en rien révéler, et c'est trahison contre lui que ce que je viens de vous dire. Eriphile Tant mieux : c'est par son seul respect qu'il peut me plaire ; et s'il étoit si hardi que de me déclarer son @@ -42183,20 +42183,20 @@ Quelle commission, Sostrate ? Sostrate Celle, Madame, de tâcher d'apprendre de vous vers lequel des deux Princes peut incliner votre coeur. Eriphile -La Princesse ma mère montre un esprit judicieux dans le choix qu'elle a fait de vous pour un pareil emplo -Cette commission, Sostrate, vous a été agréable sans doute, et vous l'avez acceptée avec beaucoup de joie +La Princesse ma mère montre un esprit judicieux dans le choix qu'elle a fait de vous pour un pareil emploi. +Cette commission, Sostrate, vous a été agréable sans doute, et vous l'avez acceptée avec beaucoup de joie. Sostrate -Je l'ai acceptée, Madame, par la nécessité que mon devoir m'impose d'obéir ; et si la Princesse avoit voul +Je l'ai acceptée, Madame, par la nécessité que mon devoir m'impose d'obéir ; et si la Princesse avoit voulu recevoir mes excuses, elle auroit honoré quelque autre de cet emploi. Eriphile Quelle cause, Sostrate, vous obligeoit à le refuser ? Sostrate La crainte, Madame, de m'en acquitter mal. Eriphile -Croyez−vous que je ne vous estime pas assez pour vous ouvrir mon coeur, et vous donner toutes les lumiè +Croyez−vous que je ne vous estime pas assez pour vous ouvrir mon coeur, et vous donner toutes les lumières que vous pourrez désirer de moi sur le sujet de ces deux Princes ? Sostrate -Je ne désire rien pour moi là−dessus, Madame, et je ne vous demande que ce que vous croirez devoir don +Je ne désire rien pour moi là−dessus, Madame, et je ne vous demande que ce que vous croirez devoir donner aux ordres qui m'amènent. Eriphile Jusques ici je me suis défendue de m'expliquer, et la Princesse ma mère a eu la bonté de souffrir que j'aye @@ -42204,20 +42204,20 @@ reculé toujours ce choix qui me doit engager ; mais je serai bien aise de tém veux faire quelque chose pour l'amour de vous ; et si vous m'en pressez, je rendrai cet arrêt qu'on attend depuis si longtemps. Sostrate -C'est une chose, Madame, dont vous ne serez point importunée par moi, et je ne saurois me résoudre à pre +C'est une chose, Madame, dont vous ne serez point importunée par moi, et je ne saurois me résoudre à presser une princesse qui sait trop ce qu'elle a à faire. Eriphile Mais c'est ce que la Princesse ma mère attend de vous. Sostrate Ne lui ai−je pas dit aussi que je m'acquitterois mal de cette commission ? Eriphile -O çà, Sostrate, les gens comme vous ont toujours les yeux pénétrants ; et je pense qu'il ne doit y avoir gu -de choses qui échappent aux vôtres. N'ont−ils pu découvrir, vos yeux, ce dont tout le monde est en peine, +O çà, Sostrate, les gens comme vous ont toujours les yeux pénétrants ; et je pense qu'il ne doit y avoir guère +de choses qui échappent aux vôtres. N'ont−ils pu découvrir, vos yeux, ce dont tout le monde est en peine, et ne vous ont−ils point donné quelques petites lumières du penchant de mon coeur ? Vous voyez les soins -qu'on me rend, l'empressement qu'on me témoigne : quel est celui de ces deux Princes que vous croyez q +qu'on me rend, l'empressement qu'on me témoigne : quel est celui de ces deux Princes que vous croyez que je regarde d'un oeil plus doux ? Sostrate -Les doutes que l'on forme sur ces sortes de choses ne sont réglés d'ordinaire que par les intérêts qu'on pren +Les doutes que l'on forme sur ces sortes de choses ne sont réglés d'ordinaire que par les intérêts qu'on prend. Eriphile Pour qui, Sostrate, pencheriez−vous des deux ? Quel est celui, dites−moi, que vous souhaiteriez que j'épousasse ? @@ -42230,11 +42230,11 @@ Si vous vous conseilliez à moi, je serois fort embarrassé. Eriphile Vous ne pourriez pas dire qui des deux vous semble plus digne de cette préférence ? Sostrate -Si l'on s'en rapporte à mes yeux, il n'y aura personne qui soit digne de cet honneur. Tous les princes du m -seront trop peu de chose pour aspirer à vous ; les Dieux seuls y pourront prétendre, et vous ne souffrirez +Si l'on s'en rapporte à mes yeux, il n'y aura personne qui soit digne de cet honneur. Tous les princes du monde +seront trop peu de chose pour aspirer à vous ; les Dieux seuls y pourront prétendre, et vous ne souffrirez des hommes que l'encens et les sacrifices. Eriphile -Cela est obligeant, et vous êtes de mes amis. Mais je veux que vous me disiez pour qui des deux vous vou +Cela est obligeant, et vous êtes de mes amis. Mais je veux que vous me disiez pour qui des deux vous vous sentez plus d'inclination, quel est celui que vous mettez le plus au rang de vos amis. Scène IV Chorèbe, Sostrate, Eriphile @@ -42249,19 +42249,19 @@ On vous a demandée, ma fille, et il y a des gens que votre absence chagrine for Eriphile Je pense, Madame, qu'on m'a demandée par compliment, et on ne s'inquiète pas tant qu'on vous dit. Aristione -On enchaîne pour nous ici tant de divertissements les uns aux autres, que toutes nos heures sont retenues, -nous n'avons aucun moment à perdre, si nous voulons les goûter tous. Entrons vite dans le bois, et voyons +On enchaîne pour nous ici tant de divertissements les uns aux autres, que toutes nos heures sont retenues, et +nous n'avons aucun moment à perdre, si nous voulons les goûter tous. Entrons vite dans le bois, et voyons ce qui nous y attend ; ce lieu est le plus beau du monde, prenons vite nos places. Troisième intermède Prologue -Le théâtre est une forêt, où la Princesse est invitée d'aller ; une Nymphe lui en fait les honneurs en chanta -et, pour la divertir, on lui joue une petite comédie en musique, dont voici le sujet. Un Berger se plaint à de -bergers, ses amis, des froideurs de celle qu'il aime ; les deux amis le consolent ; et, comme la Bergère ai -arrive, tous trois se retirent pour l'observer. Après quelque plainte amoureuse, elle se repose sur un gazon +Le théâtre est une forêt, où la Princesse est invitée d'aller ; une Nymphe lui en fait les honneurs en chantant, +et, pour la divertir, on lui joue une petite comédie en musique, dont voici le sujet. Un Berger se plaint à deux +bergers, ses amis, des froideurs de celle qu'il aime ; les deux amis le consolent ; et, comme la Bergère aimée +arrive, tous trois se retirent pour l'observer. Après quelque plainte amoureuse, elle se repose sur un gazon, et s'abandonne aux douceurs du sommeil. L'amant fait approcher ses amis pour contempler les grâces de sa Bergère et invite toutes choses à contribuer à son repos. La Bergère, en s'éveillant, voit son Berger à ses -pieds, se plaint de sa poursuite ; mais, considérant sa constance, elle lui accorde sa demande, et consent d -être aimée en présence des deux bergers amis. Deux Satyres arrivant se plaignent de son changement et, é +pieds, se plaint de sa poursuite ; mais, considérant sa constance, elle lui accorde sa demande, et consent d'en +être aimée en présence des deux bergers amis. Deux Satyres arrivant se plaignent de son changement et, étant touchés de cette disgrâce, cherchent leur consolation dans le vin. Les personnages de la pastorale La Nymphe de la vallée de Tempé, Tircis, Lycaste, Ménandre, Caliste, deux Satyres @@ -42460,8 +42460,8 @@ De vos paisibles retraites ; Mêlez vos pas à nos sons, Et tracez sur les herbettes L'image de nos chansons. -En même temps, six Dryades et six Faunes sortent de leurs demeures, et font ensemble une danse agréabl -qui, s'ouvrant tout d'un coup, laisse voir un Berger et une Bergère, qui font en musique une petite scène d +En même temps, six Dryades et six Faunes sortent de leurs demeures, et font ensemble une danse agréable, +qui, s'ouvrant tout d'un coup, laisse voir un Berger et une Bergère, qui font en musique une petite scène d'un dépit amoureux. Dépit amoureux Climène, Philinte @@ -42513,7 +42513,7 @@ Querellez−vous sans cesse Pour vous raccommoder. Amants, que vos querelles Sont aimables et belles, etc. -Les Faunes et les Dryades recommencent leur danse, que les Bergères et Bergers musiciens entremêlent d +Les Faunes et les Dryades recommencent leur danse, que les Bergères et Bergers musiciens entremêlent de leurs chansons, tandis que trois petites Dryades et trois petits Faunes font paroître dans l'enfoncement du théâtre, tout ce qui se passe sur le devant. Les Bergers et Bergères @@ -42534,33 +42534,33 @@ Acte III Scène I Aristione, Iphicrate, Timoclès, Anaxarque, Clitidas, Eriphile, Sostrate, Suite Aristione -Les mêmes paroles toujours se présentent à dire, il faut toujours s'écrier : "Voilà qui est admirable, il ne s +Les mêmes paroles toujours se présentent à dire, il faut toujours s'écrier : "Voilà qui est admirable, il ne se peut rien de plus beau, cela passe tout ce qu'on a jamais vu." Timoclès C'est donner de trop grandes paroles, Madame, à de petites bagatelles. Aristione -Des bagatelles comme celles−là peuvent occuper agréablement les plus sérieuses personnes. En vérité, m -fille, vous êtes bien obligée à ces Princes, et vous ne sauriez assez reconnoître tous les soins qu'ils prenne +Des bagatelles comme celles−là peuvent occuper agréablement les plus sérieuses personnes. En vérité, ma +fille, vous êtes bien obligée à ces Princes, et vous ne sauriez assez reconnoître tous les soins qu'ils prennent pour vous. Eriphile J'en ai, Madame, tout le ressentiment qu'il est possible. Aristione Cependant vous les faites longtemps languir sur ce qu'ils attendent de vous. J'ai promis de ne vous point -contraindre ; mais leur amour vous presse de vous déclarer, et de ne plus traîner en longueur la récompen -de leurs services. J'ai chargé Sostrate d'apprendre doucement de vous les sentiments de votre coeur, et je n +contraindre ; mais leur amour vous presse de vous déclarer, et de ne plus traîner en longueur la récompense +de leurs services. J'ai chargé Sostrate d'apprendre doucement de vous les sentiments de votre coeur, et je ne sais pas s'il a commencé à s'acquitter de cette commission. Eriphile -Oui, Madame. Mais il me semble que je ne puis assez reculer ce choix dont on me presse, et que je ne sau +Oui, Madame. Mais il me semble que je ne puis assez reculer ce choix dont on me presse, et que je ne saurois le faire sans mériter quelque blâme. Je me sens également obligée à l'amour, aux empressements, aux -services de ces deux Princes, et je trouve une espèce d'injustice bien grande à me montrer ingrate ou vers +services de ces deux Princes, et je trouve une espèce d'injustice bien grande à me montrer ingrate ou vers l'un, ou vers l'autre, par le refus qu'il m'en faudra faire dans la préférence de son rival. Iphicrate Cela s'appelle, Madame, un fort honnête compliment pour nous refuser tous deux. Aristione -Ce scrupule, ma fille, ne doit point vous inquiéter, et ces Princes tous deux se sont soumis il y a longtemp +Ce scrupule, ma fille, ne doit point vous inquiéter, et ces Princes tous deux se sont soumis il y a longtemps à la préférence que pourra faire votre inclination. Eriphile -L'inclination, Madame, est fort sujette à se tromper, et des yeux désintéressés sont beaucoup plus capable +L'inclination, Madame, est fort sujette à se tromper, et des yeux désintéressés sont beaucoup plus capables de faire un juste choix. Aristione Vous savez que je suis engagée de parole à ne rien prononcer là−dessus, et, parmi ces deux Princes, votre @@ -42573,8 +42573,8 @@ Eriphile Que Sostrate décide de cette préférence. Vous l'avez pris pour découvrir le secret de mon coeur : souffrez que je le prenne pour me tirer de l'embarras où je me trouve. Aristione -J'estime tant Sostrate que, soit que vous vouliez vous servir de lui pour expliquer vos sentiments, ou soit q -vous vous en remettiez absolument à sa conduite, je fais, dis−je, tant d'estime de sa vertu et de son jugem +J'estime tant Sostrate que, soit que vous vouliez vous servir de lui pour expliquer vos sentiments, ou soit que +vous vous en remettiez absolument à sa conduite, je fais, dis−je, tant d'estime de sa vertu et de son jugement, que je consens, de tout mon coeur, à la proposition que vous me faites. Iphicrate C'est−à−dire, Madame, qu'il nous faut faire notre cour à Sostrate ? @@ -42590,7 +42590,7 @@ Craignez−vous, Sostrate, de vous faire un ennemi ? Sostrate Je craindrois peu, seigneur, les ennemis que je pourrois me faire en obéissant à mes souveraines. Timoclès -Par quelle raison donc refusez−vous d'accepter le pouvoir qu'on vous donne, et de vous acquérir l'amitié d +Par quelle raison donc refusez−vous d'accepter le pouvoir qu'on vous donne, et de vous acquérir l'amitié d'un Prince qui vous devroit tout son bonheur ? Sostrate Par la raison que je ne suis pas en état d'accorder à ce Prince ce qu'il souhaiteroit de moi. @@ -42599,9 +42599,9 @@ Quelle pourroit être cette raison ? Sostrate Pourquoi me tant presser là−dessus ? Peut−être ai−je, seigneur, quelque intérêt secret qui s'oppose aux prétentions de votre amour. Peut−être ai−je un ami qui brûle, sans oser le dire, d'une flamme respectueuse -pour les charmes divins dont vous êtes épris ; peut−être cet ami me fait−il tous les jours confidence de so +pour les charmes divins dont vous êtes épris ; peut−être cet ami me fait−il tous les jours confidence de son martyre, qu'il se plaint à moi tous les jours des rigueurs de sa destinée, et regarde l'hymen de la Princesse -ainsi que l'arrêt redoutable qui le doit pousser au tombeau. Et si cela étoit, seigneur, seroit−il raisonnable +ainsi que l'arrêt redoutable qui le doit pousser au tombeau. Et si cela étoit, seigneur, seroit−il raisonnable que ce fût de ma main qu'il reçût le coup de sa mort ? Iphicrate Vous auriez bien la mine, Sostrate, d'être vous−même cet ami dont vous prenez les intérêts. @@ -42611,30 +42611,30 @@ seigneur, et les malheureux comme moi n'ignorent pas jusques où leur fortune le Aristione Laissons cela : nous trouverons moyen de terminer l'irrésolution de ma fille. Anaxarque -En est−il un meilleur, Madame, pour terminer les choses au contentement de tout le monde, que les lumiè -que le Ciel peut donner sur ce mariage ? J'ai commencé, comme je vous ai dit, à jeter pour cela les figure -mystérieuses que notre art nous enseigne, et j'espère vous faire voir tantôt ce que l'avenir garde à cette uni -souhaitée. Après cela pourra−t−on balancer encore ? La gloire et les prospérités que le Ciel promettra ou -l'un ou à l'autre choix ne seront−elles pas suffisantes pour le déterminer, et celui qui sera exclus pourra−t− +En est−il un meilleur, Madame, pour terminer les choses au contentement de tout le monde, que les lumières +que le Ciel peut donner sur ce mariage ? J'ai commencé, comme je vous ai dit, à jeter pour cela les figures +mystérieuses que notre art nous enseigne, et j'espère vous faire voir tantôt ce que l'avenir garde à cette union +souhaitée. Après cela pourra−t−on balancer encore ? La gloire et les prospérités que le Ciel promettra ou à +l'un ou à l'autre choix ne seront−elles pas suffisantes pour le déterminer, et celui qui sera exclus pourra−t−il s'offenser quand ce sera le Ciel qui décidera cette préférence ? Iphicrate Pour moi, je m'y soumets entièrement, et je déclare que cette voie me semble la plus raisonnable. Timoclès Je suis de même avis, et le Ciel ne sauroit rien faire où je ne souscrive sans répugnance. Eriphile -Mais, seigneur Anaxarque, voyez−vous si clair dans les destinées, que vous ne vous trompiez jamais, et c +Mais, seigneur Anaxarque, voyez−vous si clair dans les destinées, que vous ne vous trompiez jamais, et ces prospérités et cette gloire que vous dites que le Ciel nous promet, qui en sera caution, je vous prie ? Aristione Ma fille, vous avez une petite incrédulité qui ne vous quitte point. Anaxarque Les épreuves, Madame, que tout le monde a vues de l'infaillibilité de mes prédictions sont les cautions suffisantes des promesses que je puis faire. Mais enfin, quand je vous aurai fait voir ce que le Ciel vous -marque, vous vous réglerez là−dessus, à votre fantaisie, et ce sera à vous à prendre la fortune de l'un ou d +marque, vous vous réglerez là−dessus, à votre fantaisie, et ce sera à vous à prendre la fortune de l'un ou de l'autre choix. Eriphile Le Ciel, Anaxarque, me marquera les deux fortunes qui m'attendent ? Anaxarque -Oui, Madame, les félicités qui vous suivront, si vous épousez l'un, et les disgrâces qui vous accompagnero +Oui, Madame, les félicités qui vous suivront, si vous épousez l'un, et les disgrâces qui vous accompagneront, si vous épousez l'autre. Eriphile Mais comme il est impossible que je les épouse tous deux, il faut donc qu'on trouve écrit dans le Ciel, non @@ -42645,15 +42645,15 @@ Anaxarque Il faudroit vous faire, Madame, une longue discussion des principes de l'astrologie pour vous faire comprendre cela. Clitidas -Bien répondu, Madame, je ne dis point de mal de l'astrologie ; l'astrologie est une belle chose, et le seign +Bien répondu, Madame, je ne dis point de mal de l'astrologie ; l'astrologie est une belle chose, et le seigneur Anaxarque est un grand homme. Iphicrate -La vérité de l'astrologie est une chose incontestable, et il n'y a personne qui puisse disputer contre la certit +La vérité de l'astrologie est une chose incontestable, et il n'y a personne qui puisse disputer contre la certitude de ses prédictions. Clitidas Assurément. Timoclès -Je suis assez incrédule pour quantité de choses : mais, pour ce qui est de l'astrologie, il n'y a rien de plus +Je suis assez incrédule pour quantité de choses : mais, pour ce qui est de l'astrologie, il n'y a rien de plus sûr et de plus constant que le succès des horoscopes qu'elle tire. Clitidas Ce sont des choses les plus claires du monde. @@ -42668,21 +42668,21 @@ Il faut n'avoir pas le sens commun. Le moyen de contester ce qui est moulé ? Aristione Sostrate n'en dit mot : quel est son sentiment là−dessus ? Sostrate -Madame, tous les esprits ne sont pas nés avec les qualités qu'il faut pour la délicatesse de ces belles scienc -qu'on nomme curieuses, et il y en a de si matériels, qu'ils ne peuvent aucunement comprendre ce que d'au +Madame, tous les esprits ne sont pas nés avec les qualités qu'il faut pour la délicatesse de ces belles sciences +qu'on nomme curieuses, et il y en a de si matériels, qu'ils ne peuvent aucunement comprendre ce que d'autres conçoivent le plus facilement du monde. Il n'est rien de plus agréable, Madame, que toutes les grandes -promesses de ces connoissances sublimes. Transformer tout en or, faire vivre éternellement, guérir par de -paroles, se faire aimer de qui l'on veut, savoir tous les secrets de l'avenir, faire descendre, comme on veut -ciel sur des métaux des impressions de bonheur, commander aux démons, se faire des armées invisibles e +promesses de ces connoissances sublimes. Transformer tout en or, faire vivre éternellement, guérir par des +paroles, se faire aimer de qui l'on veut, savoir tous les secrets de l'avenir, faire descendre, comme on veut, du +ciel sur des métaux des impressions de bonheur, commander aux démons, se faire des armées invisibles et des soldats invulnérables : tout cela est charmant, sans doute ; et il y a des gens qui n'ont aucune peine à en comprendre la possibilité : cela leur est le plus aisé du monde à concevoir. Mais, pour moi, je vous avoue -que mon esprit grossier a quelque peine à le comprendre et à le croire, et j'ai toujours trouvé cela trop bea -pour être véritable. Toutes ces belles raisons de sympathie, de force magnétique et de vertu occulte, sont s +que mon esprit grossier a quelque peine à le comprendre et à le croire, et j'ai toujours trouvé cela trop beau +pour être véritable. Toutes ces belles raisons de sympathie, de force magnétique et de vertu occulte, sont si subtiles et délicates qu'elles échappent à mon sens matériel, et, sans parler du reste, jamais il n'a été en ma -puissance de concevoir comme on trouve écrit dans le ciel jusqu'aux plus petites particularités de la fortun -du moindre homme. Quel rapport, quel commerce, quelle correspondance peut−il y avoir entre nous et de +puissance de concevoir comme on trouve écrit dans le ciel jusqu'aux plus petites particularités de la fortune +du moindre homme. Quel rapport, quel commerce, quelle correspondance peut−il y avoir entre nous et des globes éloignés de notre terre d'une distance si effroyable ? et d'où cette belle science enfin peut−elle être -venue aux hommes ? Quel dieu l'a révélée, ou quelle expérience l'a pu former de l'observation de ce gran +venue aux hommes ? Quel dieu l'a révélée, ou quelle expérience l'a pu former de l'observation de ce grand nombre d'astres qu'on n'a pu voir encore deux fois dans la même disposition ? Anaxarque Il ne sera pas difficile de vous le faire concevoir. @@ -42693,14 +42693,14 @@ Il vous fera une discussion de tout cela quand vous voudrez. Iphicrate Si vous ne comprenez pas les choses, au moins les pouvez−vous croire, sur ce que l'on voit tous les jours. Sostrate -Comme mon sens est si grossier, qu'il n'a pu rien comprendre, mes yeux aussi sont si malheureux, qu'ils n +Comme mon sens est si grossier, qu'il n'a pu rien comprendre, mes yeux aussi sont si malheureux, qu'ils n'ont jamais rien vu. Iphicrate Pour moi, j'ai vu, et des choses tout à fait convaincantes. Timoclès Et moi aussi. Sostrate -Comme vous avez vu, vous faites bien de croire, et il faut que vos yeux soient faits autrement que les mie +Comme vous avez vu, vous faites bien de croire, et il faut que vos yeux soient faits autrement que les miens. Iphicrate Mais enfin la Princesse croit à l'astrologie, et il me semble qu'on y peut bien croire après elle. Est−ce que Madame, Sostrate, n'a pas de l'esprit et du sens ? @@ -42708,8 +42708,8 @@ Sostrate Seigneur, la question est un peu violente. L'esprit de la Princesse n'est pas une règle pour le mien, et son intelligence peut l'élever à des lumières où mon sens ne peut pas atteindre. Aristione -Non, Sostrate, je ne vous dirai rien sur quantité de choses auxquelles je ne donne guère plus de créance qu -vous. Mais pour l'astrologie, on m'a dit et fait voir des choses si positives, que je ne la puis mettre en dout +Non, Sostrate, je ne vous dirai rien sur quantité de choses auxquelles je ne donne guère plus de créance que +vous. Mais pour l'astrologie, on m'a dit et fait voir des choses si positives, que je ne la puis mettre en doute. Sostrate Madame, je n'ai rien à répondre à cela. Aristione @@ -42717,8 +42717,8 @@ Quittons ce discours, et qu'on nous laisse un moment. Dressons notre promenade, grotte où j'ai promis d'aller. Des galanteries à chaque pas ! Quatrième intermède Le théâtre représente... -Le théâtre représente une grotte, où les Princesses vont se promener, et dans le temps qu'elles y entrent, h -Statues, portant chacune un flambeau à la main, font une danse variée de plusieurs belles attitudes où elle +Le théâtre représente une grotte, où les Princesses vont se promener, et dans le temps qu'elles y entrent, huit +Statues, portant chacune un flambeau à la main, font une danse variée de plusieurs belles attitudes où elles demeurent par intervalles. Entrée de ballet De huit statues @@ -42727,31 +42727,31 @@ Scène I Aristione, Eriphile Aristione De qui que cela soit, on ne peut rien de plus galant et de mieux entendu. Ma fille, j'ai voulu me séparer de -tout le monde pour vous entretenir, et je veux que vous ne me cachiez rien de la vérité. N'auriez−vous poi +tout le monde pour vous entretenir, et je veux que vous ne me cachiez rien de la vérité. N'auriez−vous point dans l'âme quelque inclination secrète que vous ne voulez pas nous dire ? Eriphile Moi, Madame ? Aristione -Parlez à coeur ouvert, ma fille : ce que j'ai fait pour vous mérite bien que vous usiez avec moi de franchis -Tourner vers vous toutes mes pensées, vous préférer à toutes choses, et fermer l'oreille en l'état où je suis, +Parlez à coeur ouvert, ma fille : ce que j'ai fait pour vous mérite bien que vous usiez avec moi de franchise. +Tourner vers vous toutes mes pensées, vous préférer à toutes choses, et fermer l'oreille en l'état où je suis, à toutes les propositions que cent princesses en ma place écouteroient avec bienséance, tout cela vous doit -assez persuader que je suis une bonne mère, et que je ne suis pas pour recevoir avec sévérité les ouverture +assez persuader que je suis une bonne mère, et que je ne suis pas pour recevoir avec sévérité les ouvertures que vous pourriez me faire de votre coeur. Eriphile -Si j'avois si mal suivi votre exemple que de m'être laissée aller à quelques sentiments d'inclination que j'eu -raison de cacher, j'aurois, Madame, assez de pouvoir sur moi−même pour imposer silence à cette passion, +Si j'avois si mal suivi votre exemple que de m'être laissée aller à quelques sentiments d'inclination que j'eusse +raison de cacher, j'aurois, Madame, assez de pouvoir sur moi−même pour imposer silence à cette passion, et me mettre en état de ne rien faire voir qui fût indigne de votre sang. Aristione Non, non, ma fille : vous pouvez sans scrupule m'ouvrir vos sentiments. Je n'ai point renfermé votre -inclination dans le choix de deux princes : vous pouvez l'étendre où vous voudrez, et le mérite auprès de +inclination dans le choix de deux princes : vous pouvez l'étendre où vous voudrez, et le mérite auprès de moi tient un rang si considérable, que je l'égale à tout ; et, si vous m'avouez franchement les choses, vous me verrez souscrire sans répugnance au choix qu'aura fait votre coeur. Eriphile Vous avez des bontés pour moi, Madame, dont je ne puis assez me louer ; mais je ne les mettrai point à -l'épreuve sur le sujet dont vous me parlez, et tout ce que je leur demande, c'est de ne point presser un mar +l'épreuve sur le sujet dont vous me parlez, et tout ce que je leur demande, c'est de ne point presser un mariage où je ne me sens pas encore bien résolue. Aristione -Jusqu'ici je vous ai laissée assez maîtresse de tout, et l'impatience des Princes vos amants... Mais quel bru +Jusqu'ici je vous ai laissée assez maîtresse de tout, et l'impatience des Princes vos amants... Mais quel bruit est−ce que j'entends ? Ah ! ma fille, quel spectacle s'offre à nos yeux ? Quelque divinité descend ici, et c'est la déesse Vénus qui semble nous vouloir parler. Scène II @@ -42768,33 +42768,33 @@ De tes difficultés termine donc le cours, Et pense à donner ta fille A qui sauvera tes jours. Aristione -Ma fille, les Dieux imposent silence à tous nos raisonnements. Après cela, nous n'avons plus rien à faire q -recevoir ce qu'ils s'apprêtent à nous donner, et vous venez d'entendre distinctement leur volonté. Allons d +Ma fille, les Dieux imposent silence à tous nos raisonnements. Après cela, nous n'avons plus rien à faire qu'à +recevoir ce qu'ils s'apprêtent à nous donner, et vous venez d'entendre distinctement leur volonté. Allons dans le premier temple les assurer de notre obéissance, et leur rendre grâce de leurs bontés. Scène III Anaxarque, Cléon Cléon Voilà la Princesse qui s'en va : ne voulez−vous pas lui parler ? Anaxarque -Attendons que sa fille soit séparée d'elle : c'est un esprit que je redoute, et qui n'est pas de trempe à se lai +Attendons que sa fille soit séparée d'elle : c'est un esprit que je redoute, et qui n'est pas de trempe à se laisser mener, ainsi que celui de sa mère. Enfin, mon fils, comme nous venons de voir par cette ouverture, le stratagème a réussi. Notre Vénus a fait des merveilles ; et l'admirable ingénieur qui s'est employé à cet -artifice a si bien disposé tout, a coupé avec tant d'adresse le plancher de cette grotte, si bien caché ses fils +artifice a si bien disposé tout, a coupé avec tant d'adresse le plancher de cette grotte, si bien caché ses fils de fer et tous ses ressorts, si bien ajusté ses lumières et habillé ses personnages, qu'il y a peu de gens qui n'y -eussent été trompés. Et comme la princesse Aristione est fort superstitieuse, il ne faut point douter qu'elle -donne à pleine tête dans cette tromperie. Il y a longtemps, mon fils, que je prépare cette machine, et me vo +eussent été trompés. Et comme la princesse Aristione est fort superstitieuse, il ne faut point douter qu'elle ne +donne à pleine tête dans cette tromperie. Il y a longtemps, mon fils, que je prépare cette machine, et me voilà tantôt au but de mes prétentions. Cléon Mais pour lequel des deux princes au moins dressez−vous tout cet artifice ? Anaxarque Tous deux ont recherché mon assistance, et je leur promets à tous deux la faveur de mon art ; mais les -présents du prince Iphicrate et les promesses qu'il m'a faites l'emportent de beaucoup sur tout ce qu'a pu fa -l'autre. Ainsi ce sera lui qui recevra les effets favorables de tous les ressorts que je fais jouer : et, comme -ambition me devra toute chose, voilà, mon fils, notre fortune faite. Je vais prendre mon temps pour afferm +présents du prince Iphicrate et les promesses qu'il m'a faites l'emportent de beaucoup sur tout ce qu'a pu faire +l'autre. Ainsi ce sera lui qui recevra les effets favorables de tous les ressorts que je fais jouer : et, comme son +ambition me devra toute chose, voilà, mon fils, notre fortune faite. Je vais prendre mon temps pour affermir dans son erreur l'esprit de la Princesse, pour la mieux prévenir encore par le rapport que je lui ferai voir adroitement des paroles de Vénus avec les prédictions des figures célestes que je lui dis que j'ai jetées. Va−t'en tenir la main au reste de l'ouvrage, préparer nos six hommes à se bien cacher dans leur barque -derrière le rocher, à posément attendre le temps que la princesse Aristione vient tous les soirs se promene +derrière le rocher, à posément attendre le temps que la princesse Aristione vient tous les soirs se promener seule sur le rivage, à se jeter bien à propos sur elle, ainsi que des corsaires, et de donner lieu au prince Iphicrate de lui apporter ce secours qui, sur les paroles du Ciel, doit mettre entre ses mains la princesse Eriphile. Ce prince est averti par moi, et, sur la foi de ma prédiction, il doit se tenir dans ce petit bois qui @@ -42812,41 +42812,41 @@ Qu'il approche, Cléonice, et qu'on nous laisse seuls un moment. Sostrate, vous Sostrate Moi, Madame ? Eriphile -Laissons cela, Sostrate : je le sais, je l'approuve, et vous permets de me le dire. Votre passion a paru à me -yeux accompagnée de tout le mérite qui me la pouvoit rendre agréable. Si ce n'étoit le rang où le Ciel m'a +Laissons cela, Sostrate : je le sais, je l'approuve, et vous permets de me le dire. Votre passion a paru à mes +yeux accompagnée de tout le mérite qui me la pouvoit rendre agréable. Si ce n'étoit le rang où le Ciel m'a fait naître, je puis vous dire que cette passion n'auroit pas été malheureuse, et que cent fois je lui ai souhaité -l'appui d'une fortune qui pût mettre pour elle en pleine liberté les secrets sentiments de mon âme. Ce n'est -Sostrate, que le mérite seul n'ait à mes yeux tout le prix qu'il doit avoir, et que dans mon coeur je ne préfè -les vertus qui sont en vous à tous les titres magnifiques dont les autres sont revêtus. Ce n'est pas même qu -Princesse ma mère ne m'ait assez laissé la disposition de mes voeux, et je ne doute point, je vous l'avoue, -mes prières n'eussent pu tourner son consentement du côté que j'aurois voulu. Mais il est des états, Sostra -où il n'est pas honnête de vouloir tout ce qu'on peut faire ; il y a des chagrins à se mettre au−dessus de tou -choses, et les bruits fâcheux de la renommée vous font trop acheter le plaisir que l'on trouve à contenter so -inclination. C'est à quoi, Sostrate, je ne me serois jamais résolue, et j'ai cru faire assez de fuir l'engagemen -dont j'étois sollicitée. Mais enfin les Dieux veulent prendre le soin eux−mêmes de me donner un époux ; +l'appui d'une fortune qui pût mettre pour elle en pleine liberté les secrets sentiments de mon âme. Ce n'est pas, +Sostrate, que le mérite seul n'ait à mes yeux tout le prix qu'il doit avoir, et que dans mon coeur je ne préfère +les vertus qui sont en vous à tous les titres magnifiques dont les autres sont revêtus. Ce n'est pas même que la +Princesse ma mère ne m'ait assez laissé la disposition de mes voeux, et je ne doute point, je vous l'avoue, que +mes prières n'eussent pu tourner son consentement du côté que j'aurois voulu. Mais il est des états, Sostrate, +où il n'est pas honnête de vouloir tout ce qu'on peut faire ; il y a des chagrins à se mettre au−dessus de toutes +choses, et les bruits fâcheux de la renommée vous font trop acheter le plaisir que l'on trouve à contenter son +inclination. C'est à quoi, Sostrate, je ne me serois jamais résolue, et j'ai cru faire assez de fuir l'engagement +dont j'étois sollicitée. Mais enfin les Dieux veulent prendre le soin eux−mêmes de me donner un époux ; et tous ces longs délais avec lesquels j'ai reculé mon mariage, et que les bontés de la Princesse ma mère ont accordés à mes desirs, ces délais, dis−je, ne me sont plus permis, et il me faut résoudre à subir cet arrêt du -Ciel. Soyez sûr, Sostrate, que c'est avec toutes les répugnances du monde que je m'abandonne à cet hymén -et que si j'avois pu être maîtresse de moi, ou j'aurois été à vous, ou je n'aurois été à personne. Voilà, Sostr -ce que j'avois à vous dire, voilà ce que j'ai cru devoir à votre mérite, et la consolation que toute ma tendre +Ciel. Soyez sûr, Sostrate, que c'est avec toutes les répugnances du monde que je m'abandonne à cet hyménée, +et que si j'avois pu être maîtresse de moi, ou j'aurois été à vous, ou je n'aurois été à personne. Voilà, Sostrate, +ce que j'avois à vous dire, voilà ce que j'ai cru devoir à votre mérite, et la consolation que toute ma tendresse peut donner à votre flamme. Sostrate -Ah ! Madame, c'en est trop pour un malheureux : je ne m'étois pas préparé à mourir avec tant de gloire, e -cesse dans ce moment, de me plaindre des destinées. Si elles m'ont fait naître dans un rang beaucoup moin +Ah ! Madame, c'en est trop pour un malheureux : je ne m'étois pas préparé à mourir avec tant de gloire, et je +cesse dans ce moment, de me plaindre des destinées. Si elles m'ont fait naître dans un rang beaucoup moins élevé que mes desirs, elles m'ont fait naître assez heureux pour attirer quelque pitié du coeur d'une grande -princesse ; et cette pitié glorieuse vaut des sceptres et des couronnes, vaut la fortune des plus grands prin -de la terre. Oui, Madame, dès que j'ai osé vous aimer, c'est vous, Madame, qui voulez bien que je me serv +princesse ; et cette pitié glorieuse vaut des sceptres et des couronnes, vaut la fortune des plus grands princes +de la terre. Oui, Madame, dès que j'ai osé vous aimer, c'est vous, Madame, qui voulez bien que je me serve de ce mot téméraire, dès que j'ai, dis−je, osé vous aimer, j'ai condamné d'abord l'orgueil de mes desirs, je me -suis fait moi−même la destinée que je devois attendre. Le coup de mon trépas, Madame, n'aura rien qui m +suis fait moi−même la destinée que je devois attendre. Le coup de mon trépas, Madame, n'aura rien qui me surprenne, puisque je m'étois préparé ; mais vos bontés le comblent d'un honneur que mon amour jamais -n'eût osé espérer, et je m'en vais mourir après cela le plus content et le plus glorieux de tous les hommes. +n'eût osé espérer, et je m'en vais mourir après cela le plus content et le plus glorieux de tous les hommes. Si je puis encore souhaiter quelque chose, ce sont deux grâces, Madame, que je prends la hardiesse de vous -demander à genoux : de vouloir souffrir ma présence jusqu'à cet heureux hyménée, qui doit mettre fin à m +demander à genoux : de vouloir souffrir ma présence jusqu'à cet heureux hyménée, qui doit mettre fin à ma vie ; et parmi cette grande gloire, et ces longues prospérités que le Ciel promet à votre union, de vous -souvenir quelquefois de l'amoureux Sostrate. Puis−je, divine Princesse, me promettre de vous cette précie +souvenir quelquefois de l'amoureux Sostrate. Puis−je, divine Princesse, me promettre de vous cette précieuse faveur ? Eriphile -Allez, Sostrate, sortez d'ici : ce n'est pas aimer mon repos, que de me demander que je me souvienne de v +Allez, Sostrate, sortez d'ici : ce n'est pas aimer mon repos, que de me demander que je me souvienne de vous. Sostrate Ah ! Madame, si votre repos... Eriphile @@ -42854,7 +42854,7 @@ Otez−vous, vous dis−je, Sostrate ; épargnez ma foiblesse, et ne m'exposez Scène V Cléonice, Eriphile Cléonice -Madame, je vous vois l'esprit tout chagrin : vous plaît−il que vos danseurs, qui expriment si bien toutes le +Madame, je vous vois l'esprit tout chagrin : vous plaît−il que vos danseurs, qui expriment si bien toutes les passions, vous donnent maintenant quelque épreuve de leur adresse ? Eriphile Oui, Cléonice, qu'ils fassent tout ce qu'ils voudront, pourvu qu'ils me laissent à mes pensées. @@ -42869,13 +42869,13 @@ Scène I Clitidas, Eriphile Clitidas De quel côté porter mes pas ? où m'aviserai−je d'aller, et en quel lieu puis−je croire que je trouverai -maintenant la princesse Eriphile ? Ce n'est pas un petit avantage que d'être le premier à porter une nouvel +maintenant la princesse Eriphile ? Ce n'est pas un petit avantage que d'être le premier à porter une nouvelle. Ah ! la voilà. Madame, je vous annonce que le Ciel vient de vous donner l'époux qu'il vous destinoit. Eriphile Eh ! laisse−moi, Clitidas, dans ma sombre mélancolie. Clitidas -Madame, je vous demande pardon, je pensois faire bien de vous venir dire que le Ciel vient de vous donn -Sostrate pour époux ; mais, puisque cela vous incommode, je rengaine ma nouvelle, et m'en retourne dro +Madame, je vous demande pardon, je pensois faire bien de vous venir dire que le Ciel vient de vous donner +Sostrate pour époux ; mais, puisque cela vous incommode, je rengaine ma nouvelle, et m'en retourne droit comme je suis venu. Eriphile Clitidas, holà, Clitidas ! @@ -42884,7 +42884,7 @@ Je vous laisse, Madame, dans votre sombre mélancolie. Eriphile Arrête, te dis−je, approche. Que viens−tu me dire ? Clitidas -Rien, Madame : on a parfois des empressements de venir dire aux grands de certaines choses dont ils ne +Rien, Madame : on a parfois des empressements de venir dire aux grands de certaines choses dont ils ne se soucient pas, et je vous prie de m'excuser. Eriphile Que tu es cruel ! @@ -42910,15 +42910,15 @@ Cela ne troublera−t−il point, Madame, votre sombre mélancolie ? Eriphile Ah ! parle promptement. Clitidas -J'ai donc à vous dire, Madame, que la Princesse votre mère passoit presque seule dans la forêt, par ces pet -routes qui sont si agréables, lorsqu'un sanglier hideux (ces vilains sangliers−là font toujours du désordre, -l'on devroit les bannir des forêts bien policées), lors, dis−je, qu'un sanglier hideux, poussé, je crois, par de -chasseurs, est venu traverser la route où nous étions. Je devrois vous faire peut−être, pour orner mon récit +J'ai donc à vous dire, Madame, que la Princesse votre mère passoit presque seule dans la forêt, par ces petites +routes qui sont si agréables, lorsqu'un sanglier hideux (ces vilains sangliers−là font toujours du désordre, et +l'on devroit les bannir des forêts bien policées), lors, dis−je, qu'un sanglier hideux, poussé, je crois, par des +chasseurs, est venu traverser la route où nous étions. Je devrois vous faire peut−être, pour orner mon récit, une description étendue du sanglier dont je parle, mais vous vous en passerez, s'il vous plaît, et je me -contenterai de vous dire, que c'étoit un fort vilain animal. Il passoit son chemin, et il étoit bon de ne lui rie -dire, de ne point chercher de noise avec lui ; mais la Princesse a voulu égayer sa dextérité, et de son dard +contenterai de vous dire, que c'étoit un fort vilain animal. Il passoit son chemin, et il étoit bon de ne lui rien +dire, de ne point chercher de noise avec lui ; mais la Princesse a voulu égayer sa dextérité, et de son dard, qu'elle lui a lancé un peu mal à propos, ne lui en déplaise, lui a fait au−dessus de l'oreille une assez petite -blessure. Le sanglier, mal moriginé, s'est impertinemment détourné contre nous ; nous étions là deux ou t +blessure. Le sanglier, mal moriginé, s'est impertinemment détourné contre nous ; nous étions là deux ou trois misérables qui avons pâli de frayeur ; chacun gagnoit son arbre, et la Princesse sans défense demeuroit exposée à la furie de la bête, lorsque Sostrate a paru, comme si les Dieux l'eussent envoyé. Eriphile @@ -42928,10 +42928,10 @@ Si mon récit vous ennuie, Madame, je remettrai le reste à une autre fois. Eriphile Achève promptement. Clitidas -Ma foi ! c'est promptement, de vrai, que j'achèverai, car un peu de poltronnerie m'a empêché de voir tout +Ma foi ! c'est promptement, de vrai, que j'achèverai, car un peu de poltronnerie m'a empêché de voir tout le détail de ce combat, et tout ce que je puis vous dire, c'est que, retournant sur la place, nous avons vu le sanglier mort, tout vautré dans son sang, et la Princesse pleine de joie, nommant Sostrate son libérateur et -l'époux digne et fortuné que les Dieux lui marquoient pour vous. A ces paroles, j'ai cru que j'en avois asse +l'époux digne et fortuné que les Dieux lui marquoient pour vous. A ces paroles, j'ai cru que j'en avois assez entendu, et je me suis hâté de vous en venir, avant tous, apporter la nouvelle. Eriphile Ah ! Clitidas, pouvois−tu m'en donner une qui me pût être plus agréable ? @@ -42940,10 +42940,10 @@ Voilà qu'on vient vous trouver. Scène II Aristione, Sostrate, Eriphile, Clitidas Aristione -Je vois, ma fille, que vous savez déjà tout ce que nous pourrions vous dire. Vous voyez que les Dieux se s -expliqués bien plus tôt que nous n'eussions pensé ; mon péril n'a guère tardé à nous marquer leurs volont +Je vois, ma fille, que vous savez déjà tout ce que nous pourrions vous dire. Vous voyez que les Dieux se sont +expliqués bien plus tôt que nous n'eussions pensé ; mon péril n'a guère tardé à nous marquer leurs volontés, et l'on connoît assez que ce sont eux qui se sont mêlés de ce choix, puisque le mérite tout seul brille dans -cette préférence. Aurez−vous quelque répugnance à récompenser de votre coeur celui à qui je dois la vie e +cette préférence. Aurez−vous quelque répugnance à récompenser de votre coeur celui à qui je dois la vie et refuserez−vous Sostrate pour époux ? Eriphile Et de la main des Dieux, et de la vôtre, Madame, je ne puis rien recevoir qui ne me soit fort agréable. @@ -42953,9 +42953,9 @@ réveil malheureux ne me replongera−t−il point dans la bassesse de ma fortun Scène III Cléonice, Aristione, Sostrate, Eriphile, Clitidas Cléonice -Madame, je viens vous dire qu'Anaxarque a jusqu'ici abusé l'un et l'autre Prince par l'espérance de ce choi -qu'ils poursuivent depuis longtemps, et qu'au bruit qui s'est répandu de votre aventure, ils ont fait éclater t -deux leur ressentiment contre lui, jusque−là que, de paroles en paroles, les choses se sont échauffées, et il +Madame, je viens vous dire qu'Anaxarque a jusqu'ici abusé l'un et l'autre Prince par l'espérance de ce choix +qu'ils poursuivent depuis longtemps, et qu'au bruit qui s'est répandu de votre aventure, ils ont fait éclater tous +deux leur ressentiment contre lui, jusque−là que, de paroles en paroles, les choses se sont échauffées, et il en a reçu quelques blessures dont on ne sait pas bien ce qui arrivera. Mais les voici. Scène IV Iphicrate, Timoclès, Cléonice, Aristione, Sostrate, Eriphile, Clitidas @@ -42963,24 +42963,24 @@ Aristione Princes, vous agissez tous deux avec une violence bien grande, et si Anaxarque a pu vous offenser, j'étois pour vous en faire justice moi−même. Iphicrate -Et quelle justice, Madame, auriez−vous pu nous faire de lui, si vous la faites si peu à notre rang dans le ch +Et quelle justice, Madame, auriez−vous pu nous faire de lui, si vous la faites si peu à notre rang dans le choix que vous embrassez ? Aristione -Ne vous êtes−vous pas soumis l'un et l'autre à ce que pourroient décider ou les ordres du Ciel, ou l'inclina +Ne vous êtes−vous pas soumis l'un et l'autre à ce que pourroient décider ou les ordres du Ciel, ou l'inclination de ma fille ? Timoclès -Oui, Madame, nous nous sommes soumis à ce qu'ils pourroient décider entre le prince Iphicrate et moi, m +Oui, Madame, nous nous sommes soumis à ce qu'ils pourroient décider entre le prince Iphicrate et moi, mais non pas à nous voir rebutés tous deux. Aristione -Et si chacun de vous a bien pu se résoudre à souffrir une préférence, que vous arrive−t−il à tous deux où v +Et si chacun de vous a bien pu se résoudre à souffrir une préférence, que vous arrive−t−il à tous deux où vous ne soyez préparés, et que peuvent importer à l'un et à l'autre les intérêts de son rival ? Iphicrate -Oui, Madame, il importe. C'est quelque consolation de se voir préférer un homme qui vous est égal, et vo +Oui, Madame, il importe. C'est quelque consolation de se voir préférer un homme qui vous est égal, et votre aveuglement est une chose épouvantable. Aristione Prince, je ne veux pas me brouiller avec une personne qui m'a fait tant de grâce que de me dire des -douceurs ; et je vous prie, avec toute l'honnêteté qu'il m'est possible, de donner à votre chagrin un fondem -plus raisonnable, de vous souvenir, s'il vous plaît, que Sostrate est revêtu d'un mérite qui s'est fait connoît +douceurs ; et je vous prie, avec toute l'honnêteté qu'il m'est possible, de donner à votre chagrin un fondement +plus raisonnable, de vous souvenir, s'il vous plaît, que Sostrate est revêtu d'un mérite qui s'est fait connoître à toute la Grèce, et que le rang où le ciel l'élève aujourd'hui va remplir toute la distance qui étoit entre lui et vous. Iphicrate @@ -42989,8 +42989,8 @@ Princes outragés ne sont pas deux ennemis peu redoutables. Timoclès Peut−être, Madame, qu'on ne goûtera pas longtemps la joie du mépris que l'on fait de nous. Aristione -Je pardonne toutes ces menaces aux chagrins d'un amour qui se croit offensé, et nous n'en verrons pas ave -moins de tranquillité la fête des jeux Pythiens. Allons−y de ce pas, et couronnons par ce pompeux spectac +Je pardonne toutes ces menaces aux chagrins d'un amour qui se croit offensé, et nous n'en verrons pas avec +moins de tranquillité la fête des jeux Pythiens. Allons−y de ce pas, et couronnons par ce pompeux spectacle cette merveilleuse journée. Sixième intermède Le théâtre est... @@ -42998,7 +42998,7 @@ Qui est la solennité des Jeux pythiens Le théâtre est une grande salle, en manière d'amphithéâtre, ouverte d'une grande arcade dans le fond, au−dessus de laquelle est une tribune fermée d'un rideau ; et dans l'éloignement paroît un autel pour le sacrifice. Six hommes, presque nus, portant chacun une hache sur l'épaule, comme ministres du sacrifice, -entrent par le portique, au son des violons, et sont suivis de deux Sacrificateurs musiciens, et d'une Prêtre +entrent par le portique, au son des violons, et sont suivis de deux Sacrificateurs musiciens, et d'une Prêtresse musicienne. La Prêtresse Chantez, peuples, chantez, en mille et mille lieux, @@ -43022,17 +43022,17 @@ Que du haut de sa gloire Il écoute nos chants. Première entrée de ballet Les six hommes portant les haches font entre eux une danse ornée de toutes les attitudes que peuvent -exprimer des gens qui étudient leur force, puis ils se retirent aux deux côtés du théâtre pour faire place à s +exprimer des gens qui étudient leur force, puis ils se retirent aux deux côtés du théâtre pour faire place à six voltigeurs. Deuxième entrée de ballet Six voltigeurs en cadence font paraître leur adresse sur des chevaux de bois, qui sont apportés par des esclaves. Troisième entrée de ballet -Quatre conducteurs d'esclaves amènent, en cadence, douze esclaves qui dansent en marquant la joie qu'ils +Quatre conducteurs d'esclaves amènent, en cadence, douze esclaves qui dansent en marquant la joie qu'ils ont d'avoir recouvré la liberté. Quatrième entrée de ballet Quatre femmes et quatre hommes armés à la grecque font ensemble une manière de jeu pour les armes. -La tribune s'ouvre. Un héraut, six trompettes et un timbalier se mêlant à tous les instruments, annonce, av +La tribune s'ouvre. Un héraut, six trompettes et un timbalier se mêlant à tous les instruments, annonce, avec un grand bruit, la venue d'Apollon. Le choeur Ouvrons tous nos yeux @@ -43042,13 +43042,13 @@ Quelle grâce extrême ! Quel port glorieux ! Où voit−on des dieux Qui soient faits de même ? -Apollon, au bruit des trompettes et des violons, entre par le portique, précédé de six jeunes gens, qui porte +Apollon, au bruit des trompettes et des violons, entre par le portique, précédé de six jeunes gens, qui portent des lauriers entrelacés autour d'un bâton et un soleil d'or au−dessus, avec la devise royale en manière de trophée. Les six jeunes gens, pour danser avec Apollon, donnent leur trophée à tenir aux six hommes qui portent les haches, et commencent avec Apollon une danse héroïque, à laquelle se joignent, en diverses manières, les six hommes portant les trophées, les quatre femmes armées, avec leurs timbres, et les quatre hommes armés, avec leurs tambours, tandis que les six trompettes, le timbalier, les Sacrificateurs, la -Prêtresse, et le choeur de musique accompagnent tout cela, en s'y mêlant par diverses reprises : ce qui fin +Prêtresse, et le choeur de musique accompagnent tout cela, en s'y mêlant par diverses reprises : ce qui finit la fête des jeux Pythiens, et tout le divertissement. Cinquième entrée de ballet Apollon et six jeunes gens de sa suite @@ -43082,8 +43082,8 @@ Je ne serai pas vain quand je ne croirai pas Qu'un autre mieux que moi suive partout ses pas. Le Bourgeois gentilhomme Comédie−Ballet -Faite à Chambord, pour le divertissement du roi au mois d'octobre 1670 et représentée en public, à Paris, -la première fois, sur le Théâtre du Palais−Royal, le 23e novembre de la même année 1670 par la Troupe d +Faite à Chambord, pour le divertissement du roi au mois d'octobre 1670 et représentée en public, à Paris, pour +la première fois, sur le Théâtre du Palais−Royal, le 23e novembre de la même année 1670 par la Troupe du Roi Personnages Monsieur Jourdain, bourgeois. @@ -43107,7 +43107,7 @@ personnages des intermèdes et du ballet. La scène est à Paris. Acte premier Scène I -L'ouverture se fait par un grand assemblage d'instruments ; et dans le milieu du théâtre on voit un élève d +L'ouverture se fait par un grand assemblage d'instruments ; et dans le milieu du théâtre on voit un élève du Maître de musique, qui compose sur une table un air que le Bourgeois a demandé pour une sérénade. Acte premier Scène I. − Maître de musique, Maître à danser, trois Musiciens, deux Violons, quatre Danseurs @@ -43124,7 +43124,7 @@ Voyons... Voilà qui est bien. Maître à danser Est−ce quelque chose de nouveau ? Maître de musique -Oui, c'est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme fût éveil +Oui, c'est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme f��t éveillé. Maître à danser Peut−on voir ce que c'est ? Maître de musique @@ -43132,43 +43132,43 @@ Vous l'allez entendre, avec le dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère. Maître à danser Nos occupations, à vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant. Maître de musique -Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux ; ce nous est une douce ren +Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux ; ce nous est une douce rente que ce Monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu'il est allé se mettre en tête ; et votre danse et ma musique auroient à souhaiter que tout le monde lui ressemblât. Maître à danser Non pas entièrement ; et je voudrois pour lui qu'il se connût mieux qu'il ne fait aux choses que nous lui donnons. Maître de musique -Il est vrai qu'il les connoît mal, mais il les paye bien ; et c'est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin +Il est vrai qu'il les connoît mal, mais il les paye bien ; et c'est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose. Maître à danser Pour moi, je vous l'avoue ; je me repais un peu de gloire ; les applaudissements me touchent ; et je tiens -que dans tous les beaux arts, c'est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots que d'essuyer su -des compositions la barbarie d'un stupide. Il y a plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des personn +que dans tous les beaux arts, c'est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots que d'essuyer sur +des compositions la barbarie d'un stupide. Il y a plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d'un art, qui sachent faire un doux accueil aux beautés d'un ouvrage, et par de chatouillantes approbations vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu'on puisse recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues, de les voir caressées d'un applaudissement. qui vous honore. Il n'y a rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela de toutes nos fatigues ; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées. Maître de musique -J'en demeure d'accord, et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que l +J'en demeure d'accord, et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites. Mais cet encens ne fait pas vivre ; des louanges toutes pures ne mettent -point un homme à son aise : il y faut mêler du solide ; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec l -mains. C'est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes cho -et n'applaudit qu'à contre−sens ; mais son argent redresse les jugements de son esprit ; il a du discerneme +point un homme à son aise : il y faut mêler du solide ; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec les +mains. C'est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, +et n'applaudit qu'à contre−sens ; mais son argent redresse les jugements de son esprit ; il a du discernement dans sa bourse ; ses louanges sont monnoyées ; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici. Maître à danser Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites ; mais le trouve que vous appuyez un peu trop sur -l'argent ; et l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut jamais qu'un honnête homme montre pour lu +l'argent ; et l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut jamais qu'un honnête homme montre pour lui de l'attachement. Maître de musique Vous recevez. fort bien pourtant l'argent que notre homme vous donne. Maître à danser -Assurément ; mais je n'en fais pas tout mon bonheur, et je voudrois qu'avec son bien il eût encore quelqu +Assurément ; mais je n'en fais pas tout mon bonheur, et je voudrois qu'avec son bien il eût encore quelque bon goût des choses. Maître de musique -Je le voudrois aussi, et c'est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, +Je le voudrois aussi, et c'est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connoître dans le monde ; et il payera pour les autres ce que les autres loueront pour lui. Maître à danser @@ -43186,12 +43186,12 @@ Ah ! ah ! Maître de musique Vous nous y voyez préparés. Monsieur Jourdain -Je vous ai fait un peu attendre, mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de qualité ; e +Je vous ai fait un peu attendre, mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de qualité ; et mon tailleur m'a envoyé des bas de soie que j'ai pensé ne mettre jamais. Maître de musique Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir. Monsieur Jourdain -Je vous prie tous deux de ne vous point en aller, qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puiss +Je vous prie tous deux de ne vous point en aller, qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir. Maître à danser Tout ce qu'il vous plaira. @@ -43216,7 +43216,7 @@ Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien. (Aux deux Maîtres.) Que dites− Maître à danser Elles sont magnifiques. Monsieur Jourdain -(Il entr'ouvre sa robe et fait voir un haut−de−chausses étroit de velours rouge, et une camisole de velours +(Il entr'ouvre sa robe et fait voir un haut−de−chausses étroit de velours rouge, et une camisole de velours vert, dont il est vêtu.) Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin mes exercices. Maître de musique @@ -43239,10 +43239,10 @@ Maître de musique Je voudrois bien auparavant vous faire entendre un air qu'il vient de composer pour la sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de mes écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable. Monsieur Jourdain -Oui ; mais il ne falloit pas faire faire cela par un écolier, et vous n'étiez pas trop bon vous−même pour ce +Oui ; mais il ne falloit pas faire faire cela par un écolier, et vous n'étiez pas trop bon vous−même pour cette besogne−là. Maître de musique -Il ne faut pas, Monsieur, que le nom d'écolier vous abuse. Ces sortes d'écoliers en savent autant que les pl +Il ne faut pas, Monsieur, que le nom d'écolier vous abuse. Ces sortes d'écoliers en savent autant que les plus grands maîtres, et l'air est aussi beau qu'il s'en puisse faire. Ecoutez seulement. Monsieur Jourdain Donnez−moi ma robe pour mieux entendre... Attendez, je crois que je serai mieux sans robe... Non ; @@ -43253,7 +43253,7 @@ Depuis qu'à vos rigueurs vos beaux yeux m'ont soumis ; Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime, Hélas ! que pourriez−vous faire à vos ennemis ? Monsieur Jourdain -Cette chanson me semble un peu lugubre, elle endort, et je voudrois que vous la pussiez un peu ragaillard +Cette chanson me semble un peu lugubre, elle endort, et je voudrois que vous la pussiez un peu ragaillardir par−ci, par−là. Maître de musique Il faut, Monsieur, que l'air soit accommodé aux paroles. @@ -43283,7 +43283,7 @@ Et vous le chantez bien. Monsieur Jourdain C'est sans avoir appris la musique Maître de musique -Vous devriez l'apprendre, Monsieur, comme vous faites la danse. Ce sont deux arts qui ont une étroite liai +Vous devriez l'apprendre, Monsieur, comme vous faites la danse. Ce sont deux arts qui ont une étroite liaison ensemble. Maître à danser Et qui ouvrent l'esprit d'un homme aux belles choses. @@ -43319,7 +43319,7 @@ La guerre ne vient−elle pas d'un manque d'union entre les hommes ? Monsieur Jourdain Cela est vrai. Maître de musique -Et si tous les hommes apprenoient la musique, ne seroit−ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de vo +Et si tous les hommes apprenoient la musique, ne seroit−ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle ? Monsieur Jourdain Vous avez raison. @@ -43351,7 +43351,7 @@ Allons, avancez. Il faut vous figurer qu'ils sont habillés en bergers. Monsieur Jourdain Pourquoi toujours des bergers ? On ne voit que cela partout. Maître à danser -Lorsqu'on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dan +Lorsqu'on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps affecté aux bergers ; et il n'est guère naturel en dialogue que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions Monsieur Jourdain @@ -43420,13 +43420,13 @@ Oui. Monsieur Jourdain Je trouve cela bien troussé, et il y a là dedans de petits dictons assez jolis. Maître à danser -Voici, pour mon affaire, un petit essai des plus beaux mouvements et des plus belles attitudes dont une da +Voici, pour mon affaire, un petit essai des plus beaux mouvements et des plus belles attitudes dont une danse puisse être variée. Monsieur Jourdain Sont−ce encore des bergers ? Maître à danser C'est ce qu'il vous plaira. Allons. -Quatre Danseurs exécutent tous les mouvements différents et toutes les sortes de pas que le Maître à dans +Quatre Danseurs exécutent tous les mouvements différents et toutes les sortes de pas que le Maître à danser leur commande, et cette danse fait le premier intermède. Acte II Scène I @@ -43434,16 +43434,16 @@ Monsieur Jourdain, Maître de musique, Maître à danser, Laquais Monsieur Jourdain Voilà qui n'est point sot, et ces gens−là se trémoussent bien. Maître de musique -Lorsque la danse sera mêlée avec la musique, cela fera plus d'effet encore, et vous verrez quelque chose d +Lorsque la danse sera mêlée avec la musique, cela fera plus d'effet encore, et vous verrez quelque chose de galant dans le petit ballet que nous avons ajusté pour vous. Monsieur Jourdain -C'est pour tantôt au moins ; et la personne pour qui j'ai fait faire tout cela, me doit faire l'honneur de veni +C'est pour tantôt au moins ; et la personne pour qui j'ai fait faire tout cela, me doit faire l'honneur de venir dîner céans. Maître à danser Tout est prêt. Maître de musique -Au reste, Monsieur, ce n'est pas assez : il faut qu'une personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui a -de l'inclination pour les belles choses, ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les je +Au reste, Monsieur, ce n'est pas assez : il faut qu'une personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui avez +de l'inclination pour les belles choses, ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis. Monsieur Jourdain Est−ce que les gens de qualité en ont ? Maître de musique @@ -43451,11 +43451,11 @@ Oui, Monsieur. Monsieur Jourdain J'en aurai donc. Cela sera−t−il beau ? Maître de musique -Sans doute. Il vous faudra trois voix : un dessus, une haute−contre, et une basse, qui seront accompagnée -d'une basse de viole, d'un théorbe, et d'un clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon +Sans doute. Il vous faudra trois voix : un dessus, une haute−contre, et une basse, qui seront accompagnées +d'une basse de viole, d'un théorbe, et d'un clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon pour jouer les ritornelles Monsieur Jourdain -Il y faudra mettre aussi une trompette marine. La trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui e +Il y faudra mettre aussi une trompette marine. La trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui est harmonieux. Maître de musique Laissez−nous gouverner les choses. @@ -43470,9 +43470,9 @@ Vous en serez content, et, entre autres choses, de certains menuets que vous y v Monsieur Jourdain Ah ! les menuets sont ma danse, et je veux que vous me les voyiez danser. Allons, mon maître. Maître à danser -Un chapeau, Monsieur, s'il vous plaît. La, la, la ; La, la, la, la, la, la ; La, la, la, bis ; La, la, la ; La, la. E -cadence, s'il vous plaît. La, la, la, la. La jambe droite. La, la, la. Ne remuez point tant les épaules. La, la, l -la, la ; La, la, la, la, la. Vos deux bras sont estropiés. La, la, la, la, la. Haussez la tête. Tournez la pointe d +Un chapeau, Monsieur, s'il vous plaît. La, la, la ; La, la, la, la, la, la ; La, la, la, bis ; La, la, la ; La, la. En +cadence, s'il vous plaît. La, la, la, la. La jambe droite. La, la, la. Ne remuez point tant les épaules. La, la, la, +la, la ; La, la, la, la, la. Vos deux bras sont estropiés. La, la, la, la, la. Haussez la tête. Tournez la pointe du pied en dehors. La, la, la. Dressez votre corps. Monsieur Jourdain Euh ? @@ -43490,7 +43490,7 @@ Donnez−moi la main. Monsieur Jourdain Non. Vous n'avez qu'à faire : je le retiendrai bien. Maître à danser -Si vous voulez la saluer avec beaucoup de respect, il faut faire d'abord une révérence en arrière, puis marc +Si vous voulez la saluer avec beaucoup de respect, il faut faire d'abord une révérence en arrière, puis marcher vers elle avec trois révérences en avant, et à la dernière vous baisser jusqu'à ses genoux. Monsieur Jourdain Faites un peu. Bon. @@ -43501,13 +43501,13 @@ Dis−lui qu'il entre ici pour me donner leçon. Je veux que vous me voyiez fair Scène II Maître d'armes, Maître de musique, Maître à danser, Monsieur Jourdain, deux Laquais Maître d'armes, après lui avoir mis le fleuret à la main. -Allons, Monsieur, la révérence. Votre corps droit. Un peu penché sur la cuisse gauche. Les jambes point t -écartées. Vos pieds sur une même ligne. Votre poignet à l'opposite de votre hanche. La pointe de votre ép +Allons, Monsieur, la révérence. Votre corps droit. Un peu penché sur la cuisse gauche. Les jambes point tant +écartées. Vos pieds sur une même ligne. Votre poignet à l'opposite de votre hanche. La pointe de votre épée vis−à−vis de votre épaule. Le bras pas tout à fait si étendu. La main gauche à la hauteur de l'oeil. L'épaule gauche plus quartée. La tête droite. Le regard assuré. Avancez. Le corps ferme. Touchez−moi l'épée de -quarte, et achevez de même. Une, deux. Remettez−vous. Redoublez de pied ferme. Un saut en arrière. Qu -vous portez la botte, Monsieur, il faut que l'épée parte la première, et que le corps soit bien effacé. Une, d -Allons, touchez−moi l'épée de tierce, et achevez de même. Avancez. Le corps ferme. Avancez. Partez de +quarte, et achevez de même. Une, deux. Remettez−vous. Redoublez de pied ferme. Un saut en arrière. Quand +vous portez la botte, Monsieur, il faut que l'épée parte la première, et que le corps soit bien effacé. Une, deux. +Allons, touchez−moi l'épée de tierce, et achevez de même. Avancez. Le corps ferme. Avancez. Partez de là. Une, deux. Remettez−vous. Redoublez. Un saut en arrière. En garde, Monsieur, en garde. (Le Maître d'armes lui pousse deux ou trois bottes, en lui disant : "En garde.") Monsieur Jourdain @@ -43515,9 +43515,9 @@ Euh ? Maître de Musique Vous faites des merveilles. Maître d'armes -Je vous l'ai déjà dit, tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses, à donner, et à ne point recevoi -et comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vou -savez détourner l'épée de votre ennemi de la ligne de votre corps : ce qui ne dépend seulement que d'un p +Je vous l'ai déjà dit, tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses, à donner, et à ne point recevoir ; +et comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous +savez détourner l'épée de votre ennemi de la ligne de votre corps : ce qui ne dépend seulement que d'un petit mouvement du poignet ou en dedans, ou en dehors. Monsieur Jourdain De cette façon donc, un homme, sans avoir du coeur, est sûr de tuer son homme, et de n'être point tué. @@ -43527,7 +43527,7 @@ Monsieur Jourdain Oui. Maître d'armes Et c'est en quoi l'on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un Etat, et combien la -science des armes l'emporte hautement sur toutes les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique +science des armes l'emporte hautement sur toutes les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique, la... Maître à danser Tout beau, Monsieur le tireur d'armes : ne parlez de la danse qu'avec respect. Maître de musique @@ -43581,39 +43581,39 @@ Mon Dieu ! arrêtez−vous ! Scène III Maître de philosophie, Maître de musique, Maître à danser, Maître d'armes, Monsieur Jourdain, Laquais Monsieur Jourdain -Holà, Monsieur le Philosophe, vous arrivez tout à propos avec votre philosophie. Venez un peu mettre la +Holà, Monsieur le Philosophe, vous arrivez tout à propos avec votre philosophie. Venez un peu mettre la paix entre ces personnes−ci. Maître de philosophie Qu'est−ce donc ? qu'y a−t−il, Messieurs ? Monsieur Jourdain -Ils se sont mis en colère pour la préférence de leurs professions, jusqu'à se dire des injures, et vouloir en v +Ils se sont mis en colère pour la préférence de leurs professions, jusqu'à se dire des injures, et vouloir en venir aux mains. Maître de philosophie -Hé quoi ? Messieurs, faut−il s'emporter de la sorte ? et n'avez−vous point lu le docte traité que Sénèque -composé de la colère ? Y a−t−il rien de plus bas et de plus honteux que cette passion, qui fait d'un homm +Hé quoi ? Messieurs, faut−il s'emporter de la sorte ? et n'avez−vous point lu le docte traité que Sénèque a +composé de la colère ? Y a−t−il rien de plus bas et de plus honteux que cette passion, qui fait d'un homme une bête féroce ? et la raison ne doit−elle pas être maîtresse de tous nos mouvements ? Maître à danser Comment, Monsieur, il vient nous dire des injures à tous deux, en méprisant la danse que j'exerce, et la musique dont il fait profession ? Maître de philosophie -Un homme sage est au−dessus de toutes les injures qu'on lui peut dire ; et la grande réponse qu'on doit fa +Un homme sage est au−dessus de toutes les injures qu'on lui peut dire ; et la grande réponse qu'on doit faire aux outrages, c'est la modération et la patience. Maître d'armes Ils ont tous deux l'audace de vouloir comparer leurs professions à la mienne. Maître de philosophie -Faut−il que cela vous émeuve ? Ce n'est pas de vaine gloire et de condition que les hommes doivent disp +Faut−il que cela vous émeuve ? Ce n'est pas de vaine gloire et de condition que les hommes doivent disputer entre eux ; et ce qui nous distingue parfaitement les uns des autres, c'est la sagesse et la vertu. Maître a danser Je lui soutiens que la danse est une science à laquelle on ne peut faire assez d'honneur. Maître de musique Et moi, que la musique en est une que tous les siècles ont révérée. Maître d'armes -Et moi, je leur soutiens à tous deux que la science de tirer des armes est la plus belle et la plus nécessaire +Et moi, je leur soutiens à tous deux que la science de tirer des armes est la plus belle et la plus nécessaire de toutes les sciences. Maître de philosophie -Et que sera donc la philosophie ? Je vous trouve tous trois bien impertinents de parler devant moi avec ce -arrogance et de donner impudemment le nom de science à des choses que l'on ne doit pas même honorer d -nom d'art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de métier misérable de gladiateur, de chanteu +Et que sera donc la philosophie ? Je vous trouve tous trois bien impertinents de parler devant moi avec cette +arrogance et de donner impudemment le nom de science à des choses que l'on ne doit pas même honorer du +nom d'art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de métier misérable de gladiateur, de chanteur et de baladin ! Maître d'armes Allez, philosophe de chien. @@ -43655,7 +43655,7 @@ Fripons ! gueux ! traîtres ! imposteurs ! (Ils sortent.) Monsieur Jourdain Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe. Oh ! -battez−vous tant qu'il vous plaira : je n'y saurois que faire, et je n'irai pas gâter ma robe pour vous sépare +battez−vous tant qu'il vous plaira : je n'y saurois que faire, et je n'irai pas gâter ma robe pour vous séparer. Je serois bien fou de m'aller fourrer parmi eux, pour recevoir quelque coup qui me feroit mal. Scène IV Maître de philosophie ; Monsieur Jourdain @@ -43665,12 +43665,12 @@ Monsieur Jourdain Ah ! Monsieur, je suis fâché des coups qu'ils vous ont donnés. Maître de philosophie Cela n'est rien. Un philosophe sait recevoir comme il faut les choses, et je vais composer contre eux une -satire du style de Juvénal, qui les déchirera de la belle façon. Laissons cela. Que voulez−vous apprendre ? +satire du style de Juvénal, qui les déchirera de la belle façon. Laissons cela. Que voulez−vous apprendre ? Monsieur Jourdain -Tout ce que je pourrai, car j'ai toutes les envies du monde d'être savant ; et j'enrage que mon père et ma m +Tout ce que je pourrai, car j'ai toutes les envies du monde d'être savant ; et j'enrage que mon père et ma mère ne m'aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences, quand j'étois jeune. Maître de philosophie -Ce sentiment est raisonnable : Nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vou +Ce sentiment est raisonnable : Nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous savez le latin sans doute. Monsieur Jourdain Oui, mais faites comme si je ne le savois : expliquez−moi ce que cela veut dire. @@ -43691,11 +43691,11 @@ C'est elle qui enseigne les trois opérations de l'esprit. Monsieur Jourdain Qui sont−elles, ces trois opérations de l'esprit ? Maître de la philosophie -La première, la seconde et la troisième. La première est de bien concevoir par le moyen des universaux. L +La première, la seconde et la troisième. La première est de bien concevoir par le moyen des universaux. La seconde de bien juger par le moyen des catégories ; et la troisième, de bien tirer une conséquence par le moyen des figures Barbara, Celarent, Darii, Ferio, Baralipton, etc. Monsieur Jourdain -Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs. Cette logique−là ne me revient point. Apprenons autre chose qui +Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs. Cette logique−là ne me revient point. Apprenons autre chose qui soit plus joli. Maître de philosophie Voulez−vous apprendre la morale ? @@ -43708,16 +43708,16 @@ Qu'est−ce qu'elle dit, cette morale ? Maître de philosophie Elle traite de la félicité, enseigne aux hommes à modérer leurs passions, et... Monsieur Jourdain -Non, laissons cela. Je suis bilieux comme tous les diables ; et il n'y a morale qui tienne, je me veux mettr +Non, laissons cela. Je suis bilieux comme tous les diables ; et il n'y a morale qui tienne, je me veux mettre en colère tout mon soûl, quand il m'en prend envie. Maître de philosophie Est−ce la physique que vous voulez apprendre ? Monsieur Jourdain Qu'est−ce qu'elle chante, cette physique ? Maître de philosophie -La physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés du corps ; qui disc -de la nature des éléments, des métaux, des minéraux, des pierres, des plantes et des animaux, et nous ense -les causes de tous les météores, l'arc−en−ciel, les feux volants, les comètes, les éclairs, le tonnerre, la foud +La physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés du corps ; qui discourt +de la nature des éléments, des métaux, des minéraux, des pierres, des plantes et des animaux, et nous enseigne +les causes de tous les météores, l'arc−en−ciel, les feux volants, les comètes, les éclairs, le tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle, les vents et les tourbillons. Monsieur Jourdain Il y a trop de tintamarre là dedans, trop de brouillamini. @@ -43730,10 +43730,10 @@ Très−volontiers. Monsieur Jourdain Après, vous m'apprendrez l'almanach, pour savoir quand il y a de la lune et quand il n'y en a point. Maître de philosophie -Soit. Pour bien suivre votre pensée et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer selon l'ordre d +Soit. Pour bien suivre votre pensée et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer selon l'ordre des choses, par une exacte connoissance de la nature des lettres, et de la différente manière de les prononcer -toutes. Et là−dessus j'ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles parce qu'e -expriment les voix ; et en consonnes, ainsi appelées consonnes parce qu'elles sonnent avec les voyelles, e +toutes. Et là−dessus j'ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles parce qu'elles +expriment les voix ; et en consonnes, ainsi appelées consonnes parce qu'elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles ou voix : A, E, I, O, U. Monsieur Jourdain J'entends tout cela. @@ -43751,7 +43751,7 @@ bouche vers les oreilles : A, E, I. Monsieur Jourdain A, E, I, I, I, I. Cela est vrai. Vive la science ! Maître de philosophie -La voix O se forme en rouvrant les mâchoires, et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le ba +La voix O se forme en rouvrant les mâchoires, et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le bas : O. Monsieur Jourdain O, O. Il n'y a rien de plus juste. A, E, I, O, I, O. Cela est admirable ! I, O, I, O. @@ -43774,7 +43774,7 @@ Demain, nous verrons les autres lettres, qui sont les consonnes. Monsieur Jourdain Est−ce qu'il y a des choses aussi curieuses qu'à celles−ci ? Maître de philosophie -Sans doute. La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au−dessus des den +Sans doute. La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au−dessus des dents d'en haut : Da. Monsieur Jourdain Da, Da. Oui. Ah ! les belles choses ! les belles choses ! @@ -43786,12 +43786,12 @@ Maître de philosophie Et l'R, en portant le bout de la langue jusqu'au haut du palais, de sorte qu'étant frôlée par l'air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement : Rra. Monsieur Jourdain -R, r, ra ; R, r, r, r, r, ra. Cela est vrai ! Ah ! l'habile homme que vous êtes ! et que j'ai, perdu de temps ! +R, r, ra ; R, r, r, r, r, ra. Cela est vrai ! Ah ! l'habile homme que vous êtes ! et que j'ai, perdu de temps ! R, r, r, ra. Maître de philosophie Je vous expliquerai à fond toutes ces curiosités. Monsieur Jourdain -Je vous en prie. Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d'une personne de gra +Je vous en prie. Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d'une personne de grande qualité, et je souhaiterois que vous m'aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds. Maître de philosophie @@ -43821,20 +43821,20 @@ Et comme l'on parle qu'est−ce que c'est donc que cela ? Maître de philosophie De la prose. Monsieur Jourdain -Quoi ? quand je dis : "Nicole, apportez−moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit", c'est de +Quoi ? quand je dis : "Nicole, apportez−moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit", c'est de la prose ? Maître de philosophie Oui, Monsieur. Monsieur Jourdain -Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plu +Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela. Je voudrois donc lui mettre dans un billet : Belle Marquise ; vos -beaux yeux me font mourir d'amour ; mais je voudrois que cela fût mis d'une manière galante, que cela fû +beaux yeux me font mourir d'amour ; mais je voudrois que cela fût mis d'une manière galante, que cela fût tourné gentiment. Maître de philosophie -Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre coeur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle +Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre coeur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un... Monsieur Jourdain -Non, non, non, je ne veux point tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beau +Non, non, non, je ne veux point tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Maître de philosophie Il faut bien étendre un peu la chose. @@ -43852,7 +43852,7 @@ Mais de toutes ces façons−là, laquelle est la meilleure ? Maître de philosophie Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Monsieur Jourdain. -Cependant je n'ai point étudié, et j'ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon coeur, e +Cependant je n'ai point étudié, et j'ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon coeur, et vous prie de venir demain de bonne heure. Maître de philosophie Je n'y manquerai pas. @@ -43861,7 +43861,7 @@ Comment ? mon habit n'est point encore arrivé ? Second laquais Non, Monsieur. Monsieur Jourdain -Ce maudit tailleur me fait bien attendre pour un jour où j'ai tant d'affaires. J'enrage. Que la fièvre quartain +Ce maudit tailleur me fait bien attendre pour un jour où j'ai tant d'affaires. J'enrage. Que la fièvre quartaine puisse serrer bien fort le bourreau de tailleur ! Au diable le tailleur ! La peste étouffe le tailleur ! Si je le tenois maintenant, ce tailleur détestable, ce chien de tailleur−là, ce traître de tailleur, je... Scène V @@ -43871,12 +43871,12 @@ Ah vous voilà ! je m'allois mettre en colère contre vous. Maître tailleur Je n'ai pas pu venir plus tôt, et j'ai mis vingt garçons après votre habit. Monsieur Jourdain -Vous m'avez envoyé des bas de soie si étroits, que j'ai eu toutes les peines du monde à les mettre, et il y a +Vous m'avez envoyé des bas de soie si étroits, que j'ai eu toutes les peines du monde à les mettre, et il y a déjà deux mailles de rompues. Maître tailleur Ils ne s'élargiront que trop. Monsieur Jourdain -Oui, si je romps toujours des mailles. Vous m'avez aussi fait faire des souliers qui me blessent furieuseme +Oui, si je romps toujours des mailles. Vous m'avez aussi fait faire des souliers qui me blessent furieusement. Maître tailleur Point du tout, Monsieur. Monsieur Jourdain @@ -43916,7 +43916,7 @@ Monsieur Jourdain Non, vous dis−je ; vous avez bien fait. Croyez−vous que l'habit m'aille bien ? Maître tailleur Belle demande ! Je défie un peintre, avec son pinceau, de vous faire rien de plus juste. J'ai chez moi un -garçon qui, pour monter une rhingrave, est le plus grand génie du monde ; et un autre qui, pour assemble +garçon qui, pour monter une rhingrave, est le plus grand génie du monde ; et un autre qui, pour assembler un pourpoint, est le héros de notre temps. Monsieur Jourdain La perruque, et les plumes sont−elles comme il faut ? @@ -43938,7 +43938,7 @@ Attendez. Cela ne va pas comme cela. J'ai amené des gens pour vous habiller en d'habits se mettent avec cérémonie. Holà ! entrez, vous autres. Mettez cet habit à Monsieur, de la manière que vous faites aux personnes de qualité. (Quatre Garçons tailleurs entrent, dont deux lui arrachent le haut−de−chausses de ses exercices, et deux -autres la camisole ; puis ils lui mettent son habit neuf ; et M. Jourdain se promène entre eux, et leur mon +autres la camisole ; puis ils lui mettent son habit neuf ; et M. Jourdain se promène entre eux, et leur montre son habit, pour voir s'il est bien. Le tout à la cadence de toute la symphonie.) Garçon tailleur Mon gentilhomme, donnez, s'il vous plaît, aux garçons quelque chose pour boire. @@ -43953,12 +43953,12 @@ gentilhomme". Garçon tailleur Monseigneur, nous vous sommes bien obligés. Monsieur Jourdain. -"Monseigneur", oh, oh ! "Monseigneur ! " Attendez, mon ami : "Monseigneur" mérite quelque chose, et +"Monseigneur", oh, oh ! "Monseigneur ! " Attendez, mon ami : "Monseigneur" mérite quelque chose, et ce n'est pas une petite parole que "Monseigneur". Tenez, voilà ce que Monseigneur vous donne. Garçon tailleur Monseigneur, nous allons boire tous à la santé de Votre Grandeur. Monsieur Jourdain -"Votre Grandeur ! " Oh, oh, oh ! Attendez, ne vous en allez pas. A moi "Votre Grandeur ! " Ma foi, s'il v +"Votre Grandeur ! " Oh, oh, oh ! Attendez, ne vous en allez pas. A moi "Votre Grandeur ! " Ma foi, s'il va jusqu'à l'Altesse, il aura toute la bourse. Tenez, voilà pour Ma Grandeur. Garçon tailleur Monseigneur, nous la remercions très−humblement de ses libéralités. @@ -44008,7 +44008,7 @@ Monsieur, je ne puis pas m'en empêcher. Hi, hi, hi, hi, hi, hi. Monsieur Jourdain, Tu ne t'arrêteras pas ? Nicole -Monsieur, je vous demande pardon ; mais vous êtes si plaisant, que je ne saurois me tenir de rire. Hi, hi, h +Monsieur, je vous demande pardon ; mais vous êtes si plaisant, que je ne saurois me tenir de rire. Hi, hi, hi. Monsieur Jourdain Mais voyez quelle insolence. Nicole @@ -44018,7 +44018,7 @@ Je te... Nicole Je vous prie de m'excuser. Hi, hi, hi, hi. Monsieur Jourdain -Tiens, si tu ris encore le moins du monde, je te jure que je t'appliquerai sur la joue le plus grand soufflet q +Tiens, si tu ris encore le moins du monde, je te jure que je t'appliquerai sur la joue le plus grand soufflet qui se soit jamais donné. Nicole Hé bien, Monsieur, voilà qui est fait, je ne rirai plus. @@ -44037,7 +44037,7 @@ Hi, hi. Monsieur Jourdain Encore ! Nicole -Tenez, Monsieur, battez−moi plutôt et me laissez rire tout mon soûl, cela me fera plus de bien. Hi, hi, hi, +Tenez, Monsieur, battez−moi plutôt et me laissez rire tout mon soûl, cela me fera plus de bien. Hi, hi, hi, hi, hi. Monsieur Jourdain J'enrage. @@ -44070,19 +44070,19 @@ partout de vous ? Monsieur Jourdain Il n'y a que des sots et des sottes, ma femme, qui se railleront de moi. Madame Jourdain -Vraiment on n'a pas attendu jusqu'à cette heure, et il y a longtemps que vos façons de faire donnent à rire +Vraiment on n'a pas attendu jusqu'à cette heure, et il y a longtemps que vos façons de faire donnent à rire à tout le monde. Monsieur Jourdain Qui est donc tout ce monde−là, s'il vous plaît ? Madame Jourdain -Tout ce monde−là est un monde qui a raison, et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis scandalisée d -vie que vous menez. Je ne sais plus ce que c'est que notre maison : on diroit qu'il est céans carême−prena -tous les jours ; et dès le matin, de peur d'y manquer, on y entend des vacarmes de violons et de chanteurs +Tout ce monde−là est un monde qui a raison, et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis scandalisée de la +vie que vous menez. Je ne sais plus ce que c'est que notre maison : on diroit qu'il est céans carême−prenant +tous les jours ; et dès le matin, de peur d'y manquer, on y entend des vacarmes de violons et de chanteurs, dont tout le voisinage se trouve incommodé. Nicole Madame parle bien. Je ne saurois plus voir mon ménage propre ; avec cet attirail de gens que vous faites venir chez vous. Ils ont des pieds qui vont chercher de la boue dans tous les quartiers de la ville, pour -l'apporter ici ; et la pauvre Françoise est presque sur les dents, à frotter les planchers que vos biaux maîtr +l'apporter ici ; et la pauvre Françoise est presque sur les dents, à frotter les planchers que vos biaux maîtres viennent crotter régulièrement tous les jours. Monsieur Jourdain Ouais, notre servante Nicole, vous avez le caquet bien affilé pour une paysanne. @@ -44090,7 +44090,7 @@ Madame Jourdain Nicole a raison, et son sens est meilleur que le vôtre. Je voudrois bien savoir ce que vous pensez faire d'un maître à danser à l'âge que vous avez. Nicole -Et d'un grand maître tireur d'armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la maison, et nou +Et d'un grand maître tireur d'armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la maison, et nous déraciner tous les carriaux de notre salle ? Monsieur Jourdain Taisez−vous, ma servante, et ma femme. @@ -44099,12 +44099,12 @@ Est−ce que vous voulez apprendre à danser pour quand vous n'aurez plus de jam Nicole Est−ce que vous avez envie de tuer quelqu'un ? Monsieur Jourdain -Taisez−vous, vous dis−je : vous êtes des ignorantes l'une et l'autre, et vous ne savez pas les prérogatives +Taisez−vous, vous dis−je : vous êtes des ignorantes l'une et l'autre, et vous ne savez pas les prérogatives de tout cela. Madame Jourdain Vous devriez bien plutôt songer à marier votre fille, qui est en âge d'être pourvue. Monsieur Jourdain -Je songerai à marier ma fille quand il se présentera un parti pour elle ; mais je veux songer aussi à appren +Je songerai à marier ma fille quand il se présentera un parti pour elle ; mais je veux songer aussi à apprendre les belles choses. Nicole J'ai encore ouï dire, Madame, qu'il a pris aujourd'hui, pour renfort de potage, un maître de philosophie. @@ -44113,7 +44113,7 @@ Fort bien : je veux avoir de l'esprit, et savoir raisonner des choses parmi les Madame Jourdain N'irez−vous point l'un de ces jours au collège vous faire donner le fouet, à votre âge ? Monsieur Jourdain -Pourquoi non ? Plût à Dieu l'avoir tout à l'heure, le fouet, devant tout le monde, et savoir ce qu'on appren +Pourquoi non ? Plût à Dieu l'avoir tout à l'heure, le fouet, devant tout le monde, et savoir ce qu'on apprend au collége Nicole Oui, ma foi ! cela vous rendroit la jambe bien mieux faite. @@ -44131,7 +44131,7 @@ Je ne parle pas de cela. Je vous demande ce que c'est que les paroles que vous d Madame Jourdain Ce sont des paroles bien sensées, et votre conduite ne l'est guère. Monsieur Jourdain -Je ne parle pas de cela, vous dis−je. Je vous demande : ce que je parle avec vous, ce que je vous dis à cet +Je ne parle pas de cela, vous dis−je. Je vous demande : ce que je parle avec vous, ce que je vous dis à cette heure, qu'est−ce que c'est ? Madame Jourdain Des chansons. @@ -44148,7 +44148,7 @@ C'est de la prose, ignorante. Madame Jourdain De la prose ? Monsieur Jourdain -Oui, de la prose. Tout ce qui est prose, n'est point vers ; et tout ce qui n'est point vers, n'est point prose. H +Oui, de la prose. Tout ce qui est prose, n'est point vers ; et tout ce qui n'est point vers, n'est point prose. Heu, voilà ce que c'est d'étudier. Et toi, sais−tu bien comme il faut faire pour dire un U ? Nicole Comment ? @@ -44169,7 +44169,7 @@ Oui ; mais quand tu dis U, qu'est−ce que tu fais ? Nicole Je fais ce que vous me dites. Monsieur Jourdain -O l'étrange chose que d'avoir affaire à des bêtes ! Tu allonges les lèvres en dehors et approches la mâchoi +O l'étrange chose que d'avoir affaire à des bêtes ! Tu allonges les lèvres en dehors et approches la mâchoire d'en haut de celle d'en bas : U, vois−tu ? U. Je fais la moue : U. Nicole Oui, cela est biau. @@ -44188,10 +44188,10 @@ Allez, vous devriez envoyer promener tous ces gens−là, avec leurs fariboles. Nicole Et surtout ce grand escogriffe de maître d'armes, qui remplit de poudre tout mon ménage. Monsieur Jourdain -Ouais, ce maître d'armes vous tient fort au coeur. Je te veux faire voir ton impertinence tout à l'heure. (Il f +Ouais, ce maître d'armes vous tient fort au coeur. Je te veux faire voir ton impertinence tout à l'heure. (Il fait apporter les fleurets et en donne un à Nicole.) Tiens. Raison démonstrative, la ligne du corps. Quand on -pousse en quarte, on n'a qu'à faire cela, et quand on pousse en tierce, on n'a qu'à faire cela. Voilà le moyen -n'être jamais tué ; et cela n'est−il pas beau, d'être assuré de son fait, quand on se bat contre quelqu'un ? L +pousse en quarte, on n'a qu'à faire cela, et quand on pousse en tierce, on n'a qu'à faire cela. Voilà le moyen de +n'être jamais tué ; et cela n'est−il pas beau, d'être assuré de son fait, quand on se bat contre quelqu'un ? Là, pousse−moi un peu pour voir. Nicole Hé bien, quoi ? @@ -44212,16 +44212,16 @@ Madame Jourdain Camon vraiment ! il y a fort à gagner à fréquenter vos nobles, et vous avez bien opéré avec ce beau Monsieur le comte dont vous vous êtes embéguiné. Monsieur Jourdain -Paix ! Songez à ce que vous dites. Savez−vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parle +Paix ! Songez à ce que vous dites. Savez−vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parlez, quand vous parlez de lui ? C'est une personne d'importance plus que vous ne pensez, un seigneur que l'on -considère à la cour, et qui parle au Roi tout comme je vous parle. N'est−ce pas une chose qui m'est tout à -honorable, que l'on voye venir chez moi si souvent une personne de cette qualité, qui m'appelle son cher a -et me traite comme si j'étois son égal ? Il a pour moi des bontés qu'on ne devineroit jamais ; et, devant to +considère à la cour, et qui parle au Roi tout comme je vous parle. N'est−ce pas une chose qui m'est tout à fait +honorable, que l'on voye venir chez moi si souvent une personne de cette qualité, qui m'appelle son cher ami, +et me traite comme si j'étois son égal ? Il a pour moi des bontés qu'on ne devineroit jamais ; et, devant tout le monde, il me fait des caresses dont je suis moi−même confus. Madame Jourdain Oui, il a des bontés pour vous, et vous fait des caresses ; mais il vous emprunte votre argent. Monsieur Jourdain -Hé bien ! ne m'est−ce pas de l'honneur, de prêter de l'argent à un homme de cette condition−là ? et puis− +Hé bien ! ne m'est−ce pas de l'honneur, de prêter de l'argent à un homme de cette condition−là ? et puis−je faire moins pour un seigneur qui m'appelle son cher ami ? Madame Jourdain Et ce seigneur que fait−il pour vous ? @@ -44230,7 +44230,7 @@ Des choses dont on seroit étonné, si on les savoit. Madame Jourdain Et quoi ? Monsieur Jourdain -Baste, je ne puis pas m'expliquer. Il suffit que si je lui ai prêté de l'argent, il me le rendra bien, et avant qu +Baste, je ne puis pas m'expliquer. Il suffit que si je lui ai prêté de l'argent, il me le rendra bien, et avant qu'il soit peu. Madame Jourdain Oui, attendez−vous à cela. @@ -44249,7 +44249,7 @@ Et moi, je suis sûre que non, et que toutes les caresses qu'il vous fait ne son Monsieur Jourdain Taisez−vous : le voici. Madame Jourdain -Il ne nous faut plus que cela. Il vient peut−être encore vous faire quelque emprunt ; et il me semble que j +Il ne nous faut plus que cela. Il vient peut−être encore vous faire quelque emprunt ; et il me semble que j'ai dîné quand je le vois. Monsieur Jourdain Taisez−vous, vous dis−je. @@ -44268,7 +44268,7 @@ Comment, Monsieur Jourdain ? vous voilà le plus propre du monde ! Monsieur Jourdain Vous voyez. Dorante -Vous avez tout à fait bon air avec cet habit, et nous n'avons point de jeunes gens à la cour qui soient mieu +Vous avez tout à fait bon air avec cet habit, et nous n'avons point de jeunes gens à la cour qui soient mieux faits que vous. Monsieur Jourdain Hay, hay. @@ -44279,7 +44279,7 @@ Tournez−vous. Cela est tout à fait galant. Madame Jourdain Oui, aussi sot par derrière que par devant. Dorante -Ma foi ! Monsieur Jourdain, j'avois une impatience étrange de vous voir. Vous êtes l'homme du monde q +Ma foi ! Monsieur Jourdain, j'avois une impatience étrange de vous voir. Vous êtes l'homme du monde que j'estime le plus, et je parlois de vous encore ce matin dans la chambre du Roi. Monsieur Jourdain Vous me faites beaucoup d'honneur, Monsieur. (A Madame Jourdain.) Dans la chambre du Roi ! @@ -44304,7 +44304,7 @@ Je suis votre débiteur, comme vous le savez. Madame Jourdain Oui, nous ne le savons que trop. Dorante -Vous m'avez généreusement prêté de l'argent en plusieurs occasions, et vous m'avez obligé de la meilleur +Vous m'avez généreusement prêté de l'argent en plusieurs occasions, et vous m'avez obligé de la meilleure grâce du monde, assurément. Monsieur Jourdain Monsieur, vous vous moquez. @@ -44361,7 +44361,7 @@ Tout cela est véritable. Qu'est−ce que cela fait ? Monsieur Jourdain Somme totale, quinze mille huit cents livres. Dorante -Somme totale est juste : quinze mille huit cents livres. Mettez encore deux cents pistoles que vous m'alle +Somme totale est juste : quinze mille huit cents livres. Mettez encore deux cents pistoles que vous m'allez donner, cela fera justement dix−huit mille francs, que je vous payerai au premier jour. Madame Jourdain Hé bien ne l'avois−je pas bien deviné ? @@ -44396,14 +44396,14 @@ Il vous sucera jusqu'au dernier sou. Monsieur Jourdain Vous tairez−vous ? Dorante -J'ai force gens qui m'en prêteroient avec joie ; mais, comme vous êtes mon meilleur ami, j'ai cru que je vo +J'ai force gens qui m'en prêteroient avec joie ; mais, comme vous êtes mon meilleur ami, j'ai cru que je vous ferois tort si j'en demandois à quelque autre. Monsieur Jourdain C'est trop d'honneur, Monsieur, que vous me faites. Je vais querir votre affaire. Madame Jourdain Quoi ? vous allez encore lui donner cela ? Monsieur Jourdain -Que faire ? voulez−vous que je refuse un homme de cette condition−là, qui a parlé de moi ce matin dans +Que faire ? voulez−vous que je refuse un homme de cette condition−là, qui a parlé de moi ce matin dans la chambre du Roi ? Madame Jourdain Allez, vous êtes une vraie dupe. @@ -44422,7 +44422,7 @@ Comment se porte−t−elle ? Madame Jourdain Elle se porte sur ses deux jambes Dorante -Ne voulez−vous point un de ces jours venir voir, avec elle, le ballet et la comédie que l'on fait chez le Roi +Ne voulez−vous point un de ces jours venir voir, avec elle, le ballet et la comédie que l'on fait chez le Roi ? Madame Jourdain Oui vraiment, nous avons fort envie de rire, fort envie de rire nous avons. Dorante @@ -44431,14 +44431,14 @@ humeur comme vous étiez. Madame Jourdain Tredame, Monsieur, est−ce que Madame Jourdain est décrépite, et la tête lui grouille−t−elle déjà ? Dorante -Ah ! ma foi ! Madame Jourdain, je vous demande pardon. Je ne songeois pas que vous êtes jeune, et je r +Ah ! ma foi ! Madame Jourdain, je vous demande pardon. Je ne songeois pas que vous êtes jeune, et je rêve le plus souvent. Je vous prie d'excuser mon impertinence. Scène VI Monsieur Jourdain, Madame Jourdain, Dorante, Nicole Monsieur Jourdain Voilà deux cents louis bien comptés. Dorante -Je vous assure, Monsieur Jourdain, que je suis tout à vous, et que je brûle de vous rendre un service à la c +Je vous assure, Monsieur Jourdain, que je suis tout à vous, et que je brûle de vous rendre un service à la cour. Monsieur Jourdain Je vous suis trop obligé. Dorante @@ -44446,12 +44446,12 @@ Si Madame Jourdain veut voir le divertissement royal, je lui ferai donner les me Madame Jourdain Madame Jourdain vous baise les mains. Dorante, bas, à Jourdain -Notre belle marquise, comme je vous ai mandé par mon billet, viendra tantôt ici pour le ballet et le repas, +Notre belle marquise, comme je vous ai mandé par mon billet, viendra tantôt ici pour le ballet et le repas, et je l'ai fait consentir enfin au cadeau que vous lui voulez donner. Monsieur Jourdain Tirons−nous un peu plus loin, pour cause. Dorante -Il y a huit jours que je ne vous ai vu, et je ne vous ai point mandé de nouvelles du diamant que vous me m +Il y a huit jours que je ne vous ai vu, et je ne vous ai point mandé de nouvelles du diamant que vous me mîtes entre les mains pour lui en faire présent de votre part ; mais c'est que j'ai eu toutes les peines du monde à vaincre son scrupule, et ce n'est que d'aujourd'hui qu'elle s'est résolue l'accepter. Monsieur Jourdain @@ -44466,18 +44466,18 @@ Quand il est une fois avec lui, il ne peut le quitter. Dorante Je lui ai fait valoir comme il faut la richesse de ce présent et la grandeur de votre amour. Monsieur Jourdain -Ce sont, Monsieur, des bontés qui m'accablent ; et je suis dans une confusion la plus grande du monde, d +Ce sont, Monsieur, des bontés qui m'accablent ; et je suis dans une confusion la plus grande du monde, de voir une personne de votre qualité s'abaisser pour moi à ce que vous faites. Dorante -Vous moquez−vous ? est−ce qu'entre amis on s'arrête à ces sortes de scrupules ? et ne feriez−vous pas p +Vous moquez−vous ? est−ce qu'entre amis on s'arrête à ces sortes de scrupules ? et ne feriez−vous pas pour moi la même chose, si l'occasion s'en offroit ? Monsieur Jourdain Ho ! assurément, et de très−grand coeur. Madame Jourdain Que sa présence me pèse sur les épaules ! Dorante -Pour moi, je ne regarde rien, quand il faut servir un ami ; et lorsque vous me fîtes confidence de l'ardeur -vous aviez prise pour cette marquise agréable chez qui j'avois commerce, vous vîtes que d'abord je m'offr +Pour moi, je ne regarde rien, quand il faut servir un ami ; et lorsque vous me fîtes confidence de l'ardeur que +vous aviez prise pour cette marquise agréable chez qui j'avois commerce, vous vîtes que d'abord je m'offris de moi−même à servir votre amour. Monsieur Jourdain Il est vrai, ce sont des bontés qui me confondent. @@ -44486,12 +44486,12 @@ Est−ce qu'il ne s'en ira point ? Nicole Ils se trouvent bien ensemble. Dorante -Vous avez pris le bon biais pour toucher son coeur : les femmes aiment surtout les dépenses qu'on fait po +Vous avez pris le bon biais pour toucher son coeur : les femmes aiment surtout les dépenses qu'on fait pour elles ; et vos fréquentes sérénades, et vos bouquets continuels, ce superbe feu d'artifice qu'elle trouva sur -l'eau, le diamant qu'elle a reçu de votre part, et le cadeau que vous lui préparez, tout cela lui parle bien mi +l'eau, le diamant qu'elle a reçu de votre part, et le cadeau que vous lui préparez, tout cela lui parle bien mieux en faveur de votre amour que toutes les paroles que vous auriez pu lui dire vous−même. Monsieur Jourdain -Il n'y a point de dépenses que je ne fisse, si par là je pouvois trouver le chemin de son coeur. Une femme +Il n'y a point de dépenses que je ne fisse, si par là je pouvois trouver le chemin de son coeur. Une femme de qualité a pour moi des charmes ravissants, et c'est un honneur que j'achèterois au prix de toute chose. Madame Jourdain Que peuvent−ils tant dire ensemble ? Va−t'en un peu tout doucement prêter l'oreille. @@ -44502,29 +44502,29 @@ Monsieur Jourdain Pour être en pleine liberté, j'ai fait en sorte que ma femme ira dîner chez ma soeur, où elle passera toute l'après−dînée. Dorante -Vous avez fait prudemment, et votre femme auroit pu nous embarrasser. J'ai donné pour vous l'ordre qu'il -au cuisinier, et à toutes les choses qui sont nécessaires pour le ballet. Il est de mon invention ; et pourvu q +Vous avez fait prudemment, et votre femme auroit pu nous embarrasser. J'ai donné pour vous l'ordre qu'il faut +au cuisinier, et à toutes les choses qui sont nécessaires pour le ballet. Il est de mon invention ; et pourvu que l'exécution puisse répondre à l'idée, je suis sûr qu'il sera trouvé... Monsieur Jourdain, s'aperçoit que Nicole écoute, et lui donne un soufflet. Ouais, vous êtes bien impertinente. Sortons, s'il vous plaît. Scène VII Madame Jourdain, Nicole Nicole -Ma foi ! Madame, la curiosité m'a coûté quelque chose ; mais je crois qu'il y a quelque anguille sous roc +Ma foi ! Madame, la curiosité m'a coûté quelque chose ; mais je crois qu'il y a quelque anguille sous roche, et ils parlent de quelque affaire où ils ne veulent pas que vous soyez. Madame Jourdain Ce n'est pas d'aujourd'hui, Nicole, que j'ai conçu des soupçons de mon mari. Je suis la plus trompée du -monde, ou il y a quelque amour en campagne, et je travaille à découvrir ce que ce peut être. Mais songeon +monde, ou il y a quelque amour en campagne, et je travaille à découvrir ce que ce peut être. Mais songeons à ma fille. Tu sais l'amour que Cléonte a pour elle. C'est un homme qui me revient, et je veux aider sa recherche, et lui donner Lucile, si je puis. Nicole -En vérité, Madame, je suis la plus ravie du monde de vous voir dans ces sentiments ; car, si le maître vou -revient, le valet ne me revient pas moins, et je souhaiterois que notre mariage se pût faire à l'ombre du leu +En vérité, Madame, je suis la plus ravie du monde de vous voir dans ces sentiments ; car, si le maître vous +revient, le valet ne me revient pas moins, et je souhaiterois que notre mariage se pût faire à l'ombre du leur. Madame Jourdain Va−t'en lui parler de ma part, et lui dire que tout à l'heure il me vienne trouver, pour faire ensemble à mon mari la demande de ma fille. Nicole -J'y cours, Madame, avec joie, et je ne pouvois recevoir une commission plus agréable. Je vais, je pense, b +J'y cours, Madame, avec joie, et je ne pouvois recevoir une commission plus agréable. Je vais, je pense, bien réjouir les gens. Scène VIII Cléonte, Covielle, Nicole @@ -44535,7 +44535,7 @@ Retire−toi, perfide, et ne me viens point amuser avec tes traîtresses paroles Nicole Est−ce ainsi que vous recevez... ? Cléonte -Retire−toi, te dis−je, et va−t'en dire de ce pas à ton infidèle maîtresse qu'elle n'abusera de sa vie le trop sim +Retire−toi, te dis−je, et va−t'en dire de ce pas à ton infidèle maîtresse qu'elle n'abusera de sa vie le trop simple Cléonte. Nicole Quel vertigo est−ce donc là ? Mon pauvre Covielle, dis−moi un peu ce que cela veut dire. @@ -44555,11 +44555,11 @@ Covielle C'est une chose épouvantable, que ce qu'on nous fait à tous deux. Cléonte Je fais voir pour une personne toute l'ardeur et toute la tendresse qu'on peut imaginer ; je n'aime rien au -monde qu'elle, et je n'ai qu'elle dans l'esprit ; elle fait tous mes soins, tous mes desirs, toute ma joie ; je n -parle que d'elle, je ne pense qu'à elle, je ne fais des songes que d'elle, je ne respire que par elle, mon coeur +monde qu'elle, et je n'ai qu'elle dans l'esprit ; elle fait tous mes soins, tous mes desirs, toute ma joie ; je ne +parle que d'elle, je ne pense qu'à elle, je ne fais des songes que d'elle, je ne respire que par elle, mon coeur vit tout en elle : et voilà de tant d'amitié la digne récompense ! Je suis deux jours sans la voir, qui sont pour -moi deux siècles effroyables : je la rencontre par hasard ; mon coeur, à cette vue, se sent tout transporté, -joie éclate sur mon visage, je vole avec ravissement vers elle ; et l'infidèle détourne de moi ses regards, e +moi deux siècles effroyables : je la rencontre par hasard ; mon coeur, à cette vue, se sent tout transporté, ma +joie éclate sur mon visage, je vole avec ravissement vers elle ; et l'infidèle détourne de moi ses regards, et passe brusquement, comme si de sa vie elle ne m'avoit vu ! Covielle Je dis les mêmes choses que vous. @@ -44606,15 +44606,15 @@ J'y consens. Cléonte Ce Monsieur le Comte qui va chez elle lui donne peut−être dans la vue ; et son esprit, je le vois bien, se laisse éblouir à la qualité. Mais il me faut, pour mon honneur, prévenir l'éclat de son inconstance. Je veux -faire autant de pas qu'elle au changement où je la vois courir, et ne lui laisser pas toute la gloire de me qui +faire autant de pas qu'elle au changement où je la vois courir, et ne lui laisser pas toute la gloire de me quitter. Covielle C'est fort bien dit, et j'entre pour mon compte dans tous vos sentiments. Cléonte -Donne la main à mon dépit, et soutiens ma résolution contre tous les restes d'amour qui me pourroient par -pour elle. Dis−m'en, je t'en conjure, tout le mai que tu pourras ; fais−moi de sa personne une peinture qui +Donne la main à mon dépit, et soutiens ma résolution contre tous les restes d'amour qui me pourroient parler +pour elle. Dis−m'en, je t'en conjure, tout le mai que tu pourras ; fais−moi de sa personne une peinture qui me la rende méprisable ; et marque−moi bien, pour m'en dégoûter, tous les défauts que tu peux voir en elle. Covielle -Elle, Monsieur ! voilà une belle mijaurée, une pimpe−souée bien bâtie, pour vous donner tant d'amour ! +Elle, Monsieur ! voilà une belle mijaurée, une pimpe−souée bien bâtie, pour vous donner tant d'amour ! Je ne lui vois rien que de très−médiocre, et vous trouverez cent personnes qui seront plus dignes de vous. Premièrement, elle a les yeux petits. Cléonte @@ -44645,12 +44645,12 @@ Sa conversation est charmante. Covielle Elle est toujours sérieuse. Cléonte -Veux−tu de ces enjouements épanouis, de ces joies toujours ouvertes ? et vois−tu−rien de plus impertine +Veux−tu de ces enjouements épanouis, de ces joies toujours ouvertes ? et vois−tu−rien de plus impertinent que des femmes qui rient à tout propos ? Covielle Mais enfin elle est capricieuse autant que personne du monde. Cléonte -Oui, elle est capricieuse, j'en demeure d'accord ; mais tout sied bien aux belles, on souffre tout des belles +Oui, elle est capricieuse, j'en demeure d'accord ; mais tout sied bien aux belles, on souffre tout des belles. Covielle Puisque cela va comme cela, je vois bien que vous avez envie de l'aimer toujours. Cléonte @@ -44658,7 +44658,7 @@ Moi, j'aimerois mieux mourir ; et je vais la haïr autant que je l'ai aimée. Covielle Le moyen, si vous la trouvez si parfaite ? Cléonte -C'est en quoi ma vengeance sera plus éclatante, en quoi je veux faire mieux voir la force de mon coeur, à +C'est en quoi ma vengeance sera plus éclatante, en quoi je veux faire mieux voir la force de mon coeur, à la haïr, à la quitter, toute belle, toute pleine d'attraits, toute aimable que je la trouve. La voici. Scène X Cléonte, Lucile, Covielle, Nicole @@ -44698,14 +44698,14 @@ Lucile N'est−il pas vrai, Cléonte, que c'est là le sujet de votre dépit ? Cléonte Oui, perfide, ce l'est, puisqu'il faut parler ; et j'ai à vous dire que vous ne triompherez pas comme vous -pensez de votre infidélité, que je veux être le premier à rompre avec vous, et que vous n'aurez pas l'avanta +pensez de votre infidélité, que je veux être le premier à rompre avec vous, et que vous n'aurez pas l'avantage de me chasser. J'aurai de la peine, sans doute, à vaincre l'amour que j'ai pour vous, cela me causera des chagrins, je souffrirai un temps ; mais j'en viendrai à bout, et je me percerai plutôt le coeur que d'avoir la foiblesse de retourner à vous. Covielle Queussi, queumi. Lucile -Voilà bien du bruit pour un rien. Je veux vous dire, Cléonte, le sujet qui m'a fait ce matin éviter votre abo +Voilà bien du bruit pour un rien. Je veux vous dire, Cléonte, le sujet qui m'a fait ce matin éviter votre abord. Cléonte Non, je ne veux rien écouter. Nicole @@ -44761,7 +44761,7 @@ Un mot. Covielle Plus de commerce. Lucile -Hé bien ! puisque vous ne voulez pas m'écouter, demeurez dans votre pensée, et faites ce qu'il vous plaira +Hé bien ! puisque vous ne voulez pas m'écouter, demeurez dans votre pensée, et faites ce qu'il vous plaira. Nicole Puisque tu fais comme cela, prends−le tout comme tu voudras. Cléonte @@ -44822,7 +44822,7 @@ Nicole Non, il ne me plaît pas. Cléonte Hé bien ! puisque vous vous souciez si peu de me tirer de peine, et de vous justifier du traitement indigne -que vous avez fait à ma flamme, vous me voyez, ingrate, pour la dernière fois, et je vais loin de vous mou +que vous avez fait à ma flamme, vous me voyez, ingrate, pour la dernière fois, et je vais loin de vous mourir de douleur et d'amour. Covielle Et moi, je vais suivre ses pas. @@ -44853,9 +44853,9 @@ Qui vous le dit ? Cléonte N'est−ce pas le vouloir, que de ne vouloir pas éclaircir mes soupçons ! Lucile -Est−ce ma faute ? et si vous aviez voulu m'écouter, ne vous aurois−je pas dit que l'aventure dont vous vo -plaignez a été causée ce matin par la présence d'une vieille tante, qui veut à toute force que la seule appro -d'un homme déshonore une fille, qui perpétuellement nous sermonne sur ce chapitre, et nous figure tous l +Est−ce ma faute ? et si vous aviez voulu m'écouter, ne vous aurois−je pas dit que l'aventure dont vous vous +plaignez a été causée ce matin par la présence d'une vieille tante, qui veut à toute force que la seule approche +d'un homme déshonore une fille, qui perpétuellement nous sermonne sur ce chapitre, et nous figure tous les hommes comme des diables qu'il faut fuir. Nicole Voilà le secret de l'affaire. @@ -44877,28 +44877,28 @@ Qu'on est aisément amadoué par ces diantres d'animaux−là ! Scène XI Madame Jourdain, Cléonte, Lucile, Covielle, Nicole Madame Jourdain -Je suis bien aise de vous voir, Cléonte, et vous voilà tout à propos. Mon mari vient ; prenez vite votre tem +Je suis bien aise de vous voir, Cléonte, et vous voilà tout à propos. Mon mari vient ; prenez vite votre temps pour lui demander Lucile en mariage. Cléonte -Ah ! Madame, que cette parole m'est douce, et qu'elle flatte mes désirs ! Pouvois−je recevoir un ordre pl +Ah ! Madame, que cette parole m'est douce, et qu'elle flatte mes désirs ! Pouvois−je recevoir un ordre plus charmant ? une faveur plus précieuse ? Scène XII Monsieur Jourdain, Madame Jourdain, Cléonte, Lucile, Covielle, Nicole Cléonte -Monsieur, je n'ai voulu prendre personne pour vous faire une demande que je médite il y a longtemps. Ell -me touche assez pour m'en charger moi−même ; et, sans autre détour, je vous dirai que l'honneur d'être v +Monsieur, je n'ai voulu prendre personne pour vous faire une demande que je médite il y a longtemps. Elle +me touche assez pour m'en charger moi−même ; et, sans autre détour, je vous dirai que l'honneur d'être votre gendre est une faveur glorieuse que je vous prie de m'accorder. Monsieur Jourdain Avant que de vous rendre réponse, Monsieur, je vous prie de me dire si vous êtes gentilhomme. Cléonte -Monsieur, la plupart des gens sur cette question n'hésitent pas beaucoup. On tranche le mot aisément. Ce -ne fait aucun scrupule à prendre, et l'usage aujourd'hui semble en autoriser le vol. Pour moi, je vous l'avou +Monsieur, la plupart des gens sur cette question n'hésitent pas beaucoup. On tranche le mot aisément. Ce nom +ne fait aucun scrupule à prendre, et l'usage aujourd'hui semble en autoriser le vol. Pour moi, je vous l'avoue, j'ai les sentiments sur cette matière un peu plus délicats : je trouve que toute imposture est indigne d'un -honnête homme, et qu'il y a de la lâcheté à déguiser ce que le Ciel nous a fait naître, à se parer aux yeux d -monde d'un titre dérobé, à se vouloir donner pour ce qu'on n'est pas. Je suis né de parents, sans doute, qui +honnête homme, et qu'il y a de la lâcheté à déguiser ce que le Ciel nous a fait naître, à se parer aux yeux du +monde d'un titre dérobé, à se vouloir donner pour ce qu'on n'est pas. Je suis né de parents, sans doute, qui ont tenu des charges honorables. Je me suis acquis dans les armes l'honneur de six ans de services, et je me -trouve assez de bien pour tenir dans le monde un rang assez passable. Mais, avec tout cela, je ne veux poi -me donner un nom où d'autres en ma place croiroient pouvoir prétendre, et je vous dirai franchement que +trouve assez de bien pour tenir dans le monde un rang assez passable. Mais, avec tout cela, je ne veux point +me donner un nom où d'autres en ma place croiroient pouvoir prétendre, et je vous dirai franchement que je ne suis point gentilhomme. Monsieur Jourdain Touchez là, Monsieur : ma fille n'est pas pour vous. @@ -44907,7 +44907,7 @@ Comment ? Monsieur Jourdain Vous n'êtes point gentilhomme, vous n'aurez pas ma fille. Madame Jourdain -Que voulez−vous donc dire avec votre gentilhomme ? est−ce que nous sommes, nous autres, de la côte d +Que voulez−vous donc dire avec votre gentilhomme ? est−ce que nous sommes, nous autres, de la côte de saint Louis ? Monsieur Jourdain Taisez−vous, ma femme : je vous vois venir. @@ -44918,17 +44918,17 @@ Voilà pas le coup de langue ? Madame Jourdain Et votre père n'étoit−il pas marchand aussi bien que le mien ? Monsieur Jourdain -Peste soit de la femme ! Elle n'y a jamais manqué. Si votre père a été marchand, tant pis pour lui ; mais p +Peste soit de la femme ! Elle n'y a jamais manqué. Si votre père a été marchand, tant pis pour lui ; mais pour le mien, ce sont des malavisés qui disent cela. Tout ce que j'ai à vous dire, moi, c'est que je veux avoir un gendre gentilhomme. Madame Jourdain -Il faut à votre fille un mari qui lui soit propre, et il vaut mieux pour elle un honnête homme riche et bien f +Il faut à votre fille un mari qui lui soit propre, et il vaut mieux pour elle un honnête homme riche et bien fait, qu'un gentilhomme gueux et mal bâti. Nicole -Cela est vrai. Nous avons le fils du gentilhomme de notre village, qui est le plus grand malitorne et le plu +Cela est vrai. Nous avons le fils du gentilhomme de notre village, qui est le plus grand malitorne et le plus sot dadais que j'aie jamais vu. Monsieur Jourdain -Taisez−vous, impertinente. Vous vous fourrez toujours dans la conversation. J'ai du bien assez pour ma fi +Taisez−vous, impertinente. Vous vous fourrez toujours dans la conversation. J'ai du bien assez pour ma fille, je n'ai besoin que d'honneur, et je la veux faire marquise. Madame Jourdain Marquise ? @@ -44939,23 +44939,23 @@ Hélas ! Dieu m'en garde ! Monsieur Jourdain C'est une chose que j'ai résolue. Madame Jourdain -C'est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi sont sujettes toujou -de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu'un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents, et qu'elle -des enfants qui aient honte de m'appeler leur grand−maman. S'il falloit qu'elle me vînt visiter en équipage -grand−Dame, et qu'elle manquât par mégarde à saluer quelqu'un du quartier, on ne manqueroit pas aussitô -dire cent sottises. "Voyez−vous, diroit−on, cette Madame la Marquise qui fait tant la glorieuse ? c'est la f +C'est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi sont sujettes toujours à +de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu'un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents, et qu'elle ait +des enfants qui aient honte de m'appeler leur grand−maman. S'il falloit qu'elle me vînt visiter en équipage de +grand−Dame, et qu'elle manquât par mégarde à saluer quelqu'un du quartier, on ne manqueroit pas aussitôt de +dire cent sottises. "Voyez−vous, diroit−on, cette Madame la Marquise qui fait tant la glorieuse ? c'est la fille de Monsieur Jourdain, qui étoit trop heureuse, étant petite, de jouer à la Madame avec nous. Elle n'a pas toujours été si relevée que la voilà, et ses deux grands−pères vendoient du drap auprès de la porte -Saint−Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs enfants, qu'ils payent maintenant peut−être bien cher en l'a -monde, et l'on ne devient guère si riches à être honnêtes gens." Je ne veux point tous ces caquets, et je veu +Saint−Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs enfants, qu'ils payent maintenant peut−être bien cher en l'autre +monde, et l'on ne devient guère si riches à être honnêtes gens." Je ne veux point tous ces caquets, et je veux un homme, en un mot, qui m'ait obligation de ma fille, et, à qui je puisse dire : "Mettez−vous là, mon gendre, et dînez avec moi." Monsieur Jourdain Voilà bien les sentiments d'un petit esprit, de vouloir demeurer toujours dans la bassesse. Ne me répliquez -pas davantage : ma fille sera marquise en dépit de tout le monde ; et si vous me mettez en colère, je la fe +pas davantage : ma fille sera marquise en dépit de tout le monde ; et si vous me mettez en colère, je la ferai duchesse. Madame Jourdain -Cléonte, ne perdez point courage encore. Suivez−moi, ma fille, et venez dire résolument à votre père que +Cléonte, ne perdez point courage encore. Suivez−moi, ma fille, et venez dire résolument à votre père que si vous ne l'avez, vous ne voulez épouser personne. Scène XIII Cléonte, Covielle @@ -44964,10 +44964,10 @@ Vous avez fait de belles affaires avec vos beaux sentiments. Cléonte Que veux−tu ? j'ai un scrupule là−dessus, que l'exemple ne sauroit vaincre. Covielle -Vous moquez−vous, de le prendre sérieusement avec un homme comme cela ? Ne voyez−vous pas qu'il +Vous moquez−vous, de le prendre sérieusement avec un homme comme cela ? Ne voyez−vous pas qu'il est fou et vous coûtoit−il quelque chose de vous accommoder, à ses chimères ? Cléonte -Tu as raison ; mais je ne croyois pas qu'il fallût faire ses preuves de noblesse pour être gendre de Monsie +Tu as raison ; mais je ne croyois pas qu'il fallût faire ses preuves de noblesse pour être gendre de Monsieur Jourdain. Covielle Ah ! ah ! ah ! @@ -44982,10 +44982,10 @@ L'idée est tout à fait plaisante. Cléonte Quoi donc ? Covielle -Il s'est fait depuis peu une certaine mascarade qui vient le mieux du monde ici, et que je prétends faire ent +Il s'est fait depuis peu une certaine mascarade qui vient le mieux du monde ici, et que je prétends faire entrer dans une bourle e je veux faire à notre ridicule. Tout cela sent un peu sa comédie ; mais avec lui on peut -hasarder toute chose, il n'y faut point chercher tant de façons, et il est homme à y jouer son rôle à merveil -donner aisément dans toutes les fariboles qu'on s'avisera de lui dire. J'ai les acteurs, j'ai les habits tout prêt +hasarder toute chose, il n'y faut point chercher tant de façons, et il est homme à y jouer son rôle à merveille, à +donner aisément dans toutes les fariboles qu'on s'avisera de lui dire. J'ai les acteurs, j'ai les habits tout prêts : laissez−moi faire seulement. Cléonte Mais apprends−moi... @@ -45011,28 +45011,28 @@ Dorimène Je ne sais pas, Dorante, je fais encore ici une étrange démarche, de me laisser amener par vous dans une maison où je ne connois personne. Dorante -Quel lieu voulez−vous donc, Madame, que mon amour choisisse pour vous régaler, puisque, pour fuir l'éc +Quel lieu voulez−vous donc, Madame, que mon amour choisisse pour vous régaler, puisque, pour fuir l'éclat, vous ne voulez ni votre maison, ni la mienne ? Dorimène -Mais vous ne dites pas que je m'engage insensiblement, chaque jour, à recevoir de trop grands témoignag +Mais vous ne dites pas que je m'engage insensiblement, chaque jour, à recevoir de trop grands témoignages de votre passion ? J'ai beau me défendre des choses, vous fatiguez ma résistance, et vous avez une civile -opiniâtreté qui me fait venir doucement à tout ce qu'il vous plaît. Les visites fréquentes ont commencé ; l -déclarations sont venues ensuite, qui après elles ont traîné les sérénades et les cadeaux, que les présents on +opiniâtreté qui me fait venir doucement à tout ce qu'il vous plaît. Les visites fréquentes ont commencé ; les +déclarations sont venues ensuite, qui après elles ont traîné les sérénades et les cadeaux, que les présents ont suivis. Je me suis opposée à tout cela, mais vous ne vous rebutez point, et, pied à pied, vous gagnez mes -résolutions. Pour moi, je ne puis plus répondre de rien, et je crois qu'à la fin vous me ferez venir au maria +résolutions. Pour moi, je ne puis plus répondre de rien, et je crois qu'à la fin vous me ferez venir au mariage, dont je me suis tant éloignée. Dorante -Ma foi ! Madame, vous y devriez déjà être. Vous êtes veuve, et ne dépendez que de vous. Je suis maître d -moi, et vous aime plus que ma vie. A quoi tient−il que dès aujourd'hui vous ne fassiez tout mon bonheur ? +Ma foi ! Madame, vous y devriez déjà être. Vous êtes veuve, et ne dépendez que de vous. Je suis maître de +moi, et vous aime plus que ma vie. A quoi tient−il que dès aujourd'hui vous ne fassiez tout mon bonheur ? Dorimène -Mon Dieu ! Dorante, il faut des deux parts bien des qualités pour vivre heureusement ensemble ; et les d +Mon Dieu ! Dorante, il faut des deux parts bien des qualités pour vivre heureusement ensemble ; et les deux plus raisonnables personnes du monde ont souvent peine à composer cette union dont ils soient satisfaits. Dorante Vous vous moquez, Madame, de vous y figurer tant de difficultés ; et l'expérience que vous avez faite ne conclut rien pour tous les autres. Dorimène -Enfin j'en reviens toujours là : les dépenses que je vous vois faire pour moi m'inquiètent par deux raisons -l'une qu'elles m'engagent plus ne je ne voudrois ; et l'autre, que je suis sûre, sans vous déplaire, que vous +Enfin j'en reviens toujours là : les dépenses que je vous vois faire pour moi m'inquiètent par deux raisons : +l'une qu'elles m'engagent plus ne je ne voudrois ; et l'autre, que je suis sûre, sans vous déplaire, que vous ne les faites point que vous ne vous incommodiez ; et je ne veux point cela. Dorante Ah ! Madame, ce sont des bagatelles ; et ce n'est pas par là... @@ -45056,13 +45056,13 @@ Reculez un peu, pour la troisième. Dorante Madame, Monsieur Jourdain sait son monde. Monsieur Jourdain -Madame, ce m'est une gloire bien grande de me voir assez fortuné pour être si heureux que d'avoir le bonh +Madame, ce m'est une gloire bien grande de me voir assez fortuné pour être si heureux que d'avoir le bonheur que vous ayez eu la bonté de m'accorder la grâce de me faire l'honneur de m'honorer de la faveur de votre présence ; et si j'avois aussi le mérite pour mériter un mérite comme le vôtre, et que le Ciel... envieux de mon bien... m'eût accordé... l'avantage de me voir digne... des... Dorante -Monsieur Jourdain, en voilà assez : Madame n'aime pas les grands compliments, et elle sait que vous ête -homme d'esprit. (Bas, à Dorimène.) C'est un bon bourgeois assez ridicule, comme vous voyez, dans toute +Monsieur Jourdain, en voilà assez : Madame n'aime pas les grands compliments, et elle sait que vous êtes +homme d'esprit. (Bas, à Dorimène.) C'est un bon bourgeois assez ridicule, comme vous voyez, dans toutes ses manières. Dorimène Il n'est pas malaisé de s'en apercevoir. @@ -45081,8 +45081,8 @@ Prenez bien garde au moins à ne lui point parler du diamant que vous lui avez d Monsieur Jourdain Ne pourrois−je pas seulement lui demander comment elle le trouve ? Dorante -Comment ? gardez−vous−en bien : cela seroit vilain à vous ; et pour agir en galant homme, il faut que v -fassiez comme si ce n'étoit pas vous qui lui eussiez fait ce présent. Monsieur Jourdain, Madame, dit qu'il e +Comment ? gardez−vous−en bien : cela seroit vilain à vous ; et pour agir en galant homme, il faut que vous +fassiez comme si ce n'étoit pas vous qui lui eussiez fait ce présent. Monsieur Jourdain, Madame, dit qu'il est ravi de vous voir chez lui. Dorimène Il m'honore beaucoup. @@ -45103,8 +45103,8 @@ Songeons à manger. Laquais Tout est prêt, Monsieur. Dorante -Allons donc nous mettre à table, et qu'on fasse venir les musiciens.(Six cuisiniers, qui ont préparé le festin -dansent ensemble, et font le troisième intermède ; après quoi, ils apportent une table couverte de plusieur +Allons donc nous mettre à table, et qu'on fasse venir les musiciens.(Six cuisiniers, qui ont préparé le festin, +dansent ensemble, et font le troisième intermède ; après quoi, ils apportent une table couverte de plusieurs mets.) Acte IV Scène I @@ -45112,21 +45112,21 @@ Dorimène, Dorante, Monsieur Jourdain, deux Musiciens, une Musicienne, Laquais Dorimène Comment, Dorante ? voilà un repas tout à fait magnifique ! Monsieur Jourdain -Vous vous moquez, Madame, et je voudrois qu'il fût plus digne de vous être offert.(Tous se mettent à tabl +Vous vous moquez, Madame, et je voudrois qu'il fût plus digne de vous être offert.(Tous se mettent à table.) Dorante -Monsieur Jourdain a raison, Madame, de parler de la sorte, et il m'oblige de vous faire si bien les honneur -chez lui. Je demeure d'accord avec lui que le repas n'est pas digne de vous. Comme c'est moi qui l'ai ordo -et que je n'ai pas sur cette matière les lumières de nos amis, vous n'avez pas ici un repas fort savant, et vou +Monsieur Jourdain a raison, Madame, de parler de la sorte, et il m'oblige de vous faire si bien les honneurs de +chez lui. Je demeure d'accord avec lui que le repas n'est pas digne de vous. Comme c'est moi qui l'ai ordonné, +et que je n'ai pas sur cette matière les lumières de nos amis, vous n'avez pas ici un repas fort savant, et vous y trouverez des incongruités de bonne chère et des barbarismes de bon goût. Si Damis s'en étoit mêlé, tout seroit dans les règles ; il y auroit partout de l'élégance et de l'érudition, et il ne manqueroit pas de vous exagérer lui−même toutes les pièces du repas qu'il vous donneroit, et de vous faire tomber d'accord de sa -haute capacité dans la science des bons morceaux, de vous parler d'un pain de rive, à biseau doré, relevé d -croûte partout, croquant tendrement sous la dent ; d'un vin à sève veloutée, armé d'un vert qui n'est point +haute capacité dans la science des bons morceaux, de vous parler d'un pain de rive, à biseau doré, relevé de +croûte partout, croquant tendrement sous la dent ; d'un vin à sève veloutée, armé d'un vert qui n'est point trop commandant ; d'un carré de mouton gourmandé de persil ; d'une longe de veau de rivière, longue comme cela, blanche, délicate, et qui sous les dents est une vraie pâte d'amande ; de perdrix relevées d'un fumet surprenant ; et pour son opéra, d'une soupe à bouillon perlé, soutenue d'un jeune gros dindon cantonné de pigeonneaux, et couronnée d'oignons blancs, mariés avec la chicorée. Mais pour moi ; je vous avoue mon -ignorance ; et comme Monsieur Jourdain a fort bien dit, je voudrois que le repas fût plus digne de vous ê +ignorance ; et comme Monsieur Jourdain a fort bien dit, je voudrois que le repas fût plus digne de vous être offert. Dorimène Je ne réponds à ce compliment, qu'en mangeant comme je fais. @@ -45135,23 +45135,23 @@ Ah ! que voilà de belles mains ! Dorimène Les mains sont médiocres, Monsieur Jourdain ; mais vous voulez parler du diamant, qui est fort beau. Monsieur Jourdain -Moi, Madame ! Dieu me garde d'en vouloir parler ; ce ne seroit pas agir en galant homme, et le diamant +Moi, Madame ! Dieu me garde d'en vouloir parler ; ce ne seroit pas agir en galant homme, et le diamant est fort peu de chose. Dorimène Vous êtes bien dégoûté. Monsieur Jourdain Vous avez trop de bonté... Dorante -Allons, qu'on donne du vin à Monsieur Jourdain, et à ces Messieurs, qui nous feront la grâce de nous chan +Allons, qu'on donne du vin à Monsieur Jourdain, et à ces Messieurs, qui nous feront la grâce de nous chanter un air à boire. Dorimène -C'est merveilleusement assaisonner la bonne chère, que d'y mêler la musique, et je me vois ici admirablem +C'est merveilleusement assaisonner la bonne chère, que d'y mêler la musique, et je me vois ici admirablement régalée. Monsieur Jourdain Madame, ce n'est pas... Dorante -Monsieur Jourdain, prêtons silence à ces Messieurs ; ce qu'ils nous diront vaudra mieux que tout ce que n -pourrions dire.(Les Musiciens et la Musicienne prennent des verres, chantent deux chansons à boire, et so +Monsieur Jourdain, prêtons silence à ces Messieurs ; ce qu'ils nous diront vaudra mieux que tout ce que nous +pourrions dire.(Les Musiciens et la Musicienne prennent des verres, chantent deux chansons à boire, et sont soutenus de toute la symphonie.) Première chanson à boire Un petit doigt, Philis, pour commencer le tour. @@ -45215,34 +45215,34 @@ Madame Jourdain, Monsieur Jourdain, Dorimène, Dorante, Musiciens, Musicienne, L Madame Jourdain Ah ! ah ! je trouve ici bonne compagnie, et je vois bien qu'on ne m'y attendoit pas. C'est donc pour cette belle affaire−ci, Monsieur mon mari, que vous avez eu tant d'empressement à m'envoyer dîner chez ma -soeur ? je viens de voir un théâtre là−bas, et je vois ici un banquet à faire noces. Voilà comme vous dépe -votre bien, et c'est ainsi que vous festinez les dames en mon absence, et que vous leur donnez la musique +soeur ? je viens de voir un théâtre là−bas, et je vois ici un banquet à faire noces. Voilà comme vous dépensez +votre bien, et c'est ainsi que vous festinez les dames en mon absence, et que vous leur donnez la musique et la comédie, tandis que vous m'envoyez promener ? Dorante -Que voulez−vous dire, Madame Jourdain ? et quelles fantaisies sont les vôtres, de vous aller mettre en tê -que votre mari dépense son bien, et que c'est lui qui donne ce régale à Madame ? Apprenez que c'est moi -vous prie ; qu'il ne fait seulement que me prêter sa maison ; et que vous devriez un peu mieux regarder a +Que voulez−vous dire, Madame Jourdain ? et quelles fantaisies sont les vôtres, de vous aller mettre en tête +que votre mari dépense son bien, et que c'est lui qui donne ce régale à Madame ? Apprenez que c'est moi, je +vous prie ; qu'il ne fait seulement que me prêter sa maison ; et que vous devriez un peu mieux regarder aux choses que vous dites. Monsieur Jourdain -Oui, impertinente, c'est Monsieur le Comte qui donne tout ceci à Madame, qui est une personne de qualité +Oui, impertinente, c'est Monsieur le Comte qui donne tout ceci à Madame, qui est une personne de qualité. Il me fait l'honneur de prendre ma maison, et de vouloir que je sois avec lui. Madame Jourdain Ce sont des chansons que cela : je sais ce que je sais. Dorante Prenez, Madame Jourdain, prenez de meilleures lunettes. Madame Jourdain -Je n'ai que faire de lunettes, Monsieur, et je vois assez clair ; il y a longtemps que je sens les choses, et je -suis pas une bête. Cela est fort vilain à vous, pour un grand seigneur, de prêter la main comme vous faites +Je n'ai que faire de lunettes, Monsieur, et je vois assez clair ; il y a longtemps que je sens les choses, et je ne +suis pas une bête. Cela est fort vilain à vous, pour un grand seigneur, de prêter la main comme vous faites aux sottises de mon mari. Et vous, Madame, pour une grand−Dame, cela n'est ni beau ni honnête à vous, de mettre la dissension dans un ménage, et de souffrir que mon mari soit amoureux de vous. Dorimène -Que veut donc dire tout ceci ? Allez, Dorante, vous vous moquez, de m'exposer aux sottes visions de cett +Que veut donc dire tout ceci ? Allez, Dorante, vous vous moquez, de m'exposer aux sottes visions de cette extravagante. Dorante Madame, holà ! Madame, où courez−vous ? Monsieur Jourdain Madame ! Monsieur le Comte, faites−lui excuses, et tâchez de la ramener... Ah ! impertinente que vous -êtes ! voilà de vos beaux faits ; vous me venez faire des affronts devant tout le monde, et vous chassez d +êtes ! voilà de vos beaux faits ; vous me venez faire des affronts devant tout le monde, et vous chassez de chez moi des personnes de qualité. Madame Jourdain Je me moque de leur qualité. @@ -45297,8 +45297,8 @@ Comment ? Monsieur Jourdain Il y a de sottes gens qui me veulent dire qu'il a été marchand. Covielle -Lui marchand ! C'est pure médisance, il ne l'a jamais été. Tout ce qu'il faisoit, c'est qu'il étoit fort obligea -fort officieux ; et comme il se connoissoit fort bien en étoffes, il en alloit choisir de tous les côtés, les fais +Lui marchand ! C'est pure médisance, il ne l'a jamais été. Tout ce qu'il faisoit, c'est qu'il étoit fort obligeant, +fort officieux ; et comme il se connoissoit fort bien en étoffes, il en alloit choisir de tous les côtés, les faisoit apporter chez lui, et en donnoit à ses amis pour de l'argent. Monsieur Jourdain Je suis ravi de vous connoître, afin que vous rendiez ce témoignage−là, que mon père était gentilhomme. @@ -45307,7 +45307,7 @@ Je le soutiendrai devant tout le monde. Monsieur Jourdain Vous m'obligerez. Quel sujet vous amène ? Covielle -Depuis avoir connu feu Monsieur votre père, honnête gentilhomme, comme je vous ai dit, j'ai voyagé par +Depuis avoir connu feu Monsieur votre père, honnête gentilhomme, comme je vous ai dit, j'ai voyagé par tout le monde. Monsieur Jourdain Par tout le monde ! @@ -45325,7 +45325,7 @@ Vous savez que le fils du Grand Turc est ici ? Monsieur Jourdain Moi ? Non. Covielle -Comment ? il a un train tout à fait magnifique ; tout le monde le va voir, et il a été reçu en ce pays comm +Comment ? il a un train tout à fait magnifique ; tout le monde le va voir, et il a été reçu en ce pays comme un seigneur d'importance. Monsieur Jourdain Par ma foi ! je ne savais pas cela. @@ -45339,12 +45339,12 @@ Mon gendre, le fils du Grand Turc ! Covielle Le fils du grand Turc ; votre gendre. Comme je le fus voir, et que j'entends parfaitement sa langue, il s'entretint avec moi ; et, après quelques autres discours, il me dit : Acciam croc soler ouch alla moustaph -gidelum amanahem varabini oussere carbulath, c'est−à−dire : "N'as−tu point vu une jeune belle personne +gidelum amanahem varabini oussere carbulath, c'est−à−dire : "N'as−tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de Monsieur Jourdain, gentilhomme parisien ? " Monsieur Jourdain Le fils du Grand Turc dit cela de moi ? Covielle -Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connoissois particulièrement, et que j'avois vu votre fille : "A +Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connoissois particulièrement, et que j'avois vu votre fille : "Ah ! , me dit−il, marababa sahem" ; c'est−à−dire "Ah ! que je suis amoureux d'elle ! " Monsieur Jourdain Marababa sahem veut dire "Ah ! que je suis amoureux d'elle ? " @@ -45373,8 +45373,8 @@ pays. Monsieur Jourdain Mamamouchi ? Covielle -Oui, Mamamouchi ; c'est−à−dire, en notre langue, Paladin. Paladin, ce sont de ces anciens... Paladin enfi -n'y a rien de plus noble que cela dans le monde, et vous irez de pair avec les plus grands seigneurs de la te +Oui, Mamamouchi ; c'est−à−dire, en notre langue, Paladin. Paladin, ce sont de ces anciens... Paladin enfin. Il +n'y a rien de plus noble que cela dans le monde, et vous irez de pair avec les plus grands seigneurs de la terre. Monsieur Jourdain Le fils du Grand Turc m'honore beaucoup, et je vous prie de me mener chez lui pour lui en faire mes remercîments. @@ -45389,19 +45389,19 @@ Voilà qui est bien prompt. Covielle Son amour ne peut souffrir aucun retardement. Monsieur Jourdain -Tout ce qui m'embarrasse ici ; c'est que ma fille est une opiniâtre, qui s'est allée mettre dans la tête un cer +Tout ce qui m'embarrasse ici ; c'est que ma fille est une opiniâtre, qui s'est allée mettre dans la tête un certain Cléonte, et elle jure de n'épouser personne que celui−là. Covielle Elle changera de sentiment quand elle verra le fils du Grand Turc ; et puis il se rencontre ici une aventure -merveilleuse, c'est que le fils du Grand Turc ressemble à ce Cléonte, à peu de chose près. Je viens de le vo -on me l'a montré ; et l'amour qu'elle a pour l'un pourra passer aisément à l'autre, et.... Je l'entends venir ; +merveilleuse, c'est que le fils du Grand Turc ressemble à ce Cléonte, à peu de chose près. Je viens de le voir, +on me l'a montré ; et l'amour qu'elle a pour l'un pourra passer aisément à l'autre, et.... Je l'entends venir ; le voilà. Scène IV Cléonte, en Turc, avec trois pages portants sa veste ; Monsieur Jourdain, Covielle, déguisé Cléonte Ambousahim oqui boraf, Iordina, salamalequi. Covielle -C'est−à−dire : "Monsieur Jourdain, votre coeur soit toute l'année comme un rosier fleuri." Ce sont façons +C'est−à−dire : "Monsieur Jourdain, votre coeur soit toute l'année comme un rosier fleuri." Ce sont façons de parler obligeantes de ces pays−là. Monsieur Jourdain Je suis très humble serviteur de son Altesse Turque. @@ -45427,8 +45427,8 @@ Oui, la langue turque est comme cela, elle dit beaucoup en peu de paroles. Allez Scène V Dorante, Covielle Covielle -Ha, ha, ha. Ma foi ! cela est tout à fait drôle. Quelle dupe ! Quand il auroit appris son rôle par coeur, il n -pourroit pas le mieux jouer. Ah ! ah ! Je vous prie, Monsieur, de nous vouloir aider céans, dans une affai +Ha, ha, ha. Ma foi ! cela est tout à fait drôle. Quelle dupe ! Quand il auroit appris son rôle par coeur, il ne +pourroit pas le mieux jouer. Ah ! ah ! Je vous prie, Monsieur, de nous vouloir aider céans, dans une affaire qui s'y passe. Dorante Ah, ah, Covielle, qui t'auroit reconnu ? Comme te voilà ajusté ! @@ -45451,13 +45451,13 @@ Je sais, Monsieur, que la bête vous est connue. Dorante Apprends−moi ce que c'est. Covielle -Prenez la peine de vous tirer un peu plus loin, pour faire place à ce que j'aperçois venir. Vous pourrez voi +Prenez la peine de vous tirer un peu plus loin, pour faire place à ce que j'aperçois venir. Vous pourrez voir une partie de l'histoire, tandis que je vous conterai le reste. La cérémonie turque pour ennoblir le Bourgeois se fait en danse et en musique, et compose le quatrième intermède. -Le Mufti, quatre Dervis, six Turcs dansants, six Turcs musiciens, et autres joueurs d'instruments à la turqu +Le Mufti, quatre Dervis, six Turcs dansants, six Turcs musiciens, et autres joueurs d'instruments à la turque, sont les acteurs de cette cérémonie. -Le Mufti invoque Mahomet avec les douze Turcs et les quatre Dervis ; après on lui amène le Bourgeois, +Le Mufti invoque Mahomet avec les douze Turcs et les quatre Dervis ; après on lui amène le Bourgeois, vêtu à la turque, sans turban et sans sabre, auquel il chante ces paroles : Le Mufti Se ti sabir, @@ -45468,7 +45468,7 @@ Mi star Mufti : Ti qui star ti ? Non intendir : Tazir, tazir. -Le Mufti demande, en même langue, aux Turcs assistants de quelle religion est le Bourgeois, et ils l'assur +Le Mufti demande, en même langue, aux Turcs assistants de quelle religion est le Bourgeois, et ils l'assurent qu'il est mahométan. Le Mufti invoque Mahomet en langue franque, et chante les paroles qui suivent : Le Mufti Mahametta per Giourdina @@ -45500,7 +45500,7 @@ No, no, no. Le Mufti. Donar turbanta, donar turbanta. Les Turcs répètent tout ce qu'a dit le Mufti pour donner le turban au Bourgeois. Le Mufti et les Dervis se -coiffent avec des turbans de cérémonies, et l'on présente au Mufti l'Alcoran, qui fait une seconde invocati +coiffent avec des turbans de cérémonies, et l'on présente au Mufti l'Alcoran, qui fait une seconde invocation avec tout le reste des Turcs assistants ; après son invocation, il donne au Bourgeois l'épée et chante ces paroles : Le Mufti @@ -45524,8 +45524,8 @@ Acte V Scène I Madame Jourdain, Monsieur Jourdain Madame Jourdain -Ah ! mon Dieu ! miséricorde ! Qu'est−ce que c'est donc que cela ? Quelle figure ! Est−ce un momon q -vous allez porter ; et est−il temps d'aller en masque ? Parlez donc, qu'est−ce que c'est que ceci ? Qui vou +Ah ! mon Dieu ! miséricorde ! Qu'est−ce que c'est donc que cela ? Quelle figure ! Est−ce un momon que +vous allez porter ; et est−il temps d'aller en masque ? Parlez donc, qu'est−ce que c'est que ceci ? Qui vous a fagoté comme cela ? Monsieur Jourdain Voyez l'impertinente, de parler de la sorte à un Mamamouchi ! @@ -45582,20 +45582,20 @@ Hélas ! mon Dieu ! mon mari est devenu fou. Monsieur Jourdain, sortant. Paix ! insolente, portez respect à Monsieur le Mamamouchi. Madame Jourdain -Où est−ce qu'il a donc perdu l'esprit ? Courons l'empêcher de sortir. Ah, ah, voici justement le reste de no +Où est−ce qu'il a donc perdu l'esprit ? Courons l'empêcher de sortir. Ah, ah, voici justement le reste de notre écu. Je ne vois que chagrin de tous les côtés. (Elle sort.) Scène II Dorante, Dorimène. Dorante Oui, Madame, vous verrez la plus plaisante chose qu'on puisse voir ; et je ne crois pas que dans tout le -monde il soit possible de trouver encore un homme aussi fou que celui−là. Et puis, Madame, il faut tâcher -servir l'amour de Cléonte, et d'appuyer toute sa mascarade : c'est un fort galant homme et qui mérite que +monde il soit possible de trouver encore un homme aussi fou que celui−là. Et puis, Madame, il faut tâcher de +servir l'amour de Cléonte, et d'appuyer toute sa mascarade : c'est un fort galant homme et qui mérite que l'on s'intéresse pour lui. Dorimène J'en fais, beaucoup de cas, et il est digne d'une bonne fortune Dorante -Outre cela, nous avons ici, Madame, un ballet qui nous revient, que nous ne devons pas laisser perdre, et i +Outre cela, nous avons ici, Madame, un ballet qui nous revient, que nous ne devons pas laisser perdre, et il faut bien voir si mon idée pourra réussir. Dorimène J'ai vu là des apprêts magnifiques, et ce sont des choses, Dorante, que je ne puis plus souffrir. Oui, je veux @@ -45608,22 +45608,22 @@ Dorimène Ce n'est que pour vous empêcher de vous ruiner ; et, sans cela, je vois bien qu'avant qu'il fût peu, vous n'auriez pas un sou. Dorante. -Que j'ai d'obligation, Madame, aux soins que vous avez de conserver mon bien ! Il est entièrement à vou +Que j'ai d'obligation, Madame, aux soins que vous avez de conserver mon bien ! Il est entièrement à vous, aussi bien que mon coeur, et vous en userez de la façon qu'il vous plaira. Dorimène J'userai bien de tous les deux. Mais voici votre homme ; la figure en est admirable. Scène III Monsieur Jourdain, Dorante, Dorimène Dorante -Monsieur, nous venons rendre hommage, Madame et moi, à votre nouvelle dignité, et nous réjouir avec v +Monsieur, nous venons rendre hommage, Madame et moi, à votre nouvelle dignité, et nous réjouir avec vous du mariage que vous faites de votre fille avec le fils du Grand Turc. Monsieur Jourdain, après avoir fait les révérences à la turque. Monsieur, je vous souhaite la force des serpents et la prudence des lions. Dorimène -J'ai été bien aise d'être des premières, Monsieur, à venir vous féliciter du haut degré de gloire où vous ête +J'ai été bien aise d'être des premières, Monsieur, à venir vous féliciter du haut degré de gloire où vous êtes monté. Monsieur Jourdain -Madame, je vous souhaite toute l'année votre rosier fleuri ; je vous suis infiniment obligé de prendre part +Madame, je vous souhaite toute l'année votre rosier fleuri ; je vous suis infiniment obligé de prendre part aux honneurs qui m'arrivent et j'ai beaucoup de joie de vous voir revenue ici pour vous faire les très−humbles excuses de l'extravagance de ma femme. Dorimène @@ -45632,7 +45632,7 @@ Cela n'est rien, j'excuse en elle un pareil mouvement ; votre coeur lui doit ê Monsieur Jourdain La possession de mon coeur est une chose qui vous est toute acquise. Dorante -Vous voyez, Madame, que Monsieur Jourdain n'est pas de ces gens que les prospérités aveuglent, et qu'il +Vous voyez, Madame, que Monsieur Jourdain n'est pas de ces gens que les prospérités aveuglent, et qu'il sait, dans sa gloire, connoître encore ses amis. Dorimène C'est la marque d'une âme tout à fait généreuse. @@ -45646,12 +45646,12 @@ Dorante Monsieur nous venons faire la révérence à Votre Altesse, comme amis de Monsieur votre beau−père, et l'assurer avec respect de nos très−humbles services. Monsieur Jourdain -Où est le truchement, pour lui dire qui vous êtes, et lui faire entendre ce que vous dites ! Vous verrez qu'i +Où est le truchement, pour lui dire qui vous êtes, et lui faire entendre ce que vous dites ! Vous verrez qu'il vous répondra, et il parle turc à merveille. Holà ! où diantre est−il allé ? .(A Cléonte.) Strouf, strif, strof, straf. Monsieur est un grande Segnore, grande Segnore, grande Segnore ; et Madame une granda Dama, granda Dama. Ahi, lui, Monsieur, lui Mamamouchi françois, et Madame Mamamouchie françoise ; je ne -puis pas parler plus clairement. Bon, voici l'interprète. Où allez−vous donc ? nous ne saurions rien dire sa -vous. Dites−lui un peu que Monsieur et Madame sont des. personnes de grande qualité, qui lui viennent f +puis pas parler plus clairement. Bon, voici l'interprète. Où allez−vous donc ? nous ne saurions rien dire sans +vous. Dites−lui un peu que Monsieur et Madame sont des. personnes de grande qualité, qui lui viennent faire la révérence, comme mes amis, et l'assurer de leurs services. Vous allez voir comme il va répondre. Covielle Alabala crociam acci boram alabamen. @@ -45673,7 +45673,7 @@ demander en mariage. Lucile Comment, mon père, comme vous voilà fait ! est−ce une comédie que vous jouez ? Monsieur Jourdain -Non, non, ce n'est pas une comédie, c'est une affaire fort sérieuse, et la plus pleine d'honneur pour vous qu +Non, non, ce n'est pas une comédie, c'est une affaire fort sérieuse, et la plus pleine d'honneur pour vous qui se peut souhaiter. Voilà le mari que je vous donne. Lucile A moi, mon père ! @@ -45688,8 +45688,8 @@ Je n'en ferai rien. Monsieur Jourdain Ah ! que de bruit ! Allons, vous dis−je. Çà, votre main. Lucile -Non, mon père, je vous l'ai dit, il n'est point de pouvoir qui me puisse obliger de prendre un autre mari qu -Cléonte ; et je me résoudrai plutôt à toutes les extrémités, que de... (Reconnoissant Cléonte.) Il est vrai qu +Non, mon père, je vous l'ai dit, il n'est point de pouvoir qui me puisse obliger de prendre un autre mari que +Cléonte ; et je me résoudrai plutôt à toutes les extrémités, que de... (Reconnoissant Cléonte.) Il est vrai que vous êtes mon père, je vous dois entière obéissance, et c'est à vous à disposer de moi selon vos volontés. Monsieur Jourdain Ah ! je suis ravi de vous voir si promptement revenue dans votre devoir, et voilà qui me plaît, d'avoir une @@ -45697,13 +45697,13 @@ fille obéissante. Scène dernière Madame Jourdain, Monsieur Jourdain, Cléonte, etc. Madame Jourdain -Comment donc ? qu'est−ce que c'est que ceci ? On dit que vous voulez donner votre fille en mariage à u +Comment donc ? qu'est−ce que c'est que ceci ? On dit que vous voulez donner votre fille en mariage à un carême−prenant. Monsieur Jourdain -Voulez−vous vous taire, impertinente ? Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, et +Voulez−vous vous taire, impertinente ? Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, et il n'y a pas moyen de vous apprendre à être raisonnable. Madame Jourdain -C'est vous qu'il n'y a pas moyen de rendre sage, et vous allez de folie en folie. Quel est votre dessein, et q +C'est vous qu'il n'y a pas moyen de rendre sage, et vous allez de folie en folie. Quel est votre dessein, et que voulez−vous faire avec cet assemblage ? Monsieur Jourdain Je veux marier notre fille avec le fils du Grand Turc. @@ -45716,7 +45716,7 @@ Je n'ai que faire du truchement, et je lui dirai bien moi−même à son nez qu' Monsieur Jourdain Voulez−vous vous taire, encore une fois ? Dorante. -Comment, Madame Jourdain, vous vous opposez à un bonheur comme celui−là ? Vous refusez Son Alte +Comment, Madame Jourdain, vous vous opposez à un bonheur comme celui−là ? Vous refusez Son Altesse Turque pour gendre ? Monsieur Jourdain Mon Dieu, Monsieur, mêlez−vous de vos affaires. @@ -45763,7 +45763,7 @@ Un mot. Madame Jourdain Je n'ai que faire de votre mot. Covielle, à M. Jourdain -Monsieur, si elle veut écouter une parole en particulier, je vous promets de la faire consentir à ce que vou +Monsieur, si elle veut écouter une parole en particulier, je vous promets de la faire consentir à ce que vous voulez. Madame Jourdain Je n'y consentirai point.. @@ -45786,7 +45786,7 @@ Ne faites que m'écouter ; vous ferez après ce qu'il vous plaira. Madame Jourdain Hé bien ! quoi ? Covielle, à part. -Il y a une heure, Madame, que nous vous faisons signe. Ne voyez−vous pas bien que tout ceci n'est fait qu +Il y a une heure, Madame, que nous vous faisons signe. Ne voyez−vous pas bien que tout ceci n'est fait que pour nous ajuster aux visions de votre mari, que nous l'abusons sous ce déguisement, et que c'est Cléonte lui−même qui est le fils du Grand Turc ? Madame Jourdain @@ -45800,13 +45800,13 @@ Ne faites pas semblant de rien. Madame Jourdain Oui, voilà qui est fait, je consens au mariage. Monsieur Jourdain -Ah ! voilà tout le monde raisonnable. Vous ne vouliez pas l'écouter. Je savois bien qu'il vous expliqueroi +Ah ! voilà tout le monde raisonnable. Vous ne vouliez pas l'écouter. Je savois bien qu'il vous expliqueroit ce que c'est que le fils du Grand Turc. Madame Jourdain Il me l'a expliqué comme il faut, et j'en suis satisfaite. Envoyons querir un notaire. Dorante -C'est fort bien dit. Et afin, Madame Jourdain, que vous puissiez avoir l'esprit tout à fait content, et que vou -perdiez aujourd'hui toute la jalousie que vous pourriez avoir conçue de Monsieur votre mari, c'est que nou +C'est fort bien dit. Et afin, Madame Jourdain, que vous puissiez avoir l'esprit tout à fait content, et que vous +perdiez aujourd'hui toute la jalousie que vous pourriez avoir conçue de Monsieur votre mari, c'est que nous nous servirons du même notaire pour nous marier, Madame et moi. Madame Jourdain Je consens aussi à cela. @@ -45817,7 +45817,7 @@ Il faut bien l'amuser avec cette feinte. Monsieur Jourdain Bon bon. Qu'on aille vite querir le notaire. Dorante -Tandis qu'il viendra, et qu'il dressera les contrats, voyons notre ballet, et donnons−en le divertissement à S +Tandis qu'il viendra, et qu'il dressera les contrats, voyons notre ballet, et donnons−en le divertissement à Son Altesse Turque. Monsieur Jourdain C'est fort bien avisé : allons prendre nos places. @@ -45830,7 +45830,7 @@ Monsieur, je vous remercie. Si l'on en peut voir un plus fou, je l'irai dire à (La comédie finit par un petit ballet qui avoit été préparé.) Ballet des nations Première entrée -Un homme vient donner les livres du ballet, qui d'abord est fatigué par une multitude de gens de province +Un homme vient donner les livres du ballet, qui d'abord est fatigué par une multitude de gens de provinces différentes, qui crient en musique pour en avoir, et par trois Importuns, qu'il trouve toujours sur ses pas. Dialogue des gens, Qui en musique demandent des livres @@ -46029,7 +46029,7 @@ Ch'il penaré è'l mio contento, E'l sanarmi è tirannia. Ahi ! che più giova e piace, Quanto amor è più vivace ! -(Après l'air que la Musicienne a chanté, deux Scaramouches, deux Trivelins, et un Arlequin représentent u +(Après l'air que la Musicienne a chanté, deux Scaramouches, deux Trivelins, et un Arlequin représentent une nuit à la manière des comédiens italiens, en cadence.) (Un Musicien italien se joint à la Musicienne italienne, et chante avec elle les paroles qui suivent : ) Le Musicien italien @@ -46095,8 +46095,8 @@ Quels spectacles charmants, quels plaisirs goûtons−nous ! Les Dieux mêmes, les Dieux n'en ont point de plus doux. Psyché Tragédie−Ballet -Représentée pour le roi dans la grande salle des machines du Palais des tuileries en janvier et durant tout l -carnaval de l'année 1671 par la Troupe du Roi et donnée au public sur le Théâtre de la salle du Palais−Ro +Représentée pour le roi dans la grande salle des machines du Palais des tuileries en janvier et durant tout le +carnaval de l'année 1671 par la Troupe du Roi et donnée au public sur le Théâtre de la salle du Palais−Royal, le 24e juillet 1671 Personnages Jupiter. @@ -46112,10 +46112,10 @@ Le zéphire. Lycas. Le Dieu d'un fleuve. Prologue -La scène représente sur le devant un lieu champêtre, et dans l'enfoncement un rocher percé à jour, à traver +La scène représente sur le devant un lieu champêtre, et dans l'enfoncement un rocher percé à jour, à travers duquel on voit la mer en éloignement. -Flore paroît au milieu du théâtre, accompagnée de Vertumne, dieu des arbres et des fruits, et de Palaemon -dieu des eaux. Chacun de ces dieux conduit une troupe de divinités ; l'un mène à sa suite des Dryades et d +Flore paroît au milieu du théâtre, accompagnée de Vertumne, dieu des arbres et des fruits, et de Palaemon, +dieu des eaux. Chacun de ces dieux conduit une troupe de divinités ; l'un mène à sa suite des Dryades et des Sylvains ; et l'autre des Dieux des fleuves et des Naïades. Flore chante ce récit pour inviter Vénus à descendre en terre : Ce n'est plus le temps de la guerre ; @@ -46163,7 +46163,7 @@ Ne se fait jamais bien aimer. Palaemon C'est la beauté qui commence de plaire, Mais la douceur achève de charmer. -Flore répond au dialogue de Vertumne et de Palaemon par ce menuet et les autres Divinités y mêlent leur +Flore répond au dialogue de Vertumne et de Palaemon par ce menuet et les autres Divinités y mêlent leurs danses : Est−on sage Dans le bel âge, @@ -46788,7 +46788,7 @@ Un mal que nous pouvons regarder comme un bien. Premier intermède La scène est... La scène est changée en des rochers affreux, et fait voir en éloignement une grotte effroyable. -C'est dans ce désert que Psyché doit être exposée, pour obéir à l'oracle. Une troupe de personnes affligées +C'est dans ce désert que Psyché doit être exposée, pour obéir à l'oracle. Une troupe de personnes affligées y viennent déplorer sa disgrâce. Une partie de cette troupe désolée témoigne sa pitié par des plaintes touchantes, et par des concerts lugubres, et l'autre exprime sa désolation par une danse pleine de toutes les marques du plus violent désespoir. @@ -47010,7 +47010,7 @@ Il le faut toutefois, le Ciel m'en fait la loi ; Une rigueur inévitable M'oblige à te laisser en ce funeste lieu. Adieu : je vais... Adieu. -Ce qui suit, jusqu'à la fin de la pièce, est de M. C..., à la réserve de la première scène du troisième acte, qu +Ce qui suit, jusqu'à la fin de la pièce, est de M. C..., à la réserve de la première scène du troisième acte, qui est de la même main que ce qui a précédé. Scène II Psyché, Aglaure, Cidippe @@ -47222,9 +47222,9 @@ Où l'Amour de Psyché veut essuyer les larmes, Et lui rendre les armes. Second intermède La scène se change... -La scène se change en une cour magnifique, ornée de colonnes de lapis enrichies de figures d'or, qui form -un palais pompeux et brillant, que l'Amour destine pour Psyché. Six Cyclopes, avec quatre Fées, y font un -entrée de ballet, où ils achèvent, en cadence, quatre gros vases d'argent que les Fées leur ont apportés. Cet +La scène se change en une cour magnifique, ornée de colonnes de lapis enrichies de figures d'or, qui forment +un palais pompeux et brillant, que l'Amour destine pour Psyché. Six Cyclopes, avec quatre Fées, y font une +entrée de ballet, où ils achèvent, en cadence, quatre gros vases d'argent que les Fées leur ont apportés. Cette entrée est entrecoupée par ce récit de Vulcain, qu'il fait à deux reprises : Dépêchez, préparez ces lieux Pour le plus aimable des Dieux ; @@ -47652,7 +47652,7 @@ S'il faut des soins et des travaux, En aimant, On est payé de mille maux Par un heureux moment. -(Le théâtre devient un autre palais magnifique, coupé dans le fond par un vestibule, au travers duquel on v +(Le théâtre devient un autre palais magnifique, coupé dans le fond par un vestibule, au travers duquel on voit un jardin superbe et charmant décoré de plusieurs vases d'orangers et d'arbres chargés de toutes sortes de fruits.) Acte IV @@ -47835,7 +47835,7 @@ Et quand vous lui peindrez un si charmant empire... Aglaure Nous savons toutes deux ce qu'il faut taire, ou dire, Et n'avons pas besoin sur ce point de leçons. -(Le Zéphire enlève les deux soeurs de Psyché dans un nuage qui descend jusqu'à terre, et dans lequel il le +(Le Zéphire enlève les deux soeurs de Psyché dans un nuage qui descend jusqu'à terre, et dans lequel il les emporte avec rapidité.) Scène III L'Amour, Psyché @@ -47985,8 +47985,8 @@ Et pour tout fruit de ce doute éclairci, Le Destin, sous qui le Ciel tremble, Plus fort que mon amour, que tous les Dieux ensemble. Vous va montrer sa haine, et me chasse d'ici. -(L'Amour disparoît ; et, dans l'instant qu'il s'envole, le superbe jardin s'évanouit. Psyché demeure seule a -milieu d'une vaste campagne, et sur le bord sauvage d'un grand fleuve où elle se veut précipiter. Le Dieu d +(L'Amour disparoît ; et, dans l'instant qu'il s'envole, le superbe jardin s'évanouit. Psyché demeure seule au +milieu d'une vaste campagne, et sur le bord sauvage d'un grand fleuve où elle se veut précipiter. Le Dieu du fleuve paroît assis sur un amas de joncs et de roseaux et appuyé sur une grande urne, d'où sort une grosse source d'eau.) Scène IV @@ -48125,10 +48125,10 @@ Quatrième intermède La scène représente... La scène représente les Enfers. On y voit une mer toute de feu, dont les flots sont dans une perpétuelle agitation. Cette mer effroyable est bornée par des ruines enflammées ; et au milieu de ses flots agités, au -travers d'une gueule affreuse, paraît le palais infernal de Pluton. Huit Furies en sortent, et forment une ent -de ballet, où elles se réjouissent de la rage qu'elles ont allumée dans l'âme de la plus douce des Divinités. +travers d'une gueule affreuse, paraît le palais infernal de Pluton. Huit Furies en sortent, et forment une entrée +de ballet, où elles se réjouissent de la rage qu'elles ont allumée dans l'âme de la plus douce des Divinités. Un Lutin mêle quantité de sauts périlleux à leurs danses, cependant que Psyché, qui a passé aux Enfers par le -commandement de Vénus, repasse dans la barque de Charon, avec la boîte qu'elle a reçue de Proserpine p +commandement de Vénus, repasse dans la barque de Charon, avec la boîte qu'elle a reçue de Proserpine pour cette déesse. Acte V Scène I @@ -48552,11 +48552,11 @@ Venez, amants, venez aux Cieux Achever un si grand et si digne hyménée ; Viens−y, belle Psyché, changer de destinée, Viens prendre place au rang des Dieux. -(Deux grandes machines descendent aux deux côtés de Jupiter, cependant qu'il dit ces derniers vers. Vénu +(Deux grandes machines descendent aux deux côtés de Jupiter, cependant qu'il dit ces derniers vers. Vénus avec sa suite monte dans l'une, l'Amour avec Psyché dans l'autre, et tous ensemble remontent au ciel.) Les Divinités, qui avoient été partagées entre Vénus et son fils, se réunissent en les voyant d'accord ; et toutes ensemble, par des concerts, des chants, et des danses, célèbrent la fête des noces de l'Amour. -Apollon paroît le premier et comme Dieu de l'harmonie, commence à chanter, pour inviter les autres Dieu +Apollon paroît le premier et comme Dieu de l'harmonie, commence à chanter, pour inviter les autres Dieux à se réjouir.) Récit d'Apollon Unissons−nous, troupe immortelle : @@ -48621,7 +48621,7 @@ Mais quand un coeur est enivré d'amour, Souvent c'est pour toute la vie. Entrée de ballet, Composée de deux Ménades et de deux Aegipans qui suivent Bacchus -(Mome déclare qu'il n'a point de plus doux emploi que de médire, et que ce n'est qu'à l'Amour seul qu'il n +(Mome déclare qu'il n'a point de plus doux emploi que de médire, et que ce n'est qu'à l'Amour seul qu'il n'ose se jouer.) Récit de Mome Je cherche à médire @@ -48635,7 +48635,7 @@ De n'épargner personne. Entrée de ballet, Composée de quatre polichinelles et de deux matassins qui suivent Mome, et viennent joindre leur plaisanterie et leur badinage aux divertissements de cette grande fête. -(Bacchus et Mome, qui les conduisent, chantent au milieu d'eux chacun une chanson, Bacchus à la louang +(Bacchus et Mome, qui les conduisent, chantent au milieu d'eux chacun une chanson, Bacchus à la louange du vin, et Mome une chanson enjouée sur le sujet et les avantages de la raillerie.) Récit de Bacchus Admirons le jus de la treille : @@ -48661,7 +48661,7 @@ Sans la douceur que l'on goûte à médire, On trouve peu de plaisirs sans ennui : Rien n'est si plaisant que de rire, Quand on rit aux dépens d'autrui. -(Mars arrive au milieu du théâtre, suivi de sa troupe guerrière, qu'il excite à profiter de leur loisir en prena +(Mars arrive au milieu du théâtre, suivi de sa troupe guerrière, qu'il excite à profiter de leur loisir en prenant part aux divertissements.) Récit de Mars Laissons en paix toute la terre, @@ -48684,8 +48684,8 @@ Célébrons ce beau jour Par mille doux chants d'allégresse, Célébrons ce beau jour Par mille doux chants pleins d'amour. -(Dans le grand salon du palais des Tuileries, où Psyché a été représentée devant Leurs Majestés, il y avoit -timbales, des trompettes et des tambours mêlés dans ces derniers concerts, et ce dernier couplet se chanto +(Dans le grand salon du palais des Tuileries, où Psyché a été représentée devant Leurs Majestés, il y avoit des +timbales, des trompettes et des tambours mêlés dans ces derniers concerts, et ce dernier couplet se chantoit ainsi : ) Chantons les plaisirs charmants Des heureux amants @@ -48697,7 +48697,7 @@ Accordez−vous toujours Avec le doux chant des amours. Les Fourberies de Scapin Comédie -Représentée la première fois à Paris sur le Théâtre de la salle du Palais−Royal le 24e mai 1671 par la trou +Représentée la première fois à Paris sur le Théâtre de la salle du Palais−Royal le 24e mai 1671 par la troupe du Roi Personnages Argante, père d'Octave et de Zerbinette. @@ -48756,7 +48756,7 @@ comme elles sont. Octave Conseille−moi, du moins, et me dis ce que je dois faire dans ces cruelles conjonctures. Silvestre -Ma foi ! je m'y trouve autant embarrassé que vous, et j'aurois bon besoin que l'on me conseillât moi−mêm +Ma foi ! je m'y trouve autant embarrassé que vous, et j'aurois bon besoin que l'on me conseillât moi−même. Octave Je suis assassiné par ce maudit retour. Silvestre @@ -48766,7 +48766,7 @@ Lorsque mon père apprendra les choses, je vais voir fondre sur moi un orage sou réprimandes. Silvestre Les réprimandes ne sont rien ; et plût au Ciel que j'en fusse quitte à ce prix ! mais j'ai bien la mine, pour -moi, de payer plus cher vos folies, et je vois se former de loin un nuage de coups de bâton qui crèvera sur +moi, de payer plus cher vos folies, et je vois se former de loin un nuage de coups de bâton qui crèvera sur mes épaules. Octave O Ciel ! par où sortir de l'embarras où je me trouve ? @@ -48801,14 +48801,14 @@ Scapin Non ; mais il ne tiendra qu'à vous que je ne la sache bientôt ; et je suis homme consolatif, homme à m'intéresser aux affaires des jeunes gens. Octave -Ah ! Scapin, si tu pouvois trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine o +Ah ! Scapin, si tu pouvois trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je suis, je croirois t'être redevable de plus que de la vie. Scapin A vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m'en veux mêler. J'ai sans -doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d'esprit, de ces galante +doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d'esprit, de ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies ; et je puis dire, sans vanité, qu'on n'a -guère vu d'homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d'intrigues, qui ait acquis plus de gloire que m -dans ce noble métier : mais, ma foi ! le mérite est trop maltraité aujourd'hui, et j'ai renoncé à toutes chos +guère vu d'homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d'intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi +dans ce noble métier : mais, ma foi ! le mérite est trop maltraité aujourd'hui, et j'ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d'une affaire qui m'arriva. Octave Comment ? quelle affaire, Scapin ? @@ -48821,15 +48821,15 @@ Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble. Silvestre Toi et la justice ! Scapin -Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte contre l'ingratitude du siècle que je résol +Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte contre l'ingratitude du siècle que je résolus de ne plus rien faire. Baste ! Ne laissez pas de me conter votre aventure. Octave -Tu sais, Scapin, qu'il y a deux mois que le seigneur Géronte et mon père s'embarquèrent ensemble pour u +Tu sais, Scapin, qu'il y a deux mois que le seigneur Géronte et mon père s'embarquèrent ensemble pour un voyage qui regarde certain commerce où leurs intérêts sont mêlés. Scapin Je sais cela. Octave -Et que Léandre et moi nous fûmes laissés par nos pères, moi sous la conduite de Silvestre, et Léandre sou +Et que Léandre et moi nous fûmes laissés par nos pères, moi sous la conduite de Silvestre, et Léandre sous ta direction. Scapin Oui : je me suis fort bien acquitté de ma charge. @@ -48838,32 +48838,32 @@ Quelque temps après, Léandre fit rencontre d'une jeune Egyptienne dont il devi Scapin Je sais cela encore. Octave -Comme nous sommes grands amis, il me fit aussitôt confidence de son amour, et me mena voir cette fille -que je trouvai belle à la vérité, mais non pas tant qu'il vouloit que je la trouvasse. Il ne m'entretenoit que d +Comme nous sommes grands amis, il me fit aussitôt confidence de son amour, et me mena voir cette fille, +que je trouvai belle à la vérité, mais non pas tant qu'il vouloit que je la trouvasse. Il ne m'entretenoit que d'elle chaque jour ; m'exagéroit à tous moments sa beauté et sa grâce ; me louoit son esprit, et me parloit avec transport des charmes de son entretien, dont il me rapportoit jusqu'aux moindres paroles, qu'il s'efforçoit toujours de me faire trouver les plus spirituelles du monde. Il me querelloit quelquefois de n'être pas assez -sensible aux choses qu'il me venoit dire, et me blâmoit sans cesse de l'indifférence où j'étois pour les jeux +sensible aux choses qu'il me venoit dire, et me blâmoit sans cesse de l'indifférence où j'étois pour les jeux de l'amour. Scapin Je ne vois pas encore où ceci veut aller. Octave Un jour que je l'accompagnois pour aller chez les gens qui gardent l'objet de ses voeux, nous entendîmes, -dans une petite maison d'une rue écartée, quelques plaintes mêlées de beaucoup de sanglots. Nous deman -ce que c'est. Une femme nous dit, en soupirant, que nous pouvions voir là quelque chose de pitoyable en d +dans une petite maison d'une rue écartée, quelques plaintes mêlées de beaucoup de sanglots. Nous demandons +ce que c'est. Une femme nous dit, en soupirant, que nous pouvions voir là quelque chose de pitoyable en des personnes étrangères, et qu'à moins que d'être insensibles, nous en serions touchés. Scapin Où est−ce que cela nous mène ? Octave -La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que c'étoit. Nous entrons dans une salle, où nous voyons un -vieille femme mourante, assistée d'une servante qui faisoit des regrets, et d'une jeune fille toute fondante e +La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que c'étoit. Nous entrons dans une salle, où nous voyons une +vieille femme mourante, assistée d'une servante qui faisoit des regrets, et d'une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle et la plus touchante qu'on puisse jamais voir. Scapin Ah, ah ! Octave Un autre auroit paru effroyable en l'état où elle étoit ; car elle n'avoit pour habillement qu'une méchante -petite jupe avec des brassières de nuit qui étoient de simple futaine ; et sa coiffure étoit une cornette jaun -retroussée au haut de sa tête, qui laissoit tomber en désordre ses cheveux sur ses épaules ; et cependant, f +petite jupe avec des brassières de nuit qui étoient de simple futaine ; et sa coiffure étoit une cornette jaune, +retroussée au haut de sa tête, qui laissoit tomber en désordre ses cheveux sur ses épaules ; et cependant, faite comme cela, elle brilloit de mille attraits, et ce n'étoit qu'agréments et que charmes que toute sa personne. Scapin Je sens venir les choses. @@ -48872,7 +48872,7 @@ Si tu l'avois vue, Scapin, en l'état que je dis, tu l'aurois trouvée admirable Scapin Oh ! je n'en doute point ; et, sans l'avoir vue, je vois bien qu'elle étoit tout à fait charmante. Octave -Ses larmes n'étoient point de ces larmes désagréables qui défigurent un visage ; elle avoit à pleure une gr +Ses larmes n'étoient point de ces larmes désagréables qui défigurent un visage ; elle avoit à pleure une grâce touchante, et sa douleur étoit la plus belle du monde. Scapin Je vois tout cela. @@ -48886,71 +48886,71 @@ Ah ! Scapin, un barbare l'auroit aimée. Scapin Assurément : le moyen de s'en empêcher ? Octave -Après quelques paroles, dont je tâchai d'adoucir la douleur de cette charmante affligée, nous sortîmes de l +Après quelques paroles, dont je tâchai d'adoucir la douleur de cette charmante affligée, nous sortîmes de là ; et demandant à Léandre ce qu'il lui sembloit de cette personne, il me répondit froidement qu'il la trouvoit -assez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m'en parloit, et je ne voulus point lui découvrir l'eff +assez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m'en parloit, et je ne voulus point lui découvrir l'effet que ses beautés avoient fait sur mon âme. Silvestre -Si vous n'abrégez ce récit, nous en voilà pour jusqu'à demain. Laissez−le−moi finir en deux mots. Son coe -prend feu dès ce moment. Il ne sauroit plus vivre, qu'il n'aille consoler son aimable affligée. Ses fréquente +Si vous n'abrégez ce récit, nous en voilà pour jusqu'à demain. Laissez−le−moi finir en deux mots. Son coeur +prend feu dès ce moment. Il ne sauroit plus vivre, qu'il n'aille consoler son aimable affligée. Ses fréquentes visites sont rejetées de la servante, devenue la gouvernante par le trépas de la mère : voilà mon homme au -désespoir. Il presse, supplie, conjure : point d'affaire. On lui dit que la fille, quoique sans bien, et sans app -est de famille honnête ; et qu'à moins que de l'épouser, on ne peut souffrir ses poursuites. Voilà son amou -augmenté par les difficultés. Il consulte dans sa tête, agite, raisonne, balance, prend sa résolution : le voil +désespoir. Il presse, supplie, conjure : point d'affaire. On lui dit que la fille, quoique sans bien, et sans appui, +est de famille honnête ; et qu'à moins que de l'épouser, on ne peut souffrir ses poursuites. Voilà son amour +augmenté par les difficultés. Il consulte dans sa tête, agite, raisonne, balance, prend sa résolution : le voilà marié avec elle depuis trois jours. Scapin J'entends. Silvestre -Maintenant mets avec cela le retour imprévu du père, qu'on n'attendoit que dans deux mois ; la découvert +Maintenant mets avec cela le retour imprévu du père, qu'on n'attendoit que dans deux mois ; la découverte que l'oncle a faite du secret de notre mariage, et l'autre mariage qu'on veut faire de lui avec la fille que le seigneur Géronte a eue d'une seconde femme qu'on dit qu'il a épousée à Tarente. Octave -Et par−dessus tout cela mets encore l'indigence où se trouve cette aimable personne, et l'impuissance où j +Et par−dessus tout cela mets encore l'indigence où se trouve cette aimable personne, et l'impuissance où je me vois d'avoir de quoi la secourir. Scapin Est−ce là tout ? Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une bagatelle. C'est bien là de quoi se tant alarmer. N'as−tu point de honte, toi, de demeurer court à si peu de chose ? Que diable ! te voilà grand et gros comme père et mère, et tu ne saurois trouver dans ta tête, forger dans ton esprit quelque ruse galante, -quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires ? Fi ! peste soit du butor ! Je voudrois bien q -l'on m'eût donné autrefois nos vieillards à duper ; je les aurois joués tous deux par−dessous la jambe ; et +quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires ? Fi ! peste soit du butor ! Je voudrois bien que +l'on m'eût donné autrefois nos vieillards à duper ; je les aurois joués tous deux par−dessous la jambe ; et je n'étois pas plus grand que cela, que je me signalois déjà par cent tours d'adresse jolis. Silvestre -J'avoue que le Ciel ne m'a pas donné tes talents, et que je n'ai pas l'esprit, comme toi, de me brouiller avec +J'avoue que le Ciel ne m'a pas donné tes talents, et que je n'ai pas l'esprit, comme toi, de me brouiller avec la justice. Octave Voici mon aimable Hyacinte. Scène III Hyacinte, Octave, Scapin, Silvestre Hyacinte -Ah ! Octave, est−il vrai ce que Silvestre vient de dire à Nérine ? que votre père est de retour, et qu'il veu +Ah ! Octave, est−il vrai ce que Silvestre vient de dire à Nérine ? que votre père est de retour, et qu'il veut vous marier ? Octave Oui, belle Hyacinte, et ces nouvelles m'ont donné une atteinte cruelle. Mais que vois−je ? vous pleurez ! -Pourquoi ces larmes ? Me soupçonnez−vous, dites−moi, de quelque infidélité, et n'êtes−vous pas assurée +Pourquoi ces larmes ? Me soupçonnez−vous, dites−moi, de quelque infidélité, et n'êtes−vous pas assurée de l'amour que j'ai pour vous ? Hyacinte Oui, Octave, je suis sûre que vous m'aimez ; mais je ne le suis pas que vous m'aimiez toujours. Octave Eh ! peut−on vous aimer qu'on ne vous aime toute sa vie ? Hyacinte -J'ai ouï dire, Octave, que votre sexe aime moins longtemps que le nôtre, et que les ardeurs que les homme +J'ai ouï dire, Octave, que votre sexe aime moins longtemps que le nôtre, et que les ardeurs que les hommes font voir sont des feux qui s'éteignent aussi facilement qu'ils naissent. Octave -Ah ! ma chère Hyacinte, mon coeur n'est donc pas fait comme celui des autres hommes, et je sens bien p +Ah ! ma chère Hyacinte, mon coeur n'est donc pas fait comme celui des autres hommes, et je sens bien pour moi que je vous aimerai jusqu'au tombeau. Hyacinte Je veux croire que vous sentez ce que vous dites, et je ne doute point que vos paroles ne soient sincères ; -mais je crains un pouvoir qui combattra dans votre coeur les tendres sentiments que vous pouvez avoir po -moi. Vous dépendez d'un père, qui veut vous marier à une autre personne ; et je suis sûre que je mourrai, +mais je crains un pouvoir qui combattra dans votre coeur les tendres sentiments que vous pouvez avoir pour +moi. Vous dépendez d'un père, qui veut vous marier à une autre personne ; et je suis sûre que je mourrai, si ce malheur m'arrive. Octave -Non, belle Hyacinte, il n'y a point de père qui puisse me contraindre à vous manquer de foi, et je me résou -à quitter mon pays, et le jour même, s'il est besoin, plutôt qu'à vous quitter. J'ai déjà pris, sans l'avoir vue, +Non, belle Hyacinte, il n'y a point de père qui puisse me contraindre à vous manquer de foi, et je me résoudrai +à quitter mon pays, et le jour même, s'il est besoin, plutôt qu'à vous quitter. J'ai déjà pris, sans l'avoir vue, une aversion effroyable pour celle que l'on me destine ; et, sans être cruel, je souhaiterois que la mer l'écartât -d'ici pour jamais. Ne pleurez donc point, je vous prie, mon aimable Hyacinte, car vos larmes me tuent, et +d'ici pour jamais. Ne pleurez donc point, je vous prie, mon aimable Hyacinte, car vos larmes me tuent, et je ne les puis voir sans me sentir percer le coeur. Hyacinte -Puisque vous le voulez, je veux bien essuyer mes pleurs, et j'attendrai d'un oeil constant ce qu'il plaira au +Puisque vous le voulez, je veux bien essuyer mes pleurs, et j'attendrai d'un oeil constant ce qu'il plaira au Ciel de résoudre de moi. Octave Le Ciel nous sera favorable. @@ -48963,7 +48963,7 @@ Je serai donc heureuse. Scapin, à part. Elle n'est pas tant sotte, ma foi ! et je la trouve assez passable. Octave, montrant Scapin. -Voici un homme qui pourroit bien, s'il le vouloit, nous être, dans tous nos besoins, d'un secours merveille +Voici un homme qui pourroit bien, s'il le vouloit, nous être, dans tous nos besoins, d'un secours merveilleux. Scapin J'ai fait de grands serments de ne me mêler plus du monde ; mais, si vous m'en priez bien fort tous deux, peut−être... @@ -48973,24 +48973,24 @@ conduite de notre barque. Scapin, à Hyacinte. Et vous, ne me dites−vous rien ? Hyacinte -Je vous conjure, à son exemple, par tout ce qui vous est le plus cher au monde, de vouloir servir notre am +Je vous conjure, à son exemple, par tout ce qui vous est le plus cher au monde, de vouloir servir notre amour. Scapin Il faut se laisser vaincre, et avoir de l'humanité. Allez, je veux m'employer pour vous. Octave Crois que... Scapin -Chut ! (A Hyacinte.) Allez−vous−en, vous, et soyez en repos. (A Octave.) Et vous, préparez−vous à sout +Chut ! (A Hyacinte.) Allez−vous−en, vous, et soyez en repos. (A Octave.) Et vous, préparez−vous à soutenir avec fermeté l'abord de votre père. Octave -Je t'avoue que cet abord me fait trembler par avance, et j'ai une timidité naturelle que je ne saurois vaincre +Je t'avoue que cet abord me fait trembler par avance, et j'ai une timidité naturelle que je ne saurois vaincre. Scapin -Il faut pourtant paroître ferme au premier choc, de peur que, sur votre foiblesse, il ne prenne le pied de vo -mener comme un enfant. Là, tâchez de vous composer par étude. Un peu de hardiesse, et songez à répond +Il faut pourtant paroître ferme au premier choc, de peur que, sur votre foiblesse, il ne prenne le pied de vous +mener comme un enfant. Là, tâchez de vous composer par étude. Un peu de hardiesse, et songez à répondre résolûment sur tout ce qu'il pourra vous dire. Octave Je ferai du mieux que je pourrai. Scapin -Cà, essayons un peu, pour vous accoutumer. Répétons un peu votre rôle et voyons si vous ferez bien. Allo +Cà, essayons un peu, pour vous accoutumer. Répétons un peu votre rôle et voyons si vous ferez bien. Allons. La mine résolue, la tête haute, les regards assurés. Octave Comme cela ? @@ -49001,10 +49001,10 @@ Ainsi ? Scapin Bon. Imaginez−vous que je suis votre père qui arrive, et répondez−moi fermement, comme si c'étoit à lui−même. "Comment, pendard, vaurien, infâme, fils indigne d'un père comme moi, oses−tu bien paroître -devant mes yeux, après tes bons déportements, après le lâche tour que tu m'as joué pendant mon absence -Est−ce là le fruit de mes soins, maraud ? est−ce là le fruit de mes soins ? le respect qui m'est dû ? le resp +devant mes yeux, après tes bons déportements, après le lâche tour que tu m'as joué pendant mon absence ? +Est−ce là le fruit de mes soins, maraud ? est−ce là le fruit de mes soins ? le respect qui m'est dû ? le respect que tu me conserves ? " Allons donc. "Tu as l'insolence, fripon, de t'engager sans le consentement de ton -père, de contracter un mariage clandestin ? Réponds−moi, coquin, réponds−moi. Voyons un peu tes belle +père, de contracter un mariage clandestin ? Réponds−moi, coquin, réponds−moi. Voyons un peu tes belles raisons." Oh ! que diable ! vous demeurez interdit ! Octave C'est que je m'imagine que c'est mon père que j'entends. @@ -49111,20 +49111,20 @@ Un fils qui se marie sans le consentement de son père ? Scapin Oui, il y a quelque chose à dire à cela. Mais je serois d'avis que vous ne fissiez point de bruit. Argante -Je ne suis pas de cet avis, moi, et je veux faire du bruit tout mon soûl. Quoi ? tu ne trouves pas que j'aye t +Je ne suis pas de cet avis, moi, et je veux faire du bruit tout mon soûl. Quoi ? tu ne trouves pas que j'aye tous les sujets du monde d'être en colère ? Scapin -Si fait. J'y ai d'abord été, moi, lorsque j'ai su la chose, et je me suis intéressé pour vous, jusqu'à quereller v -fils. Demandez−lui un peu quelles belles réprimandes je lui ai faites, et comme je l'ai chapitré sur le peu d -respect qu'il gardoit à un père dont il devoit baiser les pas ? On ne peut pas lui mieux parler, quand ce ser -vous−même. Mais quoi ? je me suis rendu à la raison, et j'ai considéré que, dans le fond, il n'a pas tant de +Si fait. J'y ai d'abord été, moi, lorsque j'ai su la chose, et je me suis intéressé pour vous, jusqu'à quereller votre +fils. Demandez−lui un peu quelles belles réprimandes je lui ai faites, et comme je l'ai chapitré sur le peu de +respect qu'il gardoit à un père dont il devoit baiser les pas ? On ne peut pas lui mieux parler, quand ce seroit +vous−même. Mais quoi ? je me suis rendu à la raison, et j'ai considéré que, dans le fond, il n'a pas tant de tort qu'on pourroit croire. Argante Que me viens−tu conter ? Il n'a pas tant de tort de s'aller marier de but en blanc avec une inconnue ? Scapin Que voulez−vous ? il y a été poussé par sa destinée. Argante -Ah ! ah ! voici une raison la plus belle du monde. On n'a plus qu'à commettre tous les crimes imaginable +Ah ! ah ! voici une raison la plus belle du monde. On n'a plus qu'à commettre tous les crimes imaginables, tromper, voler, assassiner, et dire pour excuse qu'on y a été poussé par sa destinée. Scapin Mon Dieu ! vous prenez mes paroles trop en philosophe. Je veux dire qu'il s'est trouvé fatalement engagé @@ -49132,19 +49132,19 @@ dans cette affaire. Argante Et pourquoi s'y engageoit−il ? Scapin -Voulez−vous qu'il soit aussi sage que vous ? Les jeunes gens sont jeunes, et n'ont pas toute la prudence q +Voulez−vous qu'il soit aussi sage que vous ? Les jeunes gens sont jeunes, et n'ont pas toute la prudence qu'il leur faudroit pour ne rien faire que de raisonnable : témoin notre Léandre, qui, malgré toutes mes leçons, -malgré toutes mes remontrances, est allé faire de son côté pis encore que votre fils. Je voudrois bien savoi -vous−même n'avez pas été jeune, et n'avez pas, dans votre temps, fait des fredaines comme les autres. J'ai -dire, moi, que vous avez été autrefois un compagnon parmi les femmes, que vous faisiez de votre drôle av +malgré toutes mes remontrances, est allé faire de son côté pis encore que votre fils. Je voudrois bien savoir si +vous−même n'avez pas été jeune, et n'avez pas, dans votre temps, fait des fredaines comme les autres. J'ai ouï +dire, moi, que vous avez été autrefois un compagnon parmi les femmes, que vous faisiez de votre drôle avec les plus galantes de ce temps−là, et que vous n'en approchiez point que vous ne poussassiez à bout. Argante Cela est vrai, j'en demeure d'accord ; mais je m'en suis toujours tenu à la galanterie, et je n'ai point été jusqu'à faire ce qu'il a fait. Scapin -Que vouliez−vous qu'il fît ? Il voit une jeune personne qui lui veut du bien (car il tient cela de vous, d'êtr +Que vouliez−vous qu'il fît ? Il voit une jeune personne qui lui veut du bien (car il tient cela de vous, d'être aimé de toutes les femmes). Il la trouve charmante. Il lui rend des visites, lui conte des douceurs, soupire -galamment, fait le passionné. Elle se rend à sa poursuite. Il pousse sa fortune. Le voilà surpris avec elle pa +galamment, fait le passionné. Elle se rend à sa poursuite. Il pousse sa fortune. Le voilà surpris avec elle par ses parents, qui, la force à la main, le contraignent de l'épouser. Silvestre, à part. L'habile fourbe que voilà ! @@ -49187,7 +49187,7 @@ Non. Argante Mon fils ? Scapin -Votre fils. Voulez−vous qu'il confesse qu'il ait été capable de crainte, et que ce soit par force qu'on lui ait +Votre fils. Voulez−vous qu'il confesse qu'il ait été capable de crainte, et que ce soit par force qu'on lui ait fait faire les choses ? Il n'a garde d'aller avouer cela. Ce seroit se faire tort, et se montrer indigne d'un père comme vous. Argante @@ -49256,7 +49256,7 @@ Scapin Mon Dieu ! je vous connois, vous êtes bon naturellement. Argante Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux. Finissons ce discours qui m'échauffe la bile. (A -Silvestre.) Va−t'en, pendard, va−t'en me chercher mon fripon, tandis que j'ira rejoindre le seigneur Géront +Silvestre.) Va−t'en, pendard, va−t'en me chercher mon fripon, tandis que j'ira rejoindre le seigneur Géronte, pour lui conter ma disgrâce. Scapin Monsieur, si je vous puis être utile en quelque chose, vous n'avez qu'à me commander. @@ -49269,9 +49269,9 @@ Silvestre J'avoue que tu es un grand homme, et voilà l'affaire en bon train ; mais l'argent, d'autre part, nous presse pour notre subsistance, et nous avons, de tous côtés, des gens qui aboient après nous. Scapin -Laisse−moi faire, la machine est trouvée. Je cherche seulement dans ma tête un homme qui nous soit affid -pour jouer un personnage dont j'ai besoin. Attends. Tiens−toi un peu. Enfonce ton bonnet en méchant gar -Campe−toi sur un pied. Mets la main au côté. Fais les yeux furibonds. Marche un peu en roi de théâtre. V +Laisse−moi faire, la machine est trouvée. Je cherche seulement dans ma tête un homme qui nous soit affidé, +pour jouer un personnage dont j'ai besoin. Attends. Tiens−toi un peu. Enfonce ton bonnet en méchant garçon. +Campe−toi sur un pied. Mets la main au côté. Fais les yeux furibonds. Marche un peu en roi de théâtre. Voilà qui est bien. Suis−moi. J'ai des secrets pour déguiser ton visage et ta voix. Silvestre Je te conjure au moins de ne m'aller point brouiller avec la justice. @@ -49284,10 +49284,10 @@ Géronte, Argante Géronte Oui, sans doute, par le temps qu'il fait, nous aurons ici nos gens aujourd'hui ; et un matelot qui vient de Tarente m'a assuré qu'il avoit vu mon homme qui étoit près de s'embarquer. Mais l'arrivée de ma fille -trouvera les choses mal disposées à ce que nous nous proposions ; et ce que vous venez de m'apprendre d +trouvera les choses mal disposées à ce que nous nous proposions ; et ce que vous venez de m'apprendre de votre fils rompt étrangement les mesures que nous avions prises ensemble. Argante -Ne vous mettez pas en peine : je vous réponds de renverser tout cet obstacle, et j'y vais travailler de ce pa +Ne vous mettez pas en peine : je vous réponds de renverser tout cet obstacle, et j'y vais travailler de ce pas. Géronte Ma foi ! seigneur Argante, voulez−vous que je vous dise ? l'éducation des enfants est une chose à quoi il faut s'attacher fortement. @@ -49303,7 +49303,7 @@ Ce que je veux dire par là ? Argante Oui. Géronte -Que si vous aviez, en brave père, bien moriginé votre fils, il ne vous auroit pas joué le tour qu'il vous a fa +Que si vous aviez, en brave père, bien moriginé votre fils, il ne vous auroit pas joué le tour qu'il vous a fait. Argante Fort bien. De sorte donc que vous avez bien mieux moriginé le vôtre ? Géronte @@ -49317,7 +49317,7 @@ Comment ? Géronte Qu'est−ce que cela veut dire ? Argante -Cela veut dire, seigneur Géronte, qu'il ne faut pas être si prompt à condamner la conduite des autres ; et q +Cela veut dire, seigneur Géronte, qu'il ne faut pas être si prompt à condamner la conduite des autres ; et que ceux qui veulent gloser, doivent bien regarder chez eux s'il n'y a rien qui cloche. Géronte Je n'entends point cette énigme. @@ -49330,13 +49330,13 @@ Cela se peut faire. Géronte Et quoi encore ? Argante -Votre Scapin, dans mon dépit, ne m'a dit la chose qu'en gros ; et vous pourrez de lui, ou de quelque autre -être instruit du détail. Pour moi, je vais vite consulter un avocat, et aviser des biais que j'ai à prendre. Jusq +Votre Scapin, dans mon dépit, ne m'a dit la chose qu'en gros ; et vous pourrez de lui, ou de quelque autre, +être instruit du détail. Pour moi, je vais vite consulter un avocat, et aviser des biais que j'ai à prendre. Jusqu'au revoir. Scène II Léandre, Géronte Géronte, seul. -Que pourroit−ce être que cette affaire−ci ? Pis encore que le sien ? Pour moi, je ne vois pas ce que l'on p +Que pourroit−ce être que cette affaire−ci ? Pis encore que le sien ? Pour moi, je ne vois pas ce que l'on peut faire de pis ; et je trouve que se marier sans le consentement de son père est une action qui passe tout ce qu'on peut s'imaginer. Ah ! vous voilà. Léandre, en courant à lui pour l'embrasser. @@ -49390,14 +49390,14 @@ Ah ! ah ! ce mot vous fait rougir. Léandre Il vous a dit quelque chose de moi ? Géronte -Ce lieu n'est pas tout à fait propre à vuider cette affaire, et nous allons l'examiner ailleurs. Qu'on se rende -logis, J'y vais revenir tout à l'heure. Ah ! traître, s'il faut que tu me déshonores, je te renonce pour mon fil +Ce lieu n'est pas tout à fait propre à vuider cette affaire, et nous allons l'examiner ailleurs. Qu'on se rende au +logis, J'y vais revenir tout à l'heure. Ah ! traître, s'il faut que tu me déshonores, je te renonce pour mon fils ; et tu peux bien pour jamais te résoudre à fuir de ma présence. Scène III Octave, Scapin, Léandre Léandre -Me trahir de cette manière ! Un coquin qui doit, par cent raisons, être le premier à cacher les choses que j -lui confie, est le premier à les aller découvrir à mon père. Ah ! je jure le Ciel que cette trahison ne demeu +Me trahir de cette manière ! Un coquin qui doit, par cent raisons, être le premier à cacher les choses que je +lui confie, est le premier à les aller découvrir à mon père. Ah ! je jure le Ciel que cette trahison ne demeurera pas impunie. Octave Mon cher Scapin, que ne dois−je point à tes soins ! Que tu es un homme admirable ! et que le Ciel m'est @@ -49429,9 +49429,9 @@ Ce que tu m'as fait, traître ! Octave, le retenant. Eh ! doucement. Léandre -Non, Octave, je veux qu'il me confesse lui−même tout à l'heure la perfidie qu'il m'a faite. Oui, coquin, je -le trait que tu m'as joué, on vient de me l'apprendre ; et tu ne croyois pas peut−être que l'on me dût révéle -secret ; mais je veux en avoir la confession de ta propre bouche, ou je vais te passer cette épée au travers +Non, Octave, je veux qu'il me confesse lui−même tout à l'heure la perfidie qu'il m'a faite. Oui, coquin, je sais +le trait que tu m'as joué, on vient de me l'apprendre ; et tu ne croyois pas peut−être que l'on me dût révéler ce +secret ; mais je veux en avoir la confession de ta propre bouche, ou je vais te passer cette épée au travers du corps. Scapin Ah ! Monsieur, auriez−vous bien ce coeur−là ? @@ -49448,8 +49448,8 @@ Tu l'ignores ! Octave, le retenant. Léandre. Scapin -Hé bien ! Monsieur, puisque vous le voulez, je vous confesse que j'ai bu avec mes amis ce petit quartaut -vin d'Espagne dont on vous fit présent il y a quelques jours ; et que c'est moi qui fis une fente au tonneau +Hé bien ! Monsieur, puisque vous le voulez, je vous confesse que j'ai bu avec mes amis ce petit quartaut de +vin d'Espagne dont on vous fit présent il y a quelques jours ; et que c'est moi qui fis une fente au tonneau, et répandis de l'eau autour, pour faire croire que le vin s'étoit échappé. Léandre C'est toi, pendard, qui m'as bu mon vin d'Espagne, et qui as été cause que j'ai tant querellé la servante, @@ -49471,8 +49471,8 @@ Eh ! Octave, le retenant. Tout doux. Scapin -Oui, Monsieur, il est vrai qu'il y a trois semaines que vous m'envoyâtes porter, le soir, une petite montre à -jeune Egyptienne que vous aimez. Je revins au logis mes habits tout couverts de boue, et le visage plein d +Oui, Monsieur, il est vrai qu'il y a trois semaines que vous m'envoyâtes porter, le soir, une petite montre à la +jeune Egyptienne que vous aimez. Je revins au logis mes habits tout couverts de boue, et le visage plein de sang, et vous dis que j'avois trouvé des voleurs qui m'avoient bien battu, et m'avoient dérobé la montre. C'étoit moi, Monsieur, qui l'avois retenue. Léandre @@ -49509,7 +49509,7 @@ Scapin Oui, Monsieur, seulement pour vous faire peur, et vous ôter l'envie de nous faire courir, toutes les nuits ; comme vous aviez de coutume. Léandre -Je saurai me souvenir, en temps et lieu, de tout ce que je viens d'apprendre. Mais je veux venir au fait, et q +Je saurai me souvenir, en temps et lieu, de tout ce que je viens d'apprendre. Mais je veux venir au fait, et que tu me confesses ce que tu as dit à mon père. Scapin A votre père ? @@ -49536,7 +49536,7 @@ Monsieur, je vous apporte une nouvelle qui est fâcheuse pour votre amour ? Léandre Comment ? Carle -Vos Egyptiens sont sur le point de vous enlever Zerbinette, et elle−même, les larmes aux yeux, m'a charg +Vos Egyptiens sont sur le point de vous enlever Zerbinette, et elle−même, les larmes aux yeux, m'a chargé de venir promptement vous dire que si, dans deux heures, vous ne songez à leur porter l'argent qu'il vous ont demandé pour elle, vous l'allez perdre pour jamais. Léandre @@ -49550,7 +49550,7 @@ Scapin, passant devant lui avec un air fier. Léandre Va, je te pardonne tout ce que tu viens de me dire, et pis encore, si tu me l'as fait. Scapin -Non, non, ne me pardonnez rien. Passez−moi votre épée au travers du corps. Je serai ravi que vous me tui +Non, non, ne me pardonnez rien. Passez−moi votre épée au travers du corps. Je serai ravi que vous me tuiez. Léandre Non. Je te conjure plutôt de me donner la vie, en servant mon amour. Scapin @@ -49608,24 +49608,24 @@ Et à vous ? Octave Deux cents pistoles. Scapin -Je veux tirer cet argent de vos pères. (A Octave.) Pour ce qui est du vôtre, la machine est déjà toute trouvé +Je veux tirer cet argent de vos pères. (A Octave.) Pour ce qui est du vôtre, la machine est déjà toute trouvée ; (à Léandre) et quant au vôtre, bien qu'avare au dernier degré, il y faudra moins de façons encore, car vous -savez que, pour l'esprit, il n'en a pas, grâces à Dieu ! grande provision et je le livre pour une espèce d'hom +savez que, pour l'esprit, il n'en a pas, grâces à Dieu ! grande provision et je le livre pour une espèce d'homme à qui l'on fera toujours croire tout ce que l'on voudra. Cela ne vous offense point : il ne tombe entre lui et -vous aucun soupçon de ressemblance ; et vous savez assez l'opinion de tout le monde, qui veut qu'il ne so +vous aucun soupçon de ressemblance ; et vous savez assez l'opinion de tout le monde, qui veut qu'il ne soit votre père que pour la forme. Léandre Tout beau, Scapin. Scapin Bon, bon, on fait bien scrupule de cela : vous moquez−vous ? Mais j'aperçois venir le père d'Octave. -Commençons par lui, puisqu'il se présente. Allez−vous−en tous deux. (A Octave). Et vous, avertissez vot +Commençons par lui, puisqu'il se présente. Allez−vous−en tous deux. (A Octave). Et vous, avertissez votre Silvestre de venir vite jouer son rôle. Scène V Argante, Scapin Scapin, à part. Le voilà qui rumine. Argante, se croyant seul. -Avoir si peu de conduite et de considération ! s'aller jeter dans un engagement comme celui−là ! Ah, ah +Avoir si peu de conduite et de considération ! s'aller jeter dans un engagement comme celui−là ! Ah, ah ! jeunesse impertinente ! Scapin Monsieur, votre serviteur. @@ -49641,30 +49641,30 @@ longtemps, une parole d'un ancien que j'ai toujours retenue. Argante Quoi ? Scapin -Que pour peu qu'un père de famille ait été absent de chez lui, il doit promener son esprit sur tous les fâche -accidents que son retour peut rencontrer : se figurer sa maison brûlée, son argent dérobé, sa femme morte -son fils estropié ; sa fille subornée ; et ce qu'il trouve qu'il ne lui est point arrivé, l'imputer à bonne fortun -Pour moi, j'ai pratiqué toujours cette leçon dans ma petite philosophie ; et je ne suis jamais revenu au log -que je ne me sois tenu prêt à la colère de mes maîtres, aux réprimandes, aux injures, aux coups de pied au +Que pour peu qu'un père de famille ait été absent de chez lui, il doit promener son esprit sur tous les fâcheux +accidents que son retour peut rencontrer : se figurer sa maison brûlée, son argent dérobé, sa femme morte, +son fils estropié ; sa fille subornée ; et ce qu'il trouve qu'il ne lui est point arrivé, l'imputer à bonne fortune. +Pour moi, j'ai pratiqué toujours cette leçon dans ma petite philosophie ; et je ne suis jamais revenu au logis, +que je ne me sois tenu prêt à la colère de mes maîtres, aux réprimandes, aux injures, aux coups de pied au cul, aux bastonnades, aux étrivières ; et ce qui a manqué à m'arriver, j'en ai rendu grâce à mon bon destin. Argante -Voilà qui est bien. Mais ce mariage impertinent qui trouble celui que nous voulons faire est une chose que +Voilà qui est bien. Mais ce mariage impertinent qui trouble celui que nous voulons faire est une chose que je ne puis souffrir, et je viens de consulter des avocats pour le faire casser. Scapin -Ma foi ! Monsieur, si vous m'en croyez, vous tâcherez, par quelque autre voie, d'accommoder l'affaire. V +Ma foi ! Monsieur, si vous m'en croyez, vous tâcherez, par quelque autre voie, d'accommoder l'affaire. Vous savez ce que c'est que les procès en ce pays−ci, et vous allez vous enfoncer dans d'étranges épines. Argante Tu as raison, je le vois bien. Mais quelle autre voie ? Scapin Je pense que j'en ai trouvé une. La compassion que m'a donnée tantôt votre chagrin m'a obligé à chercher -dans ma tête quelque moyen pour vous tirer d'inquiétude ; car je ne saurois voir d'honnêtes pères chagrin +dans ma tête quelque moyen pour vous tirer d'inquiétude ; car je ne saurois voir d'honnêtes pères chagrinés par leurs enfants que cela ne m'émeuve ; et, de tout temps, je me suis senti pour votre personne une inclination particulière. Argante Je te suis obligé. Scapin -J'ai donc été trouver le frère de cette fille qui a été épousée. C'est un de ces braves de profession, de ces g -qui sont tous coups d'épée, qui ne parlent que d'échiner, et ne font non plus de conscience de tuer un hom +J'ai donc été trouver le frère de cette fille qui a été épousée. C'est un de ces braves de profession, de ces gens +qui sont tous coups d'épée, qui ne parlent que d'échiner, et ne font non plus de conscience de tuer un homme que d'avaler un verre de vin. Je l'ai mis sur ce mariage, lui ai fait voir quelle facilité offroit la raison de la violence pour le faire casser, vos prérogatives du nom de père, et l'appui que vous donneroit auprès de la justice et votre droit, et votre argent, et vos amis. Enfin je l'ai tant tourné de tous les côtés, qu'il a prêté @@ -49685,11 +49685,11 @@ Il ne parloit pas moins que de cinq ou six cents pistoles. Argante Cinq ou six cents fièvres quartaines qui le puissent serrer ! Se moque−t−il des gens ? Scapin -C'est ce que je lui ai dit. J'ai rejeté bien loin de pareilles propositions, et je lui ai bien fait entendre que vou -n'étiez point une dupe, pour vous demander des cinq ou six cents pistoles. Enfin, après plusieurs discours -voici où s'est réduit le résultat de notre conférence. "Nous voilà au temps, m'a−t−il dit, que je dois partir p -l'armée. Je suis après à m'équiper, et le besoin que j'ai de quelque argent me fait consentir, malgré moi, à -qu'on me propose. Il me faut un cheval de service, et je n'en saurois avoir un qui soit tant soit peu raisonn +C'est ce que je lui ai dit. J'ai rejeté bien loin de pareilles propositions, et je lui ai bien fait entendre que vous +n'étiez point une dupe, pour vous demander des cinq ou six cents pistoles. Enfin, après plusieurs discours, +voici où s'est réduit le résultat de notre conférence. "Nous voilà au temps, m'a−t−il dit, que je dois partir pour +l'armée. Je suis après à m'équiper, et le besoin que j'ai de quelque argent me fait consentir, malgré moi, à ce +qu'on me propose. Il me faut un cheval de service, et je n'en saurois avoir un qui soit tant soit peu raisonnable à moins de soixante pistoles." Argante Hé bien ! pour soixante pistoles, je les donne. @@ -49714,7 +49714,7 @@ Voulez−vous que son valet aille à pied ? Argante Qu'il aille comme il lui plaira, et le maître aussi. Scapin -Mon Dieu ! Monsieur, ne vous arrêtez point à peu de chose. N'allez point plaider, je vous prie, et donnez +Mon Dieu ! Monsieur, ne vous arrêtez point à peu de chose. N'allez point plaider, je vous prie, et donnez tout pour vous sauver des mains de la justice. Argante Hé bien ! soit, je me résous à donner encore ces trente pistoles. @@ -49735,19 +49735,19 @@ Considérez... Argante Non ! j'aime mieux plaider. Scapin -Eh ! Monsieur, de quoi parlez−vous là, et à quoi vous résolvez−vous ? Jetez les yeux sur les détours de l +Eh ! Monsieur, de quoi parlez−vous là, et à quoi vous résolvez−vous ? Jetez les yeux sur les détours de la justice ; voyez combien d'appels et de degrés de jurisdiction, combien de procédures embarrassantes, combien d'animaux ravissants par les griffes desquels il vous faudra passer, sergents, procureurs, avocats, -greffiers, substituts, rapporteurs, juges, et leurs clercs. Il n'y pas un de tous ces gens−là qui, pour la moind -chose, ne soit capable de donner un soufflet au meilleur droit du monde. Un sergent baillera de faux explo -sur quoi vous serez condamné sans que vous le sachiez. Votre procureur s'entendra avec votre partie, et v +greffiers, substituts, rapporteurs, juges, et leurs clercs. Il n'y pas un de tous ces gens−là qui, pour la moindre +chose, ne soit capable de donner un soufflet au meilleur droit du monde. Un sergent baillera de faux exploits, +sur quoi vous serez condamné sans que vous le sachiez. Votre procureur s'entendra avec votre partie, et vous vendra à beaux deniers comptants. Votre avocat, gagné de même, ne se trouvera point lorsqu'on plaidera votre cause, ou dira des raisons qui ne feront que battre la campagne, et n'iront point au fait. Le greffier -délivrera par contumace des sentences et arrêts contre vous. Le clerc du rapporteur soustraira des pièces, o -rapporteur même ne dira pas ce qu'il a vu. Et quand, par les plus grandes précautions du monde, vous aure -paré tout cela, vous serez ébahi que vos juges auront été sollicités contre vous, ou par des gens dévots, ou -des femmes qu'ils aimeront. Eh ! Monsieur, si vous le pouvez sauvez−vous de cet enfer−là. C'est être dam -dès ce monde que d'avoir à plaider ; et la seule pensée d'un procès seroit capable de me faire fuir jusqu'au +délivrera par contumace des sentences et arrêts contre vous. Le clerc du rapporteur soustraira des pièces, ou le +rapporteur même ne dira pas ce qu'il a vu. Et quand, par les plus grandes précautions du monde, vous aurez +paré tout cela, vous serez ébahi que vos juges auront été sollicités contre vous, ou par des gens dévots, ou par +des femmes qu'ils aimeront. Eh ! Monsieur, si vous le pouvez sauvez−vous de cet enfer−là. C'est être damné +dès ce monde que d'avoir à plaider ; et la seule pensée d'un procès seroit capable de me faire fuir jusqu'aux Indes. Argante A combien est−ce qu'il fait monter le mulet ? @@ -49770,19 +49770,19 @@ Argante Je veux plaider. Scapin Mais, pour plaider, il vous faudra de l'argent : il vous en faudra pour l'exploit ; il vous en faudra pour le -contrôle ; il vous en faudra pour la procuration, pour la présentation, conseils, productions ; et journées d -procureur ; il vous en faudra pour les consultations et plaidoiries des avocats, pour le droit de retirer le sa +contrôle ; il vous en faudra pour la procuration, pour la présentation, conseils, productions ; et journées du +procureur ; il vous en faudra pour les consultations et plaidoiries des avocats, pour le droit de retirer le sac, et pour les grosses d'écritures ; il vous en faudra pour le rapport des substituts ; pour les épices de conclusion ; pour l'enregistrement du greffier, façon d'appointement, sentences et arrêts, contrôles, -signatures, et expéditions de leurs clercs, sans parler de tous les présents qu'il vous faudra faire. Donnez c +signatures, et expéditions de leurs clercs, sans parler de tous les présents qu'il vous faudra faire. Donnez cet argent−là à cet homme−ci, vous voilà hors d'affaire. Argante Comment, deux cents pistoles ? Scapin Oui : vous y gagnerez. J'ai fait un petit calcul en moi−même de tous les frais de la justice ; et j'ai trouvé -qu'en donnant deux cents pistoles à votre homme, vous en aurez de reste pour le moins cent cinquante, sa -compter les soins, les pas, et les chagrins que vous épargnerez. Quand il n'y auroit à essuyer que les sottis -que disent devant tout le monde de méchants plaisants d'avocats, j'aimerois mieux donner trois cents pisto +qu'en donnant deux cents pistoles à votre homme, vous en aurez de reste pour le moins cent cinquante, sans +compter les soins, les pas, et les chagrins que vous épargnerez. Quand il n'y auroit à essuyer que les sottises +que disent devant tout le monde de méchants plaisants d'avocats, j'aimerois mieux donner trois cents pistoles que plaider. Argante Je me moque de cela, et je défie les avocats de rien dire de moi. @@ -49801,7 +49801,7 @@ Pourquoi, Monsieur ? Silvestre Je viens d'apprendre qu'il veut me mettre en procès, et faire rompre par justice le mariage de ma soeur. Scapin -Je ne sais pas s'il a cette pensée ; mais il ne veut point consentir aux deux cents pistoles que vous voulez, +Je ne sais pas s'il a cette pensée ; mais il ne veut point consentir aux deux cents pistoles que vous voulez, et il dit que c'est trop. Silvestre Par la mort ! par la tête ! par le ventre ! si je le trouve, je le veux échiner, dussé−je être roué tout vif. @@ -49809,7 +49809,7 @@ Par la mort ! par la tête ! par le ventre ! si je le trouve, je le veux éch Scapin Monsieur, ce père d'Octave a du coeur, et peut−être ne vous craindra−t−il point. Silvestre -Lui ? lui ? Par le sang ! par la tête ! s'il étoit là, je lui donnerois tout à l'heure de l'épée dans le ventre. Q +Lui ? lui ? Par le sang ! par la tête ! s'il étoit là, je lui donnerois tout à l'heure de l'épée dans le ventre. Qui est cet homme−là ? Scapin Ce n'est pas lui, Monsieur, ce n'est pas lui. @@ -49826,7 +49826,7 @@ Ah, parbleu ! j'en suis ravi. Vous êtes ennemi, Monsieur, de ce faquin d'Argan Scapin Oui, oui, je vous en réponds. Silvestre, lui prend rudement la main. -Touchez là, touchez. Je vous donne ma parole, et vous jure sur mon honneur, par l'épée que je porte, par t +Touchez là, touchez. Je vous donne ma parole, et vous jure sur mon honneur, par l'épée que je porte, par tous les serments que je saurois faire, qu'avant la fin du jour je vous déferai de ce maraud fieffé, de ce faquin d'Argante. Reposez−vous sur moi. Scapin @@ -49838,12 +49838,12 @@ Il se tiendra sur ses gardes assurément ; et il a des parents, des amis, et de secours contre votre ressentiment. Silvestre C'est ce que je demande, morbleu ! c'est ce que je demande. (Il met l'épée à la main et pousse de tous les -côtés, comme s'il y avoit plusieurs personnes devant lui.) Ah, tête ! ah, ventre ! Que ne le trouvé−je à cet +côtés, comme s'il y avoit plusieurs personnes devant lui.) Ah, tête ! ah, ventre ! Que ne le trouvé−je à cette heure avec tout son secours ! Que ne paroît−il à mes yeux au milieu de trente personnes ! Que ne les -vois−je fondre sur moi les armes à la main ! Comment, marauds, vous avez la hardiesse de vous attaquer +vois−je fondre sur moi les armes à la main ! Comment, marauds, vous avez la hardiesse de vous attaquer à moi ? Allons, morbleu ! tue, point de quartier. Donnons. Ferme. Poussons. Bon pied, bon oeil, Ah ! -coquins, ah ! canaille, vous en voulez par là ; je vous en ferai tâter votre soûl. Soutenez, marauds, souten -Allons. A cette botte. A cette autre. A celle−ci. A celle−là. Comment, vous reculez ? Pied ferme, morbleu +coquins, ah ! canaille, vous en voulez par là ; je vous en ferai tâter votre soûl. Soutenez, marauds, soutenez. +Allons. A cette botte. A cette autre. A celle−ci. A celle−là. Comment, vous reculez ? Pied ferme, morbleu ! pied ferme. Scapin Eh, eh, eh ! Monsieur, nous n'en sommes pas. @@ -49863,7 +49863,7 @@ J'en suis ravi, pour l'amour de vous. Argante Allons le trouver, je les ai sur moi. Scapin -Vous n'avez qu'à me les donner. Il ne faut pas pour votre honneur que vous paroissiez là, après avoir pass +Vous n'avez qu'à me les donner. Il ne faut pas pour votre honneur que vous paroissiez là, après avoir passé ici pour autre que ce que vous êtes ; et de plus, je craindrois qu'en vous faisant connoître il n'allât s'aviser de vous demander davantage. Argante @@ -49873,14 +49873,14 @@ Est−ce que vous vous défiez de moi ? Argante Non pas ; mais... Scapin -Parbleu, Monsieur, je suis un fourbe, ou je suis honnête homme : c'est l'un des deux. Est−ce que je voudr -vous tromper, et que dans tout ceci j'ai d'autre intérêt que le vôtre, et celui de mon maître, à qui vous voul -vous allier ? Si je vous suis suspect, je ne me mêle plus de rien, et vous n'avez qu'à chercher, dès cette he +Parbleu, Monsieur, je suis un fourbe, ou je suis honnête homme : c'est l'un des deux. Est−ce que je voudrois +vous tromper, et que dans tout ceci j'ai d'autre intérêt que le vôtre, et celui de mon maître, à qui vous voulez +vous allier ? Si je vous suis suspect, je ne me mêle plus de rien, et vous n'avez qu'à chercher, dès cette heure, qui accommodera vos affaires. Argante Tiens donc. Scapin -Non, Monsieur, ne me confiez point votre argent. Je serai bien aise que vous vous serviez de quelque autr +Non, Monsieur, ne me confiez point votre argent. Je serai bien aise que vous vous serviez de quelque autre. Argante Mon Dieu ! tiens. Scapin @@ -49934,16 +49934,16 @@ Géronte Et quelle ? Scapin Je l'ai trouvé tantôt tout triste, de je ne sais quoi que vous lui avez dit, où vous m'avez mêlé assez mal à -propos ; et, cherchant à divertir cette tristesse, nous nous sommes allés promener sur le port. Là, entre au +propos ; et, cherchant à divertir cette tristesse, nous nous sommes allés promener sur le port. Là, entre autres plusieurs choses, nous avons arrêté nos yeux sur une galère turque assez bien équipée. Un jeune Turc de bonne mine nous a invités d'y entrer, et nous a présenté la main. Nous y avons passé ; il nous a fait mille -civilités, nous a donné la collation, où nous avons mangé des fruits les plus excellents qui se puissent voir +civilités, nous a donné la collation, où nous avons mangé des fruits les plus excellents qui se puissent voir, et bu du vin que nous avons trouvé le meilleur du monde. Géronte Qu'y a−t−il de si affligeant à tout cela ? Scapin -Attendez, Monsieur, nous y voici. Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer, et, se voy -éloigné du port, il m'a fait mettre dans un esquif, et m'envoie vous dire que, si vous ne lui envoyez par mo +Attendez, Monsieur, nous y voici. Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer, et, se voyant +éloigné du port, il m'a fait mettre dans un esquif, et m'envoie vous dire que, si vous ne lui envoyez par moi tout à l'heure cinq cents écus, il va vous emmener votre fils en Alger. Géronte Comment, diantre ! cinq cents écus ? @@ -49952,7 +49952,7 @@ Oui, Monsieur ; et de plus, il ne m'a donné pour cela que deux heures. Géronte Ah ! le pendard de Turc, m'assassiner de la façon ! Scapin -C'est à vous, Monsieur, d'aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec +C'est à vous, Monsieur, d'aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse. Géronte Que diable alloit−il faire dans cette galère ? @@ -49971,10 +49971,10 @@ Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici l'action d'un serviteur fidèle. Scapin Quoi, Monsieur ? Géronte -Que tu ailles dire à ce Turc qu'il me renvoye mon fils, et que tu te mets à sa place jusqu'à ce que j'aye ama +Que tu ailles dire à ce Turc qu'il me renvoye mon fils, et que tu te mets à sa place jusqu'à ce que j'aye amassé la somme qu'il demande. Scapin -Eh ! Monsieur, songez−vous à ce que vous dites ? et vous figurez−vous que ce Turc ait si peu de sens, q +Eh ! Monsieur, songez−vous à ce que vous dites ? et vous figurez−vous que ce Turc ait si peu de sens, que d'aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils ? Géronte Que diable alloit−il faire dans cette galère ? @@ -50013,17 +50013,17 @@ Tu trouveras une grosse clef du côté gauche, qui est celle de mon grenier. Scapin Oui. Géronte -Tu iras prendre toutes les hardes qui sont dans cette grande manne, et tu les vendras aux fripiers, pour alle +Tu iras prendre toutes les hardes qui sont dans cette grande manne, et tu les vendras aux fripiers, pour aller racheter mon fils. Scapin, en lui rendant la clef. -Eh ! Monsieur, rêvez−vous ? Je n'aurois pas cent francs de tout ce que vous dites ; et de plus, vous save +Eh ! Monsieur, rêvez−vous ? Je n'aurois pas cent francs de tout ce que vous dites ; et de plus, vous savez le peu de temps qu'on m'a donné. Géronte Mais que diable alloit−il faire à cette galère ? Scapin Oh ! que de paroles perdues ! Laissez là cette galère, et songez que le temps presse, et que vous courez -risque de perdre votre fils. Hélas ! mon pauvre maître, peut−être que je ne te verrai de ma vie, et qu'à l'he -que je parle, on t'emmène esclave en Alger. Mais le Ciel me sera témoin que j'ai fait pour toi tout ce que j +risque de perdre votre fils. Hélas ! mon pauvre maître, peut−être que je ne te verrai de ma vie, et qu'à l'heure +que je parle, on t'emmène esclave en Alger. Mais le Ciel me sera témoin que j'ai fait pour toi tout ce que j'ai pu ; et que si tu manques à être racheté, il n'en faut accuser que le peu d'amitié d'un père. Géronte Attends, Scapin, je m'en vais querir cette somme. @@ -50050,7 +50050,7 @@ Ah ! maudite galère ! Scapin Cette galère lui tient au coeur. Géronte -Tiens, Scapin, je ne me souvenois pas que je viens justement de recevoir cette somme en or, et je ne croyo +Tiens, Scapin, je ne me souvenois pas que je viens justement de recevoir cette somme en or, et je ne croyois pas qu'elle dût m'être si tôt ravie. (Il lui présente sa bourse, qu'il ne laisse pourtant pas aller ; et, dans ses transports, il fait aller son bras de côté et d'autre, et Scapin le sien pour avoir la bourse.) Tiens. Va−t'en racheter mon fils. @@ -50099,7 +50099,7 @@ Je le vois bien. Géronte Que diable alloit−il faire dans cette galère ? Ah ! maudite galère ! traître de Turc à tous les diables ! Scapin -Il ne peut digérer les cinq cents écus que je lui arrache ; mais il n'est pas quitte envers moi, et je veux qu'i +Il ne peut digérer les cinq cents écus que je lui arrache ; mais il n'est pas quitte envers moi, et je veux qu'il me paye en une autre monnoie l'imposture qu'il m'a faite auprès de son fils. Scène VIII Octave, Léandre, Scapin @@ -50124,7 +50124,7 @@ Allez, j'ai votre affaire ici Léandre revient. Ah ! tu me redonnes la vie. Scapin -Mais à condition que vous me permettez à moi une petite vengeance contre votre père, pour le tour qu'il m +Mais à condition que vous me permettez à moi une petite vengeance contre votre père, pour le tour qu'il m'a fait. Léandre Tout ce que tu voudras. @@ -50152,48 +50152,48 @@ Et lorsque c'est d'amour qu'on vous attaque ? Zerbinette Pour l'amour, c'est une autre chose ; on y court un peu plus de risque, et je n'y suis pas si hardie. Scapin -Vous l'êtes, que je crois, contre mon maître maintenant ; et ce qu'il vient de faire pour vous, doit vous do +Vous l'êtes, que je crois, contre mon maître maintenant ; et ce qu'il vient de faire pour vous, doit vous donner du coeur pour répondre comme il faut à sa passion. Zerbinette Je ne m'y fie encore que de la bonne sorte ; et ce n'est pas assez pour m'assurer entièrement, que ce qu'il -vient de faire. J'ai l'humeur enjouée, et sans cesse je ris ; mais tout en riant, je suis sérieuse sur de certain -chapitres ; et ton maître s'abusera, s'il croit qu'il lui suffise de m'avoir achetée pour me voir toute à lui. Il +vient de faire. J'ai l'humeur enjouée, et sans cesse je ris ; mais tout en riant, je suis sérieuse sur de certains +chapitres ; et ton maître s'abusera, s'il croit qu'il lui suffise de m'avoir achetée pour me voir toute à lui. Il doit lui en coûter autre chose que de l'argent ; et pour répondre à son amour de la manière qu'il souhaite, il me faut un don de sa foi qui soit assaisonné de certaines cérémonies qu'on trouve nécessaires. Scapin -C'est là aussi comme il l'entend. Il ne prétend à vous qu'en tout bien et en tout honneur ; et je n'aurois pas +C'est là aussi comme il l'entend. Il ne prétend à vous qu'en tout bien et en tout honneur ; et je n'aurois pas été homme à me mêler de cette affaire, s'il avoit une autre pensée. Zerbinette -C'est ce que je veux croire, puisque vous me le dites ; mais, du côté du père, j'y prévois des empêchemen +C'est ce que je veux croire, puisque vous me le dites ; mais, du côté du père, j'y prévois des empêchements. Scapin Nous trouverons moyen d'accommoder les choses. Hyacinte -La ressemblance de nos destins doit contribuer encore à faire naître notre amitié ; et nous nous voyons to +La ressemblance de nos destins doit contribuer encore à faire naître notre amitié ; et nous nous voyons toutes deux dans les mêmes alarmes, toutes deux exposées à la même infortune. Zerbinette -Vous avez cet avantage, au moins, que vous savez de qui vous êtes née ; et que l'appui de vos parents, qu +Vous avez cet avantage, au moins, que vous savez de qui vous êtes née ; et que l'appui de vos parents, que vous pouvez faire connoître, est capable d'ajuster tout, peut assurer votre bonheur, et faire donner un -consentement au mariage qu'on trouve fait. Mais pour moi, je ne rencontre aucun secours dans ce que je p +consentement au mariage qu'on trouve fait. Mais pour moi, je ne rencontre aucun secours dans ce que je puis être, et l'on me voit dans un état qui n'adoucira pas les volontés d'un père qui ne regarde que le bien. Hyacinte Mais aussi avez−vous cet avantage, que l'on ne tente point par un autre parti celui que vous aimez. Zerbinette -Le changement du coeur d'un amant n'est pas ce qu'on peut le plus craindre. On se peut naturellement cro -assez de mérite pour garder sa conquête ; et ce que je vois de plus redoutable dans ces sortes d'affaires, c +Le changement du coeur d'un amant n'est pas ce qu'on peut le plus craindre. On se peut naturellement croire +assez de mérite pour garder sa conquête ; et ce que je vois de plus redoutable dans ces sortes d'affaires, c'est la puissance paternelle, auprès de qui tout le mérite ne sert de rien. Hyacinte Hélas ! pourquoi faut−il que de justes inclinations se trouvent traversées ? La douce chose que d'aimer, lorsque l'on ne voit point d'obstacle à ces aimables chaînes dont deux coeurs se lient ensemble ! Scapin -Vous vous moquez : la tranquillité en amour est un calme désagréable ; un bonheur tout uni nous devien +Vous vous moquez : la tranquillité en amour est un calme désagréable ; un bonheur tout uni nous devient ennuyeux ; il faut du haut et du bas dans la vie ; et les difficultés qui se mêlent aux choses réveillent les ardeurs, augmentent les plaisirs. Zerbinette -Mon Dieu, Scapin, fais−nous un peu ce récit, qu'on m'a dit qui est si plaisant, du stratagème dont tu t'es av -pour tirer de l'argent de ton vieillard avare. Tu sais qu'on ne perd point sa peine lorsqu'on me fait un conte +Mon Dieu, Scapin, fais−nous un peu ce récit, qu'on m'a dit qui est si plaisant, du stratagème dont tu t'es avisé +pour tirer de l'argent de ton vieillard avare. Tu sais qu'on ne perd point sa peine lorsqu'on me fait un conte, et que je le paye assez bien par la joie qu'on m'y voit prendre. Scapin -Voilà Silvestre qui s'en acquittera aussi bien que moi. J'ai dans la tête certaine petite vengeance, dont je v +Voilà Silvestre qui s'en acquittera aussi bien que moi. J'ai dans la tête certaine petite vengeance, dont je vais goûter le plaisir. Silvestre Pourquoi, de gaieté de coeur, veux−tu chercher à t'attirer de méchantes affaires ? @@ -50214,7 +50214,7 @@ Hé bien ! c'est aux dépens de mon dos, et non pas du tien. Silvestre Il est vrai que tu es maître de tes épaules, et tu en disposeras comme il te plaira. Scapin -Ces sortes de périls ne m'ont jamais arrêté, et je hais ces coeurs pusillanimes qui, pour trop prévoir les sui +Ces sortes de périls ne m'ont jamais arrêté, et je hais ces coeurs pusillanimes qui, pour trop prévoir les suites des choses, n'osent rien entreprendre. Zerbinette Nous aurons besoin de tes soins. @@ -50239,17 +50239,17 @@ Oui. Géronte Et qui ? Scapin -Le frère de cette personne qu'Octave a épousée. Il croit que le dessein que vous avez de mettre votre fille -place que tient sa soeur est ce qui pousse le plus fort à faire rompre leur mariage ; et, dans cette pensée, i -résolu hautement de décharger son désespoir sur vous et vous ôter la vie pour venger son honneur. Tous s -amis, gens d'épée comme lui, vous cherchent de tous les côtés et demandent de vos nouvelles. J'ai vu mêm -deçà et delà des soldats de sa compagnie qui interrogent ceux qu'ils trouvent, et occupent par pelotons tou -les avenues de votre maison. De sorte que vous ne sauriez aller chez vous, vous ne sauriez faire un pas ni +Le frère de cette personne qu'Octave a épousée. Il croit que le dessein que vous avez de mettre votre fille à la +place que tient sa soeur est ce qui pousse le plus fort à faire rompre leur mariage ; et, dans cette pensée, il a +résolu hautement de décharger son désespoir sur vous et vous ôter la vie pour venger son honneur. Tous ses +amis, gens d'épée comme lui, vous cherchent de tous les côtés et demandent de vos nouvelles. J'ai vu même +deçà et delà des soldats de sa compagnie qui interrogent ceux qu'ils trouvent, et occupent par pelotons toutes +les avenues de votre maison. De sorte que vous ne sauriez aller chez vous, vous ne sauriez faire un pas ni à droit, ni à gauche, que vous ne tombiez dans leurs mains. Géronte Que ferai−je, mon pauvre Scapin ? Scapin -Je ne sais pas, Monsieur ; et voici une étrange affaire. Je tremble pour vous depuis les pieds jusqu'à la têt +Je ne sais pas, Monsieur ; et voici une étrange affaire. Je tremble pour vous depuis les pieds jusqu'à la tête, et... Attendez. (Il se retourne, et fait semblant d'aller voir au bout du théâtre s'il n'y a personne.) Géronte, en tremblant. Eh ? @@ -50271,7 +50271,7 @@ mettiez dans ce sac et que... Géronte, croyant voir quelqu'un. Ah ! Scapin -Non, non, non, non, ce n'est personne. Il faut, dis−je, que vous vous mettiez là dedans, et que vous gardie +Non, non, non, non, ce n'est personne. Il faut, dis−je, que vous vous mettiez là dedans, et que vous gardiez de remuer en aucune façon. Je vous chargerai sur mon dos, comme un paquet de quelque chose, et je vous porterai ainsi au travers de vos ennemis, jusque dans votre maison, où quand nous serons une fois, nous pourrons nous barricader, et envoyer querir main−forte contre la violence. @@ -50282,26 +50282,26 @@ La meilleure du monde. Vous allez voir. (A part.) Tu me payeras l'imposture. Géronte Eh ? Scapin -Je dis que vos ennemis seront bien attrapés. Mettez−vous bien jusqu'au fond, et surtout prenez garde de n +Je dis que vos ennemis seront bien attrapés. Mettez−vous bien jusqu'au fond, et surtout prenez garde de ne vous point montrer, et de ne branler pas, quelque chose qui puisse arriver. Géronte Laisse−moi faire. Je saurai me tenir... Scapin Cachez−vous : voici un spadassin qui vous cherche. (En contrefaisant sa voix.) "Quoi ? jé n'aurai pas -l'abantage dé tuer cé Geronte, et quelqu'un par charité né m'enseignera pas où il est ? " (A Géronte de sa v -ordinaire.) Ne branlez pas. (Reprenant son ton contrefait.) "Cadédis, jé lé trouberai, sé cachât−il au centre +l'abantage dé tuer cé Geronte, et quelqu'un par charité né m'enseignera pas où il est ? " (A Géronte de sa voix +ordinaire.) Ne branlez pas. (Reprenant son ton contrefait.) "Cadédis, jé lé trouberai, sé cachât−il au centre dé la terre." (A Géronte avec son ton naturel.) Ne vous montrez pas. (Tout le langage gascon est supposé de celui qu'il contrefait, et le reste de lui.) "Oh, l'homme au sac ! " Monsieur. "Jé té vaille un louis, et -m'enseigne où put être Geronte." Vous cherchez le seigneur Géronte ? "Oui, mordi ! jé lé cherche." Et po -quelle affaire, Monsieur ? "Pour quelle affaire ? " Oui. "Jé beux, cadédis, lé faire mourir sous les coups d +m'enseigne où put être Geronte." Vous cherchez le seigneur Géronte ? "Oui, mordi ! jé lé cherche." Et pour +quelle affaire, Monsieur ? "Pour quelle affaire ? " Oui. "Jé beux, cadédis, lé faire mourir sous les coups de vaton." Oh ! Monsieur, les coups de bâton ne se donnent point à des gens comme lui, et ce n'est pas un homme à être traité de la sorte. "Qui, cé fat dé Geronte, cé maraut, cé velître ? " Le seigneur Géronte, -Monsieur, n'est ni fat, ni maraud, ni belître, et vous devriez, s'il vous plaît, parler d'autre façon. "Commen +Monsieur, n'est ni fat, ni maraud, ni belître, et vous devriez, s'il vous plaît, parler d'autre façon. "Comment, tu mé traites, à moi, avec cette hautur ? " Je défends, comme je dois, un homme d'honneur qu'on offense. -"Est−ce que tu es des amis dé cé Geronte ? " Oui, Monsieur, j'en suis. "Ah ! cadédis, tu es de ses amis, à -vonne hure." (Il donne plusieurs coups de bâton sur le sac.) "Tiens. Boilà cé que jé té vaille pour lui." Ah, +"Est−ce que tu es des amis dé cé Geronte ? " Oui, Monsieur, j'en suis. "Ah ! cadédis, tu es de ses amis, à la +vonne hure." (Il donne plusieurs coups de bâton sur le sac.) "Tiens. Boilà cé que jé té vaille pour lui." Ah, ah, ah ! ah, Monsieur ! Ah, ah, Monsieur ! tout beau. Ah, doucement, ah, ah, ah ! "Va, porte−lui cela de ma -part. Adiusias." Ah ! diable soit le Gascon Ah ! (En se plaignant et remuant le dos, comme s'il avoit reçu +part. Adiusias." Ah ! diable soit le Gascon Ah ! (En se plaignant et remuant le dos, comme s'il avoit reçu les coups de bâton.) Géronte, mettant la tête hors du sac. Ah ! Scapin, je n'en puis plus ! @@ -50318,21 +50318,21 @@ Non, vous dis−je, ce n'est que le bout du bâton qui a été jusque sur vos é Géronte Tu devois donc te retirer un peu plus loin, pour m'épargner... Scapin lui remet la tête dans le sac. -Prenez garde. En voici un autre qui a la mine d'un étranger. (Cet endroit est de même celui du Gascon, po -changement de langage, et le jeu de théâtre.) "Parti ! moi courir comme une Basque, et moi ne pouvre po -troufair de tout le jour sti tiable de Gironte ? " Cachez−vous bien. "Dites−moi un peu fous, Monsir l'homm +Prenez garde. En voici un autre qui a la mine d'un étranger. (Cet endroit est de même celui du Gascon, pour le +changement de langage, et le jeu de théâtre.) "Parti ! moi courir comme une Basque, et moi ne pouvre point +troufair de tout le jour sti tiable de Gironte ? " Cachez−vous bien. "Dites−moi un peu fous, Monsir l'homme, s'il ve plaist, fous savoir point où l'est sti Gironte que moi cherchair ? " Non, Monsieur, je ne sais point où -est Géronte. "Dites−moi−le vous frenchemente, moi li fouloir pas grande chose à lui. L'est seulemente po +est Géronte. "Dites−moi−le vous frenchemente, moi li fouloir pas grande chose à lui. L'est seulemente pour li donnair un petite régale sur le dos d'un douzaine de coups de bastonne, et de trois ou quatre petites coups -d'épée au trafers de son poitrine." Je vous assure, Monsieur, que je ne sais pas où il est. "Il me semble que -foi remuair quelque chose dans sti sac." Pardonnez−moi, Monsieur. "Li est assurémente quelque histoire l -tetans." Point du tout, Monsieur. "Moi l'avoir enfie de tonner ain coup d'épée dans ste sac." Ah ! Monsieu +d'épée au trafers de son poitrine." Je vous assure, Monsieur, que je ne sais pas où il est. "Il me semble que j'y +foi remuair quelque chose dans sti sac." Pardonnez−moi, Monsieur. "Li est assurémente quelque histoire là +tetans." Point du tout, Monsieur. "Moi l'avoir enfie de tonner ain coup d'épée dans ste sac." Ah ! Monsieur, gardez−vous−en bien. "Montre−le−moi un peu fous ce que c'estre là." Tout beau, Monsieur. "Quement ? -tout beau ? " Vous n'avez que faire de vouloir voir ce que je porte. "Et moi, je le fouloir foir, moi." Vous n +tout beau ? " Vous n'avez que faire de vouloir voir ce que je porte. "Et moi, je le fouloir foir, moi." Vous ne le verrez point. "Ahi que de badinemente ! " Ce sont hardes qui m'appartiennent. "Montre−moi fous, te -dis−je." Je n'en ferai rien. "Toi ne faire rien ? " Non. "Moi pailler de ste bastonne dessus les épaules de to -Je me moque de cela. "Ah ! toi faire le trole." Ahi, ahi, ahi ; ah, Monsieur, ah, ah, ah, ah. "Jusqu'au refoi -l'estre là un petit leçon pour li apprendre à toi à parlair insolentemente ! " Ah ! peste soit du baragouineux +dis−je." Je n'en ferai rien. "Toi ne faire rien ? " Non. "Moi pailler de ste bastonne dessus les épaules de toi." +Je me moque de cela. "Ah ! toi faire le trole." Ahi, ahi, ahi ; ah, Monsieur, ah, ah, ah, ah. "Jusqu'au refoir : +l'estre là un petit leçon pour li apprendre à toi à parlair insolentemente ! " Ah ! peste soit du baragouineux ! Ah ! Géronte, sortant sa tête du sac. Ah ! je suis roué ! @@ -50343,13 +50343,13 @@ Pourquoi diantre faut−il qu'ils frappent sur mon dos ? Scapin, lui remettant sa tête dans le sac. Prenez garde, voici une demi−douzaine de soldats tout ensemble. (Il contrefait plusieurs personnes ensemble.) "Allons, tâchons à trouver ce Géronte, cherchons partout. N'épargnons point nos pas. Courons -toute la ville. N'oublions aucun lieu. Visitons tout. Furetons de tous les côtés. Par où irons−nous ? Tourn -par là. Non, par ici. A gauche. A droit. Nenni. Si fait." Cachez−vous bien. "Ah ! camarades, voici son val +toute la ville. N'oublions aucun lieu. Visitons tout. Furetons de tous les côtés. Par où irons−nous ? Tournons +par là. Non, par ici. A gauche. A droit. Nenni. Si fait." Cachez−vous bien. "Ah ! camarades, voici son valet. Allons, coquin, il faut que tu nous enseignes où est ton maître." Eh ! Messieurs, ne me maltraitez point. "Allons, dis−nous où il est. Parle. Hâte−toi. Expédions. Dépêche vite. Tôt." Eh ! Messieurs, doucement. -(Géronte met doucement la tête hors du sac et aperçoit la fourberie de Scapin.) "Si tu ne nous fais trouver -maître tout à l'heure, nous allons faire pleuvoir sur toi une ondée de coups de bâton." J'aime mieux souffri -toute chose que de vous découvrir mon maître. "Nous allons t'assommer." Faites tout ce qu'il vous plaira. +(Géronte met doucement la tête hors du sac et aperçoit la fourberie de Scapin.) "Si tu ne nous fais trouver ton +maître tout à l'heure, nous allons faire pleuvoir sur toi une ondée de coups de bâton." J'aime mieux souffrir +toute chose que de vous découvrir mon maître. "Nous allons t'assommer." Faites tout ce qu'il vous plaira. "Tu as envie d'être battu." Je ne trahirai point mon maître. "Ah ! tu en veux tâter ? Voilà..." Oh ! (Comme il est prêt de frapper, Géronte sort du sac, et Scapin s'enfuit). Géronte @@ -50378,7 +50378,7 @@ Géronte Pourquoi venez−vous ici me rire au nez ? Zerbinette Cela ne vous regarde point, et je ris toute seule d'un conte qu'on vient de me faire, le plus plaisant qu'on -puisse entendre. Je ne sais pas si c'est parce que je suis intéressée dans la chose ; mais je n'ai jamais trouv +puisse entendre. Je ne sais pas si c'est parce que je suis intéressée dans la chose ; mais je n'ai jamais trouvé rien de si drôle qu'un tour qui vient d'être joué par un fils à son père, pour en attraper de l'argent. Géronte Par un fils à son père, pour en attraper de l'argent ? @@ -50389,14 +50389,14 @@ Géronte Je vous prie de me dire cette histoire. Zerbinette Je le veux bien. Je ne risquerai pas grand'chose à vous la dire, et c'est une aventure qui n'est pas pour être -longtemps secrète. La destinée a voulu que je me trouvasse parmi une bande de ces personnes qu'on appe +longtemps secrète. La destinée a voulu que je me trouvasse parmi une bande de ces personnes qu'on appelle Egyptiens, et qui, rôdant de province en province, se mêlent de dire la bonne fortune, et quelquefois de -beaucoup d'autres choses. En arrivant dans cette ville, un jeune homme me vit, et conçut pour moi de l'am -Dès ce moment, il s'attache à mes pas, et le voilà d'abord comme tous les jeunes gens, qui croient qu'il n'y -qu'à parler, et qu'au moindre mot qu'ils nous disent, leurs affaires sont faites ; mais il trouva une fierté qu -fit un peu corriger ses premières pensées. Il fit connoître sa passion aux gens qui me tenoient, et il les trou +beaucoup d'autres choses. En arrivant dans cette ville, un jeune homme me vit, et conçut pour moi de l'amour. +Dès ce moment, il s'attache à mes pas, et le voilà d'abord comme tous les jeunes gens, qui croient qu'il n'y a +qu'à parler, et qu'au moindre mot qu'ils nous disent, leurs affaires sont faites ; mais il trouva une fierté qui lui +fit un peu corriger ses premières pensées. Il fit connoître sa passion aux gens qui me tenoient, et il les trouva disposés à me laisser à lui moyennant quelque somme. Mais le mal de l'affaire étoit que mon amant se -trouvoit dans l'état où l'on voit très−souvent la plupart des fils de famille, c'est−à−dire qu'il étoit un peu dé +trouvoit dans l'état où l'on voit très−souvent la plupart des fils de famille, c'est−à−dire qu'il étoit un peu dénué d'argent ; et il a un père qui, quoique riche, est un avaricieux fieffé, le plus vilain homme du monde. Attendez. Ne me saurois−je souvenir de son nom ? Haye ! Aidez−moi un peu. Ne pouvez−vous me nommer quelqu'un de cette ville qui soit connu pour être avare au dernier point ? @@ -50411,26 +50411,26 @@ s'appelle Scapin ; c'est un homme incomparable, et il mérite toutes les louang Géronte, à part. Ah ! coquin que tu es ! Zerbinette -Voici le stratagème dont il s'est servi pour attraper sa dupe. Ah, ah, ah, ah. Je ne saurois m'en souvenir, qu +Voici le stratagème dont il s'est servi pour attraper sa dupe. Ah, ah, ah, ah. Je ne saurois m'en souvenir, que je ne rie de tout mon coeur. Ah, ah, ah. Il est allé trouver ce chien d'avare, ah, ah, ah ; et lui a dit qu'en se promenant sur le port avec son fils, hi, hi, ils avoient vu une galère turque où on les avoit invités d'entrer ; -qu'un jeune Turc leur y avoit donné la collation, ah ; que, tandis qu'ils mangeoient, on avoit mis la galère -mer ; et que le Turc l'avoit renvoyé, lui seul, à terre dans un esquif ; avec ordre de dire au père de son ma +qu'un jeune Turc leur y avoit donné la collation, ah ; que, tandis qu'ils mangeoient, on avoit mis la galère en +mer ; et que le Turc l'avoit renvoyé, lui seul, à terre dans un esquif ; avec ordre de dire au père de son maître qu'il emmenoit son fils en Alger, s'il ne lui envoyoit tout à l'heure cinq cents écus. Ah, ah, ah. Voilà mon ladre, mon vilain dans de furieuses angoisses ; et la tendresse qu'il a pour son fils fait un combat étrange -avec son avarice. Cinq cents écus qu'on lui demande sont justement cinq cents coups de poignard qu'on lu -donne. Ah, ah, ah. Il ne peut se résoudre à tirer cette somme de ses entrailles ; et la peine qu'il souffre lui -trouver cent moyens ridicules pour ravoir son fils. Ah, ah, ah. Il veut envoyer la justice en mer après la ga -du Turc. Ah, ah, ah. Il sollicite son valet de s'aller offrir à tenir la place de son fils, jusqu'à ce qu'il ait ama -l'argent qu'il n'a pas envie de donner. Ah, ah, ah. Il abandonne, pour faire les cinq cents écus, quatre ou ci -vieux habits qui n'en valent pas trente. Ah, ah, ah. Le valet lui fait comprendre, à tous coups, l'impertinen -de ses propositions, et chaque réflexion est douloureusement accompagnée d'un : "Mais que diable alloit− +avec son avarice. Cinq cents écus qu'on lui demande sont justement cinq cents coups de poignard qu'on lui +donne. Ah, ah, ah. Il ne peut se résoudre à tirer cette somme de ses entrailles ; et la peine qu'il souffre lui fait +trouver cent moyens ridicules pour ravoir son fils. Ah, ah, ah. Il veut envoyer la justice en mer après la galère +du Turc. Ah, ah, ah. Il sollicite son valet de s'aller offrir à tenir la place de son fils, jusqu'à ce qu'il ait amassé +l'argent qu'il n'a pas envie de donner. Ah, ah, ah. Il abandonne, pour faire les cinq cents écus, quatre ou cinq +vieux habits qui n'en valent pas trente. Ah, ah, ah. Le valet lui fait comprendre, à tous coups, l'impertinence +de ses propositions, et chaque réflexion est douloureusement accompagnée d'un : "Mais que diable alloit−il faire à cette galère ? Ah ! maudite galère ! Traître de Turc ! " Enfin, après plusieurs détours, après avoir longtemps gémi et soupiré... Mais il me semble que vous ne riez point de mon conte. Qu'en dites−vous ? Géronte -Je dis que le jeune homme est un pendard, un insolent, qui sera puni par son père du tour qu'il lui a fait ; +Je dis que le jeune homme est un pendard, un insolent, qui sera puni par son père du tour qu'il lui a fait ; que l'Egyptienne est une malavisée, une impertinente, de dire des injures à un homme d'honneur, qui saura lui -apprendre à venir ici débaucher les enfants de famille ; et que le valet est un scélérat, qui sera par Géront +apprendre à venir ici débaucher les enfants de famille ; et que le valet est un scélérat, qui sera par Géronte envoyé au gibet avant qu'il soit demain. Scène IV Silvestre, Zerbinette @@ -50442,10 +50442,10 @@ Je viens de m'en douter, et je me suis adressée à lui−même sans y penser, p Silvestre Comment, son histoire ? Zerbinette -Oui, j'étois toute remplie du conte, et je brûlois de le redire. Mais qu'importe ? Tant pis pour lui. Je ne vo +Oui, j'étois toute remplie du conte, et je brûlois de le redire. Mais qu'importe ? Tant pis pour lui. Je ne vois pas que les choses pour nous en puissent être ni pis ni mieux. Silvestre -Vous aviez grande envie de babiller ; et c'est avoir bien de la langue que de ne pouvoir se taire de ses pro +Vous aviez grande envie de babiller ; et c'est avoir bien de la langue que de ne pouvoir se taire de ses propres affaires. Zerbinette N'auroit−il pas appris cela de quelque autre ? @@ -50456,13 +50456,13 @@ Holà ! Silvestre. Silvestre, à Zerbinette. Rentrez dans la maison. Voilà mon maître qui m'appelle. Argante -Vous vous êtes donc accordés, coquin ; vous vous êtes accordés, Scapin, vous, et mon fils, pour me fourb +Vous vous êtes donc accordés, coquin ; vous vous êtes accordés, Scapin, vous, et mon fils, pour me fourber et vous croyez que je l'endure ? Silvestre -Ma foi ! Monsieur, si Scapin vous fourbe, je m'en lave les mains, et vous assure que je n'y trempe en auc +Ma foi ! Monsieur, si Scapin vous fourbe, je m'en lave les mains, et vous assure que je n'y trempe en aucune façon. Argante -Nous verrons cette affaire, pendard, nous verrons cette affaire, et je ne prétends pas qu'on me fasse passer +Nous verrons cette affaire, pendard, nous verrons cette affaire, et je ne prétends pas qu'on me fasse passer la plume par le bec. Scène VI Géronte, Argante, Silvestre @@ -50475,7 +50475,7 @@ Le pendard de Scapin, par une fourberie, m'a attrapé cinq cents écus. Argante Le même pendard de Scapin, par une fourberie aussi, m'a attrapé deux cents pistoles. Géronte -Il ne s'est pas contenté de m'attraper cinq cents écus : il m'a traité d'une manière que j'ai honte de dire. M +Il ne s'est pas contenté de m'attraper cinq cents écus : il m'a traité d'une manière que j'ai honte de dire. Mais il me la payera. Argante Je veux qu'il me fasse raison de la pièce qu'il m'a jouée. @@ -50484,14 +50484,14 @@ Et je prétends faire de lui une vengeance exemplaire. Silvestre, à part. Plaise au Ciel que dans tout ceci je n'aye point ma part ! Géronte -Mais ce n'est pas encore tout, seigneur Argante, et un malheur nous est toujours l'avant−coureur d'un autr -me réjouissois aujourd'hui de l'espérance d'avoir ma fille, dont je faisois toute ma consolation ; et je vien -d'apprendre de mon homme qu'elle est partie il y a longtemps de Tarente, et qu'on y croit qu'elle a péri da +Mais ce n'est pas encore tout, seigneur Argante, et un malheur nous est toujours l'avant−coureur d'un autre. Je +me réjouissois aujourd'hui de l'espérance d'avoir ma fille, dont je faisois toute ma consolation ; et je viens +d'apprendre de mon homme qu'elle est partie il y a longtemps de Tarente, et qu'on y croit qu'elle a péri dans le vaisseau où elle s'embarqua. Argante Mais pourquoi, s'il vous plaît, la tenir à Tarente, et ne vous être pas donné la joie de l'avoir avec vous ? Géronte -J'ai eu mes raisons pour cela ; et des intérêts de famille m'ont obligé jusques ici à tenir fort secret ce seco +J'ai eu mes raisons pour cela ; et des intérêts de famille m'ont obligé jusques ici à tenir fort secret ce second mariage. Mais que vois−je ? Scène VII Nérine, Argante, Géronte, Silvestre @@ -50500,16 +50500,16 @@ Ah ! te voilà, Nourrice. Nérine, se jetant à ses genoux. Ah ! seigneur Pandolphe, que... Géronte -Appelle−moi Géronte, et ne te sers plus de ce nom. Les raisons ont cessé qui m'avoient obligé à le prendr +Appelle−moi Géronte, et ne te sers plus de ce nom. Les raisons ont cessé qui m'avoient obligé à le prendre parmi vous à Tarente. Nérine -Las ! que ce changement de nom nous a causé de troubles et d'inquiétudes dans les soins que nous avons +Las ! que ce changement de nom nous a causé de troubles et d'inquiétudes dans les soins que nous avons pris de vous venir chercher ici ! Géronte Où est ma fille, et sa mère ? Nérine Votre fille, Monsieur, n'est pas loin d'ici. Mais avant que de vous la faire voir, il faut que je vous demande -pardon de l'avoir mariée, dans l'abandonnement où, faute de vous rencontrer, je me suis trouvée avec elle +pardon de l'avoir mariée, dans l'abandonnement où, faute de vous rencontrer, je me suis trouvée avec elle. Géronte Ma fille mariée ! Nérine @@ -50535,11 +50535,11 @@ Scapin, Silvestre Scapin Hé bien ! Silvestre, que font nos gens ? Silvestre -J'ai deux avis à te donner. L'un, que l'affaire d'Octave est accommodée. Notre Hyacinte s'est trouvée la fil -du seigneur Géronte ; et le hasard a fait ce que la prudence des pères avoit délibéré. L'autre avis, c'est que +J'ai deux avis à te donner. L'un, que l'affaire d'Octave est accommodée. Notre Hyacinte s'est trouvée la fille +du seigneur Géronte ; et le hasard a fait ce que la prudence des pères avoit délibéré. L'autre avis, c'est que les deux vieillards font contre toi des menaces épouvantables, et surtout le seigneur Géronte. Scapin -Cela n'est rien. Les menaces ne m'ont jamais fait mal ; et ce sont des nuées qui passent bien loin sur nos t +Cela n'est rien. Les menaces ne m'ont jamais fait mal ; et ce sont des nuées qui passent bien loin sur nos têtes. Silvestre Prends garde à toi : les fils se pourroient bien raccommoder avec les pères, et toi demeurer dans la nasse. Scapin @@ -50557,7 +50557,7 @@ Octave, Argante, Géronte, Hyacinte, Nérine, Zerbinette, Silvestre Argante Venez, mon fils, venez vous réjouir avec nous de l'heureuse aventure de votre mariage. Le Ciel... Octave, sans voir Hyacinte. -Non, mon père, toutes vos propositions de mariage ne serviront de rien. Je dois lever le masque avec vous +Non, mon père, toutes vos propositions de mariage ne serviront de rien. Je dois lever le masque avec vous, et l'on vous a dit mon engagement. Argante Oui ; mais tu ne sais pas... @@ -50579,7 +50579,7 @@ Argante Ta femme... Octave Non, vous dis−je, mon père, je mourrai plutôt que de quitter mon aimable Hyacinte. (Traversant le théâtre -pour aller à elle.) Oui, vous avez beau faire, la voilà celle à qui ma foi est engagée ; je l'aimerai toute ma +pour aller à elle.) Oui, vous avez beau faire, la voilà celle à qui ma foi est engagée ; je l'aimerai toute ma vie et je ne veux point d'autre femme. Argante Hé bien ! c'est elle qu'on te donne. Quel diable d'étourdi, qui suit toujours sa pointe ! @@ -50601,13 +50601,13 @@ Comment, que de réputation ? Hyacinte Mon père, la passion que mon frère a pour elle n'a rien de criminel, et je réponds de sa vertu. Géronte -Voilà qui est fort bien. Ne voudroit−on point que je mariasse mon fils avec elle ? Une fille inconnue, qui +Voilà qui est fort bien. Ne voudroit−on point que je mariasse mon fils avec elle ? Une fille inconnue, qui fait le métier de coureuse. Scène XI Léandre, Octave, Hyacinte, Zerbinette, Argante, Géronte, Silvestre, Nérine Léandre Mon père, ne vous plaignez point que j'aime une inconnue, sans naissance et sans bien. Ceux de qui je l'ai -rachetée viennent de me découvrir qu'elle est de cette ville, et d'honnête famille ; que ce sont eux qui l'y o +rachetée viennent de me découvrir qu'elle est de cette ville, et d'honnête famille ; que ce sont eux qui l'y ont dérobée à l'âge de quatre ans ; et voici un bracelet, qu'ils m'ont donné, qui pourra nous aider à trouver ses parents. Argante @@ -50629,8 +50629,8 @@ Le pauvre Scapin... Géronte C'est un coquin que je veux faire pendre. Carle -Hélas ! Monsieur, vous ne serez pas en peine de cela. En passant contre un bâtiment, il lui est tombé sur -tête un marteau de tailleur de pierre, qui lui a brisé l'os et découvert toute la cervelle. Il se meurt, et il a pr +Hélas ! Monsieur, vous ne serez pas en peine de cela. En passant contre un bâtiment, il lui est tombé sur la +tête un marteau de tailleur de pierre, qui lui a brisé l'os et découvert toute la cervelle. Il se meurt, et il a prié qu'on l'apportât ici pour vous pouvoir parler avant que de mourir. Argante Où est−il ? @@ -50639,8 +50639,8 @@ Le voilà. Scène dernière Scapin, Carle, Géronte, Argante, etc. Scapin, apporté par deux hommes et la tête entourée de linges, comme s'il avoit été bien blessé. -Ahi, ahi, Messieurs, vous me voyez... ahi, vous me voyez dans un étrange état. Ahi. Je n'ai pas voulu mou -sans venir demander pardon à toutes les personnes que je puis avoir offensées. Ahi. Oui, Messieurs, avant +Ahi, ahi, Messieurs, vous me voyez... ahi, vous me voyez dans un étrange état. Ahi. Je n'ai pas voulu mourir +sans venir demander pardon à toutes les personnes que je puis avoir offensées. Ahi. Oui, Messieurs, avant que de rendre le dernier soupir, je vous conjure de tout mon coeur de vouloir me pardonner tous ce que je puis avoir fait, et principalement le seigneur Argante, et le seigneur Géronte. Ahi. Argante @@ -50686,7 +50686,7 @@ Scapin Et moi, qu'on me porte au bout de la table, en attendant que je meure. La Comtesse d'Escarbagnas Comédie -Représentée pour le Roi à Saint−Germain−en−Laye le 2e décembre 1671 et donnée au public sur le Théât +Représentée pour le Roi à Saint−Germain−en−Laye le 2e décembre 1671 et donnée au public sur le Théâtre de la salle du Palais−Royal pour la première fois le 8e juillet 1672 par la Troupe du Roi Personnages La Comtesse d'Escarbagnas. @@ -50705,17 +50705,17 @@ Julie, Le Vicomte Le Vicomte Hé quoi ? Madame, vous êtes déjà ici ? Julie -Oui, vous en devriez rougir, Cléante, et il n'est guère honnête à un amant de venir le dernier au rendez−vo +Oui, vous en devriez rougir, Cléante, et il n'est guère honnête à un amant de venir le dernier au rendez−vous. Le Vicomte Je serois ici il y a une heure, s'il n'y avoit point de fâcheux au monde, et j'ai été arrêté, en chemin, par un -vieux importun de qualité, qui m'a demandé tout exprès des nouvelles de la cour, pour trouver moyen de m -dire des plus extravagantes qu'on puisse débiter ; et c'est là, comme vous savez, le fléau des petites villes +vieux importun de qualité, qui m'a demandé tout exprès des nouvelles de la cour, pour trouver moyen de m'en +dire des plus extravagantes qu'on puisse débiter ; et c'est là, comme vous savez, le fléau des petites villes, que ces grands nouvellistes qui cherchent partout où répandre les contes qu'ils ramassent. Celui−ci m'a montré d'abord deux feuilles de papier, pleines jusques aux bords d'un grand fatras de balivernes, qui -viennent, m'a−t−il dit, de l'endroit le plus sûr du monde. Ensuite, comme d'une chose fort curieuse, il m'a -avec grand mystère, une fatigante lecture de toutes les sottises de la Gazette de Hollande, et de là s'est jeté -corps perdu, dans le raisonnement du Ministère, d'où j'ai cru qu'il ne sortiroit point. A l'entendre parler, il -les secrets du Cabinet, mieux que ceux qui les font. La politique de l'Etat lui laisse voir tous ses desseins, +viennent, m'a−t−il dit, de l'endroit le plus sûr du monde. Ensuite, comme d'une chose fort curieuse, il m'a fait, +avec grand mystère, une fatigante lecture de toutes les sottises de la Gazette de Hollande, et de là s'est jeté, à +corps perdu, dans le raisonnement du Ministère, d'où j'ai cru qu'il ne sortiroit point. A l'entendre parler, il sait +les secrets du Cabinet, mieux que ceux qui les font. La politique de l'Etat lui laisse voir tous ses desseins, et elle ne fait pas un pas dont il ne pénètre les intentions. Il nous apprend les ressorts cachés de tout ce qui se fait, nous découvre les vues de la prudence de nos voisins, et remue, à sa fantaisie, toutes les affaires de l'Europe. Ses intelligences même s'étendent jusques en Afrique, et en Asie, et il est informé de tout ce qui @@ -50724,41 +50724,41 @@ Julie Vous parez votre excuse du mieux que vous pouvez, afin de la rendre agréable, et faire qu'elle soit plus aisément reçue. Le Vicomte -C'est là, belle Julie, la véritable cause de mon retardement ; et si je voulois y donner une excuse galante, -n'aurois qu'à vous dire que le rendez−vous que vous voulez prendre peut autoriser la paresse dont vous m -querellez ; que m'engager à faire l'amant de la maîtresse du logis, c'est me mettre en état de craindre de m -trouver ici le premier ; que cette feinte où je me force n'étant que pour vous plaire, j'ai lieu de ne vouloir -souffrir la contrainte que devant les yeux qui s'en divertissent ; que j'évite le tête−à−tête avec cette comte -ridicule dont vous m'embarrassez ; et, en un mot, que ne venant ici que pour vous, j'ai toutes les raisons d +C'est là, belle Julie, la véritable cause de mon retardement ; et si je voulois y donner une excuse galante, je +n'aurois qu'à vous dire que le rendez−vous que vous voulez prendre peut autoriser la paresse dont vous me +querellez ; que m'engager à faire l'amant de la maîtresse du logis, c'est me mettre en état de craindre de me +trouver ici le premier ; que cette feinte où je me force n'étant que pour vous plaire, j'ai lieu de ne vouloir en +souffrir la contrainte que devant les yeux qui s'en divertissent ; que j'évite le tête−à−tête avec cette comtesse +ridicule dont vous m'embarrassez ; et, en un mot, que ne venant ici que pour vous, j'ai toutes les raisons du monde d'attendre que vous y soyez. Julie -Nous savons bien que vous ne manquerez jamais d'esprit pour donner de belles couleurs aux fautes que vo +Nous savons bien que vous ne manquerez jamais d'esprit pour donner de belles couleurs aux fautes que vous pourrez faire. Cependant, si vous étiez venu une demi−heure plus tôt, nous aurions profité de tous ces -moments ; car j'ai trouvé, en arrivant, que la Comtesse étoit sortie, et je ne doute point qu'elle ne soit allé +moments ; car j'ai trouvé, en arrivant, que la Comtesse étoit sortie, et je ne doute point qu'elle ne soit allée par la ville se faire honneur de la comédie que vous me donnez sous son nom. Le Vicomte Mais tout de bon, Madame, quand voulez−vous mettre fin à cette contrainte, et me faire moins acheter le bonheur de vous voir ? Julie -Quand nos parents pourront être d'accord, ce que je n'ose espérer. Vous savez, comme moi, que les démêl -de nos deux familles ne nous permettent point de nous voir autre part, et que mes frères, non plus que vot +Quand nos parents pourront être d'accord, ce que je n'ose espérer. Vous savez, comme moi, que les démêlés +de nos deux familles ne nous permettent point de nous voir autre part, et que mes frères, non plus que votre père, ne sont pas assez raisonnables pour souffrir notre attachement. Le Vicomte -Mais pourquoi ne pas mieux jouir du rendez−vous que leur inimitié nous laisse, et me contraindre à perdr +Mais pourquoi ne pas mieux jouir du rendez−vous que leur inimitié nous laisse, et me contraindre à perdre en une sotte feinte les moments que j'ai près de vous ? Julie Pour mieux cacher notre amour ; et puis, à vous dire la vérité, cette feinte dont vous parlez m'est une -comédie fort agréable, et je ne sais si celle que vous nous donnez aujourd'hui me divertira davantage. Not +comédie fort agréable, et je ne sais si celle que vous nous donnez aujourd'hui me divertira davantage. Notre comtesse d'Escarbagnas, avec son perpétuel entêtement de qualité, est un aussi bon personnage qu'on en -puisse mettre sur le théâtre. Le petit voyage qu'elle a fait à Paris l'a ramenée dans Angoulême plus achevé -qu'elle n'étoit. L'approche de l'air de la cour a donné à son ridicule de nouveaux agréments, et sa sottise to +puisse mettre sur le théâtre. Le petit voyage qu'elle a fait à Paris l'a ramenée dans Angoulême plus achevée +qu'elle n'étoit. L'approche de l'air de la cour a donné à son ridicule de nouveaux agréments, et sa sottise tous les jours ne fait que croître et embellir. Le Vicomte Oui ; mais vous ne considérez pas que le jeu qui vous divertit tient mon coeur au supplice, et qu'on n'est -point capable de se jouer longtemps, lorsqu'on a dans l'esprit une passion aussi sérieuse que celle que je se -pour vous. Il est cruel, belle Julie, que cet amusement dérobe à mon amour un temps qu'il voudroit emplo +point capable de se jouer longtemps, lorsqu'on a dans l'esprit une passion aussi sérieuse que celle que je sens +pour vous. Il est cruel, belle Julie, que cet amusement dérobe à mon amour un temps qu'il voudroit employer à vous expliquer son ardeur ; et, cette nuit, j'ai fait là−dessus quelques vers, que je ne puis m'empêcher de -vous réciter, sans que vous me le demandiez, tant la démangeaison de dire ses ouvrages est un vice attach +vous réciter, sans que vous me le demandiez, tant la démangeaison de dire ses ouvrages est un vice attaché à la qualité de poète. C'est trop longtemps, Iris, me mettre à la torture : Iris, comme vous le voyez, est mis là pour Julie. @@ -50778,21 +50778,21 @@ Et si par la pitié vous n'êtes combattue, Je meurs et de la feinte, et de la vérité. Julie Je vois que vous vous faites là bien plus maltraité que vous n'êtes ; mais c'est une licence que prennent -Messieurs les poètes de mentir de gaieté de coeur, et de donner à leurs maîtresses des cruautés qu'elles n'o +Messieurs les poètes de mentir de gaieté de coeur, et de donner à leurs maîtresses des cruautés qu'elles n'ont pas, pour s'accommoder aux pensées qui leur peuvent venir. Cependant je serai bien aise que vous me donniez ces vers par écrit. Le Vicomte -C'est assez de vous les avoir dits, et je dois en demeurer là : il est permis d'être parfois assez fou pour fair +C'est assez de vous les avoir dits, et je dois en demeurer là : il est permis d'être parfois assez fou pour faire des vers, mais non pour vouloir qu'ils soient vus. Julie C'est en vain que vous vous retranchez sur une fausse modestie ; on sait dans le monde que vous avez de l'esprit, et je ne vois pas la raison qui vous oblige à cacher les vôtres. Le Vicomte -Mon Dieu ! Madame, marchons là−dessus, s'il vous plaît, avec beaucoup de retenue ; il est dangereux da -le monde de se mêler d'avoir de l'esprit. Il y a là dedans un certain ridicule qu'il est facile d'attraper, et nou +Mon Dieu ! Madame, marchons là−dessus, s'il vous plaît, avec beaucoup de retenue ; il est dangereux dans +le monde de se mêler d'avoir de l'esprit. Il y a là dedans un certain ridicule qu'il est facile d'attraper, et nous avons de nos amis qui me font craindre leur exemple. Julie -Mon Dieu ! Cléante, vous avez beau dire, je vois, avec tout cela, que vous mourez d'envie de me les donn +Mon Dieu ! Cléante, vous avez beau dire, je vois, avec tout cela, que vous mourez d'envie de me les donner, et je vous embarrasserois si je faisois semblant de ne m'en pas soucier. Le Vicomte Moi, Madame ? vous vous moquez, et je ne suis pas si poète que vous pourriez bien croire, pour.... Mais @@ -50801,10 +50801,10 @@ disposer tout mon monde au divertissement que je vous ai promis. Scène II La Comtesse, Julie La Comtesse -Ah, mon Dieu ! Madame, vous voilà toute seule ? Quelle pitié est−ce là ! toute seule ? Il me semble qu +Ah, mon Dieu ! Madame, vous voilà toute seule ? Quelle pitié est−ce là ! toute seule ? Il me semble que mes gens m'avoient dit que le Vicomte étoit ici ? Julie -Il est vrai qu'il y est venu ; mais c'est assez pour lui de savoir que vous n'y étiez pas pour l'obliger à sortir +Il est vrai qu'il y est venu ; mais c'est assez pour lui de savoir que vous n'y étiez pas pour l'obliger à sortir. La Comtesse Comment, il vous a vue ? Julie @@ -50818,13 +50818,13 @@ Vraiment je le veux quereller de cette action ; quelque amour que l'on ait pour m'aiment rendent ce qu'ils doivent au sexe ; et je ne suis point de l'humeur de ces femmes injustes qui s'applaudissent des incivilités que leurs amants font aux autres belles. Julie -Il ne faut point, Madame, que vous soyez surprise de son procédé. L'amour que vous lui donnez éclate da +Il ne faut point, Madame, que vous soyez surprise de son procédé. L'amour que vous lui donnez éclate dans toutes ses actions, et l'empêche d'avoir des yeux que pour vous. La Comtesse -Je crois être en état de pouvoir faire naître une passion assez forte, et je me trouve pour cela assez de beau -de jeunesse, et de qualité, Dieu merci ; mais cela n'empêche pas qu'avec ce que j'inspire, on ne puisse gar -de l'honnêteté et de la complaisance pour les autres. Que faites−vous donc là, laquais ? Est−ce qu'il n'y a -une antichambre où se tenir, pour venir quand on vous appelle ? Cela est étrange, qu'on ne puisse avoir e +Je crois être en état de pouvoir faire naître une passion assez forte, et je me trouve pour cela assez de beauté, +de jeunesse, et de qualité, Dieu merci ; mais cela n'empêche pas qu'avec ce que j'inspire, on ne puisse garder +de l'honnêteté et de la complaisance pour les autres. Que faites−vous donc là, laquais ? Est−ce qu'il n'y a pas +une antichambre où se tenir, pour venir quand on vous appelle ? Cela est étrange, qu'on ne puisse avoir en province un laquais qui sache son monde. A qui est−ce donc que je parle ? voulez−vous vous en aller là dehors, petit fripon ? Filles, approchez. Andrée @@ -50835,7 +50835,7 @@ pesantes ! Andrée Je fais, Madame, le plus doucement que je puis. La Comtesse -Oui ; mais le plus doucement que vous pouvez est fort rudement pour ma tête, et vous me l'avez déboîtée +Oui ; mais le plus doucement que vous pouvez est fort rudement pour ma tête, et vous me l'avez déboîtée. Tenez encore ce manchon, ne laissez point traîner tout cela, et portez−le dans ma garde−robe. Hé bien, où va−t−elle ? où va−t−elle ? que veut−elle faire, cet oison bridé ? Andrée @@ -50858,7 +50858,7 @@ C'est une fille de ma mère nourrice, que j'ai mise à la chambre, et elle est t Julie Cela est d'une belle âme, Madame, et il est glorieux de faire ainsi des créatures. La Comtesse -Allons, des sièges. Holà ! laquais, laquais, laquais. En vérité, voilà qui est violent, de ne pouvoir pas avoi +Allons, des sièges. Holà ! laquais, laquais, laquais. En vérité, voilà qui est violent, de ne pouvoir pas avoir un laquais, pour donner des siéges. Filles, laquais, laquais, filles, quelqu'un. Je pense que tous mes gens sont morts, et que nous serons contraintes de nous donner des siéges nous−mêmes. Andrée @@ -50874,7 +50874,7 @@ Holà ! Criquet. La Comtesse Laissez là votre Criquet, bouvière, et appelez laquais. Andrée -Laquais donc, et non pas Criquet, venez parler à Madame. Je pense qu'il est sourd : Criq... laquais, laquai +Laquais donc, et non pas Criquet, venez parler à Madame. Je pense qu'il est sourd : Criq... laquais, laquais. Criquet Plaît−il ? La Comtesse @@ -50887,13 +50887,13 @@ Criquet Vous m'avez dit d'aller là dehors. La Comtesse Vous êtes un petit impertinent, mon ami, et vous devez savoir que là dehors, en termes de personnes de -qualité, veut dire l'antichambre. Andrée, ayez soin tantôt de faire donner le fouet à ce petit fripon−là, par m +qualité, veut dire l'antichambre. Andrée, ayez soin tantôt de faire donner le fouet à ce petit fripon−là, par mon écuyer : c'est un petit incorrigible. Andrée Qu'est−ce que c'est, Madame, que votre écuyer ? Est−ce maître Charles que vous appelez comme cela ! La Comtesse -Taisez−vous, sotte que vous êtes : vous ne sauriez ouvrir la bouche que vous ne disiez une impertinence. -siéges. Et vous, allumez deux bougies dans mes flambeaux d'argent : il se fait déjà tard. Qu'est−ce que c'e +Taisez−vous, sotte que vous êtes : vous ne sauriez ouvrir la bouche que vous ne disiez une impertinence. Des +siéges. Et vous, allumez deux bougies dans mes flambeaux d'argent : il se fait déjà tard. Qu'est−ce que c'est donc que vous me regardez toute effarée ? Andrée Madame... @@ -50939,12 +50939,12 @@ Hé ! allons donc, Madame. Julie Hé ! allons donc, Madame. La Comtesse -Je suis chez moi, Madame, nous sommes demeurées d'accord de cela. Me prenez−vous pour une provinci +Je suis chez moi, Madame, nous sommes demeurées d'accord de cela. Me prenez−vous pour une provinciale, Madame ? Julie Dieu m'en garde, Madame ! La Comtesse -Allez, impertinente, je bois avec une soucoupe. Je vous dis que vous m'alliez querir une soucoupe pour bo +Allez, impertinente, je bois avec une soucoupe. Je vous dis que vous m'alliez querir une soucoupe pour boire. Andrée Criquet, qu'est−ce que, c'est qu'une soucoupe ? Criquet @@ -50958,7 +50958,7 @@ Vous ne vous grouillez pas ? Andrée Nous ne savons tous deux, Madame, ce que c'est qu'une soucoupe. La Comtesse -Apprenez que c'est une assiette sur laquelle on met le verre. Vive Paris pour être bien servie ! on vous en +Apprenez que c'est une assiette sur laquelle on met le verre. Vive Paris pour être bien servie ! on vous entend là au moindre coup d'oeil. Hé bien ! vous ai−je dit comme cela, tête de boeuf ? C'est dessous qu'il faut mettre l'assiette. Andrée @@ -50972,58 +50972,58 @@ Mais voyez cette maladroite, cette bouvière, cette butorde, cette... Andrée, s'en allant. Dame, Madame, si je le paye, je ne veux point être querellée. La Comtesse -Otez−vous de devant mes yeux. En vérité, Madame, c'est une chose étrange que les petites villes ; on n'y -point du tout son monde ; et je viens de faire deux ou trois visites, où ils ont pensé me désespérer par le p +Otez−vous de devant mes yeux. En vérité, Madame, c'est une chose étrange que les petites villes ; on n'y sait +point du tout son monde ; et je viens de faire deux ou trois visites, où ils ont pensé me désespérer par le peu de respect qu'ils rendent à ma qualité. Julie Où auroient−ils appris à vivre ? Ils n'ont point fait de voyage à Paris. La Comtesse -Ils ne laisseroient pas de l'apprendre, s'ils vouloient écouter les personnes ; mais le mal que j'y trouve, c'e +Ils ne laisseroient pas de l'apprendre, s'ils vouloient écouter les personnes ; mais le mal que j'y trouve, c'est qu'ils veulent en savoir autant que moi, qui ai été deux mois à Paris, et vu toute la cour. Julie Les sottes gens que voilà ! La Comtesse -Ils sont insupportables avec les impertinentes égalités dont ils traitent les gens. Car enfin il faut qu'il y ait +Ils sont insupportables avec les impertinentes égalités dont ils traitent les gens. Car enfin il faut qu'il y ait de la subordination dans les choses, et ce qui me met hors de moi, c'est qu'un gentilhomme de ville de deux -jours, ou de deux cents ans, aura l'effronterie de dire qu'il est aussi bien gentilhomme que feu Monsieur m -mari, qui demeuroit à la campagne, qui avoit meute de chiens courants, et qui prenoit la qualité de comte +jours, ou de deux cents ans, aura l'effronterie de dire qu'il est aussi bien gentilhomme que feu Monsieur mon +mari, qui demeuroit à la campagne, qui avoit meute de chiens courants, et qui prenoit la qualité de comte dans tous les contrats qu'il passoit. Julie On sait bien mieux vivre à Paris, dans ces hôtels dont la mémoire doit être si chère. Cet hôtel de Mouhy, Madame, cet hôtel de Lyon, cet hôtel de Hollande ! les agréables demeures que voilà ! La Comtesse Il est vrai qu'il y a bien de la différence de ces lieux−là à tout ceci. On y voit venir du beau monde, qui ne -marchande point à vous rendre tous les respects qu'on sauroit souhaiter. On ne s'en lève pas, si l'on veut, d +marchande point à vous rendre tous les respects qu'on sauroit souhaiter. On ne s'en lève pas, si l'on veut, de dessus son siége ; et lorsque l'on veut voir la revue, ou le grand ballet de Psyché, on est servie à point nommé. Julie Je pense, Madame, que, durant votre séjour à Paris, vous avez fait bien des conquêtes de qualité. La Comtesse -Vous pouvez bien croire, Madame, que tout ce qui s'appelle les galants de la cour n'a pas manqué de veni +Vous pouvez bien croire, Madame, que tout ce qui s'appelle les galants de la cour n'a pas manqué de venir à ma porte, et de m'en conter ; et je garde dans ma cassette de leurs billets, qui peuvent faire voir quelles -propositions j'ai refusées ; il n'est pas nécessaire de vous dire leurs noms ; on sait ce qu'on veut dire par l +propositions j'ai refusées ; il n'est pas nécessaire de vous dire leurs noms ; on sait ce qu'on veut dire par les galants de la cour. Julie -Je m'étonne, Madame, que de tous ces grands noms, que je devine, vous ayez pu redescendre à un Monsie -Tibaudier, le conseiller, et à un Monsieur Harpin, le receveur des tailles. La chute est grande, je vous l'avo -Car pour Monsieur votre vicomte, quoique vicomte de province, c'est toujours un vicomte, et il peut faire -voyage à Paris, s'il n'en a point fait ; mais un conseiller, et un receveur, sont des amants un peu bien minc +Je m'étonne, Madame, que de tous ces grands noms, que je devine, vous ayez pu redescendre à un Monsieur +Tibaudier, le conseiller, et à un Monsieur Harpin, le receveur des tailles. La chute est grande, je vous l'avoue. +Car pour Monsieur votre vicomte, quoique vicomte de province, c'est toujours un vicomte, et il peut faire un +voyage à Paris, s'il n'en a point fait ; mais un conseiller, et un receveur, sont des amants un peu bien minces, pour une grande comtesse comme vous. La Comtesse Ce sont gens qu'on ménage dans les provinces pour le besoin qu'on en peut avoir ; ils servent au moins à -remplir les vuides de la galanterie, à faire nombre de soupirants ; et il est bon, Madame, de ne pas laisser +remplir les vuides de la galanterie, à faire nombre de soupirants ; et il est bon, Madame, de ne pas laisser un amant seul maître du terrain, de peur que, faute de rivaux, son amour ne s'endorme sur trop de confiance. Julie -Je vous avoue, Madame, qu'il y a merveilleusement à profiter de tout ce que vous dites ; c'est une école q +Je vous avoue, Madame, qu'il y a merveilleusement à profiter de tout ce que vous dites ; c'est une école que votre conversation, et j'y viens tous les jours attraper quelque chose. Scène III Criquet, La Comtesse, Julie, Andrée, Jeannot Criquet Voilà Jeannot de Monsieur le Conseiller qui vous demande, Madame. La Comtesse -Hé bien ! petit coquin, voilà encore de vos âneries : un laquais qui sauroit vivre ; auroit été parler tout b +Hé bien ! petit coquin, voilà encore de vos âneries : un laquais qui sauroit vivre ; auroit été parler tout bas à la demoiselle suivante, qui seroit venue dire doucement à l'oreille de sa maîtresse : "Madame, voilà le -laquais de Monsieur un tel qui demande à vous dire un mot" ; à quoi la maîtresse auroit répondu : "Faite +laquais de Monsieur un tel qui demande à vous dire un mot" ; à quoi la maîtresse auroit répondu : "Faites−le entrer." Criquet Entrez, Jeannot. @@ -51058,66 +51058,66 @@ C'est moi qui te l'ai fait prendre Jeannot Je l'aurois bien pris sans toi. La Comtesse -Ce qui me plaît de ce Monsieur Tibaudier, c'est qu'il sait vivre avec les personnes de ma qualité, et qu'il e +Ce qui me plaît de ce Monsieur Tibaudier, c'est qu'il sait vivre avec les personnes de ma qualité, et qu'il est fort respectueux. Scène IV Le Vicomte, La Comtesse, Julie, Criquet, Andrée Le Vicomte -Madame, je viens vous avertir que la comédie sera bientôt prête, et que, dans un quart d'heure, nous pouv +Madame, je viens vous avertir que la comédie sera bientôt prête, et que, dans un quart d'heure, nous pouvons passer dans la salle. La Comtesse Je ne veux point de cohue, au moins. Que l'on dise à mon Suisse qu'il ne laisse entrer personne. Le Vicomte -En ce cas, Madame, je vous déclare que je renonce à la comédie, et je n'y saurois prendre de plaisir lorsqu +En ce cas, Madame, je vous déclare que je renonce à la comédie, et je n'y saurois prendre de plaisir lorsque la compagnie n'est pas nombreuse. Croyez−moi, si vous voulez vous bien divertir, qu'on dise à vos gens de laisser entrer toute la ville. La Comtesse Laquais, un siége. Vous voilà venu à propos pour recevoir un petit sacrifice que je veux bien vous faire. -Tenez, c'est un billet de Monsieur Tibaudier, qui m'envoie des poires. Je vous donne la liberté de le lire to +Tenez, c'est un billet de Monsieur Tibaudier, qui m'envoie des poires. Je vous donne la liberté de le lire tout haut, je ne l'ai point encore vu. Le Vicomte Voici un billet du beau style, Madame, et qui mérite d'être bien écouté. (Il lit.) -Madame, je n'aurois pas pu vous faire le présent que je vous envoie, si je ne recueillois pas plus de fruit d +Madame, je n'aurois pas pu vous faire le présent que je vous envoie, si je ne recueillois pas plus de fruit de mon jardin, que je n'en recueille de mon amour. La Comtesse Cela vous marque clairement qu'il ne se passe rien entre nous. Le Vicomte continue. -Les poires ne sont pas encore bien mûres, mais elles en cadrent mieux avec la dureté de votre âme, qui, pa -ses continuels dédains, ne me promet pas poires molles. Trouvez bon, Madame, que sans m'engager dans -énumération de vos perfections et charmes, qui me jetteroit dans un progrès à l'infini, je conclue ce mot, e -vous faisant considérer qui je suis d'un aussi franc chrétien que les poires que je vous envoie, puisque je r -le bien pour le mal, c'est−à−dire, Madame, pour m'expliquer plus intelligiblement, puisque je vous présen +Les poires ne sont pas encore bien mûres, mais elles en cadrent mieux avec la dureté de votre âme, qui, par +ses continuels dédains, ne me promet pas poires molles. Trouvez bon, Madame, que sans m'engager dans une +énumération de vos perfections et charmes, qui me jetteroit dans un progrès à l'infini, je conclue ce mot, en +vous faisant considérer qui je suis d'un aussi franc chrétien que les poires que je vous envoie, puisque je rends +le bien pour le mal, c'est−à−dire, Madame, pour m'expliquer plus intelligiblement, puisque je vous présente des poires de bon−chrétien pour des poires d'angoisse, que vos cruautés me font avaler tous les jours.Tibaudier votre esclave indigne. Voilà, Madame, un billet à garder. La Comtesse -Il y a peut−être quelque mot qui n'est pas de l'Académie ; mais j'y remarque un certain respect qui me pla +Il y a peut−être quelque mot qui n'est pas de l'Académie ; mais j'y remarque un certain respect qui me plaît beaucoup. Julie -Vous avez raison, Madame, et Monsieur le Vicomte dût−il s'en offenser, j'aimerois un homme qui m'écrir +Vous avez raison, Madame, et Monsieur le Vicomte dût−il s'en offenser, j'aimerois un homme qui m'écriroit comme cela. Scène V Monsieur Tibaudier, Le Vicomte, La Comtesse, Julie, Andrée, Criquet La Comtesse -Approchez, Monsieur Tibaudier, ne craignez point d'entrer. Votre billet a été bien reçu, aussi bien que vo +Approchez, Monsieur Tibaudier, ne craignez point d'entrer. Votre billet a été bien reçu, aussi bien que vos poires, et voilà Madame qui parle pour vous contre votre rival. Monsieur Tibaudier -Je lui suis bien obligé, Madame, et si elle a jamais quelque procès en notre siège, elle verra que je n'oublie +Je lui suis bien obligé, Madame, et si elle a jamais quelque procès en notre siège, elle verra que je n'oublierai pas l'honneur qu'elle me fait de se rendre auprès de vos beautés l'avocat de ma flamme. Julie Vous n'avez pas besoin d'avocat, Monsieur, et votre cause est juste. Monsieur Tibaudier -Ce néanmoins, Madame, bon droit a besoin d'aide et j'ai sujet d'appréhender de me voir supplanté par un t +Ce néanmoins, Madame, bon droit a besoin d'aide et j'ai sujet d'appréhender de me voir supplanté par un tel rival, et que Madame ne soit circonvenue par la qualité de vicomte. Le Vicomte -J'espérois quelque chose, Monsieur Tibaudier ; avant votre billet ; mais il me fait craindre pour mon amo +J'espérois quelque chose, Monsieur Tibaudier ; avant votre billet ; mais il me fait craindre pour mon amour. Monsieur Tibaudier Voici encore, Madame, deux petits versets, ou couplets, que j'ai composés à votre honneur et gloire. Le Vicomte Ah ! je ne pensois pas que Monsieur Tibaudier fût poète, et voilà pour m'achever que ces deux petits versets−là. La Comtesse -Il veut dire deux strophes. Laquais, donnez un siége à Monsieur Tibaudier. Un pliant, petit animal. Monsi +Il veut dire deux strophes. Laquais, donnez un siége à Monsieur Tibaudier. Un pliant, petit animal. Monsieur Tibaudier, mettez−vous là, et nous lisez vos strophes. Monsieur Tibaudier Une personne de qualité @@ -51157,18 +51157,18 @@ Quoi ? Martial fait−il des vers ? Je pensois qu'il ne fît que des gants ? Monsieur Tibaudier Ce n'est pas ce Martial−là, Madame ; c'est un auteur qui vivoit il y a trente ou quarante ans. Le Vicomte -Monsieur Tibaudier a lu les auteurs, comme vous le voyez. Mais allons voir, Madame, si ma musique et m -comédie, avec mes entrées de ballet, pourront combattre dans votre esprit les progrès des deux strophes et +Monsieur Tibaudier a lu les auteurs, comme vous le voyez. Mais allons voir, Madame, si ma musique et ma +comédie, avec mes entrées de ballet, pourront combattre dans votre esprit les progrès des deux strophes et du billet que nous venons de voir. La Comtesse -Il faut que mon fils le Comte soit de la partie ; car il est arrivé ce matin de mon château avec son précepte +Il faut que mon fils le Comte soit de la partie ; car il est arrivé ce matin de mon château avec son précepteur, que je vois là dedans. Scène VI Monsieur Bobinet, Monsieur Tibaudier, La Comtesse, Le Vicomte, Julie, Andrée, Criquet La Comtesse Holà ! Monsieur Bobinet, Monsieur Bobinet, approchez−vous du monde. Monsieur Bobinet -Je donne le bon vêpres à toute l'honorable compagnie. Que désire Madame la Comtesse d'Escarbagnas de +Je donne le bon vêpres à toute l'honorable compagnie. Que désire Madame la Comtesse d'Escarbagnas de son très−humble serviteur Bobinet ? La Comtesse A quelle heure, Monsieur Bobinet, êtes−vous parti d'Escarbagnas, avec mon fils le Comte ? @@ -51195,12 +51195,12 @@ Ce Monsieur Bobinet, Madame ; a la mine fort sage, et je crois qu'il a de l'esp Scène VII La Comtesse, Le Vicomte, Julie, Le Comte, Monsieur Bobinet, Monsieur Tibaudier, Andrée, Criquet Monsieur Bobinet -Allons, Monsieur le Comte, faites voir que vous profitez des bons documents qu'on vous donne. La révére +Allons, Monsieur le Comte, faites voir que vous profitez des bons documents qu'on vous donne. La révérence à toute l'honnête assemblée. La Comtesse Comte, saluez Madame. Faites la révérence à Monsieur le Vicomte. Saluez Monsieur le Conseiller. Monsieur Tibaudier -Je suis ravi, Madame, que vous me concédiez la grâce d'embrasser Monsieur le Comte votre fils. On ne p +Je suis ravi, Madame, que vous me concédiez la grâce d'embrasser Monsieur le Comte votre fils. On ne peut pas aimer le tronc qu'on n'aime aussi les branches. La Comtesse Mon Dieu ! Monsieur Tibaudier, de quelle comparaison vous servez−vous là ? @@ -51217,7 +51217,7 @@ C'est Monsieur votre frère, et non pas Monsieur votre fils. La Comtesse Monsieur Bobinet, ayez bien soin au moins de son éducation. Monsieur Bobinet -Madame, je n'oublierai aucune chose pour cultiver cette jeune plante dont vos bontés m'ont fait l'honneur +Madame, je n'oublierai aucune chose pour cultiver cette jeune plante dont vos bontés m'ont fait l'honneur de me confier la conduite et je tâcherai de lui inculquer les semences de la vertu. La Comtesse Monsieur Bobinet, faites−lui un peu dire quelque petite galanterie de ce que vous lui apprenez. @@ -51231,7 +51231,7 @@ Fi ! Monsieur Bobinet, quelles sottises est−ce que vous lui apprenez là ? Monsieur Bobinet C'est du latin, Madame, et la première règle de Jean Despautère. La Comtesse -Mon Dieu ! ce Jean Despautère−là est un insolent, et je vous prie de lui enseigner du latin plus honnête q +Mon Dieu ! ce Jean Despautère−là est un insolent, et je vous prie de lui enseigner du latin plus honnête que celui−là. Monsieur Bobinet Si vous voulez, Madame, qu'il achève, la glose expliquera ce que cela veut dire. @@ -51247,11 +51247,11 @@ musique, et de danse dont on a voulu composer ce divertissement, et que... La Comtesse Mon Dieu ! voyons l'affaire : on a assez d'esprit pour comprendre les choses. Le Vicomte -Qu'on commence le plus tôt qu'on pourra, et qu'on empêche, s'il se peut, qu'aucun fâcheux ne vienne troub +Qu'on commence le plus tôt qu'on pourra, et qu'on empêche, s'il se peut, qu'aucun fâcheux ne vienne troubler notre divertissement. (Après que les violons ont quelque peu joué, et que toute la compagnie est assise.) Scène VIII -La Comtesse, Le Comte, Le Vicomte, Julie, Monsieur Harpin, Monsieur Tibaudier, aux pieds de la Comt +La Comtesse, Le Comte, Le Vicomte, Julie, Monsieur Harpin, Monsieur Tibaudier, aux pieds de la Comtesse, Monsieur Bobinet, Andrée Monsieur Harpin Parbleu ! la chose est belle, et je me réjouis de voir ce que je vois. @@ -51273,15 +51273,15 @@ Si fait morbleu ! je le sais bien ; je le sais bien, morbleu ! et... La Comtesse Eh fi ! Monsieur, que cela est vilain de jurer de la sorte ! Monsieur Harpin -Eh ventrebleu ! s'il y a ici quelque chose de vilain, ce ne sont point mes jurements, ce sont vos actions, et -vaudroit bien mieux que vous jurassiez, vous, la tête, la mort et la sang, que de faire ce que vous faites av +Eh ventrebleu ! s'il y a ici quelque chose de vilain, ce ne sont point mes jurements, ce sont vos actions, et il +vaudroit bien mieux que vous jurassiez, vous, la tête, la mort et la sang, que de faire ce que vous faites avec Monsieur le Vicomte. Le Vicomte Je ne sais pas, Monsieur le Receveur, de quoi vous vous plaignez, et si... Monsieur Harpin -Pour vous, Monsieur, je n'ai rien à vous dire : vous faites bien de pousser votre pointe, cela est naturel, je -le trouve point étrange, et je vous demande pardon si j'interromps votre comédie ; mais vous ne devez po -trouver étrange aussi que je me plaigne de son procédé, et nous avons raison tous deux de faire ce que nou +Pour vous, Monsieur, je n'ai rien à vous dire : vous faites bien de pousser votre pointe, cela est naturel, je ne +le trouve point étrange, et je vous demande pardon si j'interromps votre comédie ; mais vous ne devez point +trouver étrange aussi que je me plaigne de son procédé, et nous avons raison tous deux de faire ce que nous faisons. Le Vicomte Je n'ai rien à dire à cela, et ne sais point les sujets de plaintes que vous pouvez avoir contre Madame la @@ -51294,36 +51294,36 @@ Moi, me plaindre doucement ? La Comtesse Oui. L'on ne vient point crier de dessus un théâtre ce qui se doit dire en particulier. Monsieur Harpin -J'y viens moi, morbleu ! tout exprès, c'est le lieu qu'il me faut, et je souhaiterois que ce fût un théâtre pub +J'y viens moi, morbleu ! tout exprès, c'est le lieu qu'il me faut, et je souhaiterois que ce fût un théâtre public, pour vous dire avec plus d'éclat toutes vos vérités. La Comtesse -Faut−il faire un si grand vacarme pour une comédie que Monsieur le Vicomte me donne ? Vous voyez qu +Faut−il faire un si grand vacarme pour une comédie que Monsieur le Vicomte me donne ? Vous voyez que Monsieur Tibaudier, qui m'aime, en use plus respectueusement que vous. Monsieur Harpin -Monsieur Tibaudier en use comme il lui plaît, je ne sais pas de quelle façon Monsieur Tibaudier a été ave +Monsieur Tibaudier en use comme il lui plaît, je ne sais pas de quelle façon Monsieur Tibaudier a été avec vous, mais Monsieur Tibaudier n'est pas un exemple pour moi, et je ne suis point d'humeur à payer les violons pour faire danser les autres. La Comtesse -Mais vraiment, Monsieur le Receveur, vous ne songez pas à ce que vous dites : on ne traite point de la so -les femmes de qualité, et ceux qui vous entendent croiroient qu'il y a quelque chose d'étrange entre vous e +Mais vraiment, Monsieur le Receveur, vous ne songez pas à ce que vous dites : on ne traite point de la sorte +les femmes de qualité, et ceux qui vous entendent croiroient qu'il y a quelque chose d'étrange entre vous et moi. Monsieur Harpin Hé ventrebleu ! Madame, quittons la faribole. La Comtesse Que voulez−vous donc dire avec votre "quittons la faribole" ? Monsieur Harpin -Je veux dire que je ne trouve point étrange que vous vous rendiez au mérite de Monsieur le Vicomte : vo +Je veux dire que je ne trouve point étrange que vous vous rendiez au mérite de Monsieur le Vicomte : vous n'êtes pas la première femme qui joue dans le monde de ces sortes de caractères, et qui ait auprès d'elle un -Monsieur le Receveur, dont on lui voit trahir et la passion et la bourse, pour le premier venu qui lui donne -dans la vue ; mais ne trouvez point étrange aussi que je ne sois point la dupe d'une infidélité si ordinaire a +Monsieur le Receveur, dont on lui voit trahir et la passion et la bourse, pour le premier venu qui lui donnera +dans la vue ; mais ne trouvez point étrange aussi que je ne sois point la dupe d'une infidélité si ordinaire aux coquettes du temps, et que je vienne vous assurer devant bonne compagnie que je romps commerce avec vous, et que Monsieur le Receveur ne sera plus pour vous Monsieur le Donneur. La Comtesse -Cela est merveilleux, comme les amants emportés deviennent à la mode, on ne voit autre chose de tous cô +Cela est merveilleux, comme les amants emportés deviennent à la mode, on ne voit autre chose de tous côtés. La, la, Monsieur le Receveur, quittez votre colère, et venez prendre place pour voir la comédie. Monsieur Harpin Moi, morbleu ! prendre place ! cherchez vos benêts à vos pieds. Je vous laisse, Madame la Comtesse, à -Monsieur le Vicomte, et ce sera à lui que j'envoyerai tantôt vos lettres. Voilà ma scène faite, voila mon rô +Monsieur le Vicomte, et ce sera à lui que j'envoyerai tantôt vos lettres. Voilà ma scène faite, voila mon rôle joué. Serviteur à la compagnie. Monsieur Tibaudier Monsieur le Receveur, nous nous verrons autre part qu'ici ; et je vous ferai voir que je suis au poil et à la @@ -51336,12 +51336,12 @@ Le Vicomte Les jaloux, Madame, sont comme ceux qui perdent leur procès : ils ont permission de tout dire. Prêtons silence à la comédie. Scène dernière -La Comtesse, Le Vicomte, Le Comte, Julie, Monsieur Tibaudier, Monsieur Bobinet, Andrée, Jeannot, Cri +La Comtesse, Le Vicomte, Le Comte, Julie, Monsieur Tibaudier, Monsieur Bobinet, Andrée, Jeannot, Criquet Jeannot Voilà un billet, Monsieur, qu'on nous a dit de vous donner vite. Le Vicomte lit. En cas que vous ayez quelque mesure à prendre, je vous envoie promptement un avis. La querelle de vos -parents et de ceux de Julie vient d'être accommodée, et les conditions de cet accord, c'est le mariage de vo +parents et de ceux de Julie vient d'être accommodée, et les conditions de cet accord, c'est le mariage de vous et d'elle. Bonsoir. Ma foi ! Madame, voilà notre comédie achevée aussi. Julie @@ -51350,7 +51350,7 @@ La Comtesse Comment donc ? qu'est−ce que cela veut dire ? Le Vicomte Cela veut dire, Madame, que j'épouse Julie ; et, si vous m'en croyez, pour rendre la comédie complète de -tout point, vous épouserez Monsieur Tibaudier, et donnerez Mademoiselle Andrée à son laquais, dont il fe +tout point, vous épouserez Monsieur Tibaudier, et donnerez Mademoiselle Andrée à son laquais, dont il fera son valet de chambre. La Comtesse Quoi ? jouer de la sorte une personne de ma qualité ? @@ -51364,7 +51364,7 @@ Le Vicomte Souffrez, Madame, qu'en enrageant nous puissions voir ici le reste du spectacle. Les Femmes savantes Comédie -Représentée la première fois à Paris sur le Théâtre de la salle du Palais−Royal le IIe mars 1672 par la Tro +Représentée la première fois à Paris sur le Théâtre de la salle du Palais−Royal le IIe mars 1672 par la Troupe du Roi Personnages Chrysale, bon bourgeois. @@ -53535,9 +53535,9 @@ Julien Je noterai cela, Madame, dans mon livre. Philaminte, lit : Trissotin s'est vanté, Madame, qu'il épouseroit votre fille. Je vous donne avis que sa philosophie n'en veut -qu'à vos richesses, et que vous ferez bien de ne point conclure ce mariage que vous n'ayez vu le poème qu +qu'à vos richesses, et que vous ferez bien de ne point conclure ce mariage que vous n'ayez vu le poème que je compose contre lui. En attendant cette peinture, où je prétends vous le dépeindre de toutes ses couleurs, je -vous envoie Horace, Virgile, Térence, et Catulle, où vous verrez notés en marge tous les endroits qu'il a p +vous envoie Horace, Virgile, Térence, et Catulle, où vous verrez notés en marge tous les endroits qu'il a pillés. Philaminte poursuit. Voilà sur cet hymen que je me suis promis Un mérite attaqué de beaucoup d'ennemis ; @@ -54006,8 +54006,8 @@ Digne de nous troubler, pourroit−on nous écrire ? Ariste Cette lettre en contient un que vous pouvez lire. Philaminte -Madame, j'ai prié Monsieur votre frère de vous rendre cette lettre, qui vous dira ce que je n'ai osé vous all -dire. La grande négligence que vous avez pour vos affaires a été cause que le clerc de votre rapporteur ne +Madame, j'ai prié Monsieur votre frère de vous rendre cette lettre, qui vous dira ce que je n'ai osé vous aller +dire. La grande négligence que vous avez pour vos affaires a été cause que le clerc de votre rapporteur ne m'a point averti, et vous avez perdu absolument votre procès que vous deviez gagner. Chrysale Votre procès perdu ! @@ -54016,7 +54016,7 @@ Vous vous troublez beaucoup ! Mon coeur n'est point du tout ébranlé de ce coup. Faites, faites paroître une âme moins commune, A braver, comme moi, les traits de la fortune. -Le peu de soin que vous avez vous coûte quarante mille écus, et c'est à payer cette somme, avec les dépen +Le peu de soin que vous avez vous coûte quarante mille écus, et c'est à payer cette somme, avec les dépens, que vous êtes condamnée par arrêt de la Cour. Condamnée ! Ah ! ce mot est choquant, et n'est fait Que pour les criminels. @@ -54029,8 +54029,8 @@ Quarante mille écus, et les dépens qu'il faut. Philaminte Voyons l'autre. Chrysale lit. -Monsieur, l'amitié qui me lie à Monsieur votre frère me fait prendre intérêt à tout ce qui vous touche. Je s -que vous avez mis votre bien entre les mains d'Argante et de Damon, et je vous donne avis qu'en même jo +Monsieur, l'amitié qui me lie à Monsieur votre frère me fait prendre intérêt à tout ce qui vous touche. Je sais +que vous avez mis votre bien entre les mains d'Argante et de Damon, et je vous donne avis qu'en même jour ils ont fait tous deux banqueroute. O Ciel ! tout à la fois perdre ainsi tout mon bien ! Philaminte @@ -54134,7 +54134,7 @@ Et faites le contrat ainsi que je l'ai dit. Le Malade imaginaire Comédie Mêlée de musique et de danses -Représentée pour la première fois sur le Théâtre de la salle du Palais−Royal le 10 février 1673 par la Trou +Représentée pour la première fois sur le Théâtre de la salle du Palais−Royal le 10 février 1673 par la Troupe du Roi Personnages Argan, malade imaginaire. @@ -54151,9 +54151,9 @@ Monsieur Bonnefoy, notaire. Toinette, servante. La scène est à Paris. Le prologue -Après les glorieuses fatigues et les exploits victorieux de notre auguste monarque, il est bien juste que tou -ceux qui se mêlent d'écrire travaillent ou à ses louanges, ou à son divertissement. C'est ce qu'ici l'on a vou -faire, et ce prologue est un essai des louanges de ce grand prince, qui donne entrée à la comédie du Malad +Après les glorieuses fatigues et les exploits victorieux de notre auguste monarque, il est bien juste que tous +ceux qui se mêlent d'écrire travaillent ou à ses louanges, ou à son divertissement. C'est ce qu'ici l'on a voulu +faire, et ce prologue est un essai des louanges de ce grand prince, qui donne entrée à la comédie du Malade imaginaire, dont le projet a été fait pour le délasser de ses nobles travaux. (La décoration représente un lieu champêtre fort agréable.) Eglogue @@ -54254,8 +54254,8 @@ O mot plein de douceur ! Tous deux Plus beau sujet, plus belle récompense Peuvent−ils animer un coeur ? -Les violons jouent un air pour animer les deux Bergers au combat, tandis que Flore, comme juge, va se pl -au pied de l'arbre, avec deux Zéphirs, et que le reste, comme spectateurs, va occuper les deux coins du thé +Les violons jouent un air pour animer les deux Bergers au combat, tandis que Flore, comme juge, va se placer +au pied de l'arbre, avec deux Zéphirs, et que le reste, comme spectateurs, va occuper les deux coins du théâtre. Tircis Quand la neige fondue enfle un torrent fameux, Contre l'effort soudain de ses flots écumeux @@ -54325,7 +54325,7 @@ Ne laissez pas tous deux de recevoir le prix : Dans les choses grandes et belles Il suffit d'avoir entrepris. Entrée de Ballet -Les deux Zéphirs dansent avec deux couronnes de fleurs à la main, qu'ils viennent ensuite donner aux deu +Les deux Zéphirs dansent avec deux couronnes de fleurs à la main, qu'ils viennent ensuite donner aux deux bergers. Climène et Daphné, en leur donnant la main. Dans les choses grandes et belles @@ -54350,8 +54350,8 @@ préparer pour la Comédie. Autre prologue Le théâtre représente une forêt. L'ouverture du théâtre se fait par un bruit agréable d'instruments. Ensuite une Bergère vient se plaindre -tendrement de ce qu'elle ne trouve aucun remède pour soulager les peines qu'elle endure. Plusieurs Faune -Aegipans, assemblés pour des fêtes et des jeux qui leur sont particuliers rencontrent la Bergère. Ils écoute +tendrement de ce qu'elle ne trouve aucun remède pour soulager les peines qu'elle endure. Plusieurs Faunes et +Aegipans, assemblés pour des fêtes et des jeux qui leur sont particuliers rencontrent la Bergère. Ils écoutent ses plaintes et forment un spectacle très−divertissant. Plainte de la Bergère Votre plus haut savoir n'est que pure chimère, @@ -54379,44 +54379,44 @@ Votre plus haut savoir n'est que pure chimère. Le théâtre change et représente une chambre. Acte I Scène I -Argan, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties, d'apothicaire avec des jetons +Argan, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties, d'apothicaire avec des jetons ; il fait, parlant à lui−même, les dialogues suivants. -Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. "Plus, du vingt−quatrièm +Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. "Plus, du vingt−quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif, et rémollient, pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur." Ce qui me plaît de Monsieur Fleurant, mon apothicaire, c'est que ses parties sont toujours fort -civiles : "les entrailles de Monsieur, trente sols." Oui, mais, Monsieur Fleurant, ce n'est pas tout que d'êtr +civiles : "les entrailles de Monsieur, trente sols." Oui, mais, Monsieur Fleurant, ce n'est pas tout que d'être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement : Je suis votre -serviteur, je vous l'ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres parties qu'à vingt sols, et vingt sols -langage d'apothicaire, c'est−à−dire dix sols ; les voilà, dix sols. "Plus, dudit jour, un bon clystère détersif -composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l'ordonnance, pour balayer, laver -nettoyer le bas−ventre de Monsieur, trente sols." Avec votre permission, dix sols. "Plus, dudit jour, le soir +serviteur, je vous l'ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres parties qu'à vingt sols, et vingt sols en +langage d'apothicaire, c'est−à−dire dix sols ; les voilà, dix sols. "Plus, dudit jour, un bon clystère détersif, +composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l'ordonnance, pour balayer, laver, et +nettoyer le bas−ventre de Monsieur, trente sols." Avec votre permission, dix sols. "Plus, dudit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif, et somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente−cinq sols." Je ne me plains pas de celui−là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize et dix−sept sols, six deniers. "Plus, du vingt−cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec séné -levantin, et autres, suivant l'ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieu -quatre livres." Ah ! Monsieur Fleurant, c'est se moquer ; il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon +levantin, et autres, suivant l'ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, +quatre livres." Ah ! Monsieur Fleurant, c'est se moquer ; il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonn�� de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s'il vous plaît. Vingt et trente sols. "Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols." Bon, dix et -quinze sols. "Plus, du vingt−sixième, un clystère carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente so +quinze sols. "Plus, du vingt−sixième, un clystère carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente sols." Dix sols, Monsieur Fleurant. "Plus, le clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente sols." -Monsieur Fleurant, dix sols. "Plus, du vingt−septième, une bonne médecine composée pour hâter d'aller, e -chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres." Bon, vingt et trente sols : je suis bien ai +Monsieur Fleurant, dix sols. "Plus, du vingt−septième, une bonne médecine composée pour hâter d'aller, et +chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres." Bon, vingt et trente sols : je suis bien aise que vous soyez raisonnable. "Plus, du vingt−huitième, une prise de petit−lait clarifié, et dulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer, et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols." Bon, dix sols. "Plus, une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoard, sirops de limon et grenade, et autres, suivant l'ordonnance, cinq livres." Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s'il vous plaît ; si vous en usez -comme cela, on ne voudra plus être malade : contentez−vous de quatre francs. Vingt et quarante sols. Tro -et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres, quatre sols, six deniers. Si bie +comme cela, on ne voudra plus être malade : contentez−vous de quatre francs. Vingt et quarante sols. Trois +et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres, quatre sols, six deniers. Si bien donc que de ce mois j'ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit médecines ; et un, deux, trois, -quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements ; et l'autre mois il y avoit douze médecine -vingt lavements. Je ne m'étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois−ci que l'autre. Je le dirai à Mons +quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements ; et l'autre mois il y avoit douze médecines, et +vingt lavements. Je ne m'étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois−ci que l'autre. Je le dirai à Monsieur Purgon, afin qu'il mette ordre à cela. Allons, qu'on m'ôte tout ceci. Il n'y a personne : j'ai beau dire, on me -laisse toujours seul ; il n'y a pas moyen de les arrêter ici. (Il sonne une sonnette pour faire venir ses gens. +laisse toujours seul ; il n'y a pas moyen de les arrêter ici. (Il sonne une sonnette pour faire venir ses gens.) Ils n'entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin : point d'affaire. Drelin, -drelin, drelin : ils sont sourds. Toinette ! Drelin, drelin, drelin : tout comme si je ne sonnois point. Chien -coquine ! Drelin, drelin, drelin : j'enrage. (Il ne sonne plus mais il crie.) Drelin, drelin, drelin : carogne, +drelin, drelin : ils sont sourds. Toinette ! Drelin, drelin, drelin : tout comme si je ne sonnois point. Chienne, +coquine ! Drelin, drelin, drelin : j'enrage. (Il ne sonne plus mais il crie.) Drelin, drelin, drelin : carogne, à tous les diables ! Est−il possible qu'on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin, drelin, -drelin : voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin : ah, mon Dieu ! ils me laisseront ici mourir. Dreli +drelin : voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin : ah, mon Dieu ! ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin. Scène II Toinette, Argan @@ -54425,7 +54425,7 @@ On y va. Argan Ah, chienne ! ah, carogne... ! Toinette, faisant semblant de s'être cogné la tête. -Diantre soit fait de votre impatience ! vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand c +Diantre soit fait de votre impatience ! vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d'un volet. Argan, en colère. Ah ! traîtresse... ! @@ -54470,7 +54470,7 @@ Querellez tout votre soûl, je le veux bien. Argan Tu m'en empêches, chienne, en m'interrompant à tous coups. Toinette -Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que, de mon côté, j'aye le plaisir de pleurer : chacun le sie +Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que, de mon côté, j'aye le plaisir de pleurer : chacun le sien, ce n'est pas trop. Ha ! Argan Allons, il faut en passer par là. Ote−moi ceci, coquine, ôte−moi ceci. (Argan se lève de sa chaise.) Mon @@ -54480,15 +54480,15 @@ Votre lavement ? Argan Oui. Ai−je bien fait de la bile ? Toinette -Ma foi ! je ne me mêle point de ces affaires−là : c'est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu'il en +Ma foi ! je ne me mêle point de ces affaires−là : c'est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu'il en a le profit. Argan Qu'on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l'autre que je dois tantôt prendre. Toinette -Ce Monsieur Fleurant−là et ce Monsieur Purgon s'égayent bien sur votre corps ; ils ont en vous une bonn +Ce Monsieur Fleurant−là et ce Monsieur Purgon s'égayent bien sur votre corps ; ils ont en vous une bonne vache à lait ; et je voudrois bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes. Argan -Taisez−vous, ignorante, ce n'est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu'on me fasse ve +Taisez−vous, ignorante, ce n'est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu'on me fasse venir ma fille Angélique, j'ai à lui dire quelque chose. Toinette La voici qui vient d'elle−même : elle a deviné votre pensée. @@ -54522,7 +54522,7 @@ Toinette Je m'en doute assez : de notre jeune amant ; car c'est sur lui, depuis six jours, que roulent tous nos entretiens ; et vous n'êtes point bien si vous n'en parlez à toute heure. Angélique -Puisque tu connois cela, que n'es−tu donc la première à m'en entretenir, et que ne m'épargnes−tu la peine +Puisque tu connois cela, que n'es−tu donc la première à m'en entretenir, et que ne m'épargnes−tu la peine de te jeter sur ce discours ? Toinette Vous ne m'en donnez pas le temps, et vous avez des soins là−dessus qu'il est difficile de prévenir. @@ -54536,7 +54536,7 @@ Ai−je tort de m'abandonner à ces douces impressions ? Toinette Je ne dis pas cela. Angélique -Et voudrois−tu que je fusse insensible aux tendres protestations de cette passion ardente qu'il témoigne po +Et voudrois−tu que je fusse insensible aux tendres protestations de cette passion ardente qu'il témoigne pour moi ? Toinette A Dieu ne plaise ! @@ -54598,8 +54598,8 @@ Voilà votre père qui revient. Scène V Argan, Angélique, Toinette Argan se met dans sa chaise. -O çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut−être ne vous attendez−vous pas : on vous demande -mariage. Qu'est−ce que cela ? vous riez. Cela est plaisant, oui, ce mot de mariage ; il n'y a rien de plus d +O çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut−être ne vous attendez−vous pas : on vous demande en +mariage. Qu'est−ce que cela ? vous riez. Cela est plaisant, oui, ce mot de mariage ; il n'y a rien de plus drôle pour les jeunes filles : ah ! nature, nature ! A ce que je puis voir, ma fille, je n'ai que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier. Angélique @@ -54609,7 +54609,7 @@ Je suis bien aise d'avoir une fille si obéissante. La chose est donc conclue, e Angélique C'est à moi, mon père, de suivre aveuglément toutes vos volontés. Argan -Ma femme, votre belle−mère, avoit envie que je vous fisse religieuse, et votre petite soeur Louison aussi, +Ma femme, votre belle−mère, avoit envie que je vous fisse religieuse, et votre petite soeur Louison aussi, et de tout temps elle a été aheurtée à cela. Toinette, tout bas. La bonne bête a ses raisons. @@ -54626,8 +54626,8 @@ Assurément, mon père. Argan Comment l'as−tu vu ? Angélique -Puisque votre consentement m'autorise à vous pouvoir ouvrir mon coeur, je ne feindrai point de vous dire -le hasard nous a fait connoître il y a six jours, et que la demande qu'on vous a faite est un effet de l'inclina +Puisque votre consentement m'autorise à vous pouvoir ouvrir mon coeur, je ne feindrai point de vous dire que +le hasard nous a fait connoître il y a six jours, et que la demande qu'on vous a faite est un effet de l'inclination que, dès cette première vue, nous avons prise l'un pour l'autre. Argan Ils ne m'ont pas dit cela ; mais j'en suis bien aise, et c'est tant mieux que les choses soient de la sorte. Ils @@ -54680,35 +54680,35 @@ Angélique Hé ! oui. Argan Hé bien, c'est le neveu de Monsieur Purgon, qui est le fils de son beau−frère le médecin, Monsieur -Diafoirus ; et ce fils s'appelle Thomas Diafoirus, et non pas Cléante ; et nous avons conclu ce mariage−l -matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant et moi, et, demain, ce gendre prétendu doit m'être amené par +Diafoirus ; et ce fils s'appelle Thomas Diafoirus, et non pas Cléante ; et nous avons conclu ce mariage−là ce +matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant et moi, et, demain, ce gendre prétendu doit m'être amené par son père. Qu'est−ce ? vous voilà toute ébaubie ? Angélique C'est, mon père, que je connois que vous avez parlé d'une personne, et que j'ai entendu une autre. Toinette -Quoi ? Monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? Et avec tout le bien que vous avez, vous voudri +Quoi ? Monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? Et avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre fille avec un médecin ? Argan Oui. De quoi te mêles−tu, coquine, impudente que tu es ? Toinette Mon Dieu ! tout doux : vous allez d'abord aux invectives. Est−ce que nous ne pouvons pas raisonner -ensemble sans nous emporter ? Là, parlons de sang−froid. Quelle est votre raison, s'il vous plaît, pour un +ensemble sans nous emporter ? Là, parlons de sang−froid. Quelle est votre raison, s'il vous plaît, pour un tel mariage ? Argan Ma raison est que, me voyant infirme et malade comme je suis, je veux me faire un gendre et des alliés médecins, afin de m'appuyer de bons secours contre ma maladie, d'avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont nécessaires, et d'être à même des consultations et des ordonnances. Toinette -Hé bien ! voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsie +Hé bien ! voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience : est−ce que vous êtes malade ? Argan Comment, coquine, si je suis malade ? si je suis malade, impudente ? Toinette -Hé bien ! oui, Monsieur, vous êtes malade, n'ayons point de querelle là−dessus ; oui, vous êtes fort mala -j'en demeure d'accord, et plus malade que vous ne pensez : voilà qui est fait. Mais votre fille doit épouser +Hé bien ! oui, Monsieur, vous êtes malade, n'ayons point de querelle là−dessus ; oui, vous êtes fort malade, +j'en demeure d'accord, et plus malade que vous ne pensez : voilà qui est fait. Mais votre fille doit épouser un mari pour elle ; et, n'étant point malade, il n'est pas nécessaire de lui donner un médecin. Argan -C'est pour moi que je lui donne ce médecin ; et une fille de bon naturel doit être ravie d'épouser ce qui es +C'est pour moi que je lui donne ce médecin ; et une fille de bon naturel doit être ravie d'épouser ce qui est utile à la santé de son père. Toinette Ma foi ! Monsieur, voulez−vous qu'en amie je vous donne un conseil ? @@ -54727,18 +54727,18 @@ Non. Argan Ma fille ? Toinette -Votre fille. Elle vous dira qu'elle n'a que faire de Monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni +Votre fille. Elle vous dira qu'elle n'a que faire de Monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde. Argan J'en ai affaire, moi, outre que le parti est plus avantageux qu'on ne pense. Monsieur Diafoirus n'a que ce -fils−là pour tout héritier ; et, de plus, Monsieur Purgon, qui n'a ni femme, ni enfants, lui donne tout son b +fils−là pour tout héritier ; et, de plus, Monsieur Purgon, qui n'a ni femme, ni enfants, lui donne tout son bien, en faveur de ce mariage ; et Monsieur Purgon est un homme qui a huit mille bonnes livres de rente. Toinette Il faut qu'il ait tué bien des gens, pour s'être fait si riche. Argan Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans compter le bien du père. Toinette -Monsieur, tout cela est bel et bon ; mais j'en reviens toujours là : je vous conseille, entre nous, de lui cho +Monsieur, tout cela est bel et bon ; mais j'en reviens toujours là : je vous conseille, entre nous, de lui choisir un autre mari, et elle n'est point faite pour être Madame Diafoirus. Argan Et je veux, moi, que cela soit. @@ -54826,7 +54826,7 @@ Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis. Toinette Et moi, je lui défends absolument d'en faire rien. Argan -Où est−ce donc que nous sommes ? et quelle audace est−ce là à une coquine de servante de parler de la s +Où est−ce donc que nous sommes ? et quelle audace est−ce là à une coquine de servante de parler de la sorte devant son maître ? Toinette Quand un maître ne songe pas à ce qu'il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser. @@ -54910,29 +54910,29 @@ Argan Et il y a je ne sais combien que je vous dis de me la chasser. Béline Mon Dieu ! mon fils, il n'y a point de serviteurs et de servantes qui n'ayent leurs défauts. On est contraint -parfois de souffrir leurs mauvaises qualités à cause des bonnes. Celle−ci est adroite, soigneuse, diligente, -surtout fidèle, et vous savez qu'il faut maintenant de grandes précautions pour les gens que l'on prend. Ho +parfois de souffrir leurs mauvaises qualités à cause des bonnes. Celle−ci est adroite, soigneuse, diligente, et +surtout fidèle, et vous savez qu'il faut maintenant de grandes précautions pour les gens que l'on prend. Holà ! Toinette. Toinette Madame. Béline Pourquoi donc est−ce que vous mettez mon mari en colère ? Toinette, d'un ton doucereux. -Moi, Madame, hélas ! Je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu'à complaire à Monsieu +Moi, Madame, hélas ! Je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu'à complaire à Monsieur en toutes choses. Argan Ah ! la traîtresse ! Toinette -Il nous a dit qu'il vouloit donner sa fille en mariage au fils de Monsieur Diafoirus ; je lui ai répondu que j -trouvois le parti avantageux pour elle ; mais que je croyois qu'il feroit mieux de la mettre dans un conven +Il nous a dit qu'il vouloit donner sa fille en mariage au fils de Monsieur Diafoirus ; je lui ai répondu que je +trouvois le parti avantageux pour elle ; mais que je croyois qu'il feroit mieux de la mettre dans un convent. Béline Il n'y a pas grand mal à cela, et je trouve qu'elle a raison. Argan Ah ! mamour, vous la croyez. C'est une scélérate : elle m'a dit cent insolences. Béline -Hé bien ! je vous crois, mon ami. Là, remettez−vous. Ecoutez Toinette, si vous fâchez jamais mon mari, -vous mettrai dehors. Çà, donnez−moi son manteau fourré et des oreillers, que je l'accommode dans sa cha -Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre bonnet jusque sur vos oreilles : il n'y a rien qui enrhu +Hé bien ! je vous crois, mon ami. Là, remettez−vous. Ecoutez Toinette, si vous fâchez jamais mon mari, je +vous mettrai dehors. Çà, donnez−moi son manteau fourré et des oreillers, que je l'accommode dans sa chaise. +Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre bonnet jusque sur vos oreilles : il n'y a rien qui enrhume tant que de prendre l'air par les oreilles. Argan Ah ! mamie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi ! @@ -54950,7 +54950,7 @@ Ah, ah, ah ! je n'en puis plus. Béline Pourquoi vous emporter ainsi ? Elle a cru faire bien. Argan -Vous ne connoissez pas, mamour, la malice de la pendarde. Ah ! elle m'a mis tout hors de moi ; et il faud +Vous ne connoissez pas, mamour, la malice de la pendarde. Ah ! elle m'a mis tout hors de moi ; et il faudra plus de huit médecines, et de douze lavements, pour réparer tout ceci. Béline Là, là, mon petit ami, apaisez−vous un peu. @@ -54959,10 +54959,10 @@ Mamie, vous êtes toute ma consolation. Béline Pauvre petit fils. Argan -Pour tâcher de reconnoître l'amour que vous me portez, je veux, mon coeur, comme je vous ai dit, faire m +Pour tâcher de reconnoître l'amour que vous me portez, je veux, mon coeur, comme je vous ai dit, faire mon testament. Béline -Ah ! mon ami, ne parlons point de cela, je vous prie : je ne saurois souffrir cette pensée ; et le seul mot d +Ah ! mon ami, ne parlons point de cela, je vous prie : je ne saurois souffrir cette pensée ; et le seul mot de testament me fait tressaillir de douleur. Argan Je vous avois dit de parler pour cela à votre notaire. @@ -54975,13 +54975,13 @@ Hélas ! mon ami, quand on aime bien un mari, on n'est guère en état de songe Scène VII Le Notaire, Béline, Argan Argan -Approchez, Monsieur de Bonnefoy, approchez. Prenez un siége, s'il vous plaît. Ma femme m'a dit, Monsi +Approchez, Monsieur de Bonnefoy, approchez. Prenez un siége, s'il vous plaît. Ma femme m'a dit, Monsieur, que vous étiez fort honnête homme, et tout à fait de ses amis ; et je l'ai chargée de vous parler pour un testament que je veux faire. Béline Hélas ! je ne suis point capable de parler de ces choses−là. Le Notaire -Elle m'a, Monsieur, expliqué vos intentions, et le dessein où vous êtes pour elle ; et j'ai à vous dire là−des +Elle m'a, Monsieur, expliqué vos intentions, et le dessein où vous êtes pour elle ; et j'ai à vous dire là−dessus que vous ne sauriez rien donner à votre femme par votre testament. Argan Mais pourquoi ? @@ -54996,25 +54996,25 @@ Voilà une Coutume bien impertinente, qu'un mari ne puisse rien laisser à une f tendrement, et qui prend de lui tant de soin. J'aurois envie de consulter mon avocat, pour voir comment je pourrois faire. Le Notaire -Ce n'est point à des avocats qu'il faut aller, car ils sont d'ordinaire sévères là−dessus, et s'imaginent que c' +Ce n'est point à des avocats qu'il faut aller, car ils sont d'ordinaire sévères là−dessus, et s'imaginent que c'est un grand crime que de disposer en fraude de la loi. Ce sont gens de difficultés, et qui sont ignorants des -détours de la conscience. Il y a d'autres personnes à consulter, qui sont bien plus accommodantes, qui ont +détours de la conscience. Il y a d'autres personnes à consulter, qui sont bien plus accommodantes, qui ont des expédients pour passer doucement par−dessus la loi, et rendre juste ce qui n'est pas permis ; qui savent -aplanir les difficultés d'une affaire, et trouver des moyens d'éluder la Coutume par quelque avantage indir +aplanir les difficultés d'une affaire, et trouver des moyens d'éluder la Coutume par quelque avantage indirect. Sans cela, où en serions−nous tous les jours ? Il faut de la facilité dans les choses ; autrement nous ne ferions rien, et je ne donnerois pas un sou de notre métier. Argan -Ma femme m'avoit bien dit, Monsieur, que vous étiez fort habile, et fort honnête homme. Comment puis− +Ma femme m'avoit bien dit, Monsieur, que vous étiez fort habile, et fort honnête homme. Comment puis−je faire, s'il vous plaît, pour lui donner mon bien, et en frustrer mes enfants ? Le Notaire -Comment vous pouvez faire ? Vous pouvez choisir doucement un ami intime de votre femme, auquel vo +Comment vous pouvez faire ? Vous pouvez choisir doucement un ami intime de votre femme, auquel vous donnerez en bonne forme par votre testament tout ce que vous pouvez ; et cet ami ensuite lui rendra tout. -Vous pouvez encore contracter un grand nombre d'obligations, non suspectes, au profit de divers créancie -qui prêteront leur nom à votre femme, et entre les mains de laquelle ils mettront leur déclaration que ce qu -en ont fait n'a été que pour lui faire plaisir. Vous pouvez aussi, pendant que vous êtes en vie, mettre entre +Vous pouvez encore contracter un grand nombre d'obligations, non suspectes, au profit de divers créanciers, +qui prêteront leur nom à votre femme, et entre les mains de laquelle ils mettront leur déclaration que ce qu'ils +en ont fait n'a été que pour lui faire plaisir. Vous pouvez aussi, pendant que vous êtes en vie, mettre entre ses mains de l'argent comptant, ou des billets que vous pourrez avoir, payables au porteur. Béline -Mon Dieu ! il ne faut point vous tourmenter de tout cela. S'il vient faute de vous, mon fils, je ne veux plu +Mon Dieu ! il ne faut point vous tourmenter de tout cela. S'il vient faute de vous, mon fils, je ne veux plus rester au monde. Argan Mamie ! @@ -55041,7 +55041,7 @@ Le Notaire Cela pourra venir encore. Argan Il faut faire mon testament, mamour, de la façon que Monsieur dit ; mais, par précaution, je veux vous -mettre entre les mains vingt mille francs en or, que j'ai dans le lambris de mon alcôve, et deux billets paya +mettre entre les mains vingt mille francs en or, que j'ai dans le lambris de mon alcôve, et deux billets payables au porteur, qui me sont dus, l'un par Monsieur Damon, et l'autre par Monsieur Gérante. Béline Non, non, je ne veux point de tout cela. Ah ! combien dites−vous qu'il y a dans votre alcôve ? @@ -55069,14 +55069,14 @@ Qu'il dispose de son bien à sa fantaisie, pourvu qu'il ne dispose point de mon desseins violents que l'on fait sur lui. Ne m'abandonne point, je te prie, dans l'extrémité où je suis. Toinette Moi, vous abandonner ? j'aimerois mieux mourir. Votre belle−mère a beau me faire sa confidente, et me -vouloir jeter dans ses intérêts, je n'ai jamais pu avoir d'inclination pour elle, et j'ai toujours été de votre pa +vouloir jeter dans ses intérêts, je n'ai jamais pu avoir d'inclination pour elle, et j'ai toujours été de votre parti. Laissez−moi faire : j'emploierai toute chose pour vous servir ; mais pour vous servir avec plus d'effet, je veux changer de batterie, couvrir le zèle que j'ai pour vous, et feindre d'entrer dans les sentiments de votre père et de votre belle−mère. Angélique Tâche, je t'en conjure, de faire donner avis à Cléante du mariage qu'on a conclu. Toinette -Je n'ai personne à employer à cet office, que le vieux usurier Polichinelle, mon amant, et il m'en coûtera p +Je n'ai personne à employer à cet office, que le vieux usurier Polichinelle, mon amant, et il m'en coûtera pour cela quelques paroles de douceur, que je veux bien dépenser pour vous. Pour aujourd'hui il est trop tard ; mais demain, du grand matin, je l'envoierai querir, et il sera ravi de... Béline @@ -55089,15 +55089,15 @@ Polichinelle, dans la nuit, vient pour donner une sérénade à sa maîtresse. I violons, contre lesquels il se met en colère, et ensuite par le Guet, composé de musiciens et de danseurs. Polichinelle O amour, amour, amour, amour ! Pauvre Polichinelle, quelle diable de fantaisie t'es−tu allé mettre dans la -cervelle ? A quoi t'amuses−tu, misérable insensé que tu es ? Tu quittes le soin de ton négoce, et tu laisse -aller tes affaires à l'abandon. Tu ne manges plus, tu ne bois presque plus, tu perds le repos de la nuit ; et t -cela pour qui ? Pour une dragonne, franche dragonne, une diablesse qui te rembarre, et se moque de tout +cervelle ? A quoi t'amuses−tu, misérable insensé que tu es ? Tu quittes le soin de ton négoce, et tu laisses +aller tes affaires à l'abandon. Tu ne manges plus, tu ne bois presque plus, tu perds le repos de la nuit ; et tout +cela pour qui ? Pour une dragonne, franche dragonne, une diablesse qui te rembarre, et se moque de tout ce que tu peux lui dire. Mais il n'y a point à raisonner là−dessus. Tu le veux, amour : il faut être fou comme -beaucoup d'autres. Cela n'est pas le mieux du monde à un homme de mon âge ; mais qu'y faire ? On n'es +beaucoup d'autres. Cela n'est pas le mieux du monde à un homme de mon âge ; mais qu'y faire ? On n'est pas sage quand on veut, et les vieilles cervelles se démontent comme les jeunes. Je viens voir si je ne pourrai point adoucir ma tigresse par une sérénade. Il n'y a rien parfois qui soit si -touchant qu'un amant qui vient chanter ses doléances aux gonds et aux verrous de la porte de sa maîtresse -Voici de quoi accompagner ma voix. O nuit ! ô chère nuit ! porte mes plaintes amoureuses jusque dans l +touchant qu'un amant qui vient chanter ses doléances aux gonds et aux verrous de la porte de sa maîtresse. +Voici de quoi accompagner ma voix. O nuit ! ô chère nuit ! porte mes plaintes amoureuses jusque dans le lit de mon inflexible. (Il chante ces paroles : ) Notte e dì v' amo e v' adoro, @@ -55215,8 +55215,8 @@ La, la, la, la, la, la. Violons Polichinelle, avec un luth, dont il ne joue que des lèvres et de la langue, en disant : plin pan plan, etc. Par ma foi ! cela me divertit. Poursuivez, Messieurs les Violons, vous me ferez plaisir. Allons donc, -continuez. Je vous en prie. Voilà le moyen de les faire taire. La musique est accoutumée à ne point faire c -qu'on veut. Ho sus, à nous ! Avant que de chanter, il faut que je prélude un peu, et joue quelque pièce, afi +continuez. Je vous en prie. Voilà le moyen de les faire taire. La musique est accoutumée à ne point faire ce +qu'on veut. Ho sus, à nous ! Avant que de chanter, il faut que je prélude un peu, et joue quelque pièce, afin de mieux prendre mon ton. Plan, plan, plan. Plin, plin, plin. Voilà un temps fâcheux pour mettre un luth d'accord, Plin, plin, plin. Plin tan plan. Plin, plin. Les cordes ne tiennent point par ce temps−là. Plin, plan. J'entends du bruit, mettons mon luth contre la porte. @@ -55277,8 +55277,8 @@ Polichinelle tire un coup de pistolet Poue. (Ils tombent tous et s'enfuient.) Polichinelle, en se moquant. -Ah, ah, ah, ah, comme je leur ai donné l'épouvante ! Voilà de sottes gens d'avoir peur de moi, qui ai peur -autres. Ma foi ! il n'est que de jouer d'adresse en ce monde. Si je n'avois tranché du grand seigneur, et n'a +Ah, ah, ah, ah, comme je leur ai donné l'épouvante ! Voilà de sottes gens d'avoir peur de moi, qui ai peur des +autres. Ma foi ! il n'est que de jouer d'adresse en ce monde. Si je n'avois tranché du grand seigneur, et n'avois fait le brave, ils n'auroient pas manqué de me happer. Ah, ah, ah. (Les archers se rapprochent, et ayant entendu ce qu'il disoit, ils le saisissent au collet.) Archers @@ -55369,7 +55369,7 @@ Et comptez bien les coups. Ballet Archers danseurs lui donnent des croquignoles en cadence. Polichinelle -Un et deux, trois et quatre, cinq et six, sept et huit, neuf et dix, onze et douze, et treize, et quatorze, et quin +Un et deux, trois et quatre, cinq et six, sept et huit, neuf et dix, onze et douze, et treize, et quatorze, et quinze. Archers Ah, ah, vous en voulez passer : Allons, c'est à recommencer. @@ -55382,7 +55382,7 @@ Vous aurez contentement. Ballet Les Archers danseurs lui donnent des coups de bâton en cadence. Polichinelle -Un, deux, trois, quatre, cinq, six, ah, ah, ah, je n'y saurois plus résister. Tenez, Messieurs, voilà six pistole +Un, deux, trois, quatre, cinq, six, ah, ah, ah, je n'y saurois plus résister. Tenez, Messieurs, voilà six pistoles que je vous donne. Archers Ah, l'honnête homme ! Ah, l'âme noble et belle ! @@ -55402,7 +55402,7 @@ Adieu, seigneur, adieu, seigneur Polichinelle. Polichinelle Jusqu'au revoir. Ballet -Ils dansent tous, en réjouissance de l'argent qu'ils ont reçu. Le théâtre change et représente la même cham +Ils dansent tous, en réjouissance de l'argent qu'ils ont reçu. Le théâtre change et représente la même chambre. Acte II Scène I Toinette, Cléante @@ -55413,27 +55413,27 @@ Ce que je demande ? Toinette Ah, ah, c'est vous ? Quelle surprise ! Que venez−vous faire céans ? Cléante -Savoir ma destinée, parler à l'aimable Angélique, consulter les sentiments de son coeur, et lui demander s +Savoir ma destinée, parler à l'aimable Angélique, consulter les sentiments de son coeur, et lui demander ses résolutions sur ce mariage fatal dont on m'a averti. Toinette -Oui, mais on ne parle pas comme cela de but en blanc à Angélique : il faut des mystères, et l'on vous a di +Oui, mais on ne parle pas comme cela de but en blanc à Angélique : il faut des mystères, et l'on vous a dit l'étroite garde où elle est retenue, qu'on ne la laisse ni sortir, ni parler à personne, et que ce ne fut que la -curiosité d'une vieille tante qui nous fit accorder la liberté d'aller à cette comédie qui donna lieu à la naiss +curiosité d'une vieille tante qui nous fit accorder la liberté d'aller à cette comédie qui donna lieu à la naissance de votre passion ; et nous nous sommes bien gardées de parler de cette aventure. Cléante -Aussi ne viens−je pas ici comme Cléante et sous l'apparence de son amant, mais comme ami de son maîtr +Aussi ne viens−je pas ici comme Cléante et sous l'apparence de son amant, mais comme ami de son maître de musique, dont j'ai obtenu le pouvoir de dire qu'il m'envoie à sa place. Toinette Voici son père. Retirez−vous un peu, et me laissez lui dire que vous êtes là. Scène II Argan, Toinette, Cléante Argan -Monsieur Purgon m'a dit de me promener le matin dans ma chambre, douze allées, et douze venues ; mai +Monsieur Purgon m'a dit de me promener le matin dans ma chambre, douze allées, et douze venues ; mais j'ai oublié à lui demander si c'est en long, ou en large. Toinette Monsieur, voilà un... Argan -Parle bas, pendarde : tu viens m'ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu'il ne faut point parler si h +Parle bas, pendarde : tu viens m'ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu'il ne faut point parler si haut à des malades. Toinette Je voulois vous dire, Monsieur... @@ -55474,8 +55474,8 @@ Il marche, dort, mange, et boit tout comme les autres ; mais cela n'empêche pa Argan Cela est vrai. Cléante -Monsieur, j'en suis au désespoir. Je viens de la part du maître à chanter de Mademoiselle votre fille. Il s'es -obligé d'aller à la campagne pour quelques jours ; et comme son ami intime, il m'envoie à sa place, pour +Monsieur, j'en suis au désespoir. Je viens de la part du maître à chanter de Mademoiselle votre fille. Il s'est vu +obligé d'aller à la campagne pour quelques jours ; et comme son ami intime, il m'envoie à sa place, pour lui continuer ses leçons, de peur qu'en les interrompant elle ne vînt à oublier ce qu'elle sait déjà. Argan Fort bien. Appelez Angélique. @@ -55488,7 +55488,7 @@ Il ne pourra lui donner leçon comme il faut, s'ils ne sont en particulier. Argan Si fait, si fait. Toinette -Monsieur, cela ne fera que vous étourdir, et il ne faut rien pour vous émouvoir en l'état où vous êtes, et vo +Monsieur, cela ne fera que vous étourdir, et il ne faut rien pour vous émouvoir en l'état où vous êtes, et vous ébranler le cerveau. Argan Point, point : j'aime la musique, et je serai bien aise de... Ah ! la voici. Allez−vous−en voir, vous, si ma @@ -55496,7 +55496,7 @@ femme est habillée. Scène III Argan, Angélique, Cléante Argan -Venez, ma fille : votre maître de musique est allé aux champs, et voilà une personne qu'il envoie à sa pla +Venez, ma fille : votre maître de musique est allé aux champs, et voilà une personne qu'il envoie à sa place pour vous montrer. Angélique Ah, Ciel ! @@ -55511,22 +55511,22 @@ C'est, mon père, une aventure surprenante qui se rencontre ici. Argan Comment ? Angélique -J'ai songé cette nuit que j'étois dans le plus grand embarras du monde, et qu'une personne faite tout comm -Monsieur s'est présentée à moi, à qui j'ai demandé secours, et qui m'est venue tirer de la peine où j'étois ; +J'ai songé cette nuit que j'étois dans le plus grand embarras du monde, et qu'une personne faite tout comme +Monsieur s'est présentée à moi, à qui j'ai demandé secours, et qui m'est venue tirer de la peine où j'étois ; et ma surprise a été grande de voir inopinément, en arrivant ici, ce que j'ai eu dans l'idée toute la nuit. Cléante Ce n'est pas être malheureux que d'occuper votre pensée, soit en dormant, soit en veillant, et mon bonheur -seroit grand sans doute si vous étiez dans quelque peine dont vous me jugeassiez digne de vous tirer ; et i +seroit grand sans doute si vous étiez dans quelque peine dont vous me jugeassiez digne de vous tirer ; et il n'y a rien que je ne fisse pour... Scène IV Toinette, Cléante, Angélique, Argan Toinette, par dérision. -Ma foi, Monsieur, je suis pour vous maintenant, et je me dédis de tout ce que je disois hier. Voici Monsie +Ma foi, Monsieur, je suis pour vous maintenant, et je me dédis de tout ce que je disois hier. Voici Monsieur Diafoirus le père, et Monsieur Diafoirus le fils, qui viennent vous rendre visite. Que vous serez bien -engendré ! Vous allez voir le garçon le mieux fait du monde, et le plus spirituel. Il n'a dit que deux mots, +engendré ! Vous allez voir le garçon le mieux fait du monde, et le plus spirituel. Il n'a dit que deux mots, qui m'ont ravie, et votre fille va être charmée de lui. Argan, à Cléante, qui feint de vouloir s'en aller. -Ne vous en allez point, Monsieur. C'est que je marie ma fille ; et voilà qu'on lui amène son prétendu mari +Ne vous en allez point, Monsieur. C'est que je marie ma fille ; et voilà qu'on lui amène son prétendu mari, qu'elle n'a point encore vu. Cléante C'est m'honorer beaucoup, Monsieur, de vouloir que je sois témoin d'une entrevue si agréable. @@ -55606,17 +55606,17 @@ Qu'il est tout à votre service... Monsieur Diafoirus A vous témoigner notre zèle. (Il se retourne vers son fils et lui dit.) Allons, Thomas, avancez. Faites vos compliments. -Thomas Diafoirus est un grand benêt, nouvellement sorti des Ecoles, qui fait toutes choses de mauvaise g +Thomas Diafoirus est un grand benêt, nouvellement sorti des Ecoles, qui fait toutes choses de mauvaise grâce et à contre−temps. N'est−ce pas par le père qu'il convient commencer ? Monsieur Diafoirus Oui. Thomas Diafoirus -Monsieur, je viens saluer, reconnoître, chérir, et révérer en vous un second père ; mais un second père au -j'ose dire que je me trouve plus redevable qu'au premier. Le premier m'a engendré ; mais vous m'avez ch -Il m'a reçu par nécessité ; mais vous m'avez accepté par grâce. Ce que je tiens de lui est un ouvrage de so +Monsieur, je viens saluer, reconnoître, chérir, et révérer en vous un second père ; mais un second père auquel +j'ose dire que je me trouve plus redevable qu'au premier. Le premier m'a engendré ; mais vous m'avez choisi. +Il m'a reçu par nécessité ; mais vous m'avez accepté par grâce. Ce que je tiens de lui est un ouvrage de son corps ; mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre volonté ; et d'autant plus que les facultés -spirituelles sont au−dessus des corporelles, d'autant plus je vous dois, et d'autant plus je tiens précieuse ce +spirituelles sont au−dessus des corporelles, d'autant plus je vous dois, et d'autant plus je tiens précieuse cette future filiation, dont je viens aujourd'hui vous rendre par avance les très−humbles et très−respectueux hommages. Toinette @@ -55646,8 +55646,8 @@ Faites toujours le compliment de Mademoiselle. Thomas Diafoirus Mademoiselle, ne plus ne moins que la statue de Memnon rendoit un son harmonieux, lorsqu'elle venoit à être éclairée des rayons du soleil : tout de même me sens−je animé d'un doux transport à l'apparition du -soleil de vos beautés. Et comme les naturalistes remarquent que la fleur nommée héliotrope tourne sans c -vers cet astre du jour, aussi mon coeur dores−en−avant tournera−t−il toujours vers les astres resplendissan +soleil de vos beautés. Et comme les naturalistes remarquent que la fleur nommée héliotrope tourne sans cesse +vers cet astre du jour, aussi mon coeur dores−en−avant tournera−t−il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, Mademoiselle, que j'appende aujourd'hui à l'autel de vos charmes l'offrande de ce coeur, qui ne respire et n'ambitionne autre gloire, que d'être toute sa vie, Mademoiselle, votre très−humble, très−obéissant, et très−fidèle serviteur et mari. @@ -55656,33 +55656,33 @@ Voilà ce que c'est que d'étudier, on apprend à dire de belles choses. Argan Eh ! que dites−vous de cela ? Cléante -Que Monsieur fait merveilles, et que s'il est aussi bon médecin qu'il est bon orateur, il y aura plaisir à être +Que Monsieur fait merveilles, et que s'il est aussi bon médecin qu'il est bon orateur, il y aura plaisir à être de ses malades. Toinette Assurément. Ce sera quelque chose d'admirable s'il fait d'aussi belles cures qu'il fait de beaux discours. . Argan Allons vite ma chaise, et des siéges à tout le monde. Mettez−vous là, ma fille. Vous voyez, Monsieur, que -tout le monde admire Monsieur votre fils, et je vous trouve bien heureux de vous voir un garçon comme c +tout le monde admire Monsieur votre fils, et je vous trouve bien heureux de vous voir un garçon comme cela. Monsieur Diafoirus -Monsieur, ce n'est pas parce que je suis son père, mais je puis dire que j'ai sujet d'être content de lui, et qu +Monsieur, ce n'est pas parce que je suis son père, mais je puis dire que j'ai sujet d'être content de lui, et que tous ceux qui le voient en parlent comme d'un garçon qui n'a point de méchanceté. Il n'a jamais eu l'imagination bien vive, ni ce feu d'esprit qu'on remarque dans quelques−uns ; mais c'est par là que j'ai toujours bien auguré de sa judiciaire, qualité requise pour l'exercice de notre art. Lorsqu'il étoit petit, il n'a jamais été ce qu'on appelle mièvre et éveillé. On le voyoit toujours doux, paisible, et taciturne, ne disant -jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux que l'on nomme enfantins. On eut toutes les peines d -monde à lui apprendre à lire, et il avoit neuf ans, qu'il ne connoissoit pas encore ses lettres. "Bon, disois−j +jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux que l'on nomme enfantins. On eut toutes les peines du +monde à lui apprendre à lire, et il avoit neuf ans, qu'il ne connoissoit pas encore ses lettres. "Bon, disois−je en moi−même, les arbres tardifs sont ceux qui portent les meilleurs fruits ; on grave sur le marbre bien plus malaisément que sur le sable ; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps, et cette lenteur à -comprendre, cette pesanteur d'imagination, est la marque d'un bon jugement à venir." Lorsque je l'envoya -collège, il trouva de la peine ; mais il se roidissoit contre les difficultés, et ses régents se louoient toujour -moi de son assiduité, et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir s -licences ; et je puis dire sans vanité que depuis deux ans qu'il est sur les bancs, il n'y a point de candidat q +comprendre, cette pesanteur d'imagination, est la marque d'un bon jugement à venir." Lorsque je l'envoyai au +collège, il trouva de la peine ; mais il se roidissoit contre les difficultés, et ses régents se louoient toujours à +moi de son assiduité, et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses +licences ; et je puis dire sans vanité que depuis deux ans qu'il est sur les bancs, il n'y a point de candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre Ecole. Il s'y est rendu redoutable, et il ne s'y passe point d'acte où il n'aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la -dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnem -jusque dans les derniers recoins de la logique. Mais sur toute chose ce qui me plaît en lui, et en quoi il sui +dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement +jusque dans les derniers recoins de la logique. Mais sur toute chose ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c'est qu'il s'attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n'a voulu -comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle, touchant +comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle, touchant la circulation du sang, et autres opinions de même farine. Thomas Diafoirus. Il tire une grande thèse roulée de sa poche, qu'il présente à Angélique. J'ai contre les circulateurs soutenu une thèse, qu'avec la permission de Monsieur, j'ose présenter à @@ -55698,8 +55698,8 @@ Toinette Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la comédie à leurs maîtresses ; mais donner une dissection est quelque chose de plus galand. Monsieur Diafoirus -Au reste, pour ce qui est des qualités requises pour le mariage et la propagation, je vous assure que, selon -règles de nos docteurs, il est tel qu'on le peut souhaiter, qu'il possède en un degré louable la vertu prolifiq +Au reste, pour ce qui est des qualités requises pour le mariage et la propagation, je vous assure que, selon les +règles de nos docteurs, il est tel qu'on le peut souhaiter, qu'il possède en un degré louable la vertu prolifique et qu'il est du tempérament qu'il faut pour engendrer et procréer des enfants bien conditionnés. Argan N'est−ce pas votre intention, Monsieur, de le pousser à la cour, et d'y ménager pour lui une charge de @@ -55707,11 +55707,11 @@ médecin ? Monsieur Diafoirus A vous en parler franchement, notre métier auprès des grands ne m'a jamais paru agréable, et j'ai toujours trouvé qu'il valoit mieux, pour nous autres, demeurer au public. Le public est commode. Vous n'avez à -répondre de vos actions à personne ; et pourvu que l'on suive le courant des règles de l'art, on ne se met p +répondre de vos actions à personne ; et pourvu que l'on suive le courant des règles de l'art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver. Mais ce qu'il y a de fâcheux auprès des grands, c'est que, quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent. Toinette -Cela est plaisant, et ils sont bien impertinents de vouloir que vous autres Messieurs vous les guérissiez : v +Cela est plaisant, et ils sont bien impertinents de vouloir que vous autres Messieurs vous les guérissiez : vous n'êtes point auprès d'eux pour cela ; vous n'y êtes que pour recevoir vos pensions, et leur ordonner des remèdes ; c'est à eux à guérir s'ils peuvent. Monsieur Diafoirus @@ -55724,13 +55724,13 @@ Mademoiselle une scène d'un petit opéra qu'on a fait depuis peu. Tenez, voilà Angélique Moi ? Cléante -Ne vous défendez point, s'il vous plaît, et me laissez vous faire comprendre ce que c'est que la scène que n +Ne vous défendez point, s'il vous plaît, et me laissez vous faire comprendre ce que c'est que la scène que nous devons chanter. Je n'ai pas une voix à chanter ; mais il suffit ici que je me fasse entendre, et l'on aura la bonté de m'excuser par la nécessité où je me trouve de faire chanter Mademoiselle. Argan Les vers sont−ils beaux ? Cléante -C'est proprement ici un petit opéra impromptu, et vous n'allez entendre chanter que de la prose cadencée, +C'est proprement ici un petit opéra impromptu, et vous n'allez entendre chanter que de la prose cadencée, ou des manières de vers libres, tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver à deux personnes qui disent les choses d'eux−mêmes, et parlent sur−le−champ. Argan @@ -55738,34 +55738,34 @@ Fort bien. Ecoutons. Cléante sous le nom d'un berger, explique à sa maîtresse son amour depuis leur rencontre, et ensuite ils s'appliquent leurs pensées l'un à l'autre en chantant. Voici le sujet de la scène. Un Berger étoit attentif aux beautés d'un spectacle, qui ne faisoit que de -commencer, lorsqu'il fut tiré de son attention par un bruit qu'il entendit à ses côtés. Il se retourne, et voit u -brutal, qui de paroles insolentes maltraitoit une Bergère. D'abord il prend les intérêts d'un sexe à qui tous +commencer, lorsqu'il fut tiré de son attention par un bruit qu'il entendit à ses côtés. Il se retourne, et voit un +brutal, qui de paroles insolentes maltraitoit une Bergère. D'abord il prend les intérêts d'un sexe à qui tous les hommes doivent hommage ; et après avoir donné au brutal le châtiment de son insolence, il vient à la -Bergère, et voit une jeune personne qui, des deux plus beaux yeux qu'il eût jamais vus, versoit des larmes -qu'il trouva les plus belles du monde. "Hélas ! dit−il en lui−même, est−on capable d'outrager une personn +Bergère, et voit une jeune personne qui, des deux plus beaux yeux qu'il eût jamais vus, versoit des larmes, +qu'il trouva les plus belles du monde. "Hélas ! dit−il en lui−même, est−on capable d'outrager une personne si aimable ? Et quel inhumain, quel barbare ne seroit touché par de telles larmes ? " Il prend soin de les -arrêter, ces larmes, qu'il trouve si belles ; et l'aimable Bergère prend soin en même temps de le remercier +arrêter, ces larmes, qu'il trouve si belles ; et l'aimable Bergère prend soin en même temps de le remercier de son léger service, mais d'une manière si charmante, si tendre, et si passionnée, que le Berger n'y peut -résister ; et chaque mot, chaque regard, est un trait plein de flamme, dont son coeur se sent pénétré. "Est− -disoit−il, quelque chose qui puisse mériter les aimables paroles d'un tel remercîment ? Et que ne voudroit -pas faire, à quels services, à quels dangers, ne seroit−on pas ravi de courir, pour s'attirer un seul moment d +résister ; et chaque mot, chaque regard, est un trait plein de flamme, dont son coeur se sent pénétré. "Est−il, +disoit−il, quelque chose qui puisse mériter les aimables paroles d'un tel remercîment ? Et que ne voudroit−on +pas faire, à quels services, à quels dangers, ne seroit−on pas ravi de courir, pour s'attirer un seul moment des touchantes douceurs d'une âme si reconnoissante ? " Tout le spectacle passe sans qu'il y donne aucune -attention ; mais il se plaint qu'il est trop court, parce qu'en finissant il le sépare de son adorable Bergère ; +attention ; mais il se plaint qu'il est trop court, parce qu'en finissant il le sépare de son adorable Bergère ; et de cette première vue, de ce premier moment, il emporte chez lui tout ce qu'un amour de plusieurs années -peut avoir de plus violent. Le voilà aussitôt à sentir tous les maux de l'absence, et il est tourmenté de ne p -voir ce qu'il a si peu vu. Il fait tout ce qu'il peut pour se redonner cette vue, dont il conserve, nuit et jour, u -si chère idée ; mais la grande contrainte où l'on tient sa Bergère lui en ôte tous les moyens. La violence d -passion le fait résoudre à demander en mariage l'adorable beauté sans laquelle il ne peut plus vivre, et il e +peut avoir de plus violent. Le voilà aussitôt à sentir tous les maux de l'absence, et il est tourmenté de ne plus +voir ce qu'il a si peu vu. Il fait tout ce qu'il peut pour se redonner cette vue, dont il conserve, nuit et jour, une +si chère idée ; mais la grande contrainte où l'on tient sa Bergère lui en ôte tous les moyens. La violence de sa +passion le fait résoudre à demander en mariage l'adorable beauté sans laquelle il ne peut plus vivre, et il en obtient d'elle la permission par un billet qu'il a l'adresse de lui faire tenir. Mais dans le même temps on -l'avertit que le père de cette belle a conclu son mariage avec un autre, et que tout se dispose pour en céléb +l'avertit que le père de cette belle a conclu son mariage avec un autre, et que tout se dispose pour en célébrer la cérémonie. Jugez quelle atteinte cruelle au coeur de ce triste Berger. Le voilà accablé d'une mortelle -douleur. Il ne peut souffrir l'effroyable idée de voir tout ce qu'il aime entre les bras d'un autre ; et son amo +douleur. Il ne peut souffrir l'effroyable idée de voir tout ce qu'il aime entre les bras d'un autre ; et son amour au désespoir lui fait trouver moyen de s'introduire dans la maison de sa Bergère, pour apprendre ses -sentiments et savoir d'elle la destinée à laquelle il doit se résoudre. Il y rencontre les apprêts de tout ce qu -craint ; il y voit venir l'indigne rival que le caprice d'un père oppose aux tendresses de son amour. Il le vo -triomphant, ce rival ridicule, auprès de l'aimable Bergère, ainsi qu'auprès d'une conquête qui lui est assuré +sentiments et savoir d'elle la destinée à laquelle il doit se résoudre. Il y rencontre les apprêts de tout ce qu'il +craint ; il y voit venir l'indigne rival que le caprice d'un père oppose aux tendresses de son amour. Il le voit +triomphant, ce rival ridicule, auprès de l'aimable Bergère, ainsi qu'auprès d'une conquête qui lui est assurée ; et cette vue le remplit d'une colère, dont il a peine à se rendre le maître. Il jette de douloureux regards sur -celle qu'il adore ; et son respect, et la présence de son père l'empêchent de lui rien dire que des yeux. Mai +celle qu'il adore ; et son respect, et la présence de son père l'empêchent de lui rien dire que des yeux. Mais enfin il force toute contrainte, et le transport de son amour l'oblige à lui parler ainsi : (Il chante.) Belle Philis, c'est trop, c'est trop souffrir ; @@ -55827,11 +55827,11 @@ Voilà un sot père que ce père−là, de souffrir toutes ces sottises−là sa Cléante Ah ! mon amour... Argan -Non, non, en voilà assez. Cette comédie−là est de fort mauvais exemple. Le berger Tircis est un impertine -et la bergère Philis une impudente, de parler de la sorte devant son père. Montrez−moi ce papier. Ha, ha. O +Non, non, en voilà assez. Cette comédie−là est de fort mauvais exemple. Le berger Tircis est un impertinent, +et la bergère Philis une impudente, de parler de la sorte devant son père. Montrez−moi ce papier. Ha, ha. Où sont donc les paroles que vous avez dites ? Il n'y a là que de la musique écrite ? Cléante -Est−ce que vous ne savez pas, Monsieur, qu'on a trouvé depuis peu l'invention d'écrire les paroles avec le +Est−ce que vous ne savez pas, Monsieur, qu'on a trouvé depuis peu l'invention d'écrire les paroles avec les notes mêmes ? Argan Fort bien. Je suis votre serviteur, Monsieur ; jusqu'au revoir. Nous nous serions bien passés de votre @@ -55858,7 +55858,7 @@ Thomas, réservez cela pour une autre fois. Argan Je voudrois, mamie, que vous eussiez été ici tantôt ; Toinette -Ah ! Madame, vous avez bien perdu de n'avoir point été au second père, à la statue de Memnon, et à la fl +Ah ! Madame, vous avez bien perdu de n'avoir point été au second père, à la statue de Memnon, et à la fleur nommée héliotrope. Argan Allons, ma fille, touchez dans la main de Monsieur, et lui donnez votre foi, comme à votre mari. @@ -55867,12 +55867,12 @@ Mon père. Argan Hé bien ! "Mon père" ? Qu'est−ce que cela veut dire ? Angélique -De grâce, ne précipitez pas les choses. Donnez−nous au moins le temps de nous connoître, et de voir naîtr +De grâce, ne précipitez pas les choses. Donnez−nous au moins le temps de nous connoître, et de voir naître en nous l'un pour l'autre cette inclination si nécessaire à composer une union parfaite. Thomas Diafoirus Quant à moi, Mademoiselle, elle est déjà toute née en moi, et je n'ai pas besoin d'attendre davantage. Angélique -Si vous êtes si prompt, Monsieur, il n'en est pas de même de moi, et je vous avoue que votre mérite n'a pa +Si vous êtes si prompt, Monsieur, il n'en est pas de même de moi, et je vous avoue que votre mérite n'a pas encore fait assez d'impression dans mon âme. Argan Ho bien, bien ! cela aura tout le loisir de se faire, quand vous serez mariés ensemble. @@ -55881,17 +55881,17 @@ Eh ! mon père, donnez−moi du temps, je vous prie. Le mariage est une chaîne soumettre un coeur par force ; et si Monsieur est honnête homme, il ne doit point vouloir accepter une personne qui seroit à lui par contrainte. Thomas Diafoirus -Nego consequentiam, Mademoiselle, et je puis être honnête homme et vouloir bien vous accepter des mai +Nego consequentiam, Mademoiselle, et je puis être honnête homme et vouloir bien vous accepter des mains de Monsieur votre père. Angélique C'est un méchant moyen de se faire aimer de quelqu'un que de lui faire violence. Thomas Diafoirus -Nous lisons des anciens, Mademoiselle, que leur coutume étoit d'enlever par force de la maison des pères -filles qu'on menoit marier, afin qu'il ne semblât pas que ce fût de leur consentement qu'elles convoloient d +Nous lisons des anciens, Mademoiselle, que leur coutume étoit d'enlever par force de la maison des pères les +filles qu'on menoit marier, afin qu'il ne semblât pas que ce fût de leur consentement qu'elles convoloient dans les bras d'un homme. Angélique -Les anciens, Monsieur, sont les anciens, et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont po -nécessaires dans notre siècle ; et quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu'on no +Les anciens, Monsieur, sont les anciens, et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point +nécessaires dans notre siècle ; et quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu'on nous y traîne. Donnez−vous patience : si vous m'aimez, Monsieur, vous devez vouloir tout ce que je veux. Thomas Diafoirus Oui, Mademoiselle, jusqu'aux intérêts de mon amour exclusivement. @@ -55915,25 +55915,25 @@ Angélique Je sais, Madame, ce que vous voulez dire, et les bontés que vous avez pour moi ; mais peut−être que vos conseils ne seront pas assez heureux pour être exécutés. Béline -C'est que les filles bien sages et bien honnêtes, comme vous, se moquent d'être obéissantes, et soumises a +C'est que les filles bien sages et bien honnêtes, comme vous, se moquent d'être obéissantes, et soumises aux volontés de leurs pères. Cela étoit bon autrefois. Angélique -Le devoir d'une fille a des bornes, Madame, et la raison et les lois ne l'étendent point à toutes sortes de ch +Le devoir d'une fille a des bornes, Madame, et la raison et les lois ne l'étendent point à toutes sortes de choses. Béline C'est−à−dire que vos pensées ne sont que pour le mariage ; mais vous voulez choisir un époux à votre fantaisie. Angélique -Si mon père ne veut pas me donner un mari qui me plaise, je le conjurerai au moins de ne me point forcer +Si mon père ne veut pas me donner un mari qui me plaise, je le conjurerai au moins de ne me point forcer à en épouser un que je ne puisse pas aimer. Argan Messieurs, je vous demande pardon de tout ceci. Angélique Chacun a son but en se mariant. Pour moi, qui ne veux un mari que pour l'aimer véritablement, et qui prétends en faire tout l'attachement de ma vie, je vous avoue que j'y cherche quelque précaution. Il y en a -d'aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents, et se mettre en -de faire tout ce qu'elles voudront. Il y en a d'autres, Madame, qui font du mariage un commerce de pur int -qui ne se marient que pour gagner des douaires, que pour s'enrichir par la mort de ceux qu'elles épousent, -courent sans scrupule de mari en mari, pour s'approprier leurs dépouilles. Ces personnes−là, à la vérité, n' +d'aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents, et se mettre en état +de faire tout ce qu'elles voudront. Il y en a d'autres, Madame, qui font du mariage un commerce de pur intérêt, +qui ne se marient que pour gagner des douaires, que pour s'enrichir par la mort de ceux qu'elles épousent, et +courent sans scrupule de mari en mari, pour s'approprier leurs dépouilles. Ces personnes−là, à la vérité, n'y cherchent pas tant de façons, et regardent peu la personne. Béline Je vous trouve aujourd'hui bien raisonnante, et je voudrois bien savoir ce que vous voulez dire par là. @@ -55949,12 +55949,12 @@ Il n'est rien d'égal à votre insolence. Angélique Non, Madame, vous avez beau dire. Béline -Et vous avez un ridicule orgueil, une impertinente présomption qui fait hausser les épaules à tout le mond +Et vous avez un ridicule orgueil, une impertinente présomption qui fait hausser les épaules à tout le monde. Angélique Tout cela, Madame, ne servira de rien. Je serai sage en dépit de vous ; et pour vous ôter l'espérance de pouvoir réussir dans ce que vous voulez, je vais m'ôter de votre vue. Argan -Ecoute, il n'y a point de milieu à cela : choisis d'épouser dans quatre jours, ou Monsieur, ou un convent. N +Ecoute, il n'y a point de milieu à cela : choisis d'épouser dans quatre jours, ou Monsieur, ou un convent. Ne vous mettez pas en peine, je la rangerai bien. Béline Je suis fâchée de vous quitter, mon fils, mais j'ai une affaire en ville, dont je ne puis me dispenser. Je @@ -55996,7 +55996,7 @@ Argan Non : Monsieur Purgon dit que c'est mon foie qui est malade. Monsieur Diafoirus Eh ! oui : qui dit parenchyme, dit l'un et l'autre, à cause de l'étroite sympathie qu'ils ont ensemble, par le -moyen du vas breve du pylore, et souvent des méats cholidoques. Il vous ordonne sans doute de manger f +moyen du vas breve du pylore, et souvent des méats cholidoques. Il vous ordonne sans doute de manger force rôti ? Argan Non, rien que du bouilli. @@ -56012,8 +56012,8 @@ Jusqu'au revoir, Monsieur. Scène VII Béline, Argan Béline -Je viens, mon fils, avant que de sortir, vous donner avis d'une chose à laquelle il faut que vous preniez gar -En passant par−devant la chambre d'Angélique, j'ai vu un jeune homme avec elle, qui s'est sauvé d'abord +Je viens, mon fils, avant que de sortir, vous donner avis d'une chose à laquelle il faut que vous preniez garde. +En passant par−devant la chambre d'Angélique, j'ai vu un jeune homme avec elle, qui s'est sauvé d'abord qu'il m'a vue. Argan Un jeune homme avec ma fille ? @@ -56036,7 +56036,7 @@ Quoi ? Argan N'avez−vous rien à me dire ? Louison -Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de Peau d'âne, ou bien la fable du Corbeau e +Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de Peau d'âne, ou bien la fable du Corbeau et du Renard, qu'on m'a apprise depuis peu. Argan Ce n'est pas là ce que je demande. @@ -56103,7 +56103,7 @@ Louison Ah ! mon papa, vous m'avez blessée. Attendez : je suis morte. (Elle contrefait la morte.) Argan Holà ! Qu'est−ce là ? Louison, Louison. Ah, mon Dieu ! Louison. Ah ! ma fille ! Ah ! malheureux, ma -pauvre fille est morte. Qu'ai−je fait, misérable ? Ah ! chiennes de verges. La peste soit des verges ! Ah +pauvre fille est morte. Qu'ai−je fait, misérable ? Ah ! chiennes de verges. La peste soit des verges ! Ah ! ma pauvre fille, ma pauvre petite Louison. Louison La, la, mon papa, ne pleurez point tant, je ne suis pas morte tout à fait. @@ -56161,8 +56161,8 @@ Il n'y a point autre chose ? Louison Non, mon papa. Argan -Voilà mon petit doigt pourtant qui gronde quelque chose. (Il met son doigt à son oreille.) Attendez. Eh ! -ah ! oui ? Oh, oh ! voilà mon petit doigt qui me dit quelque chose que vous avez vu, et que vous ne m'av +Voilà mon petit doigt pourtant qui gronde quelque chose. (Il met son doigt à son oreille.) Attendez. Eh ! ah, +ah ! oui ? Oh, oh ! voilà mon petit doigt qui me dit quelque chose que vous avez vu, et que vous ne m'avez pas dit. Louison Ah ! mon papa, votre petit doigt est un menteur. @@ -56172,7 +56172,7 @@ Louison Non, mon papa, ne le croyez pas, il ment, je vous assure. Argan Oh bien, bien ! nous verrons cela. Allez−vous−en, et prenez bien garde à tout : allez. Ah ! il n'y a plus -d'enfants. Ah ! que d'affaires ! je n'ai pas seulement le loisir de songer à ma maladie. En vérité, je n'en pu +d'enfants. Ah ! que d'affaires ! je n'ai pas seulement le loisir de songer à ma maladie. En vérité, je n'en puis plus. (Il se remet dans sa chaise.) Scène IX @@ -56192,13 +56192,13 @@ Je n'ai pas seulement la force de pouvoir parler. Béralde J'étois venu ici, mon frère, vous proposer un parti pour ma nièce Angélique. Argan, parlant avec emportement, et se levant de sa chaise. -Mon frère, ne me parlez point de cette coquine−là. C'est une friponne, une impertinente, une effrontée, qu +Mon frère, ne me parlez point de cette coquine−là. C'est une friponne, une impertinente, une effrontée, que je mettrai dans un convent avant qu'il soit deux jours. Béralde -Ah ! voilà qui est bien : je suis bien aise que la force vous revienne un peu, et que ma visite vous fasse d +Ah ! voilà qui est bien : je suis bien aise que la force vous revienne un peu, et que ma visite vous fasse du bien. Oh çà ! nous parlerons d'affaires tantôt. Je vous amène ici un divertissement, que j'ai rencontré, qui -dissipera votre chagrin, et vous rendra l'âme mieux disposée aux choses que nous avons à dire. Ce sont de -Egyptiens, vêtus en Mores, qui font des danses mêlées de chansons, où je suis sûr que vous prendrez plais +dissipera votre chagrin, et vous rendra l'âme mieux disposée aux choses que nous avons à dire. Ce sont des +Egyptiens, vêtus en Mores, qui font des danses mêlées de chansons, où je suis sûr que vous prendrez plaisir ; et cela vaudra bien une ordonnance de Monsieur Purgon. Allons. Second intermède Le frère du... @@ -56308,12 +56308,12 @@ pour cela, j'ai résolu de jouer un tour de ma tête. Béralde Comment ? Toinette -C'est une imagination burlesque. Cela sera peut−être plus heureux que sage. Laissez−moi faire : agissez d +C'est une imagination burlesque. Cela sera peut−être plus heureux que sage. Laissez−moi faire : agissez de votre côté. Voici notre homme. Scène III Argan, Béralde Béralde -Vous voulez bien, mon frère, que je vous demande, avant toute chose, de ne vous point échauffer l'esprit d +Vous voulez bien, mon frère, que je vous demande, avant toute chose, de ne vous point échauffer l'esprit dans notre conversation. Argan Voilà qui est fait. @@ -56322,24 +56322,24 @@ De répondre sans nulle aigreur aux choses que je pourrai vous dire. Argan Oui. Béralde -Et de raisonner ensemble, sur les affaires dont nous avons à parler, avec un esprit détaché de toute passion +Et de raisonner ensemble, sur les affaires dont nous avons à parler, avec un esprit détaché de toute passion. Argan Mon Dieu ! oui. Voilà bien du préambule. Béralde -D'où vient, mon frère, qu'ayant le bien que vous avez, et n'ayant d'enfants qu'une fille, car je ne compte pa +D'où vient, mon frère, qu'ayant le bien que vous avez, et n'ayant d'enfants qu'une fille, car je ne compte pas la petite, d'où vient, dis−je, que vous parlez de la mettre dans un couvent ? Argan D'où vient, mon frère, que je suis maître dans ma famille pour faire ce que bon me semble ? Béralde -Votre femme ne manque pas de vous conseiller de vous défaire ainsi de vos deux filles, et je ne doute poi +Votre femme ne manque pas de vous conseiller de vous défaire ainsi de vos deux filles, et je ne doute point que, par un esprit de charité, elle ne fût ravie de les voir toutes deux bonnes religieuses. Argan -Oh çà ! nous y voici. Voilà d'abord la pauvre femme en jeu : c'est elle qui fait tout le mal, et tout le mond +Oh çà ! nous y voici. Voilà d'abord la pauvre femme en jeu : c'est elle qui fait tout le mal, et tout le monde lui en veut. Béralde Non, mon frère ; laissons−la là ; c'est une femme qui a les meilleures intentions du monde pour votre -famille, et qui est détachée de toute sorte d'intérêt, qui a pour vous une tendresse merveilleuse, et qui mon -pour vos enfants une affection et une bonté qui n'est pas concevable : cela est certain. N'en parlons point, +famille, et qui est détachée de toute sorte d'intérêt, qui a pour vous une tendresse merveilleuse, et qui montre +pour vos enfants une affection et une bonté qui n'est pas concevable : cela est certain. N'en parlons point, et revenons à votre fille. Sur quelle pensée, mon frère, la voulez−vous donner en mariage au fils d'un médecin ? Argan @@ -56351,7 +56351,7 @@ Oui, mais celui−ci, mon frère ; est plus sortable pour moi. Béralde Mais le mari qu'elle doit prendre doit−il être, mon frère, ou pour elle, ou pour vous ? Argan -Il doit être, mon frère, et pour elle, et pour moi, et je veux mettre dans ma famille les gens dont j'ai besoin +Il doit être, mon frère, et pour elle, et pour moi, et je veux mettre dans ma famille les gens dont j'ai besoin. Béralde Par cette raison−là, si votre petite étoit grande, vous lui donneriez en mariage un apothicaire ? Argan @@ -56362,9 +56362,9 @@ vouliez être malade en dépit des gens et de la nature ? Argan Comment l'entendez−vous, mon frère ? Béralde -J'entends, mon frère, que je ne vois point d'homme qui soit moins malade que vous, et que je ne demande -point une meilleure constitution que la vôtre. Une grande marque que vous vous portez bien, et que vous -un corps parfaitement bien composé, c'est qu'avec tous les soins que vous avez pris, vous n'avez pu parve +J'entends, mon frère, que je ne vois point d'homme qui soit moins malade que vous, et que je ne demanderois +point une meilleure constitution que la vôtre. Une grande marque que vous vous portez bien, et que vous avez +un corps parfaitement bien composé, c'est qu'avec tous les soins que vous avez pris, vous n'avez pu parvenir encore à gâter la bonté de votre tempérament, et que vous n'êtes point crevé de toutes les médecines qu'on vous a fait prendre. Argan @@ -56377,28 +56377,28 @@ Mais raisonnons un peu, mon frère. Vous ne croyez donc point à la médecine ? Béralde Non, mon frère, et je ne vois pas que, pour son salut, il soit nécessaire d'y croire. Argan -Quoi ? vous ne tenez pas véritable une chose établie par tout le monde, et que tous les siècles ont révérée +Quoi ? vous ne tenez pas véritable une chose établie par tout le monde, et que tous les siècles ont révérée ? Béralde Bien loin de la tenir véritable, je la trouve, entre nous, une des plus grandes folies qui soit parmi les -hommes ; et à regarder les choses en philosophe, je ne vois point de plus plaisante momerie, je ne vois ri +hommes ; et à regarder les choses en philosophe, je ne vois point de plus plaisante momerie, je ne vois rien de plus ridicule qu'un homme qui se veut mêler d'en guérir un autre. Argan Pourquoi ne voulez−vous pas, mon frère, qu'un homme en puisse guérir un autre ? Béralde -Par la raison, mon frère, que les ressorts de notre machine sont des mystères, jusques ici, où les hommes n -voient goutte, et que la nature nous a mis au−devant des yeux des voiles trop épais pour y connoître quelq +Par la raison, mon frère, que les ressorts de notre machine sont des mystères, jusques ici, où les hommes ne +voient goutte, et que la nature nous a mis au−devant des yeux des voiles trop épais pour y connoître quelque chose. Argan Les médecins ne savent donc rien, à votre compte ? Béralde -Si fait, mon frère. Ils savent la plupart de fort belles humanités, savent parler en beau latin, savent nomme -grec toutes les maladies, les définir et les diviser ; mais, pour ce qui est de les guérir, c'est ce qu'ils ne sav +Si fait, mon frère. Ils savent la plupart de fort belles humanités, savent parler en beau latin, savent nommer en +grec toutes les maladies, les définir et les diviser ; mais, pour ce qui est de les guérir, c'est ce qu'ils ne savent point du tout. Argan -Mais toujours faut−il demeurer d'accord que, sur cette matière, les médecins en savent plus que les autres +Mais toujours faut−il demeurer d'accord que, sur cette matière, les médecins en savent plus que les autres. Béralde -Ils savent, mon frère, ce que je vous ai dit, qui ne guérit pas de grand'chose ; et toute l'excellence de leur -consiste en un pompeux galimatias, en un spécieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, et de +Ils savent, mon frère, ce que je vous ai dit, qui ne guérit pas de grand'chose ; et toute l'excellence de leur art +consiste en un pompeux galimatias, en un spécieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets. Argan Mais enfin, mon frère, il y a des gens aussi sages et aussi habiles que vous ; et nous voyons que, dans la @@ -56408,17 +56408,17 @@ C'est une marque de la foiblesse humaine, et non pas de la vérité de leur art. Argan Mais il faut bien que les médecins croient leur art véritable, puisqu'ils s'en servent pour eux−mêmes. Béralde -C'est qu'il y en a parmi eux qui sont eux−mêmes dans l'erreur populaire, dont ils profitent, et d'autres qui +C'est qu'il y en a parmi eux qui sont eux−mêmes dans l'erreur populaire, dont ils profitent, et d'autres qui en profitent sans y être. Votre Monsieur Purgon, par exemple, n'y sait point de finesse : c'est un homme tout -médecin, depuis la tête jusqu'aux pieds ; un homme qui croit à ses règles plus qu'à toutes les démonstratio +médecin, depuis la tête jusqu'aux pieds ; un homme qui croit à ses règles plus qu'à toutes les démonstrations des mathématiques, et qui croiroit du crime à les vouloir examiner ; qui ne voit rien d'obscur dans la médecine, rien de douteux, rien de difficile, et qui, avec une impétuosité de prévention, une roideur de -confiance, une brutalité de sens commun et de raison, donne au travers des purgations et des saignées, et n -balance aucune chose. Il ne lui faut point vouloir mal de tout ce qu'il pourra vous faire : c'est de la meille -foi du monde qu'il vous expédiera, et il ne fera, en vous tuant, que ce qu'il a fait à sa femme et ses enfants +confiance, une brutalité de sens commun et de raison, donne au travers des purgations et des saignées, et ne +balance aucune chose. Il ne lui faut point vouloir mal de tout ce qu'il pourra vous faire : c'est de la meilleure +foi du monde qu'il vous expédiera, et il ne fera, en vous tuant, que ce qu'il a fait à sa femme et ses enfants, et ce qu'en un besoin il feroit à lui−même. Argan -C'est que vous avez, mon frère, une dent de lait contre lui. Mais enfin venons au fait. Que faire donc quan +C'est que vous avez, mon frère, une dent de lait contre lui. Mais enfin venons au fait. Que faire donc quand on est malade ? Béralde Rien, mon frère. @@ -56432,17 +56432,17 @@ Argan Mais il faut demeurer d'accord, mon frère, qu'on peut aider cette nature par de certaines choses. Béralde Mon Dieu ! mon frère, ce sont pures idées, dont nous aimons à nous repaître ; et, de tout temps, il s'est -glissé parmi les hommes de belles imaginations, que nous venons à croire, parce qu'elles nous flattent et q -seroit à souhaiter qu'elles fussent véritables. Lorsqu'un médecin vous parle d'aider, de secourir, de soulage +glissé parmi les hommes de belles imaginations, que nous venons à croire, parce qu'elles nous flattent et qu'il +seroit à souhaiter qu'elles fussent véritables. Lorsqu'un médecin vous parle d'aider, de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions ; lorsqu'il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles et le -cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le coeur, de rétab +cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le coeur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d'avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années : il vous dit -justement le roman de la médecine. Mais quand vous en venez à la vérité et à l'expérience, vous ne trouve -rien de tout cela, et il en est comme de ces beaux songes qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de +justement le roman de la médecine. Mais quand vous en venez à la vérité et à l'expérience, vous ne trouvez +rien de tout cela, et il en est comme de ces beaux songes qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus. Argan -C'est−à−dire que toute la science du monde est renfermée dans votre tête, et vous voulez en savoir plus qu +C'est−à−dire que toute la science du monde est renfermée dans votre tête, et vous voulez en savoir plus que tous les grands médecins de notre siècle. Béralde Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands médecins. @@ -56452,9 +56452,9 @@ Argan Hoy ! Vous êtes un grand docteur, à ce que je vois, et je voudrois bien qu'il y eut ici quelqu'un de ces Messieurs pour rembarrer vos raisonnements et rabaisser votre caquet. Béralde -Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine ; et chacun, à ses périls et fortune, p +Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine ; et chacun, à ses périls et fortune, peut croire tout ce qu'il lui plaît. Ce que j'en dis n'est qu'entre nous, et j'aurois souhaité de pouvoir un peu vous -tirer de l'erreur où vous êtes, et, pour vous divertir, vous mener voir sur ce chapitre quelqu'une des coméd +tirer de l'erreur où vous êtes, et, pour vous divertir, vous mener voir sur ce chapitre quelqu'une des comédies de Molière. Argan C'est un bon impertinent que votre Molière avec ses comédies, et je le trouve bien plaisant d'aller jouer @@ -56462,16 +56462,16 @@ d'honnêtes gens comme les médecins. Béralde Ce ne sont point les médecins qu'il joue, mais le ridicule de la médecine. Argan -C'est bien à lui à faire de se mêler de contrôler la médecine ; voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de +C'est bien à lui à faire de se mêler de contrôler la médecine ; voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s'attaquer au corps des médecins, et d'aller mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces Messieurs−là. Béralde -Que voulez−vous qu'il y mette que les diverses professions des hommes ? On y met bien tous les jours le +Que voulez−vous qu'il y mette que les diverses professions des hommes ? On y met bien tous les jours les princes et les rois, qui sont d'aussi bonne maison que les médecins. Argan Par la mort non de diable ! si j'étois que des médecins, je me vengerois de son impertinence ; et quand il -sera malade, je le laisserois mourir sans secours. Il auroit beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerois pas -moindre petite saignée, le moindre petit lavement, et je lui dirois : "Crève, crève ! cela t'apprendra une a +sera malade, je le laisserois mourir sans secours. Il auroit beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerois pas la +moindre petite saignée, le moindre petit lavement, et je lui dirois : "Crève, crève ! cela t'apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté." Béralde Vous voilà bien en colère contre lui. @@ -56482,8 +56482,8 @@ Il sera encore plus sage que vos médecins, car il ne leur demandera point de se Argan Tant pis pour lui s'il n'a point recours aux remèdes. Béralde -Il a ses raisons pour n'en point vouloir, et il soutient que cela n'est permis qu'aux gens vigoureux et robust -et qui ont des forces de reste pour porter les remèdes avec la maladie ; mais que, pour lui, il n'a justement +Il a ses raisons pour n'en point vouloir, et il soutient que cela n'est permis qu'aux gens vigoureux et robustes, +et qui ont des forces de reste pour porter les remèdes avec la maladie ; mais que, pour lui, il n'a justement de la force que pour porter son mal. Argan Les sottes raisons que voilà ! Tenez, mon frère, ne parlons point de cet homme−là davantage, car cela @@ -56491,8 +56491,8 @@ m'échauffe la bile, et vous me donneriez mon mal. Béralde Je le veux bien, mon frère ; et, pour changer de discours, je vous dirai que, sur une petite répugnance que vous témoigne votre fille, vous ne devez point prendre les résolutions violentes de la mettre dans un -couvent ; que, pour le choix d'un gendre, il ne vous faut pas suivre aveuglément la passion qui vous empo -et qu'on doit, sur cette matière, s'accommoder un peu à l'inclination d'une fille, puisque c'est pour toute la +couvent ; que, pour le choix d'un gendre, il ne vous faut pas suivre aveuglément la passion qui vous emporte, +et qu'on doit, sur cette matière, s'accommoder un peu à l'inclination d'une fille, puisque c'est pour toute la vie, et que de là dépend tout le bonheur d'un mariage. Scène IV Monsieur Fleurant, une seringue à la main ; Argan, Béralde @@ -56503,7 +56503,7 @@ Comment ? que voulez−vous faire ? Argan Prendre ce petit lavement−là ; ce sera bientôt fait. Béralde -Vous vous moquez. Est−ce que vous ne sauriez être un moment sans lavement ou sans médecine ? Reme +Vous vous moquez. Est−ce que vous ne sauriez être un moment sans lavement ou sans médecine ? Remettez cela à une autre fois, et demeurez un peu en repos. Argan Monsieur Fleurant, à ce soir, ou à demain au matin. @@ -56514,26 +56514,26 @@ Béralde Allez, Monsieur, on voit bien que vous n'avez pas accoutumé de parler à des visages. Monsieur Fleurant On ne doit point ainsi se jouer des remèdes, et me faire perdre mon temps. Je ne suis venu ici que sur une -bonne ordonnance, et je vais dire à Monsieur Purgon comme on m'a empêché d'exécuter ses ordres et de f +bonne ordonnance, et je vais dire à Monsieur Purgon comme on m'a empêché d'exécuter ses ordres et de faire ma fonction. Vous verrez, vous verrez... Argan Mon frère, vous serez cause ici de quelque malheur. Béralde Le grand malheur de ne pas prendre un lavement que Monsieur Purgon a ordonné. Encore un coup, mon -frère, est−il possible qu'il n'y ait pas moyen de vous guérir de la maladie des médecins, et que vous voulie +frère, est−il possible qu'il n'y ait pas moyen de vous guérir de la maladie des médecins, et que vous vouliez être, toute votre vie, enseveli dans leurs remèdes ? Argan -Mon Dieu ! mon frère, vous en parlez comme un homme qui se porte bien ; mais, si vous étiez à ma plac +Mon Dieu ! mon frère, vous en parlez comme un homme qui se porte bien ; mais, si vous étiez à ma place, vous changeriez bien de langage. Il est aisé de parler contre la médecine quand on est en pleine santé. Béralde Mais quel mal avez−vous ? Argan -Vous me feriez enrager. Je voudrois que vous l'eussiez mon mal, pour voir si vous jaseriez tant. Ah ! voic +Vous me feriez enrager. Je voudrois que vous l'eussiez mon mal, pour voir si vous jaseriez tant. Ah ! voici Monsieur Purgon. Scène V Monsieur Purgon, Argan, Béralde, Toinette Monsieur Purgon -Je viens d'apprendre là−bas, à la porte, de jolies nouvelles : qu'on se moque ici de mes ordonnances, et qu +Je viens d'apprendre là−bas, à la porte, de jolies nouvelles : qu'on se moque ici de mes ordonnances, et qu'on a fait refus de prendre le remède que j'avois prescrit. Argan Monsieur, ce n'est pas... @@ -56578,7 +56578,7 @@ Que je ne veux plus d'alliance avec vous. Toinette Vous ferez bien. Monsieur Purgon -Et que, pour finir toute liaison avec vous, voilà la donation que je faisois à mon neveu, en faveur du maria +Et que, pour finir toute liaison avec vous, voilà la donation que je faisois à mon neveu, en faveur du mariage. Argan C'est mon frère qui a fait tout le mal. Monsieur Purgon @@ -56655,7 +56655,7 @@ Quoi ? qu'y a−t−il ? Argan Je n'en puis plus. Je sens déjà que la médecine se venge. Béralde -Ma foi ! mon frère, vous êtes fou, et je ne voudrois pas, pour beaucoup de choses, qu'on vous vît faire ce +Ma foi ! mon frère, vous êtes fou, et je ne voudrois pas, pour beaucoup de choses, qu'on vous vît faire ce que vous faites. Tâtez−vous un peu, je vous prie, revenez à vous−même, et ne donnez point tant à votre imagination. Argan @@ -56666,9 +56666,9 @@ Argan Il dit que je deviendrai incurable avant qu'il soit quatre jours. Béralde Et ce qu'il dit, que fait−il à la chose ? Est−ce un oracle qui a parlé ? Il me semble, à vous entendre, que -Monsieur Purgon tienne dans ses mains le filet de vos jours, et que, d'autorité suprême, il vous l'allonge e -vous le raccourcisse comme il lui plaît. Songez que les principes de votre vie sont en vous−même, et que -courroux de Monsieur Purgon est aussi peu capable de vous faire mourir que ses remèdes de vous faire vi +Monsieur Purgon tienne dans ses mains le filet de vos jours, et que, d'autorité suprême, il vous l'allonge et +vous le raccourcisse comme il lui plaît. Songez que les principes de votre vie sont en vous−même, et que le +courroux de Monsieur Purgon est aussi peu capable de vous faire mourir que ses remèdes de vous faire vivre. Voici une aventure, si vous voulez, à vous défaire des médecins, ou, si vous êtes né à ne pouvoir vous en passer, il est aisé d'en avoir un autre, avec lequel, mon frère, vous puissiez courir un peu moins de risque. Argan @@ -56687,8 +56687,8 @@ Un médecin de la médecine. Argan Je te demande qui il est ? Toinette -Je ne le connois pas ; mais il me ressemble comme deux gouttes d'eau, et si je n'étois sûre que ma mère é -honnête femme, je dirois que ce seroit quelque petit frère qu'elle m'auroit donné depuis le trépas de mon p +Je ne le connois pas ; mais il me ressemble comme deux gouttes d'eau, et si je n'étois sûre que ma mère étoit +honnête femme, je dirois que ce seroit quelque petit frère qu'elle m'auroit donné depuis le trépas de mon père. Argan Fais−le venir. Béralde @@ -56702,7 +56702,7 @@ Voyez−vous ? j'ai sur le coeur toutes ces maladies−là que je ne connois po Scène VIII Toinette, en médecin ; Argan, Béralde Toinette -Monsieur, agréez que je vienne vous rendre visite et vous offrir mes petits services pour toutes les saignée +Monsieur, agréez que je vienne vous rendre visite et vous offrir mes petits services pour toutes les saignées et les purgations dont vous aurez besoin. Argan Monsieur, je vous suis fort obligé. Par ma foi ! voilà Toinette elle−même. @@ -56712,13 +56712,13 @@ l'heure. Argan Eh ! ne diriez−vous pas que c'est effectivement Toinette ? Béralde -Il est vrai que la ressemblance est tout à fait grande. Mais ce n'est pas la première fois qu'on a vu de ces so +Il est vrai que la ressemblance est tout à fait grande. Mais ce n'est pas la première fois qu'on a vu de ces sortes de choses, et les histoires ne sont pleines que de ces jeux de la nature. Argan Pour moi, j'en suis surpris, et... Scène IX Toinette, Argan, Béralde -Toinette quitte son habit de médecin si promptement qu'il est difficile de croire que ce soit elle qui a paru +Toinette quitte son habit de médecin si promptement qu'il est difficile de croire que ce soit elle qui a paru en médecin. Que voulez−vous, Monsieur ? Argan @@ -56736,7 +56736,7 @@ Oui, vraiment, j'ai affaire là−bas, et je l'ai assez vu. Argan Si je ne les voyois tous deux, je croirois que ce n'est qu'un. Béralde -J'ai lu des choses surprenantes de ces sortes de ressemblances, et nous en avons vu de notre temps où tout +J'ai lu des choses surprenantes de ces sortes de ressemblances, et nous en avons vu de notre temps où tout le monde s'est trompé. Argan Pour moi, j'aurois été trompé à celle−là, et j'aurois juré que c'est la même personne. @@ -56747,7 +56747,7 @@ Monsieur, je vous demande pardon de tout mon coeur. Argan Cela est admirable ! Toinette -Vous ne trouverez pas mauvais, s'il vous plaît, la curiosité que j'ai eue de voir un illustre malade comme v +Vous ne trouverez pas mauvais, s'il vous plaît, la curiosité que j'ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes ; et votre réputation, qui s'étend partout, peut excuser la liberté que j'ai prise. Argan Monsieur, je suis votre serviteur. @@ -56764,21 +56764,21 @@ Oui. Vous voyez un effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et Argan Par ma foi ! voilà un beau jeune vieillard pour quatre−vingt−dix ans. Toinette -Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pou -chercher d'illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m'occuper, capables d'exe -les grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m'amuser à ce menu fatras d +Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour +chercher d'illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m'occuper, capables d'exercer +les grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m'amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatisme et défluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs, et à ces -migraines. Je veux des maladies d'importance : de bonnes fièvres continues avec des transports au cervea -de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec -inflammations de poitrine : c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe ; et je voudrois, Monsieur, qu +migraines. Je veux des maladies d'importance : de bonnes fièvres continues avec des transports au cerveau, +de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des +inflammations de poitrine : c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe ; et je voudrois, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, -désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes, et l'envie que j'aurois de vous rendr +désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes, et l'envie que j'aurois de vous rendre service. Argan Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi. Toinette -Donnez−moi votre pouls. Allons donc, que l'on batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme -devez. Hoy, ce pouls−là fait l'impertinent : je vois bien que vous ne me connoissez pas encore. Qui est vo +Donnez−moi votre pouls. Allons donc, que l'on batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme vous +devez. Hoy, ce pouls−là fait l'impertinent : je vois bien que vous ne me connoissez pas encore. Qui est votre médecin ? Argan Monsieur Purgon. @@ -56851,9 +56851,9 @@ Ignorant. Argan Et surtout de boire mon vin fort trempé. Toinette -Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire votre vin pur ; et pour épaissir votre sang qui est trop sub -il faut manger de bon gros boeuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du riz, et de -marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer u +Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire votre vin pur ; et pour épaissir votre sang qui est trop subtil, +il faut manger de bon gros boeuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du riz, et des +marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville. Argan Vous m'obligez beaucoup. @@ -56874,12 +56874,12 @@ Vous avez là aussi un oeil droit que je me ferois crever, si j'étois en votre Argan Crever un oeil ? Toinette -Ne voyez−vous pas qu'il incommode l'autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez−moi, faites−vous−le cre +Ne voyez−vous pas qu'il incommode l'autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez−moi, faites−vous−le crever au plus tôt, vous en verrez plus clair de l'oeil gauche. Argan Cela n'est pas pressé. Toinette -Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt ; mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui se +Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt ; mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui se doit faire pour un homme qui mourut hier. Argan Pour un homme qui mourut hier ? @@ -56894,7 +56894,7 @@ Oui, mais il va un peu bien vite. Béralde Tous les grands médecins sont comme cela. Argan -Me couper un bras, et me crever un oeil, afin que l'autre se porte mieux ? J'aime bien mieux qu'il ne se po +Me couper un bras, et me crever un oeil, afin que l'autre se porte mieux ? J'aime bien mieux qu'il ne se porte pas si bien. La belle opération, de me rendre borgne et manchot ! Scène XI Toinette, Argan, Béralde @@ -56907,11 +56907,11 @@ Votre médecin, ma foi ! qui me vouloit tâter le pouls. Argan Voyez un peu, à l'âge de quatre−vingt−dix ans ! Béralde -Oh çà, mon frère, puisque voilà votre Monsieur Purgon brouillé avec vous, ne voulez−vous pas bien que j +Oh çà, mon frère, puisque voilà votre Monsieur Purgon brouillé avec vous, ne voulez−vous pas bien que je vous parle du parti qui s'offre pour ma nièce ? Argan Non, mon frère : je veux la mettre dans un convent, puisqu'elle s'est opposée à mes volontés. Je vois bien -qu'il y a quelque amourette là−dessous, et j'ai découvert certaine entrevue secrète, qu'on ne sait pas que j'a +qu'il y a quelque amourette là−dessous, et j'ai découvert certaine entrevue secrète, qu'on ne sait pas que j'aye découverte. Béralde Hé bien ! mon frère, quand il y auroit quelque petite inclination, cela seroit−il si criminel, et rien peut−il @@ -56924,7 +56924,7 @@ Argan Je vous entends : vous en revenez toujours là, et ma femme vous tient au coeur. Béralde Hé bien ! oui, mon frère, puisqu'il faut parler à coeur ouvert, c'est votre femme que je veux dire ; et non -plus que l'entêtement de la médecine, je ne puis vous souffrir l'entêtement où vous êtes pour elle, et voir q +plus que l'entêtement de la médecine, je ne puis vous souffrir l'entêtement où vous êtes pour elle, et voir que vous donniez tête baissée dans tous les pièges qu'elle vous tend. Toinette Ah ! Monsieur, ne parlez point de Madame : c'est une femme sur laquelle il n'y a rien à dire, une femme @@ -56945,7 +56945,7 @@ Monsieur ? Monsieur, souffrez que je lui montre son bec jaune, et le tire d'err Argan Comment ? Toinette -Madame s'en va revenir. Mettez−vous tout étendu dans cette chaise, et contrefaites le mort. Vous verrez l +Madame s'en va revenir. Mettez−vous tout étendu dans cette chaise, et contrefaites le mort. Vous verrez la douleur où elle sera, quand je lui dirai la nouvelle. Argan Je le veux bien. @@ -56958,7 +56958,7 @@ Cachez−vous, vous, dans ce coin−là. Argan N'y a−t−il point quelque danger à contrefaire le mort ? Toinette -Non, non : quel danger y auroit−il ? Etendez−vous là seulement. (Bas.) Il y aura plaisir à confondre votr +Non, non : quel danger y auroit−il ? Etendez−vous là seulement. (Bas.) Il y aura plaisir à confondre votre frère. Voici Madame. Tenez−vous bien. Scène XII Béline, Toinette, Argan, Béralde @@ -56979,7 +56979,7 @@ Hélas ! oui. Le pauvre défunt est trépassé. Béline Assurément ? Toinette -Assurément. Personne ne sait encore cet accident−là, et je me suis trouvée ici toute seule. Il vient de passe +Assurément. Personne ne sait encore cet accident−là, et je me suis trouvée ici toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise. Béline Le Ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d'un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de t'affliger de cette @@ -56987,16 +56987,16 @@ mort ! Toinette Je pensois, Madame, qu'il fallût pleurer. Béline -Va, va, cela n'en vaut pas la peine. Quelle perte est−ce que la sienne ? et de quoi servoit−il sur la terre ? -homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans +Va, va, cela n'en vaut pas la peine. Quelle perte est−ce que la sienne ? et de quoi servoit−il sur la terre ? Un +homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets. Toinette Voilà une belle oraison funèbre. Béline -Il faut, Toinette, que tu m'aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire qu'en me servant ta récompense -sûre. Puisque, par un bonheur, personne n'est encore averti de la chose, portons−le dans son lit, et tenons -mort cachée, jusqu'à ce que j'aye fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l'argent dont je veux me sais +Il faut, Toinette, que tu m'aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire qu'en me servant ta récompense est +sûre. Puisque, par un bonheur, personne n'est encore averti de la chose, portons−le dans son lit, et tenons cette +mort cachée, jusqu'à ce que j'aye fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l'argent dont je veux me saisir, et il n'est pas juste que j'aye passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Viens, Toinette, prenons auparavant toutes ses clefs. Argan, se levant brusquement. @@ -57008,7 +57008,7 @@ Oui, Madame ma femme, c'est ainsi que vous m'aimez ? Toinette Ah, ah ! le défunt n'est pas mort. Argan, à Béline, qui sort. -Je suis bien aise de voir votre amitié, et d'avoir entendu le beau panégyrique que vous avez fait de moi. V +Je suis bien aise de voir votre amitié, et d'avoir entendu le beau panégyrique que vous avez fait de moi. Voilà un avis au lecteur qui me rendra sage à l'avenir, et qui m'empêchera de faire bien des choses. Béralde, sortant de l'endroit où il étoit caché. Hé bien ! mon frère, vous le voyez. @@ -57033,25 +57033,25 @@ Mon père est mort, Toinette ? Toinette Oui ; vous le voyez là. Il vient de mourir tout à l'heure d'une foiblesse qui lui a pris. Angélique -O Ciel ! quelle infortune ! quelle atteinte cruelle ! Hélas ! faut−il que je perde mon père, la seule chose +O Ciel ! quelle infortune ! quelle atteinte cruelle ! Hélas ! faut−il que je perde mon père, la seule chose qui me restoit au monde ? et qu'encore, pour un surcroît de désespoir, je le perde dans un moment où il étoit -irrité contre moi ? Que deviendrai−je, malheureuse, et quelle consolation trouver après une si grande pert +irrité contre moi ? Que deviendrai−je, malheureuse, et quelle consolation trouver après une si grande perte ? Scène XIV et dernière Cléante, Angélique, Argan, Toinette, Béralde Cléante Qu'avez−vous donc, belle Angélique ? et quel malheur pleurez−vous ? Angélique -Hélas ! je pleure tout ce que dans la vie je pouvois perdre de plus cher et de plus précieux : je pleure la m +Hélas ! je pleure tout ce que dans la vie je pouvois perdre de plus cher et de plus précieux : je pleure la mort de mon père. Cléante O Ciel ! quel accident ! quel coup inopiné ! Hélas ! après la demande que j'avois conjuré votre oncle de -lui faire pour moi, je venois me présenter à lui, et tâcher par mes respects et par mes prières de disposer so +lui faire pour moi, je venois me présenter à lui, et tâcher par mes respects et par mes prières de disposer son coeur à vous accorder à mes voeux. Angélique -Ah ! Cléante, ne parlons plus de rien. Laissons là toutes les pensées du mariage. Après la perte de mon pè -je ne veux plus être du monde, et j'y renonce pour jamais. Oui, mon père, si j'ai résisté tantôt à vos volont +Ah ! Cléante, ne parlons plus de rien. Laissons là toutes les pensées du mariage. Après la perte de mon père, +je ne veux plus être du monde, et j'y renonce pour jamais. Oui, mon père, si j'ai résisté tantôt à vos volontés, je veux suivre du moins une de vos intentions, et réparer par là le chagrin que je m'accuse de vous avoir -donné. Souffrez, mon père, que je vous en donne ici ma parole, et que je vous embrasse pour vous témoig +donné. Souffrez, mon père, que je vous en donne ici ma parole, et que je vous embrasse pour vous témoigner mon ressentiment. Argan se lève : Ah, ma fille ! @@ -57062,7 +57062,7 @@ Viens. N'aye point de peur, je ne suis pas mort. Va, tu es mon vrai sang, ma vé d'avoir vu ton bon naturel. Angélique Ah ! quelle surprise agréable, mon père ! Puisque par un bonheur extrême le Ciel vous redonne à mes -voeux, souffrez qu'ici je me jette à vos pieds pour vous supplier d'une chose. Si vous n'êtes pas favorable +voeux, souffrez qu'ici je me jette à vos pieds pour vous supplier d'une chose. Si vous n'êtes pas favorable au penchant de mon coeur, si vous me refusez Cléante pour époux, je vous conjure au moins de ne me point forcer d'en épouser un autre. C'est toute la grâce que je vous demande. Cléante, se jette à genoux. @@ -57076,13 +57076,13 @@ Argan Qu'il se fasse médecin, je consens au mariage. Oui, faites−vous médecin, je vous donne ma fille. Cléante Très−volontiers, Monsieur : s'il ne tient qu'à cela pour être votre gendre, je me ferai médecin, apothicaire -même, si vous voulez. Ce n'est pas une affaire que cela, et je ferois bien d'autres choses pour obtenir la be +même, si vous voulez. Ce n'est pas une affaire que cela, et je ferois bien d'autres choses pour obtenir la belle Angélique. Béralde -Mais, mon frère, il me vient une pensée : faites−vous médecin vous−même. La commodité sera encore p +Mais, mon frère, il me vient une pensée : faites−vous médecin vous−même. La commodité sera encore plus grande, d'avoir en vous tout ce qu'il vous faut. Toinette -Cela est vrai. Voilà le vrai moyen de vous guérir bientôt ; et il n'y a point de maladie si osée, que de se jo +Cela est vrai. Voilà le vrai moyen de vous guérir bientôt ; et il n'y a point de maladie si osée, que de se jouer à la personne d'un médecin. Argan Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi : est−ce que je suis en âge d'étudier ? @@ -57092,12 +57092,12 @@ vous. Argan Mais il faut savoir bien parler latin, connoître les maladies, et les remèdes qu'il y faut faire. Béralde -En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela, et vous serez après plus habile qu +En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela, et vous serez après plus habile que vous ne voudrez. Argan Quoi ? l'on sait discourir sur les maladies quand on a cet habit−là ? Béralde -Oui. L'on n'a qu'à parler avec une robe et un bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devien +Oui. L'on n'a qu'à parler avec une robe et un bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devient raison. Toinette Tenez, Monsieur, quand il n'y auroit que votre barbe, c'est déjà beaucoup, et la barbe fait plus de la moitié @@ -57113,12 +57113,12 @@ Oui, et dans votre maison. Argan Dans ma maison ? Béralde -Oui. Je connois une Faculté de mes amies, qui viendra tout à l'heure en faire la cérémonie dans votre salle +Oui. Je connois une Faculté de mes amies, qui viendra tout à l'heure en faire la cérémonie dans votre salle. Cela ne vous coûtera rien. Argan Mais moi, que dire, que répondre ? Béralde -On vous instruira en deux mots, et l'on vous donnera par écrit ce que vous devez dire. Allez−vous−en vou +On vous instruira en deux mots, et l'on vous donnera par écrit ce que vous devez dire. Allez−vous−en vous mettre en habit décent, je vais les envoyer querir. Argan Allons, voyons cela. @@ -57127,14 +57127,14 @@ Que voulez−vous dire, et qu'entendez−vous avec cette Faculté de vos amies.. Toinette Quel est donc votre dessein ? Béralde -De nous divertir un peu ce soir. Les comédiens ont fait un petit intermède de la réception d'un médecin, a -des danses et de la musique ; je veux que nous en prenions ensemble le divertissement, et que mon frère +De nous divertir un peu ce soir. Les comédiens ont fait un petit intermède de la réception d'un médecin, avec +des danses et de la musique ; je veux que nous en prenions ensemble le divertissement, et que mon frère y fasse le premier personnage. Angélique Mais mon oncle, il me semble que vous vous jouez un peu beaucoup de mon père. Béralde -Mais, ma nièce, ce n'est pas tant le jouer, que s'accommoder à ses fantaisies. Tout ceci n'est qu'entre nous -Nous y pouvons aussi prendre chacun un personnage, et nous donner ainsi la comédie les uns aux autres. +Mais, ma nièce, ce n'est pas tant le jouer, que s'accommoder à ses fantaisies. Tout ceci n'est qu'entre nous. +Nous y pouvons aussi prendre chacun un personnage, et nous donner ainsi la comédie les uns aux autres. Le carnaval autorise cela. Allons vite préparer toutes choses. Cléante, à Angélique Y consentez−vous ? @@ -57766,11 +57766,11 @@ Ses vertus de chacun le faisaient révérer ; Il avait le coeur grand, l'esprit beau, l'âme belle ; Et ce sont des sujets à toujours le pleurer. Lettre d'envoi du sonnet précédent -Vous voyez bien, monsieur, que je m'écarte fort du chemin qu'on suit d'ordinaire en pareille rencontre, et -le sonnet que je vous envoie n'est rien moins qu'une consolation. Mais j'ai cru qu'il fallait en user de la sor +Vous voyez bien, monsieur, que je m'écarte fort du chemin qu'on suit d'ordinaire en pareille rencontre, et que +le sonnet que je vous envoie n'est rien moins qu'une consolation. Mais j'ai cru qu'il fallait en user de la sorte avec vous, et que c'est consoler un philosophe que de lui justifier ses larmes, et de mettre sa douleur en liberté. Si je n'ai pas trouvé d'assez fortes raisons pour affranchir votre tendresse des sévères leçons de la -philosophie, et pour vous obliger à pleurer sans contrainte, il en faut accuser le peu d'éloquence d'un hom +philosophie, et pour vous obliger à pleurer sans contrainte, il en faut accuser le peu d'éloquence d'un homme qui ne saurait persuader ce qu'il sait si bien faire. MOLIERE. Quatrains