{ "language": "en", "title": "Guide for the Perplexed", "versionSource": "https://www.nli.org.il/he/books/NNL_ALEPH990012364290205171/NLI", "versionTitle": "Guide des égarés, trans. by Salomon Munk, Paris, 1856 [fr]", "status": "locked", "license": "Public Domain", "versionNotes": "", "digitizedBySefaria": true, "actualLanguage": "fr", "languageFamilyName": "french", "isBaseText": false, "isSource": false, "direction": "ltr", "heTitle": "מורה נבוכים", "categories": [ "Jewish Thought", "Rishonim" ], "text": { "Introduction of Ibn Tibon": [], "Letter to R Joseph son of Judah": [ "AU NOM DE L'ÉTERNEL
DIEU DE L'UNIVERS(2)Nous avons traduit ici les mots אל עולם dans le sens que Maïmonide lui-même leur prête dans plusieurs endroits, et notamment dans le chap. 29 de la troisième partie du Guide, quoique dans le passage biblique (Genèse, 21, 33) ces mots signifient le Dieu éternel.", "Lorsque(3)Le verbe כנת qui commence la phrase se rapporte aux mots עטׄם שאנך, qu’il sert à mettre au plus-que-parfait., mon cher disciple Rabbi Joseph(4)Voy. ma Notice précitée sur Joseph ben Iehouda. Nous reviendrons sur ce disciple de Maïmonide dans l’introduction générale de cet ouvrage.—Les lettres ש״צ, qui suivent le nom de Joseph, sont l’abréviation de שְׁמָרָהוּ צוּרוֹ, le prétérit hébreu étant employé, à la manière arabe, dans le sens de l’optatif., fils de R. Iehouda [qu’il repose dans le paradis!],", "tu te présentas chez moi, étant venu d'un pays lointain(5)Littéralement: des extrémités des pays. Joseph était venu de Sabta ou Seuta, située dans le nord-ouest de l’Afrique, que les Arabes appelaient Al-Maghreb al-Akça ou l’extrême Occident. Voy. la susdite Notice, pages 6 et 14. pour suivre mes leçons, tu étais déjà très haut placé dans mon estime à cause de ta grande passion pour l'étude, et parce que j'avais reconnu dans tes poésies un amour très prononcé pour les choses spéculatives, et cela depuis que tes opuscules et tes Makâmât(1)Les Makâmât chez les Arabes sont des nouvelles ou récits écrits en prose rimée mêlée de vers; on connaît les célèbres Makâmât ou Séances de’Harizi. Ce genre de compositions fut imité en hébreu, par les juifs, dès la première moitié du XIIe siècle, et on leur donnait le nom de מחברות; c’est en effet ce mot que R. Iehouda al-’Harizi emploie ici dans sa traduction, et qui rend beaucoup mieux le sens du mot arabe que le mot חרוזיך, employé par Ibn-Tibbon. Al-’Harizi, dans son recueil de Makâmât connu sous le titre de Ta’hkemôni (תחכמוני), cite luimême de notre Joseph une Makâma qui était devenue célèbre. Voy. ma Notice précitée, p. 48 et suiv. me furent parvenus d'Alexandrie, et avant que je pusse (par moi-même) éprouver ta conception. Je me disais (d'abord): Peut-être son désir est-il plus fort que sa compréhension; mais quand tu eus fait, sous ma direction, tes études de l'astronomie et des sciences mathématiques que tu avais abordées auparavant et qui doivent nécessairement lui servir de préparation, je ressentis à ton égard une joie bien plus grande à cause de l'excellence de ton esprit et de la promptitude de ta conception; et, voyant que tu avais un grand amour pour les mathématiques, je te laissais libre de t'y exercer, sachant quel devait être ton avenir(2)Plusieurs manuscrits portent במאלך, d’autres במא לך, et d’autres encore כמאלך; c’est cette dernière leçon que paraît exprimer la traduction d’Al-’Harizi, qui porte שכלך השלם. Il faut lire sans doute (de ), ce qu’Ibn-Tibbon a bien rendu par אחריתך. Je ne sais où Hyde a pris la leçon de עקלך, qu’il prétend changer en עקבך. (Voy. le Syntagma dissertationum de Hyde, publié par Sharpe, t. I, p. 436.) Cette leçon ne se trouve dans aucun des manuscrits d’Oxford, ni dans les deux mss. de Leyde.. Et quand tu eus fait sous moi tes études de logique, mon espérance s'attachait à toi et je te jugeais digne de te révéler les mystères des livres prophétiques, afin que tu en comprisses ce que doivent comprendre les hommes parfaits. Je commençai donc à te faire entrevoir les choses et à te donner certaines indications; mais je te voyais me demander davantage, et tu insistais pour que je t'expliquasse des sujets appartenant à la métaphysique et que je te fisse connaître à cet égard à quoi visaient les Motécallemîn(1)Ce nom désigne les philosophes religieux ou les scolastiques des Arabes. Sur son origine voyez ma Notice sur Rabbi Saadia Gaon, p. 16 et suiv. (Bible de M. Cahen, t. IX, p. 88 et suiv.). L’auteur donne luimême de nombreux détails sur les Motécallemîn dans plusieurs endroits de cet ouvrage, et notamment Ire partie, ch. 71, 73 et suiv. J’ai donné un aperçu succinct de leurs doctrines dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, art. Arabes., et si leurs méthodes étaient basées sur la démonstration, ou, dans le cas contraire, à quel art elles appartenaient. Je voyais que tu avais déjà un peu étudié cette matière sous d'autres (maîtres); mais tu étais agité et saisi de troubles(2)Tous les manuscrits, même ceux qui ont des points diacritiques, portent בדתך; je pense qu’il faut prononcer , du verbe , prœvertit, vicit, de sorte que les mots אלדהשה̈ signifient: le trouble ou la confusion s’était emparée de toi. Ibn-Tibbon a bien rendu le mot par דפקתך., et ta noble âme te stimulait afin de trouver les objets de ton désir(3)Ces derniers mots, que l’auteur a écrits en hébreu, sont tirés de l’Ecclésiaste, ch. 12, V. 10.. Je ne cessais de te détourner de cette voie et je te recommandais de prendre les choses par ordre; car mon but était (de faire) que la vérité s'établît pour toi méthodiquement et que la certitude ne t'arrivât pas comme par hasard. Tant que tu étais avec moi, je ne me refusais pas, quand il était question d'un verset ou d'un des textes des docteurs appelant l'attention sur quelque sujet curieux, à t'en donner l'explication; ", "mais lorsque Dieu décréta la séparation et que tu t'en allas d'un autre côté, ces conférences firent renaître dans moi une (ancienne) résolution qui s'était déjà affaiblie, et ton absence m'engagea à composer ce traité que j'ai fait pour toi et pour tes semblables, quelque peu nombreux qu'ils soient. J'en ai fait des chapitres détachés, et tout ce qui en aura été mis par écrit te parviendra successivement là où tu seras. Porte-toi bien." ], "Prefatory Remarks": [ "Fais-moi connaître le chemin que je suivrai, car c'est vers toi que j'ai élevé mon âme (Ps. 143, V. 8).", "C'est vous, hommes, que j'appelle, et ma voix (s'adresse) aux fils d'Adam (Prov. 8, 4).", "Prête l'oreille, et écoute les paroles des sages, et applique ton cœur à ma science (Prov. 22, 17).", "Ce traité a d'abord pour but d'expliquer le sens de certains noms(1)Par noms l’auteur entend ici non seulement les substantifs et les adjectifs, mais aussi les verbes à l’infinitif ou les noms d’action. qui se présentent dans les livres prophétiques. Parmi ces noms il y en a qui sont homonymes, mais que les ignorants prennent dans l'un des sens dans lequel l'homonyme est employé; d'autres sont métaphoriques, et on les prend dans le sens primitif dont la métaphore est empruntée; d'autres enfin sont amphibologiques, de sorte que tantôt on croit qu'ils sont employés comme noms appellatifs(2)Le substantif commun ou appellatif est appelé par les Arabes , ou bien , c’est-à-dire nom conventionnel ou dit par convention. Les rabbins ont traduit ces termes par השם המוםכם et השם הנאמר בהםכמה; on peut en voir la définition dans l’Abrégé de logique (באור מלות ההגיון) de Maïmonide, ch. 13. Le terme arabe correspond aux mots grecs κατὰ συνθήκην, et est emprunté à la traduction arabe de l’Organon d’Aristote; voy. le traité de l’Interprétation, au commencement du ch. II, où les mots: Ὄνομα μὲν οὖν ὲστι φωνὴ σημαντικὴ κατὰ συνθὴκην sont ainsi rendus en arabe: (Ms. ar. de la Bibl. nat., n° 882 A). et tantôt on se figure qu'ils sont homonymes(3)Le mot homme, p. ex., peut s’appliquer à l’homme vivant, ainsi qu’à l’homme mort, ou à une statue, ou à un portrait. Si l’on n’a égard qu’à la forme extérieure, le mot homme, pris dans ces divers sens, pourra être considéré comme un véritable appellatif, ou nom commun, désignant tout ce qui présente extérieurement la forme humaine; mais si on a égard à ce qui constitue la véritable essence de l’homme, le mot homme, pris dans les divers sens indiqués, sera un homonyme, puisqu’il désigne à la fois des choses de nature diverse. A ce point de vue, le mot homme est appelé , nom ambigu ou amphibologique. Voy. Maïmonide, loco citato, et le présent ouvrage, Ire partie, ch. 56 (fol. 68 b de notre texte arabe).. Le but de ce traité n'est point de faire comprendre tous ces noms au commun des hommes ou à ceux qui commencent à étudier, ni d'instruire celui qui n'étudie que la science de la Loi, je veux dire son interprétation traditionnelle(1)Par פקה les Arabes entendent ce que nous appelons le droit canonique et en général toute la législation qui se rattache au Koran et aux traditions, en y comprenant aussi toutes les cérémonies et prescriptions religieuses. Les juifs arabes, tant karaïtes que rabbanites, se servent également de ce mot pour désigner le corps des doctrines et des pratiques basées sur la tradition, et les rabbins arabes appliquent ce mot à la Loi orale ou au Talmud. Aussi les traducteurs rendent-ils généralement le mot arabe פקה par תלמוד, et c’est ce mot qu’a employé ici Ibn-Tibbon.; ", "car le but de ce traité tout entier et de tout ce qui est de la même espèce(2)L’auteur veut parler des autres ouvrages qu’il avait composés luimême sur cette matière, tels que certaines parties de son commentaire sur la Mischnâ et les premiers traités de son Mischné Torâ ou Abrégé du Talmud. est la science de la Loi dans sa réalité, ou plutôt il a pour but de donner l'éveil à l'homme religieux chez lequel la vérité de nôtre Loi est établie dans l'âme et devenue un objet de croyance, qui est parfait dans sa religion et dans ses mœurs, qui a étudié les sciences des philosophes et en connaît les divers sujets, et que la raison humaine a attiré et guidé pour le faire entrer sur son domaine, mais qui est embarrassé par le sens extérieur (littéral) de la Loi et par ce qu'il a toujours compris ou qu'on lui a fait comprendre du sens de ces noms homonymes, ou métaphoriques, ou amphibologiques, de sorte qu'il reste dans l'agitation et dans le trouble. Se laissera-t-il guider par sa raison et rejettera-t-il ce qu'il a appris en fait de ces noms? Il croira alors avoir rejeté les fondements de la Loi. Ou bien s'en tiendra-t-il à ce qu'il en a compris(1)C’est-à-dire ce qu’il a compris d’une manière superficielle, en s’en tenant uniquement au sens littéral, qui le conduira à corporifier la divinité et à admettre d’autres absurdités. sans se laisser entraîner par sa raison? Il aura donc tourné le dos à la raison et il s'en sera éloigné, croyant néanmoins avoir subi un dommage et une perte dans sa religion, et persistant dans ces opinions imaginaires par lesquelles il se sentira inquiété et oppressé, de sorte qu'il ne cessera d'éprouver des souffrances dans le cœur et un trouble violent.", "Ce traité a encore un deuxième but: c'est celui d'expliquer des allégories très obscures qu'on rencontre dans les livres des prophètes sans qu'il soit bien clair que ce sont des allégories, et qu'au contraire l'ignorant et l'étourdi prennent dans leur sens extérieur sans y voir un sens ésotérique. Cependant, si un homme véritablement instruit les examine, il en résulte également pour lui un trouble violent lorsqu'il les prend dans leur sens extérieur; mais quand nous lui aurons expliqué (le sens de) l'allégorie ou que nous l'aurons averti que c'est une allégorie, il sera mis sur la voie et sauvé de ce trouble. C'est donc pour cela que j'ai appelé ce traité Dalâlat al-'Hâyirîn (le guide de ceux qui sont indécis ou égarés).", "Je ne dis pas que ce traité écartera, pour celui qui l'aura compris, toute espèce de doute, mais je dis qu'il écartera la plupart des obscurités, et les plus graves. L'homme attentif ne me demandera pas ni n'espérera, lorsque nous aurons parlé d'un certain sujet, que nous l'achevions, ou, lorsque nous aurons commencé l'explication du sens d'une certaine allégorie, que nous épuisions tout ce qui a été dit au sujet de cette allégorie: ceci, un homme intelligent ne pourrait le faire de vive voix, dans une conversation(2)Littéralement: pour celui avec lequel il converserait., et comment pourrait-il le consigner dans un livre sans s'exposer à être un point de mire pour tout ignorant prétendant à la science, et qui lancerait vers lui les flèches de son ignorance.", "Nous avons déjà donné dans nos ouvrages talmudiques(1)Voy. ci-dessus, page 7, notes 1 et 2. plusieurs explications sommaires de cette espèce et éveillé l'attention sur beaucoup de sujets, et nous y avons fait remarquer que le Ma'asé beréschîth (récit de la création) est la science physique et le Ma'asé mercabâ (récit du char céleste) la science métaphysique(2)Le Talmud parle de profonds mystères contenus dans le 1er chapitre de la Genèse, commençant par le mot beréschîth, dans le 1er chapitre d’Ézéchiel et dans quelques passages d’Isaïe et de Zacharie. Les visions de ces prophètes, et notamment celles d’Ézéchiel, sont désignées par le nom de Ma’asé mercabâ, ou récit du char (céleste). Les mystères du Beréschîth et de la Mercabâ jouent un grand rôle dans les écrits des kabbalistes, qui sont peu d’accord sur ce qu’il faut comprendre par ces mystères, le Talmud ne s’étant pas prononcé à cet égard. Maïmonide, qui n’était pas partisan de la Kabbale, parle cependant, comme talmudiste, du Ma’asé beréschîth et du Ma’asé mercabâ, et, imbu des doctrines philosophiques des écoles arabes, il explique l’un et l’autre de manière à y retrouver les principales parties de la philosophie péripatéticienne, en voyant dans l’un la physique et dans l’autre la métaphysique d’Aristote. C’est dans ce sens qu’il en parle déjà dans ses ouvrages talmudiques. Voy. Commentaire sur la Mischnâ, IIe partie, traité ’Haghîgâ, ch. II, § 1; Abrégé du Talmud, liv. I, 1er traité (ou Yesodé ha-Torâ), ch. 1 à 4., et nous avons expliqué cette sentence(3)Voy. Mischnâ et Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, ch. 2, fol. 12 et 13. En y énumérant divers sujets bibliques qu’il ne faut pas interpréter en public, le Talmud interdit d’interpréter la mercabâ, même à un seul élève en particulier, à moins que ce ne soit un sujet d’une intelligence supérieure.: «Ni (on n'interprétera) la mercabâ, même à un (élève) seul, à moins que ce ne soit un homme sage comprenant par sa propre intelligence, (et dans ce cas) on lui en transmettra seulement les premiers éléments.» Tu ne me demanderas donc ici autre chose que les premiers éléments. Ces éléments mêmes ne se trouvent pas, dans le présent traité, rangés par ordre et d'une manière suivie, mais, au contraire, disséminés et mêlés à d'autres sujets qu'on voulait expliquer; car mon but est (de faire en sorte) que les vérités y soient entrevues, et qu'ensuite elles se dérobent, afin de ne pas être en opposition avec le but divin, auquel d'ailleurs il serait impossible de s'opposer, et qui a fait que les vérités qui ont particulièrement pour objet de faire comprendre Dieu fussent dérobées au commun des hommes, comme a dit (le psalmiste): Le mystère de l'Éternel est pour ceux qui le craignent (Ps. 25, 14).", "Pour ce qui concerne les choses de la physique, il faut savoir qu'il y a là des principes qui ne peuvent pas non plus être enseignés clairement(1)Au lieu de אלתצריח, l’un des manuscrits de Leyde porte: תצריחהא כל אלתצריח, leçon qu’Ibn-Tibbon paraît avoir rendue par לגלותם · · · · · בביאור. tels qu'ils sont en réalité. Tu connais ce que disent les docteurs(2)Voy. Mischnâ et Talmud de Babylone, loco citato.: «Ni (on n'interprétera) le Ma'asé beréschîth devant deux personnes»; or, si quelqu'un expliquait toutes ces choses dans un livre, il les interpréterait à des milliers de personnes. C'est pourquoi ces sujets aussi se présentent dans les livres prophétiques par des allégories, et les docteurs aussi en ont parlé par des énigmes et des allégories, en suivant la trace des livres (sacrés), parce que ce sont des choses qui ont un rapport intime avec la science métaphysique, et qui font également partie des mystères de la métaphysique. ", "Il ne faut pas croire qu'il y en ait un seul parmi nous qui connaisse ces graves mystères dans toute leur étendue(3)Littéralement: jusqu’à leur extrémité et leur fin.. Il n'en est pas ainsi; mais, au contraire, la vérité tantôt nous apparaît de manière à nous sembler (claire comme) le jour, tantôt elle est cachée par les choses matérielles et usuelles(4)Littéralement: les matières et les habitudes, c’est-à-dire les choses tenant à la matière et à la vie journalière. Ibn-Tibbon a rendu le mot (matières) par הטבעים, et Al-’Harizi par כחות הטבע, ce qui me paraît inexact., de sorte que nous retombons dans une nuit profonde à peu près comme nous étions auparavant, et nous sommes alors comme l'homme qui, se trouvant dans une nuit profondément obscure, y voit parfois briller un éclair. ", "Il y en a parmi nous à qui l'éclair brille coup sur coup(1)Ibn-Tibbon ajoute ici, dans sa version hébraïque, les mots explicatifs במעט הפרש ביניהם avec de petits intervalles., de sorte que, pour ainsi dire, ils sont constamment et sans discontinuer entourés de lumière, et que la nuit devient pour eux comme le jour, et c'est là le degré du plus grand des prophètes, auquel il fut dit: Et toi, reste ici auprès de moi (Deutéron., 5, 28), et dont il a été dit: Car la peau de son visage rayonnait, etc. (Exod., 34, 29)(2)La version hébraïque d’Ibn-Tibbon ajoute ici le passage suivant: .ויש מי שיהיה לו בין ברק וברק הפרש רב והיא מדרגת רוב הנביאים Ce passage ne se trouve dans aucun des manuscrits arabes; on ne le trouve pas non plus dans la version hébraïque d’Al-’Harizi, ni dans les extraits de R. Schem-Tob ibn-Falaquera. Voy. son Moré ha-Moré, imprimé à Presbourg (1837, in-8), p. 9. Cependant ce passage existe aussi dans les manuscrits de la version d’Ibn-Tibbon, et il est reproduit par les commentateurs de cette version, ainsi que par Samuel Zarza dans son Mekor ’hayyîm ou commentaire sur le Pentateuque au livre des Nombres, ch. 11, V. 25. Ce passage, du reste, est superflu; car celui qui suit les mots ויתנבאו ולא יםפו dit a peu près la même chose.. Il y en a d'autres à qui (l'éclair) brille une seule fois dans toute leur nuit, et c'est là le degré de ceux dont il a été dit: Et ils prophétisèrent et ne continuèrent pas (Nombres, 11, 25). Pour d'autres enfin il y a entre chaque éclair des intervalles plus ou moins longs. ", "Mais il y en a aussi qui n'arrivent point à un degré (assez élevé) pour que leurs ténèbres soient illuminées par un éclair; (elles ne le sont,) au contraire, que comme par un corps poli ou autre chose semblable, comme des pierreries, etc. qui brillent dans les ténèbres de la nuit. Et même ce peu de lumière qui brille pour nous(3)Tous les manuscrits arabes portent עלינא. Le mot עליו dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon est une faute; il faut lire עלינו, comme l’ont en effet les manuscrits de cette version. n'est pas continuel; mais il apparaît et se cache comme s'il était l'éclat du glaive qui tourne (Genèse, 3, 24). ", "C'est donc selon ces circonstances que varient les degrés des hommes parfaits. Quant à ceux qui ne voient jamais la lumière, mais qui errent dans la nuit, ceux dont il a été dit: Ils ne connaissent rien et ne comprennent rien, ils marchent dans les ténèbres (Ps. 82, 5); ceux à qui la vérité est entièrement cachée, quelque distinctement qu'elle apparaisse, ainsi qu'on a dit d'eux: Et maintenant ils ne voient pas la lumière qui brille dans les cieux (Job, 37, 21), et c'est le commun des hommes; (quant à ceux-là, dis-je,) il n'y a point lieu de les mentionner ici dans ce traité.", "Il faut savoir que, lorsqu'un des hommes parfaits désire, selon le degré de sa perfection, se prononcer, soit verbalement, ou par écrit, sur quelque chose qu'il a compris en fait de ces mystères, il ne lui est pas possible d'exposer même ce qu'il en a saisi avec une clarté parfaite et par ordre, comme il le ferait pour les autres sciences dont l'enseignement est répandu. Au contraire, il lui arrivera pour l'enseignement des autres ce qui lui est arrivé dans ses propres études; je veux dire que la chose apparaîtra et se fera entrevoir, et qu'ensuite elle se dérobera; car on dirait que telle est la nature de cette chose, qu'il s'agisse de beaucoup ou de peu. ", "C'est pourquoi tous les savants métaphysiciens et théologiens(1)Le mot רבאני n’a pas ici le sens de rabbinique ou rabbanite, mais celui de théologien ou métaphysicien, à peu près comme le mot אלאהי, qui le précède; il est dérivé de , dans le sens de maître par excellence, ou de Dieu. C’est ainsi qu’Ibn-Tofaïl appelle la faculté intellectuelle de l’homme (Epistola de Hai Ebn-Yokdhan, éd. Pocock., p. 137). Voy. aussi les observations de R. Schem-Tob Ibn-Falaquera sur la version d’Ibn-Tibbon, Moré ha-Moré, p. 148., amis de la vérité, quand ils voulaient enseigner quelque chose de ce genre, n'en parlaient que par des allégories et des énigmes, et, multipliant les allégories, ils en employaient de différentes espèces et même de différents genres; ils en formaient la plupart de manière à faire comprendre le sujet qu'on avait en vue, ou au commencement de l'allégorie, ou au milieu, ou à la fin, à moins qu'on ne pùt trouver une image qui s'appliquât à la chose en question depuis le commencement jusqu'à la fin. (Quelquefois) aussi le sujet qu'on avait pour but d'enseigner à l'étudiant, quoique ce fût un sujet essentiellement un, on le divisait, en le mettant dans plusieurs allégories éloignées les unes des autres; mais ce qui est encore plus obscur, c'est lorsqu'une seule et même allégorie s'emploie pour divers sujets, de manière que le commencement de l'allégorie s'applique à un certain sujet et la fin à un autre. Parfois aussi toute l'allégorie s'emploie pour deux sujets analogues(1)Tous les mss. d’Oxford portent fi למעניין מתקארבה̈ ce qui est incorrect. Dans l’un des deux mss. de Leyde on lit למעאני au lieu de למעניין; dans l’autre on lit למעניין מתקארבין et c’est cette dernière leçon que nous avons adoptée comme la plus correcte. dans ce genre de science. Enfin quand quelqu'un voulait enseigner sans l'emploi d'allégories et d'énigmes, il y avait dans ses paroles une obscurité et une brièveté qui tenaient lieu de l'emploi des allégories et des énigmes. On dirait que les savants et les docteurs sont guidés sous ce rapport par la volonté divine, de même que leurs dispositions physiques les guident (sous d'autres rapports).", "Ne vois-tu pas d'ailleurs que Dieu le Très-Haut voulant nous perfectionner et améliorer l'état de nos sociétés par ses lois pratiques — [ce qui ne peut se faire qu'après (l'établissement de) certains dogmes rationnels dont la première condition est de comprendre la divinité selon notre faculté, chose qui ne peut avoir lieu qu'au moyen de la science métaphysique, laquelle à son tour ne peut venir qu'à la suite de la science physique; car celle-ci est limitrophe(2)מתאכׄם participe de la IIIe forme du verbe תכׄם Cette leçon se trouve dans six manuscrits de la bibliothèque Bodléienne d’Oxford, et c’est celle qu’exprime la version d’Ibn-Tibbon, qui porte מצרנית limitrophe. La version d’Al-’Harizi porte: כי המרע הטבעי הוא אחרון למדע האלהי. Ce traducteur a lu מתאבׄר leçon qu’on trouve en effet dans les deux manuscrits de la bibliothèque de Leyde mais qui n’offre pas de sens plausible et s’accorde mal avec les mots qui se trouvent immédiatement après. L’auteur veut dire qu’il n’y a point de science intermédiaire entre la physique et la métaphysique, et que dans l’ordre des études la première doit précéder la seconde. Tout le cours des études philosophiques se divisait, chez les péripatéticiens arabes, notamment depuis Avicenne, en trois parties: 1° la logique; 2° la physique (en y comprenant les mathématiques et l’astronomie); 3° la méta-physique. Comparez Maïmonide, dans le présent ouvrage, Ire partie, ch. 34 (à la 3e cause), fol. 39 a de notre texte arabe. Voyez aussi mon article Ibn-Sina dans le Dict. des sciences philos., t. III, p. 175. de la métaphysique et la précède dans l'enseignement, ce qui est clair pour celui qui a fait ces études] — (ne voistu pas, dis-je,) qu'il a placé à l'ouverture de son livre le récit de la création, qui est la science physique comme nous l'avons expliqué? Mais à cause de la gravité et de l'importance de cette chose, et parce que notre faculté est insuffisante pour comprendre le plus grave des sujets dans toute sa réalité(1)La leçon que nous avons adoptée est celle de la plupart des mss.; celle qui a été exprimée dans les deux versions hébraïques ne se trouve que dans l’un des mss. de Leyde, qui porte: עטׄם אמור עלי מא הי עליה., on a choisi, pour nous parler des sujets profonds dont la sagesse divine jugeait nécessaire de nous entretenir, les allégories, les énigmes et des paroles extrêmement obscures, comme l'ont dit (les docteurs): «Exposer la puissance de l'œuvre de la création à des mortels est chose impossible; c'est pourquoi l'Écriture t'a dit d'une manière obscure: Au commencement Dieu créa, etc.» Ils t'ont donc averti que les choses mentionnées sont obscures. Tu connais aussi ces paroles de Salomon: Ce qui existe est loin (de notre conception); ce très profond, qui peut le trouver (Ecclésiaste, 7, 25)? Pour parler de tous ces sujets on s'est servi de mots homonymes, afin que les hommes vulgaires pussent les prendre dans un certain sens selon la mesure de leur intelligence et la faiblesse de leur conception, et que l'homme parfait qui a reçu de l'instruction pût les prendre dans un autre sens.", "Nous avions promis dans le commentaire de la Mischnâ(2)Voyez l’introduction au Xe (XIe) chapitre du traité Synhedrin, au septième article de foi; Porta Mosis, par Pococke, p. 170. d'expliquer certains sujets difficiles dans (deux ouvrages intitulés): le Livre de la Prophétie et le Livre de l'Harmonie; ce dernier était un livre dans lequel nous avions promis d'expliquer les obscurités de toutes les Deraschôth(1)C’est-à-dire des interprétations allégoriques et des légendes contenues dans les Midraschîm et dans les Haggadôth du Talmud., dont les paroles extérieures sont dans un grand désaccord avec la vérité et s'écartent du raisonnable, et qui toutes sont des allégories. Mais lorsque, il y a un nombre d'années, nous eûmes commencé ces livres et que nous en eûmes rédigé une partie, les explications dans lesquelles nous nous étions engagé, selon cette méthode, ne nous plurent point; car il nous semblait qu'en procédant nous-même par voie d'allégorie et en cachant ce qui doit rester caché, nous ne nous serions pas écarté du but primitif (des Deraschôth), et nous n'aurions fait pour ainsi dire que substituer un individu à un autre individu de la même espèce; mais qu'en expliquant ce qui a besoin d'explication, cela ne conviendrait pas au commun des hommes, et cependant nous ne désirions autre chose si ce n'est d'expliquer au vulgaire le sens des Deraschôth et les paroles extérieures des prophéties. Il nous semblait aussi qu'un ignorant du vulgaire des rabbins, en étudiant ces Deraschôth, n'y trouverait aucune difficulté: car celui qui est ignorant, indolent et dénué de connaissance relativement à la nature de l'Être, ne trouve pas invraisemblables même les choses impossibles; que si, au contraire, c'était un homme parfait et distingué qui les étudiât, il arriverait nécessairement de deux choses l'une: ou bien il les prendrait dans le sens extérieur, et alors il aurait une mauvaise opinion de l'auteur et le prendrait pour un ignorant, mais il n'y aurait en cela rien qui pût renverser les bases de la foi; ou bien il leur prêterait un sens ésotérique, et alors il s'en tirerait bien et aurait une bonne opinion de l'auteur, n'importe que le (véritable) sens intérieur des paroles fût clair pour lui ou qu'il ne le fût pas. Pour ce qui concerne d'ailleurs la signification de la Prophétie, l'exposition de ses divers degrés et l'interprétation des allégories de ses livres, tout cela sera expliqué d'une autre manière dans le présent traité. Par tous ces motifs donc nous avons renoncé à composer ces deux ouvrages tels qu'ils avaient été (conçus); et nous nous sommes borné, — pour parler des bases de la Foi et des vérités générales avec brièveté et en faisant entrevoir (les choses) d'une manière qui s'approche de l'exposition claire —, à ce que nous en avons dit dans le grand ouvrage talmudique Mischné Torâ.", "Quant au présent traité, j'y adresse la parole, ainsi que je l'ai dit, à celui qui a étudié la philosophie et qui a acquis des sciences véritables, mais qui, croyant aux choses religieuses, est troublé au sujet de leur sens, à l'égard duquel les noms obscurs et les allégories(1)Tous les mss. portent אלאםמא אלמשכלהֹׄ ואלאמתׄאל; au lieu de והמושאלים, qu’on lit dans la plupart des éditions delà version d’Ibn-Tibbon, il faut lire והמשלים, comme le portent les mss. et l’édition princeps de 1480. Il est singulier que la même faute se soit glissée dans le ms. unique qui nous reste de la version d’Al-’Harizi, où on lit également והמושאלים. Il paraîtrait que c’est le mot précédent המםופקים qui a donné lieu à l’erreur, les copistes ayant cru que ce mot désignait les noms amphibologiques; mais le mot arabe אלמשכלה̈ désigne, en général, les noms obscurs des différentes catégories mentionnées au commencement de cette introduction. laissent de l'incertitude. Nous donnerons aussi dans ce traité des chapitres dans lesquels il ne sera question d'aucun mot homonyme. Mais tel chapitre servira de préparation à un autre ou appellera l'attention sur l'un des sens d'un mot homonyme dont je ne voudrai pas parler expressément dans cet endroit; tel autre chapitre expliquera quelque allégorie ou avertira que tel sujet est une allégorie; tel autre encore renfermera des sujets difficiles, à l'égard desquels on croit quelquefois le contraire de ce qui est vrai, soit à cause de certaines homonymies, soit parce qu'on confond l'image avec la chose qu'elle doit représenter ou qu'on prend la chose représentée pour une image(2)C’est-à-dire, en d’autres termes, que, d’une part, on ne considère pas comme une allégorie ce qui en est une, et que, d’autre part, on considère comme une allégorie ce qui doit être pris dans son sens littéral. Le commentaire Éphodi cite pour exemple, d’une part, l’image de la femme adultère (Prov., ch. VII), qui, selon notre auteur, désigne la matière, et que beaucoup de commentateurs prennent dans le sens littéral, et, d’autre part, le récit relatif à Bathséba (II. Sam., ch. XI, V. 2 et suiv.), qui évidemment doit être pris dans son sens littéral et dans lequel certains commentateurs ont vu une allégorie..", "Et puisque j'ai parlé des allégories, nous allons énoncer une proposition qui est celle-ci: «Il faut savoir que la clef pour comprendre tout ce que les prophètes ont dit et pour le connaître dans toute sa réalité, c'est de comprendre les allégories et leur sens et d'en savoir interpréter les paroles.» Tu sais ce que le Très-Haut a dit: Et par les prophètes je fais des similitudes (Hos., XII, 11); et tu connais aussi cet autre passage: Propose une énigme et fais une parabole (Ézéch., 17, 2). Tu sais aussi que c'est à cause du fréquent emploi des allégories par les prophètes que le prophète a dit: Ils disent de moi: N'est-il pas un faiseur d'allégories (Ib., XXI, 5)? Tu sais enfin comment Salomon a commencé (son livre): Pour comprendre l'allégorie et le discours éloquent, les paroles des sages et leurs énigmes (Prov., 1, 6). Et dans le Midrasch(1)Ce passage et le suivant se trouvent, avec quelques variantes, dans le Midrasch du Cantique des Cantiques (שיל השירים רבה, fol. 1 d). on dit: «A quoi ressemblaient les paroles de la Torâ avant que Salomon eût apparu? A un puits dont l'eau froide était située dans la profondeur, de sorte que personne ne pouvait en boire. Que fit alors un homme intelligent? Il attacha des cordes les unes aux autres et des fils les uns aux autres, et ensuite il puisa et but. C'est ainsi que Salomon passa(2)Le verbe est sous-entendu, et il faut effacer le mot ורד’ qu’on trouve dans quelques éditions modernes de la version d’Ibn-Tibbon. Ce mot ne se trouve ni dans les éditions anciennes, ni dans les manuscrits arabes et hébreux du Guide. Dans le passage du Midrasch indiqué dans la note précédente, on lit plus régulièrement: כך מדבר לדבר יממשל למשל עמר שלמה על םודה של תורה. d'une allégorie à une autre et d'un discours à un autre jusqu'à ce qu'il approfondît les paroles de la Torâ.» Telles sont les paroles textuelles. Je ne pense pas que parmi les hommes doués de bon sens il y en ait un seul qui se figure que les paroles de la Torâ auxquelles on fait ici allusion et qu'on a cherché à comprendre par l'intelligence (préalable) du sens des allégories soient les préceptes concernant la confection des cabanes, les branches de palmier et le droit relatif aux quatre gardiens(1)La doctrine religieuse, dit l’auteur, ne consiste pas essentiellement dans les lois cérémonielles, telles que les prescriptions relatives à la fête des Tabernacles et autres choses semblables, ni dans les lois civiles, comme, par exemple, les dispositions relatives aux quatre espèces de dépositaires (Voy. Mischnâ, IIe partie, traité Schebou’ôth ou des Serments, ch. VIII); mais elle consiste dans les principes fondamentaux de la foi et dans les sujets profonds dont s’occupe la Théologie.; bien au contraire, on avait ici pour but, sans doute, l'intelligence des choses profondes. Il est dit au même endroit (du Midrasch): «Les rabbins disent: Si quelqu'un perd un sicle ou une perle dans sa maison, il n'a qu'à allumer une mèche (de la valeur) d'une obole pour trouver la perle; de même l'allégorie en elle-même n'est rien, mais au moyen de l'allégorie tu comprends les paroles de la Torà.» Telles sont encore leurs paroles textuelles. Et fais bien attention qu'ils disent clairement que l'intérieur des paroles de la Torâ est la perle et que le sens extérieur de toute allégorie n'est rien, et qu'ils comparent le sens caché et représenté dans les paroles extérieures de l'allégorie à une perle que quelqu'un a perdue dans sa maison, laquelle est sombre et remplie de meubles. Cette perle existe, mais il ne la voit pas et il ne sait pas où elle est: c'est donc comme si elle était sortie de sa possession, puisqu'il n'a aucun moyen d'en tirer profit jusqu'à ce qu'il allume la lampe comme il a été dit; et c'est à celle-ci que ressemble l'intelligence du sens de l'allégorie.", "Le sage a dit: Comme des pommes d'or dans des filets (Maskiyyôth) d'argent, telle est une parole dite selon ses différentes faces (Prov., 21, II)(2)Nous traduisons ce verset selon l’explication que l’auteur va en donner lui-même.. ", "Écoute l'explication du sujet dont il parle: Maskiyyôth sont des ciselures réticulaires, je veux dire oú il y a des ouvertures (formées) de mailles extrêmement fines, comme les ouvrages des orfèvres; on les appelle ainsi parce que le regard y pénètre, car la version chaldaïque de וַיַּשְׁקֵף (il regarda) est we-istekhi(1)La racine de ce mot chaldaïque, selon l’auteur, est la même que celle du mot hébreu Maskiyyôth.. Il dit donc: Comme une pomme d'or dans un filet d'argent à ouvertures très fines, telle est la parole dite selon ses deux faces. Et vois(2)La forme ארי (au lieu de ou ) est incorrecte; cependant, comme l’auteur s’en sert très souvent et qu’elle se trouve dans tous les manuscrits que nous avons consultés, nous avons cru devoir la conserver. comme cette sentence s'applique à merveille à l'allégorie en règle; car il dit que le discours qui a deux faces, c'est-à-dire qui a un (sens) extérieur et intérieur, doit avoir l'extérieur beau comme l'argent, mais son intérieur doit être encore plus beau que son extérieur, de manière que son intérieur sera, en comparaison de son extérieur, comme l'or est à côté de l'argent. Il faut aussi qu'il y ait dans son extérieur quelque chose qui puisse indiquer à celui qui l'examine ce qui est dans son intérieur, comme il en est de cette pomme d'or qui a été couverte d'un filet d'argent à mailles extrêmement fines: car, si on la voit de loin ou sans l'examiner attentivement, on croit que c'est une pomme d'argent; mais si l'homme à l'œil pénétrant l'examine bien attentivement, ce qui est en dedans se montre à lui, et il reconnaît que c'est de l'or. Et il en est de même des allégories des prophètes: leurs paroles extérieures (renferment) une sagesse utile pour beaucoup de choses, et entre autres pour l'amélioration de l'état des sociétés humaines, comme cela apparaît dans les paroles extérieures des Proverbes (de Salomon) et d'autres discours semblables; mais leur (sens) intérieur est une sagesse utile pour les croyances ayant pour objet le vrai dans toute sa réalité.", "Sache aussi que les allégories prophétiques sont faites de deux manières: il y en a où chaque mot de l'allégorie veut (qu'on y trouve) un sens (particulier); et il y en a d'autres où l'ensemble de l'allégorie révèle l'ensemble du sujet représenté, mais où il se trouve aussi des mots en grand nombre qui n'ajoutent pas chacun quelque chose à ce sujet représenté, et qui servent sulement à l'embellissement de l'allégorie et à la symétrie du discours, ou bien à dérober avec plus de soin le sujet représenté, de sorte que le discours est constamment conçu tel qu'il doit l'être selon le sens extérieur de l'allégorie. Il faut bien comprendre cela.", "Un exemple de la première espèce des allégories prophétiques se trouve dans ce passage: Et voici, une échelle était placée à terre, etc. (Genèse, 28, 12); car le mot échelle indique un certain sujet, les mots était placée à terre en indiquent un second, les mots et sa tête atteignait le ciel en indiquent un troisième, les mots ct voici, les anges de Dieu, en indiquent un quatrième, le mot montaient en indique un cinquième, les mots et descendaient en indiquent un sixième, et les mots et voici, l'Éternel se tenait au dessus, en indiquent un septième, de sorte que chaque mot qui se présente dans cette allégorie ajoute quelque chose à l'ensemble du sujet représenté. ", "Un exemple de la seconde espèce des allégories prophétiques se trouve dans le passage suivant (Prov., 7, 6 et suiv.): Car par la fenêtre de ma maison, à travers mon treillis je regardais, et je vis parmi les simples, je distinguai parmi les jeunes gens un enfant dépourvu d'intelligence, qui, passant sur la place publique près d'un angle, s'avançait vers la maison (où elle demeurait). Pendant le crépuscule, quand le jour disparaissait, dans l'obscurité de la nuit et dans les ténèbres. Et voilà qu'une femme vient au devant de lui dans l'appareil d'une courtisane et le cœur rusé. Elle est bruyante, indomptée, etc. Tantôt dans la rue, tantôt sur les places, etc. Elle le saisit, etc. Je devais des sacrifices de paix, etc. C'est pourquoi je suis sortie au devant de toi, etc. J'ai couvert de tapis, etc. J'ai parfumé ma couche, etc. Viens, enivrons-nous d'amour, etc. Car l'époux n'est pas à la maison, etc. Il a pris la bourse contenant l'argent, etc. Elle le séduit par l'abondance de sa parole, elle l'entraîne par ses lèvres fallacieuses. ", "Tout ce discours a pour but d'avertir qu'on ne doit pas suivre les plaisirs et les passions du corps; il compare donc la matière qui est la cause de toutes ces passions corporelles à une courtisane qui en même temps est une femme mariée, et c'est sur cette allégorie qu'il a bâti tout son livre. Dans quelques chapitres de ce traité nous montrerons ce qu'il y avait de sage de sa part à comparer la matière à une femme mariée infidèle, et nous ferons remarquer comme il a fini son livre par l'éloge de la femme qui n'est pas infidèle, mais qui ne s'occupe que du bon ordre de sa maison et de la position de son mari. (On verra aussi que) tous les obstacles qui empêchent l'homme d'arriver à sa perfection finale, tout vice et tout péché qui s'attachent à l'homme, n'arrivent que du côté de la matière seule, comme nous l'expliquerons dans ce traité. C'est donc cette doctrine générale qui forme le contenu de toute cette allégorie, je veux dire que l'homme ne doit pas suivre sa seule nature animale, c'est-à-dire sa matière; car la matière immédiate de l'homme est aussi la matière immédiate des autres animaux(1)Par matière proche ou immédiate l’auteur entend tout ce qui constitue l’organisme animal, comme, p. ex., les membres du corps, la chair, le sang, les humeurs, etc.; car, sous ce rapport, l’homme ressemble parfaitement aux animaux, et forme avec eux une seule et même espèce. Les éléments forment une matière plus éloignée et plus générale, embrassant tous les corps sublunaires. La matière la plus éloignée et la plus générale est la matière première ou la hylé qui embrasse toute la création.. Après t'avoir donné cette explication et t'avoir révélé le mystère de cette allégorie, tu n'espéreras plus(2)La version d’Ibn-Tibbon ajoute ici les mots: למצוא כל עניני המשל בנמשל, dont l’équivalent ne se trouve dans aucun des mss. de l’original arabe. pouvoir me demander ce qu'il y a (de caché) sous les mots: Je devais des sacrifices de paix, aujourd'hui j'ai accompli mes vœux; quel sens renferment les mots: J'ai couvert de tapis mon lit; ou ce qu'ajoutent au sens général les mots: Car l'époux n'est pas à la maison, ainsi que tout ce qui suit dans ce chapitre. Tout cela n'est qu'une suite de phrases se rapportant au sens extérieur de l'allégorie; car les détails qu'il a décrits sont de l'espèce de ceux (qui se rapportent) aux fornicateurs, et de même ces paroles et d'autres semblables sont de l'espèce de celles que les adultères s'adressent mutuellement.", "Il faut bien comprendre ce que je dis, car c'est un principe très important pour ce que je me propose d'expliquer. Si donc dans un chapitre de ce traité tu me vois expliquer le sens d'une certaine allégorie et que j'appelle ton attention sur l'ensemble de la chose représentée, tu ne me demanderas pas (l'explication de) tous les sujets particuliers qui se rencontrent dans cette allégorie, et tu ne chercheras pas à en trouver l'analogue dans la chose représentée; car cela te conduirait à l'une de deux choses, ou bien à te faire perdre de vue le sujet qu'on avait pour but dans l'allégorie, ou bien à t'imposer la tâche d'interpréter (allégoriquement) des paroles qui ne sont pas sujettes à interprétation et qui n'ont pas été écrites pour être interprétées. Et en t'imposant cette tâche tu tomberais dans cette grande folie dont la plupart des écoles du monde sont atteintes de nos jours et qui se révèle dans leurs écrits(1)Littéralement: et dans laquelle elles composent (des livres).; car chacun de ces gens cherche à trouver un sens à des paroles par lesquelles l'auteur n'a visé à rien de ce qu'ils veulent (y trouver) eux-mêmes. Tu dois, au contraire, avoir toujours pour but dans la plupart des allégories de connaître l'ensemble de la chose qu'on a voulu faire connaître, et dans certaines choses il doit te suffire de comprendre par mes paroles que tel sujet est une allégorie, quand même je ne t'expliquerai rien de plus; car quand tu auras su que c'est une allégorie, tu comprendras aussitôt quel en est l'objet, et en te disant que c'est une allégorie, j'aurai, pour ainsi dire, enlevé ce qui s'interposait (comme obstacle) entre la vue et l'objet vu.", "RECOMMANDATION AU SUJET DE CE TRAITÉ.
Si tu veux comprendre tout ce que (ce traité) renferme, de manière à ce qu'il ne t'en échappe rien, il faut combiner ses chapitres les uns avec les autres, et en lisant un chapitre il ne faut pas seulement avoir pour but de comprendre l'ensemble de son sujet, mais aussi de saisir chaque parole qui s'y présente dans la suite du discours, quand même elle ne ferait pas partie du sujet (principal) du chapitre. Car dans ce traité il ne m'est jamais arrivé de parler comme par hasard, mais (tout a été dit) avec une grande exactitude et avec beaucoup de précision, et en ayant soin de n'y laisser manquer l'explication d'aucune obscurité; et si on y a dit (çà et là) quelque chose qui n'est pas à sa place, ce n'a été que pour expliquer quelque autre chose à sa véritable place. Il ne faut donc pas l'aborder avec tes opinions préconçues, car tu me ferais du tort sans en profiter toi-même; mais il faut, au contraire, que tu apprennes d'abord tout ce qu'il est nécessaire d'apprendre. Tu en feras l'objet continuel de tes études, car il t'expliquera les plus graves obscurités de la Loi, qui sont difficiles même pour tout homme intelligent. J'en conjure par Dieu le Très-Haut tous ceux qui auront lu le présent traité de ne pas en commenter un seul mot et de n'en rien expliquer aux autres, si ce n'est ce qui est déjà clairement expliqué dans les paroles de ceux qui m'ont précédé d'entre les célèbres docteurs de notre Loi. Mais (le lecteur) qui en aura compris quelque chose de ce que d'autres de nos hommes célèbres n'ont pas dit ne devra pas l'expliquer à d'autres; il ne devra pas non plus se presser de me réfuter(1)Les mots sont ainsi rendus par Ibn-Tibbon: ולא יהרום ויקפוץ עצמו להשיב על דברי. C’est Maïmonide lui-même qui lui avait conseillé de traduire ainsi, comme on le voit dans le supplément de la lettre qui commence par les mots: לפי שכלו יהולל איש וכוי. Ce supplément s’est conservé dans un manuscrit de la bibliothèque Bodléienne (Cod. Poc., n° 74).; car il se pourrait que ce qu'il aura compris dans mes paroles fût le contraire de ce que j'ai voulu dire, et alors il me ferait du tort en retour de ce que moi j'ai voulu lui être utile, et il paierait le bien par le mal. Il faut, au contraire, que celui à qui (ce traité) tombera entre les mains l'étudie avec soin, et s'il y trouve de quoi satisfaire son désir(2)Littéralement: et s’il (ce traité) lui étanche la soif. Ibn-Tibbon a traduit un peu librement: ואם ירפא לו מדוה לבבו, et s’il lui guérit la maladie de son cœur; cependant Maïmonide lui-même avait conseillé au traducteur de rendre ces mots par ואם רוה צמאו, comme on le voit dans le supplément dont nous venons de parler dans la note précédente. Au lieu de מדוה, un manuscrit de la version hébraïque porte מחום, et en marge on lit la variante ואם ירוה לו צמאו. On peut comparer ci-après, Ir partie, à la fin du chapitre 45, où les mots מא ישפי גלילך sont rendus par מה שירוה צמאך. — Au lieu de שפת , comme nous avons écrit dans notre texte, on lit שפאת dans tous les manuscrits que nous avons consultés (au nombre de huit), ainsi que dans le supplément de la lettre de Maïmonide dont nous venons de parler., ne fût-ce que sur un seul point de tout ce qui est obscur, il doit remercier Dieu et se contenter de ce qu'il en a compris. S'il n'y trouve absolument rien qui lui soit utile, il doit le considérer comme s'il n'avait jamais été composé; mais s'il lui semble en résulter un dommage par rapport à ses opinions, il doit interpréter (mes paroles) de manière à me juger favorablement (ידין לכף זכות), fût-ce même par l'interprétation la plus recherchée, comme cela nous a été prescrit à l'égard de nos gens du vulgaire et à plus forte raison à l'égard de nos savants et des soutiens de notre Loi, qui s'efforcent de nous enseigner la vérité selon leur faculté.", "Je sais que tous les commençants qui n'ont encore fait aucune étude spéculative tireront profit de certains chapitres de ce traité; mais les hommes parfaits, imbus de l'étude de la Loi et qui sont troublés, comme je l'ai dit, profiteront de tous ses chapitres, et combien ils en seront joyeux et avec quel plaisir ils en écouteront (la lecture) ! Mais quant aux gens embrouillés dont le cerveau est troublé par des opinions contraires à la vérité et par de fausses méthodes, et qui croient cependant que ce sont là des sciences vraies et prétendent être des hommes d'études spéculatives, tandis qu'ils ne connaissent absolument rien qui puisse en réalité s'appeler science, — quant à ceux-là, (dis-je,) ils se détourneront d'un grand nombre de ses chapitres, et ils en éprouveront une grande répugnance, parce qu'ils n'en saisiront pas le sens, et aussi parce qu'on reconnaîtra par là la fausseté de la mauvaise monnaie qu'ils ont dans leurs mains et qui est leur trésor et la fortune mise en réserve pour leur détresse(1)L’auteur veut dire qu’ils fuiront les vraies doctrines parce qu’elles leur révéleront toute la fausseté des hypothèses et des théories qu’ils ont imaginées pour faire taire leurs doutes et apaiser le trouble de leur âme, et qui sont, pour ainsi dire, leur unique trésor, préparé d’avance pour les sauver de la détresse. Il est ici question, sans doute, de ceux qui suivaient les doctrines des Motécalemîn. Voy. ci-dessus p. 5, note 1.. Dieu le Très-Haut le sait que j'ai toujours éprouvé une très grande crainte de mettre par écrit les choses que je veux déposer dans ce traité; car ce sont des choses cachées et sur lesquelles on n'a jamais composé un livre parmi nos coreligionnaires dans ce temps de la captivité dont nous possédons encore les ouvrages(2)Les mots אלתי ענדנא מא אלף פיהא, qui se trouvent dans tous les mss. arabes, ont été omis par les deux traducteurs hébreux.. Et comment donc pourrai-je, moi, créer quelque chose de nouveau et le mettre par écrit ! Cependant je me suis appuyé sur deux principes: d'abord sur ce que (les rabbins) ont dit au sujet de choses analogues: Lorsque c'est le moment d'agir pour Dieu, etc.(3)On sait que les rabbins prêtent au verset 126 du Ps. 119 le sens que voici: Lorsque c’est le moment d’agir pour Dieu, il est même permis de transgresser la Loi, c’est-à-dire on peut se permettre de violer quelques préceptes secondaires lorsqu’il s’agit de consolider l’édifice religieux en général.; ensuite, sur ce qu'ils ont dit encore: Que toutes les œuvres se fassent au nom du ciel. C'est donc sur ces deux principes que je me suis appuyé pour ce que j'ai écrit dans certains chapitres de ce traité. Enfin je suis l'homme lequel, se voyant serré dans une arène étroite et ne trouvant pas le moyen d'enseigner une vérité bien démontrée, si ce n'est d'une manière qui convienne à un seul homme distingué et qui déplaise à dix mille ignorants, préfère parler pour cette seule personne, sans faire attention au blâme de la grande multitude, et prétend tirer ce seul homme distingué de l'embarras dans lequel il est tombé et lui montrer la voie (pour sortir) de son égarement afin de devenir parfait et d'obtenir le repos." ], "Part 1": { "Introduction": [ "OBSERVATION PRÉLIMINAIRE.
Les causes de la contradiction ou de l'opposition qu'on trouve dans un livre ou dans un écrit quelconque sont au nombre de sept.", "PREMIÈRE CAUSE: Quand l'auteur a rassemblé les paroles de gens d'opinions différentes en omettant (de citer) les autorités et d'attribuer chaque parole à son auteur. On trouve alors dans son ouvrage des contradictions ou des assertions opposées, parce que l'une des deux propositions est l'opinion d'un individu, et l'autre l'opinion d'un autre individu.", "DEUXIÈME CAUSE: Quand l'auteur du livre a professé d'abord une certaine opinion dont il est revenu ensuite, et qu'on a recueilli à la fois ce qu'il avait dit d'abord et ce qu'il a dit ensuite.", "TROISIÈME CAUSE: Lorsque les paroles (de l'auteur) ne sont pas toutes (prises) dans leur sens extérieur (littéral); mais que les unes conservent leur sens littéral et que les autres sont une image et ont un sens figuré, ou bien que les deux propositions, contradictoires selon leur sens littéral, sont des allégories, et que, prises dans leur sens littéral, elles paraissent contradictoires ou opposées entre elles.", "QUATRIÈME CAUSE: Lorsqu'il existe une certaine condition(1)C’est-à-dire lorsque les deux énoncés, ou l’un des deux, ne doivent pas s’entendre d’une manière absolue, mais sous une certaine réserve ou condition sous-entendue. Ainsi, p. ex., lorsqu’il est dit, d’une part, que Dieu punit les péchés des pères sur les enfants (Exod., 20, 5; XXXIV, 7), et d’autre part, qu’on ne fera pas mourir les pères pour les enfants, ni les enfants pour les pères (Deutér., 24, 16), les rabbins, voyant une contradiction dans ces passages, disent que la punition des enfants pour les péchés des pères a lieu sous la condition que les enfants persistent dans la mauvaise voie des pères. — Pour citer un autre exemple, lorsqu’on lit, d’une part, que Moïse entra au milieu du nuage (Exod., 24, 18), et d’autre part, que Moïse ne put entrer dans la tente de rendez-vous quand le nuage reposait dessus (Ib., XL, 35), les rabbins disent qu’il pouvait entrer dans le nuage sous la condition qu’il y fût expressément appelé par la divinité. qui, par un motif quelconque, n'est pas expressément indiquée à l'endroit même, ou bien lorsque les deux sujets sont différents(1)Selon quelques commentateurs, l’auteur veut parler ici de deux propositions renfermant des sujets homonymes, et où, en prenant les homonymes dans le même sens, on pourrait trouver une contradiction apparente. Mais les paroles de l’auteur paraissent avoir un sens plus général. Si, p. ex., il est dit, d’une part, que Dieu se révèle à certains prophètes dans un songe (Nomb., 12, 6), et, d’autre part, que les songes ne disent que des faussetés (Zacharie, 10, 2), les docteurs, pour faire disparaître la contradiction, disent qu’il s’agit de songes de nature différente, les uns vrais, les autres faux. Voy. Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 55 verso, Albo, ’Ikkarîm, 1. III, ch. 10. et qu'aucun des deux n'est clairement désigné à l'endroit même, de sorte qu'il paraît y avoir une contradiction dans le discours sans qu'il y en ait réellement.", "CINQUIÈME CAUSE: La nécessité (à laquelle on est quelquefois réduit) pour enseigner et faire comprendre (certaine chose); c'est-à-dire lorsqu'il y a un certain sujet obscur et difficile à concevoir qu'on a besoin de mentionner ou de prendre pour prémisses, afin d'expliquer un sujet facile à concevoir et qui dans l'enseignement devrait précéder ce premier sujet, parce qu'on commence toujours par le plus facile(2)Moïse de Narbonne, dans son commentaire, cite comme exemple les notions d’espèce et de genre dont Aristote avait besoin de dire quelques mots, en voulant expliquer la catégorie de la substance (Catégories, ch. III), quoique l’explication exacte de ces notions ne vienne que plus tard (dans les Topiques). La double nature, logique et onthologique des catégories et de diverses autres notions dont traite l’Organon, nécessite souvent l’explication provisoire et sommaire de certaines notions qui ne sont véritablement approfondies que dans la métaphysique.. Il faut alors que celui qui enseigne se mette à l'aise pour faire comprendre ce premier sujet, de quelque manière que ce soit, en l'examinant en gros sans entreprendre d'en exposer exactement toute la réalité, et le laissant, au contraire, à la portée de l'imagination de l'auditeur, afin que celui-ci puisse comprendre ce qu'on veut qu'il comprenne en ce moment, sauf à exposer ensuite plus exactement ce sujet obscur qui se manifestera dans sa réalité à l'endroit convenable(1)L’auteur dit plus loin que, dans son ouvrage même, on trouve certaines contradictions résultant de la cinquième cause. Citons-en un exemple: au chapitre LXX de la Ire partie l’auteur présente Dieu comme le moteur immédiat de la sphère supérieure, tandis qu’à la fin du chapitre IV de la IIe partie il dit que la première d’entre les intelligences des sphères, produite par Dieu, met en mouvement la première sphère. C’est que, dans le premier passage, l’auteur n’a pour but que de présenter Dieu comme le moteur de l’univers en général, sans entrer dans les détails du mouvement des différentes sphères et de leurs intelligences, comme il le fait dans le second passage. Il en résulte une contradiction qui n’est qu’apparente..", "SIXIÈME CAUSE: Lorsque la contradiction se dérobe et ne se manifeste qu'après plusieurs prémisses. Plus il faudra de prémisses pour la manifester et plus elle sera cachée, de manière à échapper à l'auteur, qui croira qu'il n'y a pas de contradictions entre les deux premières propositions. Cependant, en prenant chacune des deux propositions à part et en y joignant une prémisse vraie, de manière qu'il en sorte une conclusion nécessaire, et en faisant de même de chaque conclusion, (je veux dire) en y joignant une prémisse vraie de manière à en faire sortir une conclusion nécessaire, on arrivera après une série de syllogismes à trouver une contradiction ou une opposition entre les deux dernières conclusions. C'est là ce qui arrive même à de savants auteurs; mais si les deux premières propositions étaient manifestement contradictoires et que l'auteur eût seulement oublié la première en écrivant l'autre dans un autre endroit de son ouvrage, ce serait là (révéler) une infériorité très grande, et un tel homme ne saurait être compté au nombre de ceux dont les paroles méritent de l'attention.", "SEPTIÈME CAUSE: La nécessité du discours, quand il s'agit de choses très obscures dont les détails doivent être en partie dérobés et en partie révélés. Car quelquefois on se voit forcé, en émettant une opinion, de s'exprimer de manière à affirmer une certaine proposition, tandis que dans un autre endroit on se voit forcé de s'exprimer de manière à affirmer une proposition qui se trouve en contradiction avec la première. Le vulgaire ne doit d'aucune manière s'apercevoir de l'endroit où existe la contradiction, et l'auteur quelquefois cherche toute sorte d'expédients pour la dérober(1)De l’aveu de l’auteur son ouvrage renferme aussi des contradictions résultant de cette septième cause. Une des plus graves nous paraît être celle-ci: l’auteur, qui combat l’éternité de la matière première, admise par les péripatéticiens, l’admet cependant comme prémisse dans des démonstrations relatives aux questions métaphysiques les plus importantes, comme il le déclare lui-même au ch. LXXI de la Ire partie et au commencement de la IIe partie..", "Quant aux contradictions qu'on trouve dans la Mischnâ et dans les Baraïthôth, elles émanent de la première cause. Ainsi tu trouveras continuellement qu'on dit (dans le Talmud): «Le commencement (du chapitre) est en contradiction avec la fin», et qu'on ajoute cette réponse: «Le commencement émane de tel docteur et la fin de tel autre docteur.» Tu y trouveras de même ces paroles: «Rabbi(2)C’est-à-dire Rabbi Juda le Saint, rédacteur de la Mishnâ. a approuvé les paroles de tel docteur dans tel cas et en a simplement reproduit l'opinion (sans le nommer), et dans tel autre cas il a approuvé les paroles de tel autre docteur et en a simplement reproduit l'opinion.» Souvent aussi tu y trouveras cette formule: «A qui appartient cette assertion anonyme? Elle appartient à tel docteur. — A qui appartient notre (paragraphe de la) Mischnâ? Il appartient à tel docteur.» Ces exemples sont innombrables.", "Quant aux contradictions et aux divergences qu'on trouve dans le Talmud (ou la Guemarâ), elles émanent de la première et de la deuxième cause. Ainsi tu y trouveras toujours ces paroles: «A tel sujet il a adopté l'opinion de tel docteur et à tel autre sujet l'opinion de tel autre docteur.» On dit encore: «Il a adopté l'opinion d'un tel dans un cas et il s'en est écarté dans un autre cas.» On dit enfin: «Ce sont deux Amoraîm(1)On sait que le mot אמוראי désigne les docteurs qui figurent dans la Guemarâ, et qui discutent les opinions des Tannaîm ou docteurs de la Mischnâ. (qui diffèrent) sur l'opinion de tel docteur.» Tous les exemples de ce genre sont conformes à la première cause. Relativement à la deuxième cause, ils (les talmudistes) disent expressément: Râb est revenu de telle opinion, ou Rabâ est revenu de telle opinion(2)Les mss. de l’original arabe ont généralement les deux exemples; la version hébraïque n’a que celui de Rabâ., et (en pareil cas) on discute pour savoir laquelle des deux opinions est la dernière. On peut encore citer les paroles suivantes: «Selon la première rédaction de Rabbi Asché(3)On sait que Rabbi Asché est un des principaux rédacteurs du Talmud de Babylone. il s'est prononcé dans tel sens, et selon la seconde rédaction il s'est prononcé dans tel autre sens.", "Pour ce qui concerne la contradiction ou l'opposition qui se montre dans le sens extérieur de certains passages de tous les livres prophétiques, elle émane de la troisième et de la quatrième cause, et c'est surtout ce sujet qui était le but de toute cette observation préliminaire. Tu sais que (les docteurs) répètent souvent ces paroles: «Un texte s'exprime de telle manière et un autre texte de telle autre manière.» Ils établissent d'abord la contradiction apparente, puis ils expliquent qu'il y a là une condition qui manque (dans le texte), ou qu'il est question de deux sujets différents. Ainsi, par exemple, ils disent: «Salomon, n'est-il pas assez que tes paroles contredisent celles de ton père? faut-il encore qu'elles se contredisent entre ellesmêmes, etc.?(4)Voy. Talmud de Babylone, traité Schabbâth, fol. 30. On y cite divers passages où Salomon est en contradiction avec David ou avec luimême, et on cherche à résoudre la difficulté en établissant que dans les passages contradictoires il s’agit de sujets différents. Ainsi, p. ex., on lit dans les Proverbes (ch. XXVI, V. 4): Ne réponds pas au sot selon sa sottise, et immédiatement après (v. 5): Réponds au sot selon sa sottise. Pour lever la contradiction, le Talmud dit que, dans l’un des deux passages il s’agit de choses religieuses, et, dans l’autre, de choses profanes.» Les docteurs parlent souvent dans ce sens; mais la plupart du temps ils s'occupent de discours prophétiques se rattachant à des préceptes (religieux) ou à la morale. Quant à nous, nous n'avions pour but que d'appeler l'attention sur des versets qui, pris dans leur sens littéral, renferment des contradictions au sujet de certaines opinions et croyances; il en sera expliqué une partie dans divers chapitres de ce traité; car ce sujet fait partie aussi des Mystères de la Loi. Quant à la question de savoir s'il existe dans les livres des prophètes des contradictions émanant de la septième cause, c'est là une chose qu'il y a lieu d'examiner et de discuter, et qu'il ne faut pas décider au hasard(1)Littéralement: Et il ne faut pas conjecturer là-dessus. Ibn-Tibbon a rendu les mots אן לא יגׄזף פי דׄלך par une longue périphrase; Al-’Harizi traduit plus fidèlement: וצריך לבל יגזרו עליו כפי מה שיזדמן..", "Quant à la divergence qu'on trouve dans les livres des philosophes véritables, elle émane de la cinquième cause. ", "Pour ce qui est des contradictions qu'on trouve dans la plupart des ouvrages des auteurs et des commentateurs autres que ceux dont nous avons parlé, elles émanent de la sixième cause. De même, dans les Midraschôth et dans les Haggadôth il existe des contradictions graves émanant de cette même cause; c'est pourquoi (les rabbins) disent: «On ne relève pas des contradictions dans les Haggadôth.» On y trouve aussi des contradictions émanant de la septième cause.", "Enfin les divergences qui peuvent exister dans le présent traité émanent de la cinquième et de la septième cause(2)Voir ci-dessus, page 28, note 1, et page 29, note 1.. Il faut que tu saches cela, que tu t'en pénètres et que tu te le rappelles bien, afin de ne pas être troublé au sujet de plusieurs de ces chapitres.", "Après ces préliminaires je commence à parler des noms dont il faut faire ressortir le véritable sens qu'on a eu en vue dans chaque endroit selon le sujet (qui y est traité), et ce sera là une clef pour entrer dans des lieux dont les portes sont fermées. Et quand ces portes auront été ouvertes et qu'on sera entré dans ces lieux, les âmes y trouveront le repos, les yeux se délecteront et les corps se délasseront de leur peine et de leur fatigue." ], "": [ [ "OUVREZ LES PORTES, QUE LE PEUPLE JUSTE ENTRE, LUI QUI GARDE LA FOI (Isaïe, xxvi, 2).", "Célem (צֶלֶם) et demouth (דְּמוּת). — Il y a eu des gens qui croyaient que célem (צלם), dans la langue hébraïque, désignait la figure d’une chose et ses linéaments, et ceci a conduit à la pure corporification (de Dieu), parce qu’il est dit (dans l’Écriture): Faisons un homme à notre image (בצלמנו) selon notre ressemblance (Genèse, 1, 26). Ils croyaient donc que Dieu avait la forme d’un homme, c’est-à-dire sa figure et ses linéaments, et il en résultait pour eux la corporification pure qu’ils admettaient comme croyance, en pensant que, s’ils s’écartaient de cette croyance, ils nieraient le texte (de l’Écriture), ou même qu’ils nieraient l’existence de Dieu s’il n’était pas (pour eux) un corps ayant un visage et des mains semblables aux leurs en figure et en linéaments; seulement, ils admettaient qu’il était plus grand et plus resplendissant (qu’eux), et que sa matière aussi n’était pas sang et chair, et c’est là tout ce qu’ils pouvaient concevoir de plus sublime à l’égard de Dieu(1)On croirait à peine que des docteurs juifs aient pu tomber dans de pareils écarts, si nous n’avions pas le témoignage positif de Maïmonide, ainsi que celui de son fils Abraham et de plusieurs de ses contemporains, qui étaient obligés de prendre la défense de Maïmonide contre les attaques de plusieurs talmudistes, et notamment contre une partie des rabbins de France, qui croyaient devoir prendre à la lettre les anthropomorphismes de la Bible. Nous nous contentons de rappeler à cet égard le témoignage non suspect d’un rude adversaire de Maïmonide, R. Abraham ben-David de Posquières, dans ses notes critiques sur le Mischné Torâ ou Abrégé du Talmud (livre I, traité Teschoubâ ou de la Pénitence, ch. 3, § 7). Maïmonide ayant compté au nombre des hérétiques (מינים) celui qui admet la corporéité de Dieu, R. Abraham demande: «Pourquoi appelle-t-il celui-ci un hérétique, puisque des hommes plus grands et meilleurs que lui (Maïmonide) ont suivi cette opinion, selon ce qu’ils avaient vu dans les textes de l’Écriture, et encore plus dans les Haggadôth qui troublent la pensée ?». ", "Quant à ce qui doit être dit pour écarter la corporéité et établir l’unité véritable, — qui n’a de réalité que par l’exclusion(2)Au lieu de בדפע (avec daleth) plusieurs mss. portent ברפע (avec resch), ce qui ne change rien au sens. de la corporéité, — tu sauras la démonstration de tout cela par le présent traité; ici, dans ce chapitre on veut seulement appeler l’attention sur l’explication du sens de célem (צלם) et de demouth (דמות).", "Je dis donc que la forme telle qu’elle est généralement connue du vulgaire(3)L’auteur veut dire qu’il n’emploie pas ici le mot forme dans le sens philosophique, mais dans celui du langage vulgaire. [je veux dire la figure de la chose et ses linéaments] porte dans la langue hébraïque le nom particulier de toar (תאר); on dit, p. ex.: Beau de figure (תאר) et beau de visage (Genèse, 39, 6); quelle est sa figure (תארו) (I Sam., 28, 14)? Comme la figure (כתאר) des fils du roi (Juges, 13, 18). On a dit (en parlant) de la forme artificielle: Il la figure (יתארהו) avec le burin… et il la figure (יתארהו) avec le cercle (Isaïe, 44, 13). C’est là une dénomination qui ne s’applique jamais à Dieu le Très-Haut;—loin de nous (une telle pensée)! ", "Quant à célem (צלם), il s’applique à la forme naturelle, je veux dire à ce qui constitue la substance de la chose, par quoi elle devient ce qu’elle est et qui forme sa réalité, en tant qu’elle est tel être (déterminé). Dans l’homme ce quelque chose, c’est ce dont vient la compréhension humaine, et c’est à cause de cette compréhension intellectuelle qu’il a été dit de lui: Il le créa à l’image (בצלם) de Dieu (Genèse, 1, 26). ", "C’est pourquoi aussi on a dit (en parlant des impies): Tu méprises leur image (צלמם) (Ps. 73, 20); car le mépris atteint l’âme qui est la forme spécifique(1)C’est-à-dire la forme particulière à l’espèce humaine, ou ce qui caractérise l’homme et le distingue des autres animaux., et non pas les figures des membres et leurs linéaments. Je dis de même que la raison pour laquelle les idoles étaient appelées celamîm (צלמים), c’est que, ce qu’on cherchait dans elles était quelque chose qu’on leur supposait(2)Littéralement: Leur sens (leur idée) qu’on s’imaginait, c’est-à-dire la fausse idée qu’on se formait d’elles ou la vertu qu’on leur attribuait par erreur.; mais ce n’était nullement pour leur figure et leurs linéaments. Je dirai encore la même chose au sujet des mots: les images (צלמי) de vos TE’HORÎM (I Sam., 6, 5)(3)On croit généralement que la maladie des Philistins, désignée par le mot te’horîm (טחרים) ou, selon la leçon du khetîb, ’apholîm (עפלים), consistait dans une espèce de tumeurs ou de pustules dans les parties secrètes; les rabbins y voient les varices hémorroïdales, et c’est probablement dans ce sens que Maïmonide lui-même entend ce mot. Les médecins juifs du moyen-âge emploient communément le mot טחורים pour désigner les hémorroïdes.; car ce qu’on y cherchait, c’était le moyen d’écarter le mal des te’horîm, et ce n’était nullement la figure des te’horîm. Si cependant il fallait absolument admettre que le nom de célem, appliqué aux images des te’horîm et aux idoles, se rapportât à la figure et aux linéaments, ce nom serait ou homonyme ou amphibologique(4)Voy. ci-dessus page 6, note 3., et s’appliquerait non seulement à la forme spécifique, mais aussi à la forme artificielle, ainsi qu’aux figures analogues des corps physiques et à leurs linéaments. ", "Par les mots: Faisons un homme à notre image, on aurait donc voulu parler de la forme spécifique, c’est-à-dire de la compréhension intellectuelle, et non de la figure et des linéaments. — Ainsi nous t’avons expliqué la différence qu’il y a entre célem (image) et toar (figure), et nous avons aussi expliqué le sens de célem.", "Quant à demouth (דמות), c’est un nom (dérivé) de דמה (ressembler), et qui indique également une ressemblance par rapport à quelque idée; car les paroles (du psalmiste): Je ressemble (דמיתי) au pélican du désert (Ps. 102, 7), ne signifient pas qu’il lui ressemblait par rapport aux ailes et au plumage, mais que la tristesse de l’un ressemblait à la tristesse de l’autre. De même (dans ce passage): Aucun arbre dans le jardin de Dieu ne lui ressemblait (דמה) en beauté (Ézéch., 31, 8), il s’agit d’une ressemblance par rapport à l’idée de beauté; (de même dans ces autres passages): Ils ont du poison semblable (כדמות) au poison du serpent (Ps. 58, 5); Il ressemble (דמיונו) à un lion avide de proie (Ps. 17, 12). Tous (ces passages indiquent) une ressemblance par rapport à une certaine idée, et non par rapport à la figure et aux linéaments. De même: La ressemblance (דמות) du trône (Ézéch., 1, 26) est une ressemblance par rapport à l’idée d’élévation et de majesté, et non par rapport à la forme carrée, à l’épaisseur et à la longueur des pieds, comme le croient les esprits pauvres, et il en est de même de la ressemblance (דמות) des animaux (Ézéch., 1, 13).", "Or, comme l’homme se distingue par quelque chose de très remarquable qu’il y a en lui et qui n’est dans aucun des êtres au dessous de la sphère de la lune, c’est-à-dire par la compréhension intellectuelle, pour laquelle on n’emploie ni sens, ni mains, ni bras(1)Les mots ׂגארחה̈ et ׂגאנחה̈ désignentici particulièrement les membres qui servent à saisir quelque chose ou à faire un travail. ׂגארחה̈, venant de ׂגרח blesser, s’emploie pour désigner la main; ׂגאנחה̈ s’emploie pour désigner les côtes, et paraît aussi s’employer pour ׂגנאח aile, et, comme ce dernier, dans le sens de bras. La version d’Ibn-Tibbon porte: ולא מעשה גוף ילא יד ולא רגל, ce qui n’est pas tout à fait exact; mais cette traduction est préférable à celle d’Al-’Harizi, qui porte: לא אבר ולא נתח., (celle-ci) a été comparée à la compréhension divine, qui ne se fait pas au moyen d’un instrument; bien que la ressemblance n’existe pas en réalité, mais seulement au premier abord. Et pour cette chose, je veux dire à cause de l’intellect divin qui se joint à l’homme(1)L’auteur fait allusion ici à ce que les philosophes arabes appellent , la conjonction, ou l’union de l’intellect actif (venant de Dieu par l’intermédiaire des Intelligences des sphères) avec l’intellect passif. Ce sujet sera expliqué dans plusieurs endroits de cet ouvrage. Voy. ciaprès ch. LXVIII; IIe partie, ch. IV; IIIe partie, ch. LI, et d’autres endroits., il a été dit de celui-ci qu’il était (fait) à l’image de Dieu et à sa ressemblance, (et cela ne veut dire) nullement que Dieu le Très-Haut soit un corps ayant une figure quelconque." ], [ "Un homme de science m’a fait, il y a déjà plusieurs années, une objection remarquable qui mérite considération, ainsi que la réponse que nous avons faite pour la détruire. ", "Mais avant de rapporter l’objection et la manière de la détruire, voici ce que j’ai à dire. Tout Hébreu sait que le nom d’Élohîm (אלהים) est homonyme, s’appliquant à Dieu, aux anges et aux gouvernants régissant les états. Déjà Onkelos, le prosélyte, a expliqué, — et son explication est vraie, — que par les mots: Et vous serez comme des Élohîm connaissant le bien et le mal (Genèse, 3, 5), on a eu en vue le dernier sens; car il dit (dans sa traduction chaldaïque): «Et vous serez comme les grands personnages (כרברביא).» ", "Après cette observation préliminaire sur l’homonymie de ce nom, nous allons rapporter l’objection.", "Il paraîtrait, d’après le sens littéral du texte, disait l’auteur de l’objection, que l’intention primitive dans (la création de) l’homme était qu’il fût comme le reste des animaux, sans intelligence et sans réflexion, et sans savoir distinguer entre le bien et le mal; mais que, ayant désobéi, sa désobéissance lui mérita cette grande perfection particulière à l’homme, c’est-à-dire de posséder ce discernement qui est en nous, qui est la chose la plus noble de notre existence et qui constitue notre substance. Mais c’est là une chose étonnante que sa punition pour sa désobéissance ait été de lui donner une perfection qu’il n’avait pas eue, savoir, l’intelligence. C’est absolument comme l’assertion de ceux qui ont dit qu’un certain homme, après avoir désobéi (à Dieu) et commis des excès d’injustice, fut transformé et placé comme astre au ciel(1)On fait ici allusion probablement à quelque fable orientale; je suppose qu’on veut parler de Nimrod, qui, selon les traditions orientales, se révolta contre Dieu et fit construire la Tour de Babel, et qu’on dit avoir été placé au ciel en l’identifiant avec la constellation du Géant ou de l’Orion. Voy. le Chronicon Paschale, p. 36; sur le Djebbâr ou l’Orion voy. le commentaire sur le traité d’Ulug-Beigh, par Hyde, dans le Syntagma dissertationum, tome I, pages 42 et suiv., et p. 57..—Tel était le but et la pensée de l’objection, quoiqu’elle ne fût pas (présentée) dans les mêmes termes. ", "Écoute maintenant de quelle manière nous y avons répondu. O toi, disions-nous, qui examines (les choses) avec un esprit superficiel et irréfléchi(2)Littéralement: avec les commencements de ses pensées et de ses idées, c’est-à-dire selon ce qui se présente tout d’abord à son esprit., et qui crois comprendre un livre, guide des anciens et des modernes, en le parcourant dans quelques moments de loisir (dérobés aux plaisirs) de la boisson et de la cohabitation, comme on parcourrait quelque livre d’histoire ou quelque poëme! arrête-toi et examine; car la chose n’est pas telle que tu la croyais au premier abord, mais telle qu’elle se manifestera quand on aura considéré ce que je vais dire. La raison que Dieu a fait émaner sur l’homme, et qui constitue sa perfection finale, est celle qu’Adam possédait avant sa désobéissance; c’est pour elle qu’il a été dit de lui qu’il était (fait) à l’image de Dieu et à sa ressemblance, et c’est à cause d’elle que la parole lui fut adressée et qu’il reçut des ordres, comme dit (l’Écriture): Et l’Éternel, Dieu ordonna, etc. (Genèse, 2, 16), car on ne peut pas donner d’ordres aux animaux ni à celui qui n’a pas de raison. Par la raison on distingue entre le vrai et le faux, et cette faculté il (Adam) la possédait parfaitement et complétement; mais le laid et le beau existent dans les (choses des) opinions probables, et non dans les choses intelligibles(1)La distinction que l’auteur établit ici entre les choses de l’intelligence et les choses qui sont du domaine des opinions probables est empruntée à Aristote (Topiques, l. I, ch. 1). Le Stagirite reconnaît quatre espèces de syllogismes, dont les deux premiers sont: le démonstratif, qui a pour base des principes d’une vérité absolue et évidents par eux-mêmes, étant fondés dans l’intelligence, et le dialectique, qui part des opinions probables (ἐξ ἐνδόξων), et qui a pour base les suffrages de la totalité ou de la pluralité des hommes, ou seulement ceux de la totalité ou de la pluralité des sages, ou des plus illustres d’entre eux. Le bien et le mal, les vertus et les vices sont du domaine des opinions probables, et n’ont pas de rapport avec Dieu ni avec l’intelligence pure (Voir Morale à Nicemaque, l. VII, ch. 1). Le mot arabe אלמשהוראת, qui signifie les choses généralement connues ou les choses célèbres, désigne ici évidemment les choses admises par l’opinion et correspond au terme grec τὰ ἔνδοξα; les versions hébraïques rendent ce mot par המפורםמות. Le mot grec ἔνδοξος ayant à la fois les deux significations que nous venons d’indiquer, les Arabes l’ont rendu par un mot qui signifie généralement connu ou célèbre, quoique ce mot ne rende pas bien exactement l’idée d’Aristote. Ainsi, par exemple, ces mots: Διαλεϰτιϰὸς δέ συλλογισμὸς ὁ ἐξ ἐνδόξων συλλογιζόμενος (Top., I, 1), «le syllogisme dialectique est celui qui résulte d’opinions probables», ont été ainsi rendus dans la version arabe: . Pour le mot une variante marginale, dans le ms. ar. n° 882 A, donne le synonyme , qui est le terme généralement employé par les philosophes arabes. Voici comment s’exprime Ibn-Roschd, dans son Abrégé de l’Organon, au commencement du (livre de dialectique), correspondant aux Topiques d’Aristote; car on ne dit pas que cette proposition: le ciel est sphérique, soit belle, ni que cette autre: la terre est plane, soit laide; mais on appelle l’une vraie et l’autre fausse. Ainsi dans notre langue on emploie (en parlant) du vrai et du faux (les mots) émeth (אמת) et schéker (שקר), et pour beau et laid (on dit) tôb (טוב) et ra’ (רע). Par la raison donc l’homme distingue le vrai du faux, et ceci a lieu dans toutes les choses intelligibles. Lors donc qu’il (Adam) était encore dans son état le plus parfait et le plus complet, n’ayant que sa nature primitive et ses notions intelligibles, à cause desquelles il a été dit de lui: Et tu l’as placé peu au dessous des êtres divins (Ps. 8, 6), il n’y avait en lui aucune faculté qui s’appliquât aux opinions probables d’une manière quelconque, et il ne les comprenait même pas; de telle sorte que ce qu’il y a de plus manifestement laid par rapport aux opinions probables, c’est-à-dire de découvrir les parties honteuses, n’était point laid pour lui, et il n’en comprenait même pas la laideur. Mais lorsque, désobéissant, il pencha vers ses désirs venant de l’imaginative et vers les plaisirs corporels de ses sens, comme dit (l’Écriture): … Que l’arbre était bon pour en manger et qu’il était un plaisir pour les yeux (Genèse, 3, 6), il fut puni par la privation de cette compréhension intellectuelle; c’est pourquoi il transgressa(1)C’est-à-dire: il manifesta sa désobéissance par un acte. Les mots פלמא עצא se rapportent au changement qui s’opéra en lui; le second, עצא, à la désobéissance matérielle. l’ordre qui lui avait été donné à cause de sa raison, et, ayant obtenu la connaissance des opinions probables, il fut absorbé par ce qu’il devait trouver laid ou beau, et il connut alors ce que valait la chose qui lui avait échappé et dont il avait été dépouillé, et dans quel état il était tombé. C’est pourquoi il a été dit: Et vous serez comme des Élohîm connaissant le bien et le mal (Ibid., 3, 5), et on n’a pas dit: connaissant le faux et le vrai, ou: comprenant le faux et le vrai; tandis que dans le (domaine du) nécessaire(2)C’est-à-dire dans ce qui est du domaine de l’intelligence et nécessairement vrai en soi-même; l’auteur veut dire que l’intelligence pure n’a à s’occuper que du vrai et du faux. Le bien et le mal sont du domaine de l’opinion probable. il n’y a pas du tout de bien ni de mal, mais du faux et du vrai. — Considère aussi ces paroles: Et les yeux de tous les deux s’ouvrirent et ils RECONNURENT qu’ils étaient nus (Ibid., 3, 7). On ne dit pas: Et les yeux de tous les deux s’ouvrirent et ils virent; car ce que (l’homme) avait vu auparavant, il le voyait aussi après. Ce n’est pas qu’il y ait eu sur l’œil un voile qui (ensuite) ait été enlevé; mais il lui survint un autre état dans lequel il trouvait laid ce qu’il n’avait pas trouvé laid auparavant. ", "Sache que ce mot, je veux dire פקח, ne s’emploie absolument que dans le sens de: ouvrir la vue morale (et ne se dit) pas de la renaissance du sens de la vue; p. ex.: Et Dieu lui ouvrit les yeux (Genèse, 21, 19); Alors les yeux des aveugles seront ouverts (Isaïe, 35, 5); Les oreilles ouvertes ils n’entendent pas (Ibid., 42, 20), ce qui ressemble à ces mots: Ceux qui ont des yeux pour voir et ne voient pas (Ézéch., 12, 2).", "Quant à ce qui est dit d’Adam: Quand il changea de face tu le renvoyas (Job, 14, 20)(1)L’auteur suit l’opinion des anciens rabbins qui appliquent ce verset à Adam: Dieu, disent-ils, avait d’abord doué Adam d’une force immortelle (תתקפהו לנצח); mais ayant négligé l’avis de Dieu et suivi celui du serpent, il fut expulsé du paradis. Voy. Beréschîth rabba, sect. 14 et 21., il faut l’interpréter et commenter ainsi: «Lorsqu’il changea de direction il fut expulsé»; car פנים (face, visage) est un nom dérivé de פנה (se tourner), parce que l’homme se dirige avec son visage vers la chose qu’il veut atteindre. On dit donc: Quand il eut changé de direction et qu’il se fut dirigé vers la chose vers laquelle il lui avait été défendu précédemment de se diriger, il fut expulsé du paradis. Et ce fut là un châtiment pareil à sa désobéissance, mesure pour mesure(2)C’est-à-dire le châtiment était entièrement conforme au péché; les mots hébreux מדה כנגד מדה que l’auteur intercale ici dans la phrase arabe, sont une locution proverbiale bien connue, souvent employée par les rabbins.; car il lui avait été permis de manger des choses agréables et de se délecter dans le repos et la tranquillité; mais étant devenu avide, ayant suivi ses plaisirs et son imaginative, comme nous l’avons dit, et ayant mangé ce qu’il lui avait été défendu de manger, il fut privé de tout et forcé de manger ce qu’il y avait de plus vil en fait d’aliments et ce qui ne lui avait pas servi de nourriture auparavant, (et cela encore) à force de peine et de fatigue, comme dit (l’Écriture): Elle te fera pousser des ronces et des épines, etc., à la sueur de ton front, etc. (Genèse, 3, 18, 19), et ensuite on dit clairement: Et l’Éternel Dieu le renvoya du paradis pour cultiver la terre (Ibid., V. 23). Et il l’assimila aux animaux dans sa nourriture et dans la plupart des circonstances, comme dit (l’Écriture): Et tu mangeras l’herbe du champ (Ibid., V. 18). Et comme pour expliquer ce passage (le psalmiste) a dit: L’homme ne restera pas dans sa dignité, et il fut assimilé aux bêtes muettes (Ps. 49, 13).", "—Louange au maître de cette volonté dont on ne saurait comprendre le dernier terme et la sagesse." ], [ "On s’imagine que le sens de temounâ (תמונה) et de tabnîth (תבנית) dans la langue hébraïque est le même; mais il n’en est pas ainsi. Tabnîth est un nom dérivé de בנה (bâtir) et signifie la bâtisse d’une chose et sa structure, je veux dire sa figure, comme p. ex. la figure carrée, circulaire, triangulaire, etc. On dit, p. ex.: La figure (תבנית) du tabernacle et la figure (תבנית) de tous ses ustensiles (Exod., 25, 9), et on dit encore: Selon leur figure (כתבניתם) qui t’a été montrée sur la montagne (Ibid., V. 40); La figure (תבנית) de tout oiseau (Deutéron., 4, 17); La figure (תבנית) d’une main (Ézéch., 8, 3); La figure (תבנית) du portique (I Chron., 28, 11). Tout cela est une figure (visible); c’est pourquoi la langue hébraïque n’emploie aucunement cette sorte d’expressions dans des descriptions qui se rapportent à Dieu.", "Quant à temounâ (תמונה), c’est un nom qui se dit par amphibologie(1)Voy. ci-dessus page 6, note 3. dans trois sens divers. Il se dit 1° de la forme d’un objet perçue par les sens indépendamment de l’esprit, je veux dire de sa figure et de ses linéaments, et c’est là le sens des mots: ….. et que vous ferez une image taillée de la figure (תמונת) de quoi que ce soit, etc. (Deutéron., 4, 25); Car vous n’avez vu aucune figure (תמונה) (Ibid., V. 15). On le dit 2° de la figure imaginaire qu’un objet, après s’être dérobé aux sens, laisse dans l’imagination, comme dans ce passage: Dans les pensées (nées) de visions noctures, etc. (Job, 4, 13 et suiv.), qui finit par ces mots: Il s’arrêta et je ne reconnaissais pas son visage; il y avait une figure (תמונה) devant mes yeux, c’est-à-dire il y avait un fantôme devant mes yeux dans le sommeil. On le dit enfin 3° de l’idée véritable (d’une chose) perçue par l’intelligence, et c’est dans ce troisième sens qu’on dit temounâ en parlant de Dieu; p. ex.: Et il contemple la figure (תמונת) de l’Éternel (Nombres, 12, 8), ce qui doit être expliqué dans ce sens: Et il comprend Dieu dans sa réalité." ], [ "Sache que les trois verbes raâ (ראה), hibbît (הביט) et ’hazâ (הזה) s’appliquent à la vue de l’œil; mais on les emploie métaphoriquement, tous les trois, pour la perception de l’intelligence. ", "Pour raâ (ראה), cela est connu à tout le monde. Il est dit, p. ex.: Et il vit (וירא), et voici, il y avait un puits dans le champ (Genèse, 29, 2), où il s’agit de la vue de l’œil; mais dans ces mots: Et mon cœur voyait (ראה) beaucoup de sagesse et de science (Ecclésiaste, 1, 16), il s’agit d’une perception intellectuelle. ", "C’est dans ce sens métaphorique qu’il faut prendre le verbe raâ (ראה) toutes les fois qu’il s’applique à Dieu, comme p. ex. dans ces passages: Je VIS (ראיתי) l’Éternel (I Rois, 22, 19); Et l’Éternel se fit VOIR (apparut) à lui (Genèse, 18, 1); Et Dieu VIT que c’était bien (Genèse, 1, passim); Fais-moi VOIR ta gloire Exod., 33, 18); Et ils VIRENT le Dieu d’Israël (Ibid., 24, 10). Il s’agit ici partout d’une perception intellectuelle, et nullement de la vue de l’œil; car les yeux ne perçoivent que (ce qui est) corps et (seulement) d’un certain côté(1)Les éditions de la version hébraïque d’Ibn-Tibbon portent généralement ובצדו קצת מקריו; il faut lire, selon l’arabe: ובצד וקצת מקריו, comme l’ont en effet les mss. de ladite version., et avec cela quelques accidents du corps, tels que ses couleurs, sa figure (géométrique), etc., et Dieu, de son côté, ne perçoit pas au moyen d’un instrument, comme on l’expliquera (plus loin).", "De même hibbît (הביט) s’emploie dans le sens de: regarder une chose avec l’œil; p. ex.: Ne regarde pas (אל תבט) derrière toi (Genèse, 19, 17): Et sa femme regarda (ותבט), étant derrière lui (Ibid., V. 26); Et il regardera (ונבט) vers la terre (Isaïe, 5, 30). Mais on l’emploie métaphoriquement pour le regard de l’esprit abordant la considération d’une chose pour la comprendre, comme dans ce passage: On ne voit pas (לא הביט) d’iniquité dans Jacob (Nombres, 23, 21); car l’iniquité ne se voit pas avec l’œil. Il en est de même de ces paroles: Et ils regardèrent (והביטו) après Moïse (Exod., 33, 8); car, selon ce que disent les docteurs, elles exprimeraient la même idée, et elles énonceraient qu’ils (les Israélites) épiaient ses actes et ses paroles et les examinaient(1)C’est-à-dire, ils les critiquaient et les jugeaient avec malveillance. L’auteur fait allusion à divers passages du Talmud et des Midraschîm. Ainsi, p. ex., le Talmud de Jérusalem (Biccourîm, ch. III, et Schekalîm, ch. V) parle de deux docteurs dont l’un avait expliqué le passage en question dans un sens d’éloge, et l’autre dans un sens de blâme; selon ce dernier, les Israélites disaient, en parlant de l’embonpoint de Moïse: «Voyez ses cuisses, voyez ses jambes; il mange de ce qui est aux juifs, il boit de ce qui est aux juifs, tout ce qu’il a vient des juifs.» ומאן דאמר לגנאי חזי שאקי חזי כרעין אכיל מן יהודאי שתי מן יהודאי כל מרליה מן יהודאי. Voyez aussi Midrasch Tan’houma, sect. כי תשא (édit. de Vérone, fol. 40 d); Schemôth rabba, sect. 51; Talmud de Babylone, Kiddouschîn, fol. 33 b. Il y en avait même, dit le Talmud ailleurs, qui allaient jusqu’à le soupçonner d’adultère: שחשדוהו מאשת איש. Voy. Synhedrîn, fol. 110 a.. Les mots: Regarde (הבט) donc vers le ciel (Genèse, 15, 5), ont encore le même sens; car cela se passait dans une vision prophétique. Et (en général) le verbe הביט (regarder) a ce sens métaphorique toutes les fois qu’il s’applique à Dieu; p. ex.: ….. de regarder (מהביט) vers Dieu (Exod., 3, 6); Et il contemple (יביט) la figure de Dieu (Nombres, 12, 8); Et tu ne peux regarder (והביט) l’iniquité (Habac., I, 13).", "De même ’hazâ (חזה) s’applique à la vue de l’œil; p. ex.: Et que nos yeux voient (ותחז) la chute de Sion (Micha, 4, 11); et on l’emploie métaphoriquement pour la perception du cœur, p. ex.: … qu’il vit (חזה) sur Juda et Jérusalem (Isaïe, 1, 1); … la parole de l’Éternel à Abrâm (במחזה) dans une vision (Genèse, 15, 1); et selon cette métaphore il a été dit: Et ils virent (ויחזו) Dieu (Exod., 24, 11). Il faut bien te pénétrer de cela." ], [ "Le prince des philosophes(1)On devine facilement que l’auteur veut parler d’Aristote. Dans ce qui va suivre il est fait allusion à un passage du Traité du Ciel, l. II, au commencement du ch. 12, où Aristote, abordant quelques questions relatives au mouvement des sphères, s’exprime à peu près dans les termes que lui prête ici Maïmonide., en abordant la recherche et la démonstration de certaine chose très profonde, s’exprime, pour s’excuser, dans des termes dont le sens est: que le lecteur de ses écrits ne doit pas au sujet de ses recherches le taxer d’impudence ou (l’accuser) de parler témérairement et précipitamment sur des choses dont il ne sait rien; mais qu’il doit, au contraire, n’y voir que la passion et le zèle (dont il est animé) pour produire et faire acquérir des opinions vraies autant que cela est dans le pouvoir de l’homme. ", "Nous disons de même que l’homme ne doit pas se porter sur ce sujet grave et important avec précipitation, sans s’être exercé dans les sciences et les connaissances, et sans avoir corrigé ses mœurs avec le plus grand soin et tué ses désirs et ses passions dépendant de l’imaginative. Ce n’est qu’après avoir acquis la connaissance d’axiomes vrais et certains(2)Littéralement: après avoir obtenu des prémisses vraies et certaines et les avoir sues. Le mot מקדמאת désigne ici les propositions qui servent de prémisses dans le syllogisme; l’auteur énumère ici tout ce qui fait partie de la science, de la logique, qu’il faut approfondir avant d’aborder les sujets métaphysiques., après avoir appris les règles du syllogisme et de la démonstration, ainsi que la manière de se préserver des erreurs de l’esprit, qu’il pourra aborder les recherches sur ce sujet. Il ne devra rien trancher selon une première opinion qui lui viendrait, ni laisser aller ses pensées tout d’abord en les dirigeant résolument vers la connaissance de Dieu; mais il devra y mettre de la pudeur et de la réserve, et s’arrêter parfois, afin de s’avancer peu à peu. ", "C’est dans ce sens qu’il a été dit: Et Moïse cacha son visage, car il craignait de regarder vers Dieu (Exode, 3, 6),—où il faut aussi avoir égard(1)L’auteur se sert souvent de l’expression מצאפא אלי, joint à, ajouté à, lorsqu’il veut dire que le sens littéral peut être admis à côté du sens allégorique. à ce qu’indique le sens littéral; savoir, qu’il avait peur de regarder la lumière resplendissante (du buisson ardent), — non pas que les yeux puissent percevoir la divinité [qu’elle soit exaltée et élevée bien au dessus de toute imperfection!]. Moïse mérita pour cela des éloges, et le Très-Haut répandit sur lui sa bonté et sa faveur tellement, que dans la suite il a pu être dit de lui: Et il contemple la figure de Dieu (Nombres, 12, 8); car les docteurs disent que c’était là une récompense pour avoir d’abord caché son visage afin de ne pas regarder vers Dieu(2)Dans le Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 7 a, on dit entre autres en parlant de Moïse: בשכר מהביט זכה לותמונת ה׳ יביט, «pour récompense de s’être abstenu de regarder, il mérita de contempler la figure de Dieu.» Voy. aussi Midrasch Tan’houma, section שמות, édit. de Vérone, fol. 23 b.. ", "Mais pour ce qui concerne les élus d’entre les fils d’Israël (Exode, 24, 11), ils agirent avec précipitation, laissant un libre cours à leurs pensées; ils perçurent (la divinité), mais d’une manière imparfaite. C’est pourquoi on dit d’eux: Et ils virent le Dieu d’Israël, et sous ses pieds, etc. (Ibid., V. 10), et on ne se borne pas à dire simplement: Et ils virent le Dieu d’Israël; car l’ensemble de la phrase n’a d’autre but que de critiquer leur vision, et non pas de décrire comment ils avaient vu. Ainsi donc, on n’a fait que critiquer la forme sous laquelle ils avaient perçu (Dieu) et qui était entachée de corporéité, ce qui était le résultat nécessaire de la précipitation qu’ils y avaient mise avant de s’être perfectionnés. Ils avaient mérité la destruction(1)Le mot כליה est hébreu, nom d’action de כלה; dans deux mss. nous trouvons בליה avec beth, mot arabe qui a à peu près le même sens.; mais Moïse ayant intercédé pour eux, il leur fut accordé un délai jusqu’à ce qu’ils furent brûlés à Tab’érâ et que Nadab et Abihou furent brûlés dans la tente de rendez-vous, comme le rapporte la tradition vraie(2)Selon la tradition rabbinique, ceux qui furent brûlés à Tab’érâ (Nombres, 11, 1–3) sont les mêmes que les 70 anciens, lesquels, ainsi que Nadab et Abihou, brûlés dans le sanctuaire (Lévit., 10, 2), sont désignés par les mots: les élus d’entre les fils d’Israël. Voy. Midrasch Tan’houma, section בהעלותך, fol. 72 a, b; Wayyikra rabba, section 20, vers la fin.. ", "S’il en a été ainsi à l’égard de ceux-là, à plus forte raison faut-il que des hommes inférieurs comme nous et ceux qui sont au dessous de nous visent d’abord à s’occuper du perfectionnement de leurs connaissances préparatoires et à acquérir des principes préliminaires qui puissent purifier l’entendement de sa souillure, laquelle consiste dans les erreurs, et alors ils pourront s’avancer(3)Au lieu de יתקדם quelques mss. ont יתקדם (avec samekh), il sera sanctifié. pour contempler la sainte majesté divine; car: Les prêtres aussi qui s’approchent de l’Éternel devront se sanctifier de peur que l’Éternel ne fasse irruption parmi eux (Exode, 19, 22). Déjà Salomon a recommandé la plus grande précaution à l’homme qui désire parvenir au degré en question; et, se servant d’une image, il a donné cet avertissement: Observe ton pied lorsque tu vas vers la maison de Dieu (Ecclésiaste, 4, 17).", "Je reviens maintenant achever ce que j’avais commencé à expliquer, et je dis que, les élus d’entre les fils d’Israël ayant fait des faux pas dans leur perception, leurs actions aussi furent troublées par là, et ils penchèrent vers les choses corporelles, par le vice de leur perception; c’est pourquoi (l’Écriture) dit: Et ils virent Dieu, et ils mangèrent et burent (Exode, 24, 11)(1)C’est-à-dire, après avoir vu Dieu à leur manière, ils se livrèrent aux jouissances corporelles..— Quant à la fin du verset (cité plus haut)(2)L’auteur veut parler du verset 10: Et ils virent le Dieu d’Isetc., je veux parler des mots: Et sous ses pieds il y avait comme un ouvrage de l’éclat du saphir, etc., on l’expliquera dans quelques chapitres de ce traité(3)Voy. cette Ire partie, chap. XXVIII, et IIIe partie, chap. IV..", "En somme, nous avons pour but d’établir que chaque fois que le verbe ראה, ou חזה, ou הביט, est employé dans le sens en question, il s’agit d’une perception intellectuelle, et non pas de la vue de l’œil; car le Très-Haut n’est pas un être que les yeux puissent percevoir. ", "Si cependant il y a tel homme borné qui ne veut pas parvenir à ce degré auquel nous désirons monter, et qui admet que tous ces mots, employés dans le sens en question, indiquent la perception sensible de certaines lumières créées, soit anges ou autre chose, il n’y a pas de mal à cela." ], [ "Isch (איש) et ischâ (אשה) sont des noms employés primitivement pour (dire) homme et femme, ensuite on les a empruntés pour (désigner) le mâle et la femelle de toutes les autres espèces d’animaux. On a dit, p. ex.: De tous les quadrupèdes purs tu prendras sept couples, איש ואשתו, l’homme et sa femme (Genèse, 7, 2); c’est comme s’il avait dit le mâle et la femelle. Ensuite le nom de ischâ a été employé métaphoriquement pour toute chose destinée et prête à se joindre à une autre chose; p. ex.: Les cinq rideaux seront joints אשה אל אחותה les uns aux autres (Exode, 26, 3)(1)Littéralement: la femme à sa sœur, le mot יריעה étant du genre féminin.. ", "Il est clair par là que אחות (sœur) et אח (frère) aussi, eu égard au sens figuré(2)L’homonymie a lieu par rapport au sens figuré, analogue à celui indiqué en dernier lieu pour le mot אשה., s’emploient comme homonymes, semblables à איש et אשה." ], [ "Yalad (ילד). — Ce qu’on entend par ce mot est connu; il signifie enfanter; p. ex.: Et qu’elles lui auront enfanté (וילדו) des fils (Deutéron., 21, 15). Ensuite ce mot a été employé au figuré pour la production des choses naturelles; p. ex.: Avant que les montagnes fussent nées (ילדו) (Ps. 90, 2), et on s’en est servi aussi dans le sens de faire germer, (en parlant de) ce que la terre fait germer, par comparaison avec l’enfantement; p. ex.: … qu’elle l’ait fécondée (והולידה) et l’ait fait germer (Isaïe, 55, 10). On l’a aussi appliqué aux événements du temps, comme si c’étaient des choses qui naissent; p. ex.: Car tu ne sais pas ce qu’enfantera (ילד) le jour (Prov., 17, 1). Enfin on l’a appliqué à ce qui survient dans les pensées et à ce qu’elles produisent en fait d’idées et d’opinions, comme on a dit: Et il enfantera (וילד) le mensonge (Ps. 7, 15), et c’est dans ce sens qu’il a été dit: Et ils se contentent des enfants (בילדי) des étrangers (Isaïe, 2, 6), c’est-à-dire ils se contentent(3)Les mss. portent: יגׁתזון, ce qui n’est autre chose qu’une orthographe vulgaire pour יגׁתזיון , VIIIe forme de . Maïmonide prend le mot ישׂפיקו dans le sens de se contenter, être satisfait; de même Saadia, qui, dans sa version arabe d’Isaïe, le rend par יכתפון . Dans l’un des mss. de Leyde ce dernier mot a été substitué dans notre passage à יגׁתזון qu’ont tous les autres mss. de leurs opinions, comme a dit Jonathan ben-Usiel dans la version de ce passage: Et ils suivent les lois des nations. ", "C’est dans ce même sens que celui qui a enseigné quelque chose à une personne et lui a donné une idée peut être considéré comme ayant fait naître cette personne, étant lui-même l’auteur de cette idée; et c’est dans ce sens aussi que les disciples des prophètes ont été appelés בני הנביאים, fils des prophètes, comme nous l’expliquerons en parlant de l’homonymie du substantif בן, fils(1)On voit que l’auteur avait l’intention de consacrer un chapitre, dans cette Ire partie, au mot בן; mais il ne l’a pas fait..", "C’est selon cette métaphore qu’il a été dit d’Adam: Et Adam ayant vécu cent trente ans, engendra à sa ressemblance, selon son image (Genèse, 5, 3); car on a déjà dit précédemment(2)Voy. ci-dessus, chap. I, p. 37. ce que signifie l’image d’Adam et sa ressemblance. C’est que tous les enfants qu’il avait eus auparavant ne possédaient pas (ce qui constitue) la forme humaine en réalité, qui est appelée l’image d’Adam et sa ressemblance, et à l’égard de laquelle il est dit (qu’il était créé) à l’image de Dieu et à sa ressemblance. Mais pour ce qui concerne Seth, (Adam) l’ayant instruit et lui ayant donné l’intelligence, de sorte qu’il arriva à la perfection humaine, il a été dit à son égard: Et il (Adam) engendra à sa ressemblance, selon son image. Tu sais que quiconque n’a pas obtenu cette forme dont nous avons expliqué le sens n’est pas un homme, mais un animal ayant la figure de l’homme et ses linéaments; mais il a la faculté que ne possèdent pas les autres animaux, de faire toute sorte de dommages et de produire les maux. Car la réflexion et la pensée qui, en lui, étaient destinées à lui faire obtenir une perfection qu’il n’a pas obtenue, il les emploie à toute sorte de ruses produisant les maux et à faire naître des dommages; il est donc, pour ainsi dire, quelque chose qui ressemble à l’homme ou qui le contrefait. Tels étaient les fils d’Adam antérieurs à Seth; c’est pourquoi on a dit dans le Midrasch(3)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Eroubîn, fol. 18 a; cf. Beréschîth rabba, sect. 20 et 24, où on dit la même chose dans des termes un peu différents.: «Adam, pendant les cent trente ans qu’il était réprouvé, engendrait des esprits», c’est-à-dire des démons; mais lorsqu’il eut obtenu sa grâce, il engendra ses semblables, je veux dire à sa ressemblance, selon son image. C’est là ce qui est exprimé par ces mots: Et Adam, ayant vécu cent trente ans, engendra à sa ressemblance, selon son image." ], [ "Makôm (מקום). — Ce nom est appliqué primitivement au lieu particulier et commun(1)C’est-à-dire, il s’applique tantôt à un lieu particulier (ἴδιος) ou à la place occupée par un corps particulier, tantôt à un lieu commun (ϰοινός) plus ou moins vaste et renfermant plusieurs lieux particuliers (comme, p. ex., la maison renfermant des habitations, la ville renfermant des maisons, le pays renfermant des villes et ainsi de suite), et enfin au lieu universel ou à l’espace en général. Cf. Aristote, Physique, l. IV, ch. II.; ensuite la langue lui a donné plus d’étendue et en a fait un nom désignant le degré et le rang d’une personne, je veux dire sa perfection dans une chose quelconque, de manière qu’on dit: Un tel est en tel lieu (מקום), dans telle chose (c’est-à-dire arrivé à tel degré). Tu connais le fréquent usage qu’on en fait dans notre langue en disant: Remplir la place (מקום) de ses pères, p. ex.: «Il remplissait la place de ses pères en science ou en piété», et en disant encore: «La discussion reste à la même place», c’est-à-dire au même degré. C’est par ce genre de métaphore qu’il a été dit: Que la gloire de l’Éternel soit louée en son lieu (Ézéch., 3, 12), c’est-à-dire selon le rang élevé qu’il occupe dans l’univers(2)Littéralement: selon son rang et sa haute dignité dans l’Ètre. Les mots ועטׄם חטׄה sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par ועוצם חלקו, et sa grande part; mais Ibn-Falaquera observe avec raison que le mot חטׄ n’a pas ici le sens de part, mais celui de כבוד, honneur, dignité; car on ne saurait dire de Dieu, créateur de tout l’univers, qu’il a une part dans ce qui est. Voy. l’appendice du Moré ha-Moré, p. 149.. Et de même chaque fois qu’on se sert du mot מקום (lieu), en parlant de Dieu, on ne veut dire autre chose, si ce n’est le rang de son existence, qui n’a pas de pareil ni de semblable, comme on le démontrera.", "Sache que toutes les fois que nous t’expliquons, dans ce traité, l’homonymie d’un certain nom, nous n’avons pas pour but seulement d’éveiller l’attention sur ce que nous mentionnons dans le chapitre même, mais nous voulons ouvrir une porte et attirer ton attention sur les divers sens du nom en question, qui sont utiles par rapport à notre but, et non pas par rapport au but de ceux qui parlent un langage vulgaire quelconque(1)L’auteur veut dire que, dans l’explication des mots, son but est uniquement d’en indiquer les divers sens philosophiques, et qu’il ne s’occupe pas des explications philologiques, ou des diverses acceptions des mots dans le langage vulgaire.. C’est à toi à examiner les livres prophétiques et les autres livres composés par les savants, à considérer tous les noms qui y sont employés et à prendre chaque nom homonyme dans l’un des sens qui puisse lui convenir par rapport au discours (où il se trouve). Ce que nous venons de dire est la clef de ce traité et d’autres (de nos écrits). ", "Ainsi, p. ex., (en considérant) l’explication que nous avons donnée ici du sens de makôm (מקום) dans le passage: Que la gloire de l’Éternel soit louée en son lieu, tu sauras que ce même sens est celui de makôm dans le passage: Voici un lieu (מקום) auprès de moi (Exode, 33, 21), c’est-à-dire un degré de spéculation, de pénétration au moyen de l’esprit, et non de pénétration au moyen de l’œil, en ayant égard en même temps à l’endroit de la montagne auquel il est fait allusion et où avait lieu l’isolement (de Moïse) pour obtenir la perfection." ], [ "Kissé (כסא) est employé primitivement dans la langue (hébraïque) comme nom du trône; et, comme le trône n’est occupé que par des gens d’illustration et de grandeur, comme les rois, et que, par conséquent, il est une chose visible(1)Littéralement: une chose existante; le mot מוגוד paraît ici avoir le sens de: existant d’une manière visible, sensible., indiquant la grandeur de celui qui en a été jugé digne, son illustration et sa haute position, le sanctuaire a été appelé Kissé (trône), parce qu’il indique la grandeur de celui qui s’y est manifesté et qui y a fait descendre sa lumière et sa gloire. Ainsi (le prophète) a dit: Un trône de gloire, élevé, depuis le commencement, etc. (Jérémie, 17, 12). C’est encore dans le même sens que le ciel a été appelé Kissé (trône); car pour celui qui le connaît(2)C’est-à-dire, qui en a une connaissance scientifique, qui connaît les sphères et leurs mouvements. et qui le contemple, il indique la grandeur de celui qui l’a fait exister, qui le met en mouvement, et qui, par le bien qu’il en fait émaner, régit le monde inférieur. On lit, p. ex.: Ainsi a dit l’Éternel, le ciel est mon trône (כסאי), etc. (Isaïe, 66, 1), c’est-à-dire il indique mon existence, ma grandeur et ma puissance, de même que le trône indique la grandeur de celui qui en a été jugé digne(3)Quelques uns des meilleurs mss. portent עלי עטׄים אהל לה, ce qui n’offre pas un sens bien satisfaisant; Ibn-Tibbon paraît avoir lu également עטׄים, mais ce passage est un peu corrompu dans sa version et offre des variantes dans les différents mss. et dans les éditions. Al-’Harizi traduit על גדולת מי שהוכן לו; on voit qu’il a lu עטׄם, mais il a mal rendu le mot . La leçon que nous avons adoptée (עלי עטׄם מן) est celle de trois mss.; un quatrième porte עלי עטׄמה̈ מן, ce qui est la même chose.. ", "C’est là ce que doivent croire ceux qui cherchent le vrai, et non pas qu’il y ait là un corps sur lequel Dieu s’élève; — combien il est élevé (au dessus d’une pareille pensée)!—Car il te sera démontré que le Très-Haut est incorporel, et comment pourrait-il prendre place ou se reposer sur un corps? Mais la chose est comme nous l’avons fait remarquer, savoir, que tout lieu que Dieu a anobli et distingué par sa lumière et son éclat, comme le sanctuaire ou le ciel, est appelé Kissé (trône).", "Si la langue a étendu l’usage de ce mot en disant: Car la main (est placée) sur le trône (כם) de Dieu (Exode, 17, 16)(1)L’auteur veut dire: Si on a parlé d’un trône de Dieu dans des passages où il n’est question ni du sanctuaire ni du ciel., c’est encore là une qualification de sa grandeur et de sa majesté, une chose qu’il ne faut pas se représenter comme étant en dehors de son essence, ni comme une de ses créatures, de sorte que Dieu existerait tantôt sans le trône et tantôt avec le trône. Ce serait là, sans doute, une croyance impie; car (le prophète) a dit clairement: Toi, Éternel, tu résides éternellement, ton trône (reste) de génération en génération (Lament., 5, 19), ce qui indique que (le trône) est une chose inséparable de lui. Ainsi donc, dans ce passage et dans tous les autres semblables, on veut désigner par כםא (trône) la majesté et la grandeur de Dieu, qui ne sont point quelque chose en dehors de son essence, comme on l’expliquera dans quelques chapitres de ce traité(2)Voir plus loin les chapitres qui traitent des attributs de Dieu.." ], [ "Nous avons déjà dit que toutes les fois que, dans ce traité, nous parlons d’un des noms homonymes, notre but n’est pas de mentionner tous les sens dans lesquels ce nom est employé, — car ce n’est pas ici un traité sur la langue; — mais nous mentionnons de ces divers sens ceux dont nous avons besoin pour notre but, pas autre chose.", "Du nombre de ces mots (homonymes) sont yarad (ירד) et ’alâ (עלה); car ces deux mots s’emploient dans la langue hébraïque dans le sens de descendre et de monter. Lorsqu’un corps se transporte d’un endroit vers un autre plus bas, on dit ירד (descendre), et lorsqu’il se transporte d’un endroit à un autre plus élevé que celui-là(1)Au lieu de מן דׄלך אלמוצׄע quelques manuscrits portent מנה; de même les deux versions hébraïques ממנו., on dit עלה (monter). Ensuite ces deux mots ont été appliqués métaphoriquement à l’illustration et à la grandeur; de sorte que, lorsque le rang d’un homme a été abaissé, on dit ירד (il est descendu), et lorsque son rang a été élevé en illustration, on dit עלה (il est monté). C’est ainsi que le Très-Haut a dit: L’étranger qui sera au milieu de toi montera (יעלה) de plus en plus haut au dessus de toi, et toi tu descendras (תרד) de plus en plus bas (Deutéron., 28, 43). On a dit encore (en employant des dérivés de עלה): Et l’Éternel ton Dieu te placera au dessus (עליון) de toutes les nations de la terre (Ibid., V. 1); et ailleurs: Et l’Éternel éleva Salomon très haut (למעלה) (I Chron., 29, 25). Tu sais aussi que les docteurs emploient souvent cette expression: «On doit faire monter les choses sacrées, mais non pas les faire descendre»(2)C’est-à-dire, il est loisible de donner aux choses sacrées un rang plus élevé; mais il n’est pas permis de les faire descendre plus bas. Ainsi, p. ex., on lit dans la Mischnâ (IIe partie, traité Schekalîm, chap. VI, § 4) que les pains de proposition, on les mettait d’abord sur une table de marbre et ensuite sur une table d’or; mais il n’aurait pas été permis de faire l’inverse. Une communauté peut vendre des terrains pour en employer le prix à bâtir une synagogue; de même, avec l’argent qu’on a reçu en vendant des exemplaires des Prophètes, on peut acheter des exemplaires du Pentateuque; mais il est interdit de faire le contraire (Ibid., traité Méghillâ, chap. III, § 1).. ", "On s’exprime encore de la même manière (en parlant de la pensée): lorsque la réflexion de l’homme s’abaisse et que sa pensée se tourne vers une chose très vile, on dit qu’il est descendu (ירד), et de même lorsque sa pensée se tourne vers quelque chose d’élevé et de sublime, on dit: il est monté (עלה) (3)Comme exemple de ce sens allégorique, l’auteur cite, à la fin du chapitre, les mots: Et Moïse monta vers Dieu.. ", "Or, comme nous nous trouvons, nous autres hommes, dans le lieu le plus infime de la création et au degré le plus bas par rapport à la sphère environnante(1)Par sphère environnante, l’auteur entend la sphère supérieure qui environne toutes les autres, et qui, selon lui, est désignée dans la Bible par le mot arabôth (ערבות). Voy. cette Ire partie, chap. LXX, et chap. LXXII au commencement; IIe partie, chap. VI et suiv., tandis que Dieu est au degré le plus élevé par la réalité de l’existence, la majesté et la grandeur, et non par une élévation de lieu, —le Très-Haut, ayant voulu faire venir de lui la connaissance et faire émaner la révélation sur quelques uns d’entre nous, a employé, en parlant de la révélation descendant sur le prophète et de l’entrée de la majesté divine dans un endroit, l’expression de descendre (ירד); et, en parlant de la cessation de cet état d’inspiration prophétique dans un individu ou de la majesté divine se retirant d’un endroit, il a employé l’expression de monter (עלה). ", "Ainsi donc, chaque fois que tu trouveras les expressions de descendre et de monter se rapportant au Créateur, elles ne peuvent être prises que dans ladite signification. ", "De même, lorsqu’il s’agit de l’arrivée d’une catastrophe dans une nation ou dans une contrée, en raison de l’éternelle volonté de Dieu,— où les livres prophétiques, avant de décrire cette calamité, disent d’abord que Dieu, après avoir visité les actions de ces gens, fit descendre sur eux le châtiment, — on emploie pour cela également l’expression de descendre; car l’homme est trop peu de chose pour que ses actions soient visitées, afin qu’il en subisse la peine, si ce n’était par la volonté (de Dieu)(2)On se sert ici, dit l’auteur, de l’expression de descendre pour indiquer que le châtiment vient de la suprême volonté divine; car on ne saurait admettre que Dieu décrète le châtiment uniquement par suite des mauvaises actions des hommes, ce qui supposerait que Dieu peut être influencé et changer de volonté. Sur le problème important de la prescience de Dieu et du libre arbitre de l’homme, on peut voir la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XVII et suiv.. Ceci a été clairement indiqué dans les livres prophétiques, où il est dit: Qu’est-ce que l’homme, pour que tu t’en souviennes, et le fils d’Adam, pour que tu le visites? etc. (Ps. 8, 5), ce qui est une allusion au sujet en question. ", "On a donc (dis-je) employé à cet égard l’expression de descendre; p. ex.: Eh bien, descendons (נרדה) et confondons là leur langage (Genèse, 11, 7); Et Dieu descendit (וירד) pour voir (Ibid., V. 5); Je veux descendre (ארדה) et voir (Ibid., 18, 21). Le sens de tout ceci est l’arrivée du châtiment aux gens d’ici-bas.", "Quant au sens précédent, je veux parler de celui de révélation (divine) et d’anoblissement, il se présente fréquemment; p. ex.: Je descendrai (וירדתי) et je te parlerai (Nombres, 11, 17); Et l’Éternel descendit (וירד) sur le mont Sinaï (Exode, 19, 20); L’Éternel descendra (ירד) devant les yeux de tout le peuple (Ibid., V. 11); Et Dieu remonta (ויעל) de dessus lui (Genèse, 35, 13); Et Dieu remonta (ויעל) de dessus Abraham (Ibid., 17, 22). ", "Quant à ces paroles: Et Moïse monta (עלה) vers Dieu (Exode, 19, 3), elles ont le troisième sens(1)Cest-à-dire, le sens d’une élévation de pensée, que l’auteur a mentionné en troisième lieu., tout en énonçant en même temps qu’il monta sur le sommet de la montagne sur laquelle descendit la lumière créée(2)C’est-à-dire, une lumière créée tout exprès pour représenter la majesté divine (שכינה). Voy. ci-après, chap. LXIV.; (mais elles ne signifient) nullement que Dieu le Très-Haut ait un lieu où l’on monte ou d’où l’on descende. Combien il est élevé au dessus de ces imaginations des ignorants!" ], [ "Yaschab (ישב). — L’acception primitive de ce mot dans notre langue est celle d’être assis; p. ex.: Et Élie le prêtre était assis (ישב) sur le siège (I Sam., 1, 9). Et, comme la personne assise se trouve établie dans l’état le plus parfait de repos et de stabilité, ce mot a été appliqué métaphoriquement à tout état stable et fixe qui ne change pas. C’est ainsi que, en promettant à Jérusalem à son plus haut degré (de prospérité) la durée et la stabilité, on s’est exprimé: Et elle sera élevée et assise (וישבה) à sa place (Zacharie, 14, 10). Et ailleurs il est dit: Il assied (מושיבי) la femme stérile dans la maison (Ps. 113, 9), ce qui signifie: il l’établit d’une manière stable(1)C’est-à-dire, Dieu, en lui donnant des enfants, lui assure une place stable dans la maison.. ", "C’est dans ce dernier sens qu’il a été dit de Dieu: Toi, Éternel, tu résides (תשב) éternellement (Lament.,5, 19); Toi qui résides (היושבי) dans le ciel (Ps. 123, 1); Celui qui réside (יושב) dans le ciel (Ps. 2, 4), c’est-à-dire celui qui est perpétuel et stable et qui n’est soumis à aucune espèce de changement, ni changement d’essence, ni changement par rapport à un état quelconque qui serait hors de son essence, ni enfin changement par rapport à sa relation avec autre chose; car il n’y a entre lui et les autres choses aucune relation telle qu’il puisse subir un changement dans cette relation, ainsi qu’on l’expliquera(2)Voy. ci-après, chap. LVI.. Et par là il est parfaitement établi qu’il ne peut pas changer du tout, de quelque manière que ce soit, comme il l’a clairement dit: Car moi, l’Éternel, je ne change pas (Malach., 3, 6), c’est-à-dire par nul changement(3)Tous les mss. portent תגירא; il faut prononcer et considérer ce mot comme un accusatif adverbial.; et c’est cette idée qui est exprimée par le verbe ישב (être assis) lorsqu’il est appliqué à Dieu. ", "Mais dans la plupart des passages on ne le met en rapport qu’avec le ciel, parce que le ciel est une chose dans laquelle il n’y a ni changement ni variation, je veux dire que ses individus(4)Par les individus du ciel, l’auteur entend les sphères célestes et les astres fixés dans ces sphères. Voy. cette Ire partie, chap. LXXII. ne sont pas sujets au changement comme le sont les individus dans les choses terrestres qui naissent et périssent(5)Les mots כאינאת אלארץׄ ופאםדיהא signifient la même chose que אמור אלארץׄ אלכאינה̈ אלפאםדה̈. L’auteur s’est exprimé d’une manière un peu irrégulière; au lieu de ופאםדיהא, il aurait dû dire ופאםדאתהא.—Les mots בון et פםאד sont des termes péripatéticiens, empruntés aux versions arabes d’Aristote, et correspondent aux mots grecs γένεσις et φθορά..", "De même, lorsque Dieu est mis dans cette relation [exprimé par homonymie(1)C’est-à-dire, par l’homonymie dont on parle dans ce chapitre.] avec les espèces des êtres soumis à la naissance et à la destruction, on dit également de lui qu’il est assis (יושב); car ces espèces sont perpétuelles, bien réglées et d’une existence stable comme celle des individus du ciel. Ainsi p. ex. on a dit: Celui qui est assis (היושב) au dessus du cercle de la terre (Jésaïe, 40, 22), ce qui veut dire celui qui est perpétuel et stable, au dessus du circuit de la terre, ou de son tour, en faisant allusion aux choses qui y naissent tour à tour(2)L’auteur joue sur le double sens du mot arabe דור (comme substantif et comme adverbe), et nous avons essayé de rendre ce jeu de mot en employant le mot tour. Ibn-Tibbon a employé pour l’adverbe le mot חלילה, pris dans le sens qu’il a dans l’expression חוזר חלילה, et de là il a formé, pour rendre le substantif דור, le mot חלילות. L’obscurité des deux mots employés par Ibn-Tibbon a fait que les copistes les ont souvent altérés, et les mss., ainsi que les éditions de la version hébraïque, présentent ici beaucoup de variations; il faut lire: אל םבוב הארץ ר״ל חלילותה רמוז לענינים ההוים בה חלילה. Al-’Harizi traduit par בהקפת הגלגל, par la révolution de la sphère, ce qui est un contre-sens.; ", "et on a dit encore: L’Éternel était assis (ישב) au déluge (Ps. 29, 10), c’est-à-dire, lorsque les choses de la terre changèrent et périrent, il n’y eut point dans Dieu de changement de relation, mais cette relation qu’il a avec la chose(3)Le mot אליה est mis pour אלי שי. Ibn-Tibbon a paraphrasé le mot אליה par אל כל אחד מן הענינים ההם; Al-’Harizi a encore ici fait un contre-sens en rapportant le suffixe dans אליה à, Dieu, et en traduisant ce mot par אליו לא לזולתו., que celle-ci naisse ou périsse, est une seule relation stable et fixe; car c’est une relation aux espèces des êtres, et non pas à leurs individus. Fais bien attention que toutes les fois que tu trouveras l’expression d’être assis (ישב) appliquée à Dieu, ce sera dans le sens en question." ], [ "Koum (קום) est un homonyme, et l’une de ses significations(1)Quelques commentateurs se demandent pourquoi l’auteur, en parlant du sens propre et matériel du verbe קום, a dit: l’une de ses significations, au lieu de dire: sa signification primitive, ou: il signifie primitivement, comme il le fait ordinairement dans l’explication des homonymes. Mais ils n’ont pas réfléchi que le sens primitif du verbe קום est se lever, tandis que les explications de l’auteur se rapportent à une autre signification du même verbe, celle d’être debout; c’est ce dernier sens qu’il donne au verbe קום dans les passages bibliques qu’il va citer. On ne s’étonnera donc plus, avec le commentateur Schem–Tob, que l’auteur, au lieu de citer des passages du Pentateuque, soit allé chercher un exemple du sens propre dans le livre d’Esther; dans les exemples proposés par Schem-Tob, savoir: ויקם אברהם (Genèse, 23, 3), ויקם פרעה (Exode, 12, 30), le verbe קום signifie se lever, tandis que dans le passage d’Esther il peut se traduire par être debout. Al-’Harizi a fait un contre-sens en traduisant וענינו לקום היושב ממקומו; en faisant ressortir le sens de se lever, il ne s’est pas rendu compte de l’intention de l’auteur, et il en a même altéré les paroles. Ibn-Tibbon a traduit littéralement ואחד מעניניו הקימה, en prenant קימה dans le sens du mot arabe קיאם, être debout. Au lieu de מעניני, que portent les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire מעניניו, comme on le trouve dans les mss. est être debout, opposé à être assis; p. ex.: Et il ne se tint pas debout (ולא קם) et ne se dérangea pas devant lui (Esther, 5, 9). Il renferme aussi le sens de stabilité et d’affermissement, ou confirmation; p. ex.: Puisse l’Éternel confirmer (יקם) sa parole (I Sam., 1, 23); Et le champ d’Éphron resta acquis (ויקם) (Genèse, 23, 17); La maison qui est dans la ville restera acquise (וקם) (Lévit., 25, 30); Et le règne d’Israël restera (וקמה) en ta main (I Sam., 24, 21). C’est toujours dans ce sens que le mot קום se dit de Dieu; p. ex.: Maintenant je serai debout (אקום), dit l’Éternel (Ps. 12, 6; Isaïe, 33, 10), ce qui veut dire, maintenant je confirmerai mon ordre, ma promesse et ma menace; Toi, tu seras debout (תקום), tu auras pitié de Sion (Ps. 114, 14), c’est-à-dire, tu confirmeras la promesse de commisération que tu lui as faite. ", "Et, comme celui qui est décidé à faire une chose est attiré vers l’action en se tenant debout, on dit de quiconque se sent excité à une chose qu’il est debout; p. ex.: Car mon fils a excité (הקים, a mis debout) mon serviteur contre moi (I Sam., 22, 8). Cette dernière signification s’applique aussi métaphoriquement à l’exécution du décret de destruction prononcé par Dieu contre des gens qui ont mérité le châtiment; p. ex.: Et je me tiendrai debout (וקמתי) contre la maison de Jéroboam (Amos, 7, 9); Et il se tiendra debout (וקם) contre la maison des malfaisants (Isaïe, 21, 2). Il se peut que les mots: «Maintenant je me tiendrai debout» (cités plus haut) aient ce même sens; de même ces mots: «Tu seras debout, tu auras pitié de Sion», c’est-à-dire, tu te lèveras contre ses ennemis.", "C’est ce sens qui est exprimé dans beaucoup de passages, et il ne saurait être question là(1)Par le mot תׄם, , l’auteur veut dire auprès de Dieu, en parlant de Dieu. d’être debout ou d’être assis, ce qui serait indigne de la divinité(2)Littéralement: Qu’il (Dieu) soit exalté! Au lieu de l’expression elliptique תעאלי, l’un des mss. de Leyde porte תעאלי אללה ען דׄלך, que Dieu soit exalté au dessus de cela, ce qui paraît être une glose, entrée plus tard dans le texte.. «Là-haut, disent les docteurs(3)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, fol. 15 a; on voit que Maïmonide admet dans ce passage le mot עמידה, que les éditeurs du Talmud ont effacé pour se conformer à l’opinion de Raschi. Cf. Samuel Yaphé, Yephé mareh, au commencement du traité Berakhôth., il n’est question ni d’être assis (ישיבה), ni d’être debout (עמידה)»; car ’amad (עמד) s’emploie dans le sens de kâm (קם)." ], [ "’Amad (עמד) est un homonyme qui a (d’abord) le sens d’être debout, se tenir debout; p. ex.: Lorsqu’il se tint (בעמדו) devant Pharaon (Genèse, 41, 46); Quand Moïse et Samuel se tiendraient (יעמד) devant moi (Jérémie, 15, 1); Et il se tint (עמד) auprès d’eux (Genèse, 18, 8). Il a (ensuite) le sens de s’abstenir, s’arrêter (cesser); p. ex.: Car ils se sont abstenus (עמדו) et n’ont plus répondu (Job, 32, 16); Et elle cessa (ותעמד) d’enfanter (Genèse, 29, 35). Il a aussi le sens d’être stable, durer (se conserver, subsister); p. ex.: Afin qu’ils se conservent (יעמדו) long-temps (Jérémie, 32, 14); Tu pourras subsister (עמוד) (Exode, 18, 23); Sa saveur est restée (עמד) en lui (Jérémie, 48, 11), elle a continué à subsister et à se conserver; Et sa justice subsiste (עומדת) toujours (Ps. 111, 3), elle est stable et permanente. Toutes les fois que le verbe עמד est appliqué à Dieu, c’est dans ce dernier sens; p. ex.: Et ses pieds se tiendront (ועמדו), en ce jour, sur la montagne des Oliviers (Zacharie, 14, 4), ses causes, je veux dire les (événements) causés par lui subsisteront, se confirmeront. Ceci sera encore expliqué quand nous parlerons de l’homonymie du mot רגל (pied)(1)Voy. ci-après, chap. XXVIII.. C’est dans ce sens aussi qu’il faut prendre les paroles de Dieu adressées à Moïse(2)Les mots קולה לה תעאלי sont pour קולה תעאלי למשה.: Et toi, tiens-toi (עמד) ici, auprès de moi (Deutér., 5, 28), et (ces paroles de Moïse): Je me tenais (אנכי עמד) entre l’Éternel et vous (Ibid., V. 5)(3)L’auteur n’explique pas clairement sa pensée; selon les commentateurs, Maïmonide veut dire que le verbe עמד, dans les deux derniers passages, s’applique à la partie stable et permanente de Moïse, c’est-à-dire à son âme intellectuelle, et à l’union de celle-ci avec l’intellect actif et avec Dieu.." ], [ "Pour ce qui est de l’homonymie du mot Adam (אדם), c’est d’abord le nom du premier homme, nom dérivé(1)Le premier משתק se trouve dans tous les mss.; il n’a pas été rendu dans la version d’Ibn-Tibbon., qui, selon le texte (de l’Écriture), vient de adamâ (אדמה, terre)(2)Maïmonide, ainsi que d’autres commentateurs, trouve l’indication de cette étymologie dans la Genèse, chap. 2, V. 7, et ch. III, V. 23.; ensuite c’est le nom de l’espèce; p. ex.: Mon esprit ne plaidera plus avec l’homme (באדם) (Genèse, 6, 3); Qui sait si l’esprit des hommes (בני האדם), etc. (Ecclésiaste, 3, 21); L’avantage de l’homme (האדם) sur la bête n’est rien (Ibid., V. 19). C’est aussi un nom pour (désigner) la multitude, je veux dire le vulgaire à l’exclusion des gens distingués; p. ex.: Aussi bien les hommes vulgaires (בני אדם) que les hommes distingués (Ps. 49, 3). ", "Dans ce troisième sens (il se trouve aussi dans les versets suivants): Et les fils des Élohîm(3)Sur les différentes acceptions du mot Élohîm (אלהים), voy. le ch. II, au commencement. virent les filles de L’HOMME (Genèse, 6, 2); Vraiment, vous mourrez comme L’HOMME vulgaire (Ps.82,7)." ], [ "Naçab (נצב) ou yaçab (יצב). — Quoique ces deux racines soient différentes, elles ont, comme tu sais, le même sens dans toutes leurs formes de conjugaison. ", "C’est un homonyme qui tantôt a le sens de se tenir debout, se dresser; p. ex.: Et sa sœur se tenait debout (ותתצב) de loin (Exode, 2, 4); Les rois de la terre se redressent (יתיצבו) (Ps. II. 2); …. sortirent, se plaçant debout (נצבים) (Nombres, 16, 27); tantôt celui d’être stable, permanent; p. ex.: Ta parole est debout (נצב) dans le ciel (Ps. 119, 89), c’est-à-dire stable et permanente. ", "Toutes les fois que ce mot est employé par rapport au Créateur, il a ce dernier sens; p. ex.: Et voici l’Éternel se tenant (נצב) au dessus (Genèse, 28, 13), étant stable et permanent au dessus d’elle, c’est-à-dire au dessus de l’échelle dont une extrémité est dans le ciel et l’autre sur la terre, et où s’élancent(1)Le mot יתםלק qui se trouve dans tous les mss. n’a pas été rendu dans la version d’Ibn-Tibbon. et montent tous ceux qui montent, afin de percevoir celui qui est dessus nécessairement(2)L’adverbe צׄרורה̈ ne se rapporte pas à ידרך, mais à מן עליה; le sens est: celui qui est nécessairement en haut, l’Être absolu et nécessaire.; car il est stable et permanent sur la tête de l’échelle. ", "Il est clair du reste que, si je dis ici au dessus d’elle, c’est par rapport à l’allégorie qu’on a employée(3)L’auteur veut dire que, en rendant le mot עליו par au dessus d’elle, et en plaçant Dieu en quelque sorte dans un rapport local et matériel avec l’échelle, il n’a fait que mettre ce mot en harmonie avec le sens littéral du passage, sans avoir égard à l’allégorie qui y est contenue; car la tête de l’échelle signifie la sphère supérieure mise en mouvement par le premier moteur, ou Dieu, qui est dit allégoriquement se tenir au dessus d’elle. Voy. le ch. LXX de cette Ire partie.. Les messagers de Dieu sont les prophètes(4)Il faut, dit l’auteur, prendre ici le mot מלאך (ange) dans son sens primitif de messager., ainsi appelés clairement (dans ces passages): Et il envoya un messager (Nombres, 20, 16); Et un messager de l’Éternel monta de Guilgal à Bokhîm (Juges, 2, 1). Et combien on s’est exprimé avec justesse en disant montaient et descendaient, (je veux dire en mettant) le verbe monter avant le verbe descendre! car (le prophète), après être monté et avoir atteint certains degrés de l’échelle, descend ensuite avec ce qu’il a appris pour guider les habitants de la terre et les instruire, ce qui est désigné par le verbe descendre, comme nous l’avons expliqué(1)Voy. ci-dessus, ch. X..", "Je reviens à notre sujet, savoir que (dans le passage en question), נצב signifie stable, perpétuel, permanent, et non pas être debout comme un corps. Dans le même sens aussi (il faut expliquer ce passage): Et tu te tiendras debout (ונצבת) sur le rocher (Exode, 33, 21)(2)L’auteur voit dans ce passage une allusion à la perpétuelle contemplation de Dieu par Moïse. Voy. le ch. suiv. sur le mot צור.; car tu as déjà compris que naçab (נצב) et ’amad (עמד) ont à ce sujet le même sens(3)C’est-à-dire que les deux verbes s’emploient au figuré lorsqu’il s’agit de quelque chose de stable et d’impérissable., et en effet Dieu a dit: Voici, je vais me tenir (עומד) là devant toi sur le rocher, à Horeb (Ibid., 17, 6)(4)Par ce dernier exemple, l’auteur veut montrer que le verbe ’amad, mis en rapport avec le substantif צור, rocher, forme une allégorie représentant la permanence de l’action de Dieu dans l’univers et de son inspiration se communiquant à Moïse; il infère de là que, dans le verset cité précédemment, le mot naçab, mis en rapport avec le même substantif, doit former une allégorie analogue. Ici c’est l’esprit de Dieu qui pénètre Moïse, là c’est l’intelligence de Moïse s’unissant avec Dieu par la contemplation.." ], [ "Çour (צור) est un homonyme qui signifie d’abord rocher(5)Littéralement: montagne. Par montagne l’auteur semble désigner ici un rocher élevé, une montagne formée par un rocher; s’il ne le dit pas explicitement, c’est qu’il croit suffisamment se faire comprendre par l’exemple qu’il cite.; p. ex.: Tu frapperas le rocher (צור) (Exode, 17, 6), ensuite (en général) pierre dure, comme le caillou; p. ex.: Des couteaux de pierre (צורים) (Josué, 5, 2); enfin c’est le nom de la mine dans laquelle on taille le minerai; p. ex.: Regardez vers le roc (ou la mine, צור) d’où vous avez été taillés (Isaïe, 51, 1). Dans le dernier sens ce nom a été employé au figuré pour (désigner) la souche et le principe de toute chose; c’est pourquoi (le prophète), après avoir dit: Regardez vers le roc d’où vous avez été taillés ajoute: Regardez vers Abraham, votre père, etc. (Ibid., V. 2), comme s’il s’expliquait en disant: «Le roc d’où vous avez été taillés est Abraham, votre père; vous devez donc marcher sur ses traces, embrasser sa religion et adopter ses mœurs; car il faut que la nature de la mine se retrouve dans ce qui en a été extrait.»", "C’est par rapport à ce dernier sens que Dieu a été appelé צור (roc); car il est le principe et la cause efficiente de tout ce qui est hors de lui. Il a été dit, p. ex.: Le roc! (הצור) son œuvre est parfaite (Deutér., 32, 4); Tu oublies le roc qui t’a enfanté (Ibid., V. 18); Leur roc (צורם) les a vendus (Ibid., V. 30); Et il n’y a pas de roc comme notre Dieu (I Sam., 2, 2); Le rocher éternel (Isaïe, 26, 4). (De même les mots): Et tu te tiendras debout sur le rocher (Exode, 33, 21) (signifient): «Appuie-toi et insiste sur cette considération, que Dieu est le principe (de toute chose), car c’est là l’entrée par laquelle tu arriveras jusqu’à lui», comme nous l’avons expliqué au sujet des mots(1)Voy. ci-dessus, ch. VIII. Le mot לח, qui se rapporte à Moïse, manque dans plusieurs mss., ainsi que dans les deux versions hébraïques.: Voici un endroit auprès de moi (Ibid.)." ], [ "Il ne faut pas croire que ce soit de la science métaphysique seule qu’on ait été avare(2)Tous les mss. sans exception portent אלמטׄנון (avec teth), mais le sens de la phrase demande אלמצׄנון. La substitution du טׄ au צׄ est une faute d’orthographe très fréquente dans les mss. envers le vulgaire, car il en a été de même de la plus grande partie de la science physique(1)L’auteur venant d’expliquer le mot צור dans le sens de principe des choses, ce qui touche à la physique, croit devoir rappeler que les sujets de la physique ont été, aussi bien que ceux de la métaphysique, présentés par des métaphores. Tel paraît être le but de ce petit chapitre, par lequel l’auteur interrompt ses explications des mots homonymes., et nous avons déjà cité à différentes reprises ces paroles: «Ni (on n’interprétera) le Ma’asé beréschîth devant deux personnes»(2)L’auteur dit dans différents endroits de ses ouvrages talmudiques et dans l’introduction du présent ouvrage que le Ma’assé beréschîth est la physique. Voir ci-dessus, p. 9 et 10.. Cela (se faisait) non seulement chez les théologiens(3)Littéralement: chez les gens de la Loi ou de la religion révélée; l’auteur entend par אהל אלשריעה̈ les docteurs de toutes les sectes religieuses., mais aussi chez les philosophes; et les savants païens de l’antiquité s’exprimaient sur les principes des choses d’une manière obscure et énigmatique. C’est ainsi que Platon et d’autres avant lui appelaient la matière la femelle, et la forme le mâle(4)Les expressions de mâle et de femelle qu’on rencontre ça et là chez les Néoplatoniciens et les Gnostiques ne sont pas précisément celles dont se sert Platon. Celui-ci emploie entre autres, pour désigner la matière, les mots nourrice (τιθ̇ηνη), mère, etc., tandis que la forme, c’est-à-dire le principe intelligent ou la raison (λόγος), est présentée par lui comme le père de l’univers. Voy. le Timée, p. 49 a, 28 a et passim. — Ibn-Rosch attribue également à Platon la dénomination de la matière et de la forme par les mots femelle et mâle. Dans son Abrégé de l’Organon (vers la fin du livre de la Démonstration, correspondant aux Derniers Analytiques), en parlant de l’inconvénient que présentent les figures et les images employées dans le raisonnement philosophique, il cite pour exemple Platon, qui dit de la matière qu’elle est la femelle, et de la forme qu’elle est le mâle, assertion qui est loin de faire comprendre l’essence de la matière. Le passage qui suit (depuis les mots ואנת תעלם jusqu’aux mots פי אלעלם אלטביעי) paraît être une parenthèse, n’ayant d’autre but que de justifier l’image employée par Platon.. ", "[Tu sais que les principes des êtres qui naissent et périssent sont au nombre de trois: la matière, la forme et la privation particulière(1)C’est-à-dire la privation considérée par rapport à une forme déterminée., qui est toujours jointe à la matière; car, si cette dernière n’était pas accompagnée de la privation, il ne lui surviendrait pas de forme, et de cette manière la privation fait partie des principes. Lorsque la forme arrive, cette privation (particulière), je veux dire la privation de cette forme survenue, cesse, et il se joint (à la matière) une autre privation, et ainsi de suite, comme cela est expliqué dans la physique(2)Voy. la physique d’Aristote, l. I, ch. 6 et 7. Cf. רוח חן, ch. 9.]. ", "Si donc ceux-là, qui n’avaient rien à perdre en s’expliquant clairement, se sont servis, dans l’enseignement, de noms pris au figuré et ont employé des images, à plus forte raison faut-il que nous autres, hommes de la religion, nous évitions de dire clairement des choses dont l’intelligence est difficile(3)Le verbe , qui signifie être éloigné, écarté, et se construit avec la préposition ען, est ici employé par l’auteur dans le sens de (être difficile) et construit comme ce dernier verbe. pour le vulgaire, ou (à l’égard desquelles) il se figure la vérité dans le sens contraire à celui que nous avons en vue(4)La leçon אלמראד בנא que nous avons adoptée s’appuie sur six mss. de la bibliothèque Bodléienne; les deux mss. de Leyde portent: בה au lieu de בנא.. Il faut aussi te pénétrer de cela." ], [ "Karab (קרב), naga’ (נגע) et nagasch (נגש). — Ces trois mots ont tantôt le sens d’aborder (toucher), s’approcher dans l’espace, tantôt ils expriment la réunion de la science avec la chose sue, (réunion) que l’on compare en quelque sorte à un corps s’approchant d’un autre corps. — Quant au sens primitif de karab, qui est celui du rapprochement dans l’espace (en voici des exemples): Lorsqu’il s’approcha (קרב) du camp (Exode, 32, 19); Et Pharaon s’approcha (הקריב) (Ibid., 14, 10). Naga’ exprime primitivement la mise en contact d’un corps avec un autre; p. ex.: Elle en toucha (ותנע) ses pieds (Ibid., 4, 25); Il en toucha (ויגע) ma bouche (Isaïe, 6, 7). Le sens primitif de nagasch est s’avancer vers une personne, se mouvoir vers elle; p. ex.: Et Juda s’avança (ויגש) vers lui (Genèse, 44, 18). ", "— Le deuxième sens de ces trois mots exprime une union par la science, un rapprochement par la perception, et non pas un rapprochement local. On a employé naga’ (נגע) dans le sens de l’union par la science en disant: Car son jugement a touché (נגע) jusqu’au ciel(1)C’est-à-dire son jugement est arrivé devant Dieu, qui a eu connaissance des péchés de Babel et a décrété son châtiment. (Jérémie, 51, 9). On a dit, en employant karab (קרב): Et la cause qui sera trop difficile pour vous, vous la présenterez (תקריבון) à moi (Deutér., 1, 17), c’est-à-dire vous me la ferez savoir; on a donc employé (ce verbe) dans le sens de: faire savoir ce qui doit être su. On a dit, en employant nagasch (נגש): Et Abraham s’avança (ויגש) et dit (Genèse, 18, 23); car celui-ci était alors dans un état de vision et d’assoupissement prophétique, comme on l’expliquera(2)Voir cette Ire partie, ch. XXI, et IIe partie, ch. XLI.. (Ailleurs il est dit): Puisque ce peuple, en m’abordant (נגש), m’a honoré de sa bouche et de ses lèvres (Isaïe, 29, 13).", "Toutes les fois qu’on rencontre dans les livres prophétiques l’expression de karab ou de nagasch (s’appliquant à un rapport) entre Dieu et une créature quelconque, c’est toujours dans ce dernier sens; car Dieu n’est pas un corps, ainsi qu’on te le démontrera dans ce traité, et par conséquent lui, le Très-Haut, n’aborde rien, ni ne s’approche de rien, et aucune chose ne s’approche de lui ni ne l’aborde; car, en écartant la corporéité, on écarte l’espace, et il ne peut être question de rapprochement, d’accès, d’éloignement, de réunion, de séparation, de contact ou de succession. ", "Je ne pense pas que tu aies un doute (à cet égard), et il n’y aura rien d’obscur pour toi dans ces passages: L’Éternel est près de tous ceux qui l’invoquent (Ps. 145, 18); Ils désirent s’approcher de Dieu (Isaïe, 58, 2); M’approcher de Dieu, c’est mon bonheur (Ps. 73, 28); car dans tous ces passages il s’agit d’un rapprochement par la science, je veux dire d’une perception scientifique, et non d’un rapprochement local. Il en est de même dans ces passages: (Dieu) près de lui (Deutéron., 4, 7); Approche-toi et écoute (Ibid., 5, 27); Et Moïse s’avancera seul vers l’Éternel, mais eux ne s’avanceront pas (Exode, 24, 2). ", "Cependant, si tu veux entendre par le mot ונגש, s’avancera, appliqué à Moïse, qu’il pouvait s’approcher de cet endroit de la montagne où descendait la lumière, je veux dire la gloire de l’Éternel, tu en es libre; seulement il faut t’en tenir à ce principe que, n’importe que l’individu soit dans le centre de la terre ou au sommet de la neuvième sphère(1)C’est-à-dire de la sphère la plus élevée. Sur le nombre des sphères, voy. le ch. IV de la IIe partie de cet ouvrage., — si cela était possible, — il n’est pas ici plus éloigné de Dieu, et là il n’en est pas plus rapproché; mais on est près de Dieu en le percevant, et celui qui l’ignore est loin de lui. Il y a à cet égard dans le approchement et dans l’éloignement une grande variété de gradations(2)Littéralement: une très grande lutte réciproque de supériorité.; dans l’un des chapitres de ce traité(3)Voy. ce que l’auteur dit au sujet des attributs négatifs au chap. LX de cette Ire partie. j’expliquerai quelle est cette supériorité relative dans la perception (de la divinité). ", "— Quant à ces paroles: Touche les montagnes, et qu’elles fument (Ps. 144, 5), on veut dire par là; Fais-leur parvenir ton ordre (ce qui, à son tour, doit s’entendre) métaphoriquement; de même les mots: Et touche sa personne (Job, 2, 5) signifient: Fais descendre ton fléau sur lui. ", "C’est ainsi que, dans chaque passage, tu dois considérer le verbe נגע (toucher), ainsi que ses formes dérivées, conformément à l’ensemble: on exprime par ce verbe tantôt le contact d’un corps avec un autre, tantôt l’union par la science et la perception de quelque chose; car celui qui perçoit la chose qu’il n’avait pas perçue auparavant s’approche, pour ainsi dire, d’une chose qui était loin de lui. Il faut bien comprendre cela." ], [ "Malé (מלא). — C’est un mot homonyme que les gens de la langue (hébraïque) emploient (en parlant) d’un corps entrant dans un autre corps, de manière à le remplir; p. ex.: Et elle remplit (ותמלא) sa cruche (Genèse, 24, 16); Un plein (מלא) Omer (Exode, 16, 32, 33)(1)Nous avons imprimé dans le texte מלא העמר לאחד (un plein Omer pour chacun), comme le portent presque tous les mss. arabes et hébreux que nous avons eus sous les yeux, quoique la citation soit inexacte. C’est une erreur de mémoire qu’il faut sans doute faire remon ter à l’auteur lui-même. Voir les commentaires de Joseph Caspi et d’Éphodi.; et cela est fréquent. On l’emploie aussi dans le sens de fin et d’accomplissement d’un temps déterminé; p. ex.: Et quand ses jours furent accomplis (וימלאו) (Genèse, 25, 24); Et lorsque ses quarante jours furent accomplis (Ibid., 50, 3). On l’emploie ensuite pour désigner la perfection et le plus haut degré dans le mérite; p. ex.: Et rempli (ומלאׁ) de la bénédiction de l’Éternel (Deutér., 33, 25); Il les a remplis (מלא) de sagesse de cœur (Exode, 35, 35); Et il était rempli (וימלא) de sagesse, d’intelligence et de connaissance (I Rois, 7, 14). ", "— C’est dans ce sens qu’il a été dit: Toute la terre est remplie de sa gloire (Isaïe, 6, 3), ce qui signifie: Toute la terre témoigne de sa perfection, c’est-à-dire elle le montre (partout). Il en est de même des mots: Et la gloire de l’Éternel remplit (מלא) la demeure (Exode, 40, 34). Toutes les fois que tu trouves le verbe מלא, remplir, attribué à Dieu, c’est dans ce même sens, et on ne veut point dire qu’il y ait là un corps remplissant un espace. Cependant, si tu veux admettre que gloire de l’Éternel signifie la lumière créée(1)Voyez ci-dessus, chap. X, page 58, note 2., qui partout est appelée gloire, et que c’est elle qui remplissait la demeure, il n’y a pas de mal à cela." ], [ "Râm (רם) est un homonyme pour désigner l’élévation du lieu, ainsi que l’élévation du rang, je veux dire la majesté, la noblesse et la puissance; on lit, p. ex.: Et l’arche(2)Presque tous les mss., tant arabes qu’hébreux, portent: ותרם התבה מעל הארץ; le mot התבה ne se trouve pas dans le passage que l’auteur avait en vue. Ici encore nous avons cru devoir reproduire, dans notre texte arabe, la citation telle qu’elle paraît avoir été faite de mémoire par l’auteur lui-même, bien qu’elle soit inexacte. s’éleva (ותרם) de dessus la terre (Genèse, 7, 17), ce qui est du premier sens; dans le deuxième sens, on lit, p. ex.: J’ai élevé (הרימותי) l’élu d’entre le peuple (Ps. 89, 20); Puisque je t’ai élevé (הרימותיך) de la poussière (I Rois, 16, 2)(3)La citation מתוך העפר qu’on trouve dans les mss. ar., ainsi que dans les deux versions hébraïques, est inexacte; il faut lire: מן העפר.; Puisque je t’ai élevé (הרימותיך) du milieu du peuple (Ibid., 14, 7). ", "Toutes les fois que le verbe râm (רם) s’applique à Dieu, il est pris dans ce deuxième sens; p. ex.: Élève-toi (רומה) sur le ciel, ô Dieu (Ps. 57, 6).", "De même nasâ (נשׂא) a le sens d’élévation de lieu et celui d’élévation de rang et d’agrandissement en dignité(4)Sur le sens du mot חטׄ, voyez ci-dessus, ch. VIII, p. 52, note 2.; on lit, p. ex., dans le premier sens: Et ils portèrent (וישׂאו) leur blé sur leurs ânes (Genèse, 42, 26), et il y a beaucoup d’autres passages (où le verbe נשׂא est pris) dans le sens de porter et de transporter, parce qu’il y a là une élévation locale. Dans le deuxième sens on lit: Et son royaume sera élevé (ותנשׂא) (Nomb., 24, 7); Et il les a portés et les a élevés (וינשׂאם) (Isaïe. 63, 9); Et pourquoi vous élevez-vous (תתנשׂאו) (Nomb., 16, 3)? ", "— Toutes les fois que le verbe nasâ (נשׂא) se trouve appliqué à Dieu, il est pris dans ce dernier sens; p. ex.: Élève-toi (הנשׂא), ô juge de la terre (Ps. 94, 2) ! Ainsi a dit celui qui est haut et élevé (ונשׂא) (Isaïe, 57, 15), (où il s’agit) d’élévation, de majesté(1)Nous avons écrit, dans notre texte arabe, וׂגלאלה̈ avec ו, comme l’ont la plupart des mss.; quelques uns portent רפעה̈ גׁלאלה̈, ce qu’il faudrait traduire par élévation en fait de majesté. Ibn-Tibbon paraît avoir lu רפעה̈ מנזלה̈ וׂגלאלה̈ ועזה̈, comme on le lit immédiatement après. et de puissance, et non de hauteur locale. ", "Peut-être trouveras-tu une difficulté dans ce que je dis: élévation de rang, de majesté et de puissance; comment, me diras-tu, peux-tu rattacher plusieurs idées à un seul et même sens(2)C’est-à-dire à un mot qui ne devrait avoir qu’un seul sens bien déterminé, surtout lorsqu’il s’applique à Dieu. L’auteur répond ici, une fois pour toutes, à une objection qu’on pourrait faire aussi au sujet des explications qu’il donne de beaucoup d’autres homonymes, et il renvoie aux chapitres où il parlera des attributs de Dieu, qui, quelque nombreux qu’ils soient dans le langage biblique, n’expriment toujours qu’une seule chose, l’essence divine.? Mais on t’expliquera (plus loin) que Dieu, le Très-Haut, pour les hommes parfaits qui saisissent (son être), ne saurait être qualifié par plusieurs attributs, et que tous ces nombreux attributs qui indiquent la glorification, la puissance, le pouvoir, la perfection, la bonté, etc., reviennent tous à une seule chose, et cette chose c’est l’essence divine, et non pas quelque chose qui serait hors de cette essence. ", "Tu auras plus loin des chapitres sur les noms et les attributs (de Dieu); le but du présent chapitre est uniquement (de montrer) que les mots râm (רם) et nissa (נשׂא) (appliqués à Dieu) doivent être entendus dans le sens, non pas d’une élévation locale, mais d’une élévation de rang." ], [ "’Abar (עבר) signifie primitivement la même chose que le verbe ’abara en arabe, et se dit d’un corps qui se transporte dans l’espace. Il désigne d’abord(1)Les mots מענאה אלאול signifient l’idée primitive exprimée par le verbe; par les mots מׄתאלה אלאול, l’auteur désigne le sens principal, dans lequel le verbe est ordinairement employé. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, ces derniers mots sont rendus par ועקר הנחתו; il vaut mieux lire ודמיונו הראשון, comme l’ont plusieurs mss. le mouvement de l’animal à une certaine distance directe; p. ex.: Et il passa (עבר) devant eux (Genèse, 33, 3); Passe (עבׄר) devant le peuple (Exode, 17, 5); et cela est fréquent. Ensuite on l’a employé au figuré pour (exprimer) la propagation des sons dans l’air; p. ex.: Ils publièrent (ויעבירו קול) dans le camp (Exode, 36, 6); (Le bruit) que j’entends répandre (מעבירים) au peuple de Dieu (I Sam., 2, 24). ", "On l’a encore employé pour (désigner) l’arrivée de la lumière et de la majesté divine que les prophètes voyaient dans une vision prophétique; p. ex.: Et voici un four fumant, et une flamme de feu qui passa (עבר) entre ces morceaux (Genèse, 15, 17), ce qui eut lieu dans une vision prophétique; car on dit au commencement du récit (v. 12): Et un profond sommeil tomba sur Abrâm, etc. C’est conformément à cette métaphore qu’il faut entendre ces mots: Et je passerai (ועברתי) par le pays d’Égypte (Exode, 12, 12), et tout autre passage analogue. ", "On l’emploie aussi quelquefois (en parlant) de quelqu’un qui, en faisant une action quelconque, l’exagère et dépasse la limite (convenable); p. ex.: Et comme un homme qu’a surmonté (עברו) le vin(2)L’auteur, en choisissant cet exemple, a négligé le sens grammatical du passage, car le sujet du verbe עברו est יין (le vin); mais il considérait les paroles citées comme équivalentes à celles-ci: et comme un homme qui a bu du vin outre mesure. (Jérémie, 23, 9). ", "Parfois aussi on l’emploie (en parlant) de quelqu’un qui passe(1)Tous les mss. portent תׄכטי, ce qu’il faut prononcer , comme Ve forme de la racine signifiant: faire des pas, avancer, passer devant. Ibn-Tibbon a traduit שיחטיא, prenant תׄכטי dans le sens de תׄכטא , manquer le but. Quoique rien ne soit plus commun dans les mss. que de confondre les verbes hamzés avec les verbes à lettres quiescentes, chose qui se fait aussi dans l’arabe vulgaire, il nous a semblé plus conforme à l’ensemble de tout ce qui suit de prendre תכטי dans le sens de: passer devant, passer par dessus. devant un but (qu’il avait en vue), et se dirige vers un autre but et un autre terme; p. ex.: Et il tira la flèche pour la faire passer au delà (להעבירו) (I Sam., 20, 36). C’est conformément à ce sens figuré qu’il faut, selon moi, entendre ces paroles: Et l’Éternel passa (ויעבר) devant sa face (Exode, 34, 6), le pronom dans פניו, sa face, se rapportant à Dieu. C’est là aussi ce qu’ont admis les docteurs, savoir, que פניו (sa face) se rapporte à Dieu(2)L’auteur paraît faire allusion à un passage du traité talmudique Rôsch ha-schanâ (fol. 17 b), où Rabbi Io’hanan explique le passage biblique en question dans ce sens que Dieu enveloppa sa face: ויעבר ה׳ על פניו ויקרא א״ר יוחנן ·⋯ מלמד שנתעטף כשליח צבור וכוי. Bien que cette explication soit loin de celle que va donner Maïmonide, elle lui sert à montrer que les anciens docteurs considéraient le suffixe dans פניו comme se rapportant à Dieu.. Quoiqu’ils disent cela dans un ensemble de haggadôth (ou explications allégoriques) qui ne seraient pas ici à leur place, il y a là cependant quelque chose qui corrobore notre opinion. Ainsi, le pronom dans פניו se rapportant à Dieu, l’explication (du passage en question) est, à ce qu’il me semble, celle-ci: que Moïse avait demandé une certaine perception, savoir, celle qui a été désignée par (l’expression) voir la face, dans ces mots: Mais ma face ne saurait être vue (Exode, 34, 23), et qu’il lui fut promis une perception au dessous de celle qu’il avait demandée, savoir, celle qui a été désignée par l’expression voir par derrière, dans ces mots: Et tu me verras par derrière (Ibid.). Nous avons déjà appelé l’attention sur ce sujet dans le Mischné Torâ(1)Livre I, traité Yesodé ha-Torâ, ch. I, § 10.. On veut donc dire ici(2)C’est-à-dire dans le passage: Et l’Éternel passa devant sa face. que Dieu lui voila cette perception désignée par le mot פנים, face, et le fit passer vers une autre chose, je veux dire vers la connaissance des actions attribuées à Dieu, et qu’on prend pour de nombreux attributs, comme nous l’expliquerons(3)Voyez ci-après, ch. LIV.. Si je dis: Il lui voila, je veux dire par là que cette perception est voilée et inaccessible par sa nature même, et que tout homme parfait, lequel — son intelligence ayant atteint ce qu’il est dans sa nature de percevoir — désire ensuite une autre perception plus profonde(4)Littéralement: derriére cela, c’est-à-dire au delà de ce qu’il a perçu., voit sa perception s’émousser, ou même se perdre(5)Le mot que nous avons orthographié est écrit dans plusieurs mss. יכׄתל (avec un כׄ ponctué), ce qu’il faut prononcer en le considérant comme la VIIIe forme de , dans le sens de: être diminué, percé, défectueux. Dans quelques mss. on lit יכתל (sans point sur le כ) et cette leçon est peut-être la vraie, bien que dans les mss. on ne puisse pas attacher d’importance à l’absence des points diacritiques, de manière que la prononciation reste toujours douteuse. יכתל (prononcé ) serait la VIIIe forme de ayant le sens de: se fatiguer, s’émousser. Les deux leçons sont admissibles dans notre passage. — Quant au verbe יהלך, les deux traducteurs hébreux l’ont rendu par ימות, il mourra, en considérant comme sujet de ce verbe les mots כל אנסאן כאמל; mais il est bien plus rationnel de rapporter le verbe יהלך au mot לאדראכה sa perception, d’autant plus que l’auteur ne semble nullement vouloir dire que l’homme, en cherchant à percevoir ce qui lui est inaccessible, s’expose à la mort. [comme il sera expliqué dans l’un des chapitres de ce traité(6)Voir ci-après, ch. XXXII.], à moins qu’il ne soit assisté d’un secours divin, ainsi que (Dieu) a dit: Et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que je sois passé (Exode, 33, 22).", "Quant à la paraphrase (chaldaïque), elle a fait ici ce qu’elle fait habituellement dans ces sortes de choses; car, toutes les fois qu’elle rencontre comme attribué à Dieu quelque chose qui est entaché de corporéité ou de ce qui tient à la corporéité, elle suppose l’omission de l’annexe(1)Par מצׄאף, annexe, on entend un mot qui est à l’état construit, c’est-à-dire qui est suivi d’un génitif., et attribue la relation à quelque chose de sous-entendu qui est l’annexe (du nom) de Dieu(2)C’est-à-dire à quelque chose qui est déterminé par le nom de Dieu mis au génitif. En somme, l’auteur veut dire que la paraphrase chaldaïque admet certaines ellipses, afin d’éviter les anthropomorphismes.. Ainsi, p. ex., (le paraphraste) rend les mots: Et voici l’Éternel se tenant au dessus (Genèse, 28, 15) par ceux-ci: «Et voici la gloire de l’Éternel se tenant prête au dessus»; les mots: Que l’Éternel regarde entre moi et toi (Ibid., 31, 49), il les rend par ceux-ci: «Que le Verbe de l’Éternel regarde». C’est ainsi qu’il procède continuellement dans son explication; et il en a fait de même dans ces mots: Et l’Éternel passa devant sa face (en traduisant): «Et l’Éternel fit passer sa majesté devant sa face, et cria», de sorte que la chose qui passa était sans doute, selon lui, quelque chose de créé. Le pronom dans פניו, sa face, il le rapporte à Moïse, notre maître, de sorte que les mots על פניו (devant sa face) signifient en sa présence (ou devant lui), comme dans ce passage: Et le présent passa devant sa face (Genèse, 32, 22), ce qui est également une interprétation bonne et plausible. Ce qui confirme l’explication d’Onkelos, le prosélyte, ce sont ces paroles de l’Écriture: Et quand ma gloire passera, etc. (Exode, 33, 22), où l’on dit clairement que ce qui passera est une chose attribuée à Dieu, et non pas son essence [que son nom soit glorifié!], et c’est de cette gloire qu’il aurait dit: Jusqu’ à ce que je sois passé (Ibid.); Et l’Éternel passa devant sa face.", "Mais s’il fallait absolument supposer un annexe sous-entendu, — comme le fait toujours Onkelos, en admettant comme sous-entendu tantôt la gloire, tantôt la schekhinâ ou majesté, tantôt le Verbe (divin), selon (ce qui convient à) chaque passage, — nous aussi nous admettrions ici, comme l’annexe sous-entendu, le mot קול, voix, et il y aurait virtuellement (dans ledit passage): «Et la voix de l’Éternel passa devant lui et cria». Nous avons déjà expliqué (plus haut) que la langue (hébraïque) emploie le verbe עבר, passer, en parlant de la voix; p. ex.: Ils publièrent (littéral. ils firent passer une voix) dans le camp. Ce serait donc (dans notre passage) la voix qui aurait crié; et tu ne dois pas trouver invraisemblable que le cri soit attribué à la voix, car on se sert précisément des mêmes expressions en parlant de la parole de Dieu adressée à Moïse; p. ex.: Et il entendit la voix qui lui parlait (Nombres, 7, 89); de même donc que le verbe דבר, parler, a été attribué à la voix, de même le verbe קרא, crier, appeler, a été ici attribué à la voix. Quelque chose de semblable se trouve expressément (dans l’Écriture), je veux dire qu’on attribue (expressément) à la voix les verbes אמר, dire, et קרא, crier; p. ex.: UNE VOIX DIT: Crie, et on a répondu que crierai-je (Isaïe, 40, 6)? — Il faudrait donc, selon cette ellipse, expliquer ainsi (le passage en question): «Et une voix de la part de Dieu passa devant lui et cria: Éternel! Éternel! etc.»; la répétition du mot Éternel est pour (fortifier) le vocatif, — Dieu étant celui à qui s’adresse l’appel, — comme (on trouve ailleurs) Moïse! Moïse! — Abraham! Abraham! — C’est là également une interprétation très bonne.", "Tu ne trouveras pas étrange qu’un sujet aussi profond et aussi difficile à saisir soit susceptible de tant d’interprétations différentes, car cela n’a aucun inconvénient pour ce qui nous occupe ici. Tu es donc libre de choisir telle opinion que tu voudras: (tu admettras), ou bien que toute cette scène imposante était indubitablement une vision prophétique, et que tous les efforts (de Moïse)(1)Tous les mss., à l’exception de l’un des deux mss. de Leyde, portent ואלרוס (nom d’action du verbe , désirer, rechercher), ce qu’Ibn-Tibbon a très bien rendu par וההשׁתדלות (non וההשׂתכלות comme l’ont quelques éditions). C’est à tort que R. Schem-Tob-ibn-Falaquera (Morè ha-Moré, appendice, p. 149) blâme la version d’Ibn-Tibbon en admettant la leçon de ואלחס, au lieu de ואלרוס; le mot ואלחס que nous n’avons rencontré que dans l’un des mss. de Leyde, ne présente ici aucun sens plausible. La version d’Al-’Harizi, qui exprime la leçon de ואלחס, et qui porte וההרגש כלו, est ici vide de sens. tendaient à des perceptions intellectuelles (de sorte que) ce qu’il chercha, ce qui lui fut refusé et ce qu’il perçut, était tout également intellectuel, sans l’intervention d’aucun sens, comme nous l’avons interprété dans le principe; ou bien qu’il y avait là en même temps une perception au moyen du sens de la vue, mais qui avait pour objet une chose créée, par la vue de laquelle s’obtenait le perfectionnement de la perception intellectuelle, comme l’a interprété Onkelos — [si toutefois cette perception au moyen de la vue n’a pas été elle-même une vision prophétique(2)L’auteur veut dire que, même en admettant l’intervention du sens de la vue, il ne faut pas nécessairement que Moïse ait vu réellement, dans quelque phénomène créé, le reflet de la majesté divine; car tout a pu n’être qu’une vision, et n’existait que dans l’imagination exaltée de Moïse., comme ce qui se lit d’Abraham: Et voici un four fumant et une flamme de feu qui passa, etc.]; ou bien enfin qu’il y avait aussi avec cela une perception au moyen de l’ouïe, et que ce qui passa devant lui était la voix, qui indubitablement était aussi quelque chose de créé. Choisis donc telle opinion que tu voudras; car tout ce que j’ai pour but, c’est que tu ne croies pas que le verbe ויעבר, il passa, ait ici le même sens que עבׄר (dans le passage): Passe devant le peuple (Exode, 17, 5). Car Dieu [qu’il soit glorifié!] n’est pas un corps, et on ne saurait lui attribuer le mouvement; on ne peut donc pas dire qu’il passa (עבר), selon l’acception primitive (de ce mot) dans la langue." ], [ "Le verbe (בא), dans la langue hébraïque, signifie venir, se disant de l’animal qui s’avance vers un endroit quelconque ou vers un autre individu; p. ex.: Ton frère est venu (בא) avec ruse (Genèse, 27, 35). Il s’applique aussi à l’entrée de l’animal dans un lieu; p. ex.: Et Joseph entra (ויבׂא) dans la maison (Ibid., 43, 26); Lorsque vous entrerez (תבואו) dans le pays (Exode, 12, 25). Mais ce verbe a été aussi employé métaphoriquement pour (désigner) l’arrivée d’une chose qui n’est point un corps; p. ex.: Afin que, lorsqu’ arrivera (יבוא) ce que tu as dit, nous puissions t’honorer (Juges, 13, 17); Des choses qui t’arriveront (יבׂאו) (Isaïe, 47, 13); et on est allé jusqu’à l’employer en parlant de certaines privations(1)Le mot (pl. ), ainsi qu’on l’a vu plus haut, ch. XVII, correspond au terme aristotélique στερησις, privation, qui désigne le non être, ou la négation de ce qui est positivement. Ainsi, dans le passage biblique cité par l’auteur, le mal et l’obscurité ne sont autre chose que la privation ou la négation du bien et de la lumière.; p. ex.: Il est arrivé (ויבא) du mal (Job, 30, 26); L’obscurité est arrivée (Ibid.). Et, selon cette métaphore par laquelle il (le verbe en question) a été appliqué à quelque chose qui n’est point un corps, on l’a aussi employé en parlant du Créateur [qu’il soit glorifié!], soit pour (désigner) l’arrivée de sa parole ou l’arrivée (l’apparition) de sa majesté. Conformément à cette métaphore, il a été dit: Voici, je viens (בא) vers toi dans un épais nuage (Exode, 19, 9); Car l’Éternel, le Dieu d’Israël entre (בא) par là (Ézéch., 44, 2); et dans tous les passages semblables on désigne l’arrivée de sa majesté. (Dans le passage): Et l’Éternel, mon Dieu, arrivera (ובא); tous les saints seront avec toi (Zacharie, 14, 5), (on désigne) l’arrivée de sa parole ou(1)Au lieu de או plusieurs mss. portent אי, c’est-à-dire, saroir. et c’est la leçon suivie par les deux traducteurs hébreux qui ont כלומר; les mots תׄכאת מואעידה seraient alors l’explication de חלול אמרה. la confirmation des promesses qu’il a faites par ses prophètes, et c’est là ce qu’il exprime par (les mots): Tous les saints seront avec toi. C’est comme s’il disait: «Alors arrivera (s’accomplira) la promesse de l’Éternel, mon Dieu, faite par tous les saints qui sont avec toi», en adressant la parole(2)Par le mot , accusatif adverbial (pour lequel les mss. ont כׄפאב), l’auteur veut dire que le suffixe ך dans עמך, se rapporte au peuple d’Israël, et que c’est à lui que le prophète Zacharie adresse la parole. Ibn-Tibbon a traduit מדבריס (qui parlaient a Israël), ce qui est inexact; peut-être a-t-il lu אלמכׄאטין leçon qu’on trouve comme variante marginale dans l’un des mss. de Leyde. à Israël." ], [ "Le verbe yaçâ (יצא) est opposé au verbe (בא). On a employé ce verbe (en parlant) d’un corps sortant d’un lieu où il était établi (pour aller) vers un autre lieu, que ce corps soit un être animé ou inanimé; p. ex.: Ils étaient sortis (יצאו) de la ville (Genèse, 44, 4); Lorsqu’il sortira (תצא) un feu (Exode, 22, 6). Mais on l’a employé métaphoriquement (en parlant) de l’apparition d’une chose qui n’est point un corps; p. ex.: Dès que la parole fut sortie (יצא) de la bouche du roi (Esther, 7, 8); Car l’affaire de la reine sortira (יצא) (Ibid., 1, 17), c’est-à-dire la chose se divulguera(3)Les mots נפודׄ אלאמר (la transmission ou la divulgation de la chose) ont été rendus, dans la version d’Ibn-Tibbon, par עבור המצוה. la transmission de l’ordre, et dans celle d’Al-’Harizi par קיום מצות המלך, l’exécution de l’ordre du roi. D’après cela, Maïmonide aurait compris les mots דבר המלכה dans le sens de: l’ordre concernant la reine. Nous croyons que les deux traducteurs se sont trompés en donnant ici au mot arabe אמר le sens de commandement, ordre; ce mot signifie simplement chose, affaire. Le sens que nous avons donné au verset cité est plus simple et plus naturel, et c’est sans doute dans ce sens que Maïmonide l’a compris; c’est dans le même sens que le passage en question a été interprété par Raschi, Ibn-Ezra et d’autres commentateurs.; Car de Sion sortira (תצא) la Loi (Isaïe, 2, 3). De même (dans ce passage): Le soleil sortit (יצא) sur la terre (Genèse, 19, 23), où l’on veut parler de l’apparition de la lumière.", "C’est dans ce sens métaphorique que le verbe yaçâ (יצא) doit être pris toutes les fois qu’il est attribué à Dieu; p. ex.: Voici l’Éternel va sortir (יצא) de son lieu (Isaïe, 26, 21), (c’est-à-dire) sa parole, qui maintenant nous est cachée, va se manifester. On veut parler ici de la naissance de choses qui n’ont pas encore existé; car tout ce qui arrive de sa part est attribué à sa parole; p. ex.: Les cieux furent faits par la parole de l’Éternel, et toute leur armée par le souffle de sa bouche (Ps. 33, 6), (ce qui est dit) par comparaison avec les actes qui émanent des rois, lesquels, pour transmettre leur volonté, emploient comme instrument la parole(1)Littéralement: dont l’instrument, pour transmettre leur volonté, (est) la parole. Nous avons écrit אלתי אֿלתהם, ainsi qu’on le trouve dans tous les mss.; mais, au lieu de אלתי, il serait plus correct de dire אלדׄין.. Mais lui, le Très-Haut, n’a pas besoin d’instrument pour agir; son action, au contraire, (a lieu) par sa seule volonté, et il ne peut aucunement être question de parole(2)Les deux versions hébraïques portent ואין לו דבור; dans l’original arabe לה est peut-être sous-entendu, mais il ne se trouve dans aucun ms. Le mot לן manque aussi dans plusieurs mss. de la version d’Ibn-Tibbon., comme on l’expliquera(3)Voir ci-après, ch. LXV.. ", "— Or, comme on a employé métaphoriquement le verbe יצא, sortir, pour (désigner) la manifestation d’un acte quelconque (émanant) de lui [ainsi que nous venons de l’expliquer], et qu’on s’est exprimé: Voici l’Éternel va sortir de son lieu, on a également employé le verbe שוב, retourner, pour (désigner) la discontinuation, selon la volonté (divine), de l’acte en question, et on a dit: Je m’en irai, je retournerai (אשובה) vers mon lieu (Osée, 5, 15), ce qui signifie que la majesté divine, qui était au milieu de nous, se retirera de nous, et, par suite de cela(1)Tous les mss. portent אלתי תבעהא, et c’est ainsi sans doute que l’auteur a écrit en pensant au mot féminin שכינה, quoiqu’il eût été plus logique de dire אלדׄי תבעה; car ces mots se rapportent à ארתפאע qui est du masculin., la (divine) providence nous manquera, comme l’a dit (Dieu) en nous menaçant: Et je cacherai ma face d’eux, et ils deviendront une proie (Deutér., 31, 17); car lorsque la Providence manque (à l’homme), il est livré à lui-même, et reste un point de mire pour tout ce qui peut survenir par accident, de sorte que son bonheur et son malheur dépendent du hasard. Combien cette menace est terrible! C’est celle qu’on a exprimée par ces mots: Je m’en irai, je retournerai vers mon lieu." ], [ "Le verbe halakh (הלך, aller, marcher) est également du nombre de ceux qui s’appliquent à certains mouvements particuliers de l’animal; p. ex.: Et Jacob alla (הלך) son chemin (Genèse, 32, 1); il y en a des exemples nombreux. Ce mot a été employé métaphoriquement pour (désigner) la dilatation des corps qui sont plus subtils que les corps des animaux; p. ex.: Et les eaux allèrent (הלוך) en diminuant (Genèse, 8, 5); Et le feu se répandait (ותהלך) sur la terre (Exode, 9, 25). Ensuite on l’a employé (en général) pour dire qu’une chose se répand et se manifeste, lors même que cette chose n’est point un corps; p. ex.: Sa voix se répand (ילך) comme (se glisse) le serpent (Jérémie, 46, 22). De même dans ces mots: La voix de l’Éternel, Dieu, se répandant (מתהלך) dans le jardin (Genèse, 3, 8), c’est à la voix que s’applique le mot מתהלך (se répandant)(1)Littéralement: C’est de la voix qu’il est dit qu’elle était מתהלך (se répandant). L’auteur veut dire qu’il ne faut pas croire que le mot מתהלך se rapporte à Dieu se promenant dans le jardin..", "C’est dans ce sens métaphorique que le verbe halakh (הלך) doit être pris toutes les fois qu’il se rapporte à Dieu, — je veux dire (en ayant égard à ce) qu’il se dit métaphoriquement de ce qui n’est pas un corps, — soit (qu’il s’applique) à la diffusion de la parole (divine)(2)Ibn-Tibbon traduit:אם להתפשט הענין; Al-’Harizi: אם לדבר המתפשט. Les deux traducteurs ont pris אלאמר dans le sens de chose; mais il est bien plus probable que l’auteur emploie ici ce mot dans le sens de parole, ordre, commandement. ou à la retraite de la Providence, analogue à ce qui, dans l’animal, est (appelé): se détourner de quelque chose, ce que l’animal fait par l’action de marcher(3)Littéralement: Ce qui (se fait de la part) de l’animal par la marche. Dans les mots אלדׄי דׄלך מן אלחיואן באלהליכה, il faut sous-entendre un verbe; l’un des deux mss. de Leyde ajoute en marge le mot יכון après אלדׄי, et les deux versions hébraïques ont יהיה. Dans deux mss. d’Oxford, on lit אלדׄי כני דׄלך (ce qui a été nommé, désigné); mais cette leçon est peu plausible.. De même donc que la retraite de la Providence a été désignée par (l’expression) cacher la face, dans ces mots: Et moi je cacherai ma face (Deutér., 31, 18), de même elle a été désignée par הלך (marcher, s’en aller), pris dans le sens de se détourner de quelque chose; p. ex.: Je m’en irai, je retournerai vers mon lieu (Osée, 5, 15). ", "Quant à ce passage: Et la colère de l’Éternel s’enflamma contre eux, et il (ou elle) s’en alla (וילך) (Nombr., XII, 9), il renferme à la fois les deux sens(4)Le verbe וילך, qui se rapporte à l’Éternel, peut aussi, selon l’auteur, se rapporter à la colère (אף)., je veux dire le sens de la retraite de la Providence, désignée par l’expression de se détourner (s’en aller), et celui de la diffusion de la parole (divine) qui se répand et se manifeste, je veux dire que c’est la colère qui s’en alla et s’étendit vers eux deux(1)Il faut se rappeler que, dans le passage cité, il est question d’Ahron et de Miriam., c’est pourquoi elle (Miriam) devint lépreuse, (blanche) comme la neige (Ibid., V. 10).", "De même on emploie métaphoriquement le verbe halakh (הלך) pour dire marcher dans la bonne voie (ou avoir une bonne conduite), sans qu’il s’agisse nullement du mouvement d’un corps; p. ex.: Et quand tu marcheras (והלכת) dans ses voies (Deutér., 28, 9); Vous marcherez (תלכו) après l’Éternel, votre Dieu (Ibid., 13, 4); Venez, et marchons (ונלכה) dans la lumière de l’Éternel (Isaïe, 2, 5)." ], [ "Schakhan (שכן). — On sait que le sens de ce verbe est demeuver; p. ex.: Et il demeurait (שוכן) dans le bois de Mamré (Genèse, 14, 13); Et il arriva lorsqu’ Israël demeurait (בשכן)…(Ibid., 35, 22); et c’est là le sens généralement connu. Demeurer signifie: séjourner en permanence dans un seul et même endroit(2)Les mots פי דׄלך אלמכאן, qui ne sont point rendus dans les deux versions hébraïques, se trouvent dans tous les mss. ar. que nous avons consultés.; car, lorsque l’animal prolonge son séjour dans un lieu, soit commun, soit particulier(3)Voy. ci-dessus, au commencement du ch. VIII, page 52, note 1., on dit de lui qu’il demeure dans cet endroit, quoique, sans doute, il y soit en mouvement. ", "Ce verbe s’applique métaphoriquement à ce qui est inanimé ou, pour mieux dire, à toute chose qui reste fixe et qui s’est attachée à une autre chose; on emploie donc également dans ce cas le verbe שכן (demeurer), quand même l’objet auquel s’est attachée la chose en question ne serait pas un lieu, ni la chose un être animé; p. ex.: Qu’un nuage demeure (תשכן) sur lui (Job, 3, 5); car le nuage sans doute n’est pas un être animé, ni le jour n’est point un corps, mais une portion du temps.", "C’est dans ce sens métaphorique que (le verbe en question) a été appliqué à Dieu, je veux dire à la permanence de sa Schekhinâ (majesté)(1)Le mot hébreu שכינה lui-même, qui signifie résidence, et qui désigne la présence de la majesté divine, est dérivé du verbe שכן dans le sens métaphorique dont il est ici question., ou de sa Providence dans un lieu quelconque(2)Littéralement: Dans quelque lieu que ce soit où elle reste permanente. Le verbe דאמת se rapporte à la fois à סכינתה et à ענאיתה, et c’est à tort qu’Ibn-Tibbon a ajouté ici le mot השכינה, dont aucun des mss. du texte arabe n’offre de trace. La traduction d’Al-’Harizi est ici plus fidèle., ou à la Providence se montrant permanente(3)Les paroles du texte signifient littéralement: Ou à toute chose dans laquelle la Providence est permanente; mais l’auteur, en intervertissant les mots, s’est exprimé ici d’une manière qui pourrait paraître peu exacte; car le verbe שכן ne s’applique pas à la chose, mais à la Providence. L’ensemble du passage signifie que le verbe en question s’applique à la majesté et à la Providence divine se manifestant dans un lieu quelconque, ou même à la Providence se manifestant sur un individu quelconque. Ibn-Tibbon, qui, comme nous l’avons dit dans la note précédente, a ajouté le mot השכינה, ne s’est pas bien rendu compte du sens de l’ensemble, et, en admettant même que ce mot doive être ajouté au texte arabe, il faudrait lire immédiatement après או בכל אמר, au lieu de או לכל אמר. dans une chose quelconque. Il a été dit, p. ex.: Et la gloire de l’Éternel demeura (וישכן) (Exode, 24, 17); Et je demeurerai (ושכנתי) au milieu des fils d’Israël (Ibid., 29, 45); Et la bienveillance de celui qui demeurait (שכני) dans le buisson (Deutér., 33, 16)(4)Le premier de ces trois exemples se rapporte à la manifestation de la Schekhînâ; le deuxième à la Providence divine se manifestant sur tout le peuple d’Israël; le troisième paraît devoir se rapporter ala Providence se manifestant sur un objet individuel, c’est-à-dire sur le buisson qui, tout enflammé, n’était pas consumé, ou à la bienveillance divine que Moïse, dans ce verset, appelle sur la tribu de Joseph. Les commentateurs voient généralement dans le troisième exemple, comme dans le premier, une allusion à la manifestation de la Schekhînâ. Voir aussi Abravanel, dans son commentaire sur le Deutéronome, au verset en question.. Et, toutes les fois qu’on trouve ce verbe attribué à Dieu, il désigne la permanence, dans quelque lieu, de sa Schekhinâ, je veux dire de sa lumière (qui est une chose) créée, ou la permanence de la Providence (se manifestant) dans une chose quelconque, selon ce qui convient à chaque passage." ], [ "Tu connais déjà leur sentence(1)C’est-à-dire la sentence des anciens rabbins. Voy. Talmud de Babylone, traité Ichamôth fol. 71 a; Babâ Meci’â, fol. 31 b, et passim. — L’auteur interrompt ici de nouveau ses explications des homonymes pour parler du sens qu’on doit attacher au mouvement attribué à Dieu. Ce chap. et le suiv., qui dans plusieurs mss. n’en forment qu’un seul, se rattachent au chapitre précédent; car c’est sans doute an sujet du verbe הלך (aller) que l’auteur est amené à parler du mouvement. relative à toutes les espèces d’interprétation se rattachant à ce sujet(2)C’est-à-dire au sujet qui nous occupe ici; l’auteur veut parler des anthropomorphismes dont se sert l’Écriture sainte en parlant de Dieu., savoir: que l’Écriture s’est exprimée selon le langage des hommes. Cela signifie que tout ce que les hommes en général(3)Tous les mss. portent אגׄמע, qui est ici pour le pluriel אגׄמעיי. peuvent comprendre et se figurer au premier abord a été appliqué à Dieu, qui, à cause de cela, a été qualifié par des épithètes indiquant la corporéité, afin d’indiquer que Dieu existe; car le commun des hommes ne peut concevoir l’existence, si ce n’est dans le corps particulièrement, et tout ce qui n’est pas un corps ni ne se trouve dans un corps n’a pas pour eux d’existence. ", "De même, tout ce qui est perfection pour nous a été attribué à Dieu pour indiquer qu’il possède toutes les espèces de perfection sans qu’il s’y mêle aucune imperfection; et tout ce qui est conçu par le vulgaire comme étant une imperfection ou un manque, on ne le lui attribue pas. C’est pourquoi on ne lui attribue ni manger, ni boire, ni sommeil, ni maladie, ni injustice, ni aucune autre chose semblable. Mais tout ce que le vulgaire croit être une perfection, on le lui a attribué, bien que cela ne soit une perfection que par rapport à nous; car pour lui(1)Le mot אליה dépend de באלאצׄאפה̈, qui est sous-entendu; Ibn-Tibbon a répété le mot בערך. toutes ces choses que nous croyons être des perfections sont une extrême imperfection. Le vulgaire cependant croirait attribuer à Dieu une imperfection en s’imaginant que telle perfection humaine pût lui manquer(2)Littéralement: Mais s’ils s’imaginaient que telle perfection humaine manque à Dieu, ce serait, pour eux, une imperfection à son égard..", "Tu sais que le mouvement fait partie de la perfection de l’animal et lui est nécessaire pour être parfait; car, de même qu’il a besoin de manger et de boire pour remplacer ce qui s’est dissous(3)C’est-à-dire ce qui s’en va par la transpiration. Cf. le Canon d’Avicenne, texte arabe, t. I, p. 75, lig. 27: ., de même il a besoin du mouvement pour se diriger vers ce qui lui est convenable et fuir ce qui lui est contraire. Il n’y a pas de différence entre attribuer à Dieu le manger et le boire et lui attribuer le mouvement; cependant, selon le langage des hommes, je veux dire selon l’imagination populaire, ce serait attribuer à Dieu une imperfection que de dire qu’il mange et qu’il boit, tandis que le mouvement ne dénoterait pas une imperfection en lui(4)Littéralement: Le manger et le boire seraient, selon eux, une imperfection à l’égard de Dieu, et le mouvement ne serait pas une imperfection à son égard., bien que ce ne soit que le besoin qui force au mouvement. Il a été démontré que tout ce qui se meut est indubitablement d’une certaine grandeur et divisible(5)Cf. Arist., Phys., 1. VIII, ch. V: A ναγϰαῐον δή το ϰινούµενον ἃπαν εἶαι διαιρττὀν εἰς ἀεἰ διαιρετά. Comparez aussi ce qu’Arislote dit du mouvement au sujet de l’âme, traité de l’Ame, 1. I, ch. III. Voir les détails dans l’introduction de la IIe partie du Guide, à la 7e Proposition. — La version d’Ibn-Tibbon substitue ici et dans plusieurs autres passages le mot גשם, corps, au mot arabe עטׄס, grandeur, qui ne désigne que le corps géométrique, c’est-à-dire l’espace circonscrit par des limites.; or, il sera démontré que Dieu n’a point une grandeur, et par conséquent il n’a pas de mouvement. On ne saurait pas non plus lui attribuer le repos; car on ne peut attribuer le repos qu’à celui(1)Sur les huit mss. que nous avons consultés, il y en a six qui portent מן שאנה: l’un des mss. d’Oxford porte מא מן שאנה, et l’un des deux mss. de Leyde מא שאנה. D’après cette variante, il faudrait traduire: qu’à ce qui a pour condition de se mouvoir. dont la condition est de se mouvoir. Ainsi donc, tous les mots indiquant les différentes espèces des mouvements des animaux ont été employés, de ladite manière(2)C’est-à-dire en se conformant aux idées et au langage du vulgaire., comme attributs de Dieu, de même qu’on lui attribue la vie; car le mouvement est un accident inhérent à l’être animé, et il n’y a pas de doute qu’en écartant la corporéité, on n’écarte toutes ces idées de descendre, de monter, de marcher, d’être debout, de s’arrêter, d’aller autour, d’être assis, de demeurer, de sortir, d’entrer, de passer, et autres semblables. ", "Il serait superflu de s’étendre longuement sur ce sujet, si ce n’était à cause de ce qui est devenu familier aux esprits du vulgaire(3)C’est-à-dire à cause des idées et des expressions auxquelles le vulgaire s’est habitué.; c’est pourquoi il faut en donner l’explication à ceux qui se sont donné pour tâche (d’acquérir) la perfection humaine et de se défaire de ces erreurs, préconçues depuis les années de l’enfance(4)Les mots אליהם מנהס se trouvent placés dans tous les mss. à la fin de la phrase; אליהם se rapporte à אלסאבקה̈, et מנהם se rattache à ואזאלה̈. La construction régulière serait: ואזאלה̈ מנהם הדׄה אוהאם אלסאבקה̈ אליהם מן סן אלטפוליה̈. Les mots אלסאבקה̈ אליהם signifient littéralemenl: qui leur arrivent d’avance; il s’agit, comme l’explique très bien Ibn-Falaquera (en critiquant la version d’Ibn-Tibbon), d’opinions préconçues auxquelles on s’abandonne de prime abord avant d’avoir réfléchi. Voy. Moré-ha-Moré, p. 150., (et en parler) avec quelque détail, comme nous l’avons fait." ], [ "Onkelos, le prosélyte, qui possédait parfaitement les langues hébraïque et syriaque(1)Sur l’emploi du mot סריאני pour désigner à la fois les deux principaux dialectes aratméens, le chaldéen et le syriaque, voy. mon édition du Commentaire de R. Tan’houm sur le livre de ’Habakkouk (dans le tome XII de la Bible de M. Caben), p. 99, note 14. L’auteur parle, dans ce chap., des périphrases employées par Onkelos, dans sa célèbre version chaldéenne du Pentateuque, pour éviter les anthropomorphismes relatifs au mouvement., a fait tous ses efforts pour écarter la corporification (de Dieu); de sorte que, toutes les fois que l’Écriture se sert (en parlant de Dieu) d’une épithète pouvant conduire à la corporéité, il l’interprète selon son (véritable) sens. Chaque fois qu’il trouve un de ces mots qui indiquent une des différentes espèces de mouvement, il prend le mouvement dans le sens de manifestation, d’apparition d’une lumière créée, je veux dire de majesté divine, ou bien (dans celui) de Providence(2)Tous les mss. portent אעתני, à l’exception de l’un des deux mss. de Leyde, qui a אעתנא, ce qui est plus correct; il est évident que c’est un infinitif, et qu’il faut prononcer .. Il traduit donc ירד י״י (l’Éternel descendra, Exode, 19, 11) par יתגלי י״י (l’Éternel se manifestera), וירד י״י (et l’Éternel descendit, Ibid., V. 20) par ואתגלי י״י (et l’Éternel se manifesta), et il ne dit pas ונחת י״י (et l’Éternel descendit); de même ארדה נא ואראה (je vais donc descendre et voir, Genèse, 18, 21) par אתגלי כען ואחזי (je vais donc me manifester et voir(3)La plupart des mss. ar. et héb. ont ואחזי; quelques uns portent ואדון, comme on le trouve en effet dans nos éditions de la paraphrase d’Onkelos.); et c’est ce qu’il fait continuellement dans sa paraphrase.", "Cependant les mots אנכי ארד עמך מצרימה (je descendrai avec toi en Égypte, Genèse, 46, 4), il les traduit (littéralement): אנא איחות עמך למצריס, et c’est là une chose très remarquable qui prouve le parfait talent de ce maître, l’excellence de sa manière d’interpréter, et combien il comprenait exactement les choses; car, par cette traduction (du dernier passage), il nous a également fait entrevoir(1)Littéralement: il’nous a ouvert. l’un des points principaux du Prophétisme. ", "Voici comment: Au commencement de ce récit (Ibid., V 2 et 3), on dit: Et Dieu parla à Israël dans les visions de la nuit, et dit: Jacob, Jacob, etc. Et il dit: Je suis le Dieu, etc. (et Dieu dit en terminant): Je descendrai avec toi en Égypte. Or, comme il résulte du commencement du discours que cela se passa dans les visions de la nuit, Onkelos ne voyait aucun mal à rendre textuellement les paroles qui avaient été dites dans ces visions nocturnes. Et cela avec raison(2)והו אלצחיח littéralement: et c’est le vrai, c’est-à-dire Onkelos était dans le vrai en agissant ainsi. Ibn-Tibbon traduit והוא ספור האמת, ce qui ne donne pas de sens convenable; le mot ספור est de trop. Al-’Harizi a mieux traduit: והוא האמת והנכון.: car c’est la relation de quelque chose qui avait été dit, et non pas la relation d’un fait arrivé, comme (dans le passage): Et l’Éternel descendit sur le mont Sinaï (Exode, 19, 20), qui est la relation d’un fait survenu dans le monde réel(3)Littéralement: la description ou relation de ce qui est survenu dans tes choses existantes. L’auteur veut dire: comme il s’agissait ici d’un fait réel, et non pas de paroles prononcées dans une vision nocturne, Onkelos, fidèle à son système d’écarter les anthropomorphismes, a dû modifier les termes du texte.; c’est pourquoi il a substitué l’idée de manifestation et écarté ce qui pourrait indiquer l’existence d’un mouvement. Mais (ce qui concerne) les choses de l’imagination, je veux parler du récit de ce qui lui avait été dit (à Jacob), il l’a laissé intact(4)Tous les mss. portent אבקאה בהסבה avec le suffixe masculin, ce qui est irrégulier; car le suffixe se rapporte grammaticalement aux mots אלאמור אלכׄיאליה̈, tandis que l’auteur l’a mis en rapport avec מא קיל.. C’est là une chose remarquable. ", "Tu es, en effet, averti par là que la chose est bien différente, selon qu’on emploie les mots dans un songe ou dans les visions de la nuit, ou qu’on emploie les mots dans une vision et dans une apparition, ou bien qu’on dit tout simplement: Et la parole de l’Éternel m’arriva en disant, ou: L’Éternel me dit(1)On verra, dans un autre endroit (IIe partie, ch. XLV), que l’auteur établit, dans les révélations prophétiques, différents degrés plus élevés les uns que les autres, et qui, selon lui, sont caractérisés par les expressions signalées dans notre passage. L’auteur trouve une allusion à ces distinctions dans le procédé d’Onkelos qu’il vient de signaler..", "Il est possible aussi, selon moi, qu’Onkelos ait interprété ici le mot Élohîm (Dieu) dans le sens d’anges, et qu’à cause de cela il n’ait pas eu de répugnance à dire (dans sa traduction): «Je descendrai avec toi en Égypte.» Il ne faut pas trouver mauvais qu’Onkelos ait pu voir ici dans Élohîm un ange, bien que (l’apparition) lui dise (à Jacob): Je suis le DIEU, Dieu de ton père; car les mêmes termes sont aussi employés quelquefois par un ange. Ne vois-tu pas qu’ailleurs, après avoir dit: Et l’ange de Dieu me dit dans un songe: Jacob! et je répondis: Me voici (Genèse, 31, 11), on s’exprime à la fin du discours adressé à Jacob: Je suis le Dieu de Beth-Êl, où tu consacras un monument, où tu me fis un vœu (Ibid., V. 13)? Sans doute que Jacob offrit ses vœux à Dieu, et non pas à l’ange; mais cela se fait continuellement dans les discours des prophètes, je veux dire qu’en rapportant les paroles que l’ange leur dit de la part de Dieu, ils s’expriment comme si c’était Dieu lui-même qui leur parlât. Dans tous les passages (de cette sorte) il y a un annexe sous-entendu(2)Voy. ci-dessus, ch. XXI, p. 78, note 1.; c’est comme si on avait dit: Je suis L’ENVOYÉ du Dieu de ton père; Je suis L’ENVOYÉ du Dieu qui t’apparut à Beth-Êl, et ainsi de suite. ", "Sur la prophétie et ses différents degrés, ainsi que sur les anges, il sera encore parlé plus amplement, conformément au but de ce traité." ], [ "Réghel (רגל) est un homonyme. C’est (primitivement) le nom du pied; p. ex.: רגל תחת רגל, pied pour pied (Exode, 21, 24); mais on le rencontre aussi dans le sens de suite; p. ex.: Sors, toi, et tout le peuple qui est sur tes pas (ברגליך) (Ibid., 11, 8), c’est-à-dire: qui te suit. On le rencontre également dans un sens de causalité; p. ex.: Et l’Éternel l’a béni sur mes pas (לרגלי) (Genèse, 30, 30), c’est-à-dire par ma cause ou en ma faveur, car ce qui se fait en faveur d’une certaine chose a cette dernière pour cause. On l’emploie souvent ainsi; p. ex.: Au pas ou à cause (לרגל) du bagage qui est devant moi et à cause (לרגל) des enfants (Genèse, 33, 14). ", "Ainsi, par ces paroles: Et ses pieds (רגליו) se tiendront en ce jour sur la montagne des Oliviers (Zacharie, 14, 4), on veut dire que ses causes subsisteront, savoir, les miracles qui se manifesteront alors en cet endroit, et dont Dieu est la cause, je veux dire l’auteur(1)Cf. ci-dessus, ch. XIII, p. 63.. C’est cette interprétation qu’a eue en vue Jonathan-ben-Uziel en disant (dans sa paraphrase chaldaïque): Il se manifestera dans sa puissance, en ce jour, sur la montagne des Oliviers; et de même il traduit par גבורתיה, sa puissance, tous (les mots désignant) les membres(2)Sur le mot גׄארחה̈, voy. ci-dessus, p. 36, note 1. (dont on se sert) pour saisir ou pour se transporter, car ils désignent généralement les actes qui émanent de sa volonté.", "Quant à ces mots: Et sous ses pieds (רגליו) il y avait comme un ouvrage de l’éclat du saphir (Exode, 24, 10), Onkelos, comme tu le sais, les interprète de manière à considérer le pronom dans רגליו (ses pieds) comme se rapportant au mot כסא, trône (qui serait sous-entendu)(3)Plusieurs commentateurs, qui n’ont eu sous les yeux que la version hébraïque, ont compris ce passage dans ce sens que, selon Onkelos, le mot רגליו (ses pieds) est une dénomination (כנוי) du trône de Dieu; car Onkelos rend les mots et sous ses pieds par ceux-ci: et sous le trône de sa gloire. D’après cette explication, le suffixe, dans רגליו, se rapporterait à Dieu; mais le mot arabe צׄמיר ne peut laisser aucune incertitude sur le sens, et l’auteur dit très positivement que, selon Onkelos, le suffixe, dans רגליו, se rapporte au trône, c’est-à-dire que les mots sous ses pieds signifient sous les pieds du trône, ce qu’Onkelos rend par sous le trône de sa gloire. Maïmonide paraît donc dire qu’Onkelos a considéré comme sous-entendue l’idée du trône, et qu’il a expliqué le texte comme s’il y avait ותחת רגלי כסא כבודו; mais qu’en introduisant dans sa traduction les mots trône de gloire, il a supprimé le mot רגלֵי, devenu superflu.; car il traduit: ותחות כורסי יקריה, et sous le trône de sa gloire. Il faut comprendre cela, et tu seras étonné (de voir) combien Onkelos se tient éloigné de la corporification (de Dieu) et de tout ce qui peut y conduire de la manière même la plus éloignée; car il ne dit pas: et sous son trône, parce que, si on attribuait le trône à (Dieu) lui-même, dans le sens qu’on y verrait de prime abord, il s’ensuivrait que Dieu s’établit(1)Le mot est imité de ces mots du Korân (chap. VII, V. 52): , il s’établit sur le trône. Les commentateurs du Korân donnent au verbe le sens de s’emparer, dominer, ou celui de se fixer. Ibn-Falaquera, dans ses notes critiques sur la version d’Ibn-Tibbon, cite ledit passage du Korân. Voy Moré-ha-Moré, p. 150. sur un corps, et il en résulterait la corporification; il attribue donc le trône à sa gloire, je veux dire à la Schekhînâ, qui est une lumière créée(2)Voir ci-dessus, p. 58, note 2.. ", "Il s’exprime de même dans la traduction des mots: Car la main (est placée) sur le trône de Dieu (Exode, 17, 16), où il dit: «… de la part de Dieu, dont la majesté (repose) sur le trône de sa gloire.» Tu trouves de même dans le langage de la nation (juive) tout entière le כסא הכבוד, trône de la gloire.", "Mais nous nous sommes écartés du sujet de ce chapitre pour (toucher) quelque chose qui sera expliqué dans d’autres chapitres. ", "Je reviens donc au sujet du chapitre. Tu connais, dis-je, la manière dont Onkelos interprète (le passage en question); mais le principal pour lui c’est d’écarter la corporification, et il ne nous explique pas ce qu’ils perçurent(1)Il faut se rappeler que dans le passage en question (Exode, 24, 9-11) il s’agit d’une vision des soixante-dix anciens, appelés les élus d’entre les fils d’Israël. Cf. ci-dessus, p. 48 et 49. ni ce qu’on a voulu dire par cette allégorie. De même, dans tous les passages (de cette nature), il n’aborde point cette question-là(2)C’est-à-dire l’explication du sens de l’allégorie.; mais il se borne à écarter la corporification, car c’est là une chose démontrable, nécessaire dans la foi religieuse; il le fait donc d’une manière absolue(3)Littéralement: Il le tranche ou le décide, c’est-à-dire il déclare d’une manière absolue, par sa manière de traduire, que la corporéité doit être écartée., et s’exprime en conséquence. Quant à l’explication du sens de l’allégorie, c’est une chose d’opinion; car le but (de l’allégorie) peut être telle chose ou telle autre. Ce sont là aussi des sujets très obscurs, dont l’intelligence ne fait pas partie des bases de la Foi, et que le vulgaire ne saisit pas facilement; c’est pourquoi il ne s’engage pas dans cette question. ", "Mais nous, eu égard au but de ce traité, nous ne saurions nous dispenser de donner quelque interprétation (du passage en question). Je dis donc que, par les mots sous ses pieds, on veut dire par sa cause et par lui, comme nous l’avons expliqué(4)C’est-à-dire en prenant ici le mot רגל dans le sens de cause, qui lui a été attributé au commencement de ce chapitre.; ce qu’ils perçurent, c’était la véritable condition de la matière première, laquelle est venue de Dieu, qui est la cause de son existence. Remarque bien les mots: כמעשה לבנת הספיר, comme un ouvrage de l’éclat du saphir: si on avait eu en vue la couleur, on aurait dit כלבנת הספיר, comme la blancheur ou l’éclat du saphir; mais on a ajouté מעשה, un ouvrage, parce que la matière, comme tu le sais, est toujours réceptive et passive par rapport à son essence, et n’a d’action qu’accidentellement, de même que la forme est toujours active par son essence et passive par accident, ainsi que cela est expliqué dans les livres de Physique; et c’est à cause de cela qu’on a dit de la première כמעשה, comme un ouvrage(1)L’auteur voit dans le mot מעשה, ouvrage, travail, une allusion à la matière recevant l’action de la forme, et qui, selon lui, est désignée par les mots לבנת הספיר, éclat du saphir, comme il va l’expliquer.. Quant aux mots לבנת הספיר (qui signifient littéralement: la blancheur du saphir)(2)L’auteur ne prend pas ici le mot ספיר dans le sens de saphir proprement dit, mais il y voit en général une matière transparente. Immédiatement après il substitue le mot arabe , cristal. Les traducteurs hébreux du moyen âge emploient souvent le mot ספירי pour rendre le mot arabe , qui correspond, dans les versions arabes, au mot grec διαφανεὶς, transparent., ils désignent la transparence, et non pas la couleur blanche, car la blancheur du cristal n’est pas une couleur blanche, mais une simple transparence; et la transparence n’est pas une couleur, comme cela a été démontré dans les livres de Physique(3)Voy. Aristole, traité de l’Ame, l. II, chap. 7: Ἄχρουν δ’ἐστὶ τὸ διαφανὲς, ϰ. τ. λ., car, si elle était une couleur, elle ne laisserait pas percer toutes les couleurs(4)Littéralement: elle ne montrerait pas toutes les couleurs derrière elle; le verbe est une forme vulgaire pour (IVe forme de )., et ne les recevrait pas. C’est donc parce que le corps transparent est privé de toutes les couleurs qu’il les reçoit toutes successivement; et ceci ressemble à la matière première, qui, par rapport à sa véritable condition, est privée de toutes les formes, et qui, à cause de cela, les reçoit toutes successivement. Ainsi donc ce qu’ils perçurent, c’était la matière première et sa relation avec Dieu(5)C’est-à-dire dans quelle condition elle se trouve à l’égard de Dieu. Le mot ויחסו, qui se trouve ici dans la version d’Ibn-Tibbon, a fait que plusieurs commentateurs se sont mépris sur le sens de ce passage en prononçant וְיׅחֲסוּ comme verbe; il faut prononcer וְיַחֲסוֹ comme substantif, avec suffixe (et sa relation), comme le fait justement observer le commentateur Joseph Caspi, ou plutôt lire ויחוסו, comme le portent plusieurs mss., (savoir) qu’elle était(1)La version d’Ibn-Tibbon porte להיותו; mais il faut traduire והיותו, car les mss. ar. ont généralement וכונהא, à l’exception de l’un des deux mss. deLeyde, qui porte לכונהא. Le mot וכונהא (et esse eam) indique, comme ce qui précède, l’objet de la perception des Élus. la première de ses créatures comportant la naissance et la destruction(2)C’est la matière qui est le principe de tous les êtres qui naissent et périssent. — Nous avons déjà dit plus haut (p. 60) que les mots כון et פסאר correspondent aux mots grees γἑνεσιϛ et φθορά., et que c’était lui qui l’avait produite du néant(3)Le verbe ou (à la IVe forme) , novum produxit, implique l’idée de la création ex nihilo.. Il sera encore parlé de ce sujet (dans un autre endroit)(4)Voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. XXVI..", "Sache que tu as besoin d’une pareille interprétation, même à côté de celle d’Onkelos, qui s’exprime: et sous le trône de sa gloire; je veux dire que la matière première est aussi, en réalité, au dessous du ciel, qui est appelé trône, comme il a été dit précédemment. Ce qui m’a suggéré cette interprétation remarquable et m’a fait trouver le sujet en question, c’est uniquement une assertion que j’ai trouvée dans (l’ouvrage de) R. Éliézer, fils de Hyrcan, et que tu apprendras dans l’un des chapitres de ce traité(5)Voir au commencement du chap. indiqué dans la note précédente.. Le but, en somme, qu’a tout homme intelligent, est d’écarter de Dieu (tout ce qui peut conduire à) la corporification, et de considérer toutes ces perceptions (dont nous venons de parler) comme appartenant à l’intelligence, et non pas aux sens. Il faut comprendre cela et y réfléchir." ], [ "’Açab (עצב) est un homonyme qui désigne (d’abord) la douleur et la souffrance; p. ex.: Ce sera avec des douleurs (בעצב) que tu enfanteras des enfants (Genèse, 3, 16). Il désigne aussi l’action d’irriter; p. ex.: ולא עצבו אביו מימיו, Son père ne lIRRITAIT pas de son vivant (I Rois, 1, 6); כי נעצב אל דוד, Car il était IRRITÉ à cause de David (I Sam., 20, 34). Il signifie enfin contrarier, être rebelle; p. ex: Ils ont eté rebelles, et ont contrarié (ועצבו) son esprit saint (Isaïe, 63, 10); Ils l’ont contrarié (יעציבוהו) dans le désert (Ps. 78, 40); … s’il y a en moi une conduite rebelle (עצׁב) (Ps. 139, 24); Tout le jour ils contrarient (יעצבו) mes paroles (Ps. 56, 6).", "C’est selon la deuxième ou la troisième signification qu’il a été dit (de Dieu): ויתעצב אל לבו, Et il était IRRITÉ ou CONTRARIÉ dans son cœur (Genèse, 6, 6). Selon la deuxième signification, l’interprétation (de ce passage) serait: Que Dieu était en colère contre eux à cause de leurs mauvaises actions. Quant aux mots אל לבו, dans son cœur, dont on se sert aussi dans l’histoire de Noé (en disant): Et l’Éternel dit en son cœur (Genèse, 8, 21), écoute quel en est le sens: lorsqu’on dit, en parlant de l’homme, qu’il disait en son cœur, בלבו ou אל לבו, il s’agit de quelque chose que l’homme ne prononce pas et qu’il ne dit pas à un autre; et de même, toutes les fois qu’il s’agit de quelque chose que Dieu a voulu et qu’il n’a pas dit à un prophète au moment où l’acte s’accomplissait conformément à la volonté (divine), on s’exprime: Et l’Éternel dit en son cœur, par assimilation à la chose humaine, et selon cette règle continuelle, que l’Écriture s’exprime selon le langage des hommes(1)Voyez ci-dessus, au commencement du chap. XXVI.; et ceci est clair et manifeste. Puis donc que, au sujet de la rébellion de la génération du déluge, il n’est point question dans l’Écriture d’un messager (divin) qui leur aurait été expédié, ni d’avertissement, ni de menace de destruction, il a été dit d’eux que Dieu était irrité contre eux dans son cœur. De même, lorsque Dieu voulut(1)Le mot אראדתה est précédé, dans l’un des mss. de Leyde, de la préposition ענד, qui ne se trouve dans aucun des autres mss. qu’il n’y eût plus de déluge, il ne disait pas à quelque prophète: Va et annonce-leur telle chose; c’est pourquoi on a dit: dans son cœur (Genèse, 8, 21).", "Pour interpréter les mots ויתעצב אל לבו selon la troisième signification, il faudrait les expliquer (dans ce sens) que l’homme contraria la volonté de Dieu dans lui(2)Le mot פיה (dans lui, c’est-à-dire: dans Dieu) se trouve dans tous les mss.; de même, dans les mss. de la version hébraïque d’Ibn-Tibbon, on lit: ומרה האדם רצון השס בו, et c’est à tort que le mot בו a été supprimé dans les éditions.; car la volonté est aussi appelée לב, cœur, comme nous l’expliquerons en parlant de l’homonymie du mot leb (לב) (3)Voir ci-après, chap. XXXIX.." ], [ "Akhal (אכל, manger). — Ce mot, dans la langue (hébraïque), s’applique primitivement, en parlant de l’animal, à l’action de prendre de la nourriture, et cela n’exige pas (de citation) d’exemples; ensuite la langue a considéré dans l’action de manger deux choses: premièrement, que la chose mangée se perd et s’en va, je veux dire que sa forme se corrompt tout d’abord; deuxièmement, que l’animal croît par la nourriture qu’il prend, que par là il continue à se conserver, prolonge(4)Au lieu de ואסתמראר (avec rêsch), quelques mss. portent ואסתמדאד (avec daleth); Cf. cette Ire partie, vers la fin des chapitres LXIII et LXIX (fol. 82 b, ligne 15, et fol. 91 a, lig. 3 et suiv. de notre texte arabe). son existence et restaure toutes les forces du corps. ", "Par rapport à la première considération, on a employé métaphoriquement le verbe akhal (אכל) pour tout ce qui se perd et se détruit, et en général pour tout dépouillement de forme; p. ex.: Et la terre de vos ennemis vous consumera (ואכלה) (Lévit., 26, 38); Un pays qui consume (אכלת) ses habitants (Nombres, 13, 32); Vous serez dévorés (תאֻכּלו) par le glaive (Isaïe, 1, 20); Le glaive dévorera-t-il (תאכל) … (II Sam., 2, 26)? Et le feu de l’Éternel s’alluma au milieu d’eux et en consuma (ותאכל) à l’extrémité du camp (Nombres, 11, 1); (Dieu) est un feu dévorant (אכׁלה) (Deutér., 4, 24), c’est-à-dire il détruit ceux qui sont rebelles envers lui, comme le feu détruit tout ce dont il s’empare. Cet emploi (du verbe akhal) est fréquent. ", "Par rapport à la deuxième considération, le verbe akhal a été employé métaphoriquement pour (désigner) le savoir et l’instruction, et, en général, les perceptions intellectuelles par lesquelles la forme humaine(1)Voyez ci-dessus, chap. I, p. 35, note 1. continue à se conserver dans l’état le plus parfait, de même que, par la nourriture, le corps reste dans son meilleur état; p. ex.: Venez, achetez et mangez (ואכלו), etc. (Isaïe, 55, 1); Écoutez-moi, et vous mangerez (ואכלו) ce qui est bon (Ibid., V. 2); Manger (אכלׁ) trop de miel n’est pas bon (Prov., 25, 27); Mange (אכל) le miel, mon fils, car il est bon; le miel pur, doux à ton palais. Telle est pour ton âme la connaissance de la sagesse, etc. (Ibid., 24, 13, 14). ", "Cet usage est également fréquent dans les paroles des docteurs, je veux dire de désigner le savoir par le verbe manger; p. ex.: «Venez manger de la viande grasse chez Rabâ(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Babâ Bathrâ, fol. 22 a. Il s’agit d’un docteur qui, vantant la supériorité de l’enseignement de Rabâ sur celui d’Abaï, disait à ses élèves: «Au lieu de ronger les os chez Abaï, venez manger de la viande grasse chez Rabâ.» Au lieu de תא אכלו, comme on lit dans tous les mss. ar. et hébr. du Guide, les éditions du Talmud portent, plus correclement, תו אכלו..» Ils disent (ailleurs): «Toutes les fois qu’il est question, dans ce livre, de manger et de boire, on ne veut parler d’autre chose que de la science», ou, selon quelques exemplaires, «de la Loi»(1)Il s’agit ici du livre de Kohéleth (l’Ecclésiaste); le passage cité se trouve dans le Midrasch rabbâ sur Kohéleth, chap. III, vers. 13, et il est conçu en ces termes: כל אכילה ושתיה שנאמרה במגלה הזאת בתורה ובמעשיס טובים הכתוב מדבר.. De même, on appelle fréquemment la science eau; p. ex.: Ô vous tous qui avez soif, allez vers l’eau (Isaïe, 55, 1)!", "Cet emploi (du verbe אכל) étant devenu très fréquent, et ayant reçu une telle extension qu’il a pris, en quelque sorte, la place de la signification primitive, on a aussi employé les mots faim et soif pour désigner l’absence du savoir et de la perception (intellectuelle); p. ex.: Et j’enverrai la faim dans le pays, non la faim du pain, ni la soif de l’eau, ṁais celle d’entendre les paroles de l’Éternel (Amos, 8, 11); Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant (Ps. 42, 3). Il y en a de nombreux exemples. Les mots: Et vous puiserez de l’eau avec joie aux fontaines du salut (Isaïe, 12, 3), Jonathan-ben-Uziel (dans sa version chaldaïque) les a rendus ainsi: Et vous recevrez avec joie une nouvelle doctrine des élus d’entre les justes. Remarque bien que, selon son interprétation, l’eau désigne la science qu’on obtiendra en ces jours; le mot מַעַיְנֵי (les fontaines), il l’assimile à מֵעֵינֵי העדה (Nombres, 15, 24), signifiant les principaux(2)Les mots מעיני העדה signifient, selon Maïmonide, par les principaux de la communauté, le mot עינים étant employé, selon lui, comme le mot arabe , les principaux ou chefs, et c’est dans le même sens que Jonathan aurait pris le mot מַעַיְנֵי, qui est de la même racine que עין (œil, source). Ibn-Tibbon, dans les notes qu’il a jointes à quelques passages de sa version du Guide, et qui sont restées inédites, critique l’opinion de Maïmonide dans les termes suivants: qui sont les savants. Il s’exprime: des élus d’entre les justes, car la justice (ou la piété) est le véritable salut. Tu vois(1)Littéralement: Vois donc; sur ארי, employé comme impératif, voy. ci-dessus, p. 19, note 2. comme il interprète chaque mot de ce verset dans le sens de savoir et d’instruction. Pénètre-toi de cela." ], [ "Sache(1)L’auteur, avant d’achever ses explications des homonymes qu’il ne reprend qu’au chap. XXXVII, entre dans des considérations générales sur la faculté de l’homme de percevoir les choses intelligibles, sur les limites de cette faculté, sur les difficultés d’aborder les études métaphysiques et sur la nécessité d’accepter d’abord a priori certaines doctrines relatives à la nature de la Divinité, afin de ne pas se méprendre sur certàines expressions par lesquelles l’Écriture semble attribuer à Dieu des passions humaines. qu’il y a pour l’intelligence humaine des objets de perception qu’il est dans sa faculté et dans sa nature de percevoir; mais qu’il y a aussi, dans ce qui existe, des êtres et des choses qu’il n’est point dans sa nature de percevoir d’une manière quelconque, ni par une cause quelconque(2)C’est-à-dire il y a des choses que l’intelligence humaine ne peut percevoir ni directement, ni indirectement ou par une cause auxiliaire. Selon le commentateur Schem-Tob, les mots par une cause sont une allusion à l’inspiration divine. Il y a, en effet, des limites que, selon l’Écriture, Moïse lui-même n’a pu franchir, comme on le verra plus loin., et dont la perception lui est absolument inaccessible(3)Littéralement: mais plutôt les portes de leur perception sont fermées devant elle, c’est-à-dire devant l’intelligence.. Il y a enfin, dans l’être, des choses dont elle perçoit telle circonstance, restant dans l’ignorance sur d’autres circonstances(4)L’auteur veut parler des sphères et de leurs mouvements, choses en partie démontrables, en partie hypothétiques, comme il le dira dans d’autres endroits.. En effet, de ce qu’elle est quelque chose qui perçoit, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’elle doive percevoir toute chose; car les sens également ont des perceptions, sans pourtant qu’ils puissent percevoir les objets à quelque distance que ce soit. ", "Il en est de même des autres facultés corporelles; car, bien que l’homme, p. ex., soit capable de soulever deux quintaux, il n’est pas pour cela capable d’en soulever dix. La supériorité qu’ont les individus de l’espèce (humaine) les uns sur les autres, dans ces perceptions sensibles et dans les autres facultés corporelles, est claire et manifeste pour tout le monde; mais elle a une limite, et la chose ne s’étend pas à quelque distance que ce soit, ni à quelque mesure que ce soit. Il en est absolument de même dans les perceptions intelligibles de l’homme, dans lesquelles les individus de l’espèce jouissent d’une grande supériorité les uns sur les autres, ce qui est également très clair et manifeste pour les hommes de science; de sorte qu’il y a tel sujet qu’un individu fait jaillir lui-même de sa spéculation, tandis qu’un autre individu ne saurait jamais comprendre ce même sujet, et quand même on chercherait à le lui faire comprendre par toute sorte de locutions et d’exemples et pendant un long espace de temps, son esprit ne peut point y pénétrer et il se refuse, au contraire, à le comprendre. Mais la supériorité en question ne va pas non plus à l’infini, et l’intelligence humaine, au contraire, a indubitablement une limite où elle s’arrête. ", "Pour certaines choses donc l’homme reconnaît l’impossibilité de les saisir et ne se sent pas le désir de les connaître, sachant bien que cela est impossible et qu’il n’y a pas de porte par laquelle on puisse entrer pour y arriver. Ainsi, p. ex., nous ignorons quel est le nombre des étoiles du ciel, et si c’est un nombre pair ou impair, et nous ignorons également le nombre des espèces des animaux, des minéraux et des plantes, et autres choses semblables Mais il y a d’autres choses que l’homme éprouve un grand désir de saisir, et les efforts de l’intelligence pour en chercher la réalité et pour les scruter à fond se rencontrent chez toutes les sectes spéculatives du monde et à toutes les époques(1)La version d’Ibn-Tibbon est ici un peu corrompue dans la plupart des éditions; les mss. portent: והתגברות השכל לבקש אמתתם ולחפשה נמצא בכל כת מעינת מבני אדם ובכל זמן. On voit qu’Ibn-Tibbon rapporte le suffixe dans ענהא au mot חקיקתהא, de sorte qu’il faudrait traduire: et pour LA scruter; nous aimons mieux rapporter ענהא au mot אשיא, les choses, comme l’a fait Al-’Harizi, qui traduit והחקירה עליהם. Ce dernier diffère encore dans un autre point de la version d’Ibn-Tibbon, car il a considéré le mot comme un prétérit, et il faudrait traduire, d’après lui, l’intelligence fait des efforts pour en chercher la réalité, et les recherches sur ces choses se rencontrent, etc. Cette traduction est également admissible; il nous semble cependant qu’il faudrait, pour traduire ainsi, lire au futur.. Et sur ces choses les opinions sont nombreuses, le désaccord règne entre les penseurs, et il naît des doutes parce que l’intelligence s’attache à saisir ces choses, je veux dire qu’elle y est attirée par le désir, et parce que chacun croit avoir trouvé un chemin pour connaître la réalité de la chose, tandis qu’il n’est point au pouvoir de l’intelligence humaine d’alléguer à cet égard une preuve démonstrative; car toute chose dont la réalité est connue au moyen d’une démonstration ne saurait être l’objet d’une différence (d’opinions), ni d’une contestation(1)Ibn-Tibbon traduit ולא הכזבה; au lieu de מגׄאדׄבה̈ il paraît avoir lu מכאדׄבה̈, démenti, que je n’ai trouvé dans aucun ms., ni d’une dénégation, si ce n’est de la part d’un ignorant qui emploie cette manière de contredire qu’on appelle la contradiction démonstrative(2)Par contradiction démonstrative, l’anteur entend ici le raisonnement démonstratif basé sur des principes faux, ou le raisonnement sophistique. Ibn-Tibbon rend les mots אלענאר אלברהאני par המחלקת המופתית, et dans son glossaire des termes techniques, il dit qu’on appelle ainsi la contradiction qui s’attaque à ce qui a été établi par une démonstration: החולק על מה שבא עליו מופת תקרא מחלקתו מחלקת מופתית. Ibn-Roschd, dans son abrégé de l’Organon, vers la fin du Livre de la Démonstration ou des Derniers Analytiques, oppose le raisonnement appelé contradiction démonstrative à celui qu’on appelle (oratio docendi et discendi), et qui a pour but d’instruire au moyen de la démonstration (Cf. Arist., Réfut. des Soph., chap. II: λόγοι διδασϰαλιϰοὶ ϰαὶ ἀποδειϰτιϰοί). Le raisonnement appelé est défini par Ibn-Roschd en ces termes:, comme tu trouves, p. ex., des gens qui contestent la sphéricité de la terre et le mouvement circulaire de la sphère céleste et autres choses semblables. Ces derniers ne trouvent point de place dans le sujet (qui nous occupe).", "Les points au sujet desquels règne cette confusion (dans les opinions) sont très nombreux dans les choses métaphysiques, en petit nombre dans les choses physiques, et nuls dans les choses mathématiques.", "Alexandre d’Aphrodise(1)Ce célèbre commentateur d’Aristote, qui florissait à la fin du IIe et au commencement du IIIe siècle, jouissait chez les Arabes, comme chez les Grecs, d’une très grande autorité. Maïmonide, dans une lettre adressée au traducteur hébreu de son Guide des égarés, R. Samuel Ibn-Tibbon, recommande tout particulièrement à celui-ci l’étude des commentaires d’Alexandre. Sur les versions arabes des nombreux ouvrages d’Alexandre, voy. Casiri, Biblioth. arab. hisp., t. I, p. 243 et suiv.; Wenrich. De Auctorum Grœcorum versionibus etc., p. 273 et suiv. dit que les causes du désaccord au sujet de certaines choses sont au nombre de trois: 1° les prétentions ambitieuses et rivales(2)Littéralement: le désir de dominer ou de primer, et (celui) de vaincre ou de prévaloir (φιλονϛιϰία). qui empêchent l’homme de percevoir la vérité telle qu’elle est; 2° la subtilité de la chose perceptible en elle-même, sa profondeur et la difficulté de la percevoir; 3° l’ignorance de celui qui perçoit, et son incapacité de saisir même ce qu’il est possible de saisir. Voilà ce que dit Alexandre. De nos temps il y a une quatrième cause qu’il n’a pas mentionnée, parce qu’elle n’existait pas chez eux(1)C’est-à-dire chez les Grecs. L’auteur anticipe par ces mots sur ce qu’il dira un peu plus loin de la puissante influence qu’exerce sur la plupart des hommes la lecture des livres religieux et l’habitude de prendre à la lettre les paroles de l’Écriture renfermant des images et des allégories. Cette cause de l’erreur, veut-il dire, n’existe que chez ceux qui croient à l’autorité des livres sacrés et qui professent une religion révélée par Dieu. Cependant cette source de l’erreur existait aussi bien chez les Grecs; car le peuple admettait la vérité des fables mythologiques. Aristote lui-même parle çà et là de la puissance de l’habitude et des croyances, qui sont quelquefois un obstacle à la connaissance de la vérité. Voy., p. ex., Métaph., l. II, chap. III.: c’est l’habitude et l’éducation, car il est dans la nature de l’homme d’aimer ce qui lui est familier et d’y être attiré. Ainsi tu vois les Bédouins, malpropres comme ils sont, privés de jouissances et se nourrissant misérablement, éprouver une répugnance pour les villes, être insensibles aux plaisirs qu’elles offrent, et préférer la situation mauvaise à laquelle ils sont habitués à une situation meilleure à laquelle ils ne sont pas habitués: de sorte qu’ils n’ont pas de plaisir à habiter les palais, ni à se vêtir de soie, ni à se procurer les délices du bain, des huiles et des parfums. ", "Il arrive de même que l’homme aime les opinions qui lui sont familières et dans lesquelles il a été élevé, qu’il les prend sous sa protection, et qu’il s’effraie de ce qui est hors d’elles. ", "Et par la même cause l’homme ferme les yeux à la perception des vérités et penche vers ses habitudes, comme cela arrive au vulgaire dans (la question de) la corporéité et dans beaucoup de choses métaphysiques, ainsi que nous l’exposerons; tout cela à cause de l’habitude et parce qu’on a été élevé avec des paroles (de l’Écriture), objet constant du respect et de la foi, (paroles) dont le sens littéral indiquerait la corporéité (de Dieu) et des choses imaginaires sans aucune vérité, mais qui ont été dites par voie d’allégorie et d’énigme, et cela pour des raisons dont je parlerai.", "Il ne faut pas croire que ce que nous avons dit ici sur l’insuffisance de l’intelligence humaine, en soutenant qu’elle a une limite à laquelle elle doit s’arrêter, ait été dit au point de vue de la religion; c’est au contraire une chose que les philosophes ont dite et qu’ils ont parfaitement comprise, sans considération de secte ni d’opinion. Et c’est une chose vraie qui ne peut être mise en doute, si ce n’est par celui qui ignore les choses déjà démontrées.", "Ce chapitre nous ne l’avons placé ici que pour servir de préparation à ce qui suivra." ], [ "Sache, ô lecteur de mon traité! qu’il arrive dans les perceptions intelligibles, en tant qu’elles se rattachent à la matière(1)Les perceptions intelligibles n’ont pas leur siége dans la matière, mais elles se rattachent à la matière par la faculté de penser, qui est une faculté physique. L’intellect en lui-même, qui reçoit l’impression des choses intelligibles, est entièrement impassible (ἀπαθήϛ) et libre de tout mélange (ἀμιγήϛ) avec une forme matérielle quelconque. D’autres philosophes arabes, et notamment Ibn-Roschd, s’expriment comme notre auteur, en disant que l’intellect n’est pas dans la matière, mais se rattache en quelque sorte à la matière. Voir Ibn-Falaquera, Moré-ha-Moré, p. 17., quelque chose de semblable à ce qui arrive aux perceptions sensibles. Ainsi, lorsque tu regardes avec ton œil, tu perçois ce qu’il est dans ta faculté visuelle de percevoir. Mais, lorsque tu forces tes yeux et que tu fixes le regard, en t’efforçant de voir à une grande distance, trop longue pour qu’il soit dans ta faculté de voir aussi loin, ou bien que tu considères une écriture très fine ou une ciselure fine dont la perception n’est point en ta faculté, de manière à forcer ton regard afin de la bien examiner, alors ta vue devient trop faible, non seulement pour ce que tu ne pouvais pas (facilement voir), mais aussi pour ce que ta faculté te permettait de percevoir; ton regard s’émousse et tu ne vois plus même ce que tu étais en état de percevoir avant d’avoir fixé le regard et de l’avoir fatigué. ", "C’est dans la même position que se trouve celui qui étudie une science quelconque, lorsqu’il se livre à la méditation; car, s’il fait des efforts(1)Au lieu de אנעם, qui a ici le sens de intendit, summa conatus est, l’un des mss. de Leyde porte אמען (aller trop loin, s’appliquer fortement). de méditation et qu’il fatigue tout son esprit, il s’hébète, et alors il ne comprend plus même ce qu’il est dans sa condition de comprendre, car toutes les facultés corporelles(2)L’auteur veut dire que la faculté de penser se trouve, sous ce rapport, dans la même position que toutes les autres facultés physiques. se trouvent sous ce rapport dans la même position.", "Pareille chose t’arrive dans les perceptions (purement) intelligibles(3)C’est-à-dire dans les perceptions ayant pour objet les choses métaphysiques auxquelles l’intellect en acte cherche à s’élever.; car, si tu t’arrêtes devant ce qui est obscur, si tu ne t’abuses pas toi-même en croyant (avoir trouvé) la démonstration pour ce qui n’est pas démontrable, si tu ne te hâtes pas(4)Ibn-Tibbon traduit, par erreur, ולא תתחיל (si tu ne commences pas); la même erreur se reproduit un peu plus loin et dans d’autres endroits de la version d’Ibn-Tibbon. de repousser et de déclarer mensonge quoi que ce soit dont le contraire n’est pas démontré, et qu’enfin tu n’aspires pas à la perception de ce que tu ne peux pas percevoir, alors tu es parvenu à la perfection humaine et tu es au rang de R. ’Akiba, qui entra en paix et sortit en paix(5)L’auteur fait ici allusion à un célèbre passage allégorique des deux Talmuds, où l’on parle de quatre docteurs qui entrèrent dans le paradis (de la science), savoir: Ben-’Azaï, ben-Zôma, A’her (Elischa’) et R.’Akiba. Des deux premiers l’un mourut pour avoir fait pénétrer ses regards, l’autre fut atteint (de folie); A’her ravagea les plantes; R. ’Akiba seul entra en paix et sortit en paix. Voy.Talmud de Jérusalem, traité ’Haghîgâ, chap. II; Talmud de Babylone, même traité, fol. 14 b. L’auteur a suivi la rédaction du Talmud de Jérusalem; dans celui de Babylone on ne lit pas les mots entra en paix. en étudiant ces choses métaphysiques. Mais si tu aspires à une perception au dessus de ta faculté perceptive, ou que tu te hâtes de déclarer mensonge les choses dont le contraire n’est pas démontré, ou qui sont possibles, fût-ce même d’une manière très éloignée, tu te joins à Élischa’ A’her(1)C’est-à-dire tu fais des ravages et tu arrives à nier tout, comme faisait A’her., et non seulement tu ne seras pas parfait, mais tu deviendras tout ce qu’il y a de plus imparfait; il t’arrivera alors de laisser prendre le dessus aux imaginations et d’être entraîné au vice, à la dépravation et au mal, parce que l’esprit sera préoccupé et sa lumière éteinte, de même qu’il se présente à la vue toute espèce de vains fantômes lorsque l’esprit visuel(2)Plusieurs éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent כח הראה; mais il faut lire, d’après l’arabe, הרוח הרואה, comme l’ont, en effet, les mss. de la version hébraïque et l’édition princeps. L’esprit visuel, chez les Scolastiques: spiritus visivus (ὀπτιϰὸν πνεῦμα, Alex Aphrod., Problem., I, 74), est, selon les anciens, le plus subtil des esprits animaux qui concourent à former les sensations, et qui ont leur centre commun dans le cerveau. Au XXIXe chap. de la IIe partie du Guide, notre auteur parle également de l’esprit visuel qui se trouble et s’affaiblit par les agitations de l’âme. — Ibn-Roschd, dans l’analyse du traité du Sens et du Sensible (ou mieux de Parva naturalia), en parlant de l’organe de la vue, s’exprime ainsi: s’affaiblit chez les malades et chez ceux qui fixent le regard sur des objets brillants ou sur des objets très subtils. ", "C’est dans ce sens qu’il a été dit: Si tu trouves du miel, manges-en ce qui te suffit, mais ne t’en rassasie pas, car tu le vomirais (Prov., 25, 16). En effet, les docteurs ont appliqué ce passage allégoriquement à Élischa’ A’her(1)L’auteur paraît avoir fait ici une erreur de mémoire; car, dans nos éditions des deux Talmuds, le passage en question n’est point appliqué à A’her, mais à celui qui fut atteint de folie, c’est-à-dire, dans le Talmud de Jérusalem, à ben-’Azaï, et dans le Talmud de Babylone, à ben-Zôma.. Cetto allégorie est bien remarquable; car en comparant ici le savoir au manger, selon ce que nous avons déjà dit(2)Voir ci-dessus, chap. XXX, p. 101., on mentionne le plus doux des aliments, savoir le miel. Le miel, par sa nature, lorsqu’on en prend beaucoup, excite l’estomac et fait vomir. Ce passage dit en quelque sorte que, quelles que soient l’importance et la grandeur de cette perception et la perfection qu’on y trouve, il est dans sa nature, — lorsqu’on ne s’y arrête pas à une certaine limite et qu’on ne s’y avance pas avec précaution, — de tourner à l’imperfection, de même qu’en mangeant du miel on se nourrit et se délecte lorsqu’on en mange avec mesure, mais lorsqu’on en prend trop, tout s’en va; (c’est pourquoi) on n’a pas dit: Ne t’en rassasie pas, car tu t’en DÉGOÛTERAIS, mais on a dit: car tu le VOMIRAIS.", "C’est à cette même idée qu’on a fait allusion en disant: Manger trop de miel n’est pas bon, etc. (Prov., 25, 27); de même en disant: Ne cherche pas trop de sagesse; pourquoi veux-tu t’anéantir (Ecclésiaste, 7, 16)? On y a encore fait allusion par ces mots: Observe ton pied, lorsque tu vas à la maison de Dieu, etc. (Ibid., 4, 17); et David aussi y a fait allusion en disant: Et je n’ai point pénétré dans des choses trop grandes et trop obscures pour moi (Ps. 131, 1). C’est encore cette idée qu’ils (les docteurs) ont eue en vue en disant(1)Le passage cité ici est rapporté dans le Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, fol. 13 a, d’après le livre de Ben-Sîrâ, ou de Jésus, fils de Sirach; cf. Beréschîth rabbâ, sect. VIII. Il se trouve en effet au chap. III de l’Ecclésiastique, versets 21 et 22 du texte grec: Χαλεπώτερά σου μή ζήτει, ϰαὶ ἰσχυρότερά σου μὴ ἐξέταζε. ἅ προσετάγη σοι, ταῦτα διανοῦ. οὐ γάρ ἐστί σοι χρεία τῶν ϰρυπτῶν. — Dans la citation de Maïmonide, telle qu’elle se trouve dans tous les mss. ar. du Guide, il y a deux mots qui diffèrent de nos éditions du Talmud, où on lit התבונן au lieu de דרוש, et בנסתרות au lieu de בנפלאות.: «N’étudie pas ce qui est trop obscur pour toi et ne scrute pas ce qui est trop enveloppé pour toi; étudie ce qu’il t’est permis (de connaître), et ne t’occupe pas des choses obscures;» ce qui veut dire qu’il ne faut engager son intelligence que dans ce qu’il est possible à l’homme de percevoir, mais quant à ce qu’il n’est pas dans la nature de l’homme de percevoir, il est très dangereux de s’en occuper, ainsi que nous l’avons expliqué. C’est là aussi ce qu’ils ont eu en vue en disant: «Quiconque examine quatre choses, etc.(2)Ce passage, qui se trouve dans la Mischnâ (IIe partie, traité ’Haghîgâ, chap. II, § 1), est conçu en ces termes: «Quiconque examine quatre choses aurait dû ne pas venir au monde; (ces quatre choses sont:) ce qui est au dessus et ce qui est au dessous (de l’univers), ce qui fut avant (le monde) et ce qui sera après. Et quiconque ne respecte pas la gloire de son Créateur aurait dû ne pas venir au monde.»», passage qu’ils ont terminé par ces mots: «et quiconque ne respecte pas la gloire de son Créateur», (et qui renferme) une allusion à ce que nous venons d’expliquer, savoir: que l’homme ne doit pas précipitamment aborder la spéculation avec de fausses imaginations, et que, s’il lui survient des doutes, ou si la chose en question ne lui est pas démontrée, il ne doit pas l’abandonner et rejeter, ni se hâter de la déclarer mensonge, mais, au contraire, rester calme, respecter la gloire de son Créateur, s’abstenir et s’arrêter. C’est là une chose suffisamment expliquée. ", "Mais le but de ces sentences prononcées par les prophètes et les docteurs n’est pas de fermer entièrement la porte de la spéculation et de dépouiller l’intelligence de la perception de ce qu’il est possible de percevoir, comme le croient les ignorants et les nonchalants, qui se plaisent à faire passer leur imperfection et leur stupidité pour de la perfection et de la sagesse, et la perfection des autres et leur science pour de l’imperfection et de l’irréligion, qui font les ténèbres, lumière, et la lumière, ténèbres (Isaïe, 5, 20); toute l’intention est, au contraire, d’énoncer que les intelligences des mortels ont une limite à laquelle elles doivent s’arrêter.", "Il ne faut pas critiquer certaines paroles dites à l’égard de l’intelligence, dans ce chapitre et dans d’autres; car le but a été de guider (le lecteur) vers le sujet (particulier) qu’on avait en vue, et non pas d’approfondir ce que c’est que l’intelligence, chose qui sera examinée dans d’autres chapitres(1)Voir ci-après, chap. LXVIII et LXXII.." ], [ "Sache qu’il serait très dangereux de commencer (les études) par cette science, je veux dire par la métaphysique; de même (il serait dangereux) d’expliquer (de prime abord) le sens des allégories prophétiques et d’éveiller l’attention sur les métaphores employées dans le discours et dont les livres prophétiques sont remplis. Il faut, au contraire, élever les jeunes gens et affermir les incapables selon la mesure de leur compréhension; et celui qui se montre d’un esprit parfait et préparé pour ce degré élevé, c’est-à-dire pour le degré de la spéculation démonstrative et des véritables argumentations de l’intelligence, on le fera avancer peu à peu jusqu’à ce qu’il arrive à sa perfection, soit par quelqu’un qui lui donnera l’impulsion, soit par lui-même. ", "Mais lorsqu’on commence par cette science métaphysique, il en résulte non seulement un trouble dans les croyances, mais la pure irréligion(1)Le verbe , qui signifie dépouiller, vider, faire cesser, s’emploie aussi dans le sens de nier les dogmes religieux. Al-Makrizi, dans sa Description de l’Égypte, reproche à Maïmonide lui-même d’avoir rendu les juifs mo’attila . Silv. de Sacy a rendu plusieurs fois le participe par athée; il dit cependant, dans une note, qu’il y a peut-être un peu de rigueur à traduire ainsi; car, ajoute-t-il, le dogme du consiste plutôt à nier les attributs de Dieu, et à le présenter comme inaccessible à l’intelligence de l’homme et étranger au gouvernement de l’univers, qu’à nier directement son existence (voy. Chrest. ar., 2e édition, tome I, p. 325, et tome II, p. 96). Le mot irréligion me paraît répondre, mieux que tout autre, à l’idée que Maïmonide attache au mot ; c’est la négation de ce qui est écrit dans les livres religieux, comme on peut le voir dans plusieurs autres passages du Guide; p. ex., IIe partie, chap. XXV: אלתכדׄיב ואלתעטיל לגׄמיע טׄואהר אלשריעה̈ «Le démenti et la négation de tous les textes de la Loi»; et ibid., chap. XXIX, vers la fin: או לתעטיל מחץׄ וכפר בקואעד אלשריעה̈ «… ou bien (ces expressions conduisent) à la pure irréligion et à nier les fondements de la Loi.». Je ne puis comparer cela qu’à quelqu’un qui ferait manger à un jeune nourrisson du pain de froment et de la viande, et boire du vin; car il le tuerait indubitablement, non pas parce que ce sont là des aliments mauvais et contraires à la nature de l’homme, mais parce que celui qui les prend est trop faible pour les digérer de manière à en tirer profit. De même, si l’on a présenté les vérités métaphysiques(2)Littéralement: Ces opinions vraies. d’une manière obscure et énigmatique, et si les savants ont employé toutes sortes d’artifices pour les enseigner de manière à ne pas se prononcer clairement, ce n’est pas parce qu’elles renferment intérieurement quelque chose de mauvais, ou parce qu’elles renversent les fondements de la religion, comme le croient les ignorants qui prétendent être arrivés au degré de la spéculation; mais elles ont été enveloppées parce que les intelligences, dans le commencement, sont incapables de les accueillir, et on les a fait entrevoir, afin que l’homme parfait les connût; c’est pourquoi on les appelle mystères et secrets de la Torâ, comme nous l’expliquerons.", "C’est là la raison pour laquelle l’Écriture s’est exprimée selon le langage des hommes, ainsi que nous l’avons expliqué(1)Voy. ci-dessus, chap. XXVI.. C’est qu’elle est destinée à servir de première étude et à être apprise par les enfants, par les femmes et par la généralité des hommes, qui ne sont pas capables de comprendre les choses dans leur réalité; c’est pourquoi on s’est borné pour eux à la (simple) autorité(2)C’est-à-dire, on n’a fait que suivre l’autorité de la tradition sans entrer dans le fond des choses. toutes les fois qu’il s’agissait d’une opinion vraie dont on désirait proclamer la vérité, et à l’égard de toute chose idéale(3)Par , l’auteur paraît comprendre ici en général tout ce qui est du domaine de la pensée ou de l’idée, tous les êtres métaphysiques, ainsi que les idées qui s’y rattachent. (on s’est attaché) à ce qui peut indiquer à l’esprit qu’elle existe, et non à (examiner) la véritable nature de son être(4)Littéralement: à ce qui dirige l’esprit vers son existence (celle de la chose idéale), et non à la réalité de sa quiddité. La préposition עלי qui suit le mot תצור dépend du verbe , on s’est borné, on s’est contenté; il en est de même de la seconde préposition עלי qui précède le mot חקיקה̈, et qui dépend grammaticalement du même verbe, quoiqu’elle ne se trouve là que par une espèce d’attraction, car le sens demanderait une autre construction. L’auteur veut dire que, toutes les fois qu’il s’agissait d’une idée ou d’une chose métaphysique, on s’est contenté de se servir d’expressions qui pouvaient faire pressentir à l’esprit que cette chose est, sans examiner ce qu’elle est réellement. La traduction d’Ibn-Tibbon est un peu obscure; elle porte: (ar.מא שיישר השכל אל (נחו (sous-entendu; ובכל ציור (הספיק עמהם אמתת מהותו (ar. מציאותו לא על (עלי. Dans plusieurs mss. on lit אל אמתת, et les deux prépositions, quoique bien distinctes dans l’original ar., paraissent, selon la traduction, dépendre du verbe . Les commentateurs ont pensé que le suffixe dans מציאותו et מהותו se rapportait à Dieu, et c’est aussi l’opinion d’Al-’Harizi, qui traduit: שיורה הרעיון על מציאות (lisez ובכל מחשבה וציור השכל כמו (במא הבורא לא להשיג אמתת מהותו. Mais si l’auteur avait voulu parler de Dieu en particulier, il se serait exprimé plus clairement, et il n’aurait pas manqué, tout au moins, d’ajouter après וגׄודה le mot תעאלי. Le sens que nous avons donné à ce passage nous paraît pleinement confirmé par la manière dont l’auteur s’exprime un peu plus loin: . Mais lorsque l’individu s’est perfectionné, et que les secrets de la Torâ lui sont révélés(1)Littéralement: livrés, transmis. Ces mots que l’auteur a écrits en hébreu renferment une allusion à ce passage talmudique (’Haghîgâ, fol. 13 a): אין מוסרין סתרי תורה וכו׳. Voy. le chap. suiv. vers la fin., soit par un autre, soit par lui-même, au moyen de leur combinaison mutuelle(2)Littéralement: quand ils (ces secrets) lui donnent l’éveil les uns sur les autres, c’est-à-dire quand il les devine lui-même en les combinant les uns avec les autres. Le suffixe dans בעצׁהא se rapporte à סתרי תורה., il arrive au point de reconnaître la vérité de ces opinions vraies par les véritables moyens de constater la vérité, soit par la démonstration, lorsque celle-ci est possible, soit par des argumentations solides, quand ce moyen est praticable; et de même il se représente dans leur réalité ces choses (idéales), qui étaient pour lui des choses d’imagination et des figures, et il comprend leur (véritable) être.", "Nous avons déjà cité à plusieurs reprises, dans nos discours, ce passage: «Ni (on n’interprétera) la mercabâ, même à un seul, à moins que ce ne soit un homme sage comprenant par sa propre intelligence, et alors on lui en transmettra seulement les premiers éléments(3)Voyez ci-dessus, p. 9..» Personne donc ne doit être introduit dans cette matière, si ce n’est selon la mesure de sa capacité et aux deux conditions suivantes: 1° d’être sage, c’est-à-dire de posséder les connaissances dans lesquelles on puise les notions préliminaires de la spéculation; 2° d’être intelligent, pénétrant et d’une perspicacité naturelle, saisissant un sujet par la plus légère indication, et c’est là le sens des mots: comprenant par sa propre intelligence. ", "La raison pour laquelle il est interdit d’instruire les masses selon la véritable méthode spéculative, et de les mettre à même, de prime abord, de se former une idée de la véritable nature des choses(1)Littéralement: des quiddités des choses telles qu’elles sont., et pourquoi il est absolument nécessaire qu’il en soit ainsi et pas autrement(2)Littéralement: que ce ne soit si ce n’est ainsi. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement: שלא יהיה אלא אס כן אביאהו; il faut effacer אס et אכיאהו, et lire: שלא יהיה אלא כן, comme l’ont en effet les mss. Los mots פי פצל se rattachent aux mots וסאכין לך, qui sont au commencement de la phrase., (tout cela) je veux te l’expliquer dans le chapitre suivant. Je dis donc:" ], [ "Les causes qui empêchent d’ouvrir l’enseignement par les sujets métaphysiques, d’éveiller l’attention sur ce qui mérite attention, et de présenter cela au vulgaire, sont au nombre de cinq.", "La PREMIÈRE CAUSE est: la difficulté de la chose en elle-même, sa subtilité et sa profondeur, — comme on a dit: Ce qui existe est loin (de notre conception); ce très profond, qui peut le trouver (Ecclésiaste, 7, 24)? et comme il est dit encore: Et d’où trouvera-t-on la sagesse (Job, 28, 12)? — Il ne faut donc pas commencer, dans l’enseignement, par ce qu’il y a de plus difficile à comprendre et de plus profond. Une des allégories répandues dans (les traditions de) notre nation est la comparaison de la science avec l’eau(1)Voy. ci-dessus, chap. XXX, vers la fin.; les docteurs ont expliqué cette allégorie de différentes manières, et (ils ont dit) entre autres: Celui qui sait nager tire des perles du fond de la mer, mais celui qui ignore la natation se noie; c’est pourquoi celui-là seul se hasarde à nager, qui s’y est exercé pour l’apprendre.", "La DEUXIÈME CAUSE est: l’incapacité qu’il y a d’abord dans l’esprit des hommes en général; car l’homme n’est pas doué, de prime abord, de sa perfection finale, mais la perfection se trouve dans lui en puissance, et dans le commencement il est privé de l’acte (comme dit l’Écriture): Et l’homme naît comme un ânon sauvage (Job, 11, 12). Mais lorsqu’un individu possède quelque chose en puissance, il ne faut pas nécessairement que cela passe à l’acte; au contraire, l’individu reste quelquefois dans son imperfection, soit par certains obstacles, ou faute de s’exercer dans ce qui fait passer cette puissance à l’acte. Il est dit expressément: Il n’y en a pas beaucoup qui deviennent sages (Ibid., 32, 9); et les docteurs ont dit: «J’ai vu les gens d’élévation, mais ils sont peu nombreux(2)Ces paroles sont attribuées à R. Siméon ben-Io’haï. Voy. Talmud de Babylone, traité Succâ, fol. 45 b; Synhedrin, fol. 97 b.;» car les obstacles de la perfection sont très nombreux et les préoccupations qui l’empêchent sont multiples, et quand donc peut-on obtenir cette disposition parfaite et ce loisir (nécessaire) pour l’étude, afin que ce que l’individu possède en puissance puisse passer à l’acte?", "La TROISIÈME CAUSE est: la longueur des études préparatoires; car l’homme éprouve naturellement un désir de chercher les points les plus élevés, et souvent il s’ennuie des études préparatoires ou il les abandonne. Mais sache bien que, si l’on pouvait arriver à quelque point élevé (de la science) sans les études préparatoires qui doivent précéder, ce ne seraient point là des études préparatoires, mais ce seraient des occupations inutiles et de simples superfluités. Si tu éveillais un homme quelconque, même le plus stupide des hommes, comme on éveille quelqu’un qui dort, en lui disant: Ne désirerais-tu pas connaître à l’instant ces cieux (et savoir) quel en est le nombre, quelle en est la figure et ce qu’ils renferment? Ce que c’est que les anges? Comment a été créé le monde dans son ensemble et quel en est le but conformément à la disposition réciproque de ses parties? Ce que c’est que l’âme et comment elle est arrivée dans le corps? Si l’âme de l’homme est séparable (du corps), et étant séparable, comment, par quel moyen et à quelle fin elle l’est(1)Les commentateurs expliquent ainsi ces dernières questions: Si l’âme de l’homme est séparable du corps et qu’elle existe après la mort comme une substance séparée, alors 1° comment est cette existence, c’est-à-dire l’âme de chaque homme existe-t-elle individuellement, ou bien toutes les âmes ne forment-elles qu’une seule substance?par quel moyen arrive-t-elle à l’immortalité? est-ce par la spéculation philosophique, ou bien par la pratique des préceptes religieux? et enfin 3° à quelle fin, c’est-à-dire à quoi aboutit la permanence de l’âme? est-ce à l’union avec l’intellect actif, ou à l’union avec Dieu? En effet, ce sont là les questions qui ont principalement occupé les péripatéticiens arabes, et qui ont donné lieu à d’interminables discussions tant chez les philosophes arabes que chez les Scolastiques.? et d’autres recherches semblables, — cet homme te répondrait sans doute: «Oui,» et il éprouverait un désir naturel de connaître ces choses dans leur réalité; seulement il voudrait apaiser ce désir et arriver à la connaissance de tout cela par un seul mot, ou par deux mots que tu lui dirais. Cependant, si tu lui imposais (l’obligation) d’interrompre ses affaires pendant une semaine, afin de comprendre tout cela, il ne le ferait pas, mais il se contenterait plutôt de fausses imaginations avec lesquelles son âme se tranquillise, et il lui serait désagréable qu’on lui déclarât qu’il existe quelque chose qui a besoin d’une foule de notions préliminaires et de recherches très prolongées.", "Quant à toi, tu sais que les sujets en question se lient les uns aux autres. En effet, il n’y a, dans l’être, autre chose que Dieu et toutes ses œuvres; ces dernières sont tout ce que l’être renferme hormis lui (Dieu). Il n’y a aucun moyen de percevoir Dieu autrement que par ses œuvres; ce sont elles qui indiquent son existence et ce qu’il faut croire à son égard, je veux dire ce qu’il faut affirmer ou nier de lui. Il faut donc nécessairement examiner tous les êtres dans leur réalité, afin que de chaque branche (de science) nous puissions tirer des principes vrais et certains pour nous servir dans nos recherches métaphysiques. Combien de principes ne puise-t-on pas, en effet, dans la nature des nombres et dans les propriétés des figures géométriques, (principes) par lequels nous sommes conduits à (connaître) certaines choses que nous devons écarter de la Divinité et dont la négation nous conduit à divers sujets (métaphysiques)(1)Ibn-Falaquera cite pour exemple, dans les nombres, l’unité, et dans les figures géométriques, le cercle. Toutes les puissances et racines du nombre un sont un, et ce nombre donne l’idée de ce qui ne peut être ni multiplié ni divisé sans cesser d’être ce qu’il est. Il en est de même du cercle; car la circonférence, image de l’unité, ne saurait être ni augmentée ni diminuée sans cesser d’être une circonférence, tandis que la ligne droite peut être augmentée et diminuée tout en restant ligne droite. Ainsi le nombre un et la circonférence nous donnent l’idée de l’unité absolue, excluant les idées du multiple et du divisible, que nous devons écarter de la Divinité. Si l’auteur insiste particulièrement sur ce que nous devons écarter de la Divinité, il faut se rappeler que, selon lui, les attributs de Dieu doivent s’exprimer par des négations, et qu’il insiste sur les attributs négatifs (אלסואלב), afin d’établir, dans sa plus grande pureté, le principe de l’unité de Dieu. Voy. ci-après, chap. LVIII.! Quant aux choses de l’astronomie et de la physique, il n’y aura, je pense, aucun doute pour toi que ce ne soient des choses nécessaires pour comprendre la relation de l’univers au gouvernement de Dieu, telle qu’elle est en réalité et non conformément aux imaginations. Il y a aussi beaucoup de choses spéculatives, lesquelles, sans fournir des principes pour cette science (métaphysique), exercent pourtant l’esprit, et lui font acquérir l’art(2)מלכה̈ signifie une qualité inhérente; l’auteur veut dire que, par ces choses spéculatives, l’esprit s’habitue à l’art de la démonstration qui devient, en quelque sorte, une faculté inhérente à sa nature. de la démonstration et connaître la vérité dans ce qu’elle a d’essentiel(1)באלאמור אלדׄאתיה̈ לה littéralement: par les choses qui lui sont essentielles; le suffixe dans לה se rapporte, selon moi, à אלחק, la vérité, et c’est à tort, il me semble, que quelques commentateurs de la version d’Ibn-Tibbon rapportent le pronom lui à la démonstration. L’auteur veut dire que ces choses spéculatives (par lesquelles il entend les différentes branches de la logique) font distinguer, dans la vérité à démontrer, ce qui y est essentiel et ce qui n’y est qu’accidentel. Al-’Harizi traduit: מענינים המורים על עצם הבורא, par les choses qui indiquent l’essence du Créateur, rapportant le pronom lui au mot Dieu ou Créateur, qui serait sous-entendu; mais sa traduction n’offre pas de sens satisfaisant et me paraît tout à fait inadmissible (cf. ci-dessus, chap. XXXIII, page 117, à la fin de la note 4 de la page précédente)., faisant cesser le trouble que la confusion des choses accidentelles avec les choses essentielles fait naître généralement dans les esprits des penseurs, ainsi que les fausses opinions qui en résultent. Ajoutons à cela (l’avantage) de bien concevoir ces autres sujets (dont nous venons de parler), considerés en eux-mêmes(2)Ce passage est assez obscur; je crois que, par les mots תלך אלאמור, l’auteur veut désigner les choses de l’astronomie et de la physique (אמור אלהיאה̈ אלפלכיה̈ ואלעלם אלטביעי) dont il vient de parler. Il veut dire que l’étude des différentes parties de la logique contribue aussi, en rectifiant le jugement et en précisant les idées, à mieux comprendre les sujets de l’astronomie et de la physique, et à les faire envisager à leur véritable point de vue. En effet, ces sciences supposent les notions générales qu’on acquiert par la logique, telles que les notions de substance, d’accident, de nécessaire, de possible, etc., ainsi que la connaissance du syllogisme et de la démonstration., quand même ils ne serviraient pas de base à la science métaphysique. Enfin, elles ne manquent pas d’avoir d’autres avantages pour certaines choses qui font parvenir à cette science(3)C’est-à-dire, outre les avantages énumérés, lesdites choses spéculatives en ont encore d’autres relatifs à certaines choses par lesquelles nous arrivons aux sciences métaphysiques. Ce passage aussi manque de clarté, et aucun commentateur, que je sache, n’en a donné l’explication. L’auteur, en disant que la logique a l’avantage de faire connaître des choses plus directement en rapport avec la métaphysique, fait allusion, il me semble, à la nature ontologique des catégories et de divers autres sujets traités dans l’Organon d’Aristote. Cf. ci-dessus, p. 27, Ve cause, et la note 2.. Il faut donc nécessairement que celui qui veut (obtenir) la perfection humaine s’instruise d’abord dans la logique, ensuite graduellement dans les mathématiques, ensuite dans les sciences physiques, et après cela dans la métaphysique. ", "Nous trouvons beaucoup d’hommes dont l’esprit s’arrête à une partie de ces sciences, et lors même que leur esprit ne se relâche pas, il arrive quelquefois que la mort les surprend quand ils en sont encore aux études préparatoires. Si donc nous ne recevions jamais une opinion par la voie de l’autorité traditionnelle, et que nous ne fussions guidés sous aucun rapport par l’allégorie, mais que nous fussions obligés de nous former (de toute chose) une idée parfaite au moyen de définitions essentielles et en n’admettant que par la démonstration ce qui doit être admis comme vrai, — chose qui n’est possible qu’après ces longues études préparatoires, — il en résulterait que les hommes, en général, mourraient, sans savoir seulement s’il existe un Dieu pour l’univers ou s’il n’en existe pas, et encore bien moins lui attribuerait-on un gouvernement ou écarterait-on de lui une imperfection(1)L’auteur veut dire que les hommes, ne sachant même pas si Dieu existe, sauraient encore bien moins ce qu’il faut admettre ou ne pas admettre à son égard; p. ex. s’il faut lui attribuer le gouvernement du monde, s’il faut écarter de lui toute espèce d’imperfection, et d’autres questions semblables. Le mot ar. חכם que nous avons rendu par gouvernement est un peu vague; les deux traducteurs hébreux l’ont rendu par דבר, quelque chose, ce qui est inexact et offre peu de sens; cependant dans un ms. de la version d’Ibn-Tibbon (fonds de l’Oratoire, n° 46) nous lisons דין jugement. Le mot signifie, en effet, jugement, ou bien régime, gouvernement; l’auteur venant d’employer l’expression: s’il existe un Dieu pour l’univers ou le monde, nous croyons qu’il a voulu parler ici de l’intervention de Dieu dans le gouvernement du monde.. Personne n’échapperait jamais à ce malheur, si ce n’est peut-être un seul dans une ville ou (tout au plus) deux dans une famille(2)L’auteur fait allusion aux paroles de Jérémie, chap. 3, V. 14..", "Quant aux quelques uns qui sont les restes que l’Éternel appelle(1)C’est-à-dire, le petit nombre des élus; ces paroles sont tirées du livre de Joël, chap. 3, V. 5., la perfection, qui est le dernier but, ne leur sera véritablement acquise qu’après les études préparatoires. Salomon déjà a déclaré que les études préparatoires sont absolument nécessaires, et qu’il est impossible de parvenir à la véritable sagesse, si ce n’est après s’être exercé; il a dit: Si le fer est émoussé et qu’il n’ait pas les faces polies, vaincra-t-il des armées? mais il faut encore plus de préparation pour (acquérir) la sagesse (Ecclésiaste, 10, 10)(2)Nous avons traduit ce verset dans le sens que Maïmonide paraît lui attribuer.; et il a dit encore: Écoute le conseil et reçois l’instruction, afin que tu deviennes sage à ta fin (Prov., 19, 20).", "Ce qui encore nécessite l’acquisition des connaissances préparatoires, c’est qu’une foule de doutes se présentent promptement à l’homme pendant l’étude, et qu’il comprend avec une égale promptitude les objections, je veux dire comment on peut réfuter certaines assertions, — car il en est de cela comme de la démolition d’un édifice(3)L’auteur veut dire que les doutes et les objections se présentent promptement à l’esprit, de même que la démolition d’un édifice, construit avec beaucoup de peine, s’opère facilement et avec promptitude., — tandis qu’on ne peut bien affermir les assertions ni résoudre les doutes, si ce n’est au moyen de nombreux principes puisés dans ces connaissances préparatoires. Celui donc qui aborde la spéculation sans une étude préparatoire est comme quelqu’un qui, courant à toutes jambes pour arriver à un endroit, tombe, chemin faisant, dans un puits profond d’où il n’a aucun moyen de sortir, de sorte qu’il meurt; s’il s’était abstenu de courir et qu’il fût resté à sa place, il aurait certainement mieux fait.", "Salomon, dans les Proverbes, a longuement décrit les manières des paresseux et leur incapacité, et tout cela est une allégorie sur l’incapacité de chercher la science; parlant de celui qui désire arriver aux derniers termes (de la science), et qui, sans s’occuper d’acquérir les connaissances préparatoires qui font parvenir à ces derniers termes, ne fait autre chose que désirer, il s’exprime ainsi: Le désir du paresseux le tue, car ses mains refusent d’agir. Tout le jour il ne fait que désirer; mais le juste donne et n’épargne rien (Prov., 21, 25 et 26). Il veut dire que, si son désir le tue, la cause en est qu’il ne s’occupe pas de faire ce qui pourrait apaiser ce désir; qu’au contraire, il ne fait autre chose que désirer ardemment, et qu’il attache ses espérances à une chose pour l’acquisition de laquelle il n’a pas d’instrument; il aurait donc mieux valu pour lui d’abandonner ce désir. Regarde comme la fin de l’allégorie en explique bien le commencement, en disant: mais le JUSTE donne et n’épargne rien; car juste (ou pieux) ne peut être opposé à paresseux que selon ce que nous avons exposé. Il veut dire, en effet, que le juste parmi les hommes est celui qui donne à chaque chose ce qui lui est dû, c’est-à-dire (qui consacre) tout son temps à l’étude et qui n’en réserve rien pour autre chose; c’est comme s’il avait dit: mais le juste donne ses jours à la science et n’en réserve aucun, expression semblable à celle-ci: Ne donne pas ta force aux femmes (Ib., XXXI, 3).", "La plupart des savants, je veux parler de ceux qui ont une réputation de science, sont affligés de cette maladie, je veux dire de celle de chercher les derniers termes (de la science) et d’en disserter, sans s’occuper des études préparatoires. Il y en a dans lesquels l’ignorance et le désir de dominer arrivent au point de leur faire blâmer ces connaissances préparatoires qu’ils sont ou incapables de saisir ou paresseux à étudier, et qui s’efforcent de montrer qu’elles sont nuisibles ou (tout au moins) inutiles; mais, quand on y réfléchit, la vérité est claire et manifeste(1)C’est-à-dire, pour celui qui y réfléchit bien, il est évident que les études préparatoires sont nécessaires..", "La QUATRIÈME CAUSE est dans les dispositions naturelles; car il a été exposé et même démontré que les vertus morales sont préparatoires pour les vertus rationnelles(2)Sur la division des vertus (ἀρεταί) en morales (ἠθιϰαί) et rationnelles ou intellectuelles (διανοητιϰαί) et sur leurs rapports mutuels, voy. Aristote, Morale à Nicomaque, l. I, chap. 13; 1. II, chap. 1 et suiv.: l. VI, chap. 2. Comparez aussi ce que Maïmonide lui-même dit à cet égard dans les Huit chapitres, placés en tête de son commentaire sur le traité Abôth; au chap. II on lit: «Les vertus sont de deux espèces, vertus morales (פצׄאיל כׄלקיה̈) et vertus rationnelles (פצׄאיל נטקיה̈), et il leur est opposé deux espèces de vices, etc.» Voir la Porta Mosis de Pococke, p. 191., et que l’acquisition de véritables (vertus) rationnelles, je veux dire de parfaites notions intelligibles, n’est possible qu’à un homme qui a bien châtié ses mœurs et qui est calme et posé. Il y a beaucoup de gens qui ont, dès l’origine, une disposition de tempérament avec laquelle aucun perfectionnement (moral) n’est possible. Celui, p. ex., qui, de nature, a le cœur extrêmement chaud(1)Au lieu de les mss. portent généralement קוי, et les deux traducteurs hébreux ont considéré ce mot comme un adjectif; mais il s’agit ici uniquement de la chaleur du cœur et nullement de la force. Nous préférons lire קויא, comme le porte un ms., et nous considérons ce mot comme un adverbe; les mots ג֯דא קויא signifient très fortement. La leçon de קוי qu’ont la plupart des mss. ne s’oppose pas à cette interprétation; car on sait que le א de l’accusatif adverbial est souvent omis dans les mss. ne peut s’empêcher d’être violent, quand même il ferait les plus grands efforts sur lui-même(2)Littéralement: quand même il se serait exercé du plus grand exercice.; et celui qui a les testicules d’un tempérament chaud et humide et fortement constitués et dont les vaisseaux spermatiques produisent beaucoup de sperme pourra difficilement être chaste, quand même il ferait des efforts extrêmes sur lui même. De même, tu trouves certains hommes pleins de légèreté et d’étourderie et dont les mouvements très agités et sans ordre indiquent une complexion vicieuse et un mauvais tempérament dont on ne peut rendre compte(3)C’est-à-dire, qu’on ne peut expliquer avec précision et qui échappe à l’analyse.. Dans ceux-là on ne verra jamais de perfection, et s’occuper avec eux de cette matière(4)C’est-à-dire, de la métaphysique. serait une pure sottise de la part de celui qui le ferait; car cette science, comme tu sais, n’est ni de la médecine, ni de la géométrie, et, par les raisons que nous avons dites, tout le monde n’y est pas préparé. Il faut donc la faire précéder de préparations morales, afin que l’homme parvienne à une rectitude et à une perfection extrêmes; car l’Éternel a en abomination celui qui va de travers, et son secret est avec ceux qui sont droits (Prov., 3, 32). C’est pourquoi on trouve mauvais de l’enseigner aux jeunes gens; et même ceux-ci ne pourront point la recevoir, — ayant le naturel bouillant et l’esprit préoccupé, à cause de la flamme de la jeunesse, — jusqu’à ce que cette flamme qui les trouble soit éteinte, qu’ils aient obtenu le calme et la tranquillité, et que leur cœur devienne humble et soumis par tempérament. C’est alors qu’ils désireront eux-mêmes s’élever à ce (haut) degré(1)Littéralement: Ils feront lever ou ils exciteront leurs âmes à ce degré. qui est la perception de Dieu, je veux dire la science de la métaphysique qui a été désignée par la dénomination de Ma’asé mercabâ(2)Voy. ci-dessus, p. 9., comme dit (l’Écriture): L’Éternel est près de ceux qui ont le cœur brisé (Ps. 34, 19) et ailleurs: Je demeure (dans le lieu) élevé et saint, et avec celui qui est contrit et humble d’esprit, etc. (Isaïe, 57, 15).", "C’est pour cette raison que dans le Talmud, au sujet de ces mots: on lui en transmettra les premiers éléments, ils (les docteurs) disent(3)Voy. Talm. de Bab., traité ’Haghigâ, fol. 13 a; cf. ci-dessus, p. 9.: «On ne transmet, même les premiers éléments, si ce n’est à un président de tribunal, et seulement s’il a le cœur affligé(4)C’est-à-dire, à un homme qui a à la fois de la gravité et de l’humilité. Au lieu de והוא nos éditions du Talmud portent ולכל מי; d’après cette leçon il faudrait traduire: et à tous ceux qui ont le cœur affligé.;» et par là on veut désigner l’humilité, la soumission et la grande piété jointes à la science. ", "Au même endroit il est dit: «On ne transmet les secrets de la Torâ qu’à un homme de conseil, savant penseur et s’exprimant avec intelligence(1)Ces mots tirés d’Isaïe, chap. 3, V. 3, ont dû être traduits ici dans le sens des Talmudistes qui va être exposé.;» et ce sont là des qualités pour lesquelles une disposition naturelle est indispensable. Ne sais-tu pas qu’il y a des gens très faibles pour (donner) un avis, quoique très intelligents, tandis qu’il y a tel autre qui a un avis juste et qui sait bien diriger les affaires politiques? C’est celui-ci qu’on appelle יועץ, homme de conseil; cependant il pourrait ne pas comprendre une chose intelligible(2)C’est-à-dire, une chose qui est du domaine de l’intelligence et de la pensée philosophique., dût-elle même s’approcher des notions premières(3) (intelligibilia prima) sont les notions premières ou les axiomes qui n’ont pas besoin de démonstration., et il pourrait même (sous ce rapport) être très stupide et sans aucune ressource: A quoi sert, dans la main du sot, le prix pour acheter la sagesse quand l’intelligence n’y est pas (Prov., 17, 16)? Il y en a tel autre qui est intelligent, d’une pénétration naturelle, et qui maîtrise les sujets les plus obscurs, en s’exprimant avec concision et justesse(4)Selon les deux versions hébraïques il faudrait traduire: qui est capable de cacher ou d’envelopper les sujets, en s’exprimant etc.; au lieu de , les deux traducteurs ont lu , comme l’ont quelques mss.; le sens serait alors: et qui sait, par sa parole intelligente, présenter les sujets, de manière à envelopper ce qui doit rester caché au vulgaire., — et c’est lui qu’on appelle נכון לחש, s’exprimant avec intelligence, — mais qui n’a pas travaillé et qui n’a pas acquis de sciences. Mais celui qui s’est acquis les sciences en acte est celui qui est appelé חכם חרשים, savant penseur. «Quand il parle, disent les docteurs, tous deviennent comme muets(5)Voy. ’Haghigâ, fol. 14 a; les rabbins jouent sur le mot חָרָשִׁים (hommes de génie, artistes) qu’ils prononcent חֵרְשִׁים (sourds, sourd-muets). Quand le savant parle, disent-ils, tous deviennent comme muets et n’ont rien à lui répondre..» ", "Remarque bien, comme ils ont posé pour condition, en se servant d’un texte sacré(1)בנץ כתאב, littéralement: par le texte d’un livre (sacré). Ibn-Tibbon traduit: בספריהם dans leurs livres; mais Al-’Harizi: מדברי הכתוב, par les paroles de l’Écriture, et, selon lui, l’auteur ferait allusion au texte d’Isaïe dont les paroles en question sont empruntées, opinion qui nous paraît plausible., que la personne soit parfaitement versée dans le régime social et dans les sciences spéculatives (et possède) avec cela de la pénétration naturelle, de l’intelligence, et une bonne élocution pour présenter les sujets de manière à les faire entrevoir; et ce n’est qu’alors qu’on lui transmet les secrets de la Torâ.", "Au même endroit il est dit: «R. Io’hanan ayant dit à R. Éléazar: Viens que je t’enseigne le Ma’asé mercabâ, ce dernier répondit: אכתי לא קשאי», ce qui veut dire: je ne suis pas encore vieux, et je me trouve encore un naturel bouillant et la légèreté de la jeunesse. Tu vois donc qu’ils ont aussi mis pour condition l’âge, joint à ces vertus (dont nous venons de parler); et comment alors pourrait-on s’engager dans cette matière avec le commun des hommes, les enfants et les femmes?", "La CINQUIÈME CAUSE est dans l’occupation que donnent les besoins du corps formant la perfection première(2)Voir la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XXVII., particulièrement lorsqu’il s’y joint l’occupation que donnent la femme et les enfants, et surtout lorsqu’il se joint à cela la recherche des superfluités de la vie, qui, grâce aux usages et aux mauvaises habitudes, deviennent un puissant besoin naturel(3)Sur le mot מלכה̈, voy. ci-dessus, p. 121, note 2; מלכה̈ מתמכנה̈ signifie une qualité naturelle solidement établie.. En effet, même l’homme parfait, tel que nous l’avons décrit, quand il s’occupe beaucoup de ces choses nécessaires, et à plus forte raison (quand il s’occupe des choses) non nécessaires et qu’il les désire ardemment, ses aspirations spéculatives s’affaiblissent et se submergent, et il ne les recherche plus qu’avec tiédeur et mollesse et avec peu de sollicitude; et alors il ne perçoit même pas ce qu’il a la faculté de percevoir, ou bien il a une perception confuse, mêlée de perception et d’incapacité.", "C’est en raison de toutes ces causes que les sujets en question conviennent à un très petit nombre d’hommes d’élite, et non au vulgaire; c’est pourquoi on doit les cacher au commençant et l’empêcher de les aborder(1)La version d’Ibn-Tibbon ajoute ici les mots מי שאינו ראוי להם, qui ne sont pas exprimés dans notre texte arabe., de même qu’on empêche un petit enfant de prendre des aliments grossiers et de soulever des poids." ], [ "Il ne faut pas croire que tout ce que nous avons préliminairement dit, dans les chapitres précédents, sur l’importance du sujet, sur son obscurité, sur la difficulté de le saisir et sur la réserve qu’on doit y mettre envers le vulgaire, s’applique aussi à la négation de la corporéité et à celle des passions(2)C’est-à-dire, ce qui a été dit de la difficulté des choses métaphysiques et de l’impossibilité de les exposer aux masses ne doit pas faire croire qu’il faille leur laisser ignorer que Dieu est incorporel, et qu’il n’est pas sujet aux passions (πάθη) ou à la passivité. Voy. plus loin, chap. LV.. Il n’en est point ainsi; mais, au contraire, de même qu’il faut enseigner aux enfants(3)Littéralement: de même qu’il faut ÉLEVER les enfants… dans (cette idée) que Dieu etc. La construction est irrégulière, car la préposition עלי s’adapte à , et non pas à ויעלן. et publier dans les masses que Dieu [qu’il soit glorifié ! ] est un et qu’il ne faut point adorer d’autre que lui, de même il faut qu’ils apprennent, par tradition, que Dieu n’est point un corps, qu’il n’y a nulle ressemblance, dans aucune chose, entre lui et ses créatures, que son existence ne ressemble pas à la leur, que sa vie ne ressemble pas à celle des créatures douées de vie, ni sa science à celle des créatures douées de science(1)Littéralement: que sa vie n’est pas semblable à la vie de ce qui est vivant d’entre elles, et que sa science n’est pas semblable à la science de ce qui a science d’entre elles., et que la différence entre lui et elles ne consiste pas seulement dans le plus ou le moins, mais plutôt dans le genre de l’existence. Je veux dire, qu’on doit établir pour tous que notre science et la sienne, ou bien notre puissance et la sienne, ne diffèrent pas par le plus et le moins, ou en ce que l’une est plus forte et l’autre plus faible, ou par d’autres (distinctions) semblables; car le fort et le faible sont nécessairement semblables en espèce, et une seule définition les embrasse tous deux, et de même tout rapport (proportionnel) n’a lieu qu’entre deux choses d’une même espèce, ce qui a été également expliqué dans les sciences physiques(2)L’auteur paraît faire allusion au chap. IV du VIIe livre de la Physique, où Aristote, en parlant de la comparaison des différentes espèces de mouvements, arrive à établir que les choses comparables entre elles doivent non seulement ne pas être de simples homonymes, mais aussi ne se distinguer entre elles par aucune différence, ni par rapport à ce qu’elles sont, ni par rapport à ce dans quoi elles sont, ou, en d’autres termes, elles doivent se rencontrer à la fois dans le genre et dans la différence, c’est-à-dire, être de la même espèce. Voir plus loin, chap. LII, pag. 201, note 4.. Mais tout ce qui est attribué à Dieu se distingue de nos attributs sous tous les rapports, de sorte que les deux choses ne sauraient être comprises dans une même définition; de même son existence et l’existence de ce qui est hors de lui ne s’appellent, l’une et l’autre, existence, que par homonymie, comme je l’expliquerai. ", "Et cela doit suffire aux enfants et au vulgaire pour établir dans leur esprit qu’il existe un être parfait qui n’est point un corps, ni une faculté dans un corps, que (cet être) est Dieu, qu’aucune espèce d’imperfection ne peut l’atteindre, et qu’à cause de cela il n’est aucunement sujet à la passivité.", "Ce qu’il y a à dire sur les attributs, comment on doit les écarter de lui (Dieu), quel est le sens des attributs qui lui sont appliqués, de même ce qu’il y a à dire sur la manière dont il a créé les choses et sur sa manière de gouverner le monde, comment sa providence s’étend sur ce qui est hors de lui, ce qu’il faut entendre par sa volonté, sa perception, sa science de tout ce qu’il sait, de même ce qu’il faut entendre par la Prophétie et quels en sont les différents degrés, enfin ce qu’il faut entendre par les noms de Dieu, qui, quelque nombreux qu’ils soient, désignent un être unique, — toutes ces choses-là sont des sujets profonds; ce sont là, en réalité, les secrets de la Torâ, et ce sont les mystères dont il est constamment question dans les livres des prophètes et dans les discours des docteurs. Ce sont là les choses dont il ne faut enseigner que les premiers éléments, comme nous l’avons dit, et encore (faut-il que ce soit) à une personne telle que nous l’avons décrite. ", "Mais, s’agit-il d’écarter la corporéité et d’éloigner de Dieu l’assimilation (aux créatures) et les passions, c’est là une chose sur laquelle il faut s’exprimer clairement, qu’il faut expliquer à chacun selon ce qui lui convient(1)C’est-à-dire, selon ses facultés et son intelligence. et enseigner, comme tradition; aux enfants, aux femmes, aux hommes simples et à ceux qui manquent de disposition naturelle; de même qu’ils apprennent par tradition que Dieu est un, qu’il est éternel et qu’il ne faut point adorer d’autre que lui. En effet, il n’y a unité que lorsqu’on écarte la corporéité; car le corps n’est point un, mais, au contraire, composé de matière et de forme, qui, par leur définition, font deux, et il est aussi divisible et susceptible d’être partagé. Et si, ayant reçu cet enseignement, s’y étant habitués, y ayant été élevés et y ayant grandi, ils sont troublés au sujet de certains textes des livres prophétiques, on leur en expliquera le sens, on les initiera à la manière de les interpréter, et on appellera leur attention sur les homonymies et les métaphores dont s’occupe ce traité, jusqu’à ce qu’ils soient convaincus de la vérité de la croyance à l’unité de Dieu et à la véracité des livres prophétiques. ", "Quant à celui dont l’esprit se refuse à comprendre l’interprétation (allégorique) des textes, et à comprendre qu’il puisse y avoir concordance dans le nom, malgré la différence dans le sens(1)C’est-à-dire, que les mêmes mots puissent s’appliquer à des choses ou à des idées différentes, comme cela a lieu dans les homonymes., on lui dira: «L’interprétation de ce texte est comprise par les hommes de science; mais pour toi, tu sauras que Dieu n’est point un corps et qu’il est impassible, car la passivité implique changement, tandis que Dieu n’est point sujet au changement, ne ressemble à rien de tout ce qui est hors de lui, et n’a absolument aucune définition de commun avec quoi que ce soit(2)C’est-à-dire, aucune espèce de définition ne peut en même temps s’appliquer à Dieu et à une chose quelconque hors de lui., et (tu sauras aussi) que tel discours de prophète est vrai et qu’on doit l’interpréter allégoriquement.» Là on s’arrêtera avec lui; mais il ne faut laisser s’établir dans personne la croyance à la corporéité ou la croyance à quoi que ce soit qui tient aux corps, pas plus qu’il ne faut laisser s’établir la croyance à la non-existence de Dieu, l’idée d’association(3)C’est-à-dire, l’idée d’êtres associés à lui, le dualisme ou le polythéisme., ou le culte d’un autre que lui." ], [ "Je t’expliquerai, lorsque je parlerai des attributs, dans quel sens il a été dit que telle chose plaît à Dieu, ou l’irrite et le met en colère; car c’est dans ce sens-là qu’on dit de certaines personnes que Dieu trouvait plaisir en eux, ou qu’il était en colère, ou qu’il était irrité contre eux. Ce n’est pas là le but de ce chapitre; mais il a pour but ce que je vais dire.", "Sache qu’en examinant tout le Pentateuque et tous les livres des prophètes, tu ne trouveras les expressions de colère, d’irritation, de jalousie, que lorsqu’il s’agit particulièrement d’idolâtrie, et tu trouveras qu’on n’appelle ennemi de Dieu ou hostile à lui ou son adversaire que l’idolâtre en particulier. On lit, p. ex.: … et que vous ne serviez d’autres dieux, etc., de sorte que la colère de l’Èternel s’enflamme contre vous (Deutér., 11, 16, 17); De peur que la colère de l’Éternel, ton Dieu, ne s’enflamme (Ibid., 6, 15); Pour l’irriter par l’œuvre de vos mains (Ibid., 31, 29); Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs vanités, etc. (Ibid., 32, 21); Car un Dieu jaloux etc. (Ibid., 6, 15); Pourquoi m’ont-ils irrité par leurs doles (Jérémie, 8, 19); Parce que ses fils et ses filles l’ont irrité (Deutér., 32, 19); Car un feu s’est allumé par ma colère (Ibid., V. 22); L’Éternel(1)Dans le texte, la citation n’est pas tout à fait exacte. Il faut lire י״י au lieu de הוא, et ונוטר au lieu de ומשלם. C’est, sans doute, une erreur de mémoire qu’il faut attribuer à l’auteur; car la faute existe dans presque tous les mss. ar., comme dans ceux de la version d’Ibn-Tibbon, et dans le Moré-ha-Moré (pag. 21). se venge de ceux qui lui sont hostiles et garde rancune à ses ennemis (Nahum, 1, 2; Et il paie à ses adversaires (Deutér., 7, 10); Jusqu’à ce qu’il ait expulsé ses ennemis (Nombres, 32, 21); … que l’Éternel, ton Dieu, hait (Deutér., 16, 22); Tout ce qui est en abomination à l’Éternel, (tout ce) qu’il hait (Ibid., 12, 31). Les exemples de cette sorte sont trop nombreux pour être énumérés; mais si tu en suis a trace dans tous les livres (saints), tu les trouveras.", "Si les livres prophétiques ont si fortement insisté là-dessus, c’est uniquement parce qu’il s’agit d’une opinion fausse se rattachant à Dieu, je veux dire, de l’idolâtrie. Si quelqu’un croyait que Zéid est debout, au moment où il est assis, sa déviation de la vérité ne serait pas (grave) comme la déviation de celui qui croirait que le feu est au dessous de l’air, ou que l’eau est au dessous de la terre(2)On sait que, selon Aristote, les quatre éléments ont leurs régions particulières; ce sont des sphères qui s’entourent les unes les autres, comme celles des planètes. La terre est entourée par l’eau, celle-ci par l’air, qui, à son tour, est environné par le feu. Voy. la Physique d’Arist., liv. IV, chap. 5, et le traité du Ciel, liv. IV, chap. 5. Cf. ci-après, chap. LXXII., ou que la terre est plane, et d’autres choses semblables; la déviation de ce dernier ne serait pas comme la déviation de celui qui croirait que le soleil est (tiré de l’élément) du feu, ou que le ciel est un hémisphère, et d’autres choses semblables; la déviation de ce troisième ne serait pas comme la déviation de celui qui croirait que les anges mangent et boivent, et d’autres choses semblables; la déviation de ce quatrième ne serait pas comme la déviation de celui qui croirait qu’il faut adorer quelque autre chose que Dieu. Car à mesure que l’ignorance et la fausse croyance se rapportent à un objet plus grand, je veux dire, à celui qui occupe un rang plus important dans l’Être, elles ont plus de gravité que lorsqu’elles se rapportent à ce qui occupe un rang inférieur. Par fausse croyance, je veux dire: que l’on croit la chose à l’inverse de ce qu’elle est réellement; par ignorance, je veux dire: que l’on ignore ce qu’il est possible de connaître. L’ignorance de celui qui ignorerait la mesure du cône ou la sphéricité du soleil ne serait pas (grave) comme l’ignorance de celui qui ne saurait pas si Dieu existe ou si l’univers n’a pas de Dieu, et la fausse croyance de celui qui croirait que le cône forme la moitié du cylindre(1)Littéralement: que le cône du cylindre en est la moitié, c’est-à-dire, que le cône forme la moitié d’un cylindre qui a la même base et la même hauteur; on sait que la mesure de solidité du cône n’est que le tiers de celle du cylindre à base et à hauteur égales. ou que le soleil est un disque(2)Littéralement: un cercle; l’auteur veut parler de celui qui croirait que le soleil est tel qu’il paraît à nos yeux, c’est-à-dire, qui n’y verrait que quelque chose de circulaire, et qui ignorerait que le soleil est une sphère. Al-’Harizi, nes’étant pas bien rendu compte du mot (cercle), qu’il a pris dans le sens de rond, a cru devoir ajouter une négation et a traduit או כי אין השמש עגול, ou que le soleil n’est pas rond. C’est là un grave contre-sens, et M. Scheyer, dans les notes critiques dont il a accompagné l’édition de la première partie de la version d’Al-’Harizi (page 37, note 5), a eu tort de donner ici la préférence à cette version sur celle d’Ibn-Tibbon, et de prétendre qu’il faut ajouter une négation dans le texte ar. C’est à tort encore que M. Scheyer s’appuie de la version d’Ibn-Falaquera, qui, dit-il, porte או שהשמש איננה מסיבה (voy. Moré-ha-Moré, p. 21); le mot איננה a été ajouté, sans aucun doute, par quelque copiste ou peut-être par l’éditeur du Moré-ha Moré, car les mss. portent généralement או שהשמש מסיבה. ne serait pas (grave) comme la fausse croyance de celui qui croirait que Dieu est plus d’un.", "Tu sais que tous ceux qui se livrent au culte des idoles ne les adorent pas dans ce sens qu’il n’existe pas de divinité en dehors d’elles; car jamais aucun homme des générations passées ne s’est imaginé, ni aucun homme des générations futures ne s’imaginera que la figure faite par lui de métal, de pierre, ou de bois, ait elle-même créé le ciel et la terre, et que ce soit elle qui les gouverne. Celle-ci, au contraire, n’est adorée que dans ce sens qu’elle est le symbole d’une chose qui est intermédiaire entre nous et Dieu, comme le dit clairement (l’Écriture): Qui ne te craindrait pas, ô Roi des nations? etc. (Jérémie, 10, 7); et ailleurs: Et en tous lieux on présente de l’encens à mon nom, etc. (Malachie, I, 11), faisant allusion à ce qui, selon eux (les païens), est la cause première. Nous avons déjà exposé cela dans notre grand ouvrage(1)Voy. Mischné Torâ ou Abrégé du Talmud, liv. I, traité de l’Idolâtrie, chap. I., et c’est une chose que personne d’entre nos coreligionnaires ne conteste. ", "Mais, puisque ces mécréants, tout en croyant l’existence de Dieu, appliquaient leur fausse croyance à quelque chose qui n’est dû qu’à Dieu seul, — je veux dire, au culte et à la vénération (dus à la Divinité), comme il est dit: Et vous adorerez l’Éternel, etc. (Exode, 23, 25), afin que son existence soit bien établie dans la croyance du peuple, — et qu’ils croyaient (pouvoir rendre) ce devoir à ce qui est hors de lui [chose qui contribuait à faire disparaître l’existence de Dieu de la croyance du peuple, celui-ci ne saisissant que les pratiques du culte, sans (en pénétrer) le sens, ni (connaître) la réalité de celui à qui s’adresse ce culte], cela devait nécessairement leur faire mériter la mort, comme il est dit textuellement: Tu ne laisseras vivre aucune âme (Deutér., 20, 16); et on en donne expressément la raison, qui est, de faire cesser cette opinion fausse, afin que les autres n’en soient pas infectés, comme on ajoute: Afin qu’ils ne vous apprennent pas à faire etc. (Ibid., V. 18). ", "Ceux-là (les idolâtres), on les a appelés ennemis, adversaires, hostiles (à Dieu), et on a dit que celui qui agit ainsi rend (Dieu) jaloux, l’irrite et le met en colère; et quelle donc sera la condition de celui dont l’incrédulité se rapporte à l’essence même de Dieu, et dont la croyance(1)Au lieu de ואעתקאדה, quelques mss. portent ואעתקדה, et qui le croit. Les versions hébraïques sont d’accord avec celle dernière leçon, qui est peut-être préférable. est à l’inverse de ce qu’il (Dieu) est réellement, je veux dire, qui ne croit pas à son existence, ou qui le croit deux, ou qui le croit un corps, ou qui le croit sujet aux passions, ou qui lui attribue une imperfection quelconque? Un tel homme est indubitablement pire que celui qui adore une idole, en la considérant comme un intermédiaire, ou parce que, dans son opinion, elle est bienfaisante ou malfaisante.", "Il faut que tu saches qu’en croyant la corporéité ou (en attribuant à Dieu) une des conditions du corps, tu le rends jaloux, tu l’irrites, tu allumes le feu de la colère, tu es adversaire, ennemi, hostile, beaucoup plus encore que celui qui se livre à l’idolâtrie. S’il te venait à l’idée que celui qui croit la corporéité pût être excusé parce qu’il aurait été élevé ainsi, ou à cause de son ignorance et de la faiblesse de son intelligence, tu devrais en penser de même à l’égard de celui qui se livre à l’idolâtrie; car il ne le fait que par ignorance ou par l’éducation: ils maintiennent l’usage de leurs pères(2)Ces mots que l’auteur a écrits en hébreu sont une locution proverbiale usitée dans les livres rabbiniques; par exemple: הזהרו במנהג אבותיכם בידיכם, Talmud de Babylone, traité Béçâ, fol. 4 b. Dans le traité ’Houllin (fol. 13 b) on dit au sujet des idolâtres: נכרים שבחוצה לארץ לאו עוברי ע״א הן אלא מנהג אבוחיהם בידיהם «Les Gentils hors de la Terre-Sainte ne sont pas de véritables idolâtres, mais ils maintiennent l’usage de leurs pères.» Voy. aussi traité ’Abôdâ Zarâ, fol. 2 a, dans les Tosaphôth ou Gloses.. Si tu disais (à l’égard du premier) que le sens littéral de l’Écriture le fait tomber dans ce doute, tu devrais savoir de même que celui qui adore les idoles n’est amené à leur culte que par des imaginations et par des idées fausses. Il n’y a donc pas d’excuse pour celui qui, étant lui-même incapable de méditer, ne suit pas l’autorité des penseurs qui cherchent la vérité; car, certes, je ne déclare pas mécréant celui qui n’écarte pas la corporéité (de Dieu) au moyen de la démonstration, mais je déclare mécréant celui qui ne croit pas qu’elle doive être écartée; d’autant plus qu’on a la version d’Onkelos et celle de Jonathan ben-Uziel, qui font tout pour éloigner l’idée de la corporéité (de Dieu). C’était là le but de ce chapitre." ], [ "Panîm (פנים) est un homonyme, et il l’est principalement sous le rapport métaphorique(1)Littéralement: et la plus grande partie de son homonymie (a lieu) par manière de métaphore, c’est-à-dire la plupart des significations de ce mot sont métaphoriques.. C’est d’abord le nom de la face (ou du visage) de tout animal; p. ex.: Et tous les visages (פניס) sont devenus jaunes (Jérémie, 30, 6); Pourquoi votre visage (פניכס) est-il triste (Genèse, 40, 7)? Les exemples en sont nombreux. ", "Il signifie aussi colère; p. ex.: Et elle n’avait plus son air de colère (פניה) (I Sam., 1, 18)(2)Raschi de même explique, dans ce verset, le mot ופניה par פנים של זעם, visage exprimant la colère ou l’irritation; Kim’hi et d’autres le prennent, avec plus de raison, dans le sens de mauvaise mine.; et, selon cette signification, il a été souvent employé pour désigner la colère et l’indignation de Dieu; p. ex.: La colère (פני) de l’Éternel les a divisés (Lament., 4, 16); La colère (פני) de l’Éternel est contre ceux qui font le mal (Ps. 34, 17); Ma colère (פנַי) s’en ira, et je te donnerai le repos(3)Le sens de colère, que l’auteur donne au mot פני dans ce dernier passage, n’est pas celui qui est généralement adopté par les traducteurs et commentateurs du Pentateuque; l’auteur paraît avoir suivi l’opinion rapportée dans le Talmud de Babylone (Berakhôth, fol. 7 a), et peut-être aussi la version d’Onkelos, qui, dans divers mss., portaient רוגזי יהך, comme on le voit dans le commentaire d’Abravanel sur le Moré (Prague, 1831), fol. 61 b. (Exode, 33, 14); Et je mettrai ma colère (פנַי) contre cet homme et contre sa famille (Lévit., 20, 5); il y en a de nombreux exemples. ", "Il signifie aussi la présence d’une personne et le lieu où elle se tient; p. ex.: Il etait établi à la face (על פני) de tous ses frères (Genèse, 25, 18); A la face (על פני) de tout le peuple je serai glorifié (Lévit., 10, 3), où le sens est: en leur présence; .… s’il ne te blasphémera pas à ta face (על פניך) (Job, 1, 11), c’est-à-dire en ta présence, toi étant là. C’est selon cette signification qu’il a été dit: Et l’Éternel parla à Moïse face à face (פנים בפנים) (Exode, 33, 11), ce qui veut dire: en présence l’un de l’autre, sans intermédiaire, comme il est dit ailleurs: Viens, voyons-nous en face (II Rois, 14, 8); et comme on a dit encore: L’Éternel vous parla face à face (Deutér. 5, 4), ce que, dans un autre endroit, on a clairement exprimé ainsi: Vous entendiez un son de paroles, mais vous ne voyiez aucune figure; il n’y avait rien qu’une voix (Ibid., 4, 12); et c’est là ce qu’on a appelé face à face; de même par les mots: Et l’Éternel parla à Moïse face à face, on n’a exprimé que ce qui est dit ailleurs sur la manière dont Dieu lui parlait(1)Littéralement: sur la forme de l’allocution.: Il entendait la voix qui lui parlait (Nombres, 7, 89). Ainsi il est clair pour toi que par face à face on veut indiquer qu’il (Moïse) entendait la voix (divine) sans l’intermédiaire d’un ange. Les mots: Et ma face ne sera pas vue (Exode, 33, 23) renferment encore ce même sens (de présence), c’est-à-dire: la réalité de mon existence telle qu’elle est ne saurait être saisie.", "Panîm (פנים) est aussi un adverbe de lieu (signifiant devant), qu’on exprime en arabe par imâm ou béin yedéi , et on l’emploie souvent dans ce sens en parlant de Dieu; p. ex.: לפני י״י, devant l’Éternel (Genèse, 18, 22, et passim). C’est dans ce sens aussi que sont pris les mots ופני לא יראו (Et ma face ne sera pas vue) dans l’interprétation d’Onkelos, qui s’exprime: ודקדמי לא יתחזון, et ceux qui sont devant moi ne sauraient être vus, pour indiquer qu’il y a aussi de sublimes créatures que l’homme ne peut percevoir dans leur réalité, et qui sont les intelligences séparées(1)C’est-à-dire, les Intelligences des sphères, ou les esprits supérieurs et abstraits, qui, selon les philosophes arabes, président aux différentes sphères célestes; les Arabes, ainsi que les Scolastiques, croyaient qu’Aristote avait désigné ces Intelligences par les mots τἀ ϰεχωρισμένα, les choses séparées (traité de l’Ame, liv. III, chap. 7). Albert le Grand, en parlant des substances séparées, s’exprime ainsi: «Et ideo quæ (substantia) nec dividitur divisione corporis, nec movetur motu corporis, nec operatur instrumentis corporis, illa separata est, non per locum, sed a corporalis materiæ quantumcumque simplicis obligatione. Hæc autem omnia competunt substantiis coelorum, etc.» (Parva naturalia, de Motibus animalium, lib. I, tr. I, c. 4). Voy. aussi Maïmonide, dans le présent ouvrage, IIe partie, chap. IV, et mon article Ibn-Roschd, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, t. III, pag. 168.; elles ont été mises en rapport avec Dieu, comme étant constamment devant lui et en sa présence, parce que la Providence s’attache fortement et constamment à elles(2)C’est-à-dire, parce qu’elles sont l’objet de la providence immédiate et toute particulière de la divinité. Cf. la IIIe partie de cet ouvrage, ch. XVII.. Ce qui, selon lui, je veux dire selon Onkelos, peut être perçu en réalité, ce sont les choses qui occupent, dans l’Être, un rang inférieur à celles-là, je veux dire qui ont matière et forme(3)Car les intelligences séparées ou abstraites sont de pures formes.; et c’est à l’égard de ces choses qu’il dit (dans sa paraphrase): ותחזי ית דבתראי Et tu verras ce qui est derrière moi, c’est-à-dire les êtres dont, pour ainsi dire, je m’écarte et que je laisse derrière moi, (ce qui est dit) allégoriquement pour indiquer leur éloignement de l’Être divin. Tu entendras plus tard mon interprétation de la demande de Moïse(4)Voir ci-après, chap. LIV..", "Panîm est aussi un adverbe de temps signifiant avant (autrefois) ou jadis; p. ex.: Autrefois (לפנים) dans Israël, etc. (Ruth, 4, 7); Jadis (לפנים) tu fondas la terre (Ps. 102, 26).", "Enfin panîm signifie aussi égard et attention (ou soin); p. ex.: לא תשא פני דל Tu n’auras point égard au pauvre (Lévit., 19, 15); ונשוא פנים Et l’homme respecté (Isaïe, 3, 3); אשר לא ישא פנים Qui n’a point d’égard (Deutér., 10, 17), et beaucoup d’autres passages. Et c’est aussi dans ce sens qu’il a été dit: Que l’Éternel porte sa face (פניו) vers toi et te donne la paix (Nombres, 6, 25), ce qui veut dire que la Providence nous accompagne." ], [ "A’hôr (אחור) est un homonyme qui signifie dos (ou partie de derrière); p. ex.: Le derrière (אחורי) du tabernacle (Exode, 26, 12); Et la lance lui sortit par derrière (מאחריו) (II Sam., 2, 23). C’est aussi un adverbe de temps signifiant après; p. ex.: Et après lui (ואחריו) il ne s’en est point levé comme lui (II Rois, 23, 25); Après (אחר) ces choses (Genèse, 15, 1); et les exemples en sont nombreux. ", "Il a aussi le sens de suivre, marcher sur les traces d’une personne, en imitant sa conduite; p. ex.: Vous marcherez après (אחרי) l’Éternel, votre Dieu (Deutér., 13, 5); Ils marcheront après (אחרי) l’Éternel (Osée, 11, 10), ce qui a le sens d’obéir à Dieu, de marcher sur les traces de ses actions et d’imiter sa condnite; (de même:) Il a marché après (אחרי) un (vain) commandement (Ibid., 5, 11).— C’est dans ce sens qu’il a été dit: Et tu me verras par derrière (אחורי) (Exode, 33, 23), (ce qui veut dire) tu saisiras ce qui me suit, ce qui s’assimile à moi et ce qui résulte de ma volonté, c’est-à-dire toutes mes créatures, comme je l’expliquerai dans l’un des chapitres de ce traité(1)Voir plus loin, chap. LIV. Cf. ci-dessus, chap. XXI, pag. 76.." ], [ "Leb (לב) est un homonyme qui désigne (primitivement) le cœur, je veux dire le membre dans lequel, pour tout être qui en est doué, réside le principe de la vie(1)Littéralement: dans lequel est le principe de la vie de tout ce qui a un cœur, c’est-à-dire de tous les animaux qui ont du sang. Cf. Aristote, traité des Parties des animaux, liv. III, chap. IV; Hist. des Animaux, liv. II, chap. XV.; p. ex.: Et il les enfonça dans le cœur (בלב) d’Absalom (II Sam., 18, 14). ", "Et comme ce membre se trouve au milieu du corps, on a ainsi appelé métaphoriquement le milieu de toute chose; p. ex.: Jusqu’au cœur ou au milieu (לב) du ciel (Deutér., 4, 11); Au milieu (לבת) du feu (Exode, 3, 2). ", "C’est aussi le nom de la pensée; p. ex.: Mon cœur (לבי) n’a-t-il pas suivi etc. (II Rois, 5, 26)? c’est-à-dire j’étais présent par ma pensée lorsque telle et telle chose s’est passée. Dans le même sens (on a dit): Et vous ne pencherez pas après votre cœur (Nombres, 15, 39), c’est-à-dire vous ne suivrez pas vos pensées; (et ailleurs:) dont le cœur se détourne aujourd’hui (Deutér., 29, 18), (c’est-à-dire) dont la pensée se détourne. ", "Il signifie encore opinion (ou sentiment); p. ex.: Tout le reste d’Israël était d’un seul cœur (לב) pour établir David roi (I Chron., 12, 38), c’est-à-dire d’un même sentiment; de même: Et les sots meurent faute de cœur (Prov., 10, 21), ce qui veut dire: faute de bon sens. Il en est de même dans ce passage: Mon cœur n’a jamais dévié (Job, 27, 6), ce qui signifie: mon sentiment ne s’est jamais détourné ni écarté de cette chose; car le commencement du verset dit: Je suis resté ferme dans ma piété et je ne l’ai pas abandonnée, (ce qui cadre bien avec ces mots:) et mon cœur n’a jamais dévié(2)L’auteur veut justifier ainsi sa traduction du verbe יחרף, qu’il prend dans le sens de: dévier, se détourner, d’après le verbe arabe , tandis qu’on le traduit généralement par blâmer.. Le sens que je donne ici au mot יחרף, je le trouve également dans שפחה נחרפת לאיש (Lévit., 19, 20), — le mot נחרפת étant analogue au mot arabe , changée, détournée, — c’est-à-dire «une esclave dont les liens d’esclavage ont été changés en liens de mariage(1)Littéralement: détournée de la possession d’esclavage vers la possession de mariage.».", "Leb (cœur) signifie aussi volonté (ou intention); p. ex.: Et je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur (Jérémie, 3, 15)(2)Cet exemple, comme le font observer avec raison quelques commentateurs, aurait dû être placé un peu plus loin, où il est question du mot לב, appliqué métaphoriquement à Dieu.; Est-ce que ton cœur est droit comme l’est mon cœur (II Rois, 10, 15)? c’est-à-dire est-ce que ta volonté (ton intention) est dans la droiture comme la mienne? Dans ce sens on l’emploie quelquefois métaphoriquement en parlant de Dieu; p. ex.: Il fera selon ce qui est dans mon cœur et dans mon âme (I Sam., 2, 35), c’est-à-dire il agira selon ma volonté; Et mes yeux et mon cœur y seront toujours (I Rois, 9, 3), c’est-à-dire ma providence et ma volonté. ", "— Il signifie encore intelligence; p. ex.: L’homme (au cerveau) creux sera doué de cœur (ילבב) (Job, 11, 12), c’est-à-dire deviendra intelligent; de même: Le cœur du sage est tourné à droite (Ecclés., X, 2), c’est-à-dire son intelligence (se tourne) vers les choses parfaites. On en trouve de nombreux exemples. C’est dans cette signification qu’il doit être pris partout où il est métaphoriquement appliqué à Dieu, je veux dire comme désignant l’intelligence, sauf les rares exceptions où il désigne la volonté, conformément à l’ensemble de chaque passage. De même (les expressions) Et tu rappelleras à ton cœur (Deutér., 4, 39), Et il ne rappelle pas à son cœur (Isaïe, 44, 19), et toute autre expression semblable ont toutes le sens de considération intellectuelle, comme il est dit (expressément): Et l’Éternel ne vous a point donné un cœur pour connaître etc. (Deutér., 29, 4), ce qui est semblable à (cette autre expression): On t’a montré à connaître etc. (Ibid., 4, 35)(1)L’auteur ajoute ce dernier passage, pour montrer que דעת (connaître) signifie entendre, comprendre, et que, par conséquent, il s’agit aussi, dans le passage précédent, d’une connaissance intellectuelle..", "Quant à ces mots: Et tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur (Ibid., 6, 5), le sens est, selon moi: de toutes les forces de ton cœur, c’est-à-dire de toutes les facultés du corps; car toutes elles prennent leur origine dans le cœur. On veut dire par là: tu auras pour but, dans toutes tes actions, de percevoir Dieu, ainsi que nous l’avons exposé dans le commentaire sur la Mischnâ(2)Voy. Huit chapitres ou Introduction au traité Abôth, chap. V. et dans le Mischné Torâ(3)Voy. traité Yesodé ha-Torâ, chap. II, § 2.." ], [ "Roua’h (רוח) est un homonyme qui désigne d’abord l’air, je veux dire l’un des quatre éléments; p. ex.: Et l’air (רוח) de Dieu planait (Genèse, 1, 2)(4)L’auteur s’écarte de l’opinion de tous les commentateurs en expliquant ici le mot רוח par air. Il faut se rappeler que l’auteur retrouve dans les deux premiers versets de la Genèse la théorie aristotélique sur les quatre éléments et sur la position respective de leurs sphères. Voy. ce qu’il dit à cet égard au commencement du chap. XXX de la IIe partie de cet ouvrage. Cf. ci-dessus, chap. XXXVI, pag. 134, note 2.. ", "C’est ensuite le nom du vent qui souffle; p. ex.: Et le vent (רוח) d’Orient emporta les sauterelles (Exode, 10, 13); Un vent (רוח) d’Occident (Ibid., V. 19); les exemples en sont nombreux. ", "C’est aussi le nom de l’esprit vital(5)Sur les esprits vitaux, on trouvera quelques détails dans une note au commencement du chap. LXXII.; p. ex.: Un esprit (רוח) qui s’en va et ne revient point (Ps. 78, 39); Qui a en lui un esprit (רוח) de vie (Genèse, 7, 15). ", "C’est encore le nom de la chose qui reste de l’homme après la mort, et qui n’est pas sujette à périr; p. ex.: Et l’esprit (והרוח) retourne vers Dieu qui l’a donné (Ecclés., XII, 7). ", "Il désigne encore l’inspiration d’intelligence divine qui émane (de Dieu) sur les prophètes, et par laquelle ils prophétisent [comme nous te l’expliquerons quand nous parlerons du prophétisme selon ce qu’il convient d’en dire dans ce traité]; p. ex.: Et j’ôterai de l’esprit (מן הרוח) qui est sur toi et je le mettrai sur eux (Nombres, 11, 17); Et quand l’esprit (הרוח) reposait sur eux (Ibid., V. 25); L’esprit (רוח) de l’Éternel a parlé par moi (II Sam., 23, 2); il y en a de nombreux exemples. ", "Enfin ce mot signifie intention et volonté (ou dessein); p. ex.: Le sot émet tout (ce qu’il a dans) son esprit (רוחו) (Prov., 29, 11), c’est-à-dire son intention et son dessein. De même: L’esprit (רוח) de l’Égypte s’évanouira dans elle, et j’anéantirai ce qu’elle projette (Isaïe, 19, 3), ce qui veut dire: ses desseins seront dérangés et l’art de se gouverner lui sera caché; de même: Qui a mesuré l’esprit (את־רוח) de l’Éternel, et où est l’homme qui puisse nous faire connaître(1)L’auteur, comme on va le voir, explique יודיעֶנּו comme s’il y avait יודיעֵנו, en prenant le suffixe נו pour la première personne du pluriel. ce qu’il projette (Ibid., 40, 13)? ce qui veut dire: «Qui est celui qui connaît l’enchaînement de sa volonté ou qui saisit la manière dont il gouverne l’univers, afin de nous la faire connaître?» sujet que nous exposerons dans quelques chapitres sur le régime (de l’univers)(2)Voy. les chapitres XVIII et suiv. de la IIIe partie de cet ouvrage, qui traitent de la Providence divine et de son intervention dans les affaires des hommes..", "Toutes les fois que le mot roua’h (רוח) est attribué à Dieu, c’est conformément à la cinquième signification(3)C’est-à-dire dans le sens d’inspiration émanée de Dieu., et quelquefois c’est dans le dernier sens, qui est celui de volonté, comme nous l’avons exposé; il faut donc l’expliquer dans chaque passage selon ce qu’indique l’ensemble du discours." ], [ "Néphesch (נפש) est un homonyme qui désigne d’abord l’âme animale commune à tous les êtres doués de sensibilité(1)Cf. Aristote, Traité de l’Ame, liv. II, chap. III et V.; p. ex.: … ayant une âme (נפש) vivante (Genèse, 1, 30). Puis il désigne le sang; p. ex.: Et tu ne mangeras pas l’âme (הנפש) avec la chair (Deutér., 12, 23). Ensuite c’est le nom de l’âme rationnelle, je veux dire de (celle qui constitue) la forme de l’homme; p. ex.: Par le Dieu vivant qui nous a fait cette âme (את־הנפש הזאת) (Jérémie, 38, 16). C’est encore le nom de la chose qui reste de l’homme après la mort(2)Si l’auteur distingue ici de l’âme rationnelle ce qui reste de l’homme après la mort, il faut se rappeler qu’il ne voit dans l’âme rationnelle qu’une disposition physique; c’est l’intellect en puissance qui, par la méditation et l’influence de l’intellect actif universel, devient intellect acquis et intellect en acte, et, comme tel, est impérissable. Voy. ci-après, chap. LXX et chap. LXXII, vers la fin. Sur cette doctrine et ses diverses nuances chez les philosophes arabes, voy. mes articles Ibn-Bâdja et Ibn-Roschd dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, tome III, pag. 157, 166 et suiv. Sur Maïmonide en particulier, voy. Seheyer, Das psychologische System des Maimonides, pag. 30 et suiv. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans d’autres endroits.; p. ex.: L’âme (נפש) de mon seigneur sera enveloppée dans le faisceau de la vie (I Sam., 25, 29). Enfin ce mot signifie volonté; p. ex.: Pour enchaîner ses princes à son âme (בנפשו) (Ps. 105, 22), c’est-à-dire à sa volonté; de même: Et ne le livre pas à l’âme (בנפש) de ses ennemis (Ps. 41, 3)(3)Dans les deux versions hébr. la citation porte: אל תתנני בנפש צרי, ne me livre pas à l’âme de mes adversaires (Ps. 27, 12). L’auteur paraît avoir écrit, par une erreur de mémoire: אל תתנהו בנפש צריו, comme on le trouve dans plusieurs mss. de l’original arabe et de la version d’Ibn-Tibbon. Quelques copistes ont changé צריו en אויביו, d’autres ont substitué (dans la version d’Ibn-Tibbon) le passage du psaume XXVII, verset 12; mais ce qui prouve que l’auteur a écrit תתנהו avec le suffixe de la troisième personne, c’est qu’il explique lui-même ce mot par le mot arabe תםלמה qu’on lit dans tous les mss. Dans la plupart des mss. de la version d’Ibn-Tibbon on lit également תםגירהו, et ce mot a été arbitrairement changé en תםגירני., c’est-à-dire ne le livre pas à leur volonté. Je prends dans le même sens (les mots): S’il est dans votre âme (את־נפשכם) d’enterrer mon mort (Genèse, 23, 8), c’est-à-dire si cela est dans votre intention et dans votre volonté; de même: Quand Moïse et Samuel se tiendraient devant moi, mon âme (נפשי) ne serait pas pour ce peuple (Jérémie, 15, 1), où le sens est: ma volonté ne serait pas pour eux, c’est-à-dire je ne voudrais point les conserver. Toutes les fois que le mot néphesch (נפש) est attribué à Dieu, il a le sens de volonté, comme nous l’avons dit précédemment au sujet des mots: Il fera selon ce qui est dans mon cœur et dans mon âme (I Sam., 2, 35)(1)Voy. ci-dessus, chap. XXXIX, pag. 143., dont le sens est: dans ma volonté et dans mon intention. ", "Conformément à cette signification les mots ותקצר נפשו בעמל ישראל (Juges, 10, 16) devront être expliqués ainsi: et sa volonté s’abstint d’affliger Israël. Jonathan ben-Uziel n’a point traduit ce passage; car l’ayant entendu conformément à la première signification (du mot néphesch), il en résultait pour lui une passivité (attribuée à Dieu), et pour cela il s’est abstenu de le traduire(2)R. David Kim’hi, dans son commentaire sur le livre des Juges, dit également que Jonathan ben-Uziel, dans sa paraphrase chaldaïque, a passé ce passage sous silence; cependant Ibn-Caspi, dans son commentaire sur le Moré, affirme que les mots en question étaient rendus dans les mss. qu’il avait sous les yeux comme ils le sont en effet dans nos éditions de la paraphrase chaldaïque. Selon Ibn-Caspi, l’auteur a pu vouloir dire que Jonathan n’a pas modifié les expressions du passage, mais qu’il l’a rendu mot pour mot, sans faire disparaître l’anthropomorphisme; mais les mots לם יתרגׄמה בוגׄה n’admettent point cette interprétation, et il résulte évidemment des termes dont se sert Maïmonide que Jonathan n’avait pas traduit ce passage. En effet, il existe encore maintenant des mss. de la paraphrase de Jonathan, où le passage en question n’est pas traduit en chaldéen, mais conservé en hébreu. Voici tout le verset d’après un ms. de la Biblioth. imp. (anc. fonds héb., n°57, fol. 118 a): ואעדיאו ית טעות עממיא מביניהון ופלחו קדם י״י ותקצר נפשו בעמל ישראל.. Mais si on prend (le mot néphesch) dans la dernière signification, l’explication (de notre passage) est très claire; car il est dit précédemment que la Providence divine les avait abandonnés, de sorte qu’ils périrent, et qu’ils avaient imploré son secours, mais qu’elle ne les secourut pas. Lors donc qu’ils montrèrent un extrême repentir, se trouvant dans un profond abaissement et sous la domination de l’ennemi(1)Littéralement: Leur abaissement étant grand et l’ennemi s’étant rendu maître d’eux., il eut pitié d’eux, et sa volonté s’abstint de faire durer leur affliction et leur abaissement. Il faut bien te pénétrer de cela, car c’est (une explication) remarquable. Le ב dans בעמל ישראל est à la place de מן, de; c’est comme si l’on avait dit מן עמל ישראל. Les grammairiens ont énuméré beaucoup d’exemples pareils, comme: והנותר בבשר ובלחם et ce qui restera DE la chair et DU pain (Lévit., 8, 32); נשאר בשנים ce qui reste DES années (Ibid., 25, 52); בגר ובאזרח הארץ (qu’elle soit du nombre) DES étrangers ou DES indigènes (Exode, 12, 17)(2)Dans tous ces exemples le préfixe ב, dans, est à la place de la préposition מן, de. Le troisième exemple manque dans nos éditions de la version d’Ibn-Tibbon; mais il se trouve dans les mss. de cette version.. Cela se trouve fréquemment." ], [ "’Hay (חי vivant, vivre) se dit de ce qui a la croissance et la sensibilité(3)C’est-à-dire, des êtres qui ont la faculté de nutrition et en même temps la sensibilité. Le mot hébreu חי ne s’applique jamais aux plantes.; p. ex.: Tout ce qui se meut qui est vivant (חי) (Genèse, 9, 3). Il signifie aussi guérir d’une maladie très violente; p. ex.: Quand il fut guéri (ויחי) de sa maladie (Isaïe, 38, 9); (Iis demeurèrent) dans le camp jusqu’à ce qu’ils fussent guéris (עד חיותם) (Josué, 5, 8); de même: de la chair saine (חי) (Lévit., 13, 10). ", "Pareillement le mot mouth (מות), qui signifie mourir, désigne aussi une maladie violente; p. ex.: Et son cœur mourut (וימת) en lui, et il devint comme une pierre (I Sam., 25, 37), ce qui désigne la violence de la maladie (de Nabal). C’est pourquoi on a dit explicitement du fils de la femme de Sarepta: Et sa maladie devint de plus en plus violente, jusqu’à ce qu’il ne lui restât plus de souffle (de vie) (I Rois, 17, 17); car si on avait simplement dit et il mourut (וימת), on aurait pu penser qu’il s’agissait seulement d’une maladie violente avoisinant la mort, comme celle de Nabal lorsqu’il entendit la nouvelle(1)Voy. le chapitre XXV du Ier livre de Samuel d’où est tiré le précédent passage biblique.—L’auteur paraît vouloirdire que l’ensemble du passage relatif au fils de la femme de Sarepta, et où l’on parle d’abord explicitement d’une maladie très violente, et ensuite de l’extinction du souffle de vie, indique que l’enfant était bien réellement mort. Il cite ensuite, sans l’adopter, l’opinion d’un auteur d’Andalousie, qui pensait qu’il s’agissait, dans ce récit, d’une mort apparente. Plusieurs commentateurs, tels qu’Ibn-Caspi, Moïse de Narbonne, Ephodi, insinuent que Maïmonide a voulu voiler sa pensée, et qu’il adopte lui-même l’opinion de l’auteur d’Andalousie. Ils s’appuient d’un autre récit analogue (II Rois, 4, 19 et 20), où l’on s’exprime: et il mourut (וימת), ce qui détruirait le raisonnement de Maïmonide; mais Abravanel, dans son commentaire sur le Moré (fol. 66), fait observer que là aussi on parle d’abord de la maladie et ensuite de la mort, ce qui indique qu’il s’agit d’une mort réelle, conformément au raisonnement de Maïmonide sur le passage relatif au fils de la veuve de Sarepta. Quoi qu’il en soit, on ne peut admettre que Maïmonide, dans le but de voiler une hérésie, ait fait un raisonnement dénué de logique et se soit contredit lui-même. On ne saurait admettre l’opinion d’Abravanel, qui, pour justifier Maïmonide, prétend que les paroles de l’auteur d’Andalousie se rapportent à Nabal; il me paraît bien évident, par l’ensemble, qu’il s’agit ici du fils de la femme de Sarepta; mais, comme nous l’avons dit, Maïmonide cite cette opinion sans l’adopter lui-même. Il est certain, du reste, que ce passage est un de ceux dont les adversaires de Maïmonide s’emparèrent pour rendre suspecte son orthodoxie. Voy. la réponse de R. Iehouda ibn-al-Fakhâr à R. David Kim’hi, dans le Recueil des lettres de Maïmonide, édition d’Amsterdam, in-12, fol. 25 a..", "En effet quelqu’un d’Andalousie a dit (au sujet du fils de la femme de Sarepta) qu’il cessa de respirer, de sorte qu’on n’aperçut plus de respiration en lui, comme cela arrive quelquefois dans les cas d’apoplexie et de suffocation hystérique(1)La maladie appelée par les anciens strangulation ou suffocation de la matrice (πνιγμοì … ἐν ταĩς ὑστϵ́ρϰις, Arist., Histoire des animaux, l. VII, chap. 2; ὑστεριϰὴ πνίξ, Galien, Comment. sur les Aphorismes d’Hippocrate, V, 35; strangulationes vulvœ, Pline, Hist. nat., XX, 57) est une affection de cet organe dans laquelle les femmes ont des mouvements spasmodiques et croient sentir à la gorge une boule (globus hystericus) qui les étouffe. Voy. Dict. des sc. méd., articles Hystérie, Strangulation et Suffocation., de telle sorte qu’on ne sait pas si (le malade) est mort ou vivant, doute qui dure quelquefois un ou deux jours. ", "Ce mot (חי) est aussi employé fréquemment quand il s’agit de l’acquisition de la science; p. ex.: Et elles seront la vie (חיים) pour ton âme (Prov., 3, 22); Car celui qui me trouve a trouvé la vie (Ibid., 9, 35); Car ils sont la vie de ceux qui les trouvent (Ibid., 4, 22), et beaucoup d’autres passages. Conformément à cela, les opinions saines ont été appelées vie, et les opinions corrompues, mort; le Très-Haut a dit: Regarde, j’ai mis aujourd’hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal (Deutér., 30, 15), où l’on explique clairement les deux mots en disant que le bien est la vie, et le mal, la mort. J’interprète de même les mots: Afin que vous viviez etc. (Ibid., 5, 30); et cela conformément à l’explication traditionnelle de ce passage: Afin que tu sois heureux etc. (Ibid., 22, 7)(2)L’auteur veut dire que, de même que dans le passage précité du Deutéronome (XXX, 15) la vie et le bien sont évidemment la même chose, de même dans ce passage: Afin que vous viviez et que vous soyez heureux (וטוב לכם), la vie et le bonheur (טוב) désignent la même chose, et qu’il s`agit ici de la vie de l’âme immortelle ou de la vie de la pure intelligence, conformément à ce que dit le Talmud au sujet de ces mots: Afin que tu sois heureux et que tu vives long-temps (Ibid.. 22, 7): למען ייטב לך לעולם שכולו טוב ולמען יאריכון ימיך לעולם שכולו ארוך «Afin que tu sois heureux dans un monde de bonheur parfait, et que tu vives long-temps dans un monde de durée éternelle.» Voy. Talmud de Babylone, traité Kiddouschin, fol. 39 b; ’Hullin, fol. 142 a; cf. la troisième partie de cet ouvrage, à la fin du chap. XXVII.. C’est conformément à ce sens métaphorique (du mot חי) si répandu dans la langue (hébraïque) que les docteurs ont dit: «Les hommes pieux, même après leur mort, sont appelés vivants, et les impies, même pendant leur vie, sont appelés morts(1)Voy. Talm. de Bab., traité Berakhôt, fol. 18 a, b. L’auteur paraît entendre ce passage dans ce sens: que les hommes pieux qui, par l’étude, ont formé leur intelligence, et dans lesquels l’intellect en puissance est devenu, par la méditation, intellect en acte, arrivent à la véritable vie éternelle, tandis que les impies, même pendant leur vie, doivent être considérés comme morts, ne cherchant pas à se mettre en rapport avec le monde supérieur par la méditation et les études spéculatives..» Il faut bien te pénétrer de cela." ], [ "Canaph (כנף) est un homonyme, et il l’est surtout sous le rapport de l’emploi métaphorique. Il désigne primitivement l’aile des volatiles; p. ex.: … de tout oiseau ayant des ailes (כנף) qui vole dans les cieux (Deutér., 4, 17).", "Ensuite on l’a employé métaphoriquement pour (désigner) les extrémités et les coins des vêtements; p. ex.: Aux quatre coins (כנפות) de ton vêtement (Ibid., 22, 12). ", "On l’a encore employé métaphoriquement pour (désigner) les extrémités et les bords de la partie habitée de la terre, éloignés de nos contrées; p. ex.: Pour saisir les extrémités (בכנפות) de la terre (Job, 38, 13); Du bout (מכנף) de la terre nous avons entendu des chants (Isaïe, 24, 16). ", "Ibn-Djanâ’h(1)C’est le célèbre grammairien et lexicographe R. Ionâ, appelé en arabe Abou’l-Walîd Merwân ibn-Djanâ’h. Voy. ma Notice sur cet homme illustre dans le Journal asiatique, année 1850, cahier d’avril, etc. dit que (ce mot) se rencontre aussi dans le sens de voiler (cacher, dérober), conformément à l’arabe, où l’on dit(2)Les mss. portent אלדׄי יקולון; dans un ms. nous lisons אנה יקול. Nous avons écrit plus correctement אלדׄי יקול; dans quelques mss. de la version d’Ibn-Tibbon le verbe est également au singulier (שיאמר). canaftou al-schéi dans le sens de: j’ai caché la chose, et il explique ולא יכנף עוד מוריך (Isaïe, 30, 20): et celui qui t’éclaire(3)Tous les mss. du Guide portent très distinctement מנירך; dans le passage original du Dictionnaire d’Ibn-Djanâ’h, tel qu’il est cité par Gesénius, dans son Commentaire sur Isaïe et dans son Thesaurus (rad. (כנף), on lit מנורך . Cependant la copie que M. Goldberg a bien voulu m’adresser de ce passage d’Ibn-Djanâ’h, d’après le ms. d’Oxford, porte מטרך; si cette leçon est exacte, Ibn-Djanâ’h aurait pris ici le mot מורה dans le sens de pluie (hâtive), ce qui, en effet, serait d’accord avec l’explication de R. Salomon Par’hon et de R. David Kim’hi, empruntée, sans doute, à Ibn-Djanâ’h. Le mot מטרך a pu facilement, par une faute de copiste, être changé en מנירך. ne se dérobera pas à toi et ne se voilera pas, ce qui est une bonne explication. De là vient, selon moi, (cette expression) ולא יגלה כנף אביו (Deutér., 23, 1), c’est-à-dire: il ne soulèvera pas le voile de son père(4)Ou: il ne découvrira pas le mystère de son père, la chose que son père entoure de mystère, c’est-à-dire, sa femme.. De même les mots ופרשת כנפך על אמתך (Ruth, 3, 9) doivent être expliqués, selon moi: étends ton voile sur ta servante.", "C’est dans ce dernier sens, selon moi, qu’on a appliqué métaphoriquement le mot canaph (כנף) au Créateur, et de même aux anges; car les anges, selon notre opinion, n’ont pas de corps, ainsi que je l’exposerai(5)Voir ci-après, chap. XLIX.. Ainsi les mots אשר באת לחםות תחת כנפיו (Ruth, 2, 12) doivent se traduire: sous le voile duquel tu es venue t’abriter(1)La leçon varie dans les différents mss.; la plupart portent לתםתכן, quelques uns לתםכן ou לתםתר; mais le verbe doit être au féminin. La véritable leçon me paraît être לתםתכני , Xe forme du verbe . C’est par ce même, verbe que Saadia rend le verbe hébreu חםה. Voy., p. ex., à la fin du Ps. 2 (Ewald, Beitrœge etc., pag. 10).. De même, toutes les fois que le mot canaph (כנף) est relatif aux anges, il a le sens de voile. N’as-tu pas remarqué ces mots: Avec deux (ailes) il COUVRAIT sa face et avec deux il COUVRAIT ses pieds (Isaïe, 6, 2)? En effet, la cause de son existence — je veux parler de celle de l’ange — est enveloppée d’obscurité(2)Littéralement: est voilée et très cachée., et c’est là (ce qu’on a appelé) sa face. Et de même les choses dont celui-ci — je veux dire l’ange — est la cause, et qui sont (désignées par) ses pieds [comme nous l’avons expliqué en parlant de l’homonyme réghel(3)Voir ci-dessus, chap. XXVIII, pag. 94.], sont obscures aussi; car l’action des Intelligences(4)C’est-à-dire, l’action que les intelligences des sphères exercent sur le monde sublunaire. Il faut se rappeler que Maïmonide identifie les anges avec les intelligences séparées ou les intelligences des sphères. Voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. VI et XII. Cf. ci-dessus, chap. XXXVII, pag. 140, note 1. est obscure, et leur influence(5)Le mot אתׁרהא (leur trace ou impression) a été rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par ענינם (leur choses, ce qu’elles sont); le traducteur a lu sans doute אמרהא. Ailleurs il rend le mot arabe אתׁר par מעשה; mais Ibn-Falaquera fait observer qu’il vaudrait mieux le rendre par רישום (impression). Voir les notes critiques d’Ibn-Falaquera sur le chap. LXXII de cette Ire partie (Moré ha-Moré, pag. 153). ne se manifeste (à nous) que lorsque nous nous sommes livrés à l’étude, et cela pour deux raisons, dont l’une est en elles et l’autre en nous, je veux parler de la faiblesse de notre compréhension et de la difficulté de comprendre l’Intelligence séparée dans sa réalité. Quant à ces mots: et avec deux il volait (ibid.), j’expliquerai dans un chapitre à part pour quelle raison on a attribué aux anges le mouvement de vol(1)Voir ci-après, chap. XLIX.." ], [ "’Ain (עין) est un homonyme qui signifie source d’eau; p. ex.: Près de la source (עין) d’eau dans le désert (Genèse, 16, 7), en même temps qu’il est le nom de l’œil, instrument de la vue(2)L’auteur s’exprime אלעין אלבאצרה̈ (l’œil voyant), parce qu’en arabe le mot עין a également les deux sens de source et d’œil. S’il place la signification principale, qui est celle d’œil, après celle de source, c’est sans doute pour la rapprocher de la signification métaphorique de Providence, qui vient immédiatement après.; p. ex.: OEil (עין) pour œil (Exode, 21, 24). Il signifie aussi soin (ou attention), comme on a dit en parlant de Jérémie: Prendsle et fixe tes yeux (עיניך) sur lui (Jérémie, 39, 12), ce qui veut dire: aie soin de lui. Et c’est conformément à cette métaphore qu’il faut l’entendre partout où il s’applique à Dieu; p. ex.: Mes yeux (עיני) et mon cœur y seront toujours (I Rois, 9, 3), c’est-à-dire ma Providence et mon but, comme nous l’avons dit précédemment(3)Voir ci-dessus, chap. XXXIX, où l’auteur cite ce même passage au sujet du mot לב.; … sur lequel les yeux (עיני) de l’Éternel, ton Dieu, sont fixés continuellement (Deutér., 11, 12), c’est-à-dire sur lequel (veille) sa Providence; Les yeux (עיני) de l’Éternel parcourent etc. (Zacharie, 4, 10)(4)Au lieu de משוטטות, comme le portent généralement les mss. ar. et ceux de la version d’Ibn-Tibbon, il faudrait lire, selon le texte biblique: משוטטים; l’auteur a confondu dans sa mémoire le passage de Zacharie avec un autre analogue (II Chron., 16, 9), où on lit משוטטות., c’est-à-dire, sa Providence embrasse aussi tout ce qui est sur la terre, comme on le dira dans d’autres chapitres qui traiteront de la Providence(1)Voy. la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XVII et suiv.. ", "Si l’on joint, en parlant des yeux (de Dieu), le verbe ראה ou חזה, voir, comme, p. ex.: Ouvre tes yeux et vois (II Rois, 19, 16); Ses yeux voient (Ps. 11, 4), on désigne toujours par là une perception intelligible, et non pas une perception sensible; car sentir, c’est toujours être passif, être impressionné(2)Littéralement: tout sentir ou toute sensation est une passion (πϰ́θος) et une impression (reçue)., comme tu le sais, tandis que Dieu est actif, et non sujet à la passivité, comme je l’exposerai." ], [ "Schama’ (שמע) est un homonyme qui a le sens d’entendre (ouïr) et aussi celui d’accueillir (écouter, obéir). Pour la signification d’entendre (on peut citer): On ne l’entendra point (לא ישמע) de ta bouche (Exode, 23, 13); Et le bruit fut entendu (נשמע) dans la maison de Pharaon (Genèse, 45, 16), et beaucoup d’autres exemples. ", "Les exemples sont également nombreux pour l’emploi de schama’ dans le sens d’accueillir ou d’écouter, comme: Mais ils n’écoutèrent point (ולא שמעו) Moïse (Exode, 6, 9); S’ils lui obéissent (ישמעו) et qu’ils l’adorent (Job, 36, 11); Vous écouterions-nous donc (הנשמע) (Néhémie, 13, 27)? … et qui n’obéira point (ולא ישמע) à tes paroles (Josué, 1, 18).", "—Il se dit aussi (pour entendre) dans le sens de savoir et de connaître; p. ex.: Une nation dont tu n’entendras pas (לא תשמע) la langue (Deutér., 28, 49), c’est-à-dire dont tu ne sauras pas le langage.", "Toutes les fois que le verbe schama’ s’applique à Dieu, et que, selon le sens littéral, il serait pris dans la première signification, il désigne la perception, qui fait partie de la troisième signification; p. ex.: Et l’Éternel entendit (וישמע) (Nombres, 11, 1), Parce qu’il a entendu (בשמעו) vos murmures (Exode, 16, 7), où il s’agit partout d’une perception de science(1)C’est-à-dire, où le verbe שמע signifie partout percevoir dans le sens de savoir, connaître.. Mais lorsque, selon le sens littéral, on le prendrait dans la deuxième signification(2)C’est-à-dire, dans celle d’accueillir les paroles de quelqu’un., il signifie que Dieu a ou n’a pas exaucé la prière de celui qui priait; p. ex.: J’écouterai (אשמע) son cri (Ibid., 22, 23); Je l’écouterai (ושמעתי), car je suis miséricordieux (Ibid., V. 27); Incline, ô Éternel, ton oreille et écoute (ושמע) (II Rois, 19, 16); Et l’Éternel n’écouta point (ולא שמע) votre voix et ne vous prêta point l’oreille (Deutér., 1, 45); Quand même vous multiplieriez la prière, je ne l’écouterais point (Isaïe, 1, 15); Car je ne t’écoute point (Jérémie, 7, 16), et beaucoup d’autres exemples. ", "Tu trouveras encore plus loin, sur ces métaphores et anthropomorphismes, de quoi étancher ta soif(3)Cf. ci-dessus, pag. 23, note 2. et éclaircir tes doutes, et on t’en expliquera toutes les significations, de sorte qu’il n’y restera rien d’obscur sous aucun rapport(4)Cette dernière phrase ne se rapporte pas seulement aux métaphores relatives à l’ouïe, mais en général à toutes celles exposées dans les chapitres précédents, notamment à celles relatives aux sens, et sur lesquels l’auteur revient dans les chapitres qui suivent.." ], [ "Nous avons déjà dit, dans un des chapitres de ce traité(5)Voir ci-dessus, chap. XXXIII., qu’il y a une grande différence entre amener quelqu’un à (la simple notion de) l’existence d’une chose, et approfondir son essence et sa substance. En effet, on peut diriger (les esprits) vers l’existence d’une chose, même au moyen de ses accidents ou de ses actions, ou bien même au moyen de rapports très éloignés (qui existeraient) entre cette chose et d’autres. ", "Si, par exemple, tu voulais faire connaître le souverain d’une contrée à quelque habitant de son pays qui ne le connaîtrait pas, tu pourrais, pour le faire connaître et attirer l’attention sur son existence, t’y prendre de beaucoup de manières. Tu dirais, p. ex.: C’est une personne de haute taille, blanche de couleur et aux cheveux gris, et tu le ferais ainsi connaître par ses accidents. Ou bien tu dirais: C’est celui autour duquel on voit une grande multitude d’hommes à cheval et à pied, qui est environné d’épées nues, au dessus de la tête duquel sont élevés des drapeaux, et devant lequel on fait retentir les trompettes; ou bien: C’est celui qui habite le palais existant dans telle ville de cette contrée; ou bien: C’est celui qui a ordonné d’élever cette muraille ou de construire ce pont; ou enfin (tu le désignerais) par d’autres de ses actions et de ses rapports avec certaines choses. Tu pourrais aussi indiquer son existence par des circonstances moins visibles que celles-là. Quelqu’un, par exemple, te demanderait: Ce pays a-t-il un souverain? et tu répondrais: Oui, sans doute; mais (reprendrait-il) quelle en est la preuve? «Le changeur que voici, répondrais-tu, est, comme tu vois, un homme faible, d’un corps chétif, et a devant lui cette grande quantité de pièces d’or, et cet autre individu corpulent et fort, mais pauvre, se tenant devant lui, lui demande de lui faire l’aumône d’une obole(1)Littéralement: d’un grain de caroube, c’est-à-dire d’une chose de peu de valeur. Le grain que renferme la silique du caroubier figure dans les poids des pharmaciens arabes et équivaut à quatre grains d’orge. Voy. Casiri, Biblioth. arab. hisp., t. Ier, pag. 281. Ibn-Tibbon a donc rendu inexactement le mot כׄרובהֹׁ par משקל שעורה (poids d’un grain d’orge)., chose qu’il ne fait pas, le brusquant, au contraire, et le repoussant par ses paroles; mais (le pauvre), si ce n’était la crainte du souverain (qui le retînt), se hâterait de le tuer ou de le pousser en arrière, et prendrait l’argent qu’il a entre les mains: voici donc une preuve que cet état possède un roi.» Tu démontrerais ainsi son existence par le bon ordre qui règne dans l’état, et qui a pour cause la crainte qu’inspire le souverain et l’expectative d’être puni par lui. Dans tout ce que nous venons de citer pour exemple, il n’y a rien qui indique l’essence du souverain et sa véritable substance en tant qu’il est souverain. ", "C’est là ce qui est arrivé dans tous les livres des prophètes, et aussi dans le Pentateuque, lorsqu’il s’agissait de faire connaître Dieu; car, comme il y avait nécessité de diriger tout le monde vers (la connaissance de) l’existence de Dieu et (de faire comprendre) qu’il possède toutes les perfections, — c’est-à-dire qu’il n’existe pas seulement comme existe la terre et comme existe le ciel, mais qu’il existe comme être vivant ayant la science, la puissance, l’action, et autres choses qu’il faut croire de son existence et qu’on exposera plus loin, — on a amené les esprits par l’idée(1)Littéralement: en imaginant ou en s’imaginant, c’est-à-dire on a présenté les choses comme si l’on s’imaginait que Dieu fût corporel. Les mss. portent les uns בתכׄייל à la IIe forme, les autres בתכׄיל à la Ve forme; les deux leçons sont également plausibles. Ibn-Tibbon en traduisant par בדמיון paraît avoir lu à la Ve forme; mais Ibn-Falaquera, dans ses notes critiques (Moré ha-Moré, page 150), préfère traduire בּֽדַמּוֹת à l’actif, c’est-à-dire, en imaginant ou en laissant imaginer. de la corporéité à (comprendre) qu’il existe, et par l’idée du mouvement à (comprendre) qu’il est vivant. En effet, le vulgaire ne considère que le corps seul comme une chose d’une existence solide, vraie, indubitable: tout ce qui n’est pas lui-même un corps, mais se trouve dans un corps, est (considéré comme) existant, mais d’une existence moindre que celle du corps ayant besoin du corps pour exister; mais ce qui n’est point un corps ni ne se trouve dans un corps n’est pas, selon ce que l’homme conçoit de prime abord et surtout selon l’imagination, une chose qui ait de l’existence. De même, le vulgaire ne se forme de la vie d’autre idée que le mouvement, et tout ce qui ne se meut pas d’un mouvement spontané dans l’espace n’est point vivant (à ses yeux), bien que le mouvement ne soit pas dans la substance de ce qui vit, mais qu’il soit seulement un accident qui lui est inhérent(1)Voy. Aristote, Physique, livre V, chap. II: Κατ’οὐσίαν δἐ οὐϰ ἔστι ϰίνησις, ϰ. τ. λ. Cf. ci-dessus, chap. XXVI, pag. 90..", "De même, la perception qui nous est la plus familière se fait par les sens, notamment par l’ouïe et la vue; nous n’obtenons la science de quelque chose et nous ne pouvons nous figurer la transmission de l’idée, de l’âme d’un individu à celle d’un autre individu, si ce n’est au moyen du langage(2)Littéralement: nous ne savons (quelque chose) etc., c’est-à-dire la connaissance de ce qui se passe dans l’âme d’un autre ne peut nous être transmise qu’au moyen de la parole, et nous ne saurions nous figurer qu’il en soit autrement. L’auteur, après avoir parlé de l’existence et de la vie, parle ici de la science en suivant l’ordre dans lequel il a énuméré un peu plus haut tout ce qui forme l’existence de Dieu, en disant que Dieu existe comme être vivant ayant la science, etc. Les mots לא נעלם (nous ne savons) se rapportent à (ayant la science)., c’est-à-dire du son qu’articulent les lèvres et la langue, et les autres organes de la parole. Lors donc qu’on a voulu aussi amener notre esprit à (comprendre que Dieu perçoit et que certaines choses sont communiquées par lui aux prophètes, afin que ceux-ci les communiquent à nous, on nous l’a présenté (d’une part) comme s’il entendait et voyait, — ce qui veut dire qu’il perçoit les choses qui se voient et s’entendent et qu’il les sait, — et on nous l’a présenté (d’autre part) comme s’il parlait, — ce qui veut dire que certaines choses sont communiquées par lui aux prophètes —; et c’est là le sens du prophétisme, chose qui sera exposée avec un soin particulier(3)L’auteur s’étend très longuement sur le prophétisme dans la IIe partie de cet ouvrage. Le mot אגיא, qu’il faut prononcer , est le nom d’action de la IVe forme du verbe employée dans le sens de: pousser à l’extrême, et dérivée de , extrémité; cette signification du verbe n’est pas indiquée dans les dictionnaires. Voy. mon édition du Commentaire de R. Tan’houm sur ’Habakkouk, pag. 98, note 13 b.. Ensuite, comme nous ne comprenons pas que nous puissions produire quelque objet autrement qu’en le faisant par maniement, on a présenté Dieu comme agissant (ou faisant les choses). De même encore, comme le vulgaire ne comprend par ce qui est vivant autre chose que ce qui est doué d’une âme, on a aussi présenté Dieu comme ayant une âme, ce qui [bien que le nom de l’âme (נפש) soit homonyme, comme on l’a exposé(1)L’auteur veut dire par cette parenthèse: Bien que, d’ailleurs, le mot נפש, âme, soit un homonyme et qu’appliqué à Dieu il signifie volonté, comme il a été dit ci-dessus, chap. XLI, on a voulu néanmoins désigner par là Dieu comme être vivant, conformément au sens primitif du mot נפש.] signifie qu’il est vivant.", "Or, comme on ne concevrait pas que nous autres nous pussions accomplir toutes ces actions autrement qu’au moyen d’organes corporels(2)Littéralement: comme toutes ces actions ne se conçoivent dans nous qu’au moyen d’organes corporels. On veut parler des actions dont il vient d’être question, celles de se mouvoir, de voir, d’entendre, de parler, de faire les choses., on a métaphoriquement attribué à Dieu tous les organes: ceux par lesquels se fait le mouvement local, c’est-à-dire les pieds et la plante des pieds; ceux par lesquels a lieu l’ouïe, la vue et l’odorat, c’est-à-dire l’oreille, l’œil et le nez; ceux au moyen desquels on parle, ainsi que la matière de la parole(3)Par matière de la parole l’auteur entend la voix, ou le son inarticulé auquel les organes de la parole donnent la forme., c’est-à-dire la bouche, la langue et la voix; ceux enfin par lesquels chacun de nous opère en travaillant, c’est-à-dire les mains, les doigts, la paume et le bras. Il résulte de tout cela, en résumé, qu’on a métaphoriquement attribué à Dieu [qu’il soit exalté au dessus de toute imperfection!] les organes corporels, afin d’indiquer par là ses actions, et que ces actions elles-mêmes lui ont été métaphoriquement attribuées, afin d’indiquer par là une perfection quelconque qui ne consiste point dans l’action même. Ainsi, par exemple, on lui a attribué l’œil, l’oreille, la main, la bouche et la langue, afin d’indiquer par là la vue, l’ouïe, l’action et la parole. Mais la vue et l’ouïe lui ont été attribuées pour indiquer la perception en général. [C’est pourquoi tu trouveras que la langue hébraïque met la perception d’un sens à la place de la perception d’un autre sens; p. ex.: Voyez la parole de l’Éternel (Jérémie, 2, 31) pour: écoutez, car ce qu’on a voulu dire par là c’est: saisissez le sens de sa parole; de même: Vois l’odeur de mon fils (Genèse, 27, 27) pour: sens l’odeur de mon fils, car il s’agit de la perception de son odeur. C’est conformément à cela qu’il a été dit: Et tout le peuple VOYAIT le tonnerre (Exode, 20, 15), — quoique, d’ailleurs, cette scène fût une vision prophétique, ce qui est une chose connue, proclamée par les traditions nationales(1)Littéralement: ainsi que cela est connu et répandu parmi la nation. Selon l’auteur, le passage: Et tout le peuple VOYAIT le tonnerre, doit être expliqué conformément à ce qui précède, c’est-à-dire en donnant au verbe voir le sens plus général de percevoir; quoique, d’ailleurs, ajoutet-il, il ne soit pas absolument nécessaire d’avoir recours à cette interprétation, car le verbe voir peut s’appliquer ici à toute la scène de la révélation sur le Sinaï, qui entre dans la catégorie des visions prophétiques. L’auteur paraît faire allusion à la tradition qui dit que les deux premiers commandements parvinrent à tout le peuple directement par la voix de Dieu, et non par l’intermédiaire de Moïse: אנכי ולא יהיה לך מפי הגבורה שמענום. Cf. la IIe partie de cet ouvrage, chap. XXXIII. — Pour le mot אלמקאם, qu’on lit dans l’original arabe, la version d’Ibn-Tibbon porte המאמר; le traducteur paraît avoir lu אלמקאל. Le mot אלמקאם (statio), par lequel l’auteur désigne la scène de la révélation, doit se traduire en hébreu par המעמד, comme l’a fait Al-’Harizi. Cf. IIe partie, ibid., מעמד הר םיני..] L’action et la parole lui ont été attribuées pour indiquer une influence quelconque émanant de lui, comme on l’exposera(2)Voy. IIe partie, chap. XII..", "Ainsi, tout organe corporel que tu trouves (attribué à Dieu), dans tous les livres prophétiques, est ou un organe de locomotion pour indiquer la vie, ou un organe de sensation pour indiquer la perception, ou un organe de tact pour indiquer l’action, ou un organe de la parole pour indiquer l’influence des Intelligences(1)C’est-à-dire, l’inspiration venant de Dieu ou bien des anges qui, selon l’auteur, sont les Intelligences des sphères. sur les prophètes, ainsi qu’on l’exposera. ", "Toutes ces métaphores nous dirigent donc de manière à affermir en nous (cette idée) qu’il existe un être vivant qui fait tout ce qui est hors de lui, et qui perçoit aussi son œuvre. Nous expliquerons, quand nous aborderons la négation des attributs, comment tout cela se réduit à une seule chose, savoir, à la seule essence de Dieu; car le but de ce chapitre n’est autre que d’expliquer le sens de ces organes corporels attribués à Dieu [qu’il soit exalté au dessus de toute imperfection!], et (de montrer) que tous ils ne font qu’indiquer les actions qui leur appartiennent, — actions qui, pour nous, constituent une perfection,— afin de nous faire voir(2)Littéralement: afin que nous soyons guidés, c’est-à-dire que nous soyons amenés à reconnaître. Le verbe לנדל doit se lire au passif ; quelques éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont incorrectement שנודה avec daleth pour שנוּרֶה. qu’il possède toutes les espèces de perfections, (et cela) conformément à ce qu’on nous a fait remarquer par cette sentence: L’Écriture s’est exprimée selon le langage des hommes(3)Voir ci-dessus, au commencement du chap. XXVI.. ", "Pour ce qui est des organes de locomotion attribués à Dieu, on dit, p. ex.: Le marche-pied de mes pieds (Isaïe, 66, 1); Et le lieu des plantes de mes pieds (Hézek., XLIII, 7). Quant aux organes de tact attribués à Dieu (on dit, p. ex.): La main de l’Éternel (Exode, 9, 3 et passim); Du doigt de Dieu (Ibid., 31, 18); L’ouvrage de tes doigts (Ps. 8, 4); Et tu as mis sur moi la paume de ta main (Ibid. 139, 5); Et sur qui se manifestait le bras de l’Éternel (Isaïe, 53, 1); Ta droite, ô Éternel (Exode, 15, 6). On lui a attribué les organes de la parole (en disant): La bouche de l’Éternel a parlé (Isaïe, 1, 20 et passim); … et qu’il ouvrît ses lèvres avec toi (Job, 11, 5); La voix de l’Éternel, avec force (Ps. 29, 4); Et sa langue est comme un feu dévorant (Isaïe, 30, 27). Enfin, on lui a attribué les organes de sensation en disant: Ses yeux voient, ses paupières sondent les fils d’Adam (Ps. 11, 4); Les yeux de l’Éternel parcourent (Zacharie, 4, 10)(1)La citation que nous avons reproduite telle qu’elle se trouve dans les mss. arab. et dans la version d’Ibn-Tibbon n’est pas tout à fait exacte; il faudrait écrire: עיני י״י המה משוטטים. Cf. ci-dessus, chap. XLIV, pag. 154, note 4.; Incline, ô Éternel, ton oreille et écoute (II Rois, 19, 16); Vous avez allumé un feu dans mon nez (Jérémie, 17, 5). Des membres intérieurs, on ne lui en a attribué que le cœur, parce que le nom (du cœur) est un homonyme qui signifie aussi intelligence(2)Voir ci-dessus, chap. XXXIX., et parce que (le cœur) est le principe de vie de l’être vivant. En effet, par ces expressions: Mes entrailles ont gémi pour lui (Jérémie, 31, 20); Le gémissement de tes entrailles (Isaïe, 63, 15), on a voulu également désigner le cœur; car entrailles(3)Le mot מעי doit être considéré comme arabe ; s’il était hébreu, comme paraissent l’avoir cru les deux traducteurs hébreux, il faudrait lire מעים. est un nom qui s’emploie dans un sens général et dans un sens particulier, désignant en particulier les intestins, et en général tout membre intérieur, et par conséquent aussi le cœur. Ce qui en est la preuve, c’est qu’on a employé l’expression: Et ta Loi est DANS MES ENTRAILLES (Ps. 40, 9) comme équivalent de: dans mon cœur. C’est pourquoi on a dit dans les versets en question(4)Dans le texte on lit פי הדׄא אלפםוק au singulier, et ce qui prouve que c’est l’auteur qui a écrit ainsi, c’est que, dans les deux versions hébraïques, on lit également בזה הפםוק. H aurait été plus exact d’écrire au duel: פי הדׄין אלפםוקין, car il s’agit de deux versets.: Mes entrailles ont gémi, le gémissement de tes entrailles, car le verbe המה, gémir, se dit plutôt du cœur que des autres membres; p. ex.: Mon cœur gémit (הומה) en moi (Jérémie, 4, 19). De même on ne lui a point attribué l’épaule, parce qu’elle est vulgairement considérée comme instrument de transport, et parce que la chose transportée est en contact avec elle(1)C’est-à-dire, les fonctions de l’épaule sont considérées comme trop matérielles pour être, même métaphoriquement, attribuées à Dieu; il faut surtout écarter de Dieu l’idée d’un contact avec les choses. Voir ci-dessus, chap. XVIII.. A plus forte raison ne lui a-t-on point attribué les organes de l’alimentation, parce qu’ils dénotent, au premier coup d’œil, une imperfection manifeste(2)Cf. ci-dessus, ch. XXVI, pag, 89..", "En réalité, la condition de tous les organes (corporels) tant extérieurs qu’intérieurs est la même; tous ils sont des instruments pour les diverses actions de l’âme. Les uns servent au besoin de la conservation de l’individu pendant un certain temps, et tels sont tous les membres intérieurs; les autres servent au besoin de la conservation de l’espèce, tels que les organes de la génération; d’autres encore servent à améliorer la condition de l’individu et à accomplir ses actions, et tels sont les mains, les pieds et les yeux, qui tous servent à accomplir le mouvement, le travail et la perception. Quant au mouvement, il est nécessaire à l’animal pour se diriger vers ce qui lui est convenable et fuir ce qui lui est contraire. Les sens lui sont nécessaires pour distinguer ce qui lui est contraire de ce qui lui est convenable. L’homme a besoin des travaux d’art pour préparer ses aliments, ses vêtements et sa demeure; car tout cela est nécessaire à sa nature, je veux dire qu’il a besoin de préparer ce qui lui est convenable. Il y a des arts qu’on trouve aussi chez certains animaux, parce qu’ils ont besoin de tel ou tel art. ", "— Or, personne ne doute, ce me semble, que Dieu n’ait besoin de rien pour prolonger son existence, ni qu’il n’améliore point sa condition; par conséquent il n’a point d’organe, c’est-à-dire, il n’est point un corps, et ses actions ont lieu uniquement par son essence, et non au moyen d’un organe. Les facultés, on n’en peut douter, font partie des organes, et par conséquent il ne possède point de faculté, je veux dire qu’il n’y a en lui(1)Tous les mss. portent אן יכון sans négation; de même les deux versions hébraïques. Le sens est: de manière qu’il y ait en lui., hors de son essence, aucune chose par laquelle il agisse, il sache ou il veuille; car les attributs sont des facultés, dans lesquelles on n’a fait que changer la dénomination, pas autre chose(2)C’est-à-dire, ce qu’on appelle les attributs de Dieu n’est autre chose qu’un ensemble de facultés qui ne diffèrent entre elles que par leurs noms, et qui reviennent toutes à une seule et même chose: l’essence de Dieu.. Mais ce n’est pas là le but de ce chapitre.", "Les docteurs ont énoncé une sentence d’une grande portée(3)Littéralement: qui embrasse ou qui renferme (beaucoup)., qui repousse toutes les fausses idées que pourraient faire naître tous ces attributs corporels que mentionnent les prophètes (en parlant de Dieu); et cette sentence te montre que la corporification (de Dieu) n’est jamais venue à l’idée des docteurs, et qu’il n’y a chez eux rien qui puisse faire naître l’erreur ou le doute(4)Quelques mss. ajoutent פי הדׄא אלמעני (à ce sujet); de même Al-’Harizi: בזה הענין.. C’est pourquoi tu trouveras que partout, dans le Talmud et dans les Midraschôth, ils imitent constamment ces expressions des prophètes(5)Littéralement: Ils persistent dans ces paroles extérieures des prophètes, c’est-à-dire: ils emploient ces mêmes expressions, qui, prises dans le sens littéral, peuvent donner lieu à la corporification de Dieu., sachant bien que c’est là une chose dans laquelle on est à l’abri du doute et où l’on ne craint nullement de se tromper, et que tout y est dit plutôt par manière d’allégorie et pour diriger l’esprit vers un Être (suprême). Or, comme on a constamment employé cette allégorie, où Dieu est comparé(6)Littéralement: comme l’allégorie s’est fixée en ce que Dieu a été comparé. Au lieu de לאנה quelques manuscrits portent באנה, leçon également admissible. à un roi qui ordonne et défend, qui punit et récompense les gens de son pays, et qui a des serviteurs et des employés pour transmettre ses ordres et pour exécuter ce qu’il veut qu’on fasse, eux aussi, je veux dire les docteurs, ont partout persévéré dans cette comparaison, et se sont exprimés conformément à ce qu’exigeait cette allégorie (en attribuant à Dieu l’action) de parler, de répondre, d’inculquer des ordres(1)Au lieu de ואלתרדד un ms. porte ואלתכרר, qui signifie répétition, ce qui, en effet, paraît être ici le sens du mot ואלתרדד. Ibn-Tibbon traduit les derniers mots par והחזרה בענין et Al-’Harizi par ולשוב בענין, ce qui manque de clarté; le mot אלאמר nous paraît avoir ici le sens de précepte, ordre, et non pas celui de chose., et d’autres actions semblables (émanant) des rois; et ils faisaient tout cela avec sécurité, étant sûrs qu’il n’en résulterait ni confusion, ni doute. La sentence d’une grande portée à laquelle nous avons fait allusion est contenue dans ces paroles du Beréschîth rabba(2)Voir au commencement de la section 27.: «Les prophètes ont eu une grande hardiesse d’assimiler ensemble la créature et son créateur; p. ex. en disant: Et au dessus de la ressemblance du trône il y avait quelque chose qui ressemblait à l’apparence d’un homme (Ézéch., 1, 26)(3)Cf. la IIIe partie de cet ouvrage, à la fin du chap. II..» Ainsi ils (les docteurs) ont déclaré expressément qu’en général ces figures que percevaient tous les prophètes dans la vision prophétique étaient des figures créées, dont Dieu était le créateur(4)C’est-à-dire, les doeteurs ont déclaré par là que la divinité se révélait aux prophètes par des figures qu’elle créait dans l’âme ou dans l’imagination des prophètes.. Et cela est vrai; car toute figure qui est dans l’imagination est créée(5)C’est-à-dire, tout ce que la faculté imaginative nous fait voir est une création divine comme cette faculté elle-même.. Cette expression «ont eu une grande hardiesse (גדול כחן)» est bien remarquable; (les docteurs s’expriment) comme si cette chose leur eût paru très grave.— [En effet, ils s’expriment toujours ainsi pour indiquer ce qu’ils trouvent de grave dans une parole qui a été dite ou dans un acte qui a été fait, et qui a, en apparence, quelque chose d’inconvenant; p. ex. dans le passage suivant(1)Talmud de Babylone, traité Iébamôth, fol. 104 a.: «Le docteur un tel fit accomplir l’acte avec un chausson, en particulier, et pendant la nuit(2)Il s’agit ici de l’acte symbolique de la ’halîçâ ou du déchaussement qui dissout les liens du lévirat; voy. Deutér., chap. 25, V. 9. La cérémonie, selon les dispositions du code talmudique, doit se faire avec une sandale ou un soulier de cuir, en public, et pendant le jour, et le docteur dont il est ici question se dispensa de faire observer ces trois conditions, dont la deuxième surtout, celle de la publicité, [est indispensable. — Le mot מוק désigne une espèce de chausson de feutre. Selon le ’Aroukh, c’est la chaussure appelée en arabe mouk ( , ocrea crassior).; il a eu une grande hardiesse (רב גובריה), dit un autre docteur, de le faire en particulierרב גובריה (en araméen) est la même chose que גדול כחו (en hébreu).] — C’est donc comme s’ils avaient dit: Combien est grave ce que les prophètes ont été induits à faire en indiquant Dieu lui-même par les créations qu’il a produites. Il faut bien te pénétrer de cela; car ils (les docteurs) ont ainsi expressément déclaré qu’ils étaient exempts eux-mêmes de la croyance à la corporéité (de Dieu), et que toute figure et chose circonscrite qui se voyaient dans la vision prophétique étaient des choses créées, mais qu’ils (les prophètes) ont assimilé ensemble la créature et son créateur, comme s’expriment les docteurs. Si pourtant il plaisait à quelqu’un de mal penser d’eux, après ces déclarations, par pure malice et pour détracter des hommes qu’il n’a point vus et dont il n’a connu aucune circonstance(3)C’est-à-dire, dont les études, la méthode et la manière de parler lui sont absolument inconnues.—Les verbes ישאהד et עלם doivent être lus à la forme active, comme l’a fait Al-’Harizi; la version d’Ibn-Tibbon les rend au passif., il n’en résulterait pour eux aucun dommage(4)C’est-à-dire, ils sont trop au dessus du blâme pour en être atteints.." ], [ "Nous avons déjà dit plusieurs fois(1)Voir ci-dessus, chap. XXVI, pag. 89, et chap. XLVI, pag. 164. que tout ce que le vulgaire s’imagine être une imperfection ou qu’on ne saurait se figurer comme compatible avec Dieu, les livres prophétiques ne l’ont point métaphoriquement attribué à Dieu, bien que cela se trouve dans la même condition que les choses qui lui ont été attribuées: c’est que ces choses qu’on lui a données pour attributs sont réputées, en quelque sorte, des perfections, ou, du moins, on peut se les figurer (comme appartenant à Dieu). ", "Cela posé(2)Au lieu de אלתקריר (avec resch) quelques mss. ont אלתקדיר (avec daleth), et c’est cette dernière leçon qu’a exprimée Al-’Harizi, qui traduit: לפי השיעור הזה (en estimant, ou jugeant ainsi), ce qui n’offre pas ici de sens bien convenable., il faut que nous expliquions pourquoi on a métaphoriquement attribué à Dieu l’ouïe, la vue et l’odorat, tandis qu’on ne lui a point attribué le goût ni le toucher, car il se trouve dans la même condition d’élévation à l’égard de tous les cinq sens: tous ils constituent une imperfection à l’égard de la perception, même pour (l’être) qui ne perçoit que par les sens(3)C’est-à-dire, les sens ne donnent toujours qu’une perception imparfaite; ils sont imparfaits, même à l’égard des perceptions sensibles et même pour les êtres qui n’ont pas d’autres perceptions., parce qu’ils sont passivement affectés, impressionnés (par autre chose), interrompus et sujets à la souffrance, comme les autres organes. Quand nous disons que Dieu voit, le sens est qu’il perçoit les choses visibles, et (quand nous disons) qu’il entend, cela veut dire qu’il perçoit les objets de l’ouïe; on pourrait donc de même lui attribuer le goût et le toucher en l’interprétant dans ce sens qu’il perçoit les objets du goût et ceux du tact. En effet, la condition de perception est la même pour tous (les sens), et si l’on écarte de Dieu la perception qui appartient à l’un (des sens), il faut en écarter la perception de tous, je veux dire des cinq sens; mais dès qu’on affirme de lui la perception de l’un d’eux, je veux dire (dès qu’on affirme) qu’il perçoit ce que perçoit l’un des sens, il faut qu’il perçoive les objets de perception de tous les cinq. Cependant nous trouvons que nos livres (saints) disent: l’Éternel vit, l’Éternel entendit, l’Éternel flaira, et qu’ils ne disent pas: l’Éternel goûta ni l’Éternel toucha. La cause en est qu’il est établi dans l’imagination de tous que Dieu ne saurait être en contact avec les corps comme l’est un corps avec un autre, puisque (les hommes) ne peuvent le voir; or, ces deux sens, je veux dire le goût et le tact, ne perçoivent les objets de leur sensation qu’en les touchant, tandis que la vue, l’ouïe et l’odorat perçoivent les objets de leur sensation, lors même que les corps doués des qualités (perceptibles)(1)Littéralement: qui portent ces qualités, c’est-à-dire: qui sont le substratum des qualités nécessaires pour produire les sensations de la vue, de l’ouïe et de l’odorat; ces qualités sont: la couleur, le son et la qualité odorante. s’en trouvent éloignés; c’est pourquoi, selon l’imagination du vulgaire, il était permis (de les attribuer à Dieu)(2)Les mots: de les attribuer à Dieu, que nous ajoutons dans notre traduction, sont exprimés dans quelques manuscrits qui portent: פכאן נםבתהא לה תעאלי םאיגה̈ פי כׄיאל אלגׄמהור; de même Ibn-Tibbon: על כן היה נאות ליחםם לשם בדמיון ההמון. Al-’Harizi, d’accord avec la leçon que nous avons adoptée, traduit: והיה זה מקובל במחשבת ההמון, de sorte que cela était permis dans l’imagination du vulgaire.. Ensuite, en lui attribuant métaphoriquement ces sens, on avait pour objet et pour but d’indiquer qu’il perçoit nos actions; or, l’ouïe et la vue suffisaient pour cela, je veux dire que c’est au moyen de ces sens(3)Le texte porte: בה, par lui, ce qui se rapporte à chacun des deux sens en particulier, de même que le mot כאף qui précède; mais il eût été plus régulier de mettre ces deux mots au duel, et de dire כאפיאן et בהמא. Les versions hébraïques ont également le singulier. Le mot ידרך qui suit doit être lu au passif ; les deux versions hébr. ont mis שישיג à l’actif; de sorte que le sujet du verbe serait Dieu, ce qui ne donne pas de sens convenable. que l’on perçoit tout ce qu’un autre fait ou dit. C’est ainsi que les docteurs, dans un ensemble d’exhortations, ont dit, sous forme d’admonition et d’avertissement: «Sache ce qui est au dessus de toi, un œil qui voit et une oreille qui entend(1)Voir Mischnâ, IVe partie, traité Abôth, chap. II, § 1. L’auteur cite ce passage pour montrer que les docteurs ont également parlé de l’œil et de l’oreille de Dieu, pour indiquer que Dieu connaît nos actions et nos paroles..»", "Tu sauras donc, en examinant (la chose) de près, que tous (les sens) se trouvent dans la même condition, et que, de même qu’on a écarté de Dieu la perception du toucher et du goût, on doit, pour la même raison, en écarter celle de la vue, de l’ouïe et de l’odorat; car toutes elles sont des perceptions corporelles, des passions (πάθη), des conditions muables, si ce n’est que les unes apparaissent comme une imperfection, tandis que les autres passent pour une perfection. De même l’imagination apparaît comme une imperfection, tandis que dans la pensée et dans l’entendement l’imperfection n’est pas manifeste (pour tous)(2)C’est-à-dire, le vulgaire reconnaît bien que l’imagination est une faculté imparfaite qu’on ne saurait attribuer à la divinité, mais la pensée et l’entendement lui apparaissent comme des facultés de toute perfection.; c’est pourquoi on n’a point employé métaphoriquement, en parlant de Dieu, le mot ra’ayôn (רעיון), qui désigne l’imagination, tandis qu’on a employé les mots ma’haschabâ (מחשבה) et tebounâ (תבונה), qui désignent la pensée et l’entendement; p. ex.: Et les pensées (desseins) qu’a méditées (חשב) l’Éternel (Jérémie, 49, 20); Et par son entendement, ou son intelligence (בתבונתו), il a étendu les cieux (Ibid., 10, 12). Il est donc arrivé également pour les perceptions intérieures ce qui est arrivé pour les perceptions sensibles et extérieures, c’est-à-dire que les unes sont métaphoriquement attribuées (à Dieu), tandis que les autres ne le sont pas. Et tout cela conformément au langage des hommes(1)Voy. ci-dessus, chap XXVI.: ce qu’ils (les hommes) croient être une perfection lui a été attribué; mais ce qui est une imperfection manifeste ne lui a point été attribué. Cependant, si l’on approfondit la chose, il n’a aucun attribut essentiel et réel(2)Voir ci-après, chap. L, pag. 180, note 1. joint à son essence, ainsi qu’on le démontrera." ], [ "Toutes les fois que l’idée d’entendre (ouïr) se trouve attribuée à Dieu, tu trouveras qu’Onkelos, le prosélyte, s’en est écarté et l’a expliquée dans ce sens, que la chose est parvenue jusqu’à Dieu, c’est-à-dire qu’il l’a perçue; et, quand il s’agit d’une prière, il explique (le verbe entendre) dans ce sens: que Dieu accueillit ou n’accueillit pas (la prière). Il s’exprime donc toujours, pour traduire les mots l’Éternel entendit, par שמיע קדם י״י, il fut entendu devant l’Éternel; et, là où il s’agit d’une prière, il traduit, p. ex.: J’entendrai son cri (Exode, 22, 22) par קבלא אקבל, j’accueillerai; c’est ce qu’il fait continuellement dans sa paraphrase, sans s’en départir dans un seul passage. Mais pour ce qui est des passages où la vue est attribuée à Dieu, Onkelos y a montré une versatilité(3)Le verbe signifie prendre différentes couleurs, changer de couleur, et au figuré: être variable, inconstant. La traduction d’Ibn-Tibbon porte: פירש אונקלום בו פרושים מופלאים, Onkelos a donné à cet égard des explications étonnantes; cette traduction est très peu exacte, comme l’a déjà fait remarquer Ibn-Falaquera (Moré-ha-Moré, pag. 150, 151), qui explique à cette occasion le véritable sens du verbe arabe , en rappelant que dans les proverbes arabes on compare l’homme inconstant et versatile au caméléon qui change souvent de couleur. Cf. Freytag, Prov. ar., 1, 409; de Sacy, Comment. ar. sur les Séances de Hariri, 22e séance (pag. 206 de la nouvelle édition). étonnante dont le but et l’intention ne me sont pas clairs; car, dans certains passages, il traduit וירא י״י par וחזא י״י, et l’Éternel vit, et, dans d’autres passages, il traduit ces mots par וגלי קדם י״י, et il fut manifeste devant l’Éternel. Puisqu’il traduit par וחזא י״י, et l’Éternel vit, cela prouve avec évidence que le verbe חזא, voir, dans la langue syriaque, est homonyme, et qu’il désigne aussi bien la perception de l’intelligence que celle des sens; mais, si telle a été son opinion, je voudrais savoir pourquoi il a évité (ce verbe) dans certains passages, en traduisant: et il fut manifeste devant l’Éternel. ", "Cependant, l’examen des exemplaires que j’ai trouvés du Targoum (d’Onkelos), joint à ce que j’avais entendu dire à l’époque de mes études, m’a fait voir(1)Littéralement: après avoir examiné les copies etc…, j’ai trouvé etc. que, toutes les fois qu’il trouvait le verbe ראה (voir) se rapportant à une injustice ou à quelque chose de nuisible et à un acte de violence, il le traduisait par: être manifeste devant l’Éternel. Le verbe חזא (voir), dans cette langue (araméenne), implique indubitablement l’idée de percevoir et d’avouer la chose perçue telle qu’elle a été perçue(2)C’est-à-dire, ce verbe indique non seulement la perception, mais aussi l’aveu et l’approbation de la chose perçue; on ne saurait donc l’appliquer à Dieu lorsque l’objet de la perception est un mal, car Dieu ne peut approuver le mal.; c’est pourquoi, quand il (Onkelos) trouvait le verbe voir se rapportant à une injustice, il ne disait pas וחזא י״י, et l’Éternel vit, mais וגלי קדם י״י, et il fut manifeste devant l’Éternel.", "J’ai donc trouvé que partout, dans le Pentateuque, où le verbe ראה (voir) est appliqué à Dieu, il le traduit (littéralement) par חזא (voir), excepté dans les passages que je vais citer: Pour Car Dieu a vu (ראה) mon affliction (Genèse, 29, 32) il met: ארי גלי קדם י״י עולבני Car ma honte s’est manifestée devant Dieu; pour Car j’ai vu (ראיתי) tout ce que Lahan te faisait (Ibid., 31, 12): ארי גלי קדמי Car … est manifeste devant moi; et, bien que celui qui parle ici soit un ange, il ne lui a point attribué la perception indiquant l’aveu (ou l’approbation) de la chose, parce qu’il s’agit d’une injustice; pour Et Dieu vit (וירא) les fils d’Israël (Exode, 2, 25) il met: וגלי קדם י״י שעבודא רבני ישראל Et la servitude des fils d’Israël fut manifeste devant Dieu; pour J’ai vu (ראה ראיתי) l’affliction de mon peuple (Ibid., 3, 7): מגלא גלי קדמי ית שעבודא דעמי, La servitude de mon peuple est manifeste devant moi; pour Et j’ai aussi vu (ראיתי) l’oppression (Ibid., V. 9): ואף גלי קדמי דחקא Et aussi est manifeste devant moi l’oppression etc.; pour Et qu’il avait vu (ראה) leur affliction (Ibid., 4, 31): וארי גלי קדמוהי שעבודהון Et que leur servitude était manifeste devant lui; pour J’ai vu (ראיתי) ce peuple (Ibid., 32, 9): גלי קדמי עמא הדין Ce peuple s’est manifesté devant moi, car le sens est: j’ai vu leur rébellion, de même que dans (les mots): Et Dieu vit les fils d’Israël, le sens est: il vit leur affliction(1)L’auteur veut dire qu’Onkelos a évité, dans ces deux passages, le verbe voir, parce qu’il s’y agit d’un mal, c’est-à-dire, dans l’un, des actes de rébellion du peuple hébreu, dans l’autre, de son affliction.; pour L’Éternel vit (וירא) et fut irrité (Deutér., 32, 19): וגלי קדם י״י Et cela fut manifeste devant Dieu etc.; pour Car il voit (יראה) que la force s’en est allée (Ibid., V. 36): ארי גלי קדמוהי Car il est manifeste devant lui, car il s’agit ici également d’une injustice commise envers eux et de la victoire de l’ennemi. Partout ici il a été conséquent, et il a eu égard à (ces mots): Et tu ne saurais regarder l’iniquité (Habacuc, 1, 13); c’est pourquoi, toutes les fois qu’il s’agit de servitude et de rébellion, il traduit par גלי קדמוהי il fut manifeste devant lui, ou par גלי קדמי il fut manifeste devant moi. ", "Cependant cette bonne et utile interprétation, qui n’est point douteuse, se trouve en défaut dans trois passages(2)Littéralement: m’a été percée ou endommagée par trois passages. que, selon la règle en question, il aurait dû traduire par וגלי קדם י״י et il fut manifeste devant l’Éternel, tandis que nous y trouvons, dans les exemplaires: וחזא י״י et l’Éternel vit. Ce sont les suivants: Et l’Éternel vit que la méchanceté des hommes était grande (Genèse, 6, 5); Et Dieu vit la terre, et voici elle était corrompue (Ibid., V. 12); Et l’Èternel vit que Léa était haïe (Ibid., 29, 31). Il est probable pour moi que c’est une faute qui s’est glissée dans les exemplaires(1)En effet, dans le premier de ces trois passages, quelques éditions portent וגלי קדם י״י; ces mêmes mots se trouvent, au troisième passage, dans la paraphrase attribuée à Jonathan ben-Uziel, et dont l’auteur a eu sous les yeux celle d’Onkelos.; car nous n’en possédons pas l’autographe d’Onkelos pour que nous disions qu’il avait peut-être une interprétation (particulière) pour ces passages(2)L’auteur veut dire: Si on était sûr qu’Onkelos a réellement écrit, dans ces trois passages, וחזא י״י, il faudrait supposer qu’il avait quelque motif particulier pour agir ainsi, et chercher l’interprétation qu’il a pu donner à ces passages; mais, comme il est bien plus probable que ce ne sont que des fautes de copiste, nous ne devons pas lui attribuer une intention particulière à l’égard de ces passages..", "Si, d’un autre côté, il a rendu les mots: Dieu verra (choisira) pour lui l’agneau (Ibid., 22, 8) par קדם י״י גלי אמרא Devant Dieu est manifeste l’agneau, c’était afin que ce passage (littéralement traduit) ne donnât pas lieu de croire que (cet agneau) Dieu eût besoin de le chercher pour le mettre en présence(3)Littéralement: afin que cela ne fít pas croire que Dieu fût pour aborder sa recherche et sa production, ou: que Dieu fût devant le chercher et le produire., ou bien (c’était) parce qu’il trouvait inconvenant aussi, dans cette langue (araméenne), de mettre en rapport la perception divine avec un individu(4)Le mot שבׄץ, individu, qu’Ibn-Tibbon a trop faiblement rendu par אחד, un, au lieu de le rendre par איש, et qu’Al-’Harizi a supprimé dans sa version, n’est pas ici sans importance. Selon le système de l’auteur, les individus de la race humaine sont seuls guidés par la Providence; pour ce qui est des autres animaux, la Providence divine ne s’étend que sur les espèces, abandonnant les individus au hasard. Voyez la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XVII. d’entre les animaux irraisonnables.", "Il faut soigneusement rechercher à cet égard la vraie leçon des exemplaires, et si l’on trouve ces passages tels que nous l’avons dit, je ne connais pas son intention(1)C’est-à-dire, l’intention d’Onkelos, auquel se rapporte le pronom לה; c’est dans ce sens qu’a traduit Al-’Harizi: איני יודע מה היתה כונתו. Quelques mss. portent להא se rapportant à מואצׄע, et c’est cette leçon qui, dans plusieurs mss. et éditions de la version d’Ibn-Tibbon, est exprimée par להם; cependant l’édition princeps porte לו. à cet égard." ], [ "Les anges non plus n’ont pas de corps; ce sont, au contraire, des Intelligences séparées de toute matière. Cependant, ce sont des êtres produits et c’est Dieu qui les a créés, comme on l’exposera. Dans Beréschit rabba(2)Voy. à la fin de la section 21. on dit: «Cette expression La flamme du glaive qui tourne (Genèse, 3, 24) correspond à cette autre: Ses serviteurs sont un feu flamboyant (Ps. 104, 4)(3)C’est-à-dire, le mot להט, flamme, éclat, désigne les anges, appelés ailleurs אש לוהט, un feu flamboyant.; (on s’exprime:) qui tourne (המתהפכת), parce qu’ils (les anges) se transforment (מתהפכים): tantôt (on les appelle) hommes, tantôt femmes, tantôt vents (ou esprits), tantôt anges(4)L’auteur va citer lui-même un passage où les anges sont désignés par le nom de נשים, femmes; le nom de אנשים, hommes, se trouve, p. ex., Genèse, 18, 2, celui de רוח, vent ou esprit, Ps. 104, 4, et I Rois, 22, 21..» Par ce passage on a déclaré qu’ils ne sont point matériels, qu’ils n’ont pas de figure stable et corporelle en dehors de l’esprit(5)C’est-à-dire, que les figures corporelles sous lesquelles ils apparaissent n’existent que dans l’esprit de celui qui les voit, et n’ont point d’existence réelle. On retrouve souvent l’expression כׄארגׄ אלדׄהן, en dehors de l’esprit, pour indiquer la réalité objective, de même qu’on dit que quelque chose est פי אלדׄהן, dans l’esprit, pour indiquer la conception subjective, qu’elle corresponde ou non à quelque chose de réel. Le mot דׄהן embrasse l’ensemble de toutes les facultés et dispositions spirituelles, même l’imagination, tandis que עקל désigne l’intellect ou l’intelligence; on peut donc dire qu’une chose est פי אלדׄהן dans l’esprit, lors même qu’elle n’est que dans l’imagination. Voy., p. ex., ci-dessus, chap. III (pag. 43 et 44), où la perception des sens, indépendamment ou en dehors de l’esprit (כׄארגׄ אלדׄהן), est opposée à la fois à l’imagination et à la perception de l’intelligence (עקל). Les traducteurs hébreux, n’ayant pas trouvé de mot pour rendre le mot arabe דׄהן, l’ont presque toujours rendu, ainsi que עקל (intellect), par le mot שׂכל, ce qui peut causer de la confusion. Il faut se pénétrer de ce que nous venons de dire pour bien comprendre, dans les versions hébraïques, les expressions בשכל et חוץ לשכל. Voy. les excellentes observations faites à ce sujet par M. Scheyer, dans son écrit intitulé: Das Psychologische System des Maimonides, pag. 60 et suiv., et qu’au contraire, tout cela n’existe que dans la vision prophétique et selon l’action de la faculté imaginative, comme nous le dirons en parlant du sens véritable du prophétisme. Si on dit (dans ce passage): «tantôt femmes», c’est que les prophètes voyaient aussi quelquefois les anges sous la figure de femmes, et c’est une allusion à ce passage de Zacharie (chap. 5, V. 9): Et voici deux femmes qui sortaient, et le vent (soufflait) dans leurs ailes, etc.", "Tu sais que la perception de ce qui est exempt de matière et entièrement dénué de corporéité est très difficile pour l’homme,— à moins que ce ne soit après un grand exercice, — et particulièrement pour celui qui ne distingue pas entre l’intelligible et l’imaginaire, et qui, la plupart du temps, ne s’appuie que sur la perception de l’imagination, de sorte que, pour lui, toute chose imaginée existe ou peut exister, et ce qui ne peut être saisi par l’imagination(1)Littéralement: et ce qui ne tombe pas dans le filet de l’imagination. n’existe pas et ne peut pas exister(2)L’auteur fait ici allusion au système des motecallemîm; voy. ci-après au chap. LXXIII, 10e proposition.. De tels hommes, — et c’est la majorité de ceux qui étudient, — n’ont jamais une idée exacte d’aucun sujet, et aucune chose obscure ne s’éclaircit pour eux. ", "C’est aussi à cause de la difficulté de cette chose que les livres prophétiques présentent des paroles qui, par leur sens littéral, donneraient à entendre que les anges sont corporels et ont certains mouvements, qu’ils ont une forme humaine, qu’ils reçoivent les ordres de Dieu, les transmettent (aux hommes) et font ce qu’il a en vue, par son ordre; tout cela pour amener l’esprit à (connaître) leur existence et (à savoir) qu’ils sont vivants et parfaits, comme nous l’avons exposé à l’égard de Dieu. Cependant si on s’était borné à les représenter ainsi(1)Littéralement: si on s’était arrêté, pour eux, à cette imagination, c’est-à-dire, à cette manière de les présenter à l’imagination., leur véritable essence(2)Littéralement: leur vérité (réalité) et leur essence. aurait été, dans l’imagination du vulgaire, semblable à l’essence de Dieu; car on a également employé à l’égard de Dieu des paroles dont le sens littéral paraîtrait (indiquer) qu’il est un corps ayant vie et mouvement et d’une forme humaine. C’est donc pour indiquer à l’esprit que le rang de leur existence est au dessous du rang de la divinité, qu’on a mêlé à leur figure quelque chose de la figure d’animaux irraisonnables, afin de faire comprendre que l’existence du Créateur est plus parfaite que la leur, de même que l’homme est plus parfait que l’animal irraisonnable. Mais, en fait de figure d’animal(3)Un ms. porte מן שכל; de même Al-’Harizi: מתבנית (avec le préfixe מ). Après le mot חיואן l’un des mss. de Leyde ajoute גיר נאטק, et cette leçon a été suivie par Ibn-Tibbon, qui a שאינם מדברים., on ne leur a absolument rien attribué que les ailes; car on ne saurait se figurer le vol sans ailes, de même qu’on ne saurait se figurer la marche sans pieds, et l’existence même desdites facultés, on ne saurait nécessairement se la figurer que dans lesdits sujets(4)C’est-à-dire, dans les ailes et les pieds qui servent de substratum à ces deux facultés.. Et si on a choisi le vol (comme attribut des anges) pour indiquer qu’ils sont vivants, c’est parce que c’est là le plus parfait et le plus noble d’entre les mouvements locaux des animaux, et que l’homme y voit une grande perfection, désirant lui-même pouvoir voler, afin de fuir facilement tout ce qui lui est nuisible et d’atteindre promptement ce qui lui est convenable, à quelque distance que ce soit. ", "C’est donc pour cela qu’on leur a attribué ce mouvement, et encore parce que l’oiseau, dans un très court espace de temps, tantôt se montre et tantôt se dérobe, tantôt s’approche et tantôt s’éloigne; car ce sont là généralement des circonstances qu’il faut admettre pour les anges, comme on l’exposera.", "Cette prétendue perfection, je veux dire le mouvement de vol, n’est attribuée à Dieu en aucune manière, parce que c’est un mouvement appartenant à un animal irraisonnable. Il ne faut pas te tromper au sujet de ces mots: Il était monté sur un chérubin et il volait (Ps. 18, 11); car ici c’est le chérubin qui volait(1)C’est-à-dire, le sujet dans le verbe ויעף, et il volait, n’est point Dieu, mais le chérubin, de sorte qu’il faudrait traduire: il était monté sur un chérubin qui volait.. On a voulu dire, par cette allégorie, que la chose en question arrive rapidement; de même qu’on a dit ailleurs: Voici, l’Éternel est monté sur une nuée légère et il va entrer en Égypte (Isaïe, 19, 1), où l’on veut dire que le malheur en question fondra rapidement sur eux.", "Il ne faut pas non plus te laisser induire en erreur par les expressions que tu trouves particulièrement dans Ézéchiel, telles que: face de bœuf, face de lion, face d’aigle (Ézéch., 1, 10), plante d’un pied de veau (Ibid., V. 7)(2)L’auteur veut dire que, dans ces passages, Ézéchiel paraît attribuer aux anges, du corps des animaux, d’autres parties que les ailes, contrairement à ce qui a été dit plus haut.; car il y a pour tout ceci une autre interprétation que tu entendras plus tard(3)Voir IIIe partie, chap. Ier, où l’auteur dit qu’il s’agit ici de faces humaines ressemblant aux faces de certains animaux., et d’ailleurs ce n’est là que la description des hayyôth(4)C’est-à-dire, des animaux célestes d’Ézéchiel, qui, selon l’auteur, désignent les sphères elles-mêmes, et non pas les anges ou les Intelligences des sphères.. Ces sujets seront expliqués par des indications qui suffiront pour éveiller l’attention(1)Voir les premiers chapitres de la IIIe partie..", "Quant au mouvement de vol (attribué aux anges), on le trouve partout dans les textes (sacrés), et (comme nous l’avons dit) on ne peut se le figurer qu’au moyen d’ailes; on leur a donc accordé les ailes pour indiquer une circonstance de leur existence, et non pour désigner leur véritable être.", "Il faut savoir que tout ce qui se meut d’un mouvement rapide, on lui attribue l’action de voler pour indiquer la rapidité du mouvement; on a dit, p. ex.: … comme vole l’aigle (Deutér., 28, 49), parce que l’aigle est entre tous les oiseaux celui qui vole et se lance le plus rapidement, de sorte qu’il a passé en proverbe. Il faut savoir aussi que les ailes sont les causes (efficientes) du vol; c’est pourquoi les ailes qui apparaissent (dans les visions prophétiques) sont du même nombre que les causes du mouvement de ce qui se meut(2)Maïmonide, comme le font observer les commentateurs, fait ici particulièrement allusion au mouvement des sphères célestes, représentées, selon lui, par les ’hayyôth ou animaux célestes de la vision d’Ézéchiel; les ’hayyôth ont quatre ailes, et de même les causes du mouvement des sphères sont au nombre de quatre, savoir: leur sphéricité, leur âme, leur intelligence et la suprême intelligence séparée ou Dieu, objet de leur désir. Voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. IV et X.. Mais ce n’est pas là le but de ce chapitre." ], [ "Sache(3)Ce chapitre sert d’introduction à ce que l’auteur dira, dans les dix chapitres suivants (LI à LX), sur les attributs. Avant d’aborder sa théorie toute spiritualiste des attributs de Dieu, théorie si éloignée des croyances vulgaires, il croit devoir donner une définition de la croyance, c’est-à-dire de celle qui mérite réellement ce nom, et qui n’est pas une simple profession de foi, mais une pensée intime, une idée qui, lors même qu’elle ne serait pas objectivement vraie, l’est du moins dans l’esprit de celui qui l’a conçue, et n’a rien d’absolument inadmissible., ô lecteur de mon présent traité, que la croyance n’est pas quelque chose qu’on prononce (seulement), mais quelque chose que l’on conçoit dans l’âme, en croyant que la chose est telle qu’on la conçoit. Si donc, lorsqu’il s’agit d’opinions vraies ou réputées telles, tu te contentes de les exprimer en paroles, sans les concevoir ni les croire, et, à plus forte raison, sans y chercher une certitude, c’est là une chose très facile; et c’est ainsi que tu trouves beaucoup d’hommes stupides qui retiennent (dans la mémoire) des croyances dont ils ne conçoivent absolument aucune idée. ", "Mais si tu es de ceux dont la pensée s’élève pour monter à ce degré élevé, (qui est) le degré de la spéculation, et pour avoir la certitude que Dieu est un, d’une unité réelle, de sorte qu’on ne trouve en lui rien de composé ni rien qui soit virtuellement divisible d’une façon quelconque, il faut que tu saches que Dieu n’a point d’attribut essentiel, sous aucune condition, et que de même qu’on ne peut admettre qu’il soit un corps, de même il est inadmissible qu’il possède un attribut essentiel(1)La question des attributs est une de celles qui a le plus occupé les docteurs musulmans et juifs du moyen âge. Certains docteurs, tout en professant l’unité absolue de Dieu, croyaient pourtant pouvoir admettre un certain nombre d’attributs éternels et essentiels, c’est-à-dire inhérents à l’essence divine, tels que la vie, la science, la puissance, etc.; la secte des Mo’tazales, en général, niait les attributs comme incompatibles avec l’unité absolue; il y en avait cependant, parmi eux, qui admettaient implicitement des attributs essentiels en disant que Dieu est vivant par son essence, et non par l’attribut de la vie, qu’il sait par son essence, et non par l’attribut de la science, et ainsi de suite. (Cf. Pococke, Spec. hist. Arab., pag. 214 et suiv., et ibidem, le texte d’Abou’l-Faradj, pag. 19). Ces derniers, selon notre auteur, ne sont pas plus dans le vrai que ceux qui professent ouvertement les attributs de Dieu. Fidèle aux principes des philosophes, il rejette les attributs essentiels d’une manière absolue. Voir les détails plus loin, au chap. LIII..", "Celui qui croirait qu’il est un, possédant de nombreux attributs, exprimerait bien, par sa parole, qu’il est un, mais, dans sa pensée, il le croirait multiple. Cela ressemblerait à ce que disent les chrétiens: «Il est un, cependant il est trois, et les trois sont un»; car ce serait la même chose si l’on disait: «il est un, mais il possède de nombreux attributs, et lui avec ses attributs font un», tout en écartant la corporéité et en croyant la simplicité absolue (de Dieu), comme si notre but était seulement de chercher comment nous devons nous exprimer, et non pas ce que nous devons croire(1)Ceux-là, dit l’auteur, qui donnent à Dieu de nombreux attributs tout en proclamant son unité, son incorporalité et sa simplicité absolue, sont en contradiction avec eux-mêmes, et on dirait que, selon eux, il s’agit plutôt de s’exprimer d’une certaine manière que de se pénétrer du vrai sens des croyances. Les Mo’tazales, en argumentant contre les partisans des attributs éternels et essentiels, leur reprochent, comme notre auteur, de tomber dans une erreur semblable à celle des chrétiens, qui admettent dans Dieu trois personnes.Voy. Pococke, loco citato, pag. 216: Infidelitatis arguuntur christiani quod tria statuunt œterna; quid ergo de iis pronuntiandum qui septem aut plura statuunt ?. Il ne peut y avoir croyance que lorsqu’il y a eu conception; car la croyance consiste à admettre comme vrai ce qui a été conçu (et à croire) que cela est hors de l’esprit tel qu’il a été conçu dans l’esprit. S’il se joint à cette croyance (la conviction) que le contraire de ce qu’on croit est absolument impossible et qu’il n’existe dans l’esprit aucun moyen de réfuter cette croyance, ni de penser que le contraire puisse être possible, c’est là de la certitude.", "Si tu te dépouilles des désirs et des habitudes, si tu es intelligent et que tu considères bien ce que je dirai, dans ces chapitres suivants, sur la négation des attributs(2)C’est-à-dire, sur la nécessité d’écarter de Dieu tous les attributs affirmatifs., tu auras nécessairement de la certitude à cet égard, et alors tu seras de ceux qui conçoivent l’unité de Dieu, et non pas de ceux qui la prononcent seulement de leur bouche, sans en concevoir une idée, et qui appartiennent à cette classe dont il a été dit: Tu es près de leur bouche, mais loin de leur intérieur (Jérémie, 12, 2). Il faut, en effet, que l’homme soit de ceux qui conçoivent la vérité et la comprennent, quand même ils ne la prononceraient pas, comme on l’a ordonné aux hommes vertueux, en leur disant: Dites (pensez) dans votre cœur, sur votre couche, et demeurez silencieux (Ps. 4, 5)." ], [ "Il y a, dans l’être, beaucoup de choses claires et manifestes, dont les unes sont des notions premières(1)Voy. ci-dessus, pag. 128, note 3. et des choses sensibles, et les autres quelque chose qui s’approche de celles-ci; de sorte que l’homme, quand même on le laisserait tel qu’il est(2)ומא a ici le même sens que כמא, qu’on trouve, en effet, dans quelques mss. L’auteur veut dire que ces choses sont tellement claires que même l’homme simple, dont l’esprit n’a point été cultivé, les admet de prime abord, sans qu’on ait besoin de les lui démontrer., n’aurait pas besoin de preuve pour ces choses. Telles sont, par exemple, l’existence du mouvement, celle de la liberté d’agir appartenant à l’homme, l’évidence de la naissance et de la destruction(3)Voy. ci-dessus, pag. 59, note 5, et pag. 98, note 2., et les propriétés naturelles des choses, (propriétés) qui frappent les sens, comme la chaleur du feu et la froideur de l’eau; on pourrait citer beaucoup de choses semblables. Mais, lorsqu’il se produisit des opinions extraordinaires, de la part de ceux qui étaient dans l’erreur ou qui avaient en cela un but quelconque, et qui, par ces opinions, se mettaient en opposition avec la nature de l’être, niaient ce qui est perçu par les sens ou voulaient faire croire à l’existence de ce qui n’existe pas, les hommes de la science eurent besoin d’établir l’existence de ces choses manifestes et la non-existence des choses de pure supposition(1)Littéralement: d’affermir ces choses évidentes et d’annuler (ou d’écarter) l’existence de ces choses supposées.. Ainsi, nous trouvons qu’Aristote établit le mouvement, parce qu’on l’avait nié(2)Voy. la Physique d’Aristote et notamment la réfutation des preuves alléguées par Zénon contre l’existence du mouvement, l. VI, chap. 2, et l. VIII, chap. 8., et démontre la non-existence des atomes, parce qu’on en avait affirmé l’existence(3)Voy. Ibid., liv. 6, chap. 1 et suiv..", "De cette même catégorie est (le besoin) d’écarter de Dieu les attributs essentiels; ", "car c’est une notion première que l’attribut est autre chose que l’essence du sujet qualifié, qu’il est une certaine circonstance de l’essence, et, par conséquent, un accident. Quand l’attribut est l’essence même du sujet qualifié, il n’est autre chose qu’une tautologie, comme, p. ex., si l’on disait: l’homme est un homme; ou bien il est l’explication d’un nom, comme, p. ex., si l’on disait: l’homme est un être vivant (ou animal) raisonnable [car être vivant et raisonnable exprime l’essence de l’homme et sa réalité, et il n’y a pas là une troisième idée outre celles d’être vivant et de raisonnable, qui font l’homme, lequel est qualifié par la vie et la raison, ou, pour mieux dire, cet attribut est l’explication d’un nom et pas autre chose, et c’est comme si l’on disait: que la chose dont le nom est homme est celle qui est composée de vie et de raison].", "Il est donc clair que l’attribut est nécessairement de deux choses l’une: ou bien il est l’essence même du sujet, de sorte qu’il est l’explication d’un nom, chose que, sous ce rapport(4)C’est-à-dire, en considérant l’attribut comme la simple explication du nom qui en est le sujet., nous ne repoussons pas à l’égard de Dieu, mais bien sous un autre rapport, comme on l’exposera(5)Voy. le chap. suivant, où l’auteur montre que Dieu ne saurait être défini.; ou bien l’attribut est autre chose que le sujet, ou plutôt il ajoute quelque chose au sujet, ce qui aboutirait à faire de l’attribut un accident de ladite essence. Mais en excluant des attributs du Créateur la dénomination d’accident, on n’en exclut pas l’idée; car tout ce qui s’ajoute à l’essence y est accessoire et n’est pas le complément de sa véritable idée, et c’est là précisément le sens de l’accident(1)L’auteur s’adresse ici à ceux qui, tout en prêtant à Dieu des attributs et en disant que ces attributs sont quelque chose qui s’ajoute à son essence, prétendent néanmoins admettre que Dieu n’a pas d’accidents: il ne suffit pas, dit-il, d’éviter le mot accident pour en effacer aussi l’idée, et dès qu’on admet que Dieu a des attributs distincts de son essence, on admet nécessairement qu’il a des accidents; car ce qui s’ajoute à l’essence et en est distinct ne peut en être que l’accessoire et ne saurait en former le complément essentiel.. Ajoutons à cela que, s’il y avait de nombreux attributs, il s’ensuivrait qu’il y a beaucoup de choses éternelles; mais il n’y a unité qu’à condition d’admettre une essence une et simple, dans laquelle il n’y ait ni composition, ni multiplicité d’idées, mais, au contraire, une idée unique, qu’on trouve une de quelque côté qu’on l’envisage et à quelque point de vue qu’on la considère, qui en aucune façon ni par aucune cause ne saurait être divisée en deux idées, et dans laquelle il n’existe point de multiplicité, ni hors de l’esprit, ni dans l’esprit (du penseur)(2)C’est-à-dire, qui en elle-même n’ait point de multiplicité et qui ne puisse pas même paraître multiple à l’esprit. Voyez ci-dessus, page 175, note 5., comme on le démontrera dans ce traité.", "Certains penseurs(3)Par אהל אלנטׄר, littéral.: gens de la spéculation, l’auteur n’entend pas ici les philosophes proprement dits, mais les théologiens qui appliquent la spéculation philosophique au dogme religieux; les différentes propositions qu’il va citer appartiennent aux Motécallemîn ou scolastiques musulmans (cf. ci dessus, pag. 5, note 1), que le Karaïte Ahron ben-Elie, dans son עץ חיים, désigne souvent sous la dénomination de חכמי המחקר, semblable à celle dont se sert ici notre auteur. sont allés jusqu’à dire que les attributs de Dieu ne sont ni son essence, ni quelque chose en dehors de son essence(1)Un théologien arabe, cité par Reland, s’exprime ainsi sur les attributs de Dieu: «Tous ces attributs éternels sont renfermés dans son essence et subsistent en lui d’éternité en éternité, sans division ni variation, en sorte néanmoins qu’on ne peut pas dire que ces attributs soient lui-même, comme on ne peut pas dire non plus qu’ils en soient essentiellement différents, chacun des mêmes attributs étant conjoint avec un autre, comme la vie avec la science, ou la science avec la puissance, etc.» Voy. La Religion des Mahométans, tirée du latin de Reland (La Haye, MDCCXXI), IIe leçon; Cf. Brucker, Hist. crit. philos., t. III, pag. 160.; mais c’est comme ce qu’ont dit quelques autres: «Les conditions — c’est ainsi qu’ils désignent les idées générales — ne sont ni existantes, ni non-existantes(2)Les mots אלמעאני signifient les universaux, ou les idées générales, exprimant les genres, les espèces, etc.; cf. Maïmonide, Abrégé de Logique, chap. X. On voit, par ce passage, que la question qui s’agitait entre les nominalistes et les réalistes occupait aussi les penseurs arabes, et qu’il y en avait, parmi eux, qui cherchaient à concilier ensemble les deux opinions et à écarter ce que chacune d’elles avait de trop absolu, à peu près comme l’ont fait les conceptualistes. Il est naturel que cette question, qui a sa véritable origine dans les théories de Platon et d’Aristote et que Porphyre a touchée au commencement de son Isagoge, ait été agitée par les philosophes arabes; mais elle n’a pas eu, chez eux, la même importance que chez les philosophes chrétiens du moyen âge. Quant à Maïmonide lui-même, fidèle disciple d’Aristote, il déclare que les universaux n’ont aucune existence en dehors de l’esprit. Voy. la IIIe partie de cet ouvrage, au commencement du chap. XVIII.»; et comme ce qu’ont dit d’autres encore: «La substance simple (l’atome) n’est pas dans un espace, cependant elle occupe une position limitée(3)Cette proposition appartient aux Motécallemîn atomistes, dont la doctrine sera exposée plus loin (chap. LXXIII). Par מכאן , ils paraissent entendre l’espace par rapport à son étendue ou à ses dimensions; par , l’espace circonscrit dans des limites. Bien que l’atome, disent-ils, n’ait pas d’étendue, il est pourtant circonscrit et séparé, par des limites, de ce qui l’avoisine; c’est, pour ainsi dire, le corps sans dimensions, le point considéré comme premier élément de l’étendue, mais qui n’en a pas lui-même. Voici comment Al-Djordjâni, dans son Kitâb al-Ta’rifât ou Livre des Définitions, explique les mots et , tels qu’ils sont employés par les Motécallemîn: «Macân, chez les Motécallemîn, est le vide idéal qu’occupe le corps et dans lequel il fait pénétrer ses dimensions.» «’Hayyiz, chez les Motécallemîn, est le vide idéal qu’occupe une chose soit étendue comme le corps, soit non étendue comme la substance simple (ou l’atome).» On voit que le macân n’est attribué qu’au corps ayant des dimensions, tandis que le ’hayyiz est attribué en même temps au corps étendu et à l’atome. Les mots signifieraient, selon M. Silv. de Sacy, substance isolée de la forme (voir Notices et extraits des mss., t. X, pag. 65); mais cette explication est inexacte. Ces mots, qui, en effet, signifient littéralement substance isolée, ont été employés par les Motécallemîn pour désigner l’atome qu’ils appellent aussi ou simplement , comme on a pu le voir un peu plus haut. Voici comment s’exprime Ibn-Roschd, dans son Abrégé de la Métaphysique, livre I, en parlant de la substance ; nous citons la version hébraïque: וכן מי שראה כי העצמות הרמוז אליו יתחבר מחלקים אשד לא יתחלקו קרא אותם עצמים כמו שנשמע המדברים מאנשי זמננו יקראו החלק אשר לא יתחלק העצם הפדדי «De même, ceux qui pensent que la substance indiquée est composée d’atomes donnent à ces derniers le nom de substances, comme nous entendons les Motécallemîn de nos jours appeler l’atome la substance isolée ou simple .» Le terme de ressemble à celui de monade, employé par Leibnitz, quoiqu’il ne désigne pas exactement la même chose; la proposition des Motécallemîn, citée ici par Maïmonide, offre une analogie frappante avec ce que dit Leibnitz, en parlant des monades: Substantia nempe simplex, etsi non habeat in se extensionem, habet tamen positionem, quœ est fundamentum extensionis. Voy. les OEuvres de Leibnitz, édition de Dutens, t. II, part. I (Epistolœ ad P. des Bosses), p. 280.», et: «L’homme n’a point d’action, mais il a l’acquisition(1)Plusieurs docteurs de la secte des Ascharites (qui professe un fatalisme absolu), tout en admettant que les actions des hommes n’émanent que de la volonté et de la toute-puissance de Dieu (voir la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XVII, 3e opinion), cherchaient néanmoins à attribuer à l’homme, dans la causalité des actions, une petite part par laquelle il acquiert un mérite ou un démérite; ce concours de l’homme dans l’action créée par Dieu, hypothèse insaisissable et vide de sens, est désigné par le mot acquisition . Voy. Pococke, Specimen hist. Arab., pag. 239, 240, 248 et suiv.), et mon article Arabes dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, tome I, pag. 176. Cf. ci-après, chap. LXXIII, vers la fin de la 6e proposition, et Ahron ben-Elie, עץ חיים, chap. IV et LXXXVI (pages 17 et 115 de l’édition de Leipzic), où l’acquisition est désignée, en hébreu, par le mot ריוח.». Ce sont là des assertions qui toutes se disent seulement, qui existent dans les paroles et non dans les esprits, et qui, à plus forte raison, ne peuvent avoir d’existence en dehors de l’esprit(1)C’est-à-dire, l’esprit ne peut attacher aucune idée à ces assertions, qui, à plus forte raison, ne correspondent à rien de réel et d’objectif en dehors de l’esprit.. Cependant, comme tu le sais et comme le savent tous ceux qui ne s’abusent pas eux-mêmes, elles sont protégées par une surabondance de paroles et par des images d’un faux lustre, et soutenues par des déclamations, par des invectives(2)L’auteur fait allusion au style verbeux et aux images pompeuses que les Motécallemîn employaient dans leurs livres, ainsi qu’à la véhémence qu’ils mettaient dans la discussion en suppléant aux arguments par des invectives et des sophismes. Cf. ci-après, au commencement du chap. LXXIV. La version d’Ibn-Tibbon ne s’accorde pas entièrement avec le texte; il faut y effacer les mots במאמרים שמשתדל אומרם לשמרם ברוב דברים, qui ne paraissent être qu’une glose explicative que les copistes ont fait entrer dans le texte. Les mots ובהוצאת דִּבּות והרחקות sont une double traduction du mot arabe ואלתשניעאת, et nous croyons qu’il faut supprimer le mot והרחקות; les mots arabes באלציאח ואלתשניעאת signifient littéralement: clamoribus et infamationibus. La version d’Al-’Harizi est ici préférable à celle d’Ibn-Tibbon; elle porte: כי יעשו להם חיוק ברוב הטלות והדמיונים המזוייפים ויחזקו אותם בקולות ובגערות. et par de nombreux moyens (de discussions) empruntés à la fois à la dialectique et à la sophistique(3)Littéralement: et par de nombreux modes (d’argumentation) composés de dialectique et de sophistique.. Mais si, après les avoir énoncées et les avoir soutenues par de tels moyens(1)La version d’Ibn-Tibbon porte באלו הדברים, ce qui paraît être une ancienne faute de copiste; il faut lire באלו הדרכים, comme l’a, en effet, Al-’Harizi., on se reporte en soi-même à sa croyance(2)C’est-à-dire, si l’on interroge ensuite sa conviction intime., on ne trouve autre chose que le trouble et l’impuissance (d’esprit), parce qu’on s’efforce de donner de l’existence à ce qui n’existe pas et de créer un terme moyen entre deux opposés entre lesquels il n’y en a point; car y a-t-il un terme moyen entre ce qui existe et ce qui n’existe pas, ou bien y en a-t-il entre l’identité et la non-identité de deux choses(3)Littéralement: entre (cette alternative) que de deux choses l’une est l’autre ou est autre chose. L’auteur fait allusion à ceux qui soutenaient que les attributs de Dieu ne sont ni identiques avec son essence, ni quelque chose en dehors de son essence. ? ", "Ce qui a poussé à cela, c’est, comme nous l’avons dit, qu’on s’abandonnait aux imaginations et qu’on se figurait toujours que tous les corps existants sont des essences dont chacune a nécessairement des attributs, et que nous ne trouvons jamais une essence d’un corps, existant seule et sans attribut; persistant donc dans cette imagination, on croyait que Dieu, de même, est composé de choses diverses, (savoir) de son essence(4)Le mot עצמיים qu’ont ici les éditions de la version d’Ibn-Tibbon doit être changé en עצמו, comme l’ont, en effet, les mss. et l’édit. princeps. et des idées ajoutées à l’essence. Quelques uns, poussant plus loin l’anthropomorphisme, le croyaient un corps ayant des attributs, tandis que d’autres, s’élevant au dessus de ce degré infime(5)Le mot דרך signifie fond, profondeur, degré infime; on lit, p.ex., dans le Korân (IV, 144): Certes, les hypocrites seront dans le fond le plus bas du feu (de l’enfer). Les deux traducteurs hébreux, comme l’a déjà fait remarquer Ibn-Falaquera, ont mal rendu le mot דרך: Ibn-Tibbon, qui paraît l’avoir pris pour un mot hébreu, a traduit: ואנשים סרו מזה ה ד ר ך; Al-’Harizi, prenant דרך dans le sens de אדראך ( , perception), a encore plus mal rendu ce passage, en traduisant: ואנשים לא רצו זאת ה ה ש ג ה ורחקו מעליה. La même faute a été commise, par les deux traducteurs, au ch.VIII de la IIIe partie du Guide, où les mots לא ללאנחטאט ללדרך אלאספל (non pour descendre au degré le plus bas) sont rendus, dans les deux versions, par: לא לרדת ל ה ש י ג השפל., ont écarté (de Dieu) le corps et ont laissé subsister les attributs. Ce qui a amené tout cela, c’est qu’on suivait le sens littéral des livres de la révélation, comme je l’exposerai dans des chapitres qui traiteront de ces sujets(1)Voy. ci-après, chap. LIII.." ], [ "Toutes les fois qu’un sujet a un attribut affirmatif(2)Les mots תוגׄב לה צפה̈ signifient: auquel un attribut est donné affirmativement. Dans ce chapitre l’auteur commence ses recherches sur les attributs qui conviennent ou ne conviennent pas à Dieu, et il parcourt les différentes classes des attributs affirmatifs; on verra dans la suite qu’il n’admet à l’égard de Dieu que des attributs négatifs.—Le mot , employé dans le sens d’attribut, signifie littéralement description, du verbe , décrire, qui, dans le langage philosophique, signifie aussi: désigner par un attribut. Nous traduisons ce verbe, selon que l’exige l’ensemble de la phrase, tantôt par donner ou avoir un attribut, tantôt par désigner, tantôt enfin par qualifier, en prenant ce dernier mot dans un sens général, et non pas dans le sens spécial d’attribuer une qualité, c’est-à-dire de donner un attribut de la CATÉGORIE de la QUALITÉ. Dans ce dernier sens on emploie le verbe , comme on le verra plus loin, à la IIIe classe des attributs. et qu’on dit qu’il est tel, cet attribut ne peut manquer d’être de l’une des cinq classes suivantes.", "I. La PREMIÈRE CLASSE est celle où la chose a pour attribut sa définition, comme, p. ex., lorsqu’on désigne l’homme (en disant) qu’il est un animal raisonnable. Un tel attribut indique l’être véritable d’une chose(1)Littéralement: la quiddité d’une chose et sa réalité, c’est-à-dire, ce qu’une chose est en réalité., et nous avons déjà exposé qu’il est l’explication d’un nom et pas autre chose(2)Voy. le chap. précédent, pag. 183.. Ce genre d’attribut doit, selon tout le monde, être écarté de Dieu, car Dieu n’a pas de causes antérieures qui aient causé son existence, de manière qu’elles puissent servir à le définir(3)Il faut se rappeler que, selon Aristote, la meilleure définition, c’est-à-dire celle qui fait connaître l’essence de la chose, est celle qui en fait en même temps connaître la cause (Derniers Analytiques, livre II, chap. 10). La définition se fait par le genre et la différence, et il faut qu’elle parte de choses antérieures et plus connues; aux intelligences faibles on montre quelquefois l’antérieur par le postérieur, mais ce ne sont pas là de vraies définitions (Voy. Métaph., livre VII, chap. 12; Topiques, livre VI, chap. 4). Il s’ensuit que ce qui est primitif et simple ne peut se définir, car la définition suppose quelque chose de général renfermant l’objet particulier qui est à définir, tandis que l’être primitif n’a rien de général qui le précède et qui en soit la cause. Voy. Métaph., livre VIII, chap. 6: Ὅσα δὲ μὴ ἔχει ὕλην, μήτε νοητὴν μήτε αἰσθητήν, εὐθὺς ὅπερ ἕν τι εἶναί ἐστιν ἕϰαστον, ὥςπερ ϰαὶ ὅπερ ὄν τι, τὸ τόδε, τὸ ποιόν, τὸ ποσόν. διὸ ϰαὶ οὐϰ ἔνεστιν ἐν τοῖς ὁρισμοῖς οὔτε τὸ ὂν οὔτε τὸ ἕν · ϰαὶ τὸ τί ἦν εἶναι εὐθὺς ἕν τί ἐστιν ὥςπερ ϰαὶ ὄν τι. διὸ ϰαὶ οὐϰ ἔστιν ἕτερόν τι αἴτιον τοῦ ἓν εἶναι οὐθενὶ τούτων, οὐδὲ τοῦ ὄν τι εἶναι. Cf. ibid., chap. 3: ὥστ’ οὐσίας ἔστι μὲν ἧς ἐνδέχεται εἶναι ὅρον ϰαὶ λόγον, ϰ. τ. λ. Dieu, par conséquent, ne peut être défini; car il n’a pas de cause antérieure, il n’entre pas dans un genre et ne se distingue pas par une différence, et, en général, il n’est pas dans les conditions de la vraie définition.. C’est pourquoi il est généralement admis par tous les penseurs qui s’expriment avec précision(4)Les mots אלמחצלין למא יקולונה signifient: qui ramènent ce qu’ils disent à son vrai sens, c’est-à-dire, qui emploient les termes dans leur sens précis et s’expriment avec netteté et justesse. Le mot אלמחצלין est le participe de la IIe forme du verbe , prise dans le sens de: ad summam ac sensum suum redegit (sermonem). Quelques mss. portent אלמכׄלצין , c’est-à-dire: qui expliquent ou exposent avec clarté. La version d’Ibn-Tibbon (mss. et édit. princeps) porte המבררים; dans plusieurs éditions, ce mot a été travesti en המדברים. Al-’Harizi traduit: המשכילים למה שהם אומרים, c’est-à-dire, qui réfléchissent bien à ce qu’ils disent, qui s’en rendent bien compte.—Par les mots en question l’auteur veut faire entendre que ceux qui ne se rendent pas un compte exact de ce que c’est que la définition s’imaginent que Dieu peut être défini; car, en employant une définition défectueuse et en montrant l’antérieur par le postérieur, on peut dire, p. ex.: Dieu est l’être qui meut l’univers, ou: Dieu est la forme de l’univers. C’est cet exemple que cite Ibn-Roschd en parlant des définitions où la chose, n’ayant pas d’antérieur, est définie par ce qui lui est postérieur (et qui ne sont pas de véritables définitions): . Voy. Abrégé de l’Organon (livre de la Démonstration, chap. des définitions); cf. Ibn-Falaquera, Moré ha-Moré, pag. 25. Ailleurs Ibn-Roschd fait observer que, si les philosophes ont dit que l’être premier ne saurait entrer dans un même genre avec un autre être, ni n’en être distinct par une différence, cela n’est vrai que lorsqu’on prend les mots genre et différence dans leur sens propre, se rapportant aux choses qui ont en même temps une forme générale et une forme particulière, et dont on peut donner une véritable définition; mais si, par homonymie, on prenait le mot genre dans un sens impropre, c’est-à-dire, en prenant le postérieur pour l’antérieur, on pourrait aussi renfermer Dieu dans un genre, en disant, p. ex., qu’il est l’être ou la substance etc., et alors on pourrait en donner une définition, quoiqu’insuffisante. Voy. Destruction de la Destruction, au commencement de la VIIe question; cf. le Commentaire de Moïse de Narbonne, à notre passage. que Dieu ne saurait être défini.", "II. La DEUXIÈME CLASSE est celle où la chose a pour attribut une partie de sa définition(1)C’est-à-dire, où la chose est qualifiéc par le genre seul ou par la différence seule., comme, p. ex., lorsqu’on désigne l’homme par la qualité d’animal ou par la raison. Ici il y a l’idée d’inhérence(2)Le mot אלתלאזם désigne la liaison étroite et nécessaire entre deux choses. Dans le Kitâb al-Ta’rifât, au mot , on lit: que ce mot exprime l’impossibilité de séparer deux choses l’une de l’autre, et qu’on emploie dans le même sens les mots et . Cf. le Dictionnaire de Freytag, à la racine . L’énoncé de cette liaison ou inhérence forme une proposition ou un jugement nécessaire, comme, p. ex., la proposition citée ici par notre auteur: tout homme est raisonnable. — L’auteur paraît avoir en vue ce qu’Aristote dit au sujet de la démonstration, en expliquant les trois termes par lesquels il désigne les différents degrés du nécessaire. Voy. Derniers Analytiques, l. I, chap. 4. Il paraît faire allusion notamment aux termes ϰατά παντός et ϰαθ’ αὑτό. Le ϰατά παντός désigne une attribution qui est à tout individu, et non pas seulement à tel ou tel, ce qui est toujours et non point dans un tel ou tel temps. Ainsi, animal se disant de tout homme (ϰατά παντός άνθρώπου), il suffira qu’il soit vrai que tel individu soit homme pour qu’il soit vrai de dire de lui qu’il est animal. Le terme ϰαθ’ αὑτό, en soi (qui a quatre sens principaux), désigne d’abord l’attribution qui exprime qu’une chose est essentielle ou inhérente à une autre, et où l’attribut entre dans la définition essentielle de son sujet; p. ex., la ligne dans le triangle, le point dans la ligne. En second lieu, le ϰαθ’ αὑτό désigne l’attribution où le sujet entre dans la définition essentielle de l’attribut, ou, en d’autres termes, où l’attribut est tellement essentiel au sujet que celui-ci en renferme la définition (ὅσοις τῶν ἐνυπαρχόντων αὐτοῖς αὐτὰ ἐν τῷ λόγῳ ένυπάρχουσι τῷ, τί ἐστι, δηλοῦντι). Ainsi, p. ex., la ligne entre nécessairement dans la définition du droit et du courbé, le nombre dans celle du pair et de l’impair. Ibn-Roschd fait observer que, dans le premier cas, c’est-à-dire, lorsque l’attribut entre dans la définition du sujet, il s’agit soit de la définition complète, soit d’une partie de la définition, comme, p. ex., lorsqu’on définit le triangle en disant qu’il est une figure limitée par trois lignes droites; dans le second cas, c’est-à-dire, lorsque le sujet entre dans la définition de l’attribut, il s’agit de la définition partielle, comme, p. ex., lorsqu’on prend la ligne comme définition du droit et du courbé, qui existent dans la ligne, ou bien le nombre comme définition du pair et de l’impair, qui existent dans le nombre. Ce qui, dit-il, entre surtout dans les propositions servant à la démonstration, ce sont ces deux premières espèces du ϰαθ’ αὑτό (אשר בעצם), où il y a une attribution nécessaire et essentielle; car, ajoute-t-il, la définition partielle se trouve avec la chose définie dans une relation nécessaire (כי יחם חלק הגדר אל הנגדר יהיה הכרחי). Voy. le Commentaire moyen sur les Derniers Analytiques, version hébraïque, au passage en question. On comprendra maintenant ce que notre auteur avait en vue en disant qu’il y a ici l’idée d’inhérence etc.; car, si nous disons: tout homme est raisonnable, cela signifie que dans tout ce qui possède la qualité d’homme se trouve la raison. Ce genre d’attribut doit, selon tout le monde, être écarté de Dieu; car, s’il avait une partie d’une quiddité, sa quiddité serait (une chose) composée. Cette classe des attributs est donc aussi inadmissible à son égard que l’est la précédente.", "III. La TROISIÈME CLASSE est celle où la chose a pour attribut quelque chose en dehors de sa réalité et de son essence, de sorte que cela ne fait pas partie de ce qui achève et constitue l’essence(1)Littéralement: de ce par quoi l’essence s’achève et subsiste., et que, par conséquent, il y forme (seulement) une qualité. Mais la qualité, comme genre supérieur, est un des accidents(2)Par genre supérieur, l’auteur entend la catégorie de la qualité dans toute sa généralité; car on verra plus loin que cette catégorie comprend quatre espèces diverses. C’est dans le même sens que les mots genre supérieur sont employés par Al-Farâbi, qui, dans sa Logique, en parlant de la catégorie de la qualité, s’exprime ainsi (selon la version hébraïque): ותתחלק האיכות אשר הוא הסוג העליון אל ארבעה סוגים אמצעיים «La qualité, qui est le genre supérieur, se divise en quatre genres moyens.» Voy. ms. hébr. de la Bibl. imp., fonds de l’Oratoire, n° 107. Maïmonide, dans son Abrégé de Logique (chap. X), désigne les catégories, en général, sous la dénomination de genres supérieurs. Aristote lui-même donne souvent aux catégories le nom de genres (γένο), parce qu’elles représentent les notions les plus générales désignées par les mots. Voy., p. ex., le traité de l’Ame, livre I, chap. I (§ 3), où les mots ἐν τίνι τῶν γενῶν signifient évidemment: dans laquelle des catégories; voy. aussi Catégorie, à la fin du chap. 8: έν ἀμφότεροις τοῖς γένεσι, dans les deux catégories (de la qualité et de la relation); de même, dans plusieurs passages de la Métaphysique.—L’auteur veut dire que la qualité, considérée d’abord dans sa généralité, comme l’une des dix catégories, fait partie des neuf accidents, et ne saurait être attribuée à Dieu. Il fera ensuite la démonstration spéciale pour chacun des quatre genres de la qualité.; si donc Dieu avait un attribut de cette classe, il serait le substratum des accidents, et cela seul suffit pour montrer que ce serait s’éloigner de sa réalité et de son essence que de dire qu’il possède une qualité(1)Littéralement: et cela suffirait pour être loin de sa réalité et de son essence, je veux dire (d’admettre) qu’il possède une qualité. Le sens est: Dieu devenant, par les attributs qualificatifs, un substratum d’accidents, c’est une raison suffisante pour en écarter cette sorte d’attributs.. Mais on doit s’étonner que ceux qui admettent les attributs écartent pourtant de Dieu l’assimilation (aux créatures) et la qualification(2)Quoiqu’il soit évident, dit l’auteur, qu’on ne saurait donner à Dieu des attributs qualificatifs, on doit s’étonner que les partisans des attributs aient écarté de Dieu la qualification; car, à leur point de vue et pour être conséquents, ils doivent nécessairement admettre les attributs qualifica tifs, puisque tout attribut, à moins d’être l’essence même et, par conséquent, une tautologie (comme on l’a dit plus haut, chap. LI), est nécessairement qualificatif.; car, lorsqu’ils disent qu’il ne peut être qualifié, cela ne signifie autre chose si ce n’est qu’il ne possède pas de qualité, et pourtant, tout attribut qui est donné à une essence dans un sens affirmatif et essentiel(3)Voy. ci-dessus, et chap. L, pag. 180, note 1. ou bien constitue l’essence, — et alors c’est (l’essence) elle-même, — ou bien est une qualité de cette essence.", "Les genres de la qualité sont au nombre de quatre(4)Ces quatre genres, énumérés par Aristote, sont les suivants: 1° la capacité (ou le talent) et la disposition (ἕξις ϰαί διάθεσις); 2° ce qui se dit par rapport à la puissance ou à l’impuissance naturelle (ὅσα ϰατὰ δύναμιν φυσιϰὴν ἤ ἀδυναμίαν λέγεται); 3° les qualités affectives et les affections, ou passions (παθητιϰαὶ ποιότητες ϰαὶ πάθη); 4° la figure et la forme extérieure qu’a chaque chose (σχῆμά τε ϰαὶ ἡ περὶ ἕϰαστον ὑπάρχουσα μορφή). Voir les détails dans les Catégories d’Aristote, chap. 8; les exemples que Maïmonide va citer se rattachent aux paroles d’Aristote., comme tu le sais; je vais te donner de chacun de ces genres un exemple sous forme d’attribut, afin de te montrer l’impossibilité d’admettre pour Dieu ce genre d’attribut.", "Premier exemple: lorsqu’on qualifie l’homme par une de ses capacités(1)מלכה̈ est ici la traduction du mot grec ἕξις, qui, selon l’explication d’Aristote lui-même (Catégorie, l. c.), désigne quelque chose de plus durable et de plus solide (χρονιώτερον ϰαὶ μονιμώτερον) que la disposition; cf. ci-dessus, pag. 121, note 2, et 129, note 3. spéculatives ou morales, ou par les dispositions qu’il possède comme être animé(2)Les mots ἕξις ϰαί διάθεσις que la version arabe d’Aristote rend par (hébr. הקנין והענין) sont ainsi expliqués par Al-Farâbi (l. c.): כל תכונה בנפש וכל תכונה בבעל נפש במה שהוא בעל נפש «Toute disposition dans l’âme, et toute disposition dans l’être animé en tant qu’être animé.» Les dispositions dans l’âme, ou les ἕξεις, sont des capacités acquises, comme les sciences, les arts, les vertus, ou des capacités naturelles, comme la connaissance des axiomes ou les arts que possèdent certains animaux; les dispositions que possède l’être animé comme tel, ou les διϰθεσέις, sont, p. ex., la chaleur, le refroidissement, la santé, la maladie, etc. Ibn-Roschd, dans son Abrégé de l’Organon, distingue dans les mêmes termes ces deux espèces de dispositions, en appelant les unes , etles autres ., comme, p. ex., lorsqu’on dit: un tel, charpentier, ou chaste, ou malade. Il n’y a pas de différence (à cet égard) entre la dénomination de charpentier et celle de savant, ou de sage(3)Les deux versions hébraïques portent הרופא, mais nous ne croyons pas que l’auteur ait employé ici le mot dans le sens de médecin, qu’il a quelquefois dans le langage vulgaire; l’auteur veut dire que les mots savant et sage désignent des dispositions dans l’âme (voir la note précédente), aussi bien que charpentier, et que toutes ces dispositions ne peuvent, pas plus les unes que les autres, être attribuées à Dieu. Immédiatement après, il fait la même observation pour les dispositions morales, voulant dire qu’on ne peut pas plus attribuer à Dieu la qualité de miséricordieux que celle de chaste., qui toutes (désignent) des dispositions dans l’âme, et de même il n’y a pas de différence entre dire chaste et dire miséricordieux; car tout art, toute science et toute qualité morale permanente(1)Littéralement: puissante ou qui s’est emparé (de l’homme). Cf. ci-après, note 3., est une disposition dans l’âme. Tout cela est clair pour celui qui s’est tant soit peu occupé de la Logique.", "Deuxième exemple: lorsqu’on qualifie la chose par une puissance ou une impuissance naturelle qui s’y trouve, comme, p. ex., lorsqu’on dit: le mou et le dur. Il n’y a pas de différence entre dire mou et dur et dire fort et faible(2)L’auteur veut dire qu’on ne peut pas plus donner à Dieu l’attribut de fort que celui de dur; car fort et faible désignent, comme dur et mou, une aptitude ou une inaptitude naturelle à faire ou à souffrir certaines choses. Cf. Aristote, Catégories, l. c. (à la seconde espèce de la qualité).; tout cela (désigne) des aptitudes naturelles.", "Troisième exemple: lorsqu’on qualifie l’homme par une qualité affective ou par les affections, comme, p. ex., lorsqu’on dit: un tel en colère, ou irrité, ou ayant peur, ou compatissant, sans toutefois que cela désigne une qualité morale permanente(3)Littéralement: lorsque la qualité morale n’est pas devenue puissante, ou ne s’est pas consolidée (dans l’homme), c’est-à-dire, lorsqu’elle n’est que le fait d’une impression passagère; car, dans ce cas, ce n’est pas une qualité proprement dite, mais une simple affection. Cf. Arist., ibid.: ὅσα δὲ ἀπὸ ῥᾳδίως διαλυομένων ϰαὶ ταχὺ ἀποϰαθισταμένων γίνεται πάθη λέγεται, ποιότητες δὲ οὔ. ϰ. τ. λ.. De ce même genre est la qualification par la couleur(4)Les couleurs sont dites qualités affectives, en tant qu’elles viennent d’une affection (ἀπὸ πάθους), comme, p. ex., la rougeur qui vient de la honte, la pâleur qui vient de la peur. Voy. Arist., ibid., le goût, l’odeur, la chaleur, le froid, la sécheresse et l’humidité.", "Quatrième exemple: lorsqu’on qualifie la chose par ce qu’elle est sous le rapport de la quantité comme telle(5)Littéralement: par ce qui l’atteint ou la touche du côté de la quantité en tant qu’elle est quantité. Notre auteur désigne le quatrième genre de la qualité par des termes qui diffèrent totalement de ceux employés par Aristote, bien que la traduction arabe des Catégories soit ici entièrement conforme au texte grec; les mots σχῆμά τε ϰαὶ ἡ περὶ ἕϰαστον ὑπάρχουσα μορφή sont ainsi rendus en arabe: . Les termes dont se sert Maïmonide sont les mêmes qui ont été employés par Al-Farâbi et, en général, par tous les philosophes arabes. Voici comment s’exprime Al-Farâbi, dans sa Logique (version hébraïque): והסוג הרביעי האיכויות אשר ימצאו במיני הכמות במה שהוא כמות «Le quatrième genre (comprend) les qualités qui se trouvent dans les différentes espèces de la quantité, en tant qu’elle est quantité.» Al-Farâbi donne pour exemple la droitesse et la courbure des lignes, la convexité et la concavité des surfaces, la figure (σχῆμα) géométrique, telle que le cercle, le triangle, le carré, etc., et la forme (μορφη), qui, dit il, est une espèce de figure dans la surface du corps animé, enfin le pair et l’impair dans le nombre. Ibn-Roschd, dans son Abrégé de l’Organon, s’exprime ainsi: . «Le quatrième des genres de la qualité (comprend), p. ex., la droitesse, la courbure et la figure (géométrique), et, en général, les qualités qui sont dans la quantité en tant qu’elle est quantité.» On voit que les mots σχῆμα et μορφή, dont se sert Aristote, ont été généralement interprétés, par les philosophes arabes, dans le sens d’une qualité quantitative, ou, comme ils s’expriment eux-mêmes, d’une qualité située dans la quantité en tant que quantité, c’est-à-dire, qui qualifie la chose au point de vue de la quantité abstraite ou de la forme géométrique ou arithmétique en général, sans désigner le plus et le moins., comme, p. ex., lorsqu’on dit: le long, le court, le courbé, le droit, et autres choses semblables.", "En considérant tous ces attributs et d’autres semblables, tu les trouveras inadmissibles à l’égard de Dieu: car il n’a pas de quantité, pour qu’il puisse y avoir en lui une qualité telle qu’il y en a dans la quantité comme telle; il n’est pas impressionné ni passivement affecté, pour qu’il puisse y avoir en lui une qualité d’affections; il n’a pas d’aptitudes, pour qu’il puisse y avoir en lui des puissances (facultés)(1)Les deux versions hébraïques ont הכח, au singulier; de même, quelques mss. arabes portent: אלקוה̈. ou quelque chose de semblable; enfin Dieu n’a pas d’âme, pour qu’il puisse avoir une disposition et qu’il y ait en lui des capacités (ἕξεις), telles que la mansuétude, la pudeur et d’autres semblables, ou ce qui appartient à l’être animé comme tel(1)Voy. ci-dessus, pag. 195, note 2., p. ex.: la santé et la maladie. Il est donc clair que tout attribut qui revient au genre supérieur de la qualité(2)C’est-à-dire, qui appartient à la catégorie de la qualité, en général. Voy. ci-dessus, pag. 193, note 2. ne peut se trouver en Dieu.", "Ainsi il est démontré que ces trois classes d’attributs,— savoir, tout ce qui indique une quiddité(3)Voy. ci-dessus, pag. 190, note 1., ou une partie d’une quiddité, ou une qualité quelconque qui se trouve dans la quiddité, — sont inadmissibles à l’égard de Dieu; car tous ils indiquent la composition, qui, comme nous le démontrerons(4)Voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. I., est inadmissible à l’égard de Dieu(5)Quelques mss. ajoutent: ולדׄלך קיל אנה תעאלי ואחד באטלאק «C’est pourquoi on a dit que Dieu est absolument un;» de même la version d’Ibn-Tibbon: ולזה נאמר שהוא אחד גמור. La version d’Al-Harizi n’a pas rendu ces mots..", "IV. La QUATRIÈME CLASSE des attributs est celle où l’on désigne la chose par son rapport avec autre chose, en la mettant, p. ex., en rapport avec un certain temps, avec un lieu, ou avec un autre individu, comme, p.ex., lorsqu’on désigne Zéid (en disant) qu’il est père d’un tel, ou associé d’un tel, ou habitant de tel endroit, ou celui qui existait dans tel temps. Ce genre d’attributs n’implique ni multiplicité, ni changement dans l’essence du sujet; car ce Zéid en question est (en même temps) associé de ’Amr, père de Becr, maître de Khâlid, ami de (l’autre) Zéid, habitant de telle maison, et celui qui est né dans telle année. Ces idées de rapport ne sont ni son essence, ni, comme les qualités, quelque chose dans son essence, et il paraît au premier abord qu’on pourrait prêter à Dieu ce genre d’attributs; cependant, en vérifiant la chose et en l’examinant avec soin, il sera clair que cela ne se peut pas. ", "D’abord il est évident que Dieu n’est pas en rapport avec le temps et l’espace: car le temps est un accident qui compète au mouvement, lorsque, dans celui-ci, on envisage l’idée d’antériorité et de postériorité, de sorte qu’il est nombré (par le temps), — comme cela est expliqué dans les endroits particulièrement consacrés à ce sujet(1)Le temps, dit Aristote, n’est pas lui-même le mouvement, car le changement et le mouvement sont dans la chose seule qui change et qui se meut, tandis que le temps est partout et dans toute chose. Tout changement est plus ou moins rapide ou lent; le temps n’est ni l’un ni l’autre, car c’est par lui que s’indiquent la rapidité et la lenteur (Voy. Physique, liv. IV, à la fin du chap. 10). N’étant pas lui-même le mouvement, il doit être nécessairement quelque chose du mouvement (ἀνάγϰη τῆς ϰινήσεώς τι εἶναι αὐτόν), ou, comme dit notre auteur, un accident qui compète au mouvement. Nous reconnaissons le temps, en déterminant le mouvement par la détermination de l’antérieur et du postérieur (ὅταν ὁρίσωμεν τῆν ϰίνησιν τὺ πρότερον ϰαὶ ὕστερον ὁρίζοντες), c’est-à-dire, par ce qui est avant et après un point intermédiaire, lequel est le présent (το νὺν). Le temps est donc le nombre du mouvement, suivant l’avant et l’après (ἀ ρ ι θ μ ὸ ς ϰινήσεως ϰατὰ τὸ πρότερον ϰαὶ ὕστερον. Ibid., chap. 11). Le temps étant la mesure ou le nombre du mouvement, il s’ensuit que ce qui est toujours (τὰ ἀεὶ ὄντα) n’est pas dans le temps; car il n’est pas renfermé dans le temps, et son être n’est pas mesuré par le temps (Ibid., chap. 12). Cf. la IIe partie de cet ouvrage, chap. XIII. —; or, le mouvement étant de ce qui compète aux corps, et Dieu n’étant point un corps, il s’ensuit qu’il n’y a pas de rapport entre lui et le temps. De même il n’y a pas de rapport entre lui et l’espace(2)Car l’espace n’est pas quelque chose qui soit contenu, mais quelque chose qui contient (Voy. Aristote, ibid., chap. 2); il ne peut donc pas être mis en relation avec Dieu.. ", "Mais ce qu’il y a lieu de rechercher et d’examiner, c’est (de savoir) s’il y a entre Dieu et une des substances créées par lui un certain rapport véritable, en sorte qu’il puisse lui servir d’attribut. Qu’il ne peut y avoir de relation (proprement dite)(1)Le mot נסב̈ה désigne un rapport ou une relation quelconque, notamment un rapport proportionnel, tandis que le mot אצׄאפה̈ s’emploie particulièrement pour désigner la Catégorie de la relation (τὰ προό τι), ou la relation entre deux choses dites telles par rapport l’une à l’autre, comme, p. ex., plus grand et plus petit, père et fils, maître et esclave (Voy. Arist., Catégories, chap. 7). C’est cette relation que l’auteur dit ici être absolument inapplicable à Dieu. entre lui et une des choses créées par lui, cela est évident au premier coup d’œil: car l’une des propriétés des deux relatifs est la réciprocité parfaite(2)Littéralement: l’inversion avec égalité mutuelle. Les relatifs, ou les mots qui entrent dans la catégorie de la relation, ont celte propriété qu’ils sont dits de choses réciproques (πάντα δὲ τὰ πρός τι πρὸς ἀ ν τ ι σ τ ρ έ φ ο ν τ α λέγεται, Arist., l. c.). Ainsi, l’esclave est l’esclave du maître, comme le maître est le maître de l’esclave; l’un et l’autre, ils ne sont ce qu’ils sont que par leur condition réciproque, et ils ne sauraient être l’un sans l’autre. — Le mot אנעכאס ( , inversion), dont se sert ici notre auteur, vient du verbe , qui, dans les versions arabes, correspond au verbe grec ἀντιστρέφειν. Ibn-Roschd, dans l’Abrégé de l’Organon, en parlant des deux relatifs, s’exprime de même: «Ce qui est aussi une de leurs propriétés …, c’est qu’ils se rapportent l’un à l’autre réciproquement; or Dieu est d’une existence nécessaire, et ce qui est en dehors de lui est d’une existence possible, comme nous l’exposerons(3)Voy. la IIe partie de cet ouvrage, introduction (Propos. XIX et suiv.) et chap. I., et, par conséquent, il ne peut y avoir de relation (entre Dieu et la créature). Mais qu’il y ait entre eux un rapport quelconque, c’est une chose qui a été jugée admissible, bien qu’il n’en soit pas ainsi. En effet, on ne saurait se figurer un rapport entre l’intelligence et la couleur, bien que, selon notre opinion, une même existence les embrasse toutes deux(1)C’est-à-dire, bien que l’existence de l’intelligence et celle de la couleur soient de la même nature. L’auteur fait ici allusion à ce qu’il exposera plus loin, savoir, qu’à l’exception de l’existence de Dieu, toute existence est un accident de la chose qui existe. Cette thèse, soutenue par Ibn-Sînâ et contestée par d’autres, est adoptée sans réserve par notre auteur; c’est pourquoi il ajoute ici les mots: selon notre opinion. Voy. ci-après, au commencement du chap. LVII.; et comment donc pourrait-on se figurer un rapport entre deux êtres dont l’un n’a absolument rien de commun avec ce qui est en dehors de lui(2)Plus littéralement: entre celui qui n’a absolument rien de commun avec ce qui est en dehors de lui. On voit que l’auteur s’est exprimé d’une manière incomplète, et qu’il faut sous-entendre les mots: et un autre être. Le sens est: Comment pourrait-on se figurer un rapport entre deux êtres qui n’ont absolument rien de commun, pas même le genre d’existence? car dans l’un, l’existence est sa substance, et dans l’autre, elle est un accident. ? — car, selon nous, ce n’est que par simple homonymie que (le mot) exister se dit en même temps de Dieu et de ce qui est en dehors de lui. Il n’y a donc absolument aucun rapport en réalité entre lui (Dieu) et quoi que ce soit d’entre ses créatures: car le rapport nécessairement n’existe toujours qu’entre deux choses qui sont sous une même espèce prochaine(3)L’espèce prochaine ou immédiate est celle qui suit immédiatement l’individualité, et qui, sous aucun rapport, ne peut être considérée comme genre; c’est la species specialissima (τὸ εἰδιϰώτατον εἶδος). Cf. I’Isagoge de Porphyre, chap. 2: ϰαὶ πᾶν τὸ πρὸ τῶν ατόμων π ρ ο σ ε χ ῶ ς ϰατηγορούμενον εἶδος ἄν εἴη μόνον, οὐϰέτι δὲ ϰαὶ γένος., mais, lorsqu’elles sont (seulement) sous un même genre, il n’y a pas de rapport entre elles(4)Ainsi que le fait remarquer Moïse de Narbonne, l’auteur se rapporte ici à ce qui a été exposé par Aristote à la fin du VIIe livre de la Physique (chap. 4). Aristote y parle des différentes espèces du mouvement et des rapports qu’elles peuvent avoir entre elles; il s’agit de savoir quels sont les mouvements entre lesquels on puisse établir une comparaison et qui ne diffèrent entre eux que par la quantité seule. Pour que deux mouvements puissent être comparés entre eux, il faut qu’ils soient susceptibles d’être également rapides, c’est-à-dire, ils ne doivent différer que par la quantité, et il ne doit exister entre eux aucune différence de qualité. En général, pour que deux choses puissent être comparées entre elles, il ne suffit pas qu’elles ne soient pas de simples homonymes, mais il faut que les deux choses ne se distinguent par aucune différence essentielle, ni en elles-mêmes, ni dans leur substratum, c’est-à-dire, qu’elles soient non seulement comprises dans le même genre, mais aussi caractérisées par la même différence, en un mot qu’elles soient de la même espèce: A’λλ’ ἀρὰ οὐ μόνον δεῖ τὰ σνμβλητὰ μὴ ὁμώνυμα είναι ἀλλὰ ϰαὶ μὴ ἔχειν δ ι α φ ο ρ ά ν, μήτε ὅ μήτ’ἐν ᾧ. Ainsi, p. ex., dit Aristote, la couleur a une division (en différentes couleurs). Les couleurs comme telles ne sont donc pas comparables entre elles; on ne peut pas dire que tel noir soit plus fort que tel blanc. La comparaison ne peut s’établir que pour une même couleur, p. ex., entre deux objets blancs ou noirs. Cf. ci-dessus, pag. 131, note 2.; c’est pourquoi on ne dit pas: «Ce rouge est plus fort ou plus faible que ce vert, ou lui est égal», quoiqu’ils soient tous deux(1)Les mss. portent כאנת; mais il faut peut-être lire כאנא ou mieux כאנתא. sous un même genre, qui est la couleur. Que si les deux choses se trouvent sous doux genres(2)La version d’Ibn-Tibbon porte תחת שני סוגים עליונים (sous deux genres supérieurs); il faut effacer le mot עליונים, bien qu’il se trouve aussi dans les mss. de cette version. Il faut également effacer les mots …אין ספק ש, et un peu plus loin, les mots שאין ספק לשום אדם, qui ne se trouvent ni dans les mss. de la version d’Ibn-Tibbon, ni dans le texte arabe., alors il est clair, même pour le simple sens commun, qu’il n’y a pas de rapport entre elles, quand même elles remonteraient à un seul genre (supérieur). Ainsi, p. ex., il n’y a pas de rapport entre cent coudées et la chaleur du poivre; car l’une des deux choses est du genre(3)Le mot genre est ici employé dans le sens de catégorie. Voy. ci-dessus, pag. 193, note 2. de la qualité, tandis que l’autre est de celui de la quantité. Mais il n’y a pas non plus de rapport(1)Après avoir donné un exemple de deux choses appartenant à deux genres supérieurs ou à deux catégories différentes, l’auteur donne ici un exemple de deux genres intermédiaires appartenant à une même catégorie. entre la science et la douceur, ni entre la mansuétude et l’amertume, quoique tout cela soit sous le genre supérieur de la qualité. Comment alors pourrait-il y avoir un rapport entre Dieu et une chose d’entre ses créatures, avec la grande distance dans la réalité de l’être, distance (tellement grande) qu’il n’y en a pas de plus tranchée? S’il y avait un rapport entre eux(2)Le suffixe féminin dans בינהא se rapporte à Dieu et aux créatures (מכׄלוקאתה)., il s’ensuivrait aussi que l’accident de rapport compète à Dieu; car, s’il est vrai que ce ne serait pas là un accident dans l’essence même de Dieu, c’est toujours, en somme, une sorte d’accident. Il n’y a donc, en réalité, aucun moyen(3)Le mot , que je prononce , comme infinitif de la Ve forme, signifie délivrance, moyen de salut; le sens est: il n’y a pas moyen de s’en tirer en voulant donner à Dieu un attribut quelconque, et, de quelque manière qu’on s’y prenne, on rencontre des difficultés. C’est là ce qu’Al-’Harizi a exprimé par les mots ואי אפשר להמלט מחטוא. Ibn-Tibbon, qui traduit: הנה לא תנצל, a prononcé , comme 2e personne du fut. passif de la IIe forme. de donner à Dieu un attribut affirmatif, fût-ce même (en le qualifiant) par un rapport(4)Littéralement: même du côté du rapport, c’est-à-dire, dût cet attribut être pris dans le rapport qui existe entre Dieu et ses créatures.. Mais ces attributs (de rapport) sont ceux qu’on doit se montrer plus facile à admettre à l’égard de Dieu(5)Plus littéralement: mais ils (les attributs de rapport) sont parmi les attributs ceux qui méritent le plus qu’on soit indulgent pour leur emploi comme qualifications de Dieu.; car ils n’impliquent point de multiplicité dans l’Être éternel(6)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement שלא יתחייב רבוי הקדמות; il faut lire, avec les mss.: הקדמון שלא יחייב רבוי., et ils n’impliquent pas non plus de changement dans l’essence de Dieu par suite du changement des choses avec lesquelles il est mis en rapport.", "V. La CINQUIÈME CLASSE des attributs affirmatifs est celle où la chose a pour attribut son action. Par son action, je ne veux pas dire la capacité artistique qui s’y trouve [comme, p. ex., lorsqu’on dit le charpentier(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ajoutent הצייר (le peintre), mot qui ne se trouve pas dans les mss. de cette version. ou le forgeron], car celle-ci appartient à l’espèce de la qualité, comme nous l’avons dit(2)Voy. plus haut (pag. 194) le premier exemple de la IIIe classe des attributs.; mais je veux dire par là l’action (en général) que quelqu’un a accomplie, comme, p. ex., lorsqu’on dit: Zéid est celui qui a charpenté cette porte, bâti cette muraille et tissé cette étoffe. Les attributs de cette sorte sont loin de l’essence du sujet(3)Littéralement: de l’essence de celui à qui ils se rapportent ou à qui ils sont attribués. L’un des mss. de Leyde porte אלמוצוף, mot qui désigne le sujet de l’attribut; c’est cette dernière leçon qui a été adoptée par Al-’Harizi, qui traduit: המתואר. Le sens est que les actions, tout en émanant de la seule essence divine, comme on va le dire, ne sont cependant pas quelque chose de permanent dans l’essence, comme le serait la capacité artistique, et la pensée les sépare de l’essence en les limitant à un moment passé, présent ou futur. Cf. le Commentaire d’Ibn-Caspi: וזה לפי שלא נתארהו בתאר מיושב נח בו כמו שמות הבינוני והפעול ויתר שמות התארים אבל זה פעל אם עבר ואם עתיד וכו׳.; c’est pourquoi il est permis de les attribuer à Dieu, pourvu qu’on sache bien que ces actions diverses n’émanent pas nécessairement de conditions diverses existant dans l’essence de leur auteur(4)Littéralement: qu’il ne faut pas que ces actions diverses soient faites par des choses (ou des idées) diverses dans l’essence de l’agent., comme on l’exposera(5)Voir le chapitre suivant, où l’auteur s’étend sur les attributs d’action. On verra que l’auteur partage à cet égard l’opinion d’autres philosophes arabes.. Au contraire, les actions diverses de Dieu se font toutes par son essence même, et non par quelque chose qui y serait joint(1)Un ms. porte זאיד עלי דׄאתה; de même Ibn-Tibbon מוסף על עצמו., ainsi que nous l’avons déclaré.", "En résumé donc, on a exposé dans ce chapitre(2)Littéralement: donc, l’exposé succinct de ce qui est (contenu) dans ce chapitre est etc. que Dieu est un de tous les côtés, qu’il n’y a en lui point de multiplicité ni rien qui soit joint à l’essence, et que les nombreux attributs de sens divers employés dans les livres (sacrés) pour désigner Dieu indiquent la multiplicité de ses actions, et non pas une multiplicité dans son essence(3)Littéralement: … qui se trouvent dans les livres (sacrés) et par lesquels on indique Dieu, sont (employés) sous le rapport de la multiplicité de ses actions, et non à cause d’une multiplicité dans son essence.. Quelques uns (sont employés) pour indiquer sa perfection par rapport à ce que nous croyons être une perfection, ainsi que nous l’avons exposé(4)Voir ci-dessus, chap. XXVI, XLVI (pag. 160) et XLVII. Quant à savoir s’il est possible que l’essence une et simple, dans laquelle il n’y a point de multiplicité, accomplisse des actions variées, c’est ce qui va être exposé par des exemples." ], [ "On a été amené à croire que Dieu a des attributs à peu près de la même manière qu’on a été amené à croire à la corporéité (de Dieu)(5)Littéralement: ce qui a engagé à croire à l’existence d’attributs du créateur, chez ceux qui y croient, est à peu près ce qui a engagé à croire à la corporéité, chez ceux qui y croient.. En effet, celui qui croit à la corporéité n’y a point été amené par une spéculation intellectuelle, mais en suivant le sens littéral des textes des Écritures; et il en est de même à l’égard des attributs: trouvant que les livres des prophètes et ceux du Pentateuque(1)Littéralement: et les livres de la révélation; le mot אלתנזיל est ici particulièrement appliqué aux livres de Moïse et employé dans le sens de תורה. Cf. ci-dessus, chap. XLVI, pag. 158: «Dans tous les livres des prophètes et aussi dans le Pentateuque», où le texte porte (fol. 50 a): פי גׄמיע כתב אלאנביא ופי אלתורה. D’autres fois, le mot אלתנזיל s’applique à toute l’Écriture sainte en général; voy., p. ex., à la fin du chap. LI: כתב אלתנזיל. prêtaient à Dieu des attributs, on a pris la chose à la lettre, et on a cru qu’il avait des attributs. On l’a, pour ainsi dire, élevé au dessus de la corporéité, sans l’élever au dessus des circonstances de la corporéité, qui sont les accidents, je veux dire, les dispositions de l’âme, qui toutes sont des qualités(2)Voy. ce que l’auteur dit, au chap. précédent, sur la IIIe classe des attributs.. Dans tout attribut qui, dans l’opinion de celui qui croit aux attributs, est essentiel dans Dieu, tu trouveras l’idée de la qualité, quoiqu’ils (les prophètes) ne s’expriment pas clairement à cet égard, assimilant (tout simplement les attributs de Dieu) à ce qui leur est familier des conditions de tout corps doué d’une âme vitale(3)Dans les verbes יצרחוא et עהדוה, il faut sous-entendre, comme sujet, les prophètes, et non pas ceux qui croient aux attributs, comme l’ont cru quelques commentateurs; car, dans ce dernier cas, les verbes devraient être au singulier, comme le mot מעתקד. Au lieu des mots יבארהו בו, qu’on trouve dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire יבארוהו, comme l’ont les mss. de cette version. Le sens de ce passage est celui-ci: les attributs que les prophètes donnent à Dieu, et dans lesquels on a prétendu voir des attributs essentiels, c’est-à-dire, faisant partie de l’essence divine (Voy. ci-dessus, pag. 180, note 1), ne sont au fond autre chose que des qualités, et les prophètes, sans se prononcer clairement à cet égard, et en assimilant Dieu métaphoriquement aux êtres animés, lui ont donné des attributs semblables aux conditions de ces êtres, et qui sont familiers à tout le monde.; et de tout cela il a été dit: «L’Écriture s’est exprimée selon le langage des hommes.» Le but de tous (les attributs de Dieu) n’est autre que de lui attribuer la perfection (en général), et non pas cette chose même qui est une perfection pour ce qui d’entre les créatures est doué d’une âme. La plupart sont des attributs (venant) de ses actions diverses; ", "car la diversité des actions ne suppose pas l’existence d’idées diverses dans l’agent(1)Littéralement: par la diversité des actions ne sont pas diverses les idées qui existent dans l’agent. Ici l’auteur aborde la discussion sur les attributs d’action à laquelle il a préludé à la fin du dernier chapitre, et il fait comprendre, par des exemples, la distinction qu’on doit établir entre cette sorte d’attributs, applicables à Dieu, et ceux qu’on a appelés attributs essentiels. La question des attributs, comme nous l’avons dit plus haut (pag. 180), avait déjà occupé les théologiens et les philosophes musulmans, et nous trouvons également chez eux la distinction entre les attributs essentiels et les attributs d’action. Voy. Pococke, Specimen hist. Ar., pag. 223; Schahrestâni, Histoire des sectes religieuses et philosophiques, texte arabe (publié par M. Cureton), pag. 64; traduction allemande de M. Haarbrücker, tome I, pag. 95. Cf. Ba’hya, Devoirs des cœurs, liv. I (de l’unité de Dieu), chap. 10.. Je vais te donner à cet égard un exemple pris dans les choses qui existent près de nous, (pour te montrer) que, l’agent étant un, il en résulte pourtant des actions diverses, lors même qu’il n’aurait pas de volonté, et, à plus forte raison, quand il agit avec volonté. Ainsi, p. ex., le feu liquéfie certaines choses, coagule certaines autres, cuit, brûle, blanchit et noircit; et, si quelqu’un donnait au feu les attributs de blanchissant, de noircissant, de brûlant, de cuisant, de coagulant et de liquéfiant, il serait dans le vrai. Or, celui qui ne connaît pas la nature du feu croit qu’il y a en lui six vertus différentes: une vertu par laquelle il noircit, une autre par laquelle il blanchit, une troisième par laquelle il cuit, une quatrième par laquelle il brûle, une cinquième par laquelle il liquéfie, et une sixième par laquelle il coagule, bien que ce soient là toutes des actions opposées les unes aux autres, et que l’idée des unes exclue celle des autres(1)Littéralement: et que l’idée d’aucune action d’entre elles ne soit l’idée de l’autre.; mais celui qui connaît la nature du feu sait bien que c’est par une seule qualité agissante qu’il produit toutes ces actions, savoir, par la chaleur. Or, si cela a lieu dans ce qui agit par la nature, (il doit en être de même) à plus forte raison, à l’égard de ce qui agit avec volonté, et, à plus forte raison encore, à l’égard de Dieu, qui est élevé au dessus de toute description; et, lorsque nous percevons dans lui des rapports de sens divers(2)C’est-à-dire, lorsque notre perception nous fait voir dans Dieu des choses auxquelles nous rattachons des idées diverses, parce que, dans nous, elles sont parfaitement distinctes les unes des autres., parce que, dans nous, l’idée de la science est une autre que celle de la puissance, et celle de la puissance une autre que celle de la volonté(3)Ainsi qu’on le verra plus loin, la science, la puissance et la volonté sont, outre la vie, les principaux attributs que les anciens théologiens musulmans, et, d’après eux, certains théologiens juifs (notamment les Karaïtes), reconnaissaient à Dieu comme attributs essentiels et éternels. Voy. Schahrestâni, traduct. all., tome I, pag. 42, 95 et passim; Pococke, Specimen hist. Ar., pag. 223; Schmœlders, Essai sur les écoles philosophiques chez les Arabes, pag. 187 et 196. Ce sont ces mêmes attributs que cite Al-Gazâli, dans sa Destruction des philosophes (au commencement de la sixième Question), en parlant de l’opinion des philosophes et des mo’tazales; nous citons la version hébraïque: הסכימו הפלוסופים על שקרות קיום המדע והיכולת והרצון בהתחלה הראשונה כמו שהסכימו עליו המעתזלה וכו׳ «Les philosophes sont d’accord qu’il est faux d’affirmer la science, la puissance et la volonté dans le principe premier (ou dans Dieu), et les mo’tazales aussi sont tombés d’accord là-dessus, etc.» Cf. Saadia, Livre des Croyances et des opinions, II, 1 à 4; Ahron ben-Elie, Arbre de la vie, chap. LXVII., comment pourrions-nous conclure de là qu’il y ait en lui des choses diverses qui lui soient essentielles, de sorte qu’il y ait en lui quelque chose par quoi il sache, quelque chose par quoi il veuille, et quelque chose par quoi il puisse? Tel est pourtant le sens des attributs qu’on proclame. Quelques uns le prononcent clairement, en énumérant les choses ajoutées à l’essence; d’autres, sans le prononcer clairement, professent évidemment la même opinion, quoiqu’ils ne s’expriment pas à cet égard par des paroles intelligibles, en disant, p. ex., (que Dieu est) puissant par son essence, sachant par son essence, vivant par son essence, voulant par son essence(1)L’auteur fait allusion, d’une part, aux cifâtiyya ou partisans des attributs, qui, sans aucun détour, reconnaissent à Dieu des attributs éternels, et, d’autre part, à une partie des mo’tazales, qui croyaient satisfaire au principe de l’unité absolue en disant que Dieu est puissant, non par la puissance, mais par son essence, qu’il est vivant, non par la vie, mais par son essence, et ainsi de suite. Voy. Pococke, l. c., pag. 214, et le texte d’Abou’l-Faradj, pag. 19; Schahrestâni, l. c., pag. 42; Schmölders, l. c., pag. 196, 197. La discussion sur les attributs se reproduisit chez les théologiens juifs; il y en eut (notamment dans la secte des Karaïtes) qui, suivant l’exemple de certains mo’tazales, admettaient des attributs essentiels (ספורים עצמיים, voy. Ahron ben-Elie, Arbre de la vie, à la fin du chap. LXVII). Parmi les docteurs rabbanites, Maïmonide nomme lui-même l’espagnol R. Joseph ibn-Çaddîk comme ayant suivi l’opinion des בעלי התארים ou partisans des attributs; voy. le recueil des Lettres de Maïmonide (lettre à R. Samuel ibn-Tibbon), édit. d’Amsterdam, fol. 14 b. — Quant à l’expression , par son essence, les théologiens musulmans eux mêmes n’étaient pas tout à fait d’accord sur son sens précis (Voy. Pococke, ibid., pag. 215 et suiv.); c’est pourquoi Maïmonide dit qu’ils ne s’expriment pas par des paroles intelligibles. Selon Ibn-Falaquera (Moré-ha-Moré, pag. 151), les motécallemîn entendaient par cette expression que la puissance, la science, etc., attribuées à Dieu, sont quelque chose qui appartient à son essence seule, et qu’il n’a en cela rien de commun avec aucun être..", "Je te citerai encore pour exemple la faculté rationnelle qui existe dans l’homme; car, par cette faculté qui est une, sans multiplicité, l’homme embrasse les sciences et les arts, et par elle à la fois il coud, charpente, tisse, bâtit, sait la géométrie et gouverne l’état(1)Il est bon de rappeler ici ce que l’auteur dit ailleurs de la partie rationnelle de l’âme conformément aux théories péripatéticiennes. Dans le premier des Huit chapitres servant d’introduction au traité Abôth, après avoir parlé de la nutrition, de la sensibilité, de l’imagination et de l’appétition, voici comment il s’exprime sur la cinquième partie de l’âme ou la faculté rationnelle (Voy. la Porta Mosis de Pococke, p. 188 et 189): «La partie rationnelle est cette faculté existant dans l’homme par laquelle il est intelligent, par laquelle se fait la réflexion, par laquelle il acquiert la science, et par laquelle il distingue entre ce qui est laid et ce qui est beau, en fait d’actions. Les actions (de la faculté rationnelle) sont les unes pratiques, les autres spéculatives. Le pratique est du domaine de l’art ou de la réflexion; le spéculatif est ce par quoi l’homme connaît les êtres invariables tels qu’ils sont, et c’est là ce qu’on appelle science dans un sens absolu. La faculté artistique est celle par laquelle l’homme acquiert les arts, comme, p. ex., la charpenterie, l’agriculture, la médecine et la navigation. La réflexion est ce par quoi on examine dans une chose qu’on veut faire, et au moment où on veut la faire, s’il est possible, ou non, de la faire, et, supposé que cela soit possible, comment il faut la faire.» On voit que ce que l’auteur appelle la partie rationnelle ou raisonnable de l’âme, c’est l’ensemble de toutes ces facultés de l’âme qui n’appartiennent qu’à l’homme seul; toutes les autres facultés, formant la partie irraisonnable de l’âme, appartiennent également aux animaux. Cette division des facultés de l’âme en deux parties, l’une raisonnable (τὸ λογιστιϰὸν ou τὸ λόγον ἔχον), l’autre irraisonnable (τὸ ἄλογον), appartient plutôt à Platon qu’à Aristote; ce dernier semble même la désapprouver ouvertement, en critiquant ceux qui disent que l’âme a des parties (Voy. Traité de l’Ame, l. III, chap. 9, et le Commentaire de Trendelenburg, au même chap., §§ 2 et 3, pag. 528). Néanmoins Aristote fait usage, lui-même, de cette division, dans sa classification des vertus. Voir Eth. à Nicom., l. I, chap. 13; l. VI, chap. 2: Πρότερον μέν οὖν ἐλέχθη δύ’ εἶναι μέρη τῆς ψυχῆς, τό τε λόγον ἔχον ϰαὶ τὸ ἄλογον · νῦν δὲ περὶ τοῦ λόγον ἔχοντος τὸν αὐτόν τρόπον διαιρετέον. ϰαὶ ὑποχείσθω δύο τὰ λόγον ἔχοντα, ἕν μὲν ᾧ θεωροῦμεν τὰ τοιαῦτα τῶν ὄντων ὅσων αἱ ἀρχαὶ μὴ ἐνδέχονται ἄλλως ἔχειν, ἕν δὲ ᾧ τὰ ἐνδεχόμενα · ϰ. τ. λ. C’est cette classification qui a servi de base à ce que Maïmonide dit de la partie rationnelle de l’âme dans le passage que nous venons de citer.. Voilà donc des actions diverses résultant d’une seule faculté simple, dans laquelle il n’y a pas de multiplicité; et ce sont des actions très variées, car il y a un nombre infini de ces arts que produit la faculté rationnelle(1)Littéralement: et leur nombre n’a presque pas de fin, je veux dire le nombre des arts que produit la faculté rationnelle. Au lieu de מספר הפעולות qu’on lit dans toutes les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire מספר המלאכות, comme l’ont les mss. et la version d’Al-’Harizi.. Il n’est donc pas inadmissible, à l’égard de Dieu, que ces actions diverses (qu’on lui attribue) émanent d’une seule essence simple(2)L’auteur n’est pas d’accord avec ce qu’il dit ailleurs être l’opinion d’Aristote et de tous les philosophes péripatéticiens, savoir, que la cause première, qui est l’unité absolue, ne peut avoir pour effet que l’unité, et que de l’un absolu ne saurait émaner le multiple. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans la IIe partie de cet ouvrage, chap. XXII, où cette question est particulièrement traitée., dans laquelle il n’y ait ni multiplicité, ni absolument rien d’accessoire, de sorte que tout attribut qu’on trouve dans les livres divins désigne son action, et non son essence(3)Littéralement: soit un attribut (venant) de son action, et non un attribut de son essence., ou indique une perfection absolue, (et il ne s’ensuit) nullement qu’il y ait là une essence composée de choses diverses — [car il ne suffit pas de ne pas parler expressément de composition, pour que l’essence douée d’attributs n’en implique pas l’idée(4)Littéralement: car parcequ’ils (les partisans des attributs) ne lâchent pas le mot COMPOSITION, l’idée n’en est pas pour cela écartée de l’essence douée d’attributs; c’est à dire: dès qu’on admet une essence ayant des attributs essentiels, on admet implicitement la composition, tandis qu’en n’admettant que des attributs d’action, il ne s’ensuit pas que l’essence dont émanent les actions soit quelque chose de composé. — Les mots יבטל מענאה sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par יבטל ענינה, le suffixe fém. dans ענינה se rapportant à מלת ההרכבה; c’est par une faute d’impression que les éditions portent, les unes ענינם, les autres ענינים.].", "Mais il reste ici quelque chose d’obscure qui a donné lieu à l’erreur(5)Littéralement: mais il y a ici un lieu de doute qui les a amenés à cela, c’est-à-dire, qui a amené certains théologiens à admettre des attributs essentiels., et que je vais t’exposer: c’est que ceux qui admettent les attributs ne les admettent pas (seulement) à cause de la multiplicité des actions; certes, disent-ils, une seule essence peut produire des actions diverses, mais les attributs essentiels de Dieu ne sont pas de (ceux qui viennent de) ses actions, car on ne saurait s’imaginer, (par exemple), que Dieu se soit créé lui-même(1)L’auteur s’est exprimé ici d’une manière tronquée et obscure, et ses paroles ont été diversement interprétées. Il veut dire probablement que, selon les partisans des attributs, il faut distinguer entre les attributs transitifs, qui indiquent une action produite sur un objet, et ceux qu’on peut appeler neutres; ces derniers seuls sont ce qu’ils appellent des attributs essentiels, qui ne viennent pas de ses actions, tandis que les attributs transitifs, au contraire, comme, p. ex., celui de créateur, ne sauraient être essentiels, se rapportant nécessairement à quelque chose en dehors de Dieu, car il serait absurde de dire que Dieu est le créateur de lui-même.Voici comment Moïse de Narbonne explique ces derniers mots: ירצה אבל היותו בורא הוא בורא לזולתו לא לעצמו ולכן לא יהיה תאר עצמי לו יתעלה לפי שהוא מכלל פעולותיו. «Il veut dire: mais être créateur signifie qu’il crée ce qui est en dehors de lui, et non pas lui-même; c’est pourquoi ce n’est pas là un attribut essentiel de Dieu, car il fait partie de ses actions.» Joseph Caspi dit que l’auteur parle ici des raisonnements de peu de valeur imaginés par les plus subtils d’entre les motécallemîn pour défendre leur opinion concernant les attributs: ils ont, dit-il, divisé les attributs en transitifs et neutres (והוא שיעשו חלוקה בין תארים יוצאים ובין מה שהם בודדים), ce que l’auteur indique en citant pour exemple l’attribut dérivé du verbe créer, auquel (ajoute Caspi) on pourrait substituer tout autre verbe transitif, comme bâtir, écrire, etc.. ", "Ils varient ensuite sur ces attributs qu’ils appellent essentiels, je veux dire, sur leur nombre, en suivant chacun quelque texte d’Écriture(2)Les nombreux attributs qu’admettaient les cifâtiyya, d’après les textes du Korân, furent ensuite réduits à sept, qui sont: la vie, la science, la volonté, la puissance, la parole, l’ouïe et la vue. Voy. Schahrestâni, trad. allem., t. I, pag. 95; Schmœlders, l. c., pag. 187; cf. Pococke, Sp. hist. Ar., pag. 216. Ibn-Roschd fait observer que ces sept attributs conviennent aussi bien à l’âme, et que l’essence de Dieu déterminée par ces attributs serait du même genre que l’âme, avec cette différence qu’elle ne se trouve pas dans un corps. Voy. les observations ajoutées par Moïse de Narbonne, à la fin de son Commentaire, sur ce chapitre.— Le mot כתאב, Écriture, ne signifie pas ici la Bible, mais, en général, un livre considéré comme divin, et notamment le Korân; car il s’agit ici surtout des doctrines professées par les théologiens musulmans, et que certains docteurs juifs leur avaient empruntées.. Mais je veux rapporter (seulement) ceux que tous admettent de commun accord, prétendant qu’ils sont donnés par la raison, sans avoir besoin de se rattacher à la parole d’un prophète; ce sont quatre attributs, savoir: vivant, puissant, sachant, voulant. Ce sont là, disent-ils, des idées différentes les unes des autres, et des perfections dont pas une seule ne saurait manquer à Dieu, et qui ne sauraient être comptées au nombre de ses actions(1)Ce sont, comme nous avons dit plus haut, des attributs neutres, n’indiquant point une action produite sur un objet.. Voilà le résumé de leur opinion.", "Mais, tu le sais bien(2)L’auteur veut montrer maintenant que c’est à tort qu’on a cru pouvoir séparer ces quatre attributs des autres attributs indiquant des actions et en faire des attributs essentiels. Voici en substance son raisonnement, qu’il n’a pas présenté avec toute la clarté désirable: D’abord, si par savoir on entend se percevoir soi-même, la vie et la science sont absolument identiques dans Dieu, indiquant l’une et l’autre une perception de soi-même, et il n’y a pas lieu d’en faire deux attributs distincts. Que si l’on admet le sens que les partisans des attributs attachent ici au mot science, par lequel ils entendent la science que Dieu a des choses créées, il n’y a aucune raison pour faire de la science un attribut essentiel, et il en est de même de la puissance et de la volonté; car tous ces attributs indiquent nécessairement, selon eux, des rapports existant entre Dieu et les choses créées, et se trouvent dans les mêmes conditions que les attributs d’action, comme, p. ex., celui de créateur. Ainsi, les attributs essentiels, réduits à leur véritable valeur, ne sont qu’une vaine hypothèse., que, dans Dieu, savoir signifie la même chose que vivre; car tout (être) qui se perçoit lui-même est doué de vie et de science, (prises ici) dans un seul et même sens — [bien entendu, si par science nous entendons la perception de soi-même](1)La vie, dit Aristote, consiste principalement dans la sensibilité et dans l’intelligence (ἔοιϰε δὴ τὸ ζἠν εἶναι ϰυρίως τὸ αἰσθάνεσθαι ἤ νοεῖν, Eth. à Nic., l. IX, chap. 9). Pour dire d’un être qu’il vit, il suffit qu’il y ait en lui l’intelligence, ou la sensibilité, ou le mouvement (Voy. Traité de l’Ame, l. II, chap. 2). Dans Dieu il ne peut être question que d’une perception intelligible, de la perception de lui-même; sa vie c’est l’intelligence, et pour lui la science et la vie sont absolument identiques. Voy. Métaph., XII, 7: ϰαὶ ζωὴ δέ γε ὑπάρχει · ἡ γὰρ νοῦ ἐνέργεια ζωή, ϰ. τ. λ.. L’essence qui perçoit est indubitablement celle-là même qui est perçue(2)C’est ce que l’auteur expliquera plus amplement au chap. LXVIII. — Le premier אלמדרכה̈ est le participe actif ; le second, le participe passif .; car, selon notre opinion, il (Dieu) n’est point composé de deux choses, c’est-à-dire d’une chose qui perçoit et d’une autre qui ne perçoit pas, comme l’homme, lequel est composé d’une âme qui perçoit et d’un corps qui ne perçoit pas(3)Le corps inanimé n’a aucune perception, et toutes les perceptions tant sensibles qu’intelligibles appartiennent aux différentes facultés de l’âme.. Si donc par science on entend la perception de soi-même, la vie et la science (dans Dieu) sont une seule et même chose. Mais ceux-là (qui professent les attributs) n’ont pas en vue ce sens (de la science divine); au contraire, ils ont en vue la perception (de Dieu) ayant pour objet ses créatures. ", "De même, la puissance et la volonté n’existent ni l’une ni l’autre dans le créateur par rapport à son essence; car il n’exerce pas de puissance sur lui-même, et on ne saurait lui attribuer une volonté ayant pour objet lui-même, chose que personne ne saurait se figurer. Ces attributs, au contraire, ils ne les ont admis qu’à l’égard de rapports divers existant entre Dieu et ses créatures, c’est-à-dire qu’il a la puissance de créer ce qu’il crée, la volonté de faire exister ce qui est tel qu’il l’a produit, et la science de ce qu’il a produit. Il est donc clair que ces attributs aussi(4)C’est-à-dire, les attributs appelés essentiels. sont (donnés à Dieu), non à l’égard de son essence, mais à l’égard des choses créées; ", "c’est pourquoi voici ce que nous disons, nous autres qui professons réellement l’unité: de même que nous n’admettons pas qu’il y ait dans son essence quelque chose d’accessoire par quoi il ait créé les cieux, quelque autre chose par quoi il ait créé les éléments, et, en troisième lieu, quelque chose par quoi il ait créé les Intelligences (séparées), de même nous n’admettons pas qu’il y ait en lui quelque chose d’accessoire par quoi il puisse, quelque autre chose par quoi il veuille, et, en troisème lieu, quelque chose par quoi il ait la science des choses créées par lui; mais son essence est une et simple, et il n’y a en elle rien d’accessoire en aucune manière. C’est cette essence(1)Au lieu de והוא, que portent plusieurs éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire, selon l’arabe: העצם ההוא, comme l’ont en effet les mss. et l’édition princeps. qui a créé tout ce qu’elle a créé, et qui sait (les choses), sans que ce soit par rien d’accessoire; et peu importe que ces attributs divers se rapportent aux actions ou à des rapports divers existant entre lui et les choses faites (par lui)(2)C’est-à-dire, on ne saurait établir une différence entre les attributs d’action et les attributs de rapport; ces derniers ne peuvent, pas plus que les premiers, être appelés attributs essentiels., sans parler de ce que nous avons exposé concernant le véritable sens du rapport, car on ne l’a admis que par erreur(3)Littéralement: et avec ce que nous avons exposé aussi de la réalité du rapport et (dit) qu’il est erronément admis. L’auteur veut dire: Outre que les attributs de rapport ne peuvent être considérés comme attributs essentiels, nous avons montré plus haut, en exposant le vrai sens du rapport, que ce n’est que par erreur qu’on a cru pouvoir admettre un rapport quelconque entre Dieu et les choses créées. Voy., au chap. précédent, la IVe classe des attributs.—Par les mots ואנהא מטׄנונה̈, l’auteur fait allusion à ce qu’il a dit à l’endroit indiqué (fol. 60 b de notre texte): אמא אן חכון בינהמא נםבה̈ מא פהו אמר בה אנה ולים כדׄלך Mais qu’il y ait entre eux un rapport quelconque, c’est une chose qui a été jugée admissible, bien qu’il n’en soit pas ainsi (p. 200)..", "Voilà ce qu’il faut croire à l’égard des attributs mentionnés dans les livres des prophètes(1)C’est-à-dire, que ce sont des attributs se rapportant aux actions.; ou bien, on admettra pour quelques uns que ce sont des attributs servant à indiquer une perfection, par assimilation à nos perfections, telles qu’on les entend chez nous, ainsi que nous l’exposerons." ], [ "Sache que le prince des savants, notre maître Moïse [que la paix soit avec lui!], adressa (à Dieu) deux prières, et obtint une réponse à ces deux prières(2)L’auteur aborde ici l’interprétation de quelques passages importants du Pentateuque, où il est parlé, d’une manière allégorique, de la perception de l’essence divine et des attributs de Dieu. Les commentateurs font remarquer que Moïse est appelé ici prince des savants, et non pas, comme ailleurs, prince des prophètes, parce qu’il s’agit ici des plus hautes questions métaphysiques, dont Moïse cherchait la solution, et qui devaient être pour lui l’objet de la spéculation philosophique.: par l’une, il demanda à Dieu de lui faire connaître sa véritable essence; par l’autre [qui est celle qu’il lui adressa d’abord(3)C’est sans doute à dessein que l’auteur a interverti ici l’ordre des deux prières de Moïse, pour mentionner d’abord la plus importante, celle qui avait pour objet l’essence même de Dieu. Quant à Moïse, dit Abravanel, il suivit l’ordre habituel des études, en commençant par le plus facile, pour passer ensuite à ce qui est plus difficile.], de lui faire connaître ses attributs. Dieu lui répondit sur ces deux demandes, en lui promettant de lui faire connaître tous ses attributs, qui sont ses actions, et en lui faisant savoir que son essence ne saurait être perçue dans toute sa réalité; toutefois il éveilla son attention sur un point de vue spéculatif d’où il pourrait percevoir tout ce qu’en dernier lieu il est possible à l’homme de percevoir. Ce qu’il perçut, lui, personne ne l’a perçu ni avant lui ni après lui.", "Quant à sa demande de connaître les attributs de Dieu, elle est contenue dans ces mots: Fais-moi donc connaître tes voies, afin que je te connaisse, etc. (Exode, 33, 13). Considère bien ce que ces paroles renferment de remarquable: les mots Fais-moi donc connaître tes voies, afin que je te connaisse, indiquent que l’on connaît Dieu au moyen de ses attributs, car c’est après avoir reconnu les voies (disait Moïse) qu’il le connaîtrait; les mots pour que je trouve grâce devant tes yeux (Ibid.) indiquent que celui-là seul qui connaît Dieu trouve grâce devant ses yeux, et non pas celui qui se borne à jeûner et à prier. En effet, quiconque le connaît est un objet de faveur, approché (de lui), et quiconque l’ignore est un objet de colère, éloigné (de lui); et c’est en raison de la connaissance ou de l’ignorance qu’a lieu la faveur ou la colère, le rapprochement ou l’éloignement. Mais nous sommes sortis du sujet du chapitre; je vais donc y revenir.", "Ayant donc demandé à connaître les attributs, en implorant en même temps le pardon pour la nation, et ayant ensuite, après avoir obtenu ce pardon, demandé à percevoir l’essence de Dieu, en disant: Fais-moi donc voir ta gloire (Ibid., V. 18), il lui fut accordé ce qu’il avait demandé d’abord par ces mots: Fais-moi donc connaître tes voies, et il lui fut répondu: Je ferai passer tout mon bien devant ta face (Ibid., V. 19); mais sur la seconde demande il reçut cette réponse: Tu ne pourras pas voir ma face, etc. (Ibid., V. 20). Quant aux mots tout mon bien, ils renferment une allusion à la présentation devant lui (Moïse) de tous les êtres, au sujet desquels il a été dit: Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et c’était très bien (Genèse, 1, 31); par leur présentation devant lui, je veux dire que (selon la promesse divine) il devait comprendre leur nature, leur liaison les uns avec les autres, et savoir comment Dieu les gouverne dans leur ensemble et dans leurs détails. C’est aussi à cette idée qu’on a fait allusion par ces mots: Dans toute ma maison il est solide (Nombres, 12, 7)(1)L’auteur, comme on va le voir, ne prend pas ici le mot נאמן dans le sens de fidèle, mais dans celui de vrai et de stable ou solide, et il y voit une allusion aux pensées vraies et solides., c’est־à-dire: il a de tout mon univers une intelligence vraie et solide; car les opinions qui ne sont pas vraies n’ont pas de solidité. Il s’agit donc ici de la perception des actions (de Dieu), qui sont ses attributs(1)Le texte arabe s’exprime ici d’une manière irrégulière, en disant littéralement: ainsi donc la perception de ces actions sont ses atttributs etc. On serait tenté de croire qu’il y a ici quelque faute de copiste, et, en effet, les mss. offrent ici diverses variantes qui montrent que ce passage a été corrompu par les copistes. L’un des mss. de Leyde porte: לאן אלארא אלגיר צחיחה̈ אדׄא לא תתׄבת תלך אלאפעאל ותלך אלאפעאל הי צפאתה תעאלי; dans un autre manuscrit, on lit: לאן אלארא אלגיר צחיחה̈ לא תתׄבת אדראך תלך אלאפעאל אלתי הי צפאתה תעאלי. On voit que la leçon que nous avons adoptée est encore la moins incorrecte; la version d’Ibn-Tibbon est parfaitement d’accord avec notre leçon, et reproduit la même incorrection. Le ms. unique de la version d’Al-’Harizi porte: כי הדעות שאינם אמתיות לא תתקיים השגתם והפעלים ההם הם מדותיו; dans l’édition qui a été faite à Londres de la première partie de cette version (pag. 53), ce passage a été arbitrairement changé; on y lit: כי הדעות שאינם אמתיות לא תתקיים השגתם אם כן השגת הפעלים ההם הם מדותיו. au moyen desquels on le connaît; et la preuve que les actions de Dieu étaient la chose dont la perception lui fut promise, c’est qu’on ne lui fit connaître que de simples attributs d’action, tels que: clément, miséricordieux, indulgent, etc. (Exode, 34, 6 et 7). Il est donc clair que les voies dont il demanda la connaissance, et qu’on lui fit connaître, étaient les actions qui émanent de Dieu. Les docteurs les appellent middôth (מדות), et parlent de treize middôth (de Dieu); ce mot, dans leur usage, s’applique aux qualités morales(2)Le mot מדה, qui signifie mesure, s’emploie, dans le langage rabbinique, dans le sens de propriété, qualité, caractère.), p. ex.: Il y a quatre MIDDÔTH (qualités, ou manières d’agir) chez ceux qui donnent l’aumône; Il y a quatre MIDDÔTH chez ceux qui fréquentent l’école(3)Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Abôth, chap. V, §§ 13 et 14., et encore fréquemment. On ne veut pas dire ici (en parlant des middôth de Dieu) qu’il possède des qualités morales, mais qu’il produit des actions semblables à celles qui, chez nous, émanent de qualités morales, je veux dire de dispositions de l’âme, non pas que Dieu ait de ces dispositions de l’âme. ", "Si l’on s’est borné à mentionner ces treize middôth, quoiqu’il (Moïse) perçut tout son bien, je veux dire, toutes ses actions, ce n’est que parce que ce sont là les actions émanant de Dieu pour faire exister les hommes et pour les gouverner; et c’était là le dernier but de sa demande, car il termine en disant: que je te connaisse, afin que je trouve grâce devant tes yeux, et considère que cette nation est ton peuple (Exode, 33, 13), celui que je dois gouverner par des actions imitant celles par lesquelles tu le gouvernes(1)Littéralement: par des actions par lesquelles je dois imiter tes actions (employées) dans leur gouvernement..", "Il est donc clair que les derakhîm (voies) et les middôth (qualités) sont la même chose: ce sont les actions qui émanent de Dieu (et se manifestent) dans l’univers. ", "A mesure donc qu’on percevait une de ses actions, on lui attribuait la qualité dont cette action émane et on lui prêtait le nom dérivé de cette action. En percevant, p. ex., les tendres soins qu’il met à former l’embryon(2)Tous les mss. portent אגׄנה̈ ( , pl. de ), les embryons, bien que tous les suffixes qui s’y rapportent, dans les mots suivants, soient au singulier. des animaux et à produire, dans lui et dans (l’animal) qui doit l’élever après sa naissance, des forces qui puissent l’empêcher de périr et de se perdre, le préserver du mal et l’aider dans ses fonctions nécessaires, — manière d’agir qui, chez nous, ne proviendrait que d’une passion(3)Il faut se rappeler que nous employons ici, comme ailleurs, le mot passion dans le sens du mot grec πάθος, rendu en arabe par , et qui désigne la passivité en général, ou l’affection par une impression venant du dehors. et d’un sentiment de tendresse qu’on désigne par (le mot) miséricorde, — on a appelé Dieu רחום, miséricordieux, conformément à ce qui a été dit: Comme un père a compassion de ses enfants, etc. (Ps. 103, 13); Et j’aurai pitié d’eux, comme un homme a pitié de son fils (Malachi, III, 17); non pas que Dieu soit passivement affecté et attendri, mais une manière d’agir semblable à celle qui a lieu de la part du père envers son enfant, et qui est le résultat de la tendresse, de la commisération et d’une pure passion, a lieu aussi de la part de Dieu à l’égard de ses favoris, sans que ce soit par une passion ni par (un sentiment qui implique) un changement(1)La passion, ou la passivité, implique un changement dans celui qui est l’objet de l’impression, et, par conséquent, aucune passivité ou qualité affective ne saurait être attribuée à Dieu. Voyez vers la fin du chap. XXXV (pag. 133), et ci-après, au commencement du chap. LV (pag. 225).. De même, puisque chez nous autres, quand nous donnons quelque chose à celui qui n’a pas de droit sur nous, cela s’appelle, dans notre langue, חנינה, grâce, — p. ex., Gratifiez-nous (חנונו) d’elles (Juges, 21, 22)(2)C’est-à-dire, accordez-nous les femmes que nous avons enlevées; אותם se rapporte aux femmes, et le suffixe masculin est irrégulier, comme dans אבותם et אחיהם. Dans plusieurs éditions de la version d’Ibn-Tibbon on a substitué un autre exemple, tiré de Job (19, 21); mais l’édition princeps est conforme à notre texte.; … dont Dieu a gratifié (Genèse, 33, 5); car Dieu m’a gratifié (Ibid., V. 11), et beaucoup d’autres passages, — et que Dieu fait exister et gouverne ceux qu’il n’a point le devoir de faire exister et de gouverner, il a été appelé pour cela חנון, gracieux (clément). De même, nous trouvons, au nombre de ses actions qui se manifestent sur les hommes, de grandes calamités qui fondent sur certains individus pour les anéantir, ou qui enveloppent dans leur destruction(3)Littéralement: ou une chose générale qui fait périr, ou qui détruit. des familles, et même une contrée entière, font périr plusieurs générations à la fois(4)Littéralement: les enfants, et les enfants des enfants. et ne laissent ni culture ni progéniture, comme, p. ex., les inondations, les tremblements de terre, les orages destructeurs, l’expédition faite par un peuple contre un autre pour le détruire par le glaive et pour effacer sa trace, et beaucoup d’autres actions semblables, qui, chez nous, ne sont entreprises, par les uns contre les autres(1)Littéralement: qui n’émanent d’aucun de nous contre un autre., que par suite d’une forte colère, ou d’une grande haine, ou dans le but de se venger; on l’a donc appelé, par rapport à ces actions: jaloux, vengeur, gardant rancune, irascible (Nahum, 1, 2), ce qui veut dire que des actions comme celles qui, chez nous, émanent d’une disposition de l’âme, savoir, de la jalousie, de la vengeance, de la haine, ou de la colère, se manifestent aussi, de la part de Dieu, en raison du démérite de ceux qui sont punis, mais (n’émanent) nullement d’une passion [qu’il soit exalté au dessus de toute imperfection!]. C’est ainsi que toutes les actions (attribuées à Dieu) sont des actions semblables à celles qui, chez les hommes, émanent de passions et de dispositions de l’âme; mais, de la part de Dieu, elles n’émanent nullement de quelque chose d’accessoire à son essence.", "Il faut que celui qui gouverne l’état, s’il est prophète(2)C’est-à-dire, s’il veut, comme Moïse, connaître les voies de Dieu, et conformer ses actions à celles qui émanent de Dieu., prenne pour modèle ces attributs (divins), et que lesdites actions émanent de lui par (une juste) appréciation et selon ce qui est mérité, mais non par le seul entraînement de la passion. Il ne doit pas lâcher la bride à la colère, ni se laisser dominer par les passions; car toute passion est un mal. Il doit, au contraire, s’en préserver, autant qu’un homme le peut, de manière à être tantôt, à l’égard des uns, clément et gracieux, non par simple attendrissement et commisération, mais selon ce qui est dû; tantôt, à l’égard des autres, vengeur, gardant rancune et irascible, en raison de ce qu’ils ont mérité, et non par simple colère, à tel point qu’il doit ordonner de brûler un individu, sans éprouver contre lui ni indignation, ni colère, ni haine, n’ayant égard, au contraire, qu’à ce qu’il lui paraîtra avoir mérité, et considérant ce que l’accomplissement de cet acte a de souverainement utile pour la grande multitude. ", "Ne vois-tu pas que, dans les textes de la loi, après avoir ordonné la destruction des sept peuplades et avoir dit: Tu ne laisseras pas vivre une âme (Deutéron., 20, 16), on fait suivre immédiatement ces paroles: Afin qu’ils ne vous apprennent point à faire selon toutes les abominations qu’ils ont faites à leur Dieu et que vous ne péchiez point contre l’Éternel votre Dieu (Ibid., V. 18)? ce qui veut dire: Ne crois pas que ce soit là de la dureté ou un désir de vengeance; c’est, au contraire, un acte qu’exige la raison humaine, savoir, de faire disparaître tous ceux qui se détournent des voies de la vérité, et d’écarter tous les obstacles qui empêchent d’arriver à la perfection, c’est-à-dire à la perception de Dieu. ", "Malgré tout cela, il faut que les actes de miséricorde, de pardon, de commisération et de bienveillance, émanent de celui qui gouverne l’état, bien plus fréquemment que les actes de punition, les treize middôth étant toutes des qualités de miséricorde, à l’exception d’une seule, savoir: Punissant l’iniquité des pères sur les enfants (Exode, 34, 7); car les mots ונקה לא ינקה (Ibid.) signifient: et il ne déracine (détruit) pas entièrement(1)L’auteur s’écarte ici de l’interprétation d’Onkelos et du Talmud (Yômâ, fol. 86 a) et de celle de tous les commentateurs, qui s’accordent à donner au verbe נַקֵּה le sens de déclarer pur ou innocent, absoudre. Dans le passage d’Isaïe, le mot וְנׅקׇּתׇה signifie littéralement: elle sera rendue vide, ce qui veut dire: elle sera dépouillée de ses habitants, dévastée; c’est donc mal à propos que l’auteur cite ce passage à l’appui du sens de déraciner, détruire, qu’il donne ici au verbe נַקֵּה., (sens dérivé) du mot ונקתה (Isaïe, 3, 26), et elle sera détruite. ", "Il faut savoir que les mots punissant l’iniquité des pères sur les enfants ne se rapportent qu’au péché d’idolâtrie en particulier, et non pas à d’autres péchés; ce qui le prouve, ce sont ces paroles du décalogue: … sur la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent (Exode, 20, 5), car, par celui qui hait (Dieu), on ne désigne que l’idolâtre(2)Littéralement: et on n’appelle שׂונא (haïssant, ennemi) que l’idolâtre. Ibn-Tibbon ajoute le mot seul (לבד), qui ne se trouve pas dans notre texte arabe, lequel n’exprime pas non plus les mots כאשר אמר, qu’on trouve dans les deux versions hébraïques. Nous avons cru devoir ajouter les mots: qui est présenté aussi comme objet de la haine de Dieu; car, dans le passage cité, la haine n’est pas attribuée à l’idolâtre, mais à Dieu, et ce passage ne s’adapte pas bien à ce qui précède., (qui est présenté aussi comme objet de la haine de Dieu): Car tout ce qui est en abomination à Dieu (et tout) ce qu’il hait, etc. (Deutéron., 12, 31). On s’est borné à quatre générations, parce que l’homme ne peut voir de sa postérité que tout au plus la quatrième génération. Ainsi, lorsqu’on tue la population d’une ville livrée à l’idolâtrie(1)Voy. Deutéronome, chap. XIII, vers. 13-19., on tue le vieillard idolâtre et sa race jusqu’à l’arrière petit-fils, qui est l’enfant de quatrième génération. On a donc, en quelque sorte, indiqué(2)C’est-à-dire, dans l’énumération des treize middôth et dans le Décalogue, mis en rapport avec le passage du Deutéronome relatif à la ville idolâtre. qu’au nombre des commandements de Dieu, qui indubitablement font partie de ses actions, est celui de tuer les descendants des idolâtres, quoique jeunes enfants, pêle-mêle(3)La leçon varie un peu dans les mss.: la plupart portent גמאר , quelques uns גמר ( ou ), et l’un des mss. de Leyde, אגמאר ; tous ces mots, les uns des singuliers, les autres des pluriels, signifient troupe mélangée, foule (miscella hominum turba). La version d’Ibn-Tibbon (mss. et édition princeps) porte בתוך, au milieu, ce qui, dans plusieurs éditions, a été arbitrairement changé en בחטא, pour le péché. Le ms. unique de la version d’Al-’Harizi porte בחיי, du vivant; l’éditeur de Londres a, nous ne savons pourquoi, substitué בחטא, en suivant la leçon fautive des éditions de la version d’Ibn-Tibbon. avec leurs pères et leurs grand-pères. Cet ordre, nous le trouvons partout répété dans le Pentateuque, comme, p. ex., il a été ordonné à l’égard de la ville séduite: de la vouer à la destruction, elle et tout ce qui s’y trouve (Deut., XIII, 16); tout cela pour effacer jusqu’à la trace de ce qui produit une si grande perdition, ainsi que nous l’avons exposé.", "Nous nous sommes écarté du sujet du chapitre; mais nous devions expliquer pourquoi, en parlant ici des actions de Dieu, on s’est borné à celles-là(1)C’est-à-dire, à celles désignées par les treize middôth.. C’est qu’elles sont nécessaires pour gouverner les états; car la suprême vertu de l’homme est de se rendre semblable à Dieu autant qu’il le peut, c’est-à-dire que nous devons rendre semblables nos actions aux siennes, comme l’ont exposé (les docteurs), en commentant les mots soyez saints, etc. (Lévit., 19, 2): «De même, disent-ils, qu’il est, lui, gracieux, toi aussi tu dois être gracieux; de même qu’il est, lui, miséricordieux, toi aussi tu dois être miséricordieux(2)L’auteur paraît avoir fait ici une erreur de mémoire en disant que ces paroles des rabbins servent de commentaire à ce passage du Lévitique: Soyez saints; car moi, l’Éternel votre Dieu, je suis saint. Ailleurs l’auteur dit lui-même que les paroles en question s’appliquent à ce passage du Deutéronome (XXVIII, 9): et tu marcheras dans ses voies; voy. Mischné Tôrâ, ou Abrégé du Talmud, traité Dé’ôth, chap. I, § 6. En effet, lesdites paroles se trouvent dans le commentaire sur le Deutéronome connu sous le nom de Siphrî, non pas au passage indiqué par Maïmonide, mais à un autre passage analogue: de marcher dans toutes ses voies, etc. (Deut., X, 12); voy. aussi le Yalkout, à ce dernier passage, et cf. Talmud de Babylone, traité Sôtâ, fol. 14 a, où on explique, d’une manière semblable, les mots: Vous marcherez après l’Éternel, votre Dieu (Deut, XIII, 5). L’auteur, en disant ici que lesdites paroles des docteurs servent d’explication aux mots soyez saints etc., a peut-être confondu dans sa mémoire le passage du Siphrî avec un passage du Midrasch, Wayyikrâ rabbâ (sect. 24), où on lit: כשם שאני פרוש כך תהיו פרושים כשם שאני קדוש כך תהיו קדושים הה״ד קדושים תהיו.. ", "Notre but, en somme, est (de montrer) que les attributs qu’on lui prête sont des attributs (dérivés) de ses actions, et (ne veulent dire) nullement qu’il possède une qualité." ], [ "Nous avons déjà dit, dans plusieurs endroits de ce traité, que tout ce qui implique corporéité, il faut nécessairement l’écarter de Dieu. Et de même il faut écarter de lui toute passion; car toutes les passions impliquent le changement, et l’agent de ces passions est indubitablement autre chose que ce qui est passivement affecté. Or, si Dieu était, d’une manière quelconque, passivement affecté, il y aurait quelque autre chose que lui qui agirait sur lui et qui le changerait. De même, il faut nécessairement écarter de lui toute privation(1)Il va sans dire que le mot privation est pris ici dans le sens aristotélique du mot στέρησις. Cf. ci-dessus, chap. XVII, pag. 69. et (ne pas admettre) qu’une perfection quelconque puisse tantôt lui manquer, tantôt exister (en lui); car si l’on admettait cela, il serait parfait (seulement) en puissance, mais toute puissance est nécessairement accompagnée d’une privation, et tout ce qui passe de la puissance à l’acte a absolument besoin de quelque autre chose existant en acte, qui l’y fasse passer. C’est pourquoi il faut que toutes ses perfections existent en acte et qu’il n’ait absolument rien en puissance. Ce qu’en outre il faut nécessairement écarter de lui, c’est la ressemblance avec quoi que ce soit d’entre les êtres; c’est là une chose que tout le monde sait, et déjà dans les livres des prophètes on a expressément écarté l’assimilation, en disant: Et à qui me ferez-vous ressembler, et (à qui) serai-je égal! (Isaïe, 40, 25.) Et à qui ferez-vous ressembler Dieu, et quelle ressemblance lui attribuerez-vous? (Ibid., V. 18.) Il n’ y en a pas comme toi, ô Éternel! (Jérémie, 10, 6.) — Il y en a de nombreux exemples.", "En somme donc, toute chose qui aboutit à l’une de ces quatre espèces, il faut nécessairement l’écarter de lui au moyen d’une démonstration claire; savoir, tout ce qui aboutit à la corporéité, ou ce qui aboutit à une passion et à un changement, ou ce qui aboutit à une privation, comme, p. ex., (d’admettre) qu’une chose pourrait ne pas exister dans lui en acte(1)L’un des manuscrits de Leyde porte: ,מתׄל אן יכון לה שי באל קוח̈ comme, p. ex., (d’admettre) qu’il a une chose EN PUISSANCE. Al-’Harizi traduit: כדי שלא יהיה לו שום דבר בכח. On voit qu’Al-’Harizi a préféré lire באלקוה̈, mais il a fait un contre-sens en conservant la négation שלא; le mot כדי est sans doute une faute de copiste, pour כמו. et ensuite être en acte, ou enfin ce qui aboutit à l’assimiler à une chose d’entre ses créatures Ces choses sont du nombre de celles où la science physique est utile pour la connaissance de Dieu; car, quiconque ne possède pas ces sciences (physiques) ne sait pas ce qu’il y a de défectueux dans les passions, ne comprend pas ce qu’on entend par être en puissance et être en acte et ignore que la privation est inhérente à tout ce qui est en puissance(2)Cf. ci-dessus, pag. 69., que ce qui est en puissance est plus imparfait que ce qui se meut pour que cette puissanee passe à l’acte, et que ce qui se meut est également imparfait en comparaison de la chose en vue de laquelle il se meut afin d’arriver à l’acte(3)Ceci ressort de tout l’ensemble des doctrines aristotéliques sur le mouvement. Voy., entre autres, Physique, liv. III, ch. 2: Ἥ τε ϰίνησις ἐνέργεια μέν τις εἶναι δοϰεῖ, ἀτελὴς δέ · αἴτιον δ’οτι ἀτελὲς τὸ δυνατόν, οὗ ἐστίν ἡ ἐνέργεια ϰίνησις.. Mais, si quelqu’un sait ces choses sans en savoir aussi les démonstrations, il ne sait pas les particularités qui résultent nécessairement de ces propositions générales; c’est pourquoi il n’a pas de démonstration pour l’existence de Dieu, ni pour la nécessité d’écarter de lui ces (quatre) espèces (de choses).", "Après avoir fait ces observations préliminaires, j’aborde un autre chapitre, où je montrerai la fausseté de ce que croient ceux qui admettent dans lui (Dieu) les attributs essentiels. Mais cela ne peut être compris que par celui qui a d’abord acquis la connaissance de la logique et de la nature de l’être." ], [ "Sache que la similitude est un certain rapport entre deux choses; et toutes les fois qu’entre deux choses on ne peut point admettre de rapport, on ne peut pas non plus se figurer une similitude entre elles. De même, toutes les fois qu’il n’y a pas de similitude entre deux choses, il n’y a pas non plus de rapport entre elles. Ainsi, p. ex., on ne dit pas: «Telle chaleur est semblable à telle couleur», ni: «tel son est semblable à telle douceur»; et c’est là une chose claire en elle-même(1)Cf. ci-dessus, chap. LII, pag. 200 et 201.. Or, comme le rapport entre nous et Dieu, je veux’dire, entre lui et ce qui est en dehors de lui, est (une chose) inadmissible, il s’ensuit que la similitude est également inadmissible. Il faut savoir que, toutes les fois que deux choses sont sous une même espèce, je veux dire, que leur quiddité est une, et qu’elles diffèrent seulement par la grandeur et la petitesse, ou par la force et la faiblesse, ou par d’autres choses de ce genre, elles sont nécessairement semblables entre elles, quoiqu’elles diffèrent par ledit genre de différence. Ainsi, p. ex., le grain de moutarde et la sphère des étoiles fixes sont semblables pour avoir les trois dimensions; et, quoique cette dernière soit extrêmement grande(2)La sphère des étoiles fixes, qui environne les sphères des planètes et qui forme en quelque sorte la limite de l’univers, est (après la sphère supérieure ou environnante) le corps le plus étendu qu’on puisse imaginer. Voy., sur les sphères célestes et leur nombre, la deuxième partie de cet ouvrage, chap. IV; cf. IIIe partie, chap. XIV. et l’autre extrêmement petit, l’idée de l’existence des dimensions est la même dans les deux. De même, la cire qui fond au soleil et l’élément du feu sont semblables pour avoir de la chaleur; et, quoique la chaleur de ce dernier soit extrêmement forte et celle de l’autre extrêmement faible, l’idée de la manifestation de cette qualité est pourtant la même dans les deux.", "Ainsi donc, ceux qui croient qu’il y a des attributs essentiels qui s’appliquent au Créateur, savoir, qu’il a l’existence, la vie, la puissance, la science(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent ויודע וחכם; il faut effacer le mot ויודע, qui ne se trouve pas dans les manuscrits., et la volonté, devraient comprendre que ces choses ne sauraient être attribuées, dans le même sens, à lui et à nous, avec la seule différence que ces attributs (de Dieu) seraient plus grands, ou plus parfaits, ou plus durables, ou plus stables que les nôtres(2)Littéralement: (en sorte) que la différence entre ces attributs et nos attributs consisterait (seulement) dans le plus grand, etc., de manière que son existence serait plus stable que la nôtre, sa vie plus durable que la nôtre, sa puissance plus grande que la nôtre, sa science plus parfaite que la nôtre, et sa volonté plus étendue que la nôtre, et qu’une même définition embrasserait les deux choses(3)C’est-à-dire, que les attributs de Dieu et les nôtres rentreraient sous le même genre, et que la même définition s’appliquerait aux uns et aux autres; car leur quiddité serait la même, et ils ne se distingueraient que par le plus et le moins. Cf. ci-dessus, chap. XXXV, pag. 131., comme le prétendent (en effet) ceux-là. Il n’en est nullement ainsi: car le comparatif s’emploie seulement (lorsqu’on fait une comparaison) entre les choses auxquelles l’adjectif en question s’applique comme nom commun(4)Littéralement: car on ne s’exprime par la forme AF’ALOU qu’entre les choses dont ce qui est en question (l’adjectif) se dit CONVENTIONNELLEMENT, c’est-à-dire, auxquelles l’adjectif dont il s’agit s’applique en quelque sorte comme un nom commun ou appellatif; ainsi, par exemple, vivant est un nom commun pour tout ce qui a la vie; puissant, pour tout ce qui a la puissance. Sur le sens du mot , voy. ci-dessus, page 6, note 2., et, cela étant ainsi, il faut qu’il y ait similitude (entre ces choses); mais, selon l’opinion de ceux qui croient qu’il y a des attributs essentiels, il faudrait admettre que, de même que l’essence de Dieu ne saurait ressembler aux (autres) essences, de même les attributs essentiels qu’ils lui supposent ne ressemblent pas aux attributs (des autres êtres), et que (par conséquent) la même définition ne peut s’appliquer aux uns et aux autres. Cependant ils ne font pas ainsi, croyant, au contraire, qu’une même définition les embrasse les uns et les autres, quoiqu’il n’y ait pas de similitude entre eux(1)Voici, en résumé, le sens de tout ce passage: Les partisans des attributs essentiels, dit l’auteur, devraient comprendre que la différence entre les attributs de Dieu et les nôtres ne saurait consister uniquement dans le plus et le moins; car, dans ce cas, il y aurait entre eux un rapport proportionnel et, par conséquent, une similitude, qu’ils ne sauraient pas plus admetire que la similitude entre l’essence divine et la nôtre. Mais là oû il n’y a pas de similitude, il n’y a pas non plus de définition commune; par conséquent, les partisans des attributs, qui, tout en rejetant la similitude, admettent pourtant que la même définition embrasse les attributs de Dieu et les nôtres, sont en contradiction avec eux-mêmes..", "Il est dono clair, pour celui qui comprend le sens de la similitude, que, si l’on applique en même temps à Dieu et à tout ce qui est en dehors de lui le mot existant, ce n’est que par simple homonymie; et de même, si la science, la puissance, la volonté et la vie sont attribuées en même temps à Dieu et à tout ce qui est doué de science, de puissance, de volonté et de vie, ce n’est que par simple homonymie, de manière qu’il n’y a aucune ressemblance de sens entre les deux (sortes d’attributs). ", "Il ne faut pas croire qu’on les emploie par amphibologie; car les noms qui se disent par amphibologie sont ceux qui s’appliquent à deux choses entre lesquelles il y a ressemblance dans un sens quelconque(2)Cf. ci-dessus, page 6, note 3.. Ce sens est un accident dans elles et ne constitue point l’essence de chacune d’elles; mais ces choses attribuées à Dieu ne sauraient être des accidents, selon aucun des penseurs(3)Cf. ci-dessus, page 184, note 3., tandis que les attributs qui nous appartiennent à nous, sont tous des accidents, selon l’opinion de motécallemîn(1)Cf. ci-après, chap. LXXIII, 4e proposition.. Je voudrais donc savoir d’où viendrait la similitude, pour qu’une seule définition pût embrasser les deux (sortes d’attributs) et qu’on pût les désigner par un nom commun(2)Voy. ci-dessus, pag. 228, note 4., comme ils le prétendent!—Ainsi, il est démontré d’une manière décisive qu’entre ces attributs qu’on prête à Dieu et ceux qu’on nous connaît à nous il n’y a absolument aucune espèce de communauté de sens, et que la communauté n’existe que dans le nom, et pas autrement.", "Cela étant ainsi, il ne faut pas que tu admettes des idées ajoutées à l’essence (divine) et semblables à ces attributs qui s’ajoutent à notre essence, parce qu’il y a entre les deux (sortes d’attributs) communauté de nom. Ce sujet est d’une grande importance chez ceux qui connaissent (la matière); il faut donc t’en pénétrer et t’en rendre compte le mieux possible, pour qu’il serve de préparation à ce qu’on veut te faire comprendre." ], [ "SUR LES ATTRIBUTS.
PLUS PROFOND QUE CE QUI PRÉCÈDE(3)Dans les chapitres précédents, l’auteur a combattu ceux qui croient pouvoir admettre comme attributs essentiels de Dieu la vie, la science, la puissance et la volonté. Ici il va montrer qu’on ne saurait même pas admettre comme attributs de Dieu l’existence, l’unité et l’éternité, plus généralement considérées comme attributs inhérents à l’es sence divine. Cf. Ba’hya, Devoirs des cœurs, liv. I, chap. 10..", "On sait que l’existence est un accident survenu à ce qui existe; c’est pourquoi elle est quelque chose d’accessoire à la quiddité de ce qui existe(1)A la manière dont l’auteur s’exprime ici, on pourrait croire qu’il s’agit d’une proposition bien connue appartenant à Aristote; mais, comme le font observer plusieurs commentateurs, cette distinction subtile entre la quiddité d’une chose et son existence appartient à Ibn-Sînâ, et elle a été combattue par d’autres philosophes arabes, et notamment par Ibn-Roschd, qui nous apprend que ceux qui ont vu dans l’existence un accident se sont fondés entre autres sur ce que le mot arabe , que les philosophes emploient dans le sens d’existant ou de ce qui est (τὸ ὄν), est primitivement un participe passif signifiant trouvé, et indique, par son étymologie, quelque chose d’accidentel. Au commencement du Ier livre de son Abrégé de la Métaphysique, Ibn-Roschd, après avoir exposé les divers sens du terme philosophique (ce qui est, τὸ ὄν), se résume ainsi (vers, hébr.): ולכן היה שם הנמצא שב אל שני אלו הענינים לבד ר״ל אל הצודק ואל מה שהוא נמצא חוץ לשכל, c’est-à-dire, qu’en résumé, ledit terme se dit, ou bien de ce que l’esprit juge être vrai (Ἔτι τὸ εἶναι σημαίνει ϰαί τὸ ἔστιν ὅτι ὰληθἐς, ϰ. τ. λ. Arist., Métaph., liv. V, chap. 7), ou bien de l’être en soi, de ce qui a une réalité objective en dehors de l’esprit, et, dans ce sens, il s’applique à toutes les catégories (ϰαθ’ αὑτὸ δέ εἶναι λέγεται ὅσαπερ σημαίνει τὰ σχήματα τῆς ϰατη-γορίας, ϰ. τ. λ. Ibidem).L’existence accidentelle, ajoute Ibn-Roschd, on ne saurait se la figurer dans l’être isolé ou dans l’être en soi (ϰαθαὑτό), car la substance de la chose et sa quiddité ne peuvent être accidentelles; on ne peut se la figurer que dans la relation mutuelle des êtres, c’est-à-dire, lorsque le ὄν exprime un rapport accidentel d’une chose à une autre, ou lorsqu’il se dit, comme s’exprime Aristote, ϰατὰ συαβεβηϰός: אולם הנמצא במקרה הוא לא יצויר במציאות הנפרד כי עצמות הדבר ומהותו אי אפשר ש׳היה במקרה ואמנם יצויר מיחם הנמצאות קצתם קצת. Il réfute ensuite l’opinion d’Ibn-Sînâ, selon lequel l’existence est un accident survenu à l’essence ou à la quiddité de la chose qui existe, et, après avoir montré tout ce qu’il y a de faux dans cette manière de voir, il ajoute: אבל זה דרך האיש הזה ברוב מה שיביאהו מצד עצמו «Mais telle est la manière de cet homme dans presque tout ce qu’il allègue de lui-même.» Ibn-Roschd voyait de mauvais œil une proposition qui lui paraissait être en opposition avec les doctrines aristotéliques. En effet, cette séparation idéale entre ce que la chose est (τὸ τί ἦν εἶνο ι) et son existence est contraire à l’esprit de la doctrine d’Aristote; ce serait tout au plus dans les objets artificiels qu’on pourrait séparer le quoi de l’existence, l’idée de la chose étant dans l’esprit de l’artiste avant d’exister (cf. Aristote, Métaph., liv. VII, chap. 7: ἀπὸ τέχνης δὲ γίγνεται ὅσων τὸ εἶδος ὲν τῇ ψυχῇ, εἶδος δὲ λέγω τὸ τί ἦν εἶναι ἑϰάστου ϰαί τὴν πρώτην ουσίαν’). Selon les partisans d’Ibn-Sînâ, il en serait de même de tout ce qui se fait par la nature; car, disent-ils, toutes les choses se trouvant dans la première cause, ou dans Dieu, qui les connaît d’avance, la quiddité des choses est antérieure à leur existence, laquelle, par conséquent, est un accident de la quiddité (voy. le commentaire de Schem-Tob, à notre passage). Mais ce raisonnement aboutit à admettre, avec Platon, des idées ou des formes préexistantes, et est peu conforme aux doctrines péripatéticiennes. —Voy. aussi la note 1 de la page suivante.. Ceci est une chose évidente et nécessaire dans tout ce dont l’existence a une cause; car son existence est une chose ajoutée à sa quiddité. Mais quant à ce dont l’existence n’a pas de cause, et c’est Dieu seul, le Très-Haut, [car c’est là ce qu’on veut dire en disant que Dieu est d’une existence nécessaire,] son existence est sa véritable essence; son essence est son existence, et elle n’est point une essence à laquelle il soit arrivé d’exister, de sorte que son existence y soit quelque chose d’accessoire; car il est toujours d’une existence nécessaire, et (son existence) n’est pas quelque chose de nouveau en lui(1)C’est-à-dire, quelque chose qui soit nouvellement arrivé à sa quiddité et qui soit postérieur à celle-ci. Les manuscrits portent généralement טאריא et עארצׄא , et il faut considérer ces deux mots comme l’énonciatif de la négation , qui a ici la force d’un verbe, et sous-entendre ou ; c’est comme si l’on eût dit: . ni un accident qui lui soit survenu. Ainsi donc, il existe, mais non par l’existence, et de même, il vit, mais non par la vie, il peut, mais non par la puissance, et il sait, mais non par la science(2)C’est à tort que Pococke (Specimen hist. Ar., pag. 214) compare ces paroles de Maïmonide avec ce que disaient certains Mo’tazales, savoir, que Dieu est puissant par son essence, sachant par son essence, etc.; on a vu plus haut (chap. LIII, pag. 209) que Maïmonide lui-même blâme ces paroles des Mo’tazales, qu’il trouve peu intelligibles et dans lesquelles il voit un aveu détourné des attributs essentiels. L’auteur, en disant: existant, non par l’existence, vivant, non par la vie, etc., évite évidemment de s’exprimer, comme les Mo’tazales, par des termes affirmatifs. Cf. le dernier des Huit chapitres dont notre auteur fait précéder son commentaire sur le traité Abôth; touchant la même question, il s’exprime également par des termes négatifs, en disant: אן אללה תעאלי לים הו עאלמא בעלם ולא חיא בחיאה̈ (Voy. Pococke, Porta Mosis, pag. 254).; le tout, au contraire, revient à une seule idée, dans laquelle il n’y a pas de multiplicité, comme on l’exposera.", "Ce qu’il faut savoir également, c’est que l’unité et la multiplicité sont des accidents survenus à ce qui existe, en tant qu’il est multiple ou un, chose qui a été expliquée dans la Métaphysique(1)Ainsi que le fait observer le commantateur Schem-Tob, ce que l’auteur dit ici ne se trouve nulle part dans la Métaphysique d’Aristote, mais bien le contraire. En effet, l’un (τὸ ὄν) en soi, auquel Aristote donne quatre significations principales, qui sont: le continu, le tout, l’individu et l’universel (selon qu’on y considère l’idivisibilité du mouvement ou celle de l’idée), est inséparable de la nature même et de la quiddité de la chose qui est une, et ne saurait être considéré comme un accident de la quiddité. L’un n’est pas en lui-même une essence, et il ne peut être que dans un sujet. Son caractère propre est d’être indivisible et la première mesure dans chaque genre, et notamment la mesure de la quantité; mais, de même que l’être (τὸ ὄν), avec lequel il se confond et s’identifie, il s’applique à toutes les catégories, et ne se trouve pas particulièrement dans une seule. Le multiple est opposé à l’un, comme le divisible à l’indivisible, et non pas comme le non-être à l’être; car le multiple est dans l’être, aussi bien que l’un, et s’attribue, comme ce dernier, à toutes les catégories. L’un et le multiple dans le nombre, désignant la quantité seule, sont des abstractions et entièrement distincts de l’être. Voir les détails dans la Métaphysique d’Aristote, liv. V, chap. 6, et liv. X, chap. 1 et suiv. — Maïmonide, qui ne voit dans l’un et le multiple que des accidents distincts de l’être, a encore suivi l’opinion d’Ibn-Sînâ, qui, comme le fait observer Ibn-Roschd, a confondu l’un du nombre avec l’un absolu: «Une difficulté qu’on peut trouver ici, dit Ibn-Roschd (l. c., liv. III), est cellc-ci: comment, en admettant que l’un du nombre est de la catégorie de la quantité, pouvons-nous admettre ensuite qu’il se trouve dans toutes les catégories, et encore qu’il est dans les catégories mêmes, et non pas quelque chose qui y soit accessoire? C’est pourquoi Ibn-Sînâ a pensé que son substratum doit être un accident qui se trouve dans toutes les catégories. Mais il n’en est point ainsi; car l’un dans le nombre est d’une autre nature que les autres unités. En effet, l’un numérique est l’individualité, abstraite de ce qui est quantité et qualité, je veux dire de ce par quoi l’individu est individu; car il n’est individu que dans le sens d’indivisible, et l’esprit l’abstrait des choses matérielles, le limite et le prend pour quelque chose de séparé. L’un dans le nombre, l’unité numérique, n’est qu’une chose que l’âme fait dans les êtres individuels, et sans l’âme il n’y aurait ni unité numérique ni nombre en général, contrairement a ce qui a lieu pour la ligne et la surface, et, en général, pour la quantité continue; c’est pourquoi le nombre est, plus que toute autre chose, pur de matière. Ibn-Sînâ a confondu la nature de l’un, principe du nombre, avec l’un absolu, qui embrasse toutes les catégories, et comme l’un, principe du nombre, est un accident, il a admis que l’un absolu, qui est la même chose que l’être, est aussi un accident.» Cf. R. Lévi ben-Gerson, Mil’hamôth, liv. V, 3, chap. 12.. Et, de même que le nombre n’est pas les choses mêmes qui sont nombrées, de même l’unité n’est pas la chose même qui est une; car ce sont tous (deux) des accidents du genre de la quantité discrète(1)La quantité, dit Aristote (Catégories, chap. 6), est, ou discrète (διωριτμένον, ), ou continue (συνε χές, ); la quantitité discrète, ajoute-t-il, c’est le nombre et la parole, dont les parties n’ont entre elles aucun terme commun où elles s’unissent. Il est évident que l’auteur, en disant ici que l’un est, comme le nombre, du genre ou de la catégorie de la quantité discrète, a confondu, comme Ibn-Sînâ, l’unité numérique avec l’unité absolue Voir la note précédente., qui atteignent les êtres aptes à recevoir de semblables accidents. ", "Pour ce qui est de l’être nécessaire (Dieu), réellement simple et absolument exempt de composition, de même qu’on ne saurait lui attribuer l’accident de la multiplicité, de même il serait faux de lui attribuer l’accident de l’unité; je veux dire que l’unité n’est point une chose ajoutée à son essence, mais qu’il est un, non par l’unité. ", "Ces sujets subtils, qui presque échappent aux esprits, ne sauraient être exprimés par le langage habituel, qui est une des grandes causes de l’erreur; car, dans toute langue, nous sommes (à cet égard) extrêmement à l’étroit pour l’expression, de sorte que tel sujet, nous ne saurions nous le représenter (par des mots) qu’en nous mettant à l’aise pour l’expression(1)Le verbe (VIe de ), qui signifie: agir avec douceur, se montrer facile ou indulgent, s’emploie aussi, comme terme technique, dans le sens de se permettre une expression impropre, c’est-à-dire, d’être facile sur les mots qu’on emploie et de ne pas s’attacher à leur sens rigoureux, lorsqu’on veut exprimer une idée pour laquelle on ne trouve pas les termes propres (cf. ci-dessus, pag. 203, note 5). Selon la définition du Kitâb al Ta’rifât (rapportée aussi dans le Dictionnaire de Freytag), ce terme signifie: que l’idée qu’on a pour but d’exprimer ne ressort pas des mots qu’on emploie, et qu’il est nécessaire, pour la deviner, de sous-entendre une autre expression.. Lors donc que nous désirons indiquer que Dieu n’est pas multiple, cela ne peut se dire que par (le mot) un, quoique l’un et le multiple fassent partie (tous deux) de la quantité; c’est pourquoi, résumant l’idée, nous amenons l’esprit à (comprendre) la réalité de la chose, en disant: un, non par l’unité.", "C’est ainsi que nous disons Éternel pour indiquer que Dieu n’est pas quelque chose qui soit (2)Le mot חאדתׄ signifie ce qui est nouvellement survenu, ce qui est produit ou créé, et est opposé à קדים , ancien, éternel.. Mais dire Éternel, c’est évidemment nous mettre à l’aise (pour l’expression); car le mot éternel désigne quelque chose qui est en rapport avec le temps, lequel est un accident du mouvement qui compète au corps(3)Littéralement: car ÉTERNEL ne se dit que de ce qu’affecte le temps, lequel etc. Voy. ci-dessus, chap. LII, pag. 199, et ibid., note 1. Il ne faut pas oublier que l’auteur raisonne ici sur le mot arabe , employé dans le sens d’éternel, mais qui signifie primitivement ce qui précède, antérieur, ancien, et qui désigne évidemment quelque chose qui est en rapport avec le temps.. En outre, ce mot exprime une relation(1)Littéralement: Et il est aussi de la classe du relatif; c’est-à-dire, le mot (antérieur, éternel) est de la catégorie de la relation, qui renferme, selon l’expression d’Aristote (Catég., chap. 7), tout ce qui est dit ce qu’il est à cause de choses autres que lui-même, ou, en d’autres termes, tout ce qui se rapporte à une chose autre que lui-même (cf. Maïmonide, Abrégé de Logique, chap. 11). En effet, l’antérieur est dit par rapport à ce qui est postérieur; l’ancien, par rapport à ce qui est nouveau; l’éternel, par rapport à ce qui n’a pas toujours été et qui est originaire de quelque chose. L’auteur veut dire probablement que le mot éternel, étant un relatif, ne saurait s’appliquer à Dieu, qui ne peut être mis en relation avec aucune chose. Cf. ci-dessus, pag. 200, et ibid., note 1.; car on dit éternel à l’égard du temps comme on dit long et court à l’égard de la ligne(2)C’est-à-dire: de même que long et court sont des relatifs qui s’appliquent à la ligne, de même éternel et créé, ancien et nouveau, sont des relatifs qui s’appliquent au temps. Les mots פי ערץׄ אלזמאן signifient ici: dans l’étendue ou dans la région du temps, et de même, פי ערׄץ אלכׄט: dans l’étendue de la ligne. Il faut ici prononcer , et non pas , comme l’ont fait les deux traducteurs hébreux, qui rendent les mots en question par במקרה הזמן (dans l’accident du temps) et במקרה הקו (dans l’accident de la ligne), ce qui n’offre guère de sens. Ibn-Falaquera a déjà fait observer que le mot ערץׄ doit être rendu ici en hébreu par רוחב (largeur), pris ici dans le sens de מדה mesure, étendue. Voy. Moré ha-Moré, pag. 28, et l’appendice, pag. 151. Cf. plus loin, chap. LXXII (fol. 101 b, ligne 6, de notre texte): בקדר ערץׄ דׄלך אלנוע, selon l’ ÉTENDUE de cette espèce.. Tout ce que ne touche pas l’accident du temps ne peut être dit, en réalité, ni éternel, ni (ou créé), pas plus que la douceur ne peut être dite courbée ou droite, ni le son, salé ou insipide.", "Ces choses ne sont pas obscures pour celui qui s’est exercé à comprendre les sujets dans leur réalité, et qui les examine de manière que l’intelligence les saisisse dans leur abstraction, et non pas selon le sens collectif qu’indiquent les mots(1)Plus littéralement: et qui les examine, l’intelligence les saisissant et les abstrayant, et non pas avec l’idée totale qu’indiquent les mots, c’est-à-dire, qui les examine avec une intelligence profonde, capable de saisir ces choses en elles-mêmes, dans tout ce qu’elles ont d’abstrait, et ne se guide pas par le sens général qu’ont certains mots. Ainsi, par exemple, celui qui comprend ces sujets métaphysiques saura que, lorsqu’on dit de Dieu qu’il existe, qu’il est un et éternel, ces mots ont ici un sens abstrait, entièrement indépendant de celui qu’ils ont dans leur application générale. — Au lieu de באלתגׄמל, plusieurs manuscrits portent באלתגׄםים (avec la corporification ou l’idée corporelle); mais notre leçon est confirmée par les deux versions hébraïques, qui portent, l’une בכללות, l’autre בחבור. Le mot תגׄמל est un nom d’action (de la Ve forme), dérivé du substantif , totalité, et signifie ici généralité, ensemble.. Toutes les fois donc que, dans les livres (sacrés), tu trouves qu’on donne à Dieu les attributs de premier et dernier(2)Voy., p. ex., Isaïe, chap. 44, V. 6., il en est comme quand on lui attribue l’œil et l’oreille(3)C’est-à-dire: les mots premiers et derniers, appliqués à Dieu, doivent être pris au figuré, aussi bien que l’œil et l’oreille, qu’on lui attribue.; on veut dire par là que Dieu n’est pas sujet au changement, et qu’il ne lui survient absolument rien de nouveau, mais non pas que Dieu tombe sous le temps, de sorte qu’il y ait une analogie quelconque entre lui et d’autres choses qui sont dans le temps, et qu’il soit ainsi premier et dernier. Tous ces mots ne sont (employés) que selon le langage des hommes; ", "de même, quand nous disons (qu’il est) un, le sens est qu’il n’y a rien de semblable à lui, mais non pas que l’idée d’unité s’ajoute à son essence." ], [ "PLUS PROFOND QUE CE QUI PRÉCÈDE.", "Sache que les vrais attributs de Dieu sont ceux où l’attribution se fait au moyen de négations, ce qui ne nécessite aucune expression impropre, ni ne donne lieu, en aucune façon, à attribuer à Dieu une imperfection quelconque(1)Littéralement: sache que décrire (ou désigner) Dieuqu’il soit glorifié et exalté !au moyen de négations, c’est la vraie description (ou manière de lui donner des attributs), qui n’est affectée d’aucune expression impropre (sur , voy. ci-devant, page 235, note 1), et dans laquelle il n’y a aucunement, ni de quelque manière que ce soit, une défectuosité à l’égard de Dieu; c’est-à-dire: les attributs exprimés par des négations sont les seuls vrais, ne renfermant, dans les termes, rien qu’on ait besoin de considérer comme une expression impropre, et ne disant, à l’égard de Dieu, rien qui implique une imperfection. — Déjà avant Maïmonide, les théologiens juifs, et notamment ceux d’Espagne, avaient insisté sur ce point et avaient établi qu’on ne saurait exprimer ce que Dieu est, mais seulement ce qu’il n’est pas, et que les attributs qu’on lui prête communément, loin d’avoir un sens affirmatif, n’indiquent autre chose que l’exclusion de leur contraire; par un, on veut dire seulement que Dieu n’est pas multiple; par éternel, qu’il n’est pas créé, et ainsi de suite. Voy. Ba’hya, Devoirs des cœurs, liv. I, chap. 10; Iehouda ha-Lévi, Khozari, liv. II, § 2; Abraham ben-David, Émounâ ramâ (la Foi sublime), l. II, 3e fondement (pag. 51 du texte, et pag. 65 de la traduction allemande de M. Simon Weil, Francfort, 1852). Les philosophes arabes se prononcent dans le même sens, et quelques sectes musulmanes avaient fait des attributs négatifs un point essentiel de leur doctrine, comme, p. ex., les Dhirâriyya (voy. Schahrestâni, trad. allem., t. 1, pag. 94). Le karaïte Ahron ben-Élie, dans son עץ חיים ou Arbre de la vie (chap. LXXI), réfute les partisans des attributs négatifs. Ceux-ci croyaient pouvoir s’appuyer de l’opinion d’Aristote, que Ba’hya cite expressément à cet égard. Voici les termes de l’original arabe du traité des Devoirs des cœurs: ולהדׄא קאל ארםטוטאלים אלםואלב מן צפאת אלכׄאלק תעאלי אצדק מן אלמוגׄכאת לאן כל מא יוגׄב לה מן אלצפאת לא תכׄלו פן צפאת אלגׄוהר או אלערץׄ וכׄאלק אלגׄוהר ואלערץׄ לא ילחקה פי דׄאתה וצף מן אוצאפהמא וכל מא ינפי ענה מן אלצפאת פהי צאדקה̈ לא מהאלה̈ «c’est peurquoi Aristote dit: Les attributs négatifs du Créateur sont plus vrais que les affirmatifs; car tous les attributs qu’on lui donnerait affirmativement ne pourraient être que des attributs de la substance ou de l’accident, et le Créateur de la substance et de l’accident ne peut avoir dans son essence aucun de leurs attributs. Mais les attributs qu’on écarte de lui (c’est-à-dire, les attributs exprimés négativement) sont indubitablement vrais.» — Ce passage, qui est cité aussi par Ibn-Falaquera (Moré ha-Moré, pag. 29), est évidemment apocryphe. Il est vrai qu’Aristote, en parlant du premier moteur, s’exprime très souvent par des termes négatifs, tels que: être immuable, séparé de tout ce qui est sensible, qui ne peut avoir d’étendue, qui est indivisible, etc. (Métaph., XII, 7 et passim); mais il n’exclut nullement les termes affirmatifs, et ce que la doctrine des philosophes arabes a d’absolu à cet égard paraît être puisé dans les commentateurs néoplatoniciens et se rattacher aux doctrines de Plotin (cf. Ritter, Geschichte der Philosophie, t. IV, pag. 573 et suiv.). St. Thomas à son tour, en disant que nous ne pouvons nous exprimer sur Dieu que par la voie négative, a suivi les philosophes arabes, auxquels il a sans doute emprunté le terme de via remotionis . Voy. Summa C. Gent., liv. I, chap. 14.; mais l’attribution énoncée affirmativement renferme l’idée d’association et d’imperfection, ainsi que nous l’avons exposé(1)Littéralement: quant à sa description au moyen des affirmations, il y a là, en fait d’association et d’imperfection, ce que nous avons déjà exposé; c’est-à-dire: en donnant à Dieu des atiributs affirmatifs, on reconnaît implicitement qu’il y a en lui des idées diverses associées ensemble, et on lui attribue aussi l’imperfection. Par le mot שרך , association, l’auteur paraît faire allusion à la comparaison qu’il a établie plus haut (chap. L, pag. 181) entre la croyance aux attributs essentiels et le dogme chrétien de la Trinité. Pour les Mo’tazals aussi, donner à Dieu un attribut, c’est lui donner un associé . Leur chef disait expressément: Celui qui admet avec l’idée (divine) un attribut éternel, admet deux dieux. Cf. Pococke, Specimen hist. Ar., pag. 216..", "Il faut que je t’explique d’abord comment les négations sont, d’une certaine façon, des attributs, et en quoi elles se distinguent des attributs affirmatifs; ensuite je t’expliquerai comment nous n’avons pas de moyen de donner à Dieu un attribut, si ce n’est par des négations, pas autrement. ", "Je dis donc: l’attribut n’est pas seulement ce qui particularise le sujet de telle manière qu’il ne partage pas cet attribut avec autre chose, mais l’attribut est aussi parfois attribut d’un sujet, quand même celui-ci le partagerait avec autre chose et qu’il n’en résulterait pas de particularisation. Si, par exemple, voyant un homme de loin, tu demandes quel est l’objet vu, et qu’on te réponde (que c’est) un animal, c’est là indubitablement un attribut de l’objet vu; car, bien qu’il ne le distingue pas particulièrement de toute autre chose, il en résulte pourtant une certaine particularisation, dans ce sens que l’objet vu est un corps qui n’appartient ni à l’espèce des plantes, ni à celle des minéraux. De même encore: si, un homme se trouvant dans telle maison, tu sais qu’il s’y trouve un certain corps, sans savoir ce que c’est, et que, ayant demandé ce qu’il y a dans cette maison, quelqu’un te réponde qu’il ne s’y trouve ni minéralni corps végétal, il résulte (de cette réponse) une certaine particularisation, et tu sais qu’il s’y trouve un animal, bien que tu ne saches pas quel animal c’est. De ce côté donc les attributs négatifs ont quelque chose de commun avec les attributs affirmatifs; car ils produisent nécessairement une certaine particularisation, quoique celle-ci se borne à écarter, par la négation, tout ce que nous ne croyions pas d’abord devoir être nié(1)Littéralement: quoiqu’il n’y ait dans eux d’autre particularisation que (celle) d’écarter ce qui est nié d’entre tout ce que nous croyions ne pas devoir être nié, c’est-à-dire, de dépouiller le sujet de certaines qualités qu’on pouvait lui attribuer, et de le resserrer par les négations dans un cercle plus étroit, de manière a le déterminer d’une certaine façon.. Mais voici le côté par lequel les attributs négatifs se distinguent des attributs affirmatifs: c’est que les attributs affirmatifs, lors même qu’ils ne particularisent pas (le sujet), indiquent toujours une partie de la chose qu’on désire connaître, soit une partie de sa substance, soit un de ses accidents, tandis que les attributs négatifs ne nous font savoir, en aucune façon, ce qu’est réellement l’essence que nous désirons connaître(1)Littéralement: ne nous font absolument rien connaître de l’essence dont on désire savoir ce qu’elle est., à moins que ce ne soit accidentellement, comme nous en avons donné des exemples.", "Après cette observation préliminaire, je dis: C’est une chose démontrée que Dieu, le Très-Haut, est l’être nécessaire, dans lequel, comme nous le démontrerons, il n’y a pas de composition. Nous ne saisissons de lui autre chose, si ce n’est qu’il est, mais non pas ce qu’il est(2)Littéralement: nous ne saisissons que son QUE seulement, non son QUOI (car Dieu, ne pouvant être défini, nous ne pouvons pas dire ce qu’il est; voy. ci-dessus, pag. 190). Le mot אניח̈ est dérivé, sans doute, de la conjonction ou , que (quod), et, pour rendre exactement ce terme arabe, il faudrait former le mot quoddité (analogue à quiddité). C’est le ὅτ׳, qu’Aristote met à la tête des objets que l’intelligence a en vue dans toute science, et qui désigne la pure existence de la chose (voy. Derniers Analitiques, liv. II, chap. 1). Ce n’est qu’après avoir reconnu que la chose est, qu’on s’enquiert de ce qu’elle est (μετὰ ταῦτα γνόντες, ὅ τ ι ἐστί τι, τ ί οὖν τοῦτ’ ἐστι, ζ τοῦμεν. Ibid., chap. 2). Dans le Kitâb al-Ta’rifât, on lit la définition suivante: «L’anniyya constate l’existence en elle-même, considérée au degré de la pure essence.» Le sens de cette définition est celui-ci: le ὅτι (le que ou la quoddité) se borne à constater l’existence pure et abstraite, au point de vue de l’être, ou de l’essence (pour rendre exactement , il faudrait former le mot essentialité); c’est l’être considéré en lui-même et en faisant abstraction de tout ce qui peut servir à le déterminer, comme la quiddité (τί ἐστιι), la qualité (πσ̃ς ἐστι) et la cause (τὸ διότι). Cf. mes Extraits de la Source de la vie d’Ibn-Gebirol, ou Avicebron, liv. V, § 30. M. Silv. de Sacy a donné de ladite définition une traduction toute différente de la mienne; mais il avoue lui-même qu’il ne garantit pas l’exactitude de sa traduction, et il donne sur l’étymologie du mot une conjecture fort peu plausible. Voy. Notices et extraits des manuscrits, t. X, pag. 85.. On ne saurait donc admettre qu’il ait un attribut affirmatif: car il n’a pas d’être en dehors de sa quiddité, de manière que l’attribut puisse indiquer l’une des deux choses(1)Ainsi que l’auteur l’a dit au commencement du chapitre précédent, l’existence et la quiddité dans Dieu sont une seule et même chose, et ne sauraient être séparées l’une de l’autre; on ne saurait donc faire de l’une des deux l’attribut de l’autre, et, comme on l’a dit plus haut, on ne peut pas même donner à Dieu pour attribut l’être ou l’existence. Il a été établi d’ailleurs que Dieu ne peut être défini, et que, par conséquent, on ne saurait lui donner aucun attribut indiquant sa quiddité (voy. chap. LII, pag. 190).—Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: מפני שאין לו מהות חוץ לישותו; il faut lire, d’après l’arabe, ישות הוץ למהותו, comme l’ont en effet plusieurs manuscrits, et de même Ibn-Falaquera, Moré ha-Moré, pag. 29.; à plus forte raison sa quiddité ne peut-elle être composée, de manière que l’attribut puisse indiquer ses deux parties(2)Les êtres qui ont une cause antérieure entrent dans un genre et se distinguent par une différence, et leur quiddité, par conséquent, se compose de deux choses; l’homme, par exemple, est animal et raisonable, et sa quiddité est renfermée dans ces deux attributs, dont l’un indique le genre, et l’autre la différence. Dieu n’a pas de cause antérieure et n’entre dans aucun genre, et sa quiddité ne peut être que d’une simplicité absolue. Cf. ci-dessus, pag. 190, et ibid., note 3. — Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement על שני חלקים; il faut lire: על שני חלקיה, comme l’ont les manuscrits et l’édition princeps. Al-’Harizi et Ibn-Falaquera (l. c.) ont, l’un על הלקים, l’autre על החלקים, ce qui est inexact.; et, à plus forte raison encore, ne peut-il avoir d’accidents qui puissent être indiqués par l’attribut. Il n’y a donc (pour Dieu), d’aucune manière, un attribut affirmatif.", "Les attributs négatifs sont ceux dont il faut se servir pour guider l’esprit vers ce qu’on doit croire à l’égard de Dieu; car il ne résulte de leur part aucune multiplicité, et ils amènent l’esprit au terme de ce qu’il est possible à l’homme de saisir de Dieu. Puisqu’il nous est démontré, par exemple, qu’il existe nécessairement quelque chose en dehors de ces essences perçues par les sens et dont nous embrassons la connaissance au moyen de l’intelligence, nous disons de ce quelque chose qu’il existe, ce qui veut dire que sa non-existence est inadmissible. Comprenant ensuite qu’il n’en est pas de cet être comme il en est, par exemple, de l’existence des éléments, qui sont des corps inanimés, nous disons qu’il est vivant, ce qui signifie que Dieu n’est pas sans vie. Comprenant ensuite qu’il n’en est pas non plus de cet être comme de l’existence du ciel, qui est un corps (bien que) vivant, nous disons qu’il n’est point un corps. Comprenant ensuite qu’il n’en est pas de cet être comme de l’existence de l’intellect, qui, bien qu’il ne soit ni un corps, ni sans vie, est toutefois produit d’une cause, nous disons que Dieu est éternel, ce qui signifie qu’il n’a pas de cause qui l’ait fait exister. Puis nous comprenons que l’existence de cet être, laquelle est son essence(1)C’est-à-dire: laquelle est l’essence même de cet être et n’a pas de cause en dehors de lui (cf. ci-dessus, au commencement du chap. LVII). — Il y a un peu d’obscurité dans cette phrase, dont la traduction littérale est celle-ci: ensuite nous comprenons que (quant à) cet être, son existence, laquelle est son essence, ne lui suffit point, pour qu’il existe seulement, mais qu’au contraire il EN émane, etc. On ne voit pas bien si le mot ענה, que nous avons rendu par en, signifie de lui (se rapportant à cet être), ou bien d’elle (se rapportant à l’existence). Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il y a ici quelques inexactitudes; voici comment il faut lire, d’après les manuscrits:ואחרי כן השגנו שזה הנמצא אין מציאותו אשר הוא עצמו מםפיק לו שיהיה נמצא בלבד אבל שופעות מאתו מציאויות רבות. C’est à dessein que le traducteur a ici donné au mot מציאות le genre masculin, afin, comme il le dit lui-même, de laisser subsister l’ambiguïté que nous avons signalée dans le texte arabe; voici comment il s’exprime dans une note, aux mots אשר הוא עצמו (ms. du fonds de la Sorbonne, n° 108): שמתי הנה מלת מציאות על לשון זכר בהכרח כנוי וכנוי מאתו אפשר שהוא שב אל הנמצא או אל המציאות וראי וה לא כראי זה ואילו הייתי עושה שם מציאות לשון נקבה הייתי מכריע הדרך האחד וברחתי מזה והעתקתי מלה במלה., ne lui suffit point de manière à exister seulement (lui-même), mais qu’au contraire, il en émane de nombreuses existences; et cela, non pas comme la chaleur émane du feu, ni comme la lumière provient du soleil, mais par une action divine qui leur donne la durée et l’harmonie en les bien gouvernant(1)Littéralement: mais c’est un épanchement qui leur prolonge constamment la durée et l’ordre, par un régime bien établi; c’est-à-dire, que Dieu, en produisant ces existences, agit avec liberté et avec pleine conscience, et non pas sans volonté, comme la nature. Le mot פיץׄ ( épanchement, émanation) désigne l’épanchement de la grâce divine, l’inspiration par laquelle Dieu se manifeste dans les prophètes, et, en général, l’action divine se manifestant sur les êtres créés. L’auteur explique luimême, dans un autre endroit, pourquoi l’action divine est appelée , par comparaison avec l’eau jaillissant d’une source et se répandant de tous les côtés. Voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. XII., ainsi que nous l’exposerons. Et c’est à cause de tout cela que nous attribuons à Dieu la puissance, la science et la volonté, voulant dire par ces attributs qu’il n’est ni impuissant, ni ignorant, ni étourdi, ni négligent. Si nous disons qu’il n’est pas impuissant, cela signifie que son existence suffit à faire exister des choses autres que lui; non ignorant signifie qu’il perçoit, c’est-à-dire qu’il vit, car tout ce qui perçoit a la vie(2)Voy. ci-dessus, pag. 214, note 1.; par ni étourdi ni négligent, nous voulons dire que tous ces êtres suivent un certain ordre et un régime, qu’ils ne sont pas négligés et livrés au hasard, mais qu’ils sont comme tout ce qui est conduit, avec une intention et une volonté, par celui qui le veut(3)Littéralement: qu’ils ne sont pas négligés et existant comme il arrive (par hasard), mais (qu’ils sont) comme est tout ce que, celui qui veut, conduit avec intention et volonté. Il faut lire ככון (avec câf), et non pas בכון (avec béth), comme l’ont quelques manuscrits; de même il faut lire, dans la version d’Ibn-Tibbon, כהיות, comme l’a l’édition princeps, et non pas בהיות, comme l’ont les autres éditions.. Enfin nous comprenons que cet être n’a point de semblable; si donc nous disons(1)Dans plusieurs manuscrits, on lit פקלנא אנה ואחד ואלמעני… (nous disons donc qu’il est unique, ce qui signifie…), ce qui est plus conforme à la manière dont l’auteur s’est exprimé dans les passages précédents.: il est unique, cela signifie qu’il n’y en a pas plusieurs(2)Littéralement: la négation de la pluralité. Le mot arabe ואחד signifie en même temps un (c’est-à-dire non multiple) et unique; il a ici nécessairement ce dernier sens, puisqu’il s’agit de nier qu’il y ait un autre être semblable à Dieu, et, pour la même raison, le mot כתׄרה̈ doit ici se traduire par pluralité, et non par multiplicité. Pour exposer plus complètement l’idée qui s’attache au mot hébreu אחד et au mot arabe , l’auteur aurait dû dire: «Enfin nous comprenons que cet être n’a point de semblables, et qu’il n’y a en lui rien de composé.» Voici comment l’auteur, dans ses Treize articles de foi, s’exprime sur l’unité de Dieu: «C’est que celui qui est la cause (première) de toutes choses est un, non pas comme l’un du genre, ni comme l’un de l’espèce, ni comme l’individu composé, qui se divise en plusieurs unités, ni même comme le corps simple, un en nombre, mais qui est susceptible d’être partagé et divisé à l’infini; mais Dieu est d’une unité a laquelle nulle unité ne ressemble d’aucune manière.» Voy. commentaire sur la Mischnâ, IVe partie, traité Synhédrin, chap. X (Pococke, Porta Mosis, p. 165)..", "Il est donc clair que tout attribut que nous lui prêtons, ou bien est un attribut d’action, ou bien [s’il a pour but de faire comprendre l’essence de Dieu, et non son action] doit être considéré comme la négation de ce qui en est le privatif(3)Littéralement: ou bien son sens est la négation de sa privation; c’esl-à-dire: l’attribut affirmatif qu’on prête à Dieu, s’il ne désigne pas une action émanée de Dieu, doit être considéré comme la négation d’un adjectif privatif. Ainsi, par exemple, puissant doit être pris dans le sens de non impuissant; vivant, dans le sens de non inanimé; il est UN signifie il n’est pas NON UN (ou multiple), et ainsi de suite. Al-Gazâli, dans son Makâcid al-Falâsifa (section de Métaphysique, liv. III), parlant au nom des péripatétieiens, s’exprime ainsi sur les attributs d’action (qu’il appelle aussi relatifs) et les attributs négatifs — (nous citons la version hébraïque)—. ויולדו מתארי הצירוף והשלילה לראשון שמות לא יחייבו רבוי בעצמותו כי כאשר נאמר אחד הנה ענינו שלילת השתוף והדמיון ושלילת החלוק וכאשר נאמר קדמון הנה ענינו שלילת ההתחלה ממציאותו וכאשר נאמר טוב ונכבד ורחמן הנה ענינו צירופו אל פעולות םודרו ממנו. «Des attributs relatifs et négatifs, il en résulte pour l’être premier (Dieu) des noms qui n’impliquent point de multiplicité dans son essence; car, quand nous disons un, nous voulons nier l’association et l’assimilation (d’autres êtres à Dieu), ainsi que la divisibilité; quand nous disons éternel, nous voulons nier que son existence ait eu un commencement; quand nous disons bon, glorieux, miséricordieux, cela exprime une relation aux actions émanées de lui.». Mais ces négations elles-mêmes, il ne faut s’en servir, pour les appliquer à Dieu, que de la manière que tu sais; (je veux dire) qu’on nie quelquefois d’une chose ce qu’il n’est pas dans sa condition de posséder, comme quand nous disons du mur qu’il ne voit pas(1)L’auteur veut dire que les attributs négatifs de Dieu doivent toujours avoir le sens des négations universelles et absolues, et non celui des négations particulières; la négation renfermée dans l’attribut négatif doit ressembler, dit l’auteur, à cette proposition: le mur ne voit pas, qui signifie: aucun mur ne voit jamais, parce qu’il n’est pas dans sa nature de voir, tandis que cette autre proposition: l’homme ne voit pas, signifie que tel homme ne voit pas, parce qu’il est aveugle ou qu’il dort, ou par une autre accident quelconque, quoiqu’il soit dans sa nature de voir (cf. Aristote, Catégories, chap. 11; traité de l’Herméneia, chap. 7; et l’Abrégé de Logique, de notre auteur, ch. 2 et 11). Il est évident que les attributs négatifs, par lesquels on veut écarter de Dieu toute imperfection, ne sauraient être des négations de la dernière espèce, c’est-à-dire des négations particulières; car l’imperfection doit être niée ici dans un sens absolu, comme une chose qui ne peut jamais exister dans Dieu.. ", "— Tu sais, ô lecteur de ce traité! que ce ciel même — [qui pourtant est un corps mû(2)C’est-à-dire, qui est mû par autre chose, et qui, par conséquent, n’a pas sa cause en lui-même., et que nous avons mesuré par empans et par coudées, jusqu’à embrasser de notre science les mesures de certaines de ses parties et la plupart de ses mouvements(3)Le suffixe הא, dans חרכאתהא, que nous avons rapporté aux mots הדׄה אלםמא ce ciel, pourrait aussi se rapporter à אגׄזא parties (mot qui désigne ici les différentes sphères), de sorte qu’il faudrait traduire: et la plupart de LEURS mouvements. En effet, les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent תנועותיהם, avec le suffixe pluriel, se rapportant à חלקים; mais dans les manuscrits on lit תנועותיו, où le suffixe se rapporte à רקיע.] —, nos intelligences sont beaucoup trop faibles pour comprendre sa quiddité, bien que nous sachions qu’il a nécessairement(1)Le mot צׄרורה̈ (nécessairement) manque dans plusieurs manuscrits; il est également omis dans la version d’Al-’Harizi. matière et forme, seulement que ce n’est pas là une matière comme celle qui est en nous; c’est pourquoi nous ne pouvons le qualifier que par des mots sans précision(2)Sur le sens du participe מחצלת̈ , cf. ci-dessus, pag. 190, note 4., et non par une affirmation précise. En effet, nous disons que le ciel n’est ni léger, ni pesant, qu’il est impassible, et qu’à cause de cela il ne reçoit pas d’impression; qu’il n’a ni goût, ni odeur, et d’autres négations semblables(3)C’est à peu près dans les mêmes termes négatifs qu’Aristote s’exprime sur l’éther, qui, selon lui, forme la substance des sphères célestes; voy. le traité du Ciel, liv. I, chap. 3: τὸ δὲ ϰύϰλῳ σῶμα, φερόμενον ἀδύνατον ἔχειν βάρος ἢ ϰουφὸτητα, ϰ. τ. λ., et plus loin: ὥστ’ εἴπερ τὸ ϰύϰλῳ σῶμα μήτ’ αὔξησιν ἔχειν ἐνδέχεται μήτέ φθίσιν, εὔλογον ϰαί ἀναλ-λοίωτον εἶναι. Διὸτι μἐν οὖν αίδιον ϰαί οὔτ’ αὔξησιν ἔχον οὔτε φθίσιν, ἀλλ’ ἀγή-ρατον ϰαί ἀναλλοίωτον ϰαί ἀπαθές ἐστι τὸ πρῶτον τῶν σωμάτων, ϰ. τ. λ. Cf. la IIe partie de cet ouvrage, chap. XIX.; tout cela à cause de notre ignorance sur ladite matière. Et que sera-ce de nos intelligences, si elles cherchent à saisir celui qui est exempt de matière, qui est d’une extrême simplicité, l’être nécessaire, qui n’a point de cause et qui n’est affecté de rien qui soit ajouté à son essence parfaite, dont la perfection signifie (pour nous) négation des imperfections, comme nous l’avons exposé? car nous ne saisissons de lui autre chose si ce n’est qu’il est, qu’il y a un être auquel ne ressemble aucun des êtres qu’il a produits, qu’il n’a absolument rien de commun avec ces derniers, qu’il n’y a en lui ni multiplicité, ni impuissance de produire ce qui est en dehors de lui, et que son rapport au monde est celui du capitaine au vaisseau; non pas que ce soit là le rapport véritable, ni que la comparaison soit juste, mais il sert de guide à l’esprit (pour comprendre) que Dieu gouverne les êtres, c’est-à-dire qu’il les perpétue et les maintient en ordre, comme il le faut. Ce sujet sera encore plus amplement exposé.", "Louange à celui qui (est tellement élevé que), lorsque les intelligences contemplent son essence, leur compréhension se change en incapacité, et lorsqu’elles examinent comment ses actions résultent de sa volonté, leur science se change en ignorance, et lorsque les langues veulent le glorifier par des attributs, toute éloquence devient un faible balbutiement(1)Littéralement: devient balbutiement et impuissance.!" ], [ "On pourrait ici faire la question suivante: Si, en effet, il n’y a pas moyen de percevoir la véritable essence de Dieu, si l’on peut démontrer l’impossibilité de percevoir autre chose si ce n’est qu’il est(2)Littéralement: si la démonstration amène (cette conviction) que la chose perçue est seulement QU’IL EXISTE., et si les attributs affirmatifs sont impossibles, ainsi qu’il a été démontré, en quoi donc consiste la supériorité relative entre ceux qui perçoivent? car alors, ce que percevaient notre maître Moïse et Salomon est la même chose que ce que perçoit chaque individu d’entre les étudiants, et il est impossible d’y rien ajouter. Et cependant il est généralement admis par les théologiens(3)Voy. ci-dessus, chap. XVII, pag. 68, note 3., ou plutôt par les philosophes, qu’il y a à cet égard de nombreuses gradations(4)Littéralement: que la supériorité graduelle en cela est multiple.. Sache donc qu’en effet il en est ainsi, et qu’il y a de très grandes nuances de supériorité entre ceux qui perçoivent. En effet, à mesure qu’on augmente les attributs d’un sujet, celui-ci est mieux déterminé et on saisit de mieux en mieux sa véritable nature(1)Littéralement: et celui qui attribue (c’est-à-dire, celui qui fait les attributs), s’approche de la perception, de la réalité.; et de même, à mesure que tu augmentes les négations à l’égard de Dieu, tu t’approches de la perception et tu en es plus près que celui qui ne nie pas ce qui t’est démontré, à toi, devoir être nié. ", "C’est pourquoi tel homme se fatigue pendant de nombreuses années pour comprendre une science et en vérifier les principes, afin d’arriver à la certitude(2)Littéralement: afin de la posséder certaine ou avec certitude., et puis toute cette science ne produit d’autre résultat, si ce n’est (de nous apprendre) que nous devons nier de Dieu une certaine chose qu’on sait, par démonstration, être inadmissible à son égard(3)Littéralement: dont on sait, par démonstration, qu’il est faux que cette chose puisse lui être attribuée. Le verbe תעלם est le prétérit de la Ve forme, et on doit prononcer ; au lieu de והודיע, que portent les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on lit, dans les manuscrits, ונודיע ou ונודע, et c’est cette dernière leçon qu’il faut adopter. Al-’Harizi a également שנודע.; pour un autre, d’entre ceux qui sont faibles dans la spéculation, cela n’est pas démontré, et il reste douteux pour lui si cette chose existe ou n’existe pas dans Dieu; un autre enfin, d’entre ceux qui sont entièrement privés de vue, affirme de lui cette chose dont la négation est démontrée (indispensable). Moi, par exemple, je démontrerai qu’il n’est point un corps; un autre doutera, et ne saura pas s’il est un corps ou s’il ne l’est pas; un autre enfin décidera qu’il est un corps, et abordera Dieu avec une pareille croyance(4)Le mot הכונה, qu’on lit ici dans toutes les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, est une faute; les manuscrits portent האמונה.— C’est à tort qu’Ibn-Falaquera prétend ici rectifier la version d’Ibn-Tibbon, en rendant le verbe arabe וילקי par וישליך, de sorte qu’il faudrait traduire: et il jette Dieu dans cette croyance, ce qui, dit-il, est une expression figurée; Ibn-Falaquera a été induit en erreur par une leçon fautive, car il a lu פי הדׄה אלעקידח̈, tandis que la vraie leçon est בהדׄה אלעקידה̈. Voy. l’Appendice du Moré ha-Moré, pag. 151.. Combien sera grande la différence entre les trois personnes! le premier sera indubitablement le plus près de Dieu, le second en sera loin, et le troisième, le plus loin. De même, si nous supposions un quatrième, pour lequel il fût démontré que les passions sont inadmissibles à l’égard de Dieu, tandis que pour le premier, qui nie seulement la corporéité, cela ne fût pas démontré, ce quatrième serait indubitablement plus près de Dieu que le premier, et ainsi de suite; de sorte que, s’il se trouvait une personne pour laqulle il fût démontré qu’il est impossible (d’admettre), à l’égard de Dieu, beaucoup de choses qui, selon nous, pourraient exister dans lui, ou émaner de lui, — et à plus forte raison, si nous allions jusqu’à croire cela nécessaire, — cette personne serait indubitablement plus parfaite que nous.", "Ainsi, il est clair pour toi que, toutes les fois qu’il te sera démontré qu’une certaine chose doit être niée de Dieu, tu seras par là plus parfait, et que toutes les fois que tu lui attribueras affirmativement une chose ajoutée (à son essence), tu l’assimileras (aux créatures), et tu seras loin de connaître sa réalité. C’est de cette manière qu’il faut se rapprocher de la perception de Dieu, au moyen de l’examen(1)Le mot באלבחתׄ n’est pas exprimé dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon; les manuscrits de celte version portent בדרישה ובחקירה. et de l’étude, afin de connaître la fausseté de tout ce qui est inadmissible à son égard, et non pas en lui attribuant affirmativement une chose comme étant ajoutée à son essence, ou comme si cette chose était une perfection à son égard, parce qu’on trouverait que c’en est une à notre égard; car toutes les perfections sont des capacités quelconques(2)Sur le sens du mot מלכה̈ , que nous rendons par capacité, et qui correspond au mot grec ἕξ·ς, cf. ci-dessus, pag. 195, notes 1 et 2., et toute capacité n’existe pas dans tout (être) doué de capacité(1)Ce passage un peu obscur a été diversement interprété, et les commentateurs se montrent fort embarrassés d’en indiquer le sens précis, comme on peut le reconnaître dans les explications variées, données par Schem-Tob et par Profiat Duran ou Éphodi. Le sens le plus simple, il me semble, est celui-ci: On ne saurait attribuer à Dieu ce qui, à notre point de vue, serait une perfection; car les perfections, étant toujours des capacités (ἕξεις) quelconques, appartiennent à l’un des genres de la catégorie de la qualité, et ne sauraient, par conséquent, être attribuées à Dieu, comme il résulte de ce que l’auteur a dit au chap. LII (pag. 195), au sujet des qualités. Pour plus ample explication, l’auteur ajoute: et toute capacité n’existe pas dans tout (être) doué de capacité; c’est-à-dire que, dans les êtres créés, les capacités sont quelque chose d’accidentel, ne se trouvant pas également dans tous, et n’étant pas toujours en acte là où elles se trouvent. Les capacités (ἕξεις), quoique plus durables et plus solides que les dispositions (διαθέσεις), ne sont cependant autre chose que des dispositions consolidées, et désignent quelque chose qui a été acquis et qui n’a pas toujours existé dans l’être qui en est doué (cf. pag. 195, note 2). Comme le dit Aristote lui-même, les capacités sont aussi des dispositions; car ceux qui sont doués de capacités ne sont en quelque sorte que disposés pour ces mêmes capacités (οί μὲν γὰρ ἕξεις ἔχοντες ϰαί διάϰεινταί γέ πως ϰατ’ αὐτἀς. Catég., chap. 8). Ajoutons à cela que les capacités sont souvent opposées les unes aux autres, et ne peuvent exister ensemble dans le même sujet. Il résulte de tout cela que, si l’on attribuait à Dieu tout ce qui, par rapport à nous, est une perfection, on lui attribuerait des capacités acquises et même des capatés opposées les unes aux aures, deux choses également inadmissibles. — Moïse de Narbonne, le plus profond commentateur de Maïmonide, avouant l’embarras qu’il avait long-temps éprouvé à expliquer les paroles de l’auteur, suppose que tout ce passage, à partir de ces mots: Ainsi il est clair pour toi, etc., se rapporte à un passage de la Métaphysique (liv. XII, chap. 9), où Aristote dit que l’intelligence ne perçoit autre chose qu’elle-même, ne pouvant être affectée par quelque chose en dehors d’elle. Maïmonide, en parlant ici de tout ce qu’il faut nier de l’intelligence suprême, ou de Dieu, ferait allusion à cette négation absolue, dans Dieu, de toute perception qui n’aurait pas pour objet l’intelligence divine elle-même. Celle-ci a sa perfection en elle-même, et ne peut être affectée de rien. En niant qu’elle perçoive autre chose qu’elle-même, on ne lui attribue pas d’imperfection; car toutes les perfections sont des capacités, mais ces capacités ne constituent pas la perfection pour tout être qui en est doué. Il y a beaucoup de privations qui sont préférables aux capacités; car, comme le dit Aristote au passage indiqué, ne pas voir certaines choses vaut mieux que de les voir (ϰαί γὰρ μὴ ὁρᾶν ἔνιϰ ϰρεῖττον ἢ ὁρᾶν). Telle est, en substance, l’interprétation donnée à notre passage par Moïse de Narbonne; mais nous doutons fort qu’elle soit la vraie et qu’il y ait un rapport réel entre les paroles de Maïmonide et ledit passage d’Aristote.. ", "Tu sauras donc que, si tu lui attribues affirmativement une chose autre (que lui), tu t’éloignes de lui sous deux rapports: d’abord, parce que tout ce que tu lui attribues est une perfection (seulement) pour nous, et, en second lieu, parce qu’il ne possède aucune chose autre (que lui), et qu’au contraire, c’est son essence même qui forme ses perfections, comme nous l’avons exposé.", "Or, chacun s’étant aperçu que, même ce que nous avons la faculté de percevoir (de Dieu), il n’y a pas moyen de le percevoir autrement que par négation, et la négation ne nous faisant absolument rien connaître de la réalité de la chose à laquelle elle s’applique(1)Littéralement: de la chose dont on nie ce qu’on nie., tous, anciens et modernes, ont déclaré que les intelligences ne sauraient percevoir Dieu, que lui seul perçoit ce qu’il est, et que le percevoir, c’est (de reconnaître) qu’on est impuissant de le percevoir complètement(2)C’est-à-dire, que toute notre perception, lorsqu’elle a Dieu pour objet, consiste à reconnaître que nous sommes impuissants de percevoir son véritable être.. Tous les philosophes disent: Nous sommes éblouis par sa beauté et il se dérobe à nous par la force même de sa manifestation, de même que le soleil se dérobe aux yeux, trop faibles pour le percevoir. On s’est étendu là-dessus dans (des discours) qu’il serait inutile de répéter ici(3)L’auteur fait peut être allusion à un passage de Ba’hya (Devoirs des cœurs, liv. I, chap. 10), où le même sujet a été longuement développé. En établissant qu’il est impossible à l’intelligence de percevoir directement l’essence divine, qui ne se manifeste à nous que par ses œuvres, Ba’hya se sert également de la comparaison prise de la lumière du soleil, que la vue ne saurait percevoir directement.; mais ce qui a été dit de plus éloquent à cet égard, ce sont ces paroles du psalmiste: לך דמיה תהלה (Ps. 65, 2), dont le sens est: pour toi le silence est la louange. C’est là une très éloquente expression sur ce sujet; car, quoi que ce soit que nous disions dans le but d’exalter et de glorifier (Dieu), nous y trouverons quelque chose d’offensant(1)Littéralement: une charge, un fardeau, ou une attaque (de , impetum fecit); l’auteur veut dire: en croyant louer Dieu, on le charge de quelque chose qui n’est pas digne de son véritable être, et on l’offense. Ibn-Tibbon rend le mot חמל par מעמם (charge). Ibn-Falaquera préfère le rendre par טורח ou par משא, ce qui est à peu près la même chose; voy. l’Appendice du Moré ha-Moré, où on lit à notre passage: והנכון להעתיק נמצא בו משא מה או טורח מה. Ce passage, tiré du ms. hébr. n° 352 de l’ancien fonds, manque dans l’édition du Moré ha-Moré et dans la plupart des manuscrits. à l’égard de Dieu, et nous y verrons (exprimée) une certaine imperfection. Il vaut donc mieux se taire et se borner(2)Il faut lire, dans la version d’Ibn-Tibbon, וההםתפקות, et non pas וההשתקפות, comme l’ont plusieurs éditions. aux perceptions de l’intelligence, comme l’ont recommandé les hommes parfaits, en disant: Dites (pensez) dans votre cœur, sur votre couche, et demeurez silencieux (Ps. 4, 5).", "Tu connais aussi un passage célèbre des docteurs auquel je voudrais que toutes leurs paroles fussent semblables; bien que ce soit un passage qu’on sait par cœur, je vais te le citer textuellement, afin d’appeler ton attention sur les idées qu’il renferme. Voici ce qu’ils disent(3)Voy. Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 33 b. Ce passage, tel qu’il est cité dans notre texte, n’est pas entièrement conforme à nos éditions du Talmud, et les différents manuscrits arabes et hébreux du Guide offrent également de nombreuses variantes. Il en est de même de presque toutes les citations talmudiques, et quelquefois des citations bibliques, que les auteurs faisaient ordinairement de mémoire, et qui ont été souvent corrigées par les copistes. Ba’hya, dans son traité des Devoirs des cœurs (liv. I, chap. 10), cite le même passage avec d’autres variantes. Nous avons suivi plusieurs manuscrits à peu près conformes, et notre leçon diffère très peu de celle d’Al-’Harizi.: «Quelqu’un, venu en présence de Rabbi ’Hanînâ, s’exprima ainsi (en faisant sa prière): O Dieu grand, puissant, redoutable, magnifique, fort, craint, imposant!… Le Rabbi lui dit (en l’interrompant): As-tu achevé toutes les louanges de ton Seigneur? Certes, même les trois premiers (attributs), si Moïse ne les avait pas énoncés dans la Loi(1)Voy. Deutéronome, chap. X, V. 17. et que les hommes du grand Synode(2)Sur l’assemblée appelée le grand Synode ou la grande Synagogue, et à laquelle on attribue la rédaction des prières journalières, voy. mon Histoire de la Palestine, pag. 479 et 480. ne fussent pas venus les fixer dans la prière, nous n’oserions pas les prononcer; et toi, tu en prononces un si grand nombre! Pour faire une comparaison: un roi mortel, par exemple, qui posséderait des millions de pièces d’or, et qu’on vanterait pour (posséder des pièces) d’argent, ne serait-ce pas là une offense pour lui?» Voilà comment s’exprimait cet homme de bien. ", "Remarque d’abord quelle était sa répugnance et son aversion pour l’accumulation d’attributs affirmatifs(3)Quelques manuscrits portent אלאיגׄאב, avec l’article, et de même les deux versions hébraïques, החיוב., et remarque aussi qu’il dit clairement que, si nous étions abandonnés à notre intelligence seule(4)C’est-à-dire: si la chose était abandonnée à notre seul jugement, et que certains attributs n’eussent pas été consacrés par l’Écriture sainte et par le rituel des prières. Le verbe תרכנא est au passif, et on doit prononcer ; Ibn-Tibbon l’a très exactement rendu par הונחנו (mss. et édit. princeps), et c’est à tort que, dans la plupart des éditions, ce mot a été changé en הונחו., nous ne dirions(5)Au lieu de קלנאהא, l’un des manuscrits de Leyde porte עקלנאהא; cette leçon, exprimée par Al-’Harazi (לא השכלנו אותם), n’offre pas de sens convenable. jamais les attributs et nous n’en prononcerions aucun; mais puisque, par la nécessité de parler aux hommes de manière à leur donner (de Dieu) une idée quelconque, on a été forcé de décrire(1)Les mots אן יוצף dépendent du verbe אלגׄאת, dont les mots צׄרורה̈ אלכׄטאב forment le sujet; la traduction littérale serait celle-ci: puisque la nécessité de parler aux hommes… a forcé de décrire Dieu, etc. Dieu avec leurs (propres) perfections — [conformément à ces paroles: l’Écriture s’est exprimée selon le langage des hommes(2)Voir ci-dessus, au commencement du chap. XXVI.] —, nous devrions, en dernier lieu, nous arrêter aux (trois) mots en question(3)C’est-à-dire: nous devrions nous borner, en fait d’attributs, aux mots grand, puissant et redoutable., et encore ne devrions-nous jamais les employer comme noms de Dieu, si ce n’est lorsque nous en faisons la lecture dans le Pentateuque. Que si cependant les hommes du grand Synode, qui étaient (en partie) des prophètes, sont venus ensuite en sanctionner l’emploi dans la prière, nous devrions toujours nous borner à ces seuls mots(4)Littéralement: notre terme (devrait être) de les dire (eux) seulement; c’est-à-dire: nous devrions, dans la prière, nous borner à prononcer ces trois attributs seuls.. En substance donc, il (R. ’Hanînâ) expose qu’il se rencontre deux nécessités pour que nous les employions dans la prière: une première, c’est qu’ils se trouvent dans le Pentateuque; une seconde, c’est que les prophètes les ont fixés dans la prière. Sans la première nécessité, nous ne les prononcerions pas (du tout); sans la seconde, nous ne les aurions pas ôtés de leur place (primitive), pour nous en servir dans la prière; et toi (ajoutait-il), tu accumules les attributs(5)Littéralement: tu persistes dans les attributs.?", "Il t’est clair aussi par ces paroles (de R. ’Hanînâ) qu’il ne nous est pas permis d’employer dans la prière, ni de prononcer, toutes les épithètes que tu trouves attribuées à Dieu dans les livres des prophètes; car il ne dit pas (seulement): «Si Moïse ne les avait pas dits, nous n’oserions pas les dire», mais (il ajoute comme) une autre condition: «et que les hommes du grand Synode ne fussent pas venus les fixer dans la prière», et depuis lors seulement, il nous a été permis de les employer dans la prière. Mais non pas comme ont fait ces hommes vraiment ineptes, qui se sont efforcés d’insister longuement (sur les attributs), dans des prières de leur composition et des oraisons de leur façon, par lesquelles ils croyaient s’approcher de Dieu, et où ils lui ont donné des attributs qui, lors même qu’on les donnerait à un être humain, impliqueraient une imperfection(1)Littéralement: qui ont étendu et prolongé (les attributs) et ont fait des efforts (à cet égard), dans des prières qu’ils ont composées et des oraisons qu’ils ont façonnées, par lesquelles, dans leur opinion, ils s’approchaient de Dieu, et où ils décrivaient Dieu par des attributs tels, que, si on décrivait ainsi un individu d’entre les hommes, cela serait (exprimer) une imperfection à son égard. Le verbe אטנבוא, qui signifie ils se sont étendus ou ils ont insisté, a été rendu, dans la version d’Ibn-Tibbon, par המריצו בשבחים (ils ont insisté sur les louanges); le mot בשבחים est une addition du traducteur, et de même il a rendu plus loin ויטנבון par וימריצו לשבח. Au lieu de ואגׄתהדוא (et ils ont fait des efforts), quelques manuscrits portent ואםתועבוא (Xe forme de ), et ils ont accumulé; c’est cette dernière leçon que paraît avoir suivie Ibn-Tibbon, qui traduit: והרבו דברים, et ils ont accumulé des paroles, tandis qu’Al-’Harizi a וישתדלו, ce qui s’accorde avec notre leçon.. C’est que, ne comprenant pas ces sujets sublimes, trop étrangers aux intelligences du vulgaire, ils abordaient Dieu avec leurs langues téméraires, se servaient à son égard de tous les attributs et de toutes les allocutions qu’ils croyaient pouvoir se permettre(2)Littéralement: ils prenaient Dieu le Très-Haut pour marchepied de leurs langues, et le décrivaient et lui parlaient par tout ce qu’ils croyaient permis. מדרםה̈ signifie ici le lieu qu’on foule; ce mot manque dans les dictionnaires., et insistaient là-dessus, afin de l’émouvoir, comme ils se l’imaginaient, de manière à ce qu’il fût affecté (par leurs paroles). Surtout quand ils trouvaient à cet égard quelque texte d’un discours prophétique, ils croyaient pouvoir se permettre d’employer ces mêmes termes, qui, de toute manière, ont besoin d’être allégoriquement interprétés; ils les prenaient dans leur sens littéral, en dérivaient (d’autres termes), en formaient des ramifications et construisaient là-dessus des discours. Ce genre de licence est fréquent chez les poètes et les orateurs, ou chez ceux qui ont la prétention de faire des vers; de sorte qu’il s’est composé des discours qui, en partie, sont de la pure irréligion, et en partie trahissent une faiblesse d’esprit et une corruption de l’imagination à faire naturellement rire un homme, quand il les écoute, et à le faire pleurer, quand il considère qu’un pareil langage a été tenu à l’égard de Dieu. S’il ne m’était pas pénible d’abaisser les auteurs, je t’en citerais quelque chose pour attirer ton attention sur ce qu’il y a là d’impie(1)Littéralement: Sur le lieu de la transgression ou du péché. Quelques manuscrits ont מואצׄע, les lieux, et de même Al-’Harizi, מקומות.; mais ce sont des discours dont le vice est trop évident pour celui qui sait comprendre, ", "et tu dois te dire en y réfléchissant: si c’est un grave péché de médire et de faire une mauvaise réputation à autrui(2)L’auteur se sert ici avec intention des mots hébreux לשון הרע (la mauvaise langue ou la médisance), et הוצאת שם רע (propagation d’une mauvaise réputation), qui sont dans la bouche de tous les moralistes hébreux; c’est ainsi qu’un peu plus loin il insère dans la phrase arabe les mots hébreux חרוף וגדוף בשגגה, et d’autres encore., combien, à plus forte raison, (est-on coupable) de laisser un libre cours à sa langue quand il s’agit de Dieu, et de lui donner des attributs au dessus desquels il est élevé? Je n’appellerais pas cela un péché, mais une offense, et un blasphême commis inconsidérément par la foule qui écoute et par ce sot qui dit (de telles paroles). Mais quant à celui qui comprend ce qu’il y a de vicieux dans de pareils discours, et qui (malgré cela) les prononce, il est, selon moi, du nombre de ceux dont il a été dit: et les enfants d’Israël imaginèrent sur Dieu des paroles qui n’étaient pas convenables (II Rois, 17, 9)(3)Nous nous écartons un peu du véritable sens de ce passage, et nous le traduisons comme le demande l’application qu’en fait ici Maïmonide., et ailleurs: et pour proférer sur Dieu l’erreur (Isaïe, 32, 6). Si donc tu es de ceux qui respectent la gloire de leur Créateur(1)Ces mots renferment une allusion à un passage de la Mischnâ; voy. ci-dessus, chap. XXXII, pag. 113, note 2., tu ne dois nullement y prêter l’oreille; et comment alors oserais-tu les prononcer, et comment (à plus forte raison) oserais-tu en faire de semblables? Car tu sais combien est grand le péché de celui qui lance des paroles vers le ciel(2)L’auteur fait allusion aux paroles de R. Éléazar rapportées dans le Talmud de Babylone, Succâ, fol. 53 a, et Ta’anîth, fol. 25 a.. Il ne faut aucunement t’engager dans des attributs de Dieu (exprimés) par affirmation, en croyant par là le glorifier, et il ne faut pas sortir de ce que les hommes du grand Synode ont fixé dans les prières et les bénédictions; il y en a là assez pour le besoin, et grandement assez, comme l’a dit R. ’Hanînâ. Pour ce qui se trouve en outre (en fait d’attribut) dans les livres des prophètes, on peut le lire en y passant, pourvu qu’on admette, comme nous l’avons exposé, que ce sont des attributs d’action, ou qu’ils indiquent la négation de leur privatif(3)Voy. au chapitre précédent, pag. 245, note 3.. Et cela, il ne faut pas non plus le divulguer à la multitude; au contraire, ce genre d’étude appartient aux hommes d’élite qui ne croient pas glorifier Dieu en disant ce qui ne convient pas, mais en comprenant comme il faut.", "Je reviens maintenant achever mes remarques sur les paroles de R. ’Hanînâ et leur sage disposition(4)Le mot אחכאם, comme l’a fait remarquer Ibn-Falaquera (Moré ha-Moré, pag. 151), doit se prononcer (nom d’action de la IVe forme), et signifie arrangement, bon ordre; l’auteur veut parler de la manière sage dont R. ’Hanînâ avait disposé ses paroles, pour en faire ressortir plusieurs enseignements importants. Ibn-Tibbon traduit ואחכאמה par וחכמותיו; on voit qu’il a prononcé (pl. de , principe de sagesse). Selon Ibn-Falaquera,le motאחכאם doit se rendre, en hébreu, par תקון, comme l’a rendu Ibn-Tibbon lui-même dans la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XIX, où il est question de la sage disposition des organes de la vue, et où les mots אלתי הי מן אלאחכאם עלי מא קר עלם sont traduits par אשר בהם מן התקון מה שנודע.— Al-’Harizi a entièrement négligé, dans sa traduction, le mot ואחכאמה.. Il ne dit pas: «Pour faire une comparaison, un roi mortel, par exemple, qui possèderait des millions de pièces d’or, et qu’on vanterait pour (posséder) cent pièces»; car cette comparaison (ainsi conçue) indiquerait que les perfections de Dieu sont plus grandes que celles qu’on lui attribue, mais qu’elles sont pourtant de la même espèce, tandis que, comme nous l’avons démontré, il n’en est point ainsi. Mais la sagesse de cette comparaison consiste dans ces mots: «….. pièces d’or, et qu’on vanterait pour (posséder des pièces) d’argent», qui indiquent que Dieu n’a rien qui soit de la même espèce que ces perfections qu’on nous trouve, et que celles-ci, au contraire, sont des imperfections à son égard, comme il l’explique en disant: «Ne serait-ce pas là une offense pour lui?»", "Ainsi, je t’ai fait connaître que tous ces attributs que tu crois être une perfection(1)Au lieu de כמאלא, plusieurs manuscrits ont כמאל (ou אנהא) אנה, ou אנהא כמאלאת; la leçon que nous avons adoptée, et qui est plus correcte, s’accorde avec la version d’Ibn-Tibbon. constituent une imperfection à l’égard de Dieu, s’ils sont de la même espèce que celles que nous possédons. Déjà Salomon nous a instruits à cet égard d’une manière suffisante, en disant: Car Dieu est dans le ciel, et toi sur la terre; que tes paroles donc soient peu nombreuses (Ecclésiaste, 5, 1)." ], [ "Dans ce chapitre, je veux te donner des exemples par lesquels tu pourras mieux concevoir combien il est nécessaire de donner à Dieu de nombreux attributs négatifs, et par lesquels aussi tu éviteras de plus en plus d’admettre à son égard des attributs affirmatifs. Suppose qu’un homme ait cette notion qu’il existe (quelque chose qu’on appelle) un navire, sans pourtant savoir si la chose à laquelle s’applique ce nom est une substance ou un accident; qu’ensuite un autre individu ait reconnu que ce n’est point un accident; un autre ensuite, que ce n’est point un minéral; un autre, que ce n’est pas non plus un animal; un autre, que ce n’est pas non plus un végétal encore attaché à la terre; un autre, que ce n’est pas non plus un seul corps formant un ensemble naturel; un autre, que ce n’est pas non plus quelque chose qui ait une forme plate, comme les planches et les portes; un autre, que ce n’est pas non plus une sphère; un autre, que ce n’est pas non plus quelque chose de (forme) conique; un autre, que ce n’est pas non plus quelque chose de circulaire, ni quelque chose qui ait des côtés plans(1)Par ces derniers mots, l’auteur désigne différentes espèces de corps à base circulaire, tels que le cylindre, l’ellipsoïde, etc., et tous les corps ayant des surfaces planes, comme le cube et tous les prismes en général.; un autre enfin, que ce n’est pas non plus un solide plein; — il est clair que ce dernier sera arrivé à peu près, au moyen de ces attributs négatifs, à se figurer le navire tel qu’il est, et qu’il se trouvera, en quelque sorte, au niveau de celui qui se le figure comme un corps de bois, creux, oblong et composé de nombreux morceaux de bois, et qui se le représente au moyen d’attributs affirmatifs. Quant aux précédents dont nous avons parlé dans notre exemple, chacun d’eux est plus loin de se faire une idée du navire que celui qui le suit, de sorte que le premier, dans notre exemple, n’en sait autre chose que le nom seul.", "C’est ainsi que les attributs négatifs te rapprochent de la connaissance de Dieu et de sa perception; mais il faut tâcher surtout que chaque nouvelle négation que tu ajoutes soit démontrée, et il ne faut pas te contenter de la prononcer seulement(2)Littéralement: … que tu ajoutes la négation d’une chose au moyen de la démonstration, et que tu ne nies pas seulement par la parole.; car, à mesure qu’il te sera manifesté par une démonstration qu’une chose qu’on croyait exister dans Dieu doit être niée de lui, tu te seras indubitablement rapproché de lui d’un degré de plus. ", "C’est de cette manière que certains hommes se trouvent très rapprochés de lui, tandis que d’autres en sont extrêmement éloignés; mais non pas qu’il y ait là un rapprochement local(1)Ibn-Tibbon traduit: לא שיש לשם מקום, ce qui n’est pas tout à fait exact; Ibn-Falaquera traduit plus exactement: לא ששם קרבת מקום (Moréha-Moré, p. 33). De même Al-’Harizi: לא שיש למעלה קרבת מקום., de sorte qu’on puisse (matériellement) se rapprocher et s’éloigner de lui, comme le croient ceux qui sont privés de vue. Comprends bien cela, sachele, et tu t’en trouveras heureux. Tu connais maintenant la voie dans laquelle il faut marcher pour te rapprocher de Dieu, et il dépend de ta volonté d’y marcher(2)Littéralement: marches-y donc, si tu veux..", "Quant aux attributs de Dieu (exprimés) par des affirmations, ils renferment un grand danger; car on a déjà démontré que tout ce que nous pourrions prendre pour une perfection [quand même cette perfection existerait dans Dieu, conformément à l’opinion de ceux qui admettent les attributs], ne serait pas la même espèce de perfection que nous nous imaginerions, mais serait seulement appelée ainsi par homonymie, comme nous l’avons exposé(3)Voy. ci-dessus, chap. LVI, pag. 229.. Cela te ferait nécessairement aboutir à une idée négative: car, en disant qu’il sait d’une science unique, que, par cette science invariable et non multiple, il sait les choses multiples et variables qui se renouvellent sans cesse, sans qu’il lui survienne une nouvelle science, et que c’est d’une seule science invariable qu’il sait la chose, avant qu’elle naisse, après être arrivée à l’existence et après avoir cessé d’exister, tu déclares qu’il sait d’une science qui n’est pas comme la nôtre; et de même aussi, il faut attacher à son existence une autre idée qu’à la nôtre(4)Littéralement: et de même, il faut qu’il existe, non dans le sens de l’existence (qui est) dans nous.. Tu produis donc nécessairement des négations, et, loin de parvenir à constater un attribut essentiel, tu arrives à (établir) la multiplicité et à admettre que Dieu est une essence ayant des attributs inconnus; car ceux que tu prétends lui prêter affirmativement, tu refuses toi-même de les assimiler aux attributs connus chez nous, et, par conséquent, ils ne sont pas de la même espèce. Ainsi donc, admettre les attributs affirmatifs(1)Dans la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire הענין בחיוב התארים, et non pas העיון בהיות התארים, comme l’ont les éditions. n’aboutirait, en quelque sorte, qu’à dire: que Dieu est un sujet affecté de certains attributs, et que ce sujet n’est pas la même chose que ces attributs(2)Le mot , dont se sert ici l’auteur, désigne l’attribut logique (prædicatum), tandis que désigne l’attribut métaphysique, ou la qualité réelle d’un sujet; il s’agit ici du sujet et de l’attribut, pris dans leur sens le plus général. Au lieu de ces mots: לא דׄלך אלמוצׄוע מתׄל הדׄה אלמחמולאת, on lit dans la plupart des manuscrits: לא דׄלך אלמוצׄוע מתׄל הדׄה אלמוצׄועאת ולא תלך אלמחמולאת מתׄל הדׄה אלמחמולאת, et que ce sujet n’est pas comme ces autres sujets, ni ces attributs (ne sont) comme ces autres attributs, c’est-à-dire, qu’il s’agit ici d’un sujet et d’attributs qui ne sauraient être comparés à rien de ce qui nous est familier en fait de sujets et d’attributs. La version d’Ibn-Tibbon confirme cette dernière leçon; mais celle que nous avons cru devoir adopter est garantie par le meilleur des deux manuscrits de Leyde, ainsi que par la version d’Al-’Harizi, qui porte: ואין המוםד ההוא כאלו הנשואים. C’est à tort que l’éditeur de cette version a cru devoir compléter le passage dans le sens de la version d’Ibn-Tibbon. Voir aussi la note suivante., de sorte que le résultat final que nous obtiendrions par cette croyance ne serait d’autre chose que l’association(3)C’est-à-dire: la croyance qui admet les attributs affirmatifs aboutirait, en dernier lieu, à admettre dans Dieu des idées diverses associées ensemble. Sur le mot , cf. ci-dessus, chap. LVIII, pag. 239, note 1. Ce mot, rendu en hébreu par שתוף, a été généralement pris, par les commentateurs de la version d’Ibn-Tibbon, dans le sens d’homonymie ; ce qui paraît avoir donné lieu à cette erreur, c’est la variante dont nous avons parlé dans la note précédente, et qui a été reproduite par Ibn-Tibbon. Le sens que les commentateurs attribuent aux paroles de Maïmonide est celui-ci: avec les attributs affirmatifs, on arrive seulement à constater que Dieu est un sujet qui a des attributs, et que sujet et attribut, quand il s’agit de Dieu, ne doivent pas être pris dans le même sens qu’ailleurs, de sorte que nous n’aurions, pour tout résultat, que des mots employés par homonymie, et dont le vrai sens serait inconnu. Cette interprétation est très peu plausible, et le mot , pris dans le sens d’association, nous paraît pleinement confirmer la leçon que nous avons adoptée.. En effet, tout sujet possède indubitablement des attributs, et, quoique un par l’existence, il est (divisé en) deux pour la définition, l’idée du sujet étant une autre que celle de l’attribut(1)C’est-à-dire: dès qu’une chose est désignée comme sujet, elle a nécessairement un ou plusieurs attributs, et, quoique le sujet et l’attribut ne forment ensemble qu’un seul être, ce sont pourtant deux choses distinctes, dont chacune a sa définition. Si je dis, par exemple: cet homme est savant, je parle d’un seul être qui est a la fois homme et savant; mais aux mots homme et savant s’attachent deux idées distinctes, dont chacune a sa définition à part.. Dans quelques chapitres de ce traité on te démontrera clairement que la composition est impossible dans Dieu, mais qu’il est la simplicité pure, au dernier degré.", "Je ne dirai pas, du reste, que celui qui prête à Dieu des attributs affirmatifs le saisisse imparfaitement, ou lui associe (d’autres êtres), ou le saisisse contrairement à ce qu’il est; mais je dirai plutôt que, sans s’en apercevoir, il élimine de sa croyance l’existence de Dieu(2)L’auteur veut dire qu’il ne se bornera pas à reprocher aux partisans des attributs affirmatifs d’avoir de Dieu une idée imparfaite, ou d’associer implicitement à Dieu d’autres êtres et d’admettre en quelque sorte une pluralité dans l’idée divine, ou enfin de se faire de Dieu une idée contraire à la vérité. D’un côté, ces reproches pourraient, à leur propre point de vue, ne pas leur paraître suffisamment fondés; d’un autre côté, notamment en ce qui concerne le troisième reproche, ce serait leur reconnaître sur l’existence de Dieu certaine notion qu’en réalité ils n’ont pas. Le grave reproche qu’on peut justement leur adresser, c’est de faire de Dieu un être imaginaire et de tomber dans l’athéisme.. Je m’explique: celui qui saisit imparfaitement la réalité d’une chose, c’est celui qui en saisit une partie et en ignore une autre, comme, par exemple, celui qui, dans l’idée d’homme, saisit ce qui se rattache à la nature animale, sans saisir ce qui se rattache à la raison; or, dans l’être réel de Dieu il n’y a pas de multiplicité, de manière qu’on puisse en comprendre telle chose et en ignorer telle autre. De même, celui qui associe à une chose (une autre chose), c’est celui qui, tout en se représentant une certaine essence selon sa nature réelle, attribue une nature semblable à une autre essence; or, les attributs en question, selon l’opinion de ceux qui les admettent, ne sont pas l’essence de Dieu, mais des idées ajoutées à l’essence(1)Les partisans des attributs, dit l’auteur, pourraient repousser le reproche d’association, en subtilisant sur le sens de ce mot et en montrant qu’ils n’associent à Dieu aucun autre être, puisqu’ils n’attribuent à aucun être une essence semblable à l’essence divine, et que les attributs qu’ils lui prêtent, tout en faisant partie de l’essence divine, ne sont pas cette essence même. Si, un peu plus haut, l’auteur n’a pas hésité à déclarer que les attributs affirmatifs aboutissent à l’association, il a voulu parler de la multiplicité dans l’idée divine ou de l’association d’idées diverses formant ensemble l’essence de Dieu, tandis qu’ici il s’agit de la pluralité, ou de l’opinion qui admettrait d’autres essences semblables à l’essence de Dieu. Cette distinction est essentielle. Cf. ci-dessus, chap. LVIII, pag. 245, note 2.. Enfin, celui qui saisit une chose contrairement à ce qu’elle est doit nécessairement saisir quelque chose de ce qu’elle est réellement(2)Celui, par exemple, qui déclarerait amer ce qui est doux, conviendrait toujours que c’est une chose qui affecte le goût, et qu’il s’agit d’une qualité; il aurait donc du goût une notion exacte, tandis que celui qui dirait que le goût est une quantité montrerait une complète ignorance de ce que c’est que le goût.; car, si quelqu’un se figurait que le goût fût une quantité, je ne dirais pas qu’il se figure la chose contrairement à ce qu’elle est, mais je dirais qu’il ignore jusqu’à l’existence du goût et qu’il ne sait pas à quoi s’applique ce nom. Ce sont là des considérations très subtiles, qu’il faut bien comprendre.", "Par cette explication tu sauras que celui-là seul saisit Dieu imparfaitement, et est loin de le connaître, qui ne reconnaît pas la non-existence (dans Dieu) de certaines choses que d’autres ont démontré devoir être niées de lui; de sorte qu’à mesure que quelqu’un admet moins de négations, il le saisit moins parfaitement, comme nous l’avons exposé au commencement de ce chapitre. Quant à celui qui prête à Dieu un attribut affirmatif, il ne sait (de lui) rien que le simple nom, mais l’objet auquel, dans son imagination, ce nom s’applique, est quelque chose qui n’existe pas; c’est plutôt une invention et un mensonge, et c’est comme s’il appliquait ce nom à un non-être, car il n’y a dans l’être rien de pareil. Il en est comme de quelqu’un qui, ayant entendu le nom de l’éléphant et ayant su que c’est un animal, désirerait en connaître la figure et la véritable nature, et à qui un autre, trompé ou trompeur, dirait ceci: «C’est un animal avec un seul pied et trois ailes, demeurant dans les profondeurs de la mer; il a le corps transparent, et une face large de la même forme et de la même figure que la face humaine; il parle comme l’homme, et tantôt vole dans l’air et tantôt nage comme un poisson.» Certes, je ne dirais pas que cet homme se figure l’éléphant contrairement à ce qu’il est en réalité, ni qu’il a de l’éléphant une connaissance imparfaite; mais je dirais que la chose qu’il s’imagine être de cette façon est une invention et un mensonge, qu’il n’existe rien de semblable, et qu’au contraire, c’est un non-être auquel on a appliqué le nom d’un être, comme le griffon(1)Les mots ענקא מגרב désignent, chez les Arabes, un oiseau fabuleux, comme notre griffon. Le mot est une épithète sur le sens de laquelle les Arabes eux-même ne sont pas d’accord; mais on croit le plus généralement que cette épithète a été donnée à l’oiseau ’ankâ parce que, dit-on, il emporte bien loin toutes les proies qu’il saisit. Voy. Les oiseaux et les fleurs, par M. Garcin de Tassy, pag. 218 et suiv., etles Séances de Hariri, édit. de MM. Reinaud et Derenbourg, pag. 678, et les notes françaises, ibid., pag. 202. — Les deux traducteurs hébreux ont mis העזניה הנפלאה, en prenant le mot dans le sens de merveilleux, et en voyant dans l’oiseau ’ankâ une des espèces de l’aigle, celle qui, dans le Pentateuque (Lévit., 11, 13, et Deut., XIV, 12), est appelée עזניה. En effet, Saadia, dans sa version arabe du Pentateuque, rend ce mot par ; mais il a été critiqué par Ibn-Ezra, qui fait observer avec raison que l’oiseau ’ankâ, étant un être fabuleux, ne saurait figurer parmi les animaux dont la chair était défendue aux Hébreux. Il paraît néanmoins résulter de l’ensemble de notre passage que Maïmonide aussi croyait que le mot désignait primitivement un être réel; en effet, selon Damiri, cité par Bochart, ce mot désignerait une espèce d’aigle, et serait synonyme de . Voy. Bochart, Hierozoïcon, t. II, pag. 812 (édit de Rosenmüller, t. III, pag. 803)., le cheval-homme (centaure), et d’autres figures imaginaires auxquelles on a appliqué le nom de quelque être réel, soit un nom simple ou un nom composé. Il en est absolument de même ici: en effet, Dieu — qu’il soit glorifié ! — est un être dont l’existence a été démontrée nécessaire, et de l’existence nécessaire résulte (comme conséquence) la simplicité pure, ainsi que je le démontrerai; mais que cette essence simple, d’une existence nécessaire, ait des attributs et soit affectée d’autres choses, comme on l’a prétendu, c’est là ce qui ne peut nullement avoir lieu, comme on l’a démontré. Si donc nous disions que cette essence, par exemple, qu’on appelle Dieu, est une essence renfermant des idées nombreuses qui lui servent d’attributs, nous appliquerions ce nom à un pur non-être. Considère, par conséquent, combien il est dangereux de prêter à Dieu des attributs affirmatifs.", "Ainsi donc, ce qu’il faut croire à l’égard des attributs qu’on rencontre dans le Pentateuque et dans les livres des prophètes, c’est que tous ils n’ont pour but autre chose si ce n’est de nous amener à (reconnaître) la perfection de Dieu, ou bien qu’ils désignent des actions émanant de lui, comme nous l’avons exposé(1)L’auteur, en terminant ici sa discussion sur les attributs, résume encore une fois, dans cette dernière phrase, sa théorie relative aux attributs qu’on rencontre dans l’Écriture sainte. Cf. ci-dessus, à la fin du chap. LIII. — Sur כתאב אלתנזיל, voy. ci-dessus, pag. 206, note 1.." ], [ "Tous les noms de Dieu qu’on trouve dans les livres (sacrés) sont généralement dérivés des actions(1)L’auteur, après avoir montré qu’il faut écarter de Dieu toute espèce d’attributs, ajoute, dans ce chapitre et dans les trois suivants, quelques considérations sur différents noms de Dieu qu’on trouve dans l’Écriture sainte, et qui pourraient être considérés comme des attributs. Il montre que tous les noms sont dérivés des actions de Dieu, à l’exception d’un seul, qui désigne l’essence divine elle-même. Cf. le Khozari, liv. II, §2. Déjà, dans un écrit attribué à Aristote, et qui peut-être faisait partie de ses livres exotériques, nous trouvons un essai analogue d’expliquer les noms des divinités grecques en les appliquant tous à un être unique, conformément aux doctrines philosophiques. Voy. le traité du Monde, chap. 7: Eῖς δἐ ὢ ν πολυὤνομὸς ἐστι, ϰατονομαζόμενος τοῖς πάθεσιν ἅπ’ρ αὐτὸς νςοχοῖ, ϰ. τ. λ.)., ce qui n’est point inconnu. Un seul nom doit être excepté, c’est (celui qui s’écrit par) yod, hé, wâw, hé; car c’est un nom improvisé(2)Les Arabes appellent nom improvisé celui qui a été, dès son origine, le nom propre d’un individu, et qui n’est pas dérivé d’un nom appellatif ou d’un verbe. Voy. Silv. de Sacy, Grammaire arabe, t. I, pag. 268 (2e édition). pour (désigner) Dieu, et qui, à cause de cela, est appelé schem mephorasch(3)Les mots שם המפורש (Mischnâ, IIe partie, traité Yômâ, chap. VI, § 2) signifient sans doute: le nom de Dieu distinctement prononcé, c’est-à-dire, le nom tétragrammate, écrit et lu par les quatre lettre yod, hé, wâw, hé, et qu’on appelle aussi השם המיוחד, ou le nom particulier (Talm. de Bab., Synhedrîn, fol. 56 a; Schebou’ôth, fol. 36 a). Les mots ונקב שם י״י (Lév., XXIV, 16) sont rendus, dans la version chaldaïque d’Onkelos, par ודי פרש שמא די״י, et celui qui PRONONCE le nom de l’Éternel; cf. le commentaire d’Ibn-Ezra: והנה הטעם בעת שיקלל אם יפרש השם יומת «Le sens est: si, en blasphémant, il prononce le nom de Dieu, il sera mis à mort.» Notre auteur entend le mot מפורש dans ce sens que ce nom désigne expressément l’essence divine, et n’est point un homonyme, c’est-à-dire, qu’il ne s’applique pas à la fois à Dieu et à d’autres êtres. Cette interprétation du mot מפורש, adoptée généralement parles théologiens qui ont suivi Maïmonide (cf. Albo, Ikkarîm, II, 28), n’était certainement pas dans la pensée des anciens rabbins., ce qui veut dire qu’il indique expressément l’essence de Dieu, et qu’il n’y a pas là d’homonymie. Quant à ses autres noms glorieux, ils le désignent par homonymie; car ils sont dérivés de certaines actions comme on en trouve de semblables chez nous, ainsi que nous l’avons exposé(1)Voy. ci-dessus, chap LIV, pag. 219 et suiv.. Le nom même (d’ Adônaï), qu’on substitue à celui de yod, hé, wâw, hé(2)On sait que, dès les temps les plus anciens, les Juifs, par un pieux respect pour le nom propre de Dieu, n’osaient pas prononcer ce nom, et lisaient toujours אדני à la place de יהוה; c’est pourquoi déjà les Septante mettent pour ce dernier nom ὁ ϰύρις le Seigneur. Les Masorèthes lui ont donné, pour la même raison, les voyelles du mot אֲדׂנָי, de sorte qu’on lit Iéhova, ce qui n’est pas la vraie prononciation du nom de יהוה· C’est par le même scrupule que l’auteur, au lieu d’écrire ce nom sous sa véritable forme, en épelle les lettres, et écrit toujours: yod, hé, wâw, hé., est également dérivé, (renfermant l’idée) de seigneurie; (on lit par exemple:) L’homme, le Seigneur (אדני) du pays, a parlé, etc. (Genèse, 42, 30). La différence entre Adônî (אֲדׂנִי, mon seigneur), le noun ayant la voyelle i, et Adônaï (אֲדׂנָי), le noun ayant un a long, est la même que celle qui existe entre Sarî (שָׂרִי), signifiant mon prince, et Saraï(שָׂרַי), nom de la femme d’Abrâm (Ibid., 12, 17; XVI, 1); car ce sont là des noms emphatiques et qui embrassent aussi d’autres êtres(3)Littéralement: car il y a en cela emphase et généralité; c’est-à-dire, les noms tels qu’Adônaï et Saraï sont des mots emphatiques, ou, comme disent les grammairiens, des pluriels de majesté, et leur forme même indique que ce ne sont pas primitivement des noms propres appartenant à un seul individu, mais des noms communs s’appliquant à une généralité d’individus. Ainsi, le nom d’Adônaï, qui signifie mes seigneurs, vient nécessairement d’un nom appellatif appartenant à plusieurs individus., et on a dit aussi (en parlant) à un ange: Adônaï (mon seigneur)… ne passe point outre (Ibid., 18, 3). Si je t’ai donné cette explication, particulièrement au sujet (du nom) d’Adônaï, employé par substitution, c’est parce que, de tous les noms de Dieu les plus répandus, c’est celui-là qui lui est le plus propre. Quant aux autres, comme Dayyân (juge), Çaddîk (juste), ’Hannoun (gracieux, clément), Ra’houm (miséricordieux), Èlôhîm(1)Sur ce dernier nom, voy. ci-dessus, chap. II, pag. 37., ce sont évidemment des noms communs et dérivés. Mais le nom qui est épelé yod, hé, wâw, hé, n’a pas d’étymologie connue(2)L’auteur, à l’exemple d’autres théologiens (cf. Khozari, liv. IV, § 3), croit devoir isoler le nom tétragrammate de tous les autres noms de Dieu, et y voir un nom propre, sans étymologie connue, quoiqu’il soit évident que le nom de יהוה renferme le sens d’être (du verbe הוה ou היה), comme celui de אהיה, que l’auteur lui-même fait venir du verbe היה, comme on le verra au chap. LXIII., et ne s’applique à aucun autre être(3)Littéralement: Et il (Dieu) ne l’a point de commun avec un autre.. Il n’est pas douteux que ce nom glorieux, qui, comme tu le sais, ne devait être prononcé que dans le sanctuaire, et particulièrement par les prêtres sanctifiés à l’Éternel(4)Ces mots, que l’auteur met en hébreu, paraissent se rapporter à un passage du 2e liv. des Chroniques, chap. XXVI, V. 18., dans la bénédiction sacerdotale(5)Dans le sanctuaire de Jérusalem, les prêtres, en donnant au peuple la bénédiction prescrite par la Loi (Nombres, chap. 6, V. 24-26), prononçaient le nom tétragrammate tel qu’il est écrit, tandis que, hors du sanctuaire, ils substituaient le nom d’Adônaï. Voy. Mischnâ, IIIe partie, traité Sôtâ, chap. VII, § 6., et par le grand-prêtre au jour du jeûne(6)C’est-à-dire: au jour des expiations, où le grand-prêtre, dans la confession des péchés, prononçait également le nom de יהוה par ses propres consonnes. Voy. Mischnâ, traité Yômâ, l. c.; Talmud de Bab., même traité, fol. 39 b., n’indique une certaine idée à l’égard de laquelle il n’y a rien de commun entre Dieu et ce qui est en dehors de lui; peut-être indique-t-il, — selon la langue (hébraïque), dont il ne nous reste(1)Les manuscrits portent ליםת ענדנא, ce qui est incorrect; il faut écrire לים. aujourd’hui que très peu de chose, et selon la manière dont il était prononcé, — l’idée de l’existence nécessaire. En somme, ce qui fait que ce nom a une si haute importance et qu’on se garde de le prononcer, c’est qu’il indique l’essence même de Dieu, de sorte qu’aucun être créé ne participe à ce qu’il indique(2)Les manuscrits portent généralement לא ישארך אחד; il faut peut-être lire אחר״א, à l’accusatif, de sorte que la traduction littérale serait: en tant qu’il (Dieu) n’a point de communauté, avec aucune des créatures, dans cette indication. Dans un manuscrit, nous lisons ישארכה avec le suffixe. D’après cette leçon il faudrait traduire: …qu’aucune des créatures n’a de communauté avec lui, etc., comme l’ont dit les docteurs, au sujet de ce nom: mon nom, qui m’est particulier(3)L’auteur citera plus loin le passage talmudique qu’il a ici en vue. Voy. pag. 272..", "Quant aux autres noms, ils indiquent tous des attributs, (je veux dire qu’ils n’indiquent) pas seulement une essence, mais une essence ayant des attributs(4)Au lieu de דׄאת צפאת, quelques manuscrits portent דאת להא צפאת, ce qui est peut-être préférable., car ils sont dérivés; et par cela même ils font croire à la multiplicité (dans Dieu), je veux dire, qu’ils font croire qu’il existe des attributs et qu’il y a là une essence et quelque chose qui est ajouté à l’essence. En effet, c’est là la signification de tout nom dérivé; car il indique une certaine idée et un sujet non exprimé auquel se joint cette idée(5)Ainsi, par exemple, les mots clément, juste, tout-puissant, indiquent les idées de clémence, de justice et de puissance, et un sujet auquel se rattachent ces idées, et qui est sous-entendu; par conséquent, ces mots, employés comme noms de Dieu, feraient de Dieu un être composé.. Or, comme il a été démontré que Dieu n’est point un sujet auquel certaines idées soient venues se joindre, on sait que les noms dérivés sont (donnés à Dieu), soit pour lui attribuer l’action, soit pour nous amener à (reconnaître) sa perfection. ", "C’est pourquoi R. ’Hanîna aurait éprouvé de la répugnance à dire: «Le (Dieu) grand, puissant et redoutable,» s’il n’y avait pas eu les deux nécessités dont il parle(1)Voy. ci-dessus, chap. LIX, pag. 254 et 255.; car ces mots pourraient faire croire à des attributs essentiels, je veux dire, à des perfections qui existeraient dans Dieu. Ces noms de Dieu dérivés de ses actions, s’étant multipliés, faisaient croire à certains hommes qu’il avait des attributs nombreux, aussi nombreux que les actions dont ils sont dérivés; c’est pourquoi on a prédit que les hommes parviendront à une perception qui fera cesser pour eux cette erreur, et on a dit: En ce jour-là, l’Éternel sera UN et son nom sera UN (Zacharie, 14, 9), c’est-à-dire: de même qu’il est un, de même il sera invoqué alors sous un seul nom, celui qui indique uniquement l’essence (de Dieu), et ce ne sera point un (nom) dérivé. Dans les Pirké R. Éliézer (chap. 3), on lit: «Avant la création du monde, il n’y avait que le Très-Saint et son nom seul.» Remarque bien comme il dit clairement que ces noms dérivés ne sont tous nés qu’après la naissance du monde; et cela est vrai, car ce sont tous des noms qui ont été établis par rapport aux actions (de Dieu) qu’on trouve dans l’univers; mais si l’on considère son essence, dénuée et dépouillée de toute action, il n’a absolument aucun nom dérivé, mais un seul nom improvisé pour indiquer son essence. Nous ne possédons pas de schem (nom) qui ne soit pas dérivé, si ce n’est celui-là, c’est-à-dire, yod, hé, wâw, hé, qui est le schem ha-mephorasch(2)Voy. ci-dessus, pag. 267, note 3. absolu; ", "il ne faut pas croire autre chose, ni donner accès dans ton esprit à la folie de ceux qui écrivent des kami’ôth(3)C’est-à-dire: des amulettes, renfermant des formules magiques et des noms imaginaires de la divinité, et qu’on portait comme préservatifs contre les maladies. Voy. Mischnâ, IIe partie, traité Schabbâth, chap. VI, § 2, et Talmud de Babylone, même traité, fol. 61 a. b. et à ce que tu entendras d’eux ou que tu liras dans leurs écrits insensés, en fait de noms qu’ils forgent(1)Littéralement: qu’ils cousent ensemble. Au lieu de ילפקונהא, quelques manuscrits portent אלפוהא, qu’ils ont composés. sans offrir un sens quelconque, les appelant schémôth (noms sacrés), et prétendant qu’ils exigent de la sainteté et de la pureté, et qu’ils opèrent des miracles. Toutes ces choses-là sont des fables(2)Au lieu de אבׄבאר qui signifie ici des histoires inventées à plaisir, ou des fables, l’un des manuscrits porte כׄראפאת , ce qui a le même sens; ce mot n’a été rendu dans aucune des deux versions hébraïques. qu’un homme parfait ne devrait pas seulement écouter; et comment donc pourrait-il y croire?", "On n’appelle donc schem ha-mephorasch que ce seul nom tétragrammate, qui est écrit, mais qu’on ne lit pas selon ses lettres. On dit clairement dans le siphrî (à ce verset): Ainsi (כּהׁ) vous bénirez les enfants d’Israël (Nombres, 6, 23): «Ainsi, c’est-à-dire, en ces termes; ainsi, c’est-à-dire, par le schem ha-mephorasch(3)C’est-à-dire: le mot ainsi (כה) signifie que les prêtres doivent réciter la bénédiction dans les termes prescrits, sans y rien changer, et en prononçant le nom tétragrammate tel qu’il est écrit..» On y dit également: «Dans la ville sainte, (on prononce ce nom) tel qu’il est écrit; dans la province, par le nom substitué(4)C’est-à-dire: dans le sanctuaire de Jérusalem, les prêtres, en récitant la bénédiction prescrite, prononcent le véritable nom tetragrammate; mais, hors du sanctuaire central, ils substituent le nom d’Adônaï..» Et dans le Talmud, il est dit(5)Voy. Talmud de Babylone, traité Sôtâ, fol. 38 a.: «Ainsi (כּהׁ) veut dire, par le schem ha-mephorasch; si (doutant encore,) tu demandais: Est-ce réellement par le schem ha-mephorasch, ou seulement par le nom qui lui est substitué? il y aurait, pour te renseigner, ces mots: Et ils mettront MON NOM (Ibid., V. 27), c’est-à-dire, le nom qui m’est particulier.»", "Il est donc clair que le schem ha-mephorasch est ce nom tétragrammate, et que c’est lui seul qui indique l’essence (de Dieu) sans association d’aucune autre idée; c’est pourquoi on a dit à son égard: celui qui m’est particulier. ", "Dans le chapitre suivant, je t’exposerai ce qui a amené les hommes à cette croyance relative aux schémôth (ou noms mystérieux); je t’expliquerai le fond de cette question et je t’en soulèverai le voile, afin qu’il ne reste point d’obscurité à cet égard, à moins que tu ne veuilles t’abuser toi-même." ], [ "On nous a prescrit la bénédiction sacerdotale, dans laquelle le nom de l’Éternel (se prononce) tel qu’il est écrit, et c’est là le schem ha-mephorasch. Il n’était pas su de tout le monde comment on devait le prononcer et par quelle voyelle devait être mue chacune de ses lettres, ni si une de ses lettres devait être redoublée, d’entre celles qui sont susceptibles de l’être(1)Littéralement: si c’est une lettre recevant le TESCHDÎD. Dans le nom de יהוה, il n’y a que les lettres י et ו qui puissent recevoir le teschdîd ou daghesch; car le ה ne le reçoit jamais.; les hommes instruits se transmettaient cela les uns aux autres, je veux dire, la manière de prononcer ce nom, qu’ils n’enseignaient à personne, excepté au disciple d’élite, une fois par semaine(2)Ces derniers mots, écrits en hébreu, se rapportent au passage talmudique que l’auteur va citer.. Je crois que lorsque les docteurs disent(3)Voy. Talmud deBabylone, traité Kiddouschîn, fol. 71 a.: «le nom de quatre lettres, les sages le transmettent à leurs fils et à leurs disciples une fois par semaine,» il ne s’agit pas là seulement de la manière de le prononcer, mais aussi de l’enseignement de l’idée en vue de laquelle ce nom a été improvisé(4)Voy. le chapitre précédent, pag. 267, note 2., et dans laquelle il y a également un mystère divin.", "On possédait aussi un nom qui renfermait douze lettres(1)Le Talmud, comme on le verra plus loin, parle d’un nom divin composé de douze lettres et d’un autre de quarante-deux lettres, sans s’expliquer ni sur le sens de ces noms ni sur les lettres dont ils se composaient., et qui était inférieur en sainteté au nom de quatre lettres; ce qu’il y a de plus probable, selon moi, c’est que ce n’était pas là un seul nom, mais deux ou trois, qui réunis ensemble avaient douze lettres. C’est celui qu’on substituait toutes les fois que le nom de quatre lettres se présentait dans la lecture, ainsi que nous substituons aujourd’hui (celui qui commence par) aleph, daleth. Ce nom de douze lettres avait sans doute aussi un sens plus particulier que celui qu’indique le nom d’Adônaï; il n’était point interdit (de l’enseigner), et on n’en faisait mystère(2)Les mots , qui signifient littéralement et on n’en était pas avare (cf. ci-dessus, au commencement du chap. XVII), ont été omis dans la version d’Ibn-Tibbon, qui porte: ולא היה נמנע מעולם מאחד וכו׳; le mot מעולם est la traduction du mot arabe קט, que nous trouvons en effet dans l’un des manuscrits de Leyde, où l’on lit: ומא כאן קט ממנועא· à aucun des hommes de science, mais (au contraire) on l’enseignait à quiconque désirait l’apprendre. Il n’en était pas ainsi du nom tétragrammate; car aucun de ceux qui le savaient ne l’enseignait jamais qu’à son fils et à son disciple une fois par semaine. Mais depuis que des hommes relâchés, ayant appris ce nom de douze lettres, professèrent par suite de cela des croyances mauvaises(3)Littéralement: perdirent ou corrompirent des croyances; le sens est, que ces hommes, n’ayant pas bien saisi les profonds mystères métaphysiques cachés dans ce nom, furent troublés dans leur foi et arrivèrent à de fausses croyances., — comme il arrive à tout homme non parfait, lorsqu’il apprend que la chose n’est pas telle qu’il se l’était imaginée d’abord, — on cachait aussi ce nom, et on ne l’enseignait qu’aux plus pieux de la classe sacerdotale, pour s’en servir en bénissant le peuple dans le sanctuaire; car déjà, à cause de la corruption des hommes, on avait cessé de prononcer le schem ha-mephorasch, même dans le sanctuaire: «Après la mort de Siméon-le-Juste, disent les docteurs, les prêtres, ses frères, cessèrent de bénir par le nom (tétragrammate)(1)L’auteur relate ce fait, à peu près dans les mêmes termes, dans son Abrégé du Talmud, liv. II, traité Tephillâ, chap. XIV, § 10; je doute cependant que la citation soit textuelle. Le fait est rapporté dans le Talmud de Babylone, Yômâ, fol. 39 b, et Mena’hôth, fol 109 b, et ce sont ces deux passages que l’auteur paraît avoir eus en vue, et où il avait peut-être une leçon différente de celle de nos éditions.»; mais ils bénirent par ce nom de douze lettres. «D’abord, disent-ils (ailleurs)(2)Voy. Talmud de Babylone, Kiddouschîn, fol. 71 a., on le transmettait à tout homme; mais depuis que les hommes téméraires se multiplièrent, on ne le transmettait qu’aux plus pieux de la classe sacerdotale, et ceux-ci le faisaient absorber par les mélodies des prêtres, leurs frères. Rabbi Tarphon dit: Un jour je suivis mon aïeul maternel(3)Au lieu de אבי אמא, le père de la mère, nos éditions du Talmud portent: אחי אמי, le frère de ma mère. sur l’estrade, et, ayant penché mon oreille vers un prêtre, j’entendis qu’il faisait absorber (le nom en question) par les mélodies des prêtres ses frères.»", "On possédait aussi un nom de quarante-deux lettres. Or, tout homme capable d’une idée sait bien qu’il est absolument impossible que quarante-deux lettres forment un seul mot; ce ne pouvaient donc être que plusieurs mots, qui formaient un ensemble de quarante-deux lettres. Ces mots, on ne saurait en douter, indiquaient nécessairement certaines idées qui devaient rapprocher (l’homme) de la véritable conception de l’essence divine, par le procédé dont nous avons parlé(4)C’est-à-dire, en niant de Dieu toute espèce d’imperfection; car c’est là, selon l’auteur, la seule manière de concevoir approximativement l’essence divine. On voit, du reste, à la manière dont s’exprime ici l’auteur, qu’il ne connaissait pas, ou qu’il ne croyait pas authentique, le nom de quarante-deux lettres qui figure dans les livres des cabbalistes, et qui commence par les lettres אבגיתץ, bien que ce nom fût connu déjà, deux siècles avant Maïmonide, à R. Hâya Gaôn, qui en parle dans une de ses Consultations, relative aux noms divins et adressée à l’école de Kairawân. R. Hâya, parlant expressément du nom de אבגיתץ, dit que, bien que ses lettres soient connues, on n’est pas d’accord sur la manière de le prononcer, qu’on ne connaît que par tradition: וזה בן מ״ב אותיות אע״פ שאותיותיו ידועות אין מםור בהגיונו וקריאתו אלא בקבלה וכוי. Voy. le recueil de pièces inédites publié récemment sous le titre de טעם זקנים, par M. Éliézer Aschkenazi (Francfort s. le Mein, 1854, in-8°), fol. 57 a. — Certains cabbalistes ont vu dans les quarante deux lettres, commençant par אבגיתץ, les initiales d’autant d’attributs de Dieu; on en trouve l’énumération dans le commentaire de Moïse de Narbonne, à notre passage.. Si ces mots, composés de lettres nombreuses, ont été désignés comme un seul nom, ce n’est que parce qu’ils indiquent une seule chose, comme tous les noms (propres) improvisés; et, pour faire comprendre cette chose, on s’est servi de plusieurs mots, car on emploie quelquefois beaucoup de paroles pour faire comprendre une seule chose.", "Il faut te bien pénétrer de cela, et savoir aussi que ce qu’on enseignait, c’étaient les idées indiquées par ces (deux) noms, et non pas la simple prononciation des lettres, denuée(1)L’adjectif אלערי, qui est au singulier masculin, se rapporte à אלנטק (la prononciation), et c’est à tort que les deux traducteurs hébreux l’ont rendu au pluriel, comme s’il se rapportait à אלאחרף (les lettres). de toute idée. On n’a jamais appliqué audit nom de douze lettres ni à celui de quarante-deux lettres(2)Dans tous les manuscrits, tant arabes qu’hébreux, le nom de douze lettres précède celui de quarante-deux, et c’est à tort que, dans toutes les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, l’ordre a été interverti. la dénomination de schem ha-mephorasch; celle-ci ne désigne que le nom particulier (tétragrammate), ainsi que nous l’avons exposé. Quant à ces deux autres (noms), ils renfermaient nécessairement un certain enseignement métaphysique, et la preuve que l’un renfermait un enseignement (de ce genre), c’est que les docteurs disent à cet égard(3)Voy. Talmud de Babylone, l. c.: «Le nom de quarante-deux lettres est très saint, et on ne le transmet qu’à l’homme pieux se trouvant dans l’âge moyen, qui ne se met pas en colère, ni ne s’enivre, ni ne persiste dans ses mœurs (mauvaises), et qui parle avec douceur aux créatures. Quiconque connaît ce nom et le garde avec attention et avec pureté est aimé là-haut et chéri ici-bas; il est un objet de respect pour les créatures, son instruction se conserve dans lui, et il a en partage deux mondes, ce monde-ci et le monde futur.» Tel est le texte du Talmud; mais combien le sens qu’on attache à ces paroles est loin de l’intention de leur auteur! En effet, la plupart croient qu’il n’y a là autre chose que des lettres qu’on prononce, mais auxquelles ne s’attache aucune idée, de sorte que ce serait par ces lettres qu’on obtiendrait lesdites choses sublimes, et que ce serait pour elles qu’on aurait besoin de ces dispositions morales et de cette grande préparation dont il a été question, tandis qu’il est clair qu’il ne s’agit dans tout cela que de faire connaître des sujets métaphysiques, de ces sujets qui font partie des mystères de la Torâ, comme nous l’avons exposé(1)Cf. ci-dessus, chap. XXXV, pag. 132. Au lieu de אוצׄחנא, quelques manuscrits portent .. Dans les livres qui ont été composés(2)Dans quelques manuscrits, on lit אלמוצׄועה̈, au lieu de . sur la science métaphysique, il a été exposé qu’il est impossible d’oublier cette science, je veux parler de la perception de l’intellect actif(3)La doctrine d’Aristote sur l’intelligence, qu’il divise en active et passive (voy. Traité de l’Ame, liv. III, chap. 5), a reçu chez les Arabes de grands développements; on a discuté sur la nature de l’intellect matériel ou passif et sur la manière dont cet intellect passe de la puissance à l’acte, et ce qui a surtout occupé les philosophes arabes, c’est la question de savoir si et comment l’intellect en acte peut s’unir à l’intellect actif universel, émané de Dieu, et qui, dans le système des philosophes arabes, est une des intelligences séparées, celle qui préside à l’orbite de la lune. Voir aux endroits indiqués ci-dessus, pag. 146, note 2. Les mots אדראך אלעקל אלפעאל (la perception de l’intellect actif) admettent un double sens: on pourrait entendre par là la perception dont est capable l’intellect humain, devenu intellect en acte, ou bien la perception qui a pour objet l’intellect actif universel, et qui consiste à le comprendre et à s’identifier avec lui. C’est évidemment ce dernier sens qu’il faut admettre, et c’est aussi dans ce sens que notre passage a été expliqué par Moïse de Narbonne: השגת השכל הפועל ירצה בו שישוב הוא הוא ושישיג הנמצאות באופן שישיגם הוא «La perception de l’intellect actif, c’est de devenir lui, et de percevoir les êtres de la manière dont il les perçoit, lui.» Cette perception sublime, résultat de la spéculation métaphysique, et dans laquelle l’intelligent et l’intelligible sont complétement identifiés, n’est point sujette à l’oubli, parce que les facultés inférieures de l’âme, telles que l’imagination et la mémoire, n’y ont aucune part. Abou-Becr ibn-al-Çâyeg, ou Ibn-Bâdja, traitant le même sujet dans sa Lettre d’adieux, dit également (vers, hébr.): אולם החכמה האחרונה אשר הוא הציור השכלי והוא מציאות השכל הנאצל אי אפשר בו השכחה אלא אם יהיה זה יוצא מהטבע וכו׳ «La science dernière, qui est la pure conception intelligible et l’existence même de l’intellect émané, ne saurait être oubliée, à moins que ce ne soit par une exception de la nature, etc.» Voy. le commentaire de Moïse de Narbonne, à notre passage, et l’Appendice du Moré ha-Moré, p. 142 (où, au lieu de וכתב אבונצר, il faut lire וכתב אבובכר), et cf. la IIIe partie de cet ouvrage, chap. LI. Sur l’ensemble de la théorie de l’intellect, on trouvera quelques détails ci-après, au chap. LXVIII.; et c’est là le sens de ces mots: son instruction se conserve dans lui. ", "Mais des hommes pervers et ignorants, ayant trouvé ces textes (talmudiques), y virent un vaste champ pour le mensonge, se disant(1)Littéralement: Il s’élargit pour eux (la faculté) de mentir et de dire, etc. qu’ils pouvaient rassembler telles lettres qu’ils voudraient et dire que c’était un schem (ou nom sacré) qui agirait et opérerait s’il était écrit ou prononcé de telle ou telle manière. Ensuite ces mensonges, inventés(2)Au lieu de אבתדעהא, quelques manuscrits portent אכׄתרעהא, ce qui ne fait pas de différence pour le sens. par un premier homme pervers et ignorant, furent mis par écrit; les écrits ayant été transmis entre les mains d’hommes de bien, pieux mais bornés, et qui n’avaient pas de jugement(1)Le mot מיןאן , qui signifie balance, s’emploie au figuré dans le sens d’intelligence ou de jugement. Ibn-Falaquera a lu מיאז, ou mieux מין ( , discernement); voy. Moré ha-Moré, à la fin de la pag. 151. C’est cette même leçon qu’exprime la version d’Al-’Harizi, qui porte הכרה, tandis que celle d’Ibn-Tibbon a מאזנים, ce qui est d’accord avec la leçon que nous avons adoptée d’après huit manuscrits; un seul, l’un des manuscrits de Leyde, porte מיאזן, mot qui ne signifie rien et qui n’est qu’une faute de copiste, pour מיזאן. pour discerner le vrai d’avec le faux, ceux-ci en firent mystère, et, quand (ces écrits) furent retrouvés dans leur succession, on les prit pour de la pure vérité. Bref, le sot croit à toute chose (Prov., 14, 15).", "Nous nous sommes écartés de notre sujet sublime et de notre spéculation subtile pour nous ingénier à réfuter une folie dont l’absurdité est manifeste pour quiconque a seulement commencé les études; mais nous y avons été amenés nécessairement en parlant des noms (de Dieu), de leur signification et des opinions répandues à leur égard parmi le vulgaire. Je reviens donc à mon sujet, ", "et, après avoir fait remarquer que tous les noms de Dieu sont dérivés, à l’exception du schem ha-mephorasch, il faut que nous parlions, dans un chapitre particulier, du nom (renfermé dans ces mots:) אהיה אשר אהיה, Je suis celui qui suis (Exode, 3, 14); car cela se rapporte au sujet subtil dont nous nous occupons ici, je veux parler de la négation des attributs." ], [ "Nous ferons d’abord une observation préliminaire. Au sujet de ces paroles (de Moïse): S’ils me disent: quel est son nom? que leur répondrai-je (Exode, 3, 13)? (on peut demander d’abord:) comment la chose dont il s’agissait pouvait-elle amener une pareille question (de la part des Hébreux), pour que Moïse dût demander ce qu’il aurait à y répondre? [Quant à ces paroles: Certes ils ne me croiront point et n’obéiront point à ma voix; car ils diront: l’Éternel ne t’est point apparu (Ibid., IV, 1), elles sont très claires; car c’est là ce qu’on doit dire à quiconque prétend être prophète, afin qu’il en produise la preuve.] Ensuite(1)La phrase précédente doit être considérée commo une parenthèse, où l’auteur, pour mieux faire ressortir l’obscurité des paroles de Moïse citées au commencement du chapitre, leur oppose la clarté d’autres paroles rapportées dans le même récit biblique. Ici il reprend les difficultés qu’offrent les paroles citées en premier lieu., si, comme il semble (de prime abord), il s’agit là tout simplement d’un nom à prononcer, il faut nécessairement admettre, ou bien que les Israélites connaissaient déjà ce nom, ou bien qu’ils ne l’avaient jamais entendu. Or, s’il leur était connu, son énonciation ne pouvait pas servir d’argument à Moïse, puisqu’il n’en savait que ce qu’ils en savaient eux-mêmes; si, au contraire, ils n’en avaient jamais entendu parler, qu’est-ce donc alors qui prouvait que ce fût là le nom de Dieu, en supposant même que la simple connaissance du nom pût servir de preuve (en faveur de Moïse)? Enfin, Dieu, après lui avoir appris le nom en question, lui dit: Va et assemble les anciens d’Israël….. et ils obéiront à ta voix (Ibid., III, 16 et 18); puis Moïse lui répondit, en disant: Certes ils ne me croiront point et n’obéiront point à ma voix, quoique Dieu lui eût déjà dit: et ils obéiront à ta voix. Et là-dessus Dieu lui dit: Qu’est ce que tu as dans ta main? et il répondit: Une verge (Ibid., 4, 2).", "Ce qu’il faut savoir, pour que toutes ces obscurités te soient éclaircies, c’est ce que je vais te dire. Tu sais combien étaient répandues en ces temps là les opinions des Sabiens(2)Par le mot צאבה̈ , Sabiens ou Sabéens, notre auteur, à l’exemple d’autres écrivains arabes, désigne les adorateurs des astres, et en général les idolâtres; on trouvera des détails sur les Sabiens dans la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XXIX, où l’auteur dit que la religion des Sabiens embrassait toute la terre., et que tous les hommes alors, à l’exception de quelques uns, étaient livrés à l’idolâtrie, je veux dire qu’ils croyaient aux esprits (des astres) et aux conjurations, et qu’ils faisaient des talismans(1)Par , on entend l’esprit qui préside à un astre ou à une constellation, ainsi que l’apparition de cet esprit; la faculté de faire descendre les esprits des astres dans les idoles ou dans les talismans s’appelle ou simplement . Les talismans (τε έσματα) sont des figures gravées sur une pierre ou sur une plaque, et représentant certaines constellations sous l’influence desquelles on désire se placer.. La prétention(2)Dans la version d’Ibn-Tibbon il faut lire דבר, et non pas כבר, comme l’ont la plupart des éditions; il faut aussi lire בזמנים כלם et effacer le pronom ההם. de quiconque s’arrogeait (une mission divine) s’était de tout temps bornée à ceci: ou bien il soutenait qu’en méditant et en cherchant des preuves il lui avait été démontré qu’un seul Dieu présidait à l’univers entier,—et c’est ainsi que fit Abraham,—ou bien il prétendait que l’esprit d’un astre, ou un ange, ou un autre être semblable, s’était révélé à lui. Mais que quelqu’un se prétendît prophète, (disant) que Dieu lui avait parlé et l’avait envoyé, c’est ce qu’on n’avait jamais entendu avant Moïse, notre maître. Il ne faut pas te laisser induire en erreur par ce qu’on raconte des patriarches, en disant que Dieu leur adressait la parole et qu’il se manifestait à eux; car tu ne trouveras pas ce genre de mission prophétique (qui consiste) à faire un appel aux hommes ou à guider les autres, de sorte qu’Abraham, ou Isaac, ou Jacob, ou ceux qui les précédaient, aient dit aux hommes: «Dieu m’a dit que vous devez faire ou ne pas faire (telle chose)», ou bien: «il m’a envoyé vers vous». Jamais pareille chose n’a eu lieu; au contraire, il ne leur fut parlé d’autre chose que de ce qui les concernait particulièrement, je veux dire, (qu’il s’agissait) de les rendre parfaits, de les diriger dans ce qu’ils devaient faire et de leur annoncer quel serait l’avenir de leur race, mais pas d’autre chose; et eux, ils appelaient les hommes au moyen de l’étude et de l’enseignement(1)C’est-à-dire: pour appeler les hommes à eux et leur faire partager leur propre conviction, ils employaient les moyens de l’étude et de l’enseignement. Au lieu de ידעון, Ibn-Tibbon a peut-être lu ירשדון, car sa traduction porte היו מישרים, ils dirigeaient. Al-’Harizi traduit: היו מיהרים, ce qui n’offre pas de sens convenable; on peut présumer qu’il y a ici une faute de copiste dans le manuscrit unique de la version d’Al-’Harizi., ce qui, selon nous, est clairement indiqué dans ces mots: et le personnel qu’ils s’étaient fait à Haran (Genèse, 12, 5)(2)L’auteur entend par ces mots les personnes qu’Abraham et Sara avaient instruites et converties à leur croyance. La version chaldaïque d’Onkelos dit de même: וית נפשתא דשעבדו לאוריתא בחרן, et les personnes qu’ils avaient soumises à la Loi religieuse à ’Haran. C’est dans le même sens que ce passage a été expliqué par les anciens rabbins; voy.Talmud de Babylone, Synhedrîn, fol. 99 b: כל המלמד את בן חברו הורה מעלה עליו הכתוב כאילו עשאו שנאמר ואת הנפש אשר עשו בחרן Cf. Beréschíth rabba, section 39, vers la fin..", "Lors donc que Dieu se manifesta à Moïse, notre maître, et lui ordonna d’appeler ces hommes (à la foi) et de leur apporter le message en question: «Mais, répliqua celui-ci, ce qu’ils me demanderont tout d’abord, c’est de leur établir qu’il existe un Dieu pour l’univers, et ensuite je pourrai soutenir qu’il m’a envoyé.» En effet, tous les hommes alors, à l’exception de quelques uns, ignoraient l’existence de Dieu, et leur plus haute méditation n’allait pas au delà de la sphère céleste, de ses forces et de ses effets; car ils ne se détachaient pas des choses sensibles et ne possédaient aucune perfection intellectuelle. Dieu donc lui donna alors une connaissance qu’il devait leur communiquer, afin d’établir pour eux l’existence de Dieu, et c’est (ce qu’expriment les mots) EHYÉ ascher EHYÉ (Je suis celui qui suis); c’est là un nom dérivé de HAYA (היה), qui désigne l’existence, car HAYA signifie il fut, et, dans la langue hébraïque, on ne distingue pas entre être et exister. Tout le mystère est dans la répétition, sous forme d’attribut, de ce mot même qui désigne l’existence; car le mot ascher (אשר, qui), étant un nom incomplet qui a besoin d’une adjonction et ayant le sens des mots alladzî et allatî en arabe, exige qu’on exprime l’attribut qui lui est conjoint(1)Dans le système des grammairiens arabes, le pronom relatif est une espèce de conjonction ou d’adjectif conjonctif , qui exige nécessairement après lui, pour complément, une proposition conjonctive, appelée en arabe , adjonction; voy. Silv. de Sacy, Grammaire arabe, t. I, pag. 443 et 444 (2e édition). Dans les mots אהיה אשר אהיה, le second אהיה forme l’adjonction de l’adjectif conjonctif אשר.; et, en exprimant le premier nom, qui est le sujet, par EHYÉ, et le second nom, qui lui sert d’attribut, par ce même mot EHYÉ, on a, pour ainsi dire, déclaré que le sujet est identiquement la même chose que l’attribut. C’est donc là une explication de cette idée: que Dieu existe, mais non par l’existence(2)Voy. ci-dessus, chap. LVII, pag. 232.; de sorte que cette idée est ainsi résumée et interprétée: l’Être qui est l’Être, c’est-à-dire, l’Être nêcessaire. Et c’est en effet ce qu’on peut rigoureusement établir par la voie démonstrative(3)Littéralement: et c’est ce à quoi la demonstration conduit nécessairement., (savoir) qu’il y a quelque chose dont l’existence est nécessaire, qui n’a jamais été non-existant et qui ne le sera jamais, ainsi que j’en exposerai (ailleurs) la démonstration.", "Dieu donc ayant fait connaître à Moïse les preuves par lesquelles son existence pouvait être établie pour leurs hommes instruits [car on dit plus loin: Va et assemble les ANCIENS d’Israël], et lui ayant promis qu’ils comprendraient ce qu’il lui avait enseigné(4)Le texte arabe dit: מא אלקיתה אליך, ce que je t’ai enseigné, et de même la version d’Ibn-Tibbon: מה שהורעתיו לך; sur cette construction irrégulière, où la conjonction sert à introduire un discours direct, et où elle remplace le verbe en disant, voy Silv. de Sacy, Grammaire arabe (2e édition), t. I, p. 568, et t. II, p. 468 (n° 843). On trouve la même construction un peu plus loin: כאנה יקול אן דׄאתך וחקיקתך לא יגׄהלהא אחד. La conjonction grecque ὅτι est quelquefois employée de la même manière, surtout dans le Nouveau-Testament, et de même la conjonction syriaque די ou ד. et qu’ils l’accepteraient [ce qui est exprimé par ces mots: et ils obéiront à ta voix]: «S’il est vrai, répliqua Moïse, que, par ces démonstrations ressortant de l’intelligence, ils admettront qu’il existe un Dieu, par quoi prouverai-je que ce Dieu qui existe m’a envoyé?» Et là-dessus il fut mis en possession d’un miracle(1)C’est le miracle de la transformation de la verge, auquel l’auteur a fait allusion plus haut..— Il est donc clair que les mots quel est son nom ne signifient autre chose si ce n’est: quel est celui par qui tu prétends être envoyé? S’il a dit: quel est son nom? ce n’était que pour s’exprimer d’une manière respectueuse en adressant la parole à Dieu(2)Littéralement: pour exalter et glorifier (Dieu) en lui parlant.; c’est comme s’il eût dit: ton essence réelle, personne ne peut l’ignorer, mais si l’on me demande(3)Tous les manuscrits portent םאלת; mais, ce verbe étant évidemment au passif, nous avons écrit plus correctement סילת . ton nom, quelle est l’idée indiquée par ce nom? C’est que, trouvant inconvenant de dire, en adressant la parole (à Dieu), qu’il pourrait y avoir quelqu’un à qui cet être fût inconnu, il appliquait leur ignorance à son nom, et non pas à celui qui était désigné par ce nom.", "De même le nom de YAH (יה) implique l’idée de l’existence éternelle(4)L’auteur, qui ne s’explique pas clairement, paraît indiquer ici que le nom de YAH (יה) est, comme EHYÉ (אהיה), dérivé du verbe היה, être; ailleurs, cependant, il déclare que יה est une partie du nom tétragrammate (מקצת שם המפורש, voy. Abrégé du Talmud, traité Yesôdé ha-Tôrâ, chap. VI, § 4). Quoi qu’il en soit, ce nom, dit l’auteur, indique l’existence éternelle et exprime l’idée de l’être nécessaire que l’auteur trouve dans le nom d’EHYÉ; c’est ce même sens que l’auteur, à la fin de ce chapitre, attribue expressément au schem ha-mephorasch, quoique plus haut (chap. LXI) il ne se soit prononcé à cet égard que d’une manière dubitative (voy. ci-dessus, pag. 269 et 270). Sur ces différents noms, cf. Khozari, liv. IV, § 3.. — SCHADDAY (שדי) est dérivé de DAY (די), qui signifie suffisance, — p. ex.: la matière était דיס suffisante pour eux (Exode, 26, 7)—; le schîn a le sens d’ascher (אשר), comme, p. ex., dans sche-kebar (שכבר, qui déjà, Ecclés., IV, 2), de sorte que le sens (dudit nom) est אשר די, qui est suffisant, ce qui veut dire qu’il n’a besoin d’aucun (être) en dehors de lui pour que ce qu’il produit arrive à l’existence et continue d’exister(1)Au lieu de אםתמרארה plusieurs manuscrits portent אםתמרארה (avec resch), ce qui est à peu près la même chose; cf. ci-après, à la fin du chap. LXIX., mais que la seule existence de Dieu suffit pour cela. ’HASÎN (חםין), de même, est un nom dérivé, (ayant le sens) de force, p. ex., et il est fort (חםׂן) comme les chênes (Amos, 2, 9). De même ÇOUR (צור) (2)C’est-à-dire: le mot צור, qui signifie rocher, et qu’on emploie quelquefois pour désigner Dieu. Voy. ci-dessus, chap. XVI. est un homonyme, ainsi que nous l’avons expliqué.", "Il est donc clair que tous les noms (de Dieu) ou sont dérivés, ou bien se disent par homonymie comme ÇOUR (צור) et ses pareils(3)Dans la version d’Ibn-Tibbon, on lit צור ואמת; mais le mot אמת, vérité, ne s’emploie jamais comme nom de Dieu. II est vrai que quelques manuscrits arabes ont également צור ואמת; mais ואמת ne paraît être qu’une abréviation du mot arabe ואמתׄאלה, qu’on lit dans plusieurs manuscrits arabes. Al-’Harizi n’a pas rendu ce mot.. Enfin, il n’y a point de nom de Dieu qui ne soit pas dérivé, à l’exception du nom tétragrammate, qui est le schem ha-mephorasch; car celui-ci ne désigne point un attribut, mais une simple existence, et pas autre chose. L’existence absolue renferme l’idée de ce qui est toujours, je veux dire de l’être nécessaire.", "Pénétre-toi bien de tout ce que nous avons dit jusqu’ici." ], [ "Sache que par schem (שם) ou NOM de l’Éternel on désigne souvent (dans l’Écriture) le simple nom, comme, p. ex., dans ces mots: Tu ne proféreras pas le NOM de l’Éternel, ton Dieu, en vain (Exode, 20, 6); Et celui qui aura prononcé le NOM de l’Éternel (Lévit., 24, 16)(1)Cf. ci-dessus, pag. 267, note 3.. Les exemples en sont innombrables. Quelquefois on désigne par là l’essence de Dieu et son véritable être, p. ex.: S’ils me disent: quel est son NOM (Exode, 3, 13)? D’autres fois on désigne par là l’ordre de Dieu, de sorte que, si nous disons NOM de l’Éternel, c’est comme si nous disions PAROLE OU ORDRE de l’Éternel; ainsi, p. ex., les mots car mon NOM est dans lui (Ibid., 23, 21) signifient: ma PAROLE ou mon ORDRE est dans lui, ce qui veut dire qu’il (le messager) est l’instrument de ma volonté et de mon désir. J’expliquerai ces paroles en parlant de l’homonymie du mot Malakh (מלאך) (2)Voy. sur le mot מלאך (messager, ange la IIe partie de cet ouvrage, chap. VI, et ibid., chap. XXXIV, où l’auteur explique tout le passage de l’Exode auquel il fait ici allusion..", "De même, par cabôd (כבוד) ou gloire de l’Éternel on désigne quelquefois la lumière créée que Dieu fait d’une manière miraculeuse descendre dans un lieu pour le glorifier(3)La manifestation visible de la divinité consiste, selon les théologiens, dans une lumière que Dieu fait apparaître dans un lieu et qui est une création miraculeuse; c’est cette lumière qui est appelée Schekhînâ (שכינה, majesté) ou cabôd (כבוד, gloire), et qui apparaît dans le lieu que Dieu choisit particulièrement pour y faire connaître sa présence. Saadia parle également de cette lumière créée que Dieu faisait apparaître dans le sanctuaire pour glorifier ce lieu (להגדיל המקום ההוא); voy. Croyances et Opinions, liv. II, chap. 8 (édit. de Berlin, fol. 33 a). Cf. Ahron ben-Élie, Arbre de la vie, ch. LXIII (édit. de Leipzig, pag. 72). Les spéculations de ce genre remontent en général aux anciens Karaïtes, qui prirent pour guides les théologiens musulmans de la secte des Mo’tazales, et ce fut par l’impulsion des Karaïtes que Saadia et d’autres Rabbanites abordèrent ce genre de questions (voy. ci-après, ch. LXXI). Le Karaïte Abou-’Ali (Jépheth), dans son commentaire arabe sur l’Exode (chap. 19, V. 20), parle longuement de la manière dont il faut entendre la manifestation de Dieu sur le Sinaï; on y lit le passage suivant relatif au cabôd ou a la lumière créée: ודׄלף אנה אםתחאל אן יבון אלכׄאלק גׄל ועלא אלרׄי לא יוצף ולא ולא תחויה אלאמבנה̈ בל לא יגׄוז אן יקאל פיה אנה פי אלעאלם ולא כׄארגׄא ענה אדׄ הדׄא מן אוצאף אלמכׄלוקין אלדׄין תחתוי עליהם אלאמכגה̈ ותלזמהם אלאעראץׄ ואדׄא כאן הדׄא הכדׄא פלא שך פי אן וירד י״י ישיר בה אלי מכׄלוק מחדוד וחצׄרה̈ מוצׄע פי ראשּ ההר «En effet, il est impossible d’admettre qu’il s’agisse ici du Créateur, qui ne peut être ni qualifié ni défini, et qui ne saurait être renfermé dans l’espace. Bien plus, on ne saurait dire de lui qu’il est dans le monde, ni qu’il est hors du monde; car de telles qualifications conviendraient aux créatures, qui sont renfermées dans l’espace et accessibles aux accidents. Cela étant ainsi, il n’y a pas de doute que, par les mots: Et l’Éternel descendit, etc., on n’indique une chose créée et limitée, et sa présence locale sur le sommet de la montagne.» Cf. ci-après, p. 290, note 2. Selon l’opinion que Maïmonide expose ailleurs sur les miracles en général, il faut voir dans ladite lumière créée, ainsi que dans tout ce qui arrive d’une manière miraculeuse, l’effet de la volonté primitive de Dieu, qui, dès le moment de la Création, a disposé les choses de manière à ce que, dans certaines circonstances données, il pût se produire des phénomènes extraordinaires qui nous semblent s’écarter des lois générales de la nature. Ainsi donc les miracles sont les résultats de certaines dispositions physiques établies par Dieu à l’époque de la Création, et non pas l’effet d’une volonté momentanée; car il ne peut survenir aucun changement dans la volonté divine, qui est éternelle et immuable. Voy. ce que l’auteur dit à cet égard dans le dernier des Huit chapitres servant d’introduction au traité Abôth (Porta Mosis de Pococke, pag. 240), et cf. la IIe partie de cet ouvrage, vers la fin du chap. XXIX. Voy. aussi ci-après, chap. LXVI, pag. 296, note 1.; p. ex.: Et la gloire (כבור) de l’Éternel demeura sur la montagne de Sinaï, et le nuage la couvrit, etc. (Ibid., XXIV, 16); Et la gloire de l’Éternel remplissait la demeure (Ibid., 40, 35).—D’autres fois on désigne par là l’essence de Dieu et son véritable être; p. ex.: Fais-moi donc voir ta gloire (Ibid., 33, 18), à quoi il fut répondu: …car l’homme ne peut me voir et vivre (v. 20), ce qui indique que la gloire dont on parle ici est son essence. S’il a dit ta gloire, c’était par respect (pour la divinité), conformément à ce que nous avons exposé au sujet de ces mots: s’ils me disent: quel est son nom(1)Voy. au chap. précédent, pag. 284.? — Enfin on désigne quelquefois par cabôd (כבוד) la glorification dont Dieu est l’objet de la part de tous les hommes, ou plutôt de la part de tout ce qui est en dehors de lui, car tout sert à le glorifier(2)L’auteur s’étant exprimé ici d’une manière trop concise, nous avons dû nous écarter un peu du texte pour en rendre plus complétement la pensée; la traduction littérale serait: ou plutôt, tout ce qui est en dehors de lui le glorifie.. En effet, sa véritable glorification consiste à comprendre sa grandeur, et quiconque comprend sa grandeur et sa perfection le glorifie selon la mesure de sa compréhension. L’homme en particulier le glorifie(3)Le texte porte יעטׄם sans suffixe; de même, on lit dans les mss. de la version d’Ibn-Tibbon יגדיל, tandis que les éditions ont יגדילהו. par des paroles, pour indiquer ce qu’il a compris par son intelligence et pour le faire connaître aux autres; mais (les êtres) qui n’ont pas de perception, comme les êtres inanimés, le glorifient aussi, en quelque sorte, en indiquant par leur nature la puissance et la sagesse de celui qui les a produits, et par là celui qui les contemple est amené à le glorifier, soit par sa langue, soit même sans parler, si c’est un être auquel la parole n’est point accordée(4)Par ces derniers mots, l’auteur fait allusion aux sphères célestes, qui ont la vie et la perception, mais non la parole. Voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. V.. La langue hébraïque s’est donné de la latitude à cet égard, de sorte qu’on applique à l’idée en question le verbe אמר, dire, et qu’on dit même de ce qui n’a pas de perception qu’il loue (Dieu); on a dit, p. ex.(1)Dans quelques manuscrits on lit: אנה םבח וקאל כדׄא כמא קאל, qu’il loue et dit telle et telle chose, ainsi qu’on a dit, etc.; la version d’Ibn-Tibbon exprime cette même leçon: שהוא שבח ואמר כך כמו שאמר.: Tous mes os disent: Éternel, qui est semblable à toi (Ps. 35, 10)? ce qui signifie qu’ils font naître cette conviction, comme s’ils la prononçaient(2)C’est-à-dire, que les os nous donnent cette conviction qu’aucun être n’est semblable à celui qui les a si sagement disposés, et c’est comme s’ils s’exprimaient à cet égard par des paroles., car c’est par eux aussi que cela se sait. C’est dans ce sens (de glorification) attribué au mot cabôd (gloire) qu’on a dit: Toute la terre est remplie de sa GLOIRE (Isaïe, 6, 3), ce qui est semblable à ces mots: Et la terre fut remplie de sa LOUANGE (Habacuc, 3, 3); car la louange est appelée cabôd (gloire), ainsi qu’il a été dit: Donnez la gloire (כבור) à l’Éternel, votre Dieu (Jérémie, 13, 16); Et dans son temple tout dit; GLOIRE (Ps. 29, 9)! Il y en a de nombreux exemples. Il faut te pénétrer aussi de cette homonymie du mot cabôd (gloire) et l’interprêter dans chaque passage selon ce qui convient, et tu échapperas par là à de grandes difficultés." ], [ "Je ne pense pas qu’après être arrivé à ce point et avoir reconnu que Dieu existe, mais non par l’existence, et qu’il est un, mais non pas l’unité(3)L’auteur mentionne ici deux des questions les plus difficiles qu’il ait traitées jusqu’ici (voir au chap. LVII), et il veut dire que le lecteur, après l’avoir suivi dans des sujets aussi profonds et aussi subtils, a à peine besoin qu’on lui explique la question qui forme le sujet du présent chapitre. Après avoir terminé la discussion sur les attributs et les noms de Dieu, l’auteur ajoute, dans ce chapitre et dans les deux suivants, quelques observations sur la parole et l’écriture attribuées à Dieu, et sur ce qu’il faut entendre par le repos du septième jour de la création., tu aies encore besoin qu’on t’expose (la nécessité) d’écarter de Dieu l’attribut de la parole; surtout lorsque notre nation admet d’un commun accord que la Loi est une chose créée(1)Selon les anciens rabbins, la Tôrâ ou la Loi révélée à Moïse avait été créée long-temps avant la création du monde (c’est-à-dire qu’elle était de toute éternité dans les vues du Créateur et destinée d’avance à éclairer successivement tout le genre humain); voy. Beréschîth rabbâ, 1re section; Talmud de Babylone, Schabbâth, fol. 88 b, et passim., ce qui veut dire que la parole attribuée à Dieu est une chose créée(2)C’est-à-dire: que la parole divine, chose réelle et objective qui existe en dehors de l’âme du prophète, est une création miraculeuse, Dieu faisant par miracle retentir l’air de sons qui frappent l’oreille du prophète.Voy. Saadia, Croyances et Opinions, liv. II, chap. 8 (édit. de Berlin, fol. 33 b): וענין הדבור שהוא ברא דבור הגיע באויר אל שמע הנביא או העם «Par parole (divine) il faut entendre que Dieu créait des paroles qui arrivaient à travers l’air à l’oreille du prophète ou du peuple.» De même Abou-’Ali (comment. sur l’Exode, au commencement du ch. XX): ואנמא אלכׄאלק תבארך יהרה אלבלאם פי אלהוא כמא ישא ויקרע בה ארׄן אלםאמעין «Le Créateur fait naître la parole dans l’air, selon sa volonté, de manière à frapper l’oreille de ceux qui écoutent, etc.» R. Iehoudâ ha-Lévi s’exprime dans le même sens (Khozari, liv. I, § 89): וכן יצטיר האויר המגיע אל אזן הנביא בצורות האותיות שהם מורות על הענינים שהוא חפץ להשמיעם אל הנביא או אל ההמון «L’air arrivé à l’oreille du prophète se modifie conformément aux lettres qui indiquent les sujets que Dieu veut faire entendre au prophète ou au peuple.» La même question occupa aussi les anciens théologiens musulmans, qui ont cherché à la résoudre de différentes manières. Voy. Pococke, Specimen hist. Arab., pag. 217; Scharestâni, traduct. allem., tome 1, pag. 42 et 43; Schmœlders, Essai etc., pag. 187, 188 et 198. Sur l’opinion de notre auteur, cf. plus haut, pag. 286, note 3, et ci-après, pag. 296, note 1., et que, si elle a été attribuée à Dieu, ce n’est que parce que le discours entendu par Moïse, c’était Dieu qui l’avait créé et produit comme toutes les œuvres de la création(3)Littéralement: comme il a crée tout ce qu’il a créé et produit.. Il sera parlé plus amplement du prophétisme; ici on a seulement pour but (de montrer) que, si l’on attribue à Dieu la parole, c’est comme quand on lui attribue, en général, des actions semblables aux nôtres. Ainsi donc, pour amener les esprits à (reconnaître) qu’il y a une connaissance divine qu’obtiennent les prophètes, on disait que Dieu leur avait parlé et leur avait dit (telle chose)(1)Littéralement: les esprits furent donc amenés etc… par là (qu’on disait) que Dieu leur avait parlé etc. Le mot באן se rattache au verbe , et il faut sous-entendre qu’on disait, comme s’il y avait באן קיל אן; Ibn-Tibbon a ajouté le mot באמרם., afin que nous sussions que ces choses qu’ils nous rapportaient de la part de Dieu ne venaient pas simplement de leur pensée et de leur réflexion, ainsi qu’il sera exposé (ailleurs). Nous avons déjà touché ce sujet précédemment(2)Voy. ci-dessus, chap. XLVI, pag. 159..", "Ce chapitre a uniquement pour but (de montrer) que les verbes dibber (דבר, parler) et amar (אמר, dire) sont des homonymes. Ils s’appliquent d’abord au langage proprement dit(3)Littéralement: au langage (exprimé) au moyen de la langue.; p. ex.: משה ידבר, Moïse parlait (Exode, 19, 19); ויאמר פרעה, Et Pharaon dit (Ibid., 5, 5). Ensuite ils s’appliquent à la pensée que l’on forme dans l’intelligence, sans l’exprimer; p.ex.: Et j’ai DIT en mon cœur (Ecclés., II, 15); Et j’ai PARLÉ en mon cœur (Ibid.); Et ton cœur PARLERA (Prov., 23, 33); De toi me DISAIT mon cœur (Ps. 27, 8); Et Ésaü DISAIT en son cœur (Genèse, XXVII. 41); il y en a de nombreux exemples. Enfin ils s’appliquent à la volonté; p. ex.: Et il DIT de frapper David (II Sam., 21, 16), — ce qui veut dire, et il VOULUT le frapper, c’est-à-dire, il s’en préoccupait;DIS-tu de me tuer (Exode, 2, 14), — ce qui doit s’expliquer dans le sens de VEUX-tu me tuer?Et toute l’assemblée DIT de les lapider (Nombres, 14, 10); il y en a également de nombreux exemples.", "Toutes les fois que les verbes amar (dire) et dibber (parler) sont attribués à Dieu, ils ont les deux derniers sens, je veux dire qu’ils désignent ou bien la volonté et l’intention, ou bien quelque chose qu’on comprend (être rapporté) de la part de Dieu, n’importe qu’on l’ait appris par une voix créée ou par l’une des voies prophétiques que nous exposerons; et (ils ne signifient) nullement que Dieu ait parlé par des lettres et des sons, ni qu’il ait une âme, pour que les choses puissent s’imprimer dans son âme(1)C’est-à-dire: pour qu’il reçoive des impressions qu’il ait besoin d’exprimer par la parole. de manière à être dans lui quelque chose qui soit ajouté à son essence. Mais on a rattaché ces choses à Dieu, et on les lui a attribuées comme on lui a attribué toutes les autres actions.", "Toutefois, si l’on a désigné l’intention et la volonté (de Dieu) par les verbes amar et dibber, ce n’est pas seulement à cause de ce que nous avons exposé de l’homonymie de ces mots, mais aussi par assimilation à nous, comme nous l’avons fait observer précédemment(2)Voy. ci-dessus, chap. XLVI, pag. 165 et 166. Au lieu de נבהנא, quelques manuscrits portent בינא; de même Al-’Harizi: כמו שביארנו.. En effet, l’homme ne comprend pas de prime abord comment la chose qu’on veut faire peut s’exécuter par la simple volonté; il pense plutôt tout d’abord que celui qui veut qu’une chose soit doit nécessairement la faire lui-même ou ordonner à un autre de la faire. C’est pourquoi on a métaphoriquement attribué à Dieu un ordre, pour exprimer que ce qu’il a voulu s’est accompli, et on a dit: «il a ordonné que telle chose fût, et elle fut»; et cela par assimilation à nos actions, et en ayant égard aussi à ce que ce verbe (dire ou ordonner) indique également le sens de vouloir, ainsi que nous l’avons exposé. Ainsi, toutes les fois qu’on trouve, dans le récit de la création, ויאמר; et (Dieu) dit, cela signifie il voulut ou il lui plut; c’est ce que d’autres ont déjà dit avant nous(3)Selon Moïse de Narbonne, l’auteur ferait allusion à Saadia et au grammairien Ibn-Djanâ’h; en effet, Saadia, dans sa version arabe du Pentateuque, traduit toujours les mots ויאמר אלהים (Genèse, chap. I) par , et Dieu voulut., et c’est très connu. Ce qui en est la preuve, je veux dire (ce qui prouve) que partout ici le verbe amar (dire) désigne la volonté, et non la parole, c’est que la parole ne peut s’adresser qu’à un être qui puisse recevoir l’ordre(1)Toutes les œuvres de la création ne sortirent du néant que par cette parole divine elle-même; par conséquent il n’existait encore aucun être à qui cette parole pût s’adresser, et les mots Dieu dit ne peuvent signifier autre chose si ce n’est Dieu voulut. — Au lieu de אלאקאויל, quelques manuscrits portent אקאליל אלאמר; de même Ibn-Tibbon: מאמרי הצווי.. C’est ainsi que ces mots: Les cieux ont été faits par la parole de l’Éternel (Ps. 33, 6), sont parallèles à ceux-ci: et toute leur armée, par le souffle de sa bouche (ibid.); de même que sa bouche et le souffle de sa bouche sont une métaphore, de même sa parole et son dire sont une métaphore, et on veut dire qu’ils (les cieux) furent produits par son intention et sa volonté. C’est là une chose que n’ignorait aucun de nos savants renommés. Je n’ai pas besoin d’exposer que les verbes amar et dibber, dans la langue hébraïque, sont aussi synonymes (ce qui résulte de ce passage): Car elle a entendu toutes les paroles (אמרי) de l’Éternel, qu’il nous a dites (דבר) (Josué, 24, 27)(2)Le mot אִמְרֵי étant ici employé dans le sens de דִּבְרֵי, et comme régime du verbe דִּבֶּר, il en résulte que les racines אמר et דבר sont synonymes.." ], [ "Et les Tables (dit l’Écriture) étaient l’œuvre de Dieu (Exode, 32, 16): cela veut dire qu’elles étaient une production de la nature, et non de l’art(3)Littéralement: que leur existence était naturelle, et non artificielle. — L’auteur, voulant exposer dans ce chapitre que par l’écriture de Dieu gravée sur les Tables de la Loi on entend, comme par parole de Dieu, la volonté éternelle et immuable de la divinité, doit montrer d’abord que les mots ouvrage de Dieu, appliqués aux Tables, désignent en gènèral une œuvre de la nature, c’est-à-dire, une œuvre créée en même temps que toutes les autres œuvres de la création, et non pas une œuvre nouvellement produite dans un certain moment, comme les choses artificielles.; car toutes les choses naturelles sont appelées œuvre de Dieu; p. ex.: Eux, ils ont vu les œuvres de l’Éternel (Ps. 107, 24); et de même, après avoir mentionné toutes les choses naturelles, telles que plantes, animaux, vents, pluies, etc., (le poète) s’écrie: Que tes œuvres sont grandes, ô Éternel (Ps. 104, 24)! Mais ce qui est encore plus expressif que cette attribution(1)C’est-à-dire, l’attribution renfermée dans les mots œuvres de l’Éternel, et par laquelle tout ce que la nature produit est attribué au Créateur., ce sont ces mots: Les cèdres du Liban, qu’il a plantés (Ibid., V. 16); car, comme ils sont une production de la nature, et non de l’art, on dit que Dieu les a plantés. ", "De même, quand on dit une écriture de Dieu (Exode, 32, 16), il est évident qu’on attribue l’écriture à Dieu; et en effet on dit (que les Tables étaient) écrites du doigt de Dieu (Ibid., 31, 18). On dit ici du doigt de Dieu, de même qu’on dit, en parlant du ciel: l’ouvrage de tes doigts (Ps. 8, 4), bien qu’on dise expressèment qu’il a été fait par la parole: Les cieux ont été faits par la porole de l’Éternel (Ps. 33, 6). Il est donc clair que les textes (sacrés) expriment métaphoriquement par les verbes amar (dire) et dibber (parler) qu’une chose a été produite (par Dieu) et que cette chose-là même qu’on dit avoir été faite par la parole, on l’appelle aussi ouvrage du doigt (de Dieu); ainsi l’expression écrites du doigt de Dieu équivaut à (écrites) par la parole de Dieu, et si, en effet, on avait dit בדבר אלהים, par la parole de Dieu, cela équivaudrait à בחפץ אלהים, c’est-à-dire, par la volonté et l’intention de Dieu.", "Quant à Onkelos, il a adopté à ce sujet une interprétation étrange(1)L’auteur. veut dire qu’Onkelos, qui, dans sa version chaldaïque, cherche toujours à faire disparaître les anthropomorphismes du texte hébreu, s’est écarté ici de sa méthode habituelle, en conservant l’expression de l’original., car il a dit (dans sa version): כתיבין באצבעא די״י, écrites du doigt de Dieu, en considérant le mot doigt comme quelque chose qui est mis en relation avec Dieu, et en interprétant doigt de Dieu comme (il interprète) montagne de Dieu et verge de Dieu; il veut dire par là que ce fut un instrument créé qui grava les Tables par la volonté de Dieu(2)Voici le sens de tout ce passage: Onkelos, en laissant subsister dans sa version les mots doigt de Dieu, devait considérer le mot doigt comme désignant quelque chose de matériel mis en rapport avec Dieu, et non pas quelque chose d’inhérent à l’essence divine, comme la volonté; il devait, par conséquent, avoir pour les mots doigt de Dieu une interprétation analogue à celle qu’il donne à d’autres expressions où quelque chose de matériel est mis en rapport avec Dieu. Ainsi, p. ex., pour les mots la montagne de Dieu (Exode, 3, 1), Onkelos met: la montagne sur laquelle se révéla la gloire de Dieu; pour la verge de Dieu (Ibid., 4, 20), il dit: la verge avec laquelle avaient été faits des miracles de la part de Dieu; et de même l’auteur suppose que, dans la pensée d’Onkelos, les mots doigt de Dieu désignent un instrument qui grava miraculeusement sur les Tables les commandements de Dieu, et qui, comme les Tables elles-mêmes, faisait partie des œuvres de la création.. Je ne sais ce qui l’a engagé à cela; car il était plus simple de traduire: כתיבין במימרא די״י, écrites par la PAROLE de Dieu, conformément à ces mots: Les cieux ont été faits par la parole de l’Éternel. Peut-on, en effet, trouver l’existence de l’écriture sur les Tables plus extraordinaire que celle des astres dans les sphères? De même que cette dernière est l’effet d’une volonté primitive (de Dieu), et non d’un instrument qui aurait fabriqué (les astres), de même cette écriture a été tracée par une volonté primitive, et non par un instrument. Tu connais les termes de la Mischnâ dans (ce passage): «Dix choses furent créées (la veille du Sabbat) au coucher du soleil, etc.»; de leur nombre étaient l’Écriture (sainte) et l’écriture (gravée sur les Tables)(1)Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Abôth, chap. V, § 6. Les mots הכתב והמכתב, qui, l’un et l’autre, signifient écriture, ont été diversement interprétés; plusieurs commentateurs ont vu dans כתב les figures des lettres tracées sur les Tables, et dans מכתב la manière dont étaient tracées ces lettres, lisibles de tous les côtés des Tables. Nous avons dû adopter ici l’interprétation que notre auteur donne lui-même dans son Commentaire sur la Mischnâ, et qu’il fait précéder d’une observation générale sur la préexistence des dix choses en question et de tous les autres miracles (Cf. ci-dessus, chap. LXIV, pag. 287, à la fin de la note). Nous citons textuellement ce passage du Commentaire, d’après l’original arabe: קד דׄכרת לך פי אלפצל אלתׄאמן אנהם לא יעתקדון בחרותׄ אלמשיה̈ פי כל חין בל פי אול עמל אלאשיא גׄעל פי טביעתהא אן ינעמל פיהא כל טא אנעמל סוי אן אלשי אלדׄי אנעמל אכתׄרי והו אלאמר אלטביעי או כאן פי אלנאדר והי אלמעגׄזה̈ ולדׄלך קאלוא אן פי אליום אלםארם גׄעל ללארץׄ אן תכׄםף בקרח וללחגׄר אן תכׄרגׄ אלמא וללאתון אן תכלם וכדׄלך םאירהא וכתב הי אלתורה אלמכתובה̈ בין ידיה תעאלי ולם נעלם כיף והו קולה ואתנה לך את לוחות האבן ומכתב הי אלבתאבחׄ אלתי עלי אללוחות כמא קאל והמכתב מכתב אלהים הוא «J’ai déjà dit, dans le VIIIe chapitre (cf. la note précitée), qu’ils n’admettaient pas qu’il y eût chaque fois une nouvelle intervention de la volonté (divine), mais (qu’on croyait) au contraire que, dès le moment où les choses furent produites (par le créateur), elles furent naturellement disposées de manière à se prêter à tout ce qui s’y est opéré ensuite, n’importe que la chose qui devait s’opérer arrivât fréquemment, et c’est là (ce qu’on appelle) une chose naturelle, ou qu’elle arrivât rarement, et alors c’est le miracle. C’est pourquoi ils disent que dès le sixième jour (de la Création) tout fut disposé de manière à ce que la terre engloutît Kora’h, que la pierre fît jaillir de l’eau, que l’ânesse parlât, et ainsi de suite. — Par kethâb (בתב) on entend la Loi, qui était écrite devant Dieu, nous ne savons comment, ainsi qu’il résulte de ce passage: Et je te donnerai les Tables de pierre, etc. (Exode, 24, 12); par mikhtâb (מכתב) on entend l’écriture qui était sur les Tables, ainsi qu’il est dit: Et l’écriture était une écriture de Dieu (Ibid., 32, 16).», ce qui prouve qu’une chose sur laquelle on a été généralement d’accord, c’est qu’il en est de l’écriture des Tables comme de toutes les autres œuvres de la création, comme nous l’avons exposé dans le Commentaire sur la Mischnâ." ], [ "Puisque le verbe amar (dire) a été métaphoriquement employé pour la volonté (se manifestant) dans tout ce qui fut produit pendant les six jours de la création, de sorte qu’on a dit chaque fois: ויאמר, et Dieu dit, on a aussi appliqué à Dieu le verbe schabath (שבת. cesser, se reposer), en parlant du jour de sabbat, pendant lequel il n’y eut pas de nouvelle création, et on a dit: Et il cessa ou se reposa (וישבת) au septième jour (Genèse, 2, 2); car on emploie aussi le verbe schabath dans le sens de cesser de parler; p. ex.: Et ces trois hommes cessèrent (וישבתו) de répondre à Job (Job, 32, 1).", "De même on trouve le verbe noua’h (נוח, être tranquille, se reposer) employé dans le sens de cesser de parler, comme, p. ex., dans ce passage: Et ils dirent à Nabal, au nom de David, toutes ces paroles, puis ILS SE TINRENT TRANQUILLES (וינוחו) (I Sam., 25, 9), ce qui signifie, selon moi: ils cessèrent de parler pour entendre la réponse. En effet, on n’a point raconté précédemment qu’ils se fussent fatigués; de sorte que, quand même ils se seraient réellement fatigués, le mot וינוחו (dans le sens de ils se reposèrent) serait toujours fort impropre(1)On appelle (étranger) un mot ou une expression qui ne convient pas à l’ensemble de la phrase, et qui dérange soit la structure grammaticale, soit la suite des idées. Cf. Silv. de Sacy, Grammaire arabe (2e édition), t. II, pag. 161, note 1, et pag. 208, note 1. dans ce récit. Mais on ne fait ici que rapporter qu’après avoir habilement disposé(2)Au lieu de םרדוא (de , bene disposuit narrationem), un manuscrit a טרדוא, et un autre םמעוא; ces deux variantes n’offrent pas de sens convenable. tout ce discours, dans lequel il y avait tant d’affabilité, ils se turent, c’est-à-dire, qu’ils n’ajoutèrent à ce discours rien autre chose, ni aucune action qui méritât la réponse qu’il leur fit; car le but de ce récit est de décrire sa bassesse(1)Le mot לום doit se prononcer (venant de ); un manuscrit a לאמה̈ ce qui est la même chose. Al-’Harizi a rendu ce mot par נבלות, et sa traduction est ici plus exacte que celle d’Ibn-Tibbon, qui porte גנות; ce dernier mot correspond à , blâme., parce qu’il était d’une bassesse extrême. ", "— C’est aussi dans ce sens (de cesser ou s’arrêter) qu’il a été dit וַיָּנַח ביום השביעי (Exode, 20, 11)(2)L’auteur veut dire que ces mots doivent être traduits: et il cessa (ou s’arrêta) le septième jour.. ", "Cependant les docteurs et d’autres commentateurs ont pris ce mot (וַיָּנַח) dans le sens de repos et en ont fait un verbe transitif; les docteurs disent: «Il fit reposer son univers au septième jour(3)Voy. Beréschîth rabba, sect. 10, à la fin: כל זמן שהיו ידי קוניהם ממשמשים בהם היו מותחים והולכים כיון שנחו ידי קוניהם מהן נתן להם נחת וינח לעולמו ביום השביעי.», c’est-à-dire, la créationfut arrêtée(4)Au lieu de אנקטע, quelques manuscrits ont אנקטאע, a l’infinitif; de même Ibn-Tibbon: הִפָּםֵק. Al-’Harizi a פםקה, ce qui s’accorde avec notre leçon. en ce jour. ", "Il est possible que ce soit un verbe ayant pour première ou pour troisième radicale une lettre faible(5)C’est-à-dire, un verbe irrégulier de la classe פ״י ou de la classe ל״ה, de sorte que la racine serait ינח ou נחה., et que le sens soit: «Il affermit, ou il fit durer(6)Dans le premier cas, וַיָּנַח serait l’aoriste de הִנִּיחַ, il posa ou affermit (que les grammairiens font venir de la racine ינח); dans le second cas, il viendrait de הִנְחָה, il conduisit, étendit, prolongea. l’univers tel qu’il était au septième jour ”; ce qui voudrait dire qu’à chacun des six jours il survint des événements (qui étaient) en dehors (de la loi) de la nature(1)Les mots כׄארגׄא ען הדׄה אלטביעה̈ signifient en dehors de cette nature; le sens est: il survint des événements extraordinaires, qui n’étaient point conformes aux lois de la nature telles qu’elles nous apparaissent dans la création achevée, car ces lois n’étaient pas encore établies. Ibn-Tibbon traduit: יוצאים מזה הטבע, ce qui peut s’interprêter dans le sens que nous venons d’indiquer; cependant il eût mieux valu dire חוץ מזה הטבע, car יוצאים correspondrait à כׄארגׄה̈, tandis que tous les manuscrits portent כׄארגׄ, ce qui n’est qu’une faute d’orthographe, pour כׄארגׄ״א (car le א de l’accusatif adverbial est souvent omis dans les manuscrits). Al-’Harizi a fait un contre-sens en traduisant: יוצאים מבח זה הטבע, c’est-à-dire, qui sortaient ou émanaient de la faculté de cette nature. telle qu’elle est établie et qu’elle existe maintenant dans l’ensemble de l’univers, mais qu’au septième jour tout se consolida et prit la stabilité actuelle(2)Littéralement: la chose devint stable et s’affermit telle qu’elle est maintenant.. On ne saurait nous objecter(3)Il faut lire ינקץׄ (avec ץׄ ponctué), verbe qui signifie renverser, réfuter; Ibn-Tibbon, qui traduit ce mot par יפחות, l’a pris dans le sens d’amoindrir, en lisant ינקץ (sans point sur le ץ), comme on le trouve en effet dans plusieurs manuscrits. Le sujet de ce verbe est , et le mot קולנא en est le régime; le sens est: cette circonstance, qu’il n’est pas conjugué comme etc… ne renverse pas notre dire. que le mot en question n’est pas conjugué comme le sont les verbes ayant pour première ou pour troisième radicale une lettre faible(4)En effet, l’aoriste de הִנִּיחַ serait וַיַּנַּה, et celui de הִנְחָה serait וַיֶּנַח (comme דַיֶּגֶל); ainsi, en admettant l’interprétation qui vient d’être donnée, la forme וַיָּנַח serait irrégulière.; car il y a quelquefois des formes verbales qui s’écartent (de la règle) et qui ne suivent pas l’analogie, et surtout dans ces verbes faibles. Et d’ailleurs, quand il s’agit de faire disparaître un pareil sujet d’erreur, on ne saurait opposer une règle de conjugaison(1)Littéralement: Et enlever ou écarter une chose qui tellement induit en erreur (et quelque chose qui) ne saurait être rendu vain par une règle de conjugaison; c’est-à-dire: la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d’écarter du verbe וינח l’idée de repos, afin de ne pas donner lieu à croire que Dieu soit sujet à la fatigue et ait besoin de repos, cette nécessité est beaucoup trop grave pour qu’elle doive céder devant une règle de conjugaison.—Au lieu du mot רפע, au commencement de la phrase, quelques manuscrits ont דפע, avec daleth, ce qui ne modifie point le sens., surtout lorsque nous savons que nous n’embrassons point aujourd’hui la connaissance (complète) de notre langue et que (d’ailleurs) les règles de toute langue sont une chose de pluralité(2)C’est-à-dire: les règles ne sont jamais générales et s’appliquent seulement à la pluralité des cas, de sorte qu’il est permis d’admettre des exceptions. L’adjectif (dérivé de ) désigne ce qui se rapporte au plus grand nombre, ce qui est le plus fréquent. Cf. plus loin, chap. LXXII (fol. 101 b de notre texte): והדׄא אכתׄרי פי הדׄא אלצנף, et cela est très fréquent dans cette espèce; de même, IIe partie de cet ouvrage, au commencement du chapitre XX: אלאמור אלאתפאקיה̈ ליםת דאימה̈ ולא אבתׄריה̈, les choses du hasard n’arrivent ni continuellement, ni même le plus fréquemment; IIIe partie, au commencement du ch. XXXIV: אלאמור אלאכתׄריה̈, les choses qui arrivent le plus souvent (par opposition à אלאמר אלקליל אלוקוע, la chose qui arrive rarement). Voy. aussi, dans le passage cité au chapitre précédent, p. 296, note 1, les mots םוי אן אלשי אלדׄי אנעמל אכתׄרי.—Ibn-Tibbon ne paraît pas avoir saisi, dans notre passage, le vrai sens du mot אכתׄריה̈, qu’il traduit par רבים; Ibn-Falaquera (Appendice du Moré ha-Moré, pag. 132) propose de rendre ce mot par רֻבִּיִים, adjectif dérivé du mot רׄב signifiant la plupart, le grand nombre. Al-’Harizi rend le mot en question par מוםכמות, c’est-à-dire, que les règles de toute langue sont conventionnelles, ce qui s’écarte également du sens véritable du passage.. Nous trouvons du reste dans cette racine, même en lui donnant pour deuxième radical une lettre faible(3)C’est-à-dire, même en admettant que le mot וַיָּנַח est un verbe ע״ו, venant de la racine נוח., le sens de poser et d’affermir; p.ex.: וְהֻנִּיחָה שׁם, et elle sera POSÉE (Zacharie, 5, 11); de même: Et elle ne permit pas aux oiseaux du ciel de se POSER (לנוח) sur eux (II Sam., 21, 10). Tel est aussi, selon moi, le sens (de ce verbe) dans: אשר אָנוּחַ ליום צרה, car j’attends FERME (ou TRANQUILLE) le jour du malheur (Habacuc, 3, 16)(1)Il n’est pas facile de dire comment l’auteur a entendu l’ensemble du passage de Habacuc; mais l’essentiel pour lui, c’est d’expliquer le mot אנוח dans le sens de rester ferme, ou tranquillement posé, et non pas dans celui de se reposer. Cf. le Commentaire de R. Tan’houm de Jérusalem (pag. 85 de mon édition): נםתקר נחן ונבקא חתי ננטׄר יום שדתהם, Nous serons tranquilles et nous resterons là à attendre le jour de leur malheur..", "Quant au mot wayyinnaphasch (וינפש, Exode, 31, 17), c’est un niph’al de néphesch (נֶפֶש) (2)C’est-à-dire, un verbe passif, ou neutre, dérivé du substantif נפש, âme.. Nous avons déjà exposé que néphesch est un homonyme, et qu’il est (employé) dans le sens d’intention et de volonté(3)Voy. ci-dessus, chap. XLI.; par conséquent (le verbe וינפש) signifie que son intention s’était accomplie et que toute sa volonté avait été exécutée." ], [ "Tu connais cette célèbre proposition que les philosophes ont énoncée à l’égard de Dieu, savoir qu’il est l’intellect, l’intelligent, et l’intelligible(4)En d’autres termes: il est la pensée, le sujet qui pense et l’objet qui est pensé, c’est-à-dire, il est la pensée absolue ayant pour objet elle-même. La célèbre proposition dont parle l’auteur, et qui a été longuement développée par les philosophes arabes, remonte à Aristote, qui, dans sa Métaphysique (liv. XII, chap. 7 et 9), expose que dans toute intelligence en acte, et par conséquent dans le premier moteur, qui est l’énergie absolue, il y a toujours identité parfaite entre ce qui pense et ce qui est pensé. Le premier moteur, ou Dieu, est la pensée suprême se pensant elle même; en lui, la pensée est elle-même son objet, et la pensée divine, dit Aristote, est la pensée de la pensée (αὑτòν ἄρϰ νοει̃, εἴπερ ὲστὶ τὸ ϰράτιστον, ϰαὶ ἔστιν ἡ νόησις νοήσεως νόνσις, chap. 9).— L’auteur, après avoir longuement insisté, dans les chapitres précédents, sur la nécessité d’écarter de Dieu toute espèce d’attribut et tout ce qui peut porter atteinte à son unité et à sa simplicité absolue, montre dans ce chapitre que la proposition en question n’implique point de multiplicité dans l’idée divine, et que, dans elle, l’intellect, l’intelligent et l’intelligible sont une seule et même chose. Ici, comme ailleurs, l’auteur marche sur les traces des péripatéticiens arabes, et notamment d’Ibn-Sînâ, son guide habituel. Cf. l’analyse de la philosophie d’Ibn-Sînâ donnée par Schahrestâni, dans son Histoire des sectes religieuses et philosophiques, pag. 376 et suiv. du texte arabe (trad. allem., t. II, pag. 255 et suiv.)., et que ces trois choses, dans Dieu, ne font qu’une seule et même chose, dans laquelle il n’y a pas de multiplicité. Nous aussi, nous en avons déjà parlé dans notre grand ouvrage(1)L’auteur veut parler de son Mischné Tôrâ, ou Abrégé du Talmud, où, dès les premières lignes, il établit l’existence et l’unité absolue de Dieu (voy. traité Yesôdé ha-Tôrâ, chap. 1).; car c’est là la base de notre religion, comme nous l’y avons exposé, je veux parler de ce qu’il est un seulement et qu’aucune autre chose n’est en relation avec lui(2)Cf. ci-dessus, chap. LII, pag. 200., c’est-à-dire qu’il n’y a rien d’éternel que lui. C’est pour cela qu’on dit חי י״י (par le vivant Dieu!), et qu’on ne dit pas חֵי י״י (par la vie de Dieu!)(3)Les mots חַי י״י signifient, selon l’auteur: par le vivant Dieu, de sorte que les deux mots désignent une seule chose, et expriment que Dieu et sa vie sont parfaitement identiques; sa vie étant son essence; les mots חֵי י״י, vie de Dieu, établiraient une relation entre Dieu et la vie, comme entre deux choses qui seraient distinctes dans la pensée. Aussi, dit l’auteur, ne trouve-t-on jamais dans l’Écriture l’expression חֵי י״י, par la vie de Dieu! qui serait analogue à חֵי פרעח (Genèse, 42, 15), par la vie de Pharaon! mais on dit toujours חַי י״י, et de même חַי אלהים (II Sam., 2, 27), חַי אל (Job, 27, 2). L’observation de Maïmonide se confirme surtout, d’une manière frappante, par des passages où les deux expressions se trouvent a côté l’une de l’autre, comme, par exemple: חַי י״י וחֵי נפשך (I Sam., 20, 3; XXV, 26), par le vivant Dieu et par ta propre vie!; car sa vie n’est rien d’autre que son essence, comme nous l’avons déjà expliqué en écartant les attributs(1)Voy. ci-dessus, chap. LIII (pag. 213), chap. LVII (pag. 232), et passim.. ", "Sans doute, celui qui n’a pas étudié les livres traitant de l’intellect, qui n’a pas saisi l’essence de l’intellect, qui n’en connaît pas le véritable être et qui n’en comprend qu’autant qu’il comprend de l’idée de blanc et de noir, aura beaucoup de peine à comprendre ce sujet, et quand nous disons que Dieu est l’intellect, l’intelligent et l’intelligible, ce sera pour lui comme si nous disions que la blancheur, la chose blanchie et ce qui blanchit sont une seule et même chose(2)Moïse de Narbonne fait observer que cet exemple n’est pas bien choisi, car la blancheur n’est pas ce qui exerce une action sur l’objet blanchi, comme l’intelligence sur l’objet intelligible; mais c’est à dessein, il me semble, que l’auteur prend un exemple dans les choses familières aux intelligences même les plus vulgaires, et qu’il fait dire des choses absurdes aux ignorants qui osent s’attaquer aux questions philosophiques les plus élevées.. Et en effet, combien y a-t-il d’ignorants qui se hâteront(3)La version d’Ibn-Tibbon porte יתחילו, commenceront, ce qui est inexact; cf. ci-dessus, pag. 110, note 4. de nous réfuter par cet exemple et par d’autres semblables! et combien même y en a-t-il qui, tout en prétendant à la science, trouveront cette chose-là difficile et croiront qu’il est au dessus de notre esprit d’en reconnaître la vérité absolue(4)Littéralement: et croiront que reconnaître la vérité de la nécessité de cela (c’est-à-dire, reconnaître que ladite proposition est nécessairement vraie), c’est une chose qui dépasse les esprits.! Cependant c’est là un sujet démontrable et évident, selon ce qu’ont exposé les philosophes métaphysiciens, et je vais te faire comprendre ce qu’ils ont établi par la démonstration.", "Sache que l’homme, avant de penser une chose, est intelligent en puissance(1)L’auteur aborde ici un sujet qui, comme il le dit lui-même a la fin de ce chapitre, ne peut être bien compris que par ceux qui connaissent la philosophie péripatéticienne, et notamment la partie relative à l’âme et à ses facultés. Sans entrer ici dans des développements que ne comporteraient pas les limites d’une note, il sera nécessaire, pour mieux faire comprendre le raisonnement de l’auteur, de rappeler brièvement la théorie aristotélique de l’intelligence et les développements que cette théorie a reçus chez les philosophes arabes que notre auteur a pris pour guides. — En considérant les différentes facultés de l’âme énumérées par Aristote, nous y remarquons une progression successive du moins parfait au plus parfait, de telle sorte que chaque faculté supérieure suppose la faculté inférieure, dont elle rend l’action plus complète, et que l’une est à l’autre ce que l’énergie ou l’acte est à la puissance, ou ce que la forme est à la matière. On peut distinguer trois facultés principales de l’âme: la nutrition (τὸ θρεπτιϰόν sc. μόριον), à laquelle se borne la vie des plantes; la sensibilité (τὸ αἰσθητιϰόν), qui appartient à tous les animaux, et la raison (τὸ διανοητιϰόν), qui appartient à l’homme seul (Traité de l’Ame, liv. II, chap. 2); la troisième faculté ne saurait exister sans la seconde, ni celle-ci sans la première. La nutrition a pour objet les choses matérielles; par cette faculté l’animal s’assimile les choses extérieures elles-mêmes, tandis que par la sensibilité il ne reçoit que les formes des choses, de même que la cire ne reçoit que la forme du cachet, et non sa matière. La raison, ou la pensée, est aux choses intelligibles ce que la sensibilité est aux choses sensibles; mais par les sens nous ne connaissons que les individus ou les formes individuelles; nous savons que les choses sont, mais nous ne savons pas pourquoi elles sont; c’est la raison qui reconnaît les formes générales et les causes. L’âme, dit Aristote, c’est-à-dire la partie intelligente de l’âme, est le lieu des formes (τόπος εὶδῶν). Devant dominer tout, la raison n’a pas d’organe corporel particulier; il faut qu’elle soit impassible, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas affectée par les choses extérieures, mais qu’elle soit capable de recevoir la forme des objets. Ces formes, elle ne les possède pas tout d’abord en acte, c’est-à-dire en toute-réalité, mais seulement en puissance (Ibid., liv. 3, chap. 4). De même que dans tous les êtres on distingue d’une part la matière, ou ce qui est en puissance, et d’autre part la forme, ou la cause qui fait que ce qui est en puissance passe à l’acte, de même il faut nécessairement que ces différences se retrouvent dans la partie rationnelle de l’âme ou dans l’intelligence. Aristote distingue donc deux intellects, l’un passif (νοῦς παθητιϰός), l’autre actif (νοῦς ποιητιϰός). L’intellect passif tient le milieu entre la sensibilité et l’imagination, d’une part, et l’intellect actif, d’autre part; c’est ce dernier surtout qui est séparé (des facultés inférieures de l’âme), impassible, sans mélange avec quoi que ce soit, étant en acte par son essence même (ϰαὶ οὗτος ὁ νοῦς χωριστὸς ϰαὶ ἀπαθὴς ϰαὶ ἀμιγής, τῇ ονσίᾳ ὢν ἐνεργείᾳ. Ibid., chap. 5). Aristote ne nous dit pas clairement d’où vient cet intellect actif, ni comment il est perçu par l’intellect passif; mais il semble y voir quelque chose de divin, qui vient du dehors par le premier moteur.Voy. le traité de la Génération des animaux, liv. II, chap. 3: λείπεται δὲ τὸν νοῦν μóνον θύραθεν ἐπεισιέναι ϰαὶ θει̃ον εἶναι ϰ. τ. λ.; cf. Trendelenburg, Arist. de Animá, pag. 496. C’est par le secours de cet intellect actif que toute intelligence individuelle accomplit le travail de la pensée, et, passant de la puissance à l’acte, elle s’approprie les formes des choses et s’identifie avec elles. Ces formes intelligibles, objet de la pensée, sont elles-mêmes la pensée; car l’intelligence en acte ne saurait être affectée par quelque chose en dehors d’elle, et elle doit puiser en elle-même ce qu’elle a pour objet. L’intelligence donc, dans son entéléchie ou dans toute sa réalité, se pense elle-même. Voy. Aristote, Métaphysique, liv. XII, chap. 7: αὑτὺν δἐ νοει̃ ὁ νοῦς ϰατὰ μετάληψιν τοῦ νοητοῦ νοητὸς γὰρ γίγνεται θιγγάνων ϰαὶ νοῶν ὣστε ταὐτὸν νοῦς ϰαἰ νοητὀν. Cf. Traité de l’Ame, liv. III, à la fin du chap. 4. Telle est, en substance, la théorie d’Aristote; l’obscurité qui règne dans cette théorie, notamment en ce qui concerne la nature de l’intellect actif et son union avec l’intellect passif, a donné lieu, parmi les commentateurs, à de longues discussions et aux opinions les plus diverses, et les philosophes arabes, confondant ici comme ailleurs les théories d’Aristote avec celles de ses commentateurs néoplatoniciens, ont élaboré, sur le sujet qui nous occupe, une doctrine nouvelle qui s’est répandue ensuite parmi les scolastiques.Voici, en résumé, la théorie des philosophes arabes, qui diffèrent entre eux sur plusieurs points essentiels. La faculté spéculative ou la raison théorique, la plus élevée d’entre les facultés de l’âme rationnelle (voy. ci-dessus, pag. 210, note 1), reçoit l’impression des formes isolées de la matière, soit des formes générales qu’elle abstrait des choses matérielles et individuelles, soit des êtres immatériels et impérissables, qui sont en eux-mêmes des formes abstraites (comme, par exemple, les intelligences séparées). Cette faculté, appelée intellect par excellence, se développe graduellement, en parcourant divers degrés où l’inférieur est à celui qui lui est supérieur ce que la matière est à la forme, ou ce que la puissance est à l’acte. Les philosophes arabes distinguent généralement trois degrés de développement, ou trois intellects: 1° L’intellect hylique ou matériel , qui est la simple disposition qu’a l’intellect pour abstraire les formes; c’est une simple puissance qui n’a pas encore commencé à passer à l’acte, et qui est appelée hylique parce qu’elle peut être comparée à la matière (ὕλη) disposée à recevoir la forme. Cet intellect hylique est le νοῦς παθητιϰός d’Aristote dans toute son abstraction. Les opinions des philosophes arabes sont divisées sur la nature de l’intellect hylique: les uns, invoquant l’autorité d’Alexandre d’Aphrodise, n’y voient qu’une pure disposition se rattachant aux autres facultés de l’âme, et qui est périssable comme elles, et cette opinion est adoptée par Maïmonide (voir ci-après, chap. LXX); les autres, prenant pour guide Thémistius, soutiennent que, puisque l’intellect passif ou hylique doit, selon Aristote, être sans mélange (ἀμιγής) avec les autres facultés de l’âme, il faut que ce soit une disposition ayant pour substratum une substance séparée des autres facultés; car, disent-ils, si l’intellect en puissance n’était qu’une simple disposition se rattachant aux autres facultés de l’âme, il aurait pour substratum quelque chose qui appartiendrait à un autre genre que lui-même; mais ce qui est disposé apercevoir les choses intelligibles ne peut être lui-même qu’un intellect. Ibn-Roschd, reconnaissant d’une part ce que l’opinion d’Alexandre a d’inadmissible, voit également des difficultés à admettre l’autre opinion, selon laquelle il y aurait une substance séparée et éternelle dont l’être ne consisterait que dans une disposition et dans une simple puissance (δύναμ·ς) il choisit donc un terme moyen, en réunissant ensemble les deux opinions, ainsi que nous l’avons exposé ailleurs (voy. l’article Ibn-Roschd, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, t. III, pag. 166 et 167). 2° L’intellect en acte ; c’est l’intellect qui a su abstraire la forme de la matière, c’est-à-dire, qui a su distinguer, dans les choses individuelles, ce qui en constitue la forme générale, ou ce par quoi une chose est ce qu’elle est. 3° L’intellect acquis ; ce n’est autre chose que l’intellect en acte devenu en quelque sorte la propriété de l’homme, lorsque les formes intelligibles sont toujours présentes dans son intelligence, et qu’il peut s’identifier avec elles à tout instant sans faire de nouveaux efforts. Arrivée à ce degré, l’intelligence humaine a toujours pour objet les pures formes intelligibles; elle a pour objet la connaissance de son propre être et celle des êtres immatériels en dehors d’elle, et elle s’élève à la connaissance des intelligences séparées et de Dieu. Dans cet état, elle devient en quelque sorte une substance entièrement séparée du corps (voir ci-après, à la fin du chap. LXXII). Entre l’intellect en acte et l’intellect acquis quelques philosophes arabes placent encore l’intellect en capacité ; ils paraissent entendre par là l’intellect en acte devenu une capacité (ἓξις, cf. ci-dessus, pag. 195, notes 1 et 2), et avant qu’il soit parvenu en réalité au degré de l’intellect acquis (cf. le livre Ta’rifât cité dans le Dictionnaire de Freytag, au mot , et l’Analyse de la philosophie d’Ibn-Sinâ, dans Schahrestâni, p. 418 du texte arabe, et t. II, pag. 317, de la trad. all.). C’est là une distinction subtile, dont on ne comprend pas bien la portée, et qui, à ce qu’il paraît, n’a pas été généralement admise; Ibn-Falaquéra, en énumérant les différents intellects (voy. l’Appendice du Moré-ha-Moré, au commencement du chap. I, pag. 141), ne parle pas de l’intellect en capacité (השכל בקנין).—Les études et la spéculation philosophique, bien qu’elles soient nécessaires pour le développement de l’intellect hylique, ne suffiraient pas à elles seules pour le faire arriver aux degrés de l’intellect en acte et de l’intellect acquis; comme toute chose qui n’est qu’en puissance, l’intellect a besoin, pour passer à l’acte ou a l’entéléchie, d’une cause qui soit en dehors de lui-même, et cette cause, c’est l’intellect actif universel , la dernière d’entre les intelligences des sphères (voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. IV, et cf. Ibn-Sinâ, dans l’ouvrage de Schahrestâni, pag. 426; trad. all., t. II, p. 328). C’est par l’influence de cet intellect actif que se forme l’intellect acquis, considéré comme son émanation (de là, dans les versions hébraïques, השכל הנאצל, l’intellect émané), et qui parvient, dans certains hommes élus, à s’identifier complètement avec l’intellect actif universel (cf. ci-dessus, pag. 277, note 3, et mon article Ibn-Roschd, l. c., pag. 167 et 169). — Il sera question, dans d’autres endroits, de divers détails de cette théorie, dont nous avons cru devoir présenter ici l’ensemble. On comprend que son obscurité ait donné lieu à de nombreuses divergences d’opinion; les hypothèses, qu’on était allé chercher jusque dans des régions inaccessibles à l’esprit humain, laissaient une libre carrière à l’imagination, et les philosophes arabes les plus éclairés n’ont pu manquer d’abandonner ici le véritable terrain de la spéculation philosophique, pour se perdre dans les rêveries. «Pas un seul, dit Ibn-Falaquéra, n’a une opinion bien arrêtée sur ce sujet, et nous voyons souvent le même auteur changer d’opinion et dire dans un ouvrage tout autre chose que ce qu’il a dit dans un autre.» Voir Moré-ha-Moré, liv. II, chap. 25 (pag. 111).; mais lorsqu’il a pensé une certaine chose, comme, par exemple, lorsqu’il a pensé la forme de ce bois en question, qu’il a abstrait ce qui en est la forme de ce qui en est la matière, et qu’il s’est figuré la forme abstraite [car c’est en cela que consiste l’action de l’intellect], il est devenu intelligent en acte. L’intellect qui a passé à l’acte est lui-même la forme du bois abstraite dans l’esprit de l’homme; car l’intellect n’est point autre chose que l’objet intelligible. Tu comprendras donc que la chose intelligible est la forme abstraite du bois, qui est elle-même l’intellect passé à l’acte; il n’y a point là deux choses, savoir, l’intellect et la forme pensée du bois; car l’intellect en acte n’est point autre chose que ce qui a été pensé, et la chose par laquelle la forme du bois a été pensée et abstraite, et qui est l’intelligent(1)C’est-à-dire, la partie intelligente de l’âme humaine., est elle-même indubitablement l’intellect passé à l’acte. En effet, l’essence de tout intellect consiste dans son action, et il ne se peut pas que l’intellect en acte soit une chose et son action une autre chose; car le véritable être de l’intellect(2)Littéralement: la réalité de l’intellect et sa quiddité., c’est la perception. Il ne faut donc pas croire que l’intellect en acte soit quelque chose qui existe de son côté, séparé de la perception, et que la perception soit quelque autre chose (qui existe) dans lui; mais (ce qui constitue) l’intellect en lui-même et sa réalité, c’est la perception, et par conséquent, quand tu poses un intellect existant en acte, (tu poses) par là même la perception d’un objet pensé. Ceci est très clair pour celui qui s’est occupé de ces sortes de spéculations.", "Puis donc qu’il est clair que l’action de l’intellect, qui consiste dans sa perception, est (ce qui constitue) sa véritable essence, il s’ensuit que ce par quoi la forme de ce bois a été abstraite et perçue, savoir l’intellect, est lui-même l’intelligent; car c’est cet intellect lui-même qui a abstrait la forme et qui l’a perçue, et c’est là son action à cause de laquelle il est appelé intelligent. Mais son action étant elle-même son essence, il n’y a, dans ce qui a été posé comme intellect en acte, que la forme du bois en question(1)C’est-à-dire, puisque ce qui constitue l’essence même de l’intellect, c’est son action, et que l’objet de son action, c’est lui-même, il s’ensuit, dans l’exemple donné, que l’intellect en acte n’est absolument autre chose que la forme du bois en question.. Il est donc clair (d’une part) que, toutes les fois que l’intellect existe en acte, cet intellect est lui-même la chose intelligible, et (d’autre part) il a été exposé que l’action qui constitue l’essence de tout intellect, c’est d’être intelligent(2)C’est-à-dire, de penser. Il y a ici dans le texte une légère inversion; la traduction littérale serait: …que l’action de tout intellect, qui est d’être intelligent (ou de penser), est (en même temps) son essence.; d’où il s’ensuit que l’intellect, l’intelligent et l’intelligible sont toujours une seule et même chose toutes les fois qu’il s’agit d’une pensée en acte(3)Littéralement: dans tout ce qui est pensé en acte, c’est-à-dire, toutes les fois que la pensée s’est réellement identifiée avec la chose qu’elle a pour objet et en a saisi la forme ou le véritable être.. ", "Mais lorsqu’on pose (une pensée) en puissance, il y a là nécessairement deux choses: l’intellect en puissance et l’intelligible en puissance. Si, par exemple, tu parles de cet intellect hylique qui est dans Zéid(4)C’est-à-dire, de l’intellect passif qui est dans un individu quelconque. Voy. ci-dessus, pag. 306, note., c’est un intellect en puissance, et de même ce bois est intelligible en puissance(5)C’est-à-dire, le bois en lui-même, considéré comme pouvant devenir un objet de la pensée, est une chose intelligible en puissance., et il y a là indubitablement deux choses. Mais quand (la pensée) a passé à l’acte, et que la forme du bois est devenue intelligible en acte, alors la forme intelligible est identique avec l’intellect, et c’est par cet intellect lui-même(1)Il faut lire ובדׄלך (avec bêth); dans la version d’Ibn-Tibbon on lit de même ובשכל, tandis que celle d’Al-’Harizi porte וכן השכל. La leçon exprimée par Al-’Harizi (וכדׄלך avec câph) se trouve dans les deux manuscrits de Leyde, mais elle n’offre pas de sens convenable. Dans notre édition (fol. 87 b, ligne 6), וכדׄלך est une faute typographique, pour וכדׄלך., qui est intellect en acte, qu’elle a été abstraite et pensée; (je dis intellect en acte,) parce que tout ce dont il existe une action (réelle) existe en acte. ", "Ainsi donc, l’intellect en puissance et l’intelligible en puissance sont toujours deux choses. Mais tout ce qui est en puissance doit nécessairement avoir un substratum qui porte cette puissance, comme, par exemple, l’homme; de sorte qu’il y aura là trois choses: l’homme qui porte ladite puissance et qui est l’intelligent en puissance, cette puissance elle-même, qui est l’intellect en puissance, et la chose apte à être pensée, et qui est l’intelligible en puissance; ou bien, pour parler conformément à notre exemple: l’homme, l’intellect hylique et la forme du bois, qui sont trois choses distinctes. Mais lorsque l’intellect est arrivé à l’acte, les trois choses ne font plus qu’une seule, et on ne trouvera jamais dans l’intellect et l’intelligible deux choses différentes(2)Littéralement: tu ne trouveras jamais l’intellect une chose, et l’intelligible une autre chose., si ce n’est lorsqu’ils sont pris en puissance.", "Or, comme il est démontré que Dieu [qu’il soit glorifié!] est intellect en acte(3)Quelques éditions de la version d’Ibn-Tibbon ajoutent le mot toujours (תמיד), qui ne se trouve dans aucun des manuscrits du texte arabe., et comme il n’y a en lui absolument rien qui soit en puissance, — ce qui est clair (en lui-même) et sera encore démontré, — de sorte qu’il ne se peut pas que tantôt il perçoive et tantôt il ne perçoive pas, et qu’au contraire il est toujours intellect en acte, il s’ensuit que lui et la chose perçue sont une seule et même chose, qui est son essence(1)Voy. Aristote, Métaphysique, liv. XII, chap. 7; cf. ci-dessus, pag. 301, note 4.; et (d’autre part) cette même action de percevoir, pour laquelle il est appelé intelligent, est l’intellect même qui est son essence. Par conséquent, il est perpétuellement intellect, intelligent et intelligible. ", "Il est clair aussi que, si l’on dit que l’intellect, l’intelligent et l’intelligible ne forment qu’un en nombre, cela ne s’applique pas seulement au Créateur, mais à tout intellect. Dans nous aussi, l’intelligent, l’intellect et l’intelligible sont une seule et même chose toutes les fois que nous possédons l’intellect en acte; mais ce n’est que par intervalles que nous passons de la puissance à l’acte(2)Cf. Aristote, l. c.: εἰ οὖν οὖτως εὖ ἔχει, ὡς ἡμει̃ς ποτέ, ὁ θεὸς ἀεί θαυμαστόν ϰ. τ. λ.. De même l’intellect séparé, je veux dire l’intellect actif (universel)(3)Voy. ci-dessus, pag. 277, note 3, et pag. 308, note., éprouve quelquefois un empêchement à son action; et, bien que cet empêchement ne vienne pas de lui-même, mais du dehors, c’est une certaine perturbation (qui survient) accidentellement à cet intellect(4)Comme le dit l’auteur dans d’autres endroits, l’intellect séparé, duquel émanent les formes, subit quelquefois dans son action une interruption, dont la cause n’est pas en lui-même, mais qui provient de ce que la matière sur laquelle il agit n’est pas apte à recevoir la forme. Si donc l’action de l’intellect actif ne se manifeste pas toujours d’une manière égale, il ne faut pas conclure de là qu’il puisse être tantôt en puissance et tantôt en acte; car il est essentiellement énergie, et l’interruption de son action a sa cause dans des obstacles extérieurs. Voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. XII et chap. XVIII. — Le mot חרכה̈ n’a pas ici le sens de mouvement, mais celui d’agitation ou perturbation.. Mais nous n’avons pas maintenant pour but d’expliquer ce sujet; notre but est plutôt (d’exposer) que la chose qui appartient à Dieu seul et qui lui est particulière, c’est d’être toujours intellect en acte et de n’éprouver aucun empêchement à la perception, ni de lui-même, ni d’autre part. Il s’ensuit de là qu’il est toujours et perpétuellement intelligent, intellect et intelligible; c’est son essence même qui est intelligente, c’est elle qui est l’intelligible, et c’est elle encore qui est l’intellect(1)En d’autres termes: l’essence divine est la pensée qui a pour objet elle-même; elle est à la fois la pensée, le sujet qui pense et l’objet qui est pensé., comme cela doit être dans tout intellect en acte.", "Si nous nous sommes souvent répétés dans ce chapitre, c’est parce qu’il s’agissait d’une chose que les esprits conçoivent très difficilement(2)Littéralement: nous avons souvent répété ce sujet dans ce chapitre, parce que les esprits sont très étrangers à cette conception.. Je ne pense pas que dans toi la conception intellectuelle puisse être troublée par l’imagination, et que tu puisses, dans ta faculté imaginative, établir à ce sujet une comparaison avec les choses sensibles(3)Plus littéralement: et en prenant pour comparaison le sensible, dans la faculté imaginative. Les mots ואכׄדׄ מתׄל אלמחםום sont un peu obscurs; je prononce: , en considérant le génitif comme dépendant du préfixe dans , de sorte que serait pour . C’est dans ce sens aussi qu’Ibn-Tibbon paraît avoir entendu le mot אכׄדׄ, qu’il traduit en hébreu par un substantif verbal; sa version porte ולקיחת משל המוחש. Al-’Harizi traduit: והנני מדבר על דמיון המורגש וכו׳; on voit qu’il a pris le mot אכׄדׄ pour un verbe ; mais sa traduction est peu intelligible. Le sens est: Je ne pense pas que toi tu te laisses troubler par l’imagination, et que tu compares le sujet dont il s’agit avec les choses purement sensibles, en appelant à ton secours la faculté imaginative, qui ne doit pas intervenir dans ce qui est du domaine de l’intelligence. L’auteur s’adresse à son disciple (voy. ci-dessus, pag. 3), en disant qu’il est sûr d’être bien compris par lui; autrement il ne lui aurait pas adressé ce traité, qui n’a été composé que pour ceux qui ont étudié la philosophie.; car ce traité n’a été composé que pour ceux qui ont étudié la philosophie et qui connaissent ce qui a été exposé au sujet de l’âme et de toutes ses facultés." ], [ "Les philosophes, comme tu le sais, appellent Dieu la cause première(1)Le texte arabe exprime ici et plus loin le mot cause par deux mots différents, et , que les deux versions hébraïques rendent par עלה et סבה; ces deux mots, dans la terminologie philosophique des Arabes, correspondent au mot grec αἰτíα ou αἲτιον (Arist., Métaph., V, 2, et passim), et sont complètement synonymes, comme le dit Ibn-Roschd dans son Abrégé de la Métaphysique, liv. I (vers, hébr.): הסבה והעלה שני שמות נרדפים והנה יאמרו על הסבות הארבעה אשר הם הפועל והחומר והצורה והתכלית «Sebeb et ’illa sont deux noms synonymes qui se disent des quatre causes, savoir: l’efficient, la matière, la forme et la fin.» — La dénomination de cause première, dont parle ici l’auteur, très familière aux philosophes arabes et aux scolastiques, se lie intimement au système d’Aristote, qui nous fait voir dans le premier moteur, ou dans Dieu, le dernier terme auquel notre intelligence arrive nécessairement en remontant la série des êtres et des causes. Cette cause première est, selon Aristote, une condition nécessaire de la science, qui serait impossible si les causes s’étendaient à l’infini; car l’illimité échappe à la science. Voy. Physique, liv. VIII, chap. 5; Métaphysique, liv. II, chap. 2; liv. XII, chap. 7 et suiv. — Ce chapitre, comme le précédent, sert de complément à ce que l’auteur a dit sur les attributs; on y montre que Dieu est en même temps la cause efficiente, la cause formelle et la cause finale de l’univers, et que ces trois causes, dans lui, sont complètement identiques et ne désignent qu’une seule chose, c’est-à-dire, son essence même.; mais ceux qu’on connaît sous le nom de Motécallemîn(2)Voy. ci-dessus, pag. 5, note 1 et plus loin, chap. LXXI. évitent cette dénomination avec grand soin et appellent Dieu l’agent. Ils croient qu’il y a une grande différence entre dire cause et dire agent: car, disent-ils, si nous disions qu’il (Dieu) est une cause, il s’ensuivrait nécessairement que l’effet existe, ce qui conduirait à l’éternité du monde et (à admettre) que le monde lui est (coexistant) d’une manière nécessaire(1)L’existence de la cause comme telle implique nécessairement celle de l’effet, et, dès qu’on appelle Dieu la cause première, on déclare par là même que le monde, qui est l’effet de cette cause, a toujours existé. Ce raisonnement des Motécallemîn est à peu près le même que fait Plotin quand il dit qu’en appelant Dieu la cause, nous disons quelque chose qui ne convient pas à lui, mais à nous, parce que nous tenons quelque chose de lui, tandis que lui, il reste en lui-même: ἐπεὶ ϰαὶ τὸ αἲτιον λέγειν οὐ ϰατηγορεῖν ἐστὶ συμβεβηϰός τι αὐτῷ, ἀλλ’ ἡμῖν, ὃτι ἒχομέν τι παρ’ αὐτοῦ, ἐϰεὶνου ὂντος ἐν αὑτῷ (Ennéades, VI, 9, 3). Cf. Ritter, Geschichte der Philosophie, t. IV, pag. 579. — Les mots ואן אלעאלם לה, qui se trouvent dans la plupart des manuscrits d’Oxford, signifient: et que le monde est à lui, c’est-à-dire, qu’il est dans un rapport nécessaire avec Dieu, et que son existence est une condition de celle de Dieu. Ibn-Tibbon traduit: ושהעולם מאתו, et que le monde vient de lui, ce qui n’est pas tout à fait exact. Al-’Harizi fait un vrai contre-sens en traduisant: וכי העולם עלה, et que le monde est une cause. Il a peut-être suivi une leçon incorrecte (ואן אלעאלם עלה̈), qu’on trouve en effet dans l’un des deux manuscrits de Leyde, tandis que l’autre porte: ואן ללעאלם עלה̈, et que le monde a une cause. Cette dernière leçon, quoique moins en désaccord avec l’ensemble du passage, est également incorrecte.; mais si nous disons agent, il ne s’ensuit pas nécessairement que l’objet de l’action existe ensemble avec lui, car l’agent peut être antérieur à son action; et ils vont même jusqu’à se figurer que l’agent ne peut être dit agent qu’à la condition d’être antérieur à son action(2)Plus littéralement: bien plus, ils ne se figurent même l’idée d’agent comme agent que par là qu’il est antérieur à son action; c’est-à-dire, ils croient que l’idée même qu’on attache au mot agent implique l’antério-rité..", "Mais c’est là le raisonnement de celui qui ne sait pas distinguer entre ce qui est en puissance et ce qui est en acte; car il faut savoir qu’il n’y a pas de différence à cet égard entre les mots cause et agent. En effet, la cause aussi, si tu la prends en puissance, précède son effet dans le temps, tandis que, si c’est une cause en acte, l’effet coexiste nécessairement avec cette cause en acte(1)Littéralement: son effet existe nécessairement par son existence comme cause en acte. Dans la version d’Ibn-Tibbon, au lieu de במציאות העלה, il faut lire במציאותה עלה.. De même, si tu prends l’agent comme agent en acte, il s’ensuit nécessairement que l’objet de son action existe; car l’architecte, avant de bâtir la maison, n’est point architecte en acte, mais architecte en puissance(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ajoutent ici les mots וכשיבנה אז הוא בונה בפעל, et lorsqu’il bâtit il est architecte en acte. Ces mots ne se trouvent ni dans le texte arabe, ni dans les manuscrits de la version d’Ibn-Tibbon; ils ont été évidemment ajoutés par les copistes, et cela à cause d’un malentendu auquel a donné lieu cette même version, qui, un peu plus loin, porte אז הוא נבנה, au lieu de אז הוא בונה, de sorte que, sans les mots ajoutés, il manquerait quelque chose dans l’ensemble de ce passage, puisqu’il n’y serait pas fait mention de l’architecte en acte. Cf. la note suivante. [de même que la matière de la maison, avant que celle-ci soit bâtie, est une maison en puissance]; mais lorsqu’il bâtit, il devient architecte(3)La version d’Ibn-Tibbon porte נבנה (bâti ou construit); il paraît que le traducteur hébreu a lu ici מבני au lieu de בנא, ou bien qu’il a cru devoir prononcer ce dernier mot (construction), et non pas (architecte). Il ne s’est pas aperçu que les mots כמא אן מאדה̈ דׄלך אלבית קבל אן יבני בית באלקוה̈ devaient être considérés comme une parenthèse, et il s’imaginait que les mots פענד מא יבני en étaient la suite, de sorte qu’il a considéré ce dernier verbe יבני comme un verbe passif , se rapportant à la maison, tandis que c’est un verbe actif , se rapportant à l’architecte. A la vérité, un manuscrit de Leyde est favorable à la version d’Ibn-Tibbon, car il porte בית (maison), au lieu de בנא; mais ce n’est la qu’une correction arbitraire et inintelligente. — Al-’Harizi a été ici plus exact, en rendant בנא par architecte (בנאי); mais il a entièrement supprimé, dans sa version, les mots que nous considérons comme une parenthèse. en acte, et il s’ensuit alors nécessairement qu’il existe (en même temps) quelque chose de bâti. Nous ne gagnerions donc rien en préférant la dénomination d’agent à celle de cause. Et (en effet) on a ici uniquement pour but d’établir l’égalité entre ces deux dénominations, et (de montrer) que, de même que nous appelons Dieu agent, quand bien même l’objet de son action n’existerait pas encore, — et cela parce qu’il n’y a rien qui puisse le retenir et l’empêcher d’agir quand il le veut, — de même il nous est permis de l’appeler cause, absolument dans le même sens, quand bien même l’effet n’existerait pas encore.", "Ce qui a engagé les philosophes à appeler Dieu cause et à ne point l’appeler agent, ce n’était pas leur opinion bien connue concernant l’éternité du monde; mais ils avaient pour cela d’autres raisons que je vais te récapituler. Il a été exposé dans la Physique qu’il existe différentes causes pour tout ce qui a une cause(1)C’est-à-dire, pour tout être, hormis le premier moteur, ou Dieu., qu’elles sont au nombre de quatre, savoir: la matière, la forme, l’agent (ou l’efficient) et la fin(2)Cf. Aristote, Physique, liv. II, chap. 7, où ces quatre causes sont désignées ainsi qu’il suit: ἡ ὓλη (la matière), τὸ εἶδος (la forme), τὸ ϰινἡσϰν (ce qui meut, ou la cause motrice), τὸ οὗ ἓνεϰα (le pourquoi ou la cause finale). La cause formelle, qui fait qu’une chose est ce qu’elle est et qui forme l’essence de la chose, est aussi appelée τὸ τί ἦν εἶναι et οὐσία (voy. Derniers Analytiques, II, 11; Physique, II, 3; Métaph., I, 3); la cause motrice s’appelle aussi τὸ ποιοῦν, c’est-à-dire l’efficient, et la cause finale s’appelle τὸ τέλος, le but (Métaph., V, 2 et passim), et c’est à ces deux mots que correspondent les termes arabes ., et qu’il y en a de prochaines et de lointaines(3)Cf. Aristote, Dern. Anal., liv I, chap. 13 (édit. de Bekker); Métaph., liv. VIII, chap. 4.; chacune de ces quatre est appelée cause. Parmi leurs opinions, une de celles que je ne conteste pas est celle-ci, que Dieu est en même temps l’efficient, la forme et la fin; c’est dans ce sens qu’ils disent que Dieu est la cause, ce qui embrasse à la fois ces trois causes et ce qui veut dire que Dieu est l’efficient du monde, sa forme et sa fin(1)C’est-à-dire, que Dieu est en même temps la cause efficiente, la cause formelle et la cause finale du monde. L’idée du premier moteur, qui n’est pas mue et qui est pure énergie, exclut la cause matérielle; cette dernière est souvent présentée par Aristote comme ce qui est par nécessité (τὸ ἐξ ὰνάγϰης), et opposée aux trois autres causes, représentant le mouvement et le véritable être, et qui se résume dans une seule cause, laquelle est la fin (τὸ οὗ ἓνεϰα). Voy. Physique, liv. II, chap. 7-9, et cf. le traité des Parties des animaux, liv. I, chap. 1. De même l’idée de l’âme, qui est entéléchie, exclut la cause matérielle; c’est pourquoi Aristote dit que l’âme est la cause suivant les trois modes de cause (Traité de l’Ame, liv. II, chap. 4).. J’ai donc pour but, dans ce chapitre, de t’expliquer dans quel sens il a été dit de Dieu qu’il est l’efficient (ou l’agent) et qu’il est aussi la forme du monde et sa fin. Il ne faut pas ici te préoccuper de la question de savoir si Dieu a (librement) produit le monde, ou si celui-ci, comme ils (les philosophes) le pensent, coexiste nécessairement avec lui(2)Littéralement: ou s’il (le monde) en résulte nécessairement, c’est-à-dire, si l’existence du monde est une conséquence nécessaire de celle de Dieu, de sorte que le monde serait éternel, et non pas créé par la libre volonté de Dieu.; car on entrera là-dessus dans de longs détails, comme il convient à un pareil sujet(3)La question dont il s’agit ici est longuement traitée dans la IIe partie de cet ouvrage.. ", "Ici on a seulement pour but (d’établir) que Dieu est l’efficient des faits particuliers qui surviennent dans le monde, comme il est l’efficient du monde dans son ensemble. Voici donc ce que je dis: Il a été exposé dans la Physique que, pour chacune de ces quatre espèces de causes, il faut chercher une autre cause, de sorte qu’on trouvera d’abord, pour la chose qui naît, ses quatre causes immédiates, et qu’ensuite on trouvera pour celles-ci d’autres causes, et, pour ces causes (secondaires), d’autres causes encore, jusqu’à ce qu’on arrive aux causes premières; ainsi, par exemple, telle chose est l’effet produit par tel efficient, qui, à son tour, aura son efficient, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on arrive à un premier moteur qui sera le véritable efficient de toutes ces choses intermédiaires(1)Voy. les passages d’Aristote indiqués ci-dessus, pag. 313, note 1.. En effet, soit A mu par B, B par C, C par D et D par E; cela ne pouvant s’étendre à l’infini, arrêtons-nous, par exemple, à E, et il n’y aura pas de doute que E ne soit le moteur de A, de B, de C et de D, et c’est à juste titre qu’on pourra dire du mouvement de A que c’est E qui l’a fait. C’est de cette manière que chaque fait dans l’univers, quel que soit d’ailleurs l’efficient immédiat qui l’ait produit(2)Littéralement: quand même l’aurait fait quiconque l’a fait d’entre les efficients prochains., est attribué à Dieu, ainsi que nous l’exposerons (ailleurs); c’est donc lui qui en est la cause la plus éloignée, en tant qu’efficient.", "De même, si nous poursuivons les formes physiques, qui naissent et périssent, nous trouverons qu’elles doivent nécessairement être précédées (chacune) d’une autre forme qui prépare telle matière à recevoir telle forme (immédiate); cette seconde forme, à son tour, sera précédée d’une autre, (et ainsi de suite,) jusqu’à ce que nous arrivions à la dernière forme qui est nécessaire pour l’existence de ces formes intermédiaires, lesquelles sont la cause de ladite forme immédiate. Cette forme dernière de tout l’être est Dieu. Si nous disons de lui qu’il est la forme dernière de tout l’univers, il ne faut pas croire que ce soit là une allusion à cette forme dernière(3)La version d’Al-’Harizi porte היא הצורה האחרונה, que ce soit là cette forme dernière; on lit de même dans l’un des manuscrits de Leyde: הי אלצורה̈, au lieu de הי אשארה̈ ללצורה̈. Ibn-Falaquera (Moré ha-Moré, pag. 37) supprime également le mot אשארה̈ allusion; mais la version d’Ibn-Tibbon est conforme à la leçon que nous avons adoptée. dont Aristote dit, dans la Métaphysique, qu’elle ne naît ni ne périt; car la forme dont il s’agit là est physique, et non pas une intelligence séparée(1)Aristote montre, dans plusieurs endroits de sa Métaphysique, que la matière première et la forme première ne naissent ni ne périssent. Dans tout l’être, la naissance (γένεσις) et la destruction ou corruption (φθορά) ne sont autre chose que le changement; ce qui naît, naît de quelque chose (qui est la matière), en recevant la forme (par laquelle seul il est ce qu’il est), et il périt en perdant sa forme. Il est donc clair que l’idée de la matière, comme celle de la forme, exclut la naissance et la destruction; car, pour que la matière ou la forme pût naître ou périr, il faudrait que chacune des deux fût composée, à son tour, de matière et de forme, ce qui s’étendrait à l’infini, si l’on ne s’arrêtait pas à une première matière et à une première forme, lesquelles, par conséquent, ne peuvent ni naître ni périr. — Maïmonide paraît avoir ici particulièrement en vue un passage du VIIe livre de la Métaphysique (chap. 8), où Aristote dit, en résumé, ceci: Puisque ce qui naît, naît par quelque chose (la cause efficiente) et de quelque chose (la matière), et devient quelque chose (par la forme), la cause efficiente ne fait ni la matière seule ni la forme seule. Celui, par exemple, qui fait une sphère de bronze ne fait ni le bronze ni la forme sphérique en elle-même, mais il donne cette forme au bronze, qui en est le substratum. Si la cause efficiente faisait réellement cette forme en elle-même, celle-ci à son tour naîtrait de quelque chose et se composerait également de matière et de forme, et les naissances (γενέσεις) se continueraient à l’infini. Il est donc clair que la forme, ou ce que dans les choses sensibles on peut appeler la figure, ne naît pas; il n’y a donc pas de naissance pour celle-ci ni pour le quoi en lui-même (τὸ τί ἦν εἶναι), qui naît toujours dans autre chose, soit par l’art, soit par la nature ou par une faculté. Voici les propres termes d’Aristote: εἰ οὖν ϰαὶ τοῦτο ποιεῖ αὺτό (se, τὸ εἶδος), δῆλον ὃτι ὡσαύτως ποιήσει ϰαί βαδιοῦνται αἱ γενέσεις εἰς ἄπειρον. φανεὸν ἄρα ὃτι οὐδέ τὸ εἶδος, ἢ ὁτιδήποτε χρὴ ϰαλεῖν τὴν ἐν τῷ αἰσθητῷ μορφήν, γίγνεται, οὐδ’ ἒστιν αὐτοῦ γένεσις, οὐδὲ τὸ τί ἦν εἶναι. τοῦτο γάρ ἐστιν ὃ ἐν ἄλλῳ γίγνεται ἢ ὑπὸ τέχνης ἢ ὑπὸ φύσεως ἢ δυνάμεως. Voy. aussi Métaph., VII, 15; VIII, 3, 5; XII, 3. On voit qu’il s’agit ici en effet, comme le dit Maïmonide, de toute forme en général, ou de la forme physique, inséparable de la matière, et non pas seulement de la forme première absolue, ou du premier moteur.. En effet, quand nous disons de Dieu qu’il est la forme dernière du monde, ce n’est pas comme la forme ayant matière est une forme pour cette matière, de sorte que Dieu soit une forme pour un corps(1)Dieu, tout en mettant en mouvement la sphère céleste, à laquelle il donne la forme, est pourtant entièrement distinct de cette sphère, ainsi que notre auteur l’exposera dans d’autres endroits. Voy. le chapitre suivant, et IIe partie, chap. IV.. Ce n’est pas ainsi qu’il faut l’entendre, mais de la manière que voici: de même que la forme est ce qui constitue le véritable être de tout ce qui a forme, de sorte que, la forme périssant, l’être périt également, de même Dieu se trouve dans un rapport absolument semblable avec tous les principes de l’être les plus éloignés(2)Nous avons dû, dans ce passage, nous écarter un peu du texte arabe, dont la construction est peu régulière et même peu logique. Voici la traduction littérale: Ce n’est pas de cette manière que cela a été dit; mais, de même que tout être doué de forme n’est ce qu’il est que par sa forme, et quand sa forme périt son être périt et cesse, de même un rapport absolument semblable à celui-ci est le rapport de Dieu à tous les principes de l’être les plus éloignés. Le sens est que Dieu est appelé la forme dernière, parce qu’il fait exister les principes de tout ce qui est, lesquels sont éloignés des causes que nous reconnaissons comme immédiates.; car c’est par l’existence du Créateur que tout existe, et c’est lui qui en perpétue la durée par quelque chose qu’on nomme l’épanchement, comme nous l’exposerons dans l’un des chapitres de ce traité(3)Voy. la IIe partie, chap. XII. Sur le mot פיץׄ que nous rendons par épanchement, voy. ci-dessus, pag. 244, note 1.. Si donc la non-existence du Créateur était admissible, l’univers entier n’existerait plus, car ce qui constitue ses causes éloignées disparaîtrait, ainsi que les derniers effets et ce qui est intermédiaire; et, par conséquent, Dieu est à l’univers ce qu’est la forme à la chose qui a forme et qui par là est ce qu’elle est, la forme constituant son véritable être. Tel est donc le rapport de Dieu au monde, et c’est à ce point de vue qu’on a dit de lui qu’il est la forme dernière et la forme des formes; ce qui veut dire qu’il est celui sur lequel s’appuie en dernier lieu l’existence et le maintien de toutes les formes dans le monde, et que c’est par lui qu’elles subsistent, de même que les choses douées de formes subsistent par leurs formes. Et c’est à cause de cela qu’il a été appelé, dans notre langue, חי העולמים, ce qui signifie qu’il est la vie du monde, ainsi qu’on l’exposera (plus loin)(1)Voy. ci-après, vers la fin du chap. LXXII (fol. 103 b de notre texte), où l’auteur cite ces mots du livre de Daniel (12, 7): וישבע בחי העולם. Les mots חי העולמים ne se trouvent point dans l’Écriture sainte, mais dans le rituel des prières; Ibn-Falaquera paraît avoir lu aussi dans notre passage: חי העולם (voy. Moré ha-Moré, pag. 37)..", "Il en est de même aussi pour toute fin(2)C’est-à-dire, pour toute cause finale; l’auteur va montrer que les causes finales, aussi bien que les causes efficientes et formelles, aboutis sent à une dernière cause, ou à une fin dernière, qui est Dieu., car lorsqu’une chose a une certaine fin, tu dois chercher pour cette fin une autre fin. Si, par exemple, tu dis que la matière de ce trône est le bois, son efficient le menuisier, sa forme carrée et de telle ou telle figure, et sa fin de s’asseoir dessus, tu dois ensuite demander: A quelle fin s’assied-on sur le trône? C’est, répondra-t-on, afin que celui qui s’assied dessus soit élevé au dessus du sol. Mais, demanderas-tu encore, à quelle fin doit-il être élevé au dessus du sol? et on te répondra: C’est afin qu’ainsi assis, il grandisse aux yeux de ceux qui le voient. Et à quelle fin, poursuivras-tu, doit-il paraître grand à ceux qui le voient? C’est, répondra-t-on, afin qu’il soit craint et respecté. Mais, demanderas-tu de nouveau, à quelle fin doit-il être craint? C’est, dira-t-on, afin qu’on obéisse à son ordre. Et à quelle fin, poursuivras-tu encore, doit-on obéir à son ordre? C’est, répondra-t-on, afin qu’il empêche les hommes de se faire du mal les uns aux autres. Et si tu demandes encore: A quelle fin? on te répondra: C’est afin que leur existence se continue en bon ordre. — Il en sera nécessairement de même de chaque fin nouvelle, jusqu’à ce qu’on arrive enfin, — selon une certaine opinion qui sera exposée (ailleurs), — à la simple volonté de Dieu, de sorte qu’on répondra à la fin: C’est ainsi que Dieu l’a voulu; ou bien (on aboutira), — selon une autre opinion, — à l’exigence de la sagesse divine, ainsi que je l’exposerai, de sorte qu’on répondra à la fin: C’est ainsi que sa sagesse l’a exigé(1)Voy. la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XIII, où l’auteur s’étend plus longuement sur cette matière; sur les deux opinions auxquelles on fait ici allusion, voy. ibid., chap. XVII (2e et 3e opinions), et cf. IIe partie, chap. XVIII.. La série de toutes les fins aboutira donc, selon ces deux opinions, à la volonté et à la sagesse de Dieu. Mais celles-ci, selon notre opinion, sont son essence; car il a été exposé que l’intention, la volonté et la sagesse de Dieu ne sont point des choses en dehors de son essence, je veux dire, autres que son essence(2)Voy. ci-dessus, chap. LIII, pag. 213 et suiv. — Nous n’avons pu suivre exactement la construction du texte, dont voici le mot à mot: c’est pourquoi la série de toute fin aboutira, selon ces deux opinions, à sa volonté et à sa sagesse, dont il a été exposé, selon notre opinion, qu’elles sont son essence, et que son intention, sa volonté, ou sa sagesse, ne sont point des choses qui sortent de son essence, je veux dire, qui soient autres que son essence.. Par conséquent, Dieu est la fin dernière de toute chose; tout aussi a pour fin de lui devenir semblable en perfection, autant que cela se peut, et c’est là ce qu’il faut entendre par sa volonté, qui est son essence, ainsi qu’on l’exposera(3)Voy. IIIe partie, chap. XIII, et cf. ibid., chap. XXVII et LIII, et ci-dessus, vers la fin du chap. LIV, ce que l’auteur dit de la perfection humaine.. C’est donc à ce point de vue qu’il a été appelé la fin des fins.", "Ainsi je t’ai exposé dans quel sens il a été dit de Dieu qu’il est efficient, forme et fin; c’est pourquoi ils (les philosophes) l’ont appelé cause, et non pas seulement agent (ou efficient). ", "Sache que certains penseurs(4)Voy. ci-dessus, pag. 184, note 3. parmi ces motécallemîn ont poussé l’ignorance et l’audace jusqu’à soutenir que, quand même on admettrait que le Créateur pût ne plus exister, il ne s’ensuivrait point que la chose que le Créateur a produite, c’est-à-dire le monde, dût également cesser d’exister; car (disent-ils) il ne faut pas nécessairement que ce qui a été fait périsse parce que l’auteur, après l’avoir fait, a cessé d’exister. Ce qu’ils ont dit là serait vrai si Dieu était uniquement efficient, et que cette chose faite n’eût pas besoin de lui pour prolonger(1)Dans la plupart des manuscrits, on lit אםתמדאד (avec daleth), et de même, dans ce qui suit, יםתמדה ,אלמםתמד ,אלממד ,ימרה ,ימדהא; dans quelques manuscrits tous ces mots sont écrits avec resch, ce qui ne fait guère de différence pour le sens. Cf. ci-dessus, pag. 285, note 1. sa durée; de même que, lorsque le menuisier meurt, le coffre (qu’il a fait) n’en périt pas pour cela, car ce n’est pas lui qui en prolonge la durée. Mais, puisque Dieu est en même temps la forme du monde, ainsi que nous l’avons exposé, et que c’est lui qui en prolonge la permanence et la durée, il est impossible (de supposer) que celui qui donne la durée puisse disparaître, et que néanmoins la chose qui n’a de durée que par lui puisse continuer d’exister(2)Littéralement: il est impossible que celui qui prolonge s’en aille, et que (néanmoins) reste ce qui est prolongé et qui n’a de durée que par ce qu’il reçoit de prolongation..", "Voilà donc à quelle grande erreur donnerait lieu cette assertion: que Dieu est seulement efficient, et qu’il n’est ni fin ni forme." ], [ "Rakhab (רכב) (3)Dans ce chapitre, comme on va le voir, l’auteur explique le verbe רכב, appliqué allégoriquement à Dieu comme premier moteur ou comme cause motrice et formelle de l’univers; cette explication se rattache bien au chapitre précédent, qui traite de Dieu considéré comme cause.. — Ce mot est un homonyme qui, dans sa première acception(4)Sur le sens des mots מתׄאלה אלאול, voy. ci-dessus, pag. 75, note 1., désigne la manière habituelle de monter sur une monture(5)Littéralement: le chevaucher d’un homme sur les bêtes, selon la manière habituelle.; p. ex.: Et il était monté (רכב) sur son ânesse (Nombres, 22, 22). Ensuite il a été métaphoriquement employé dans le sens de dominer sur une chose, parce que le cavalier domine et gouverne sa monture, et c’est dans ce sens qu’il a été dit: Il le fait chevaucher (ירכיבהו) sur les hauteurs de la terre (Deut., XXXII, 13); Et je te ferai chevaucher (והרכבתיך) sur les hauteurs de la terre (Isaïe, 58, 14), ce qui veut dire: vous dominerez sur les hauteurs de la terre; (de même:) Je ferai chevaucher (ארכיב) Éphraïm (Osée, 10, 11), c’est-à-dire, je le ferai régner et dominer. C’est dans ce sens qu’il a été dit de Dieu: Celui qui chevauche (רכב) sur le ciel, pour venir à ton aide (Deut., XXXIII, 26), ce qui veut dire: celui qui domine sur Ie ciel. De même les mots לרוכב בערבות, celui qui chevauche sur ’Arabôth (Ps. 68, 5), signifient: celui qui domine sur ’Arabôth; car c’est là la sphère supérieure qui environne tout(1)Voy. la IIe partie, chap. IV et sniv., et cf. ci-dessus, page 57, note 1., ainsi que les docteurs le répètent dans plusieurs endroits, en disant(2)Littéralement: un texte des docteurs, répété partout, (dit) qu’il y a etc. Sur les sept cieux, voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, fol. 12 b. qu’il y a sept cieux et que ’Arabôth en est le plus élevé, qui les environne tous. Tu ne les blâmeras pas de compter (seulement) sept cieux, quoiqu’il y en ait davantage; car quelquefois on ne compte que pour un seul globe celui qui pourtant renferme plusieurs sphères, comme il est clair pour ceux qui étudient cette matière, et comme je l’exposerai (ailleurs)(3)Voy. la IIe partie, chap. IV, où l’auteur dit que, du temps d’Aristote, on comptait jusqu’à cinquante sphères (cf. Métaphysique, XII, 8), mais que les modernes n’en comptent que dix, quoiqu’il y en ait d’entre elles qui renferment plusieurs sphères.. Ici on a seulement pour but (de montrer) qu’ils disent toujours clairement que ’Arabôth est le plus élevé de tous (les cieux), et que c’est de ’Arabôth qu’on (parle quand on) dit: celui qui chevauche sur le CIEL pour venir à ion aide.", "Il y a un passage dans ’Haghîgâ où l’on dit(1)Voy. Talmud de Babylone, l. c.: «Sur ’Arabôth réside le Très-Haut, car il est dit: Exaltez celui qui chevauche sur ’ARABÔTH (Ps. 68, 5). Et d’où savons-nous que c’est ainsi qu’on appelle le ciel? C’est qu’ici il est écrit: celui qui chevauche sur ’ARABÔTH, et ailleurs: celui qui chevauche sur le CIEL.» Il est donc clair qu’on fait partout allusion à une seule sphère, celle qui environne l’univers, et au sujet de laquelle tu vas encore apprendre d’autres détails. Remarque bien qu’ils disent: (le Très-Haut) réside SUR lui, et qu’ils ne disent pas: réside DANS lui; car, s’ils eussent dit dans lui, c’eût été assigner un lieu à Dieu, ou dire que Dieu est une faculté dans lui, comme se l’imaginaient les sectes des Sabiens(2)Voy. ci-dessus, pag. 280, note 2., savoir, que Dieu est l’esprit de la sphère céleste. En disant donc réside SUR lui, ils ont déclaré que Dieu est séparé de la sphère, et qu’il n’est point une faculté dans elle(3)Cf. le chapitre précédent, pag. 320, note 1..", "Sache aussi que l’expression métaphorique selon laquelle Dieu chevauche sur le ciel, renferme une comparaison bien remarquable. En effet, le cavalier est supérieur à la monture [supérieur n’est dit ici qu’improprement(4)Sur le mot תםאמח , voy. ci-dessus, pag. 235, note 1. Pour comprendre le sens de cette parenthèse, il faut se rappeler ce que l’auteur a fait observer plus haut au sujet du comparatif, qui ne peut s’employer que lorsqu’il s’agit de deux choses homogènes; voy. au chapitre LVI, pag. 228, et ibid., note 4., car le cavalier n’est pas de la même espèce que la monture], et en outre, c’est le cavalier qui met en mouvement la bête et la fait marcher comme il veut; celle-ci est pour lui un instrument dont il dispose à sa volonté, tandis qu’il est, lui, indépendant d’elle et que, loin d’y être joint, il est en dehors d’elle. De même, Dieu [que son nom soit glorifié!] est le moteur de la sphère supérieure, par le mouvement de laquelle se meut tout ce qui est mû au dedans d’elle; mais Dieu est séparé d’elle et n’est point une faculté dans elle. ", "Dans le Beréschîth rabbâ, les docteurs, en expliquant cette parole divine: Une demeure, le Dieu éternel (Deut., XXXIII, 27), s’expriment ainsi(1)Selon le Midrasch de la Genèse, ou le Beréschîth rabbâ (sect. 68, au verset ויפגע במקום, Gen., XXVIII, 11), ces mots du Deutéronome: מעונה אלהי קדם, signifient: le Dieu éternel est une demeure ou une retraite, et correspondent à ce passage: Seigneur, tu nous as été une retraite (מעון) de génération en génération (Ps. 90, 1).: «Dieu est la demeure du monde, mais le monde n’est point sa demeure;» et ils ajoutent ensuite (en comparant Dieu à un guerrier monté à cheval): «Le cheval est l’accessoire du cavalier, mais le cavalier n’est pas l’accessoire du cheval; c’est là ce qui est écrit: Lorsque tu montas sur tes chevaux (Habacuc, 3, 8).» Voilà leurs propres termes; fais-y bien attention, et tu comprendras(2)Le mot , qu’on trouve dans presque tous les manuscrits, doit être considéré comme impératif de la Ve forme , qui a ici le sens de comprendre; l’un des manuscrits de Leyde porte פתאמלה ותאמל. qu’ils ont exposé par là quel est le rapport de Dieu à la sphère, savoir, que celle-ci est son instrument par lequel il gouverne(3)La plupart des manuscrits portent דבר; quelques uns ont ידבר à l’aoriste, et de même les deux versions hébraïques, dont l’une a ינהיג, et l’autre יתקן. l’univers. En effet, quand tu trouves chez les docteurs (cette assertion) que dans tel ciel il y a telle chose, et dans tel ciel telle autre chose(4)L’auteur, revenant à l’explicalion qu’il a donnée du passage de ’Haghîgâ, et qu’il trouve confirmée par le passage du Beréschîth rabbâ, insiste de nouveau sur les fonctions de la sphère supérieure appelée ’Arabôth, qui est en quelque sorte l’instrument dont se sert le premier moteur, ou Dieu, pour communiquer le mouvement aux autres sphères. Celles-ci à leur tour se communiquent successivement le mouvement les unes aux autres, et ne sont destinées qu’aux corps célestes; si donc, dans la suite du passage de ’Haghigâ, on fait des sept cieux le siège de diverses autres choses, en plaçant, p. ex., dans l’un les trônes des anges, dans un autre, des réservoirs de neige et de grêle, et ainsi de suite, cela doit s’entendre au figuré et s’appliquer aux facultés de la nature émanée des sphères célestes et produisant certains phénomènes. Cela devient surtout évident par les attributions de ’Arabôth, que l’auteur va énumérer d’après le texte talmudique, et qui, sans aucun doute, ne sont que des allégories., il ne faut pas l’entendre dans ce sens qu’il y ait dans le ciel des corps autres que le ciel, mais le sens est que les facultés (de la nature) qui font naître telle ou telle chose et en maintiennent la régularité dérivent de tel ou tel ciel. La preuve de ce que je viens de dire, c’est que les docteurs disent: «’Arabôth, dans lequel sont la justice, la vertu, le droit, des trésors de vie, des trésors de paix, des trésors de bénédiction, les âmes des justes, les âmes et les esprits de ceux qui sont encore à naître et la rosée par laquelle le Très-Saint ressuscitera les morts.» Il est évident que rien de tout ce qu’ils énumèrent ici n’est un corps de manière à être dans un lieu; car la rosée n’est pas ici une rosée(1)Les manuscrits portent לים הו טל; mais le second טל doit être considéré comme un mot arabe, et on doit lire . dans le sens propre du mot. Tu remarqueras aussi qu’ici ils disent dans lequel (שֶׁבּוֹ) c’est-à-dire que ces choses sont dans ’Arabôth, et qu’ils ne disent pas qu’elles sont sur lui; ils ont en quelque sorte déclaré par là que les choses en question, qui existent dans le monde, n’y existent que par des facultés émanées de ’Arabôth, et que c’est Dieu qui a fait de ce dernier le principe de ces choses et les y a fixées. De leur nombre sont les trésors de vie, ce qui est exactement vrai; car toute vie qui se trouve dans un être vivant (quelconque) ne vient que de cette vie-là, comme je l’exposerai plus loin(2)Voy. au chapitre LXXII, où la sphère céleste est présentée comme principe de vie de tout l’univers, de même que le cœur est le principe de vie dans l’homme. Cf. la IIe partie, chap. X.. Remarque aussi qu’ils comprennent dans le nombre les âmes des justes, ainsi que les âmes et les esprits de ceux qui sont encore à naître; et c’est là un sujet d’une haute importance pour celui qui sait le comprendre. En effet, les âmes qui survivent après la mort ne sont pas la même chose que l’âme qui naît dans l’homme au moment de sa naissance; car celle qui naît en même temps avec lui est seulement une chose en puissance et une disposition(1)Littéralement: la puissance de la disposition, c’est-à-dire cette chose en puissance qui a été désignée comme une simple disposition. L’auteur veut parler de ce que les philosophes arabes ont appelé l’intellect hylique ou matériel, et il se déclare ici pour l’opinion professée par Alexandre d’Aphrodise au sujet de l’intellect passif. Voy. ci-dessus, pag. 306, note., tandis que la chose qui reste séparément après la mort est ce qui est devenu (intellect) en acte(2)Cf. ci-dessus, pag. 146, note 2.. L’âme qui naît (avec l’homme) n’est pas non plus la même chose que l’esprit qui naît (avec lui); c’est pourquoi ils comptent (séparément), comme choses à naître, les âmes et les esprits(3)L’auteur ne s’explique pas clairement sur la distinction qu’il faut faire ici entre les mots âme et esprit; dans l’âme (נשמה), il voit évidemment, soit la disposition dont il vient de parler ou l’intellect hylique, soit l’ensemble des facultés rationnelles; le mot esprit (רוח) paraît ici désigner, selon lui, l’esprit vital. Voy. ci-dessus, chap. XL, page 144., tandis que l’âme séparée n’est qu’une seule chose(4)L’auteur veut dire qu’en parlant des âmes des justes on ne fait pas la même distinction d’âmes et d’esprits, parce qu’on entend par là l’âme immortelle, qui n’est autre chose que l’intellect acquis (voy. ci-dessus, pag. 307, note), et qui par conséquent n’est plus, comme l’intellect hylique, une des nombreuses facultés de l’âme rationnelle, laquelle périt avec l’homme. Cf. ci-dessus, pag. 146, et voy. aussi ce que notre auteur dit sur le même sujet dans son Mischné-Tôrâ ou Abrégé du Talmud, traité Yesôdé ha-Tôrâ, chap. IV, §§ 8 et 9. — Ici et dans d’autres passages encore, l’auteur indique assez clairement que l’âme, pour parvenir à l’immortalité, doit être arrivée dans cette vie au degré de l’intellect acquis; au chapitre XXVII de la IIe partie, l’auteur attribue expressément la permanence aux seules âmes des hommes supérieurs (אנפם אלפצׄלא).. Nous avons déjà exposé l’homonymie du mot רוח (esprit)(5)Voy. ci-dessus, chapitre XL., et nous nous sommes aussi expliqué, à la fin du livre Madda’, sur ces divers homonymes(1)Plus littéralement: et nous avons aussi exposé….. ce qu’il y a dans ces noms en fait d’homonymie. Le livre intitulé Madda’ (Science) est le premier des quatorze livres dont se compose le Mischné-Tôrâ; l’auteur fait allusion, sans doute, à un passage du traité Teschoubâ (ch.VIII, § 3), où, en parlant de l’âme, il indique le sens des mots נפש et נשמה..", "Tu vois par là comme ces hautes vérités, objet de la spéculation des plus grands philosophes(2)Littéralement: regarde donc comme ces sujets extraordinaires et vrais, auxquels est arrivée la spéculation des plus élevés d’entre ceux qui ont philosophé., sont disséminées dans les Midraschôth, que le savant non équitable, en les lisant superficiellement, trouve ridicules, parce qu’il en voit le sens littéral en contraste avec la réalité de l’être; mais ce qui est la cause de tout cela, c’est qu’on s’est exprimé d’une manière énigmatique, parce que ces sujets étaient trop profonds pour les intelligences vulgaires, comme nous l’avons déjà dit bien des fois.", "Pour terminer le sujet dont j’ai abordé l’explication, j’ajoute(3)Littéralement: je reviens achever ce que j’ai entrepris de faire comprendre, et je dis etc. que les docteurs ont entrepris de prouver par des passages de l’Écriture(4)Les mots בנצוץ פואםיק signifient: par des textes de versets (bibliques); פואםיק est un pluriel irrégulier, de forme arabe, du mot rabbinique פםוק, verset. que les choses énumérées existent dans ’Arabôth, en disant: «Pour ce qui est de la justice et du droit, il est écrit: la justice et le droit sont la base de ton trône (Ps.89, 15).» Et de même, ils prouvent que les autres choses qu’ils ont énumérées y existent également, en montrant qu’elles sont mises en rapport avec Dieu(5)Le texte arabe de ce passage est assez obscur; en voici à peu près le mot à mot: Et de même ils ont prouvé, pour ces (autres) choses qu’ils ont énumérées, qu’étant (dans) un rapport avec Dieu, elles sont auprès de lui. Le mot ענדה (chez lui ou auprès de lui) ne se rapporte pas à Dieu, mais au ciel ’Arabôth, et il eût été plus régulier de construire ainsi la phrase arabe: וכדׄלך אםתדלוא עלי אן תלך אלתי עדוהא הי ענדה ללה תעאלי (c.-à-d. באנהא נםבה̈ (בכונהא מנםובה̈. Au lieu de נםבה̈ que portent la plupart des manuscrits, quelques uns ont נםבת , et l’un des manuscrits de Leyde, מנםובה̈ ; ces deux dernières leçons paraissent avoir été substituées au mot נםבה̈, pour faciliter l’intelligence du passage. Le sens est: que les docteurs, pour prouver que les autres choses qu’ils ont énumérées existent également dans ’Arabôth, se bornent à citer des passages bibliques où ces choses sont directement attribuées à Dieu; car rien n’émane de Dieu que par l’intermédiaire de ’Arabôth, qui, comme on l’a vu, est l’instrument par lequel Dieu régit l’univers. Ainsi, p. ex., pour prouver que ’Arabôth renferme des trésors de vie, on cite ces mots du Psalmiste: Car auprès de toi est la source de vie (Ps. 36, 10); pour les trésors de paix, on cite ce passage: Et il l’appela (l’autel) Dieu éternel de paix (Juges, 6, 24); pour les trésors de benédiction: Il recevra la bénédiction de la part de l’Éternel (Ps. 24, 5), et ainsi de suite. Voir ’Haghîgâ, l. c. — Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon (à l’exception de l’édil. princeps), notre passage se trouve traduit deux fois, d’abord littéralement, ensuite d’une manière qui en rend plus clairement le sens; la seconde traduction est conçue en ces termes: ובן הביאו ראיה על השאר שהם בערבות מהיותם מיוחסים לשם יתעלה (les mots שהם אצלו, qu’ajoutent les éditions, sont répétés de la première traduction et doivent être effacés). La plupart des manuscrits et l’édition princeps n’ont que cette seconde traduction, qu’Ibn-Tibbon avait mise en marge, en y ajoutant la note suivante qu’on trouve dans quelques manuscrits: אמר שמואל בן חבון הלשון המוגה מחוץ אינו יוצא מלשון הערכי אך הוא יוצא מגוף הענין מלשון חגיגה והוא האמת בעצמו והוא שהעיר עליו באמרו והבן זה «Samuel Ibn-Tibbon dit: La rédaction rectifiée qui se trouve dehors ne correspond pas au texte arabe, mais ressort du sujet même contenu dans le texte de ’Haghîgâ; c’est le sens véritable, et c’est là ce que l’auteur a indiqué en disant: Il faut comprendre cela. Il faut bien comprendre cela. — Dans les Pirké Rabbi Éliézer (chap. 18), on dit: «Le Très Saint a créé sept cieux, et entre tous il n’a choisi, pour trône glorieux de son règne, que le seul ’Arabôth; car il est dit: Exaltez celui qui chevauche sur’Arabôth (Ps. 68, 5).» Tel est le passage textuel; il faut également t’en bien pénétrer. ", "Sache aussi qu’un ensemble de bêtes de monture s’appelle mercabâ (מרבבה, attelage ou char), mot qui est fréquemment employé; p. ex.: Et Joseph fit atteler sa MERCABA ou son char (Genèse, 46, 29); dans le char (מרבבת) du ministre (Ibid., 41, 43); les attelages ou les chars (מרבבות) de Pharaon (Exode, 15, 4). La preuve que ce nom désigne un nombre de bêtes, c’est qu’on a dit: Une MERCABA (ou un attelage) montait et sortait d’Égypte pour six cents pièces d’argent, et un cheval pour cent cinquante (I Roi, X, 29), et cela prouve que mercabâ désigne quatre chevaux. Or, dis-je, comme il a été affirmé par la tradition(1)Littéralement: comme il a été dit, selon ce qui a été dit, c’est-à-dire, selon l’explication traditionnelle donnée par les rabbins à la vision d’Ézéchiel, où il est question des quatre animaux et du trône céleste. Voy. Ézéchiel, chap. I, versets 5 et suiv., et cf. la IIIe partie de cet ouvrage, chap. II. que le trône glorieux (de Dieu) est porté par quatre animaux, les docteurs l’ont appelé pour cela mercabâ, par comparaison avec l’attelage qui se compose de quatre individus.", "Mais voilà qu’on a été entraîné loin du sujet de ce chapitre(2)Littéralement: voilà à quel point a été entraînée la parole dans ce chapitre.. Il y aura nécessairement encore beaucoup d’autres observations à faire sur cette matière; mais il faut revenir au but de ce chapitre qui était de montrer(3)Littéralement: mais le but de ce chapitre, vers lequel on a voulu ramener le discours, était (de montrer) que etc. que les mots celui qui chevauche sur le ciel (Deut., XXXIII, 26) signifient: celui qui, par sa puissance et sa volonté, fait tourner et mouvoir la sphère environnante(4)Cf. ci-dessus, pag. 28, note 1.. De même, à la fin du verset, les mots et par sa majesté, les cieux, signifient: celui qui par sa majesté fait tourner les cieux. On a donc fait ressortir le premier [qui, comme nous l’avons exposé, est ’Arabôth] par le verbe chevaucher (רכב), tandis que pour les autres(1)Plusieurs manuscrits portent ובקיתה avec le suffixe masculin; de même Ibn-Tibbon et Ibn-Falaquera (Moré ha-Moré, pag. 41): ושאריתו. Il faut lire ובקיתהא, comme l’ont en effet quelques manuscrits, et traduire, en hébreu, ושאריתם. (on a employé) le mot majesté (גאוה); car c’est par suite du mouvement diurne, accompli par la sphère supérieure, que se meuvent toutes les (autres) sphères, comme la partie se meut dans le tout, et c’est là la grande puissance qui meut tout et qui, à cause de cela, est appelée majesté (גאוה).", "Que ce sujet soit toujours présent à ton esprit pour (comprendre) ce que je dirai plus lard; car il contient la preuve la plus importante par laquelle on puisse connaître l’existence de Dieu [je veux parler de la circonvolution de la sphère céleste], ainsi que je le démontrerai(2)Voir la IIe partie, chap. I.. Il faut t’en bien pénétrer." ], [ "Sache que les nombreuses sciences que possédait notre nation pour approfondir ces sujets(3)C’est-à-dire, les sujets métaphysiques dont il a été question dans les chapitres précédents, et qui ont été désignés par les rabbins sous la dénomination de Ma’asé mercabâ (voir le chapitre précédent, et ci-dessus, pag. 9). — Avant d’exposer, dans la IIe partie de cet ouvrage, les doctrines des philosophes sur l’existence de Dieu, son unité et son incorporalité, l’auteur va donner, dans les derniers chapitres de cette Ie partie, un exposé du système des Motécallemîn. Le présent chapitre, servant d’introduction à cet exposé, renferme quelques indications historiques sur l’origine dudit système, dont l’influence se fait sentir chez certains théologiens juifs d’Orient. L’auteur fait entendre, au commencement de ce chapitre, que les sciences philosophiques avaient été cultivées par les juifs anciens, et que les sujets métaphysiques en question ne leur étaient pas familiers seulement par la tradition religieuse. Quelle que puisse être la valeur de cette assertion, elle est conforme à l’opinion de plusieurs auteurs anciens, et j’ai fait voir ailleurs que cette opinion a été soutenue par des écrivains païens, chrétiens et musulmans. Voy. mon article Juifs, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, t. III, pag. 352, et les notes que j’y ai jointes dans les Archives israélites, cahier de mars 1848 (le tout publié à part en allemand, avec des additions, par le Dr B. Beer, sous le titre de: Philosophie und philosophische Schriftsteller der Juden, Leipzig, 1852, in-8°, pag. 7 et 96). Du temps de Maïmonide, ladite opinion était généralement accréditée, comme on le voit dans le passage suivant d’Ibn-Roschd, vers la fin de sa Destruction de la Destruction (vers, hébr.): ולא יםפק אחד שהנה היו בבני ישראל חכמים רבים וזה גלוי מהםפרים אשר ימצאו אצל בני ישראל המיוחםים אל שלמה ולא םרה החכמה ענין נמצא באנשי הנבואה והם הנביאים ע״ה «Personne ne doute qu’il n’y ait eu parmi les Israélites beaucoup de philosophes, et cela est évident par les livres qu’on trouve chez les Israélites et qu’on attribue à Salomon. La science a continuellement existé parmi les hommes inspirés, qui sont les prophètes.» se sont perdues tant par la longueur des temps que par la domination que les peuples barbares exerçaient sur nous, et aussi parce que ces sujets, ainsi que nous l’avons exposé(1)Voy. ci-dessus, chap. XXXIV, pag. 127 et suiv., n’étaient point livrés à tout le monde, les textes des Écritures étant la seule chose qui fût abordable pour tous. Tu sais que même la Loi traditionnelle(2)Sur le mot פקה , que les deux traducteurs hébreux rendent par תלמוד (Talmud), voy. ci-dessus, pag. 7, note 1. n’était point autrefois rédigée par écrit, à cause de ce dicton si répandu dans notre communion: «Les paroles que je t’ai dites de vive voix, il ne t’est pas permis de les transmettre par écrit(3)Voy. Talmud de Babylone, traité Guittîn, fol. 60 b, où le verset: Écris-toi ces paroles, etc. (Exode, 34, 27), est interprété dans ce sens qu’il n’est point permis ni d’enseigner verbalement la Loi écrite, ni de transmettre par écrit la Loi orale..» Et c’était là une mesure extrêmement sage à l’égard de la loi; car on évitait par là les inconvénients dans lesquels on tomba plus tard(1)Littéralement: car c’était éviter ce dans quoi on tomba plus tard. Il faut considérer le mot הרב comme un nom d’action et וקע comme un verbe passif impersonnel . La traduction d’Ibn-Tibbon, qui rend ces deux mots comme des prétérits actifs, n’est pas bien claire., je veux dire, les nombreuses manières de voir, la division des opinions, les obscurités qui régnaient dans l’expression du rédacteur, l’erreur à laquelle celui-ci était sujet(2)La version d’Ibn-Tibbon porte וםפקות נופלות בלשון המחובר בםפר ושגגה תתחבר לו. On voit que le traducteur a pris אלמדון pour un participe passif signifiant ce qui a été rédigé par écrit; c’est dans le même sens que ce mot a été rendu par Al-’Harizi. Les mots ושגגה תתחבר לן (l’erreur qui s’y joignait) signifieraient d’après plusieurs commentateurs: les fautes des copistes qui se joignaient à l’obscurité de la rédaction; mais le mot arabe désigne plutôt une erreur de pensée ou d’opinion, une méprise. Il nous paraît préférable de considérer אלמדון comme un participe actif , signifiant rédacteur; les mots וםהו יצחבה signifient littéralement et la méprise ou l’erreur qui l’accompagnait, c’est-à-dire, qui était dans l’esprit du rédacteur., la désunion survenue parmi les hommes, qui se partageaient en sectes, et enfin l’incertitude au sujet des pratiques. Loin de là, la chose resta confiée à tous égards au grand tribunal, comme nous l’avons exposé dans nos ouvrages talmudiques et comme l’indique le texte de la Loi(3)Voy. Deutéronome, chap. XVII (v. 8-12), et Maïmonide, Mischné Tôrâ, préface.. ", "Or, si à l’égard de la Loi traditionnelle on a usé de tant de réserves(4)Le mot אלמשאחחה̈ (comme on lit dans tous les manuscrits), ou mieux אלמשאחה̈ , est le nom d’action de la IIIe forme de , ayant le sens de être avare de quelque chose, s’abstenir avec soin., pour ne pas la perpétuer dans un recueil prodigué à tout le monde, (et cela) à cause des inconvénients qui pouvaient en résulter, à plus forte raison ne pouvait-on rien mettre par écrit de ces secrets de la Tôrâ pour être livré à tout le monde; ces derniers, au contraire, ne se transmettaient que par quelques hommes d’élite à quelques autres hommes d’élite, ainsi que je te l’ai exposé en citant ce passage: «On ne transmet les secrets de la Tôrâ qu’à un homme de conseil, savant penseur, etc.(1)Voy. ci-dessus, chap. XXXIV, page 127..» Et c’est là la cause qui fit disparaître dans notre nation ces principes fondamentaux si importants, au sujet desquels on ne trouve que quelques légères remarques et quelques indications qui se présentent dans le Talmud et dans les Midraschôth, et qui ne sont qu’un petit nombre de noyaux entourés de nombreuses écorces; de sorte que les hommes se sont occupés de ces écorces, ne soupçonnant pas qu’il y eût quelque noyau caché dessous.", "Quant à ce peu de choses que tu trouves du calâm(2)Le mot calâm , qui signifie parole, discours, désigne aussi une science qui se forma chez les musulmans dès le IIe siècle de l’hégire, et qui avait pour but de combattre les doctrines des sectes hétérodoxes et plus tard celle des philosophes, en employant contre ses adversaires les armes de la dialectique et les raisonnements empruntés aux écoles philosophiques. On peut donner à cette science le nom de dogmatique, ou de théologie rationnelle, et elle a beaucoup d’analogie avec la scolastique chrétienne. Le calâm se développa surtout depuis l’introduction, parmi les Arabes, de la philosophie péripatéticienne, et on verra plus loin (chap. LXXIII et suiv.) quelles furent les doctrines établies par cette science et comment elles s’y prenaient pour démontrer la vérité des principaux dogmes religieux, notamment de ceux qui établissent l’unité et l’immatérialité de Dieu et la Création. Quant au nom de calâm, les Arabes eux-mêmes ne sont pas d’accord sur son origine; selon les uns, on appelait ainsi ladite science parce qu’on y avait d’abord discuté principalement sur ce qu’il fallait entendre par parole divine ou par la parole (calâm) attribuée à Dieu (cf. ci-après, pag. 343, note 3); selon les autres, le mot calâm ne serait qu’une imitation du mot mantik , qui signifie également parole, ou discours, et par lequel les philosophes désignaient une des principales branches de leur doctrine, savoir, la logique. Voy. Schahrestâni, Histoire des sectes religieuses et philosophiques, texte ar., pag. 18 (trad. all., t. I, pag. 26); cf. Pococke, Specimen hist. ar., pag. 195. Du mot calâm vient le verbe técallam , ayant le sens de professer le calâm, et dont le participe motécallem, au pluriel motécallémîn, désigne les partisans du calâm. Ayant égard au sens de parole qu’a le mot calâm, les traducteurs hébreux ont appelé cette science חכמת הדבר et ont désigné les Motécallémîn sous le nom de Medabberim (מדברים), que les traducteurs latins, à leur tour, ont rendu par loquentes. On peut voir aussi ce que j’ai dit sur le calâm dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, t. I, art. Arabes (pag. 169 et 174), et dans ma Notice sur R. Saadia Gaôn, pag. 16 et suiv. (Bible de M. Cahen, t. IX, pag. 88 et suiv.). — Les deux traducteurs hébreux ne se sont pas bien rendu compte du sens que le mot אלכלאם a dans notre passage, et ils l’ont pris dans son sens primitif de parole ou discours; Ibn-Tibbon traduit: מדברי ענין היחוד, et Al-’Harizi: מדבריהם בענין היחוד. A la suite des mots que nous venons de citer, il faut lire, dans la version d’Ibn-Tibbon: ומה שנתלה בזה הענין, comme l’ont les manuscrits et l’édition princeps; dans les autres éditions, on a mis par erreur: ומה שנתגלה מזה הענין. chez quelques Gueônîm et chez les Karaïtes(1)On sait que le titre de Gaôn גאון (au plur. Gueônîm) est celui que portaient les chefs des académies juives de Babylone, sous la domination arabe, depuis la fin du VIIe jusque vers le milieu du XIe siècle. La période des Gueônîm coïncide avec celle du développement du calâm chez les Arabes; l’exemple donné par les théologiens musulmans fut suivi par certains docteurs juifs d’Orient, qui, comme les Motécallemîn, cherchèrent à soutenir les dogmes religieux par la spéculation philosophique, et jetèrent les bases d’une théologie systématique et rationnelle. Ce furent les docteurs de la secte des Karaïtes qui les premiers entrèrent dans cette voie et adoptèrent eux-mêmes le nom de Motécallemîn (voy. le Khozari, liv. V, § 15), sans toutefois admettre toutes les hypothèses du calâm musulman, qui seront exposées plus loin (ch. LXXIII). Quelques docteurs rabbanites parmi les Gueônîm imitèrent l’exemple des Karaïtes (cf. ci-dessus, pag. 286, note 3, et pag. 290, note 2). Il nous reste, dans le Livre des Croyances et des Opinions de Rabbi Saadia Gaôn, un monument important de ce qu’on peut appeler le calâm juif, et c’est à ce célèbre docteur que Maïmonide paraît ici faire allusion, comme le fait observer Moïse de Narbonne dans son commentaire à notre passage. Dans le t. III du Dictionnaire des sciences philosophiques, art. Juifs (pag. 355-357), j’ai donné quelques autres détails sur ce sujet. J’ajouterai encore que des auteurs arabes du Xe siècle parlent expressément des Motécallemîn juifs. Al-Mas’oudi en cite plusieurs qu’il avait personnellement connus (voy. Silv. de Sacy, Notices et Extraits des manuscrits, t. VIII, pag. 167). ’Isa ibn-Zara’a, auteur arabe chrétien de Bagdad, en parlant, dans ses opuscules théologiques, d’un certain Abou’l-Khéir Daoud ibn-Mouschadj, dit que c’était un des principaux Motécallemîn juifs et un profond penseur . Voy. ms. ar. de la Biblioth. imp., ancien fonds, n° 98, fol. 40 b et 42 a., au sujet de l’unité de Dieu et de ce qui s’y rattache, ce sont des choses qu’ils ont empruntées aux Motécallemîn des musulmans, et c’est très peu en comparaison de ce que les musulmans ont écrit là-dessus. Il arriva aussi que, dès que les musulmans eurent commencé (à embrasser) cette méthode, il se forma une certaine secte, celle des Mo’tazales(1)La secte des Mo’tazales , dont le nom signifie séparés ou dissidents, eut pour fondateur Wâcil ibn-’Atâ (né l’an 80 de l’hégire, ou 699-700 de l’ère chrét., et mort l’an 131, ou 748-749 de l’ère chrét.). Wâcil, disciple d’Al-’Hasan al-Baçri (de Bassora), s’étant séparé de l’école au sujet de quelque dogme religieux, se fit lui-même chef d’école, et établit une doctrine dont les éléments étaient empruntés à différentes sectes précédentes (cf. Schahrestâni, pag. 18 et suiv.; trad. all., t. I, pag. 25 et suiv.; Pococke, Specimen hist. ar., pag. 211 et suiv.). Les Mo’tazales, subdivisés en plusieurs branches, s’accordent tous sur les deux points suivants: 1° L’homme a une liberté parfaite dans ses actions; il fait de son propre mouvement le bien et le mal, et il a ainsi des mérites ou des démérites. 2° Dieu, absolument un, n’a point d’attributs distincts de son essence (cf. ci-dessus, pag. 209, note 1). C’est à cause de ces deux points principaux de leur doctrine, ayant pour but d’établir la justice et l’unité absolues de Dieu, que les Mo’tazales se désignent eux-mêmes par la dénomination de (partisans de la justice et de l’unité). Ce sont précisément ces mêmes expressions que l’historien arabe Al-Mas’oudi emploie pour désigner la doctrine des disciples de ’Anân (voir de Sacy, Notices et Extraits, I. c.; Chrest. ar., t. I, pag. 349-351), ce qui prouve que les théologiens karaïtes prirent surtout pour modèle les docteurs musulmans de la secte des Mo’tazales. D’accord avec Maïmonide, l’auteur karaïte Ahron ben-Élie dit expressément que les savants karaïtes et une partie des rabbanites suivaient les doctrines des Mo’tazales (voy. עץ חיים ou Arbre de la iev, édit. de Leipzig, pag. 4)., et nos coreligionnaires leur firent maints emprunts et suivirent leur méthode. Beaucoup plus tard, il naquit parmi les musulmans une autre secte, celle des Asch’ariyya(1)Les Asch’ariyya ou Ascharites sont les disciples d’Abou’l-’Hasan ’Ali ben-Isma’îl al-Asch’ari, de Bassora (né vers l’an 880 de l’ère chrét., et mort en 940). Celui-ci, élevé dans les principes des Mo’tazales, et déjà un de leurs principaux docteurs, déclara publiquement, un jour de vendredi, dans la grande mosquée de Bassora, qu’il se repentait d’avoir professé des doctrines hérétiques, et qu’il reconnaissait la préexistence du Korân, les attributs de Dieu et la prédestination des actions humaines. Les Ascharites admettaient donc, sans détour, des attributs de Dieu distincts de son essence et niaient le libre arbitre de l’homme. On voit que leur doctrine était diamétralement opposée à celle des Mo’tazales; ils faisaient néanmoins quelques réserves pour éviter de tomber dans l’anthropomorphisme et pour ne pas nier toute espèce de mérite et de démérite dans les actions humaines (voy. l’art. Arabes dans le Dictionnaire des sc. philos., t. I, pag. 176, et cf. ci-dessus, pag. 186, note 1). Plusieurs détails de la doctrine des Ascharites seront exposés plus loin, ch. LXXIII (Propos. 6, 7 etc.); sur le fatalisme absolu que professait cette secte, voy. la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XVII (3e opinion)., professant d’autres opinions, dont on ne trouve rien chez nos coreligionnaires; non pas que ceux-ci aient choisi de préférence la première opinion plutôt que la seconde, mais parce qu’il leur était arrivé par hasard de recevoir la première opinion, et qu’ils l’avaient adoptée en la croyant fondée sur des preuves démonstratives(2)Littéralement: et qu’ils la croyaient une chose démonstrative, c’est-à-dire, qu’ils croyaient que les opinions des Mo’tazales étaient des vérités qui pouvaient être rigoureusement démontrées.. Quant aux Andalousiens de notre communion, ils sont tous attachés aux paroles des philosophes et penchent vers leurs opinions, en tant qu’elles ne sont pas en contradiction avec un article fondamental de la religion; et tu ne trouveras point qu’ils marchent, sous un rapport quelconque, dans les voies des Motécallemîn, C’est pourquoi, dans ce peu de choses qui nous reste de leurs (auteurs) modernes, ils suivent, sous beaucoup de rapports, à peu près notre système (adopté) dans ce traité(1)Il semble résulter de ce que dit ici Maïmonide qu’il avait existé avant lui en Andalousie ou dans l’Espagne musulmane un certain nombre de théologiens ou de philosophes juifs (cf. ci-dessus, ch. XLII, pag. 149, et ibid., note 1), mais que déjà de son temps on ne possédait plus de la littérature philosophique des juifs d’Espagne qu’un petit nombre d’ouvrages émanés de quelques écrivains récents. Ceux qui nous restent encore aujourd’hui justifient en général le jugement porté par notre auteur, à l’exception de deux qui ont fait divers emprunts aux Motécallemîn. Salomon ibn-Gebirol, de Malaga, nous a laissé, dans sa Source de vie, un document important qui prouve que dès le XIe siècle, et avant que la philosophie péripatéticienne eût trouvé un digne représentant parmi les musulmans d’Espagne, les juifs de ce pays s’étaient livrés avec succès aux études philosophiques et avaient abordé les plus hautes questions métaphysiques; et dès cette même époque il y eut aussi en Espagne des écrivains qui crurent devoir défendre la religion contre les envahissements de la philosophie. Cf. ma Notice sur Abou’l-Walîd Merwân ibn-Djanâ’h, pag. 81 et suiv. (Journal asiatique, juillet 1850, pag. 45 et suiv.). Vers 1160, Abraham ben-David, de Tolède, adversaire d’Ibn-Gebirol, entreprit, dans son ouvrage intitulé la Foi sublime, de concilier ensemble la religion et la philosophie, et on reconnaît en lui un grand admirateur de la philosophie d’Aristote, qu’il fait intervenir dans les questions religieuses à peu près dans la même mesure que Maïmonide. Vers la même époque Juda ha-Lévi, de Castille, avait, dans son célèbre Khozari, déclaré la guerre à la philosophie, dans laquelle il était profondément versé; mais en même temps il avait rejeté les raisonnements du calâm, qu’il regardait comme des subtilités inutiles (voy. son dit ouvrage, liv. V, § 16). Parmi ses contemporains, Moïse ben-Jacob ibn-Ezra paraît appartenir à l’école philosophique, tandis que Joseph ibn-Çaddîk se trouvait à divers égards sous l’influence du calâm (cf. ci-dessus, pag. 209, note 1). Cette même influence se fait remarquer, à la fin du XIe siècle, dans le célèbre ouvrage de Ba’hya ben-Joseph, de Saragosse, intitulé Devoirs des cœurs; dans le livre Ier, qui traite de l’unité de Dieu, nous trouvons plusieurs arguments empruntés aux Motécallemîn (voir notamment le chap. V), quoique, sous le rapport des attributs divins, Ba’hya se montre entièrement d’accord avec les philosophes (cf. ci-dessus, pag. 238, note 1)..", "Il faut savoir que tout ce que les musulmans, tant Mo’tazales qu’Ascharites, ont dit sur les sujets en question, ce sont des opinions basées sur certaines propositions, lesquelles sont empruntées aux écrits des Grecs et des Syriens, qui cherchaient à contredire les opinions des philosophes et à critiquer leurs paroles(1)L’auteur fait allusion aux écrivains ecclésiastiques, grecs et syriens, qui, à partir du VIe siècle, durent défendre les dogmes chrétiens contre la philosophie péripatéticienne de plus en plus dominante et contre les nombreuses hérésies issues de cette même philosophie. Les défenseurs de la religion se servirent des armes de la dialectique que l’étude de la philosophie d’Aristote leur avait mises entre les mains. Cf. Brucker, Hist. crit. philos., t. III, pag. 534; Ritter, Geschichte der Philosophie, t. VI, pag. 458 et suiv. (Philos. chrét., liv. VII, chap. 1). La même méthode, comme l’auteur va l’expliquer, fut suivie par les Motécallemîn musulmans, qui connaissaient les écrits de plusieurs écrivains de l’Église grecque, tels que Jean Philopone, Jean Damascène et autres, et qui étaient encore plus à même de puiser dans les écrits des théologiens chrétiens de Syrie et de Mésopotamie. Des savants chrétiens, tant nestoriens que jacobites, vivaient en grand nombre au milieu des musulmans, qui leur devaient la connaissance de la philosophie et des sciences des Grecs. Cf. Wenrich, De auctorum Grœcorum versionibus et commentariis syriacis arabicis etc., pag. 7-22; E. Renan, De Philosophia peripatetica apud Syros, Paris 1852.. Et cela pour la raison que voici: Lorsque l’Église chrétienne, dont on connaît la profession de foi, eut reçu dans son sein ces nations(2)Littéralement: lorsque la nation chrétienne eut embrassé (dans son sein) ces nations [et l’assertion des chrétiens est ce qu’on sait] etc. Le mot מלה̈ , nation, désigne surtout une grande communauté religieuse. Au lieu de דעוי (assertion), quelques manuscrits ont le verbe אדעוא ; de même Ibn-Tibbon: וטענו הנוצרים מה שכנר נודע, et les chrétiens affirmaient (ou soutenaient) ce qu’on sait. L’auteur veut parler des mystères de l’Incarnation et de la Trinité., parmi lesquelles les opinions des philosophes étaient répandues, — car c’est d’elles qu’est émanée la philosophie, — et qu’il eut surgi des rois qui protégeaient la religion, les savants de ces siècles, parmi les Grecs et les Syriens, virent qu’il y avait là des assertions avec lesquelles les opinions philosophiques se trouvaient dans une grande et manifeste contradiction. Alors naquit parmi eux cette science du calâm, et ils commencèrent à établir des propositions, profitables pour leur croyance, et à réfuter ces opinions qui renversaient les bases de leur religion. ", "Et lorsque les sectateurs de l’islamisme eurent paru et qu’on leur transmit les écrits des philosophes, on leur transmit aussi ces réfutations qui avaient été écrites contre les livres des philosophes. Ils trouvèrent donc les discours de Jean le grammairien(1)Cet auteur est Jean Philopone, surnommé le grammairien, qui florissait à Alexandrie dans les VIe et VIIe siècles; son commentaire sur la Physique d’Aristote porte la date de l’an 333 de l’ère de Dioclétien, ou des Martyrs, qui correspond à l’an 617 de l’ère chrét. (voy. Fabricius, Biblioth. gr., t. X, pag. 640, 4e édition). Les discours de Philopone, auxquels Maïmonide fait ici allusion, sont, sans doute, sa Réfutation du traité de Proclus sur l’éternité du monde, et sa Cosmogonie de Moïse., d’Ibn-’Adi(2)Abou-Zacariyya Ya’hya IBN-’ADI, chrétien jacobite, de Tecrît en Mésopotamie, vivait à Bagdad au Xe siècle. Il était disciple d’Al-Farâbi, et se rendit célèbre par ses traductions arabes de plusieurs ouvrages d’Aristote et de ses commentateurs. Selon le Tarîkh al-’hocamâ d’Al-Kifti, il mourut le 13 août de l’an 1285 des Séleucides (974 de l’ère chrét.), âgé de 81 ans. Cf. Abou’l-Faradj, Hist. dynast., texte ar., pag. 317, vers, lat., pag. 209. Ibn-’Adi composa aussi des écrits théologiques, où il cherchait à mettre d’accord la philosophie avec les dogmes chrétiens; ainsi, par exemple, il voyait dans la Trinité l’unité de l’intellect, de l’intelligent et de l’intelligible (cf. ci-dessus, chap. LXVIII), qui sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit (voy. Hammer, Encyklopœdische Ubersicht der Wissenschaften des Orients, pag. 423). Il paraîtrait que Maïmonide ne connaissait pas bien l’épocque a laquelle avait vécu Ibn-’Adi et qu’il le croyait plus ancien, puisqu’il semble supposer que les premiers Motécallemîn musulmans avaient puisé dans ses écrits. et d’autres encore, traitant de ces matières; et ils s’en emparèrent dans l’opinion d’avoir fait une importante trouvaille. Ils choisirent aussi dans les opinions des philosophes anciens tout ce qu’ils croyaient leur être utile(3)Littéralement: tout ce que celui qui choisissait croyait lui être utile., bien que les philosophes plus récents en eussent démontré la fausseté, comme, par exemple, l’hypothèse des atomes et du vide(1)Voir ci-après, chap. LXXIII, propos. 1 et 2.; et ils s’imaginaient que c’étaient là des choses d’un intérêt commun et des propositions dont avaient besoin tous ceux qui professaient une religion positive. Ensuite le calâm s’étendit et on entra dans d’autres voies extraordinaires, dans lesquelles les Motécallemîn grecs et autres ne s’étaient jamais engagés(2)La plupart des manuscrits d’Oxford portent אלם, et ce mot a été pris par Ibn-Tibbon dans le sens de souffrir, être malade ou affecté de quelque chose , car il le traduit par נחלו (c.-à-d. נֶחֱלוּ, niph’al de הלה). Dans les deux manuscrits de Leyde on lit עלם , et c’est cette leçon qu’exprime Al-’Harizi, qui a נודעו; dans un manuscrit de la version d’Ibn-Tibbon (fonds de l’Oratoire, n° 46), on lit de même ידען au lieu de נחלו. Aucune des deux versions n’exprime le vrai sens du texte arabe, où il faut lire (IVe forme de ), verbe qui signifie entrer, aborder, s’engager dans quelque chose; cf. ci-dessus, chap. XXVIII, , c’est pourquoi il ne s’engage pas dans cette question (fol. 31 b de notre texte et pag. 96 de la traduction), où Ibn-Tibbon rend le verbe par הבנים עצמו.; car ceux-ci étaient plus rapprochés des philosophes(3)C’est-à-dire, leur temps était plus rapproché de celui des philosophes anciens, auxquels ils se rattachaient par plusieurs liens. C’est du moins ainsi que ce passage a été entendu par Al-’Harizi qui traduit: כי החבמים ההם היה זמנם קרוב לדור הפילוםופים. Cependant, selon quelques commentateurs, le sens serait que les théologiens grecs se tenaient plus près des philosophes, c’est-à-dire, ne s’écartaient pas tant de leurs doctrines; le texte arabe, ainsi que la version d’Ibn-Tibbon, admet en effet cette interprétation, et elle est aussi favorisée par une variante de quelques manuscrits arabes qui portent אלפלספח, de la philosophie, au lieu de אלפלאםפה̈, des philosophes.. Puis il surgit encore, parmi les musulmans, des doctrines religieuses qui leur étaient particulières et dont il fallait nécessairement prendre la défense; et, la division ayant encore éclaté parmi eux à cet égard, chaque secte établit des hypothèses qui pussent lui servir à défendre son opinion.", "Il n’y a pas de doute qu’il n’y ait là des choses qui intéressent également les trois (communions), je veux dire, les juifs, les chrétiens et les musulmans, comme, par exemple(1)Tous les manuscrits arabes portent והי au féminin, se rapportant à אשיא; les deux versions hébraïques ont והוא., le dogme de la nouveauté du monde, [de la vérité duquel dépend celle des miracles,] et d’autres encore(2)וגירהא ne peut grammaticalement se rapporter qu’au mot אלמעגׄזאת, et il en est de même du mot וזולתם dans les versions hébraïques; mais nous croyons que l’auteur a mis par inadvertance וגירהא, au lieu de וגירה, et que ce mot se rapporte à אלקול. De cette manière se justifie aussi l’emploi du féminin והי dont nous avons parlé dans la note précédente.. Mais les autres questions dans lesquelles les sectateurs des deux religions (chrétienne et musulmane) ont pris la peine de s’engager, comme, par exemple, ceux-ci dans la question de la Trinité et quelques sectes de ceux-là dans celle de la parole(3)L’auteur fait allusion à la discussion qui s’éleva entre les théologiens musulmans sur la parole divine adressée aux prophètes, et notamment à Mo’hammed. Selon les uns, la parole de Dieu est éternelle, et le Korân, dans lequel elle est déposée, a existé de toute éternité; selon les autres, elle est créée dans le sujet dans lequel elle se révèle, et qui la revêt de lettres et de sons. Voy. Pococke, Specimen hist. ar., pag. 217 et suiv.; Schahrestâni, pag. 30 et 156 (trad. all., t. I, pag. 42 et 236); cf. ci-dessus, pag. 290, note 2. C’est dans ce sens aussi qu’Ibn-Tibbon explique le mot דבור, par lequel il rend ici le mot arabe בלאם; dans quelques manuscrits de sa version on lit cette note du traducteur: רוצה בו דבור השם לנביאים כי האריבו לדבר במהותו אם הוא קדמון או מחודש «Il veut parler de la parole de Dieu (adressée) aux prophètes; car ils (les musulmans) ont discuté longuement sur la question de savoir si elle est éternelle ou créée.» [de sorte qu’ils ont eu besoin d’établir certaines hypothèses de leur choix, afin de soutenir les questions dans lesquelles ils s’étaient engagés(1)Littéralement: certaines hypothèses, au moyen desquelles hypothèses, qu’ils avaient choisies, ils soutenaient les choses dans lesquelles ils s’étaient engagés.], ainsi que tout ce qui est particulier à chacune des deux communions et a été posé en principe par elle(2)Littéral.: de ce qui a été posé chez elle. Les mots ממא פיהא sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon (selon les éditions) par ממה שחובר בהם לה, de ce qui a été COMPOSÉ à cet égard par elle, c’est-à-dire, de ce qui a été consigné dans des écrits; nous préférons la leçon de plusieurs manuscrits qui portent ממה שהוצע לה., (de tout cela, dis-je,) nous n’en avons besoin en aucune façon.", "En somme, tous les anciens(3)Tous les manuscrits ont אלאול au singulier, ce qui est irrégulier. Motécallemîn, tant parmi les Grecs devenus chrétiens que parmi les musulmans, ne s’attachèrent pas d’abord, dans leurs propositions, à ce qui est manifeste dans l’être, mais ils considéraient comment l’être devait exister pour qu’il pût servir de preuve de la vérité de leur opinion, ou du moins ne pas la renverser. Cet être imaginaire une fois établi, ils déclarèrent que l’être est de telle manière; ils se mirent à argumenter pour confirmer ces hypothèses d’où ils devaient prendre les propositions par lesquelles leur système pût se confirmer ou être à l’abri des attaques. Ainsi firent même les hommes intelligents qui, les premiers, suivirent ce procédé; ils consignèrent cela dans des livres et prétendirent que la seule spéculation les y avait amenés sans qu’ils eussent eu égard à un système ou à une opinion quelconque du passé. Ceux qui plus tard lisaient ces livres ne savaient rien de ce qui s’était passé; de sorte qu’en trouvant dans ces livres anciens de graves argumentations et de grands efforts pour établir ou pour nier une certaine chose, ils s’imaginaient que ce n’était nullement dans l’intérêt des principes fondamentaux de la religion qu’on avait besoin d’établir ou de nier cette chose(4)Littéralement: qu’on n’avait nullement besoin d’établir ou de nier cette chose, pour ce qui est nécessaire des bases de la religion., et que les anciens n’avaient fait cela que pour montrer ce qu’il y avait de confus dans les opinions des philosophes et pour élever des doutes sur ce que ceux-ci avaient pris pour une démonstration. Ceux qui raisonnaient ainsi ne se doutaient pas qu’il en était tout autrement(1)Littéralement: ne s’apercevaient pas et ne savaient pas que la chose n’était pas comme ils croyaient.; car, au contraire, si les anciens se sont donné tant de peine pour chercher à établir telle chose et en nier telle autre(2)Littéralement: pour établir ce qu’on cherchait à établir, et pour nier ce qu’on cherchait à nier., ce n’était qu’à cause du danger qui pouvait en résulter, fût-ce même au bout (d’une série) de cent prémisses, pour l’opinion qu’on voulait avérer, de sorte que ces anciens Motécallemîn coupèrent la maladie dès son principe(3)C’est-à-dire: Ils nièrent même des propositions inoffensives, dès qu’ils s’aperçurent que, de conséquence en conséquence, elles pouvaient aboutir à une proposition dangereuse pour la religion.. Mais je te dirai en thèse générale que la chose est comme l’a dit Thémistius, savoir: que l’être ne s’accommode pas aux opinions, mais que les opinions vraies s’accommodent à l’être(4)Moïse de Narbonne exprime son étonnement de ce que l’auteur cite ici Thémistius (commentateur d’Aristote du IVe siècle), au lieu de citer Aristote lui-même, qui, dit-il, a longuement traité ce sujet dans la lettre Γ (le liv. IV) de la Métaphysique, où il s’exprime ainsi: «Si toute pensée et toute opinion étaient vraies, tout serait nécessairement vrai et faux à la fois; car beaucoup d’hommes pensent le contraire de ce que pensent d’autres, et croient que ceux qui ne pensent pas comme eux sont dans l’erreur.» Ce qui veut dire (ajoute Moïse de Narbonne) qu’il faudrait que les choses fussent vraies et fausses à la fois, si elles s’accommodaient aux opinions des hommes; car souvent les hommes ont sur une seule et même chose des opinions opposées. Le passage auquel il est fait allusion se trouve au liv. IV, chap. 6, de la Métaphysique, où Aristote, combattant la doctrine de Protagoras (qui disait que l’homme ou l’opinion individuelle est la mesure de toutes choses), s’exprime en ces termes: εἴτε γἀρ τὰ δοϰοῖντα πάντα ἐστὶν ἀληθῆ ϰαὶ τὰ φαινόμενα, ἀνὰγϰη πάντα ἃμα ἀληθῆ ϰαὶ ψευδῆ εἶναι. πολλοὶ γὰρ τἀναντία ὑπολαμβάνουσιν ἀλλή-λοις, ϰαὶ τοὺς μὴ ταὐτὰ δοξάζοντας ἑαυτοῖς διεψεῦσθαι νομίζουσιν, ϰ. τ. λ. Après avoir fait quelques autres citations du même chapitre, Moïse de Narbonne ajoute: «Il me semble que l’auteur (Maïmonide), en composant ce traité, consultait particulièrement les modernes.» Il paraît en effet que Maïmonide, en étudiant la philosophie péripatéticienne, ne remontait pas toujours aux sources, et se bornait à lire les analyses des commentateurs; parmi ces derniers, Thémistius était un des plus accerédités chez les Arabes, et c’est surtout dans les ouvrages de ce commentateur et dans ceux d’Ibn-Sînâ que beaucoup de savants arabes étudiaient la philosophie d’Aristote. Cf. Schahrestâni, l. c., pag. 312 et 326 (trad. all., t. II, pag. 160 et 181)..", "Ayant étudié les écrits de ces Molécallemîn, selon que j’en avais la facilité, comme j’ai aussi étudié, selon mon pouvoir, les écrits des philosophes, j’ai trouvé que la méthode de tous les Motécallemîn est d’une seule et même espèce, quoique présentant diverses variétés. En effet, ils ont tous pour principe qu’il ne faut pas avoir égard à l’être tel qu’il est, car ce n’est là qu’une habitude, dont le contraire est toujours possible dans notre raison. Aussi, dans beaucoup d’endroits, suivent-ils l’imagination, qu’ils décorent du nom de raison. Après avoir donc établi les propositions que nous te ferons connaître, ils ont péremptoirement décidé, au moyen de leurs démonstrations, que le monde est créé; or, dès qu’il est établi que le monde est créé, il est indubitablement établi qu’il y a un ouvrier qui l’a créé. Ils démontrent ensuite que cet ouvrier est un, et enfin ils établissent qu’étant un, il n’est point un corps. Telle est la méthode de tout Motécallem d’entre les musulmans dans ce genre de questions; et il en est de même de ceux qui les ont imités parmi nos coreligionnaires et qui ont marché dans leurs voies. Quant à leurs manières d’argumenter et aux propositions par lesquelles ils établissent la nouveauté du monde ou en nient l’éternité, il y en a de variées; mais la chose qui leur est commune à tous, c’est d’établir tout d’abord la nouveauté du monde, au moyen de laquelle il est avéré que Dieu existe. ", "Quand donc j’ai examiné cette méthode, mon âme en a éprouvé une très grande répugnance, et elle mérite en effet d’être repoussée; car tout ce qu’on prétend être une preuve de la nouveauté du monde est sujet aux doutes, et ce ne sont là des preuves décisives que pour celui qui ne sait point distinguer entre la démonstration, la dialectique et la sophistique(1)La dialectique et la sophistique s’occupent du même genre de questions que traite la philosophie et elles ont pour objet l’être. Mais, dit Aristote, la dialectique ne fait qu’examiner là où la philosophie reconnaît; la sophistique paraît (la science), sans l’être: ἒστι δὲ ἡ διαλεϰτιϰὴ πειραστι-ϰὴ περὶ ὧν ἡ φιλοσοφία γνωριστιϰή ἡ δὲ σοφιστιϰὴ φαινομένη, οὖσα δ’οὔ. Métaph., liv. IV, chap. 2.. Mais pour celui qui connaît ces différents arts, il est clair et évident que toutes ces démonstrations sont douteuses, et qu’on y a employé des prémisses qui ne sont pas démontrées.", "Le terme jusqu’où pourrait aller, selon moi, le théologien(2)אלמתשרעון (proprement: ceux qui s’occupent de la Loi) signifie la même chose que אהל אלשריעה̈; voy. ci-dessus, pag. 68, note 3. qui cherche la vérité, ce serait de montrer la nullité des démonstrations alléguées par les philosophes pour l’éternité (du monde); et combien ce serait magnifique si l’on y réussissait! En effet, tout penseur pénétrant qui cherche la vérité et ne s’abuse pas lui-même sait bien que cette question, je veux dire (celle de savoir) si le monde est éternel ou créé, ne saurait être résolue par une démonstration décisive, et que c’est un point où l’intelligence s’arrête. Nous en parlerons longuement; mais qu’il te suffise (maintenant de savoir), pour ce qui concerne cette question, que depuis trois mille ans, et jusqu’à notre temps, les philosophes de tous les siècles ont été divisés là-dessus, (comme on peut le voir) dans ce que nous trouvons de leurs ouvrages et de leur histoire(3)Dans la version d’Ibn-Tibbon il faut ajouter, après מחבוריהם, le mot ודבריהם, qu’on trouve dans les manuscrits de cette version et dans celle d’Al-’Harizi; le sens est, qu’on peut s’en convaincre, soit par leurs propres ouvrages, soit par ce qui est rapporté sur leur compte.. ", "Or, puisqu’il en est ainsi de cette question, comment donc la prendrions-nous comme prémisse pour construire (la preuve de) l’existence de Dieu? Celle-ci serait alors douteuse: Si le monde est créé (dirait-on), il y a un Dieu; mais s’il est éternel, il n’y a pas de Dieu. Voilà où nous en serions, à moins que nous ne prétendions avoir une preuve pour la nouveauté du monde et que nous ne l’imposions de vive force(1)Littéralement: et que nous ne combattions pour cela par le glaive. Il y a peut-être ici une allusion ironique à la manière dont l’islamisme chercha à propager ses doctrines., afin de pouvoir prétendre que nous connaissons Dieu au moyen de la démonstration. Mais tout cela serait loin de la vérité; ", "selon moi, au contraire, la manière véritable, c’est-à-dire la méthode démonstrative dans laquelle il n’y a point de doute, consiste à établir l’existence de Dieu, son unité et son incorporalité par les procédés des philosophes, lesquels procédés sont basés sur l’éternité du monde. Ce n’est pas que je croie l’éternité du monde, ou que je leur fasse une concession à cet égard; mais c’est que, par cette méthode, la démonstration devient sûre et on obtient une parfaite certitude sur ces trois choses, savoir, que Dieu existe, qu’il est un et qu’il est incorporel, sans qu’il importe de rien décider à l’égard du monde, (savoir) s’il est éternel ou créé. Ces trois questions graves et importantes étant résolues par une véritable démonstration, nous reviendrons ensuite sur la nouveauté du monde et nous produirons à cet égard toutes les argumentations possibles(2)Littéralement: et nous dirons là-dessus tout ce par quoi il est possible d’argumenter, c’est-à-dire, nous produirons tous les arguments qu’on peut alléguer en faveur de la nouveauté du monde, ou du moins contre son éternité. Voy. la IIe partie, chap. XV et suiv..", "Si donc tu es de ceux qui se contentent de ce qu’ont dit les Motécallemîn et que tu croies qu’il y a une démonstration solide pour la nouveauté du monde, certes c’est fort bien; et si la chose ne te paraît pas démontrée, mais que lu acceptes traditionnellement des prophètes que le monde est créé, il n’y a pas de mal à cela. Cependant, il ne faut pas demander (dès à présent): Comment le prophétisme peut-il subsister, si le monde est éternel? (et il faut attendre) jusqu’à ce que tu aies entendu ce que nous dirons sur le prophétisme dans le présent traité; car nous ne nous occupons pas maintenant de ce sujet. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que dans les propositions que les hommes des racines(1)Le mot désigne ceux qui s’occupent des racines ou des doctrines fondamentales de la religion; ce sont ces racines qui forment le sujet du calâm, tandis que les branches , c’est-à-dire, tout ce qui est secondaire, et notamment les pratiques, sont du domaine de la jurisprudence . Voy. Pococke, Specimen hist. ar., texte d’Abou’l-Faradj, pag. 16; Schahrestâni, pag. 28 (tr. all., t. I, pag. 38 et 39)., je veux dire les Motécallemîn, ont établies pour affirmer la nouveauté du monde, il y a renversement du monde et altération des lois de la nature(2)Les expressions hébraïques הִפּוּךְ עולם et שנוי םדרי בראשית, dont se sert ici l’auteur, sont empruntées à des locutions talmudiques fort connues; p. ex.: עולם הָפוך ראיתי, Talm. de Bab., traité Pesa’hîm, fol. 50 a; נשתנו לו םדרי בראשית, ibid., traité Schabbâth, fol. 53 b; גדולה חבתן של ישראל שהקב״ה משנה םדרי בראשית בשביל טובתן Schemôth rabbâ, sect. 38., comme tu vas l’entendre; car je ne puis me dispenser de te parler de leurs propositions et de leur manière d’argumenter.", "Quant à ma méthode, elle est telle que je vais te la décrire sommairement. Le monde, dis-je, est nécessairement ou éternel ou créé. Or, s’il est créé, il a indubitablement un créateur, car c’est une notion première que ce qui est ne s’est pas fait naître lui-même, mais ce qui l’a fait naître est autre chose que lui; donc (dit-on), ce qui a fait naître le monde, c’est Dieu. Si (au contraire) le monde est éternel, il s’ensuit nécessairement, en vertu de telle et telle preuve, qu’il existe un être, autre que tous les corps de l’univers, qu’il n’est ni un corps, ni une faculté dans un corps, qu’il est un, permanent, éternel, qu’il n’a pas de cause et qu’il est immuable; cet être est Dieu. Il est donc clair que les preuves de l’existence de Dieu, de son unité et de son incorporalité, il faut les obtenir uniquement par l’hypothèse de l’éternité (du monde), et ce n’est qu’ainsi que la démonstration sera parfaite, n’importe que (réellement) le monde soit éternel ou qu’il soit créé(1)Voici quel est le raisonnement de l’auteur: Si on admet que le monde est créé, il s’ensuit sans doute qu’il existe un créateur; mais on ne parvient ainsi à établir autre chose que la simple existence de Dieu, tandis qu’en admettant l’éternité du monde, on aura des démonstrations rigoureuses pour établir en même temps l’immatérialité, l’unité et l’immutabilité de Dieu, ainsi qu’on le verra dans les premiers chapitres de la IIe partie de cet ouvrage. Il faut donc emprunter tout d’abord les arguments de ceux qui professent l’éternité de la matière première, afin qu’il ne reste point de doute sur la véritable nature de l’Être suprême, sauf à réfuter ensuite l’hypothèse de l’éternité de la matière. On sent facilement ce que ce raisonnement a de vicieux; il renferme l’aveu implicite que le croyant qui admet le dogme de la Création ex nihilo doit admettre l’unité et l’incorporalité de Dieu comme objets de la foi religieuse et renoncer à toute démonstration à cet égard. Voici comment Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, pag. 43) s’exprime sur notre passage: «On peut ici objecter: Comment veut-on démontrer un sujet aussi important au moyen d’une chose douteuse, et à plus forte raison si cette chose n’est pas vraie? car, si les prémisses de la démonstration ne sont pas vraies, comment la conclusion peut-elle être vraie, et comment peut-on avec de telles prémisses former une démonstration qui ne soit point douteuse?… Sans doute, cela n’a pu échapper à notre maître, qui a sagement disposé toutes ses paroles.» Cf. ci-dessus, pag. 29, note 1.. C’est pourquoi tu trouveras que toutes les fois que, dans mes ouvrages talmudiques, il m’arrive de parler des dogmes fondamentaux(2)Littéralement: C’est pourquoi tu trouveras toujours dans ce que j’ai composé sur les livres du FIKH (ou du Talmud), lorsqu’il m’arrive de parler de bases (ou de principes fondamentaux), etc. Au lieu de קואעד un des manuscrits d’Oxford (catal. d’Uri, n° 359) porte קואעד אלשריעה̈, des bases de la religion. C’est cette leçon qui a été suivie dans les deux versions hébraïques; celle d’Ibn-Tibbon a יםודות הדת, et celle d’Al-’Harizi יםודות האמונה. Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, pag. 43) a mis פנה מפנות התורה, ce qui serait en arabe: קאערה̈ מן קואער אלשריעה̈. et que j’entreprends d’établir l’existence de Dieu, je le fais dans des termes inclinant vers l’éternité (de la matière). Ce n’est pas que je professe l’éternité; mais je veux affermir l’existence de Dieu dans notre croyance par une méthode démonstrative sur laquelle il ne puisse y avoir aucune contestation, afin de ne pas appuyer ce dogme vrai, d’une si grande importance, sur une base que chacun puisse ébranler et chercher à démolir, et que tel autre puisse même considérer comme non avenue(1)Littéralement: et qu’un autre puisse prétendre n’avoir jamais été construite.. Et d’autant plus(2)C’est-à-dire, j’ai d’autant plus de raisons pour en agir ainsi. que les preuves philosophiques sur ces trois questions(3)C’est-à-dire, celles de l’existence, de l’unité et de l’incorporalité de Dieu. sont prises dans la nature visible de l’être, qui ne saurait être niée qu’à la faveur de certaines opinions préconçues, tandis que les preuves des Motécallemîn sont puisées dans des propositions contraires à la nature visible de l’être, de sorte qu’ils sont obligés(4)Les manuscrits portent ילתגׄון et plus loin פילתגׄוא לתואליף; nous avons cru devoir écrire, dans les deux passages, , car la construction indique que ce verbe vient de la racine , qui signifie avoir recours, être réduit à quelque chose. Dans les manuscrits, le ו et le י hamzés sont souvent supprimés. Cf. ci-dessus, pag. 50, note 3. d’établir qu’aucune chose n’a une nature (fixe).", "Je te donnerai dans ce traité, en parlant de la nouveauté du monde, un chapitre particulier dans lequel je t’exposerai une certaine démonstration sur cette question(5)Voy. la IIe partie, chap. XIX., et j’arriverai au terme auquel tout Motécallem a aspiré, sans que pour cela je nie la nature de l’être, ni que je contredise Aristote dans rien de ce qu’il a démontré. En effet, tandis que la preuve que certains Motécallemîn ont alléguée pour la nouveauté du monde, et qui est la plus forte de leurs preuves(1)L’auteur paraît ici faire allusion à la Ve des preuves des Motécallemîn énumérées plus loin, chap. LXXIV., n’a pu être établie par eux sans qu’ils eussent nié la nature de tout l’être et contredit tout ce que les philosophes ont exposé, j’arriverai, moi, à une preuve analogue, sans être en contradiction avec la nature de l’être, ni avoir besoin de contester les choses sensibles(2)C’est-à-dire, de nier les choses évidentes. Le mot désigne une négation obstinée, une discussion qui a pour but, non pas la vérité, mais la dispute et la contradiction. Voy. l’Appendice du Moré ha-Moré, chap. III (pag. 152); les hommes de science, dit Ibn-Falaquéra, appellent celui qui nie l’évidence . Cf. le livre Ta’rifàt, cité dans le Dictionnaire de Freytag, à la racine ..", "Je crois devoir te rapporter les propositions générales au moyen desquelles les Motécallemîn établissent la nouveauté du monde, ainsi que l’existence, l’unité et l’incorporalité de Dieu; je te ferai voir quelle est leur méthode à cet égard, et je t’exposerai ce qui résulte de chacune desdites propositions. Ensuite je te rapporterai les propositions des philosophes directement relatives à ce sujet, et je te ferai voir la méthode de ces derniers. ", "Tu ne me demanderas pas que, dans ce traité, je démontre la vérité de ces propositions philosophiques que je te rapporterai sommairement; car il y a là la plus grande partie de la physique et de la métaphysique. De même tu ne désireras pas que je te fasse entendre, dans ce traité, les arguments allégués par les Motécallemîn pour démontrer la vérité de leurs propositions; car ils ont passé à cela leur vie, comme l’y passeront encore ceux qui viendront, et leurs livres se sont multipliés. En effet, chacune de ces propositions, à l’exception d’un petit nombre, est réfutée par ce qui se voit dans la nature de l’être, et les doutes surviennent; de sorte qu’ils ont besoin de faire des livres et des controverses pour affermir chaque proposition, résoudre les doutes qui y surviennent et repousser même l’évidence qui la réfute, s’il n’y a pas d’autres moyens possibles(1)La version d’Ibn-Tibbon porte: ואם אי אפשר ובו׳, QUOIQUil n’y ait pas de moyen possible pour cela; cette version est conforme à l’un des manuscrits de Leyde, qui porte ואן, au lieu de אן.. Mais, pour ce qui est des propositions philosophiques que je te rapporterai sommairement pour servir à la démonstration desdites trois questions, je veux dire, de l’existence, de l’unité et de l’incorporalité de Dieu, ce sont, pour la plupart, des propositions qui te donneront la certitude dès que tu les auras entendues et que tu en auras compris le sens. Quelques unes t’indiqueront en elles-mêmes les endroits des livres de la Physique ou de la Métaphysique où elles sont démontrées; tu pourras donc en chercher l’endroit et vérifier ce qui peut avoir besoin d’être vérifié.", "Je t’ai déjà fait savoir qu’il n’existe autre chose que Dieu et cet univers. Dieu ne peut être démontré que par cet univers (considéré) dans son ensemble et dans ses détails; il faut donc nécessairement examiner cet univers tel qu’il est, et prendre les prémisses (des preuves) dans sa nature visible. Par conséquent il faut connaître sa forme et sa nature visibles, et ce n’est qu’alors qu’on pourra en induire des preuves sur ce qui est en dehors de lui. J’ai donc cru nécessaire de donner d’abord un chapitre où je t’expose l’ensemble de l’univers, sous forme d’une simple relation de ce qui a été démontré (ailleurs) et dont la vérité est hors de doute. Ensuite je donnerai d’autres chapitres, où je rapporterai les propositions des Motécallemîn et où j’exposerai les méthodes dont ils se servent pour résoudre les quatre questions dont il s’agit(2)C’est-à-dire, les questions de l’existence, de l’unité et de l’incorporalité de Dieu et celle de la création du monde.. Puis, dans d’autres chapitres encore, je t’exposerai les propositions des philosophes et leurs méthodes d’argumentation à l’égard desdites questions. Enfin je t’exposerai la méthode que je suis moi-même, comme je te l’ai annoncé, à l’égard de ces quatre questions." ], [ "Sache que cet univers dans son ensemble ne forme qu’un seul individu; je veux dire: le globe du ciel extrême avec tout ce qu’il renferme est indubitablement un seul individu, au même titre d’individualité que Zéid et ’Amr(1)Déjà Platon, dans le Timée, présente l’univers comme un seul individu, comme un tout animé et organique ayant la forme sphérique, et c’est là aussi la base de la cosmologie d’Aristote, exposée dans le traité du Ciel et dans celui du Monde. La comparaison que l’auteur va établir entre l’organisme de l’univers et celui de l’individu humain n’est que la reproduction d’une idée très répandue chez les écrivains juifs de toutes les époques et qui a sa source plutôt dans les doctrines de Pythagore et de Platon que dans celles d’Aristote. L’idée du macrocosme et microcosme, qui apparaît çà et là dans les allégories du Talmud et des Midraschîm, a été surtout développée dans le livre Abôth de Rabbi Nathan (chap. 31) et dans le livre Yecirâ, et accueillie par plusieurs philosophes juifs du moyen âge; voy., p. ex., les Extraits de la Source de vie d’Ibn-Gebirol, liv. III, §§ 6 et 44, et le ’Olâm katân, ou le Microcosme, de R. Joseph Ibn-Çaddîk (récemment publié par M. Ad. Jellinek, Leipzig, 1854, in-8°), livre II, sect. 1re. Chez notre auteur, la comparaison n’a pour but que d’établir l’individualité de l’univers; elle se borne à des rapprochements ingénieux et n’a rien du caractère symbolique et mystique que les kabbalistes et certains moralistes ont donné à la théorie du microcosme. — L’auteur va présenter dans ce chapitre les points principaux de la physique, telle qu’elle était enseignée dans les écoles arabes; les théories d’Aristote y sont complétées et développées çà et là par celles de Ptolémée, de Galien et des néoplatoniciens. Nous ne saurions entrer dans les détails des diverses théories résumées par l’auteur, et nous devrons nous borner, dans nos notes, à éclaircir certains points dont l’intelligence est plus particulièrement nécessaire au lecteur de cet ouvrage. Divers détails relatifs à la cosmologie péripatéticienne et au système de Ptolémée seront plus amplement exposés, par l’auteur lui-même, dans la IIe partie de cet ouvrage, et il serait inutile de nous y arrêter en ce moment.. Il en est de ses différentes substances, je veux dire, des substances de ce globe avec tout ce qu’il renferme, comme il en est, par exemple, des différentes substances des membres de l’individu humain. De même donc que Zéid, par exemple, est un seul individu, bien que composé de différentes parties, telles que la chair et les os, de différentes humeurs et d’esprits(1)Sur les humeurs, voy. ci-après, pag. 366, note 4. — Les esprits sont des fluides subtils qui, selon les hypothèses des anciens naturalistes, ont leur siège dans différents organes du corps animal et concourent aux manifestations des différentes facultés de l’âme. Les trois espèces d’esprit correspondent aux trois facultés de l’âme admises par les anciens médecins, et qui sont la faculté naturelle, la faculté vitale et la faculté psychique (ou animale).Voy. le Canon d’Ibn-Sînâ, liv. I, fen. 1, ch. 6 (texte ar., pag. 38; vers, lat., t. I, pag. 76); cf. Maïmonide, Huit chapitres, au commencement du chapitre I, et la IIIe partie de cet ouvrage, vers la fin des chapitres XII et XLVI, où l’auteur fait allusion à ces trois facultés. Voici comment Maïmonide lui-même, dans un de ses traités de médecine, expose la théorie des esprits et de leurs différentes espèces, d’après les anciens médecins: הדׄה אלתי תםמיהא אלאטבא ארואחא הי אבכׄרה̈ לטיפה̈ מוגׄודה̈ פי גׄםם אלחיואן מבדאהא ומעטׄם מאדתהא מן אלהוא אלמםתנשק מן כׄארגׄ פבכׄאר אלדם אלמוגׄוד פי אלכבד ופי אלאורדה̈ נאבתה̈ מנהא יםמי אלרוח אלטביעיה̈ ובכׄאר אלדם מוגׄוד פי אלקלב ואלשריאן יםמי אלרוח אלחיואניה̈ ואלבכׄאר אלמוגׄוד פי בטון דטאג ומא ינבעתׄ מנה פי מםאם אעצאב יםמי רוחא נפםאניה̈ ומבדא אלגׄמיע ואכתׄר מאדתה מן אלהוא אלמםתנשק מן כׄארגׄ פאדׄא כאן הדׄא הוא עפנא או מנתנא או כדרא תגירת תלך ארואח כלהא וגׄרי אמרהא עלי כׄלאף מא ינבגי ˙˙˙˙˙ וכלמא כאנת אלרוח אלטף כאן תגירהא בתגיר אלהוא אכתׄר פאלרוח טביעי אגלטׄ מן אלרוח חיואני ואלחיואני אגלטׄ מן אלנפםאני פענד תגיר אלהוא איםר תגיר יתגיר חאל אלנפםאני תגירא ישער בה ולדׄלך תגׄד כתׄירא מן אלנאם קד ישער בנקץ אפעאלהם אלנפםאניה̈ ענד פםאד אלהוא אעני אן יחדתׄ להם בלאדה̈ פהם וקצור אדראך ונקצאן חפטׄ ואן כאנת אפעאלהם אלחיואניה̈ ואלטביעיה̈ לא ישער פיהא בתגיר «Ce que les médecins appellent esprits, ce sont des vapeurs subtiles qui existent dans le corps de l’animal et qui tirent leur origine et leur matière principale de l’air attiré du dehors par la respiration. La vapeur du sang existant dans le foie et dans les veines qui partent de celui-ci s’appelle l’esprit naturel ou physique (φυσιϰὸν πνεῦμα); la vapeur du sang existant dans le cœur et dans les artères s’appelle l’esprit vital (ζωτιϰὸν πν.); enfin, la vapeur qui se trouve dans les cavités du cerveau et ce qui s’en répand dans les canaux des nerfs s’appelle esprit animal (ψυχιϰὸν πν.). L’origine de tous (ces esprits) et leur principale matière viennent (comme nous l’avons dit) de l’air attiré par la respiration; si donc cet air est corrompu, ou puant, ou trouble, tous ces esprits s’altèrent et ne sont plus ce qu’ils doivent être….. Plus l’esprit est subtil, et plus il est altéré par l’altération de l’air. Or, comme l’esprit naturel est plus épais que l’esprit vital et celui-ci plus épais que l’esprit animal, il s’ensuit qu’à la moindre altération de l’air l’esprit animal subira une altération sensible. C’est pourquoi tu trouveras beaucoup d’hommes dans lesquels on remarque un affaiblissement des fonctions animales ou psychiques (c’est-à-dire des fonctions dépendant des esprits animaux), quand l’air est corrompu; je veux dire, qu’il leur arrive d’avoir l’intelligence obtuse, la compréhension difficile et la mémoire affaiblie, bien qu’on ne remarque pas d’altération dans leurs fonctions vitales et naturelles.» Cf. Galien, De Hippocr. et Plat. placitis, liv. VII, chap. 3, et ci-dessus, pag. 111, note 2. — Le passage que nous venons de citer se trouve au commencement du liv. IV du traité intitulé (du Régime de la santé), que Maïmonide composa sur la demande d’Al-Mâlic al-Afdhal, fils de Saladin, et dont l’original arabe, copié en caractères hébraïques, existe à la Bibliothèque impériale (voy. mss. hébr. de l’ancien fonds n° 412, fol. 107 a.b, et n° 411, fol. 57 b et 46 a). La version hébraïque de ce traité, due à R. Moïse Ibn-Tibbon, a été publiée dans le recueil intitulé כרם חמד, t. III (Prague, 1838, in-8°), pag. 9 et suiv. Il en existe aussi une version latine qui a été imprimée plusieurs fois., de même ce globe dans son ensemble embrasse les sphères et les quatre éléments avec ce qui en est composé. Il n’a absolument aucun vide, mais il est un solide plein qui a pour centre le globe terrestre; la terre est environnée par l’eau, celle-ci par l’air, celui-ci par le feu(1)Voy. ci-dessus, pag. 134, note 2., et ce dernier enfin est environné par le cinquième corps(2)C’est-à-dire, par un cinquième élément, qui est l’éther et qui forme la substance des sphères célestes. Voy. ci-dessus, pag. 247, note 3, et cf. la IIe partie, chap. II, XIX et passim.. Celui-ci(3)Le pronom והו se rapporte à אלגׁםם אלכׄאמם. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le pluriel והם est une faute; les manuscrits ont והוא. se compose de sphères nombreuses, contenues les unes dans les autres, entre lesquelles il n’y a point de creux ni de vide, mais qui s’enceignent exactement, appliquées les unes aux autres. Elles ont toutes un mouvement circulaire égal, et dans aucune d’elles il n’y a ni précipitation ni ralentissement, je veux dire qu’aucune de ces sphères ne se meut tantôt rapidement, tantôt lentement, mais que chacune, pour sa vitesse et sa manière de se mouvoir, reste soumise à sa loi naturelle. Cependant ces sphères se meuvent plus rapidement les unes que les autres, et celle qui entre toutes a le mouvement le plus rapide, c’est la sphère qui environne tout, c’est-à-dire celle qui a le mouvement diurne et qui les fait toutes mouvoir avec elle comme la partie se meut dans le tout, car toutes elles forment des parties dans elles. Ces sphères ont des centres différents; les unes ont pour centre le centre du monde(1)C’est-à-dire, le centre de la terre, qui, dans le système des anciens, est le centre commun de tout l’univers., les autres ont leur centre en dehors de celui du monde(2)L’auteur veut parler des excentriques, qui, dans le système de Ptolémée, servent à expliquer certaines inégalités du mouvement des astres.. Il y en a qui suivent perpétuellement leur mouvement particulier de l’orient à l’occident, tandis que d’autres se meuvent continuellement de l’occident à l’orient(3)L’auteur parle ici des hypothèses des anciens relatives aux deux mouvements opposés, dont l’un est le mouvement diurne, de l’orient à l’occident, imprimé aux planètes et aux étoiles fixes par le mouvement de la sphère supérieure, et l’autre, celui que les astres accomplissent, dans certaines périodes, de l’occident à l’orient. Cf. notre auteur, dans son Abrégé du Talmud, Yesôdé ha-Tôrâ, chap. III, § 2, et Isaac Israëli, Yesôd ’Olàm, liv. II, chap. 1 et 7. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces théories au chapitre IV de la IIe partie.. Tout astre dans ces sphères fait partie de la sphère, dans laquelle il reste fixe à sa place; il n’a pas de mouvement qui lui soit particulier, et ne se montre mû que par le mouvement du corps dont il fait partie. La matière de ce cinquième corps tout entier, qui a le mouvement circulaire, n’est point semblable à celle des corps des quatre éléments qui se trouvent à l’intérieur. ", "Le nombre de ces sphères qui environnent le monde ne peut en aucune manière être au dessous de dix-huit(1)En y comprenant les excentriques, on attribuait trois sphères à la Lune, trois à Mercure, et deux à chacune des cinq autres planètes, ce qui, avec la sphère des étoiles fixes et celle du mouvement diurne, fait le nombre dix-huit.; il est possible cependant qu’il y en ait davantage, et c’est une chose à examiner. Quant à savoir s’il y a des sphères de circonvolution, qui n’environnent pas le monde, c’est également à examiner(2)Sous la dénomination de sphère de circonvolution, les Arabes désignent l’épicycle, qui, dans le système de Ptolémée, est une petite sphère dans laquelle est fixé l’astre et dont le centre se meut, à la surface de la grande sphère, sur la circonférence d’un grand cercle appelé cercle déférent (parce qu’il porte l’épicycle). Cf. le traité Yesôdé ha-Tôrâ, chap. III, § 4. Dès le commencement du XIIe siècle, les astronomes arabes d’Espagne reconnurent ce qu’il y avait d’invraisemblable dans cette hypothèse, par laquelle Ptolémée cherche à expliquer certaines anomalies dans le mouvement de diverses planètes. Ibn-Bâdja s’éleva le premier contre l’hypothèse des épicycles, et Ibn-Tofail rejeta à la fois les excentriques et les épicycles (voy. mon Article Tofail dans le Dict. des sc. philos., t. VI, pag. 907). C’est pourquoi Maïmonide dit ici que la question des épicycles doit être soumise à l’examen; il aborde lui-même cette question au chap. XXIV de la IIe partie. Un peu plus tard Abou-Is’hâk al-Bitrôdji, ou Alpetragius, essaya de substituer d’autres hypothèses à celles de Ptolémée..", "A l’intérieur de la sphère inférieure qui est le plus près de nous(3)L’auteur veut parler de la sphère de la Lune., il y a une matière différente de celle du cinquième corps, et qui a reçu quatre formes primitives par lesquelles il s’est formé quatre corps, (qui sont) la terre, l’eau, l’air et le feu. Chacun de ces quatre (corps) a un lieu naturel, qui lui est particulier, et ne se trouve point dans un autre (lieu) tant qu’il reste abandonné à sa nature. Ce sont des corps inanimés, qui n’ont ni vie ni perception et qui ne se meuvent pas par eux-mêmes, mais qui restent en repos dans leurs lieux naturels. Si toutefois l’un d’eux a été forcé de sortir de son lieu naturel, alors, dès que cesse la cause qui l’y a forcé, il se meut pour retourner à ce lieu naturel; car il a en lui le principe en vertu duquel il se meut en ligne droite pour retourner à son lieu, mais il n’a en lui aucun principe en vertu duquel il doive (toujours) rester en repos ou se mouvoir autrement qu’en ligne droite. Les mouvements en ligne droite que font ces quatre éléments, quand ils se meuvent pour retourner à leurs lieux, sont de deux espèces: un mouvement vers la circonférence, qui appartient au feu et à l’air, et un mouvement vers le centre, qui appartient à l’eau et à la terre; et chacun, après être arrivé à son lieu naturel, reste en repos(1)L’auteur résume ici les théories d’Aristote sur les éléments. Voy. le traité du Ciel, liv. IV, chap. 3 et suiv.; Physique, liv. IV, chap. 5; cf. le traité Yesôdé ha-Tôrâ, chap, III, §§ 10 et 11.. Quant à ces corps (célestes) qui ont le mouvement circulaire, ils sont vivants et ont une âme par laquelle ils se meuvent; il n’y a en eux absolument aucun principe de repos, et ils ne subissent aucun changement si ce n’est dans la position, ayant le mouvement circulaire. Quant à savoir s’ils ont aussi une intelligence par laquelle ils conçoivent, cela ne peut s’éclaircir qu’au moyen d’une spéculation subtile(2)L’auteur reviendra sur cette question dans le chapitre IV de la IIe partie; le but qu’il se propose ici n’exige pas la solution immédiate de cette question.. ", "Le cinquième corps tout entier accomplissant son mouvement circulaire, il en naît toujours par là dans les éléments un mouvement forcé par lequel ils sortent de leurs régions, je veux dire (qu’il en naît un mouvement) dans le feu et l’air, qui sont refoulés vers l’eau, et tous, ils pénètrent dans le corps de la terre jusque dans ses profondeurs, de sorte qu’il en résulte un mélange des éléments. Ensuite ils commencent à se mouvoir pour retourner dans leurs régions (respectives), et, par suite de cela, des parcelles de terre quittent également leurs places en se joignant à l’eau, à l’air et au feu. Dans tout cela, les éléments agissent les uns sur les autres et reçoivent les impressions les uns des autres, et le mélange subit une transformation, de sorte qu’il en naît(1)Au lieu de יכון, l’un des manuscrits de Leyde a , à la Ve forme; de même Ibn-Tibbon et Ibn-Falaquera (Moré ha-Moré, pag. 45): שיתהוה, tandis qu’Al-’Harizi a יהיה. Le même manuscrit de Leyde a מנהא, ce qui se rapporterait aux éléments; Ibn-Tibbon et Al-’Harizi ont en effet מהם, au pluriel; mais le suffixe dans מנה se rapporte à אלמכׄתלט, le mélange, et Ibn-Falaquera a également ממנו, au singulier. d’abord les différentes espèces des vapeurs(2)Selon les théories d’Aristote, les premières transmutations des substances élémentaires sont les exhalaisons et les vapeurs, qui produisent les différents phénomènes au dessus de la terre et dans l’intérieur du globe terrestre; voy. les Météorologiques d’Aristote, liv. I-III. Les vapeurs et exhalaisons qui ne trouvent pas d’issue concourent d’abord à la formation des minéraux (voir ibid., à la fin du liv. III), et ensuite graduellement à celle des plantes et des animaux. Cf. l’exposé d’Al-Kazwîni, dans la Chrestomathie arabe de Silv. de Sacy, t. III, p. 389 et suiv., la citation de l’Ayîn Acbéri, ibid., p. 454 et suiv., et l’Analyse de la Physique d’Ibn-Sînâ, dans l’ouvrage de Schahrestâni, p. 413 (trad. all., t. II, p. 310). Voy. aussi la IIe partie de cet ouvrage, chap. XXX., ensuite les différentes espèces des minéraux, toutes les espèces des plantes et de nombreuses espèces d’animaux, selon ce qu’exige la complexion du mélange. Tout ce qui naît et périt ne naît que des éléments et y revient en périssant. De même, les éléments naissent les uns des autres et se perdent les uns dans les autres; car tout n’a qu’une seule matière, et la matière ne peut exister sans forme, de même qu’aucune forme physique de ces choses qui naissent et périssent ne peut exister sans matière. Donc, la naissance et la destruction des éléments, ainsi que de tout ce qui naît de ces derniers et s’y résout en périssant, suivent (en quelque sorte) un mouvement circulaire, semblable à celui du ciel; de sorte que le mouvement que fait cette matière formée(3)C’est-à-dire, qui reçoit la forme, ou qui est apte à la recevoir., à travers les formes qui lui surviennent successivement, peut se comparer au mouvement que fait le ciel dans le lieu(1)Littéralement: dans l’où, c’est-à-dire, par rapport à la catégorie du πον̃; car, comme l’a dit l’auteur plus haut, les corps célestes ne subissent aucun changement, si ce n’est celui de la position., les mêmes positions se répétant(2)Le mot בתכרר (par la répétition) est rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par בהשתנות (par le changement); cette leçon, qui se trouve aussi dans les manuscrits, est peut-être une faute, pour בהשנות. pour chacune de ses parties.", "De même que dans le corps humain il y a (d’une part) des membres dominants, et (d’autre part) des membres dominés qui ont besoin, pour se maintenir, du gouvernement du membre principal qui les régit, de même il y a, dans l’ensemble de l’univers, des parties dominantes, comme le cinquième corps qui environne (tout), et des parties dominées qui ont besoin d’un guide, comme les éléments et ce qui en est composé.", "De même que le membre principal, qui est le cœur, se meut toujours(3)Ainsi que le fait observer Ibn-Falaquera (Moré ha-Moré, pag. 48), il n’est pas exact de dire que le cœur se meut (car il n’a pas de mouvement de locomotion, mais seulement de pulsation); selon lui, l’auteur veut parler du mouvement du sang qui passe du cœur dans les artères. et est le principe de tout mouvement qui existe dans le corps, tandis que les autres membres du corps sont dominés par lui, et que c’est lui qui, par son mouvement, leur envoie les facultés dont ils ont besoin pour leurs actions, de même c’est la sphère céleste qui, par son mouvement, gouverne les autres parties de l’univers, et c’est elle qui envoie à tout ce qui naît les facultés qui s’y trouvent; de sorte que tout mouvement qui existe dans l’univers a pour premier principe le mouvement de la sphère céleste, et que toute âme de ce qui, dans l’univers, est doué d’une âme, a son principe dans l’âme de la sphère céleste. ", "Il faut savoir que les facultés qui arrivent de la sphère céleste à ce monde-ci sont, comme on l’a exposé, au nombre de quatre, savoir: une faculté qui produit le mélange et la composition et qui suffit indubitablement pour la production(1)Au lieu de תוליד, l’un des manuscrits de Leyde porte הרכיב, et c’est cette dernière leçon que reproduisent les deux versions hébraïques, ainsi que le Moré ha-Moré (pag. 46), qui ont בהרכבת. des minéraux, une autre faculté, qui donne l’àme végétative à toute plante, une autre, qui donne l’âme vitale à tout ce qui vit, et une autre enfin, qui donne la faculté rationnelle à tout être raisonnable; et tout cela se fait par l’intermédiaire de la lumière et des ténèbres résultant de la lumière des astres et de leur révolution autour de la terre(2)L’auteur veut dire, ainsi qu’il l’explique lui-même au chap. XXX de la IIe partie, que la naissance et la destruction des choses sublunaires se font sous l’influence de la variation de la lumière et des ténèbres, ou de la chaleur et du froid; cette variation résulte de la révolution des astres, par suite de laquelle la lumière et la chaleur se communiquent et se dérobent tour à tour aux différentes parties de la terre. — Le suffixe dans לנורהא ודורתהא est irrégulier; car il ne peut se rapporter qu’au mot אלפלך, qui est au commencement de la phrase, et il eût été plus régulier d’écrire לנורה, avec le suffixe masculin. C’est peut-être pour cette raison qu’Ibn-Tibbon a mis הגלגלים, au pluriel, quoique tous les manuscrits arabes portent אלפלך, au singulier. Il faut nécessairement sous-entendre dans לנורהא le mot אלאפלאך, ou אלכואכב. Dans la plupart des éditions de la version d’Ibn-Tibbon le mot לנורהא est rendu par אחר יושרם, tandis qu’il faut lire אחר אורם, comme l’ont les manuscrits et l’édition princeps..", "De même encore que, lorsque le cœur s’arrête un seul instant, l’individu meurt et tous ses mouvements et ses facultés cessent, de même, si les sphères célestes s’arrêtaient, ce serait la mort de l’univers entier et l’anéantissement de tout ce qui s’y trouve.", "De même enfin que l’animal vit tout entier par l’effet seul du mouvement de son cœur, bien qu’il possède des membres dénués de mouvement et de sensibilité, comme, par exemple, les os, les cartilages, etc., de même tout cet univers est un seul individu, vivant par le mouvement de la sphère céleste qui y occupe le même rang que tient le cœur dans ce qui a un cœur, quoiqu’il renferme beaucoup de corps sans mouvement et inanimés.", "C’est ainsi qu’il faut te représenter l’ensemble de cette sphère comme un seul individu, vivant, se mouvant et doué d’une âme; car cette manière de se représenter (la chose) est très nécessaire, ou du moins(1)Tous les manuscrits arabes portent או; Ibn-Tibbon et Ibn-Falaquera ont lu אי, ce qu’ils ont rendu par כלומר; mais cette leçon n’offre pas de sens convenable. très utile, pour la démonstration de l’unité de Dieu, ainsi qu’on l’exposera(2)Voy. la IIe partie, chap. I., et de cette manière il sera clair aussi que l’un n’a créé qu’un seul (être)(3)C’est-à-dire que Dieu, qui est un, n’a créé qu’un être qui est également un. L’auteur fait ici allusion à une question qu’il abordera au chap. XXII de la IIe partie, et que nous avons touchée plus haut, p. 211, note 2..", "De même donc qu’il est impossible que les membres de l’homme existent séparément comme véritables membres de l’homme, je veux dire, que le foie ou le cœur soit isolé, ou qu’il y ait de la chair isolément, de même il serait impossible que les parties de l’univers existassent les unes sans les autres, dans cet être bien constitué dont nous parlons(4)La version d’Ibn-Tibbon est ici défigurée, dans les éditions, par quelques fautes d’impression; les manuscrits et l’édition princeps portent: כן אי אפשר שימצאו חלקי העולם קצתם מבלתי קצתם בזה המציאות המיושב אשר דבָרֵנו בו., de sorte que le feu existât sans la terre, ou la terre sans le ciel, ou le ciel sans la terre.", "De même encore qu’il y a dans cet individu humain une certaine faculté qui lie ses membres les uns aux autres, les gouverne, donne à chaque membre ce qu’il lui faut pour se conserver en bon état, et en écarte ce qui lui est nuisible, — savoir celle que les médecins désignent expressément comme la faculté directrice du corps animal, et que souvent ils appellent nature(5)On entend par là la faculté principale de l’âme, qui a son siège dans le cerveau; elle est désignée comme ce qui guide et gouverne le corps animal (τὸ ἡγεμονιϰὸν, ou τὸ βασιλεῦον ϰαὶ ἐπ τἁσσον). Voy. Galien, Definitiones medicæ, CXIII (édit. de Kühn, t. XIX, pag. 378). Cette faculté porte quelquefois le nom de nature, comme le dit Galien, en parlant des différentes acceptions du mot φύσις, ibid., XCV (pag. 371): φύσις ϰαἰ ἡ διοιϰοῦσα τὸ ζῶον δύναμις λέγεται. Cf. Cicéron, De natura Deorum, II, 9., — de même il y a dans l’ensemble de l’univers une faculté qui en lie les parties entre elles, qui empêche les espèces de périr et conserve aussi les individus de ces espèces tant qu’il est possible de le faire, et qui conserve également une partie des individus de l’univers(1)C’est-à-dire, les sphères célestes et les astres, qui ne périssent point, tandis que dans les choses sublunaires les espèces seules se conservent et les individus périssent.. Il est à examiner toutefois si cette faculté agit, ou non, par l’intermédiaire de la sphère céleste(2)L’auteur veut dire qu’on n’est pas d’accord sur la question de savoir si cette faculté qui régit l’univers vient directement de Dieu, ou se communique par l’intermédiaire des intelligences des sphères; cette question sera traitée ailleurs. Voy. la IIe partie, chap. X et XII..", "Dans le corps de l’individu humain il y a (d’une part) des choses qui ont un but particulier: les unes, comme les organes de la nutrition, ont pour but la conservation de l’individu; les autres, comme les organes de la génération, ont pour but la conservation de l’espèce; d’autres encore, comme, par exemple, les mains et les yeux, sont destinées à pourvoir à ce dont l’homme a besoin en fait d’aliments(3)Plus littéralement: … ont pour but le besoin auquel il est astreint pour ses aliments. et d’autres choses semblables. Et (d’autre part) il y existe(4)Le suffixe dans ופיה se rapporte au corps (בדן). Un seul de nos manuscrits a la leçon incorrecte ופיהא, qui a été reproduite par les traducteurs hébreux; Ibn-Tibbon et Ibn-Falaquera ont ובהם, et Al-’Harizi ויש מהם. aussi des choses qui n’ont pas de but en elles-mêmes, mais qui se rattachent comme accessoires à la complexion de certains membres, complexion particulière qui est nécessaire (à ces derniers) pour obtenir telle forme propre, afin de remplir les fonctions auxquelles ils sont destinés. Ainsi, à ce qui y est formé pour un certain but(1)Littéralement: à son être (ou à sa nature) qu’on a eu pour but. Le suffixe dans כונה (son être) me paraît se rapporter au corps, comme celui de ופיה (voir la note précédente); le sens est: qu’il se joint à la formation du corps, où tout est constitué dans un certain but et d’après un certain plan, diverses choses accessoires, résultant de la qualité matérielle de certaines parties du corps., il se joint, suivant l’exigence de la matière, certaines autres choses, comme, par exemple, le poil et la couleur du corps; c’est pourquoi(2)C’est-à-dire, parce que ces choses ne sont qu’accessoires. ces choses n’ont point de régularité, il y en a même qui souvent manquent (complétement), et il existe à cet égard une différence très grande entre les individus(3)Les mots אלתפאצׄל בין אלאשכׄאץ signifient que les individus se surpassent les uns les autres, et que les choses en question se trouvent chez les uns en beaucoup plus grande quantité que chez les autres., ce qui n’a point lieu pour les membres. En effet, tu ne trouveras point un individu qui ait le foie dix fois aussi grand que celui d’un autre individu, tandis que tu trouveras tel homme dépourvu de barbe, ou (qui n’a pas) de poil dans certains endroits du corps, ou qui a la barbe dix ou vingt fois plus grande que celle d’un autre individu; et cela est très fréquent(4)Sur le mot אכתׄרי, cf. ci-dessus, pag. 300, note 2. dans cet ordre de choses, je veux parler de la différence (qui existe entre les individus) pour les poils et les couleurs. — Et de même(5)Le mot כדׄלך correspond aux mots וכמא אן, de même que, qui se trouvent au commencement de cette longue période, et que nous avons supprimés dans notre traduction, afin de rendre la construction des phrases moins embarrassée., dans l’ensemble de l’univers, il y a (d’une part) des espèces dont la génération a un but déterminé, qui suivent avec constance une certaine règle et dans lesquelles il n’y a que de petites anomalies restant dans les limites de l’espèce sous le rapport de la qualité et de la quantité(1)Littéralement: dans lesquelles il n’y a que peu d’écart, selon la mesure de l’étendue de l’espèce dans sa qualité et sa quantité; c’est-à-dire, selon les limites que la nature a fixées, sous le rapport de la qualité et de la quantité, à l’espèce dont il s’agit. Sur le mot ערץׄ, voy. ci-dessus, pag. 236, note 2.; et (d’autre part) des espèces qui n’ont pas de but (en elles-mêmes), mais sont une conséquence nécessaire des lois générales de génération et de destruction(2)Littéralement: mais se rattachent à la nature de la génération et de la destruction générale. L’auteur veut dire que ces espèces sont produites par la nature sans intention et sans un but particulier, et qu’elles se forment par suite de certains accidents résultant des lois physiques générales qui régissent la partie de l’univers soumise à la génération (γένεσις) et à la destruction ou corruption (φθορά)., comme, par exemple, les différentes espèces de vers qui naissent dans les fumiers, les différentes espèces d’animalcules qui naissent dans les fruits lorsqu’ils se corrompent, ce qui naît de la corruption des choses humides, les vers qui naissent dans les intestins, etc. En général, il me semble que tout ce qui n’a pas la faculté de procréer son semblable est de cette catégorie; c’est pourquoi tu trouveras que ces choses n’observent pas de règle, bien qu’elles doivent nécessairement exister, de même qu’il faut que les individus humains soient de couleurs différentes et aient différentes espèces de poils.", "De même encore que dans l’homme il y a des corps d’une permanence individuelle(3)Littéralement: dont les individus sont stables ou permanents; c’est-à-dire, des corps qui restent individuellement constitués dans chaque individu., tels que les membres principaux, et des corps permanents comme espèce, et non comme individu, comme les quatre humeurs(4)Les médecins anciens comptent dans le corps humain quatre humeurs principales, qui sont le sang, le flegme, la bile jaune et la bile noire. Ces humeurs n’ont point, comme les membres, une existence individuelle; car elles sont mêlées, et c’est tantôt l’une, tantôt l’autre, qui prédomine. La nature du mélange constitue le tempérament, qui est ou sanguin, ou flegmatique, ou bilieux, ou mélancolique. Voy. Galien, Definitiones medicœ, LXV-LXX (édit. de Kühn, t. XIX, pag. 363 et suiv.). Cf. Sprengel, Versuch einer pragmatischen Geschichte der Arzeneykunde, t. II, pag. 164., de même il y a dans l’ensemble de l’univers des corps stables, d’une permanence individuelle, comme le cinquième corps avec toutes ses parties(1)C’est-à-dire, la matière des sphères ou l’éther, les sphères et les astres, qui ont une permanence individuelle dans l’univers., et des corps permanents comme espèce, tels que les éléments et ce qui en est composé(2)Tout étant composé des quatre éléments, les éléments existent partout comme élément en général, mais non pas comme tel élément en particulier..", "De même encore que les facultés au moyen desquelles l’homme naît et se conserve pendant un certain temps(3)Littéralement: Et de même que les facultés de l’homme qui produisent sa naissance et sa durée tant qu’il dure. sont elles-mêmes celles qui causent sa destruction et sa perte, de même, dans l’ensemble du monde de la naissance et de la destruction(4)C’est-à-dire, dans le monde sublunaire, où tout est soumis au changement perpétuel de naissance et de destruction, par opposition au monde supérieur, où rien ne naît ni ne périt., les causes de la naissance sont elles-mêmes celles de la destruction. En voici un exemple: Si ces quatre facultés qui existent dans le corps de tout ce qui s’alimente, savoir, l’attractive, la coërcitive, la digestive et l’expulsive(5)Par la faculté attractive, chaque partie du corps animal extrait des aliments et attire à soi les parties qui conviennent à sa nature; par la faculté rétentive ou coërcitive, les diverses parties du corps retiennent cette substance attirée; par la faculté digestive, elles la disposent à se convertir en leur propre substance; enfin, par la faculté expulsive, le corps rejette les résidus qui ne conviennent point à son organisation. Cf. Al-Kazwîni, dans la Chrestomathie arabe de Silv. de Sacy, t. III, pag. 487-488; Sprengel, l. c., pag. 162., pouvaient ressembler aux facultés intellectuelles, de manière à ne faire que ce qu’il faut, au moment où il le faut et dans la mesure qu’il faut, l’homme serait préservé des plus grandes calamités et de nombreuses maladies; mais, comme cela n’est pas possible et qu’au contraire elles remplissent des fonctions physiques, sans réflexion ni discernement et sans comprendre en aucune manière ce qu’elles font, il s’ensuit qu’elles font naître de graves maladies et des calamités, quoiqu’elles soient l’instrument par lequel l’animal naît et se conserve pendant un certain temps. Ainsi, pour m’expliquer, si la faculté attractive, par exemple, n’attirait que ce qui convient sous tous les rapports, et seulement dans la mesure du besoin, l’homme serait préservé de beaucoup de maladies et de calamités. Mais, comme il n’en est point ainsi et qu’au contraire elle attire toute matière qui se présente, (pourvu qu’elle soit) du genre de son attraction(1)C’est-à-dire, pourvu que la matière soit du genre de celles que le corps animal peut s’assimiler et qu’elle soit de nature à être attirée par la faculté attractive et absorbée par le corps., quand même cette matière s’écarterait un peu (de la juste mesure) sous le rapport de la quantité et de la qualité, il en résulte qu’elle attire aussi la matière qui est plus chaude, ou plus froide, ou plus épaisse, ou plus subtile, ou en plus grande quantité qu’il ne faut; par là les veines s’engorgent, il survient de l’obstruction et de la putréfaction, la qualité des humeurs est corrompue et leur quantité est altérée, et il arrive des maladies, comme la gale, la grattelle et les verrues, ou de grandes calamités, comme la tumeur cancéreuse, l’éléphantiasis et la gangrène, de sorte que la forme d’un ou de plusieurs membres se trouve détruite. Et il en est de même des autres d’entre les quatre facultés. — Or, c’est absolument la même chose qui arrive dans l’ensemble de l’univers: la chose qui fait naître ce qui naît et en prolonge l’existence pendant un certain temps, — savoir, le mélange des éléments produit par les facultés de la sphère céleste qui les mettent en mouvement et s’y répandent, — est elle-même la cause qui amène dans l’univers des choses nuisibles, comme les torrents, les averses, la neige, la grêle, les ouragans, le tonnerre, les éclairs et la corruption de l’air, ou de terribles catastrophes qui détruisent une ou plusieurs villes ou une contrée, comme les croulements du sol(1)Le mot désigne un bouleversement du sol par suite duquel des montagnes et des villes entières sont quelquefois englouties dans la terre; selon les physiciens arabes, ce bouleversement, en rapport avec les tremblements de terre, a lieu lorsque les vapeurs renfermées dans le sein du globe sortent violemment en déchirant le sol et en entraînant avec elle des matières terreuses, de sorte qu’il se forme de vastes cavités souterraines et que le sol s’affaisse. Voy. Al-Kazwîni, Adjâyib al-makhloukât, publié par M. Wüstenfeld (Gœtting, 1849, in-4°), pag. 149. C’est par inadvertance que plus haut, au ch. LIV (pag. 220), le mot a été rendu par inondations., les tremblements de terre, les violents orages et les eaux qui débordent des mers et des abîmes(2)Par ces derniers mots, l’auteur fait allusion aux invasions des eaux marines et souterraines, phénomènes qui accompagnent quelquefois les tremblements de terre, et dont parle Aristote au IIe livre des Météorologiques (vers la fin du chapitre VIII): ἤδη δὲ ϰαὶ ὕδατα ἀνερρὰγη γιγνομένων σεισμῶν, ϰ. τ. λ..", "Il faut savoir que, malgré tout ce que nous avons dit de la ressemblance qui existe entre l’ensemble de l’univers et l’individu humain, ce n’est pourtant pas à cause de tout cela qu’on a dit de l’homme qu’il est un petit monde (microcosme); car toute cette comparaison peut se poursuivre à l’égard de tout individu d’entre les animaux d’un organisme complet, et cependant tu n’as jamais entendu qu’aucun des anciens ait dit que l’âne ou le cheval fût un petit monde. Si cela a été dit de l’homme, c’est uniquement à cause de ce qui le distingue particulièrement; et c’est la faculté rationnelle, je veux dire cette intelligence qui est l’intellect hylique(3)Voy. ci-dessus, pag. 306, note., chose qui ne se trouve dans aucune autre espèce des animaux. En voici l’explication: Tout individu d’entre les animaux n’a besoin ni de pensée, ni de réflexion, ni de régime, pour prolonger son existence; mais il va et vient selon sa nature, mange ce qu’il trouve de convenable pour lui, s’abrite dans le premier lieu venu, et saillit la première femelle qu’il rencontre quand il est en chaleur, si toutefois il a une époque de chaleur. Par là l’individu dure le temps qu’il peut durer et l’existence de son espèce se perpétue; il n’a nullement besoin d’un autre individu de son espèce pour le secourir et l’aider à se conserver, de manière que ce dernier fasse pour lui des choses qu’il ne puisse faire lui-même. Mais il en est autrement de l’homme; car, si l’on supposait un individu humain(1)Littéralement: Quant à l’homme seulement, si l’on en supposait un individu, etc. existant seul, privé de tout régime et devenu semblable aux animaux, (un tel individu) périrait sur-le-champ et ne pourrait pas même subsister un seul jour, à moins que ce ne fût par accident, je veux dire, qu’il ne trouvât par hasard quelque chose pour se nourrir. En effet, les aliments par lesquels l’homme subsiste ont besoin d’art et de longs apprêts qu’on ne peut accomplir qu’à force de penser et de réfléchir, à l’aide de beaucoup d’instruments et avec le concours d’un grand nombre de personnes dont chacune se charge d’une fonction particulière. C’est pourquoi il faut (aux hommes) quelqu’un pour les guider et les réunir, afin que leur société s’organise et se perpétue, et qu’ils puissent se prêter un secours mutuel. De même, pour se préserver de la chaleur à l’époque des chaleurs et du froid dans la saison froide et se garantir contre les pluies, les neiges et les vents, l’homme est obligé de faire beaucoup de préparatifs qui tous ne peuvent s’accomplir qu’au moyen de la pensée et de la réflexion. C’est donc à cause de cela qu’il a été doué de cette faculté rationnelle par laquelle il pense, réfléchit, agit, et, à l’aide d’arts divers, se prépare ses aliments et de quoi s’abriter et se vêtir; et c’est par elle aussi qu’il gouverne tous les membres de son corps, afin que le membre dominant fasse ce qu’il doit faire, et que celui qui est dominé soit gouverné comme il doit l’être. C’est pourquoi, si tu supposais un individu humain privé de cette faculté et abandonné à la seule nature animale, il serait perdu et périrait à l’instant même. Cette faculté est très noble, plus noble qu’aucune des facultés de l’animal; elle est aussi très occulte, et sa véritable nature ne saurait être de prime abord comprise par le simple sens commun, comme le sont les autres facultés naturelles. ", "— De même, il y a dans l’univers quelque chose qui en gouverne l’ensemble et qui en met en mouvement le membre dominant et principal, auquel il communique la faculté motrice de manière à gouverner par là les autres membres(1)Littéralement: de sorte qu’il gouverne par elle (c.-à-d. par cette faculté motrice) ce qui est en dehors de lui (c.-à-d. en dehors du membre principal). L’auteur veut parler de la faculté motrice communiquée par le premier moteur à la sphère supérieure qui met en mouvement toutes les autres sphères.; et, s’il était à supposer que la chose en question pût disparaître, cette sphère (de l’univers) tout entière, tant la partie dominante que la partie dominée, cesserait d’exister. C’est par cette chose que se perpétue l’existence de la sphère et de chacune de ses parties; et cette chose, c’est Dieu [que son nom soit exalté!]. — C’est dans ce sens seulement que l’homme en particulier a été appelé microcosme, (c’est-à-dire) parce qu’il y a en lui un principe qui gouverne son ensemble; et c’est à cause de cette idée que Dieu a été appelé, dans notre langue, la vie du monde, et qu’il a été dit: Et il jura par la vie du monde (Daniel, 12, 7)(2)Cf. ci-dessus, chap. LXIX, pag. 321, note 1. L’auteur prend ici, comme ailleurs, le mot עולם (éternité) dans le sens de monde, univers; cf. ci-dessus, pag. 1, note 2..", "Il faut savoir que la comparaison que nous avons établie entre l’ensemble de l’univers et l’individu humain ne souffre de contradiction dans rien de ce que nous avons dit, si ce n’est cependant sur trois points:", "Le membre dominant (ou le cœur), dans tout animal qui a un cœur, tire profit des membres dominés dont il lui revient de l’utilité. Mais rien de semblable n’a lieu dans l’être général; au contraire, tout ce qui (dans l’univers) exerce une influence directrice ou communique une faculté(1)C’est-à-dire, toutes les parties principales de l’univers qui gouvernent les autres parties ou leur communiquent certaines facultés. ne retire de son côté aucun profit de la partie dominée, mais sa manière de donner est comme celle de l’homme bienfaisant et libéral, qui fait le bien par générosité de caractère et par une bonté innée et non pas dans l’espoir (d’une récompense)(2) est l’infinitif de la Ve forme de , espérer; les manuscrits ont הרגׄי. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ce passage est défiguré par quelques fautes; il faut lire, d’après les manuscrits: לנדיבות טבעים ולמעלתם לא לתוחלת. La version d’Ibn-Falaquera est plus exacte; elle porte (dans les manuscrits du Moré ha-Moré): לנדיבות טבע ומעלת יצירה לא לתוחלת גמול.; bien plus(3)Au lieu de בל הדׄא, plusieurs manuscrits portent כ ל הדׄא, et c’est cette leçon qu’expriment les versions d’Ibn-Tibbon et d’Al-’Harizi; Ibn-Falaquera réunit les deux leçons: אבל כל זה (Moré ha-Moré, pag. 54)., c’est pour se rendre semblable à Dieu [que son nom soit exalté!].", "Dans tous les animaux qui ont un cœur, celui-ci se trouve au milieu, et tous les membres dominés l’environnent pour lui être généralement utiles, en le gardant et en le protégeant, afin qu’il ne lui survienne pas de malheur du dehors. Mais dans l’ensemble de l’univers, la chose est à l’inverse: la partie plus noble environne ce qui en est moins noble, parce qu’elle n’est point exposée à recevoir une impression de ce qui est en dehors d’elle; et, quand même elle serait impressionnable, elle ne trouverait point en dehors d’elle un autre corps qui pût agir sur elle, car elle influe sur ce qui est au dedans d’elle, et il ne lui arrive aucune impression ni aucune faculté (venant) d’un autre corps.— Il y a cependant ici quelque ressemblance: car tout ce qui d’entre les membres de l’animal est plus éloigné du membre dominant est moins noble que ce qui en est plus près; et de même, dans l’ensemble de l’univers, à mesure que les corps s’approchent du centre, ils deviennent ternes, leur substance devient plus grossière et leur mouvement plus difficile, et ils perdent leur éclat et leur transparence, à cause de leur éloignement du corps noble, lumineux, transparent, mobile, subtil et simple, je veux dire, de la sphère céleste; mais, à mesure qu’un corps s’en approche, il acquiert quelque chose de ces qualités, à raison de sa proximité, et jouit d’une certaine supériorité sur ce qui est au dessous de lui.", "Cette faculté rationnelle (dont nous avons parlé) est une faculté dans un corps et inséparable de celui-ci, tandis que Dieu n’est point une faculté dans le corps de l’univers, mais qu’il est séparé de toutes les parties de l’univers. Le gouvernement de Dieu et sa providence s’attachent à l’ensemble du monde par un lien dont la véritable nature nous est inconnue et que les facultés des mortels ne sauraient comprendre; car on peut démontrer (d’une part) que Dieu est séparé du monde et qu’il en est indépendant(1)Voy. ci-dessus, chap. LXIX, p. 320, note 1; chap. LXX, p. 325; IIe partie, chap. IV., et (d’autre part) on peut démontrer aussi que l’influence de son gouvernement et de sa providence s’étend sur chacune des parties du monde, quelque faible et insignifiante qu’elle puisse être(2)Voy. la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XVII.. Louange à celui dont la perfection nous remplit d’admiration !", "Sache que nous aurions dû comparer le rapport entre Dieu et l’univers à celui qui existe entre l’intellect acquis et l’homme; car cet intellect aussi n’est point une faculté dans un corps, étant en réalité séparé du corps sur lequel il s’épanche(3)Sur ce qu’on appelle l’intellect acquis, voy. ci-dessus, pag. 307 et 308, note. Ibn-Tibbon rend ici אלמסחפאד par les deux mots הנקנה הנאצל, acquis et émané; il dit lui-même, dans son Glossaire des termes techniques (lettre ס, au mot שׂכל), qu’on emploie également l’un ou l’autre de ces deux mots, mais que souvent il les a réunis ensemble pour rendre exactement le sens du terme philosophique arabe.. Quant à la faculté rationnelle, on pourrait la comparer aux intelligences des sphères, qui se trouvent dans des corps. Mais la question des intelligences des sphères, l’existence des intelligences séparées et l’idée de l’intellect acquis, qui est également séparée, sont des choses qui ont besoin d’être étudiées et examinées, et dont les démonstrations sont obscures quoique vraies; elles sont sujettes à beaucoup de doutes et exposées aux attaques de celui qui veut critiquer et chicaner(1)Littéralement: Il y survient beaucoup de doutes, et il y a là pour le critique de quoi critiquer et pour le chicaneur de quoi chicaner.. Nous avons donc mieux aimé tout d’abord qu’on pût se représenter l’univers par sa forme manifeste; et en effet(2)La construction du texte est ici irrégulière; le sens littéral est: laquelle (forme) est telle qu’il n’y a que deux personnes qui pussent nier, etc. L’auteur veut dire qu’il a préféré laisser de côté, dans son exposé, tout ce qui ne peut être compris qu’après de profondes études philosophiques, et qu’il s’est borné à présenter l’être sous une forme saisissable pour tout le monde. rien de ce que nous avons avancé d’une manière absolue ne peut être nié si ce n’est par deux sortes de personnes: soit par celui qui ignore même ce qu’il y a de plus évident, comme (par exemple) celui qui n’est pas géomètre nie des choses mathématiques qui sont démontrées; soit par celui qui préfère s’attacher à une opinion préconçue et s’abuser lui-même. Quant à celui qui veut se livrer à une spéculation véritable, il doit faire des études, afin que la vérité de tout ce que nous avons rapporté lui devienne évidente, et qu’il sache, sans avoir à cet égard le moindre doute, que telle est (en effet) la forme de cet être dont l’existence est (invariablement) constituée. Si quelqu’un veut l’accepter de celui à qui tout a été rigoureusement démontré, qu’il l’accepte et qu’il construise là-dessus ses syllogismes et ses preuves(3)C’est-à-dire, qu’il admette, comme par tradition, ce que nous avons dit de la constitution de l’univers en général, et qu’il construise là-dessus ses preuves pour démontrer les quatre questions dont il s’agit.; mais s’il n’aime pas la simple tradition, pas même pour ces principes (des choses)(1)C’est-à-dire: pas même pour ce qui concerne la science physique, qui s’occupe des principes (ἀρχαὶ) de toute chose., alors qu’il étudie, et il lui deviendra manifeste que la chose est ainsi. Voilà ce que nous avons examiné, il en est ainsi; écoute-le et sache-le bien (Job, 5, 27).", "Après cette préparation, j’aborde le sujet que j’ai promis d’exposer(2)Littéralement: je commence à rapporter ce que j’ai promis de rapporter et d’expliquer, c’est-à-dire, les propositions des Motécallemîn et leurs démonstrations relatives aux quatre questions dont il a été parlé à la fin du chapitre précédent.." ], [ "Les propositions générales que les Motécallemîn ont établies, malgré(3)Les deux traducteurs hébreux ont pris la préposition עלי dans le sens de selon (כפי ,לפי), qui est ici inadmissible; l’auteur veut dire que les propositions qu’il va énumérer sont communes à tous les Motécallemîn, quelle que soit d’ailleurs la diversité de leurs opinions et de leurs méthodes. leurs opinions diverses et leurs méthodes nombreuses, [propositions qui leur sont nécessaires pour affirmer ce qu’ils veulent affirmer au sujet des quatre questions dont il s’agit,] sont au nombre de douze. Je vais d’abord te les énoncer (sommairement); ensuite je t’exposerai le sens de chacune de ces propositions et ce qui en résulte:", "La Ire proposition affirme (l’existence de) la substance simple(4)C’est-à-dire, l’existence des atomes; voy. ci-dessus, pag. 185, note 3.;", "la IIe, l’existence du vide;", "la IIIe, que le temps est composé d’instants(5)Le mot , dans le langage des Motécallemîn, désigne une parcelle indivisible de temps, qui est par rapport au temps ce que le point géométrique est par rapport à l’espace. C’est le moment ou le point idéal intermédiaire entre ce qui est avant et ce qui est après, et qu’Aristote appelle τὸ νῦν; cf. ci-dessus, pag 199, note 1.;", "la IVe, que la substance est inséparable d’accidents nombreux;", "la Ve, que dans la substance simple (ou l’atome) résident les accidents sur lesquels je m’expliquerai, et qu’elle en est inséparable;", "la VIe, que l’accident ne dure pas deux temps (ou instants);", "la VIIe, que la raison d’être est la même pour les capacités et pour leurs privations(1)Littéralement: que la raison (ou la nature) des capacités est aussi celle de leurs privations; c’est-à-dire, que ce que nous considérons comme la privation d’une certaine qualité ou capacité (ἕς́ις) est également une qualité réelle et positive., et que toutes elles sont des accidents réels qui ont besoin d’un efficient;", "la VIIIe, qu’il n’y a dans tout l’être [c’est-à-dire, dans toutes les choses créées,] autre chose que substance et accident, et que la forme physique est également un accident;", "la IXe, que les accidents ne se portent pas les uns les autres;", "la Xe, que le possible ne doit pas être considéré au point de vue de la conformité de l’être avec telle idée(2)C’est-à-dire, comme on le verra plus loin, qu’il suffit, pour qu’une chose soit possible, qu’on puisse s’en former une idée, et qu’il n’est pas nécessaire que l’être réel soit conforme à cette idée.;", "la XIe, que, pour ce qui est de l’inadmissibilité de l’infini, il importe peu(3)Littéralement: il n’y a pas de différence entre etc. que celui-ci le soit en acte ou en puissance, ou accidentellement; je veux dire, qu’il importe peu que les choses infinies existent simultanément, ou qu’elles soient réputées (être composées) de ce qui est et de ce qui n’est plus(4)En d’autres termes: il importe peu qu’il s’agisse d’un nombre infini de choses existant simultanément, ou d’une série de choses existant successivement les unes après les autres. [et c’est là ce qui est accidentellement]; tout cela, disent-ils, est (également) inadmissible;", "la XIIe enfin, c’est leur assertion: que les sens induisent en erreur, beaucoup de choses échappant à leur perception(1)Littéralement: et qu’il leur échappe beaucoup de leurs objets de perception., et que par conséquent on ne saurait admettre leur jugement ni les prendre absolument pour principes d’une démonstration.", "Après les avoir énumérées, je vais en expliquer le sens et exposer ce qui en résulte, (en les abordant) une à une.", "La PREMIÈRE PROPOSITION a le sens que voici: Ils soutenaient que l’univers entier, c’est-à-dire, chacun des corps qu’il renferme, est composé de très petites parcelles, qui, à cause de leur subtilité, ne se laissent point diviser(2)L’hypothèse des atomes, à laquelle se lie intimement celle du vide, fut empruntée par les Motécallemîn aux anciens philosophes grecs, ainsi que l’auteur l’a fait observer plus haut (pag. 342). Mais, en restaurant les hypothèses de Démocrite et d’Épicure et en y joignant celle des atomes du temps, les Motêcallemîn, loin d’en craindre les conséquences, cherchèrent à allier cette doctrine avec le dogme de la création ex nihilo, en ôtant aux atomes l’éternité et en les supposant créés par Dieu. Ce fut à peu près dans la même forme que l’atomisme se reproduisit plus tard dans la doctrine de Gassendi.—Voy. aussi, sur ces propositions des Motécallemîn, Ahron ben-Élie, Arbre de la vie, chap. IV.. Chacune de ces parcelles est absolument sans quantité; mais lorsqu’elles sont réunies les unes aux autres, cet ensemble a de la quantité et est alors un corps. Selon l’opinion de quelques uns, dès que deux de ces parcelles se réunissent, chacune d’elles devient un corps, ce qui fait deux corps(3)Selon cette opinion, chaque atome en lui-même devient quantitatif par suite de la composition. On voulait sans doute expliquer par là comment les atomes, qui n’ont point de dimensions, peuvent en se composant former des corps, et on croyait ainsi échapper à une des plus graves objections faites contre l’atomisme. Cf. les objections de Saadia, Croyances et Opinions, liv. I, chap. 4 (édit. de Berlin, fol. 10 b): והשלישית שאני מרחיק ואחשוב לשקר ..... הצטיירות מה שאינו לא ארוך ולא רחב ולא עמוק עד שיהיה ממנו האורך והרוחב והעומק ·. Toutes ces parcelles sont semblables et pareilles les unes aux autres, et il n’y a entre elles aucune espèce de différence. Il n’est pas possible, disent-ils, qu’il existe un corps quelconque qui ne soit pas composé de ces parcelles pareilles, par juxtaposition(1)C’est-à-dire: les atomes se joignent les uns aux autres, mais ne forment pas de mélange; car, étant indivisibles, ils ne sont point susceptibles de se confondre par fusion.; de sorte que, pour eux, la naissance, c’est la réunion (des atomes), et la destruction, c’est la séparation. Cependant ils ne donnent point à cette dernière le nom de destruction, mais ils disent: les naissances(2)Le mot אכואן doit être considéré comme pluriel de כין , génération, naissance (γένεσις); la version d’Ibn-Tibbon porte ההויה, au singulier; mais dans quelques manuscrits on lit ההויות, au pluriel. La version d’Al-’Harizi porte האחיס, les frères; on voit que ce traducteur a prononcé אלאכׄואן , ce qui est absurde. — L’auteur veut dire que les Motécallemîn évitent de se servir du mot , corruption ou destruction (φθορά), parce que, dans toutes les transformations physiques, les atomes restent indestructibles; ils aiment donc mieux désigner, toutes les transformations par le mot , naissance. Toutes les apparitions physiques sont ramenées par eux à ces quatre phénomènes: réunion, séparation, mouvement et repos. Cf. Schmœlders, Essai sur les écoles philosophiques chez les Arabes, pag. 167 et suiv. sont réunion, séparation, mouvement et repos. Ils disent aussi que ces parcelles ne sont pas d’un nombre limité(3)C’est-à-dire, qu’elles ne sont pas les mêmes de toute éternité, de sorte que leur nombre ne puisse changer. Tous les manuscrits portent מחצורה̈ , c’est-à-dire: renfermées dans un nombre, bornées ou limitées; Ibn-Tibbon a traduit ici librement: כי אלה החלקים אינם נמצאים מאז, que ces parcelles N’EXISTENT PAS DE TOUT TEMPS. dans l’univers, comme le croyaient Epicure et d’autres qui ont professé la doctrine des atomes; ils soutiennent, au contraire, que Dieu crée perpétuellement ces substances quand il le veut, et qu’ils peuvent aussi ne pas exister. Je vais te faire connaître leurs opinions concernant la privation de la substance(4)C’est-à-dire, la privation de l’atome, ou le vide, et comment ils entendent en général la privation ou le non-être. Voir les propositions II et VII..", "La DEUXIÈME PROPOSITION, c’est l’assertion du vide: — Les hommes des racines(1)Voy. ci-dessus, chap. LXXI, pag. 349, note 1. Ibn-Tibbon, qui, dans le passage que nous venons d’indiquer, rend très bien le mot par היטרשיים, l’explique ici par cette paraphrase inexacte. קדמוני המדברים שהיו עיקר חכמת הדברים. Il paraît néanmoins que cette paraphrase ne se trouvait pas dans tous les manuscrits; les commentaires de Moïse de Narbonne et de Joseph Caspi ont ici également le mot השרשיים. croient aussi que le vide existe, c’est-à-dire (qu’il existe) un ou plusieurs espaces où il n’y a absolument rien, mais qui sont vides de tout corps et privés de toute substance. Cette proposition leur est nécessaire dès qu’ils admettent la première proposition. En effet, si l’univers était plein(2)Le mot מלא , qu’on trouve dans tous les manuscrits, est une forme vulgaire, pour . de ces parcelles, comment donc pourrait se mouvoir ce qui se meut? car on ne peut pas se figurer que les corps entrent les uns dans les autres, et ces parcelles ne peuvent se réunir et se séparer que par le mouvement. Ils sont donc nécessairement obligés(3)Les manuscrits portent ילתגׄון; voy. ci-dessus, pag. 351, note 4. d’admettre le vide, afin qu’il soit possible à ces parcelles de se réunir et de se séparer, et que le mouvement puisse s’opérer dans ce vide, dans lequel il n’y a point de corps ni aucune de ces substances (simples).", "La TROISIÈME PROPOSITION dit: «que le temps est composé d’instants;» c’est-à-dire, qu’il se compose de petits temps nombreux, qui, à cause de leur courte durée, ne se laissent point diviser. Cette proposition leur est également nécessaire, à cause de la première proposition; car, ayant vu sans doute les démonstrations par lesquelles Aristote a démontré que l’étendue, le temps et le mouvement local sont trois choses correspondantes dans l’être [c’est-à-dire qu’elles sont entre elles dans un même rapport mutuel, et que, lorsque l’une de ces choses se divise, l’autre se divise également et dans la même proportion], ils étaient forcés de reconnaître(1)Littéralement: Ils savaient nécessairement. La traduction d’Ibn-Tibbon est inexacte; au lieu de וידענו, il faut lire ידעו. que, si le temps était continu et susceptible de division jusqu’à l’infini, il s’ensuivrait que cette parcelle qu’ils posaient comme indivisible est nécessairement divisible, et que de même, si l’on admettait que l’étendue est continue, on serait forcé d’admettre la divisibilité de cet instant de temps que l’on posait comme indivisible, ainsi que l’a exposé Aristote dans l’Acroasis(2)C’est-à-dire, dans la Physique; les Arabes désignent la Physique d’Aristote sous le titre de ou , correspondant au titre grec: φυσιϰὴ ἀϰρὸασις (physica auscultatio). — L’auteur veut parler du VIe livre de la Physique (chap. 1 et suiv.), où Aristote expose que ce qui est continu ne saurait être composé de parties indivisibles, et où, après avoir établi la continuité et la divisibilité de la grandeur ou de l’étendue (μέγεθος ou μῆϰος), du temps et du mouvement, il démontre que ces trois choses continues sont liées ensemble par un enchaînement mutuel, et que ce qui se dit de l’une d’elles se dit nécessairement aussi des autres. Maïmonide a surtout en vue le passage suivant du chapitre II: ἔτι δὲ ϰαὶ ἐϰ τῶν εἰωθότων λóγων λέγεοθαι φανερὸν ὡς εἴπερ ὁ χρόνος ἐστὶ συνεχής, ὅτι ϰαὶ τὸ μέγεθος, εἴπερ ἐν τῷ ἡμίσει χρόνῳ ἥμισυ διέρχεται ϰαὶ ἁπλῶς ἐν τῷ ἐλάττονι ἔλαττον · αἱ γὰρ αὐταὶ διαιρέσεις ἔσονται τοῦ χρόνου ϰαὶ τοῦ μεγέθους. ϰαὶ εὶ ὁποτερονοῦν ἄπειρον, ϰαὶ θάτερον, ϰαὶ ὡς θάτερον, ϰαὶ θάτερον, ϰ. τ. λ.. C’est pourquoi ils ont posé en principe que l’étendue n’est point continue, mais composée de parcelles auxquelles la divisibilité s’arrête, et que de même le temps aboutit à des instants qui n’admettent point la division. Ainsi, par exemple, une heure ayant soixante minutes, la minute soixante secondes, la seconde soixante tierces, la chose aboutira pour eux à des parcelles comme, par exemple, des dixièmes, ou d’autres plus petites encore, qui ne pourront aucunement se subdiviser et qui, comme (les atomes de) l’étendue, n’admettront plus la division. D’après cela, le temps serait une chose de position et d’ordre(1)C’est-à-dire: selon les hypothèses des Motécallemîn, le temps serait quelque chose de positif et de réel, composé d’éléments saisissables qui se succéderaient dans un certain ordre (Cf. Schmœlders, Essai, etc., pag. 163 et suiv.); mais en réalité, le temps n’a que deux parties dont l’une n’est plus et dont l’autre n’est pas encore, car le moment présent (τὸ νῦν) n’est qu’une limite idéale entre le passé et l’avenir et ne saurait être considéré comme une partie du temps et pouvant servir à le mesurer. Voy. Aristote, Physique, liv. IV, chap. 10, et cf. ci-dessus, pag. 199, note 1.; et en effet ils n’ont nullement approfondi la véritable nature du temps. ", "Et cela devait être; car, si les plus habiles philosophes ont été embarrassés à l’égard du temps et que plusieurs n’en ont pas compris l’idée, — de sorte que Galien dit que c’est quelque chose de divin dont on ne peut saisir la véritable nature, — à plus forte raison ceux-là, qui n’ont égard à la nature d’aucune chose.", "Écoute maintenant ce qu’il leur a fallu admettre comme conséquence de ces trois (premières) propositions: Le mouvement, disaient-ils, consiste en ce que chacune de ces parcelles indivisibles se transporte d’un atome (de l’étendue) à l’atome voisin(2)Littéralement: Le mouvement, c’est la translation d’une substance simple d’entre ces parcelles (se transportant) d’une substance simple à une (autre) substance simple qui l’avoisine; c’est-à-dire: selon les Motécallemîn, quand un corps se meut, chacun des atomes de ce corps touche de proche en proche les atomes du chemin qu’il a à parcourir; d’où il s’ensuit que tous les mouvements sont égaux, et que, s’ils nous paraissent plus lents ou plus rapides les uns que les autres, c’est par suite de plus ou moins d’intervalles de repos qui interrompent le mouvement., et il s’ensuit de cette hypothèse que les mouvements ne sont pas plus rapides les uns que les autres. En effet, disent-ils, quand tu vois que deux choses en mouvement parcourent dans le même temps deux distances différentes, la cause n’en est pas que le mouvement de ce qui parcourt la distance plus longue soit plus rapide, mais la cause en est que dans ce mouvement que nous appelons lent, il entre plus d’intervalles de repos, tandis que dans celui que nous appelons rapide, il entre moins d’intervalles de repos. Quand on leur opposait (l’exemple de) la flèche lancée d’un arc fortement tendu(1)C’est-à-dire: si on leur objecte que, dans le mouvement rapide de la flèche, on ne saurait admettre des intervalles de repos, comme ils sont forcés de le faire. Car, s’ils prétendaient qu’en effet c’est là un mouvement continu sans aucun intervalle de repos, ils seraient obligés d’admettre que les mouvements de deux flèches sont toujours absolument égaux, ce qui est également inadmissible., ils répondaient: en effet, elle aussi a ses mouvements interrompus par des intervalles de repos, et, si tu crois qu’elle se meut d’un mouvement continu, c’est par l’erreur des sens; car beaucoup de choses échappent à la perception des sens, comme ils l’ont posé en principe dans la douzième proposition. On leur a dit ensuite: N’avez-vous pas vu que, lorsque la meule accomplit un mouvement circulaire parfait, la partie qui est à sa circonférence parcourt l’étendue du plus grand cercle absolument dans le même temps pendant lequel la partie qui est près du centre parcourt le plus petit cercle ? le mouvement de la circonférence est donc plus rapide que celui du cercle intérieur; et il ne vous est pas permis de dire que dans le mouvement de cette dernière partie il entre plus d’intervalles de repos, puisque tout le corps, je veux dire, le corps de la meule, est un et continu. Et là-dessus ils ont répondu que, dans la circonvolution, ses parties se séparent, et que les intervalles de repos qui entrent dans chaque partie tournant près du centre sont plus nombreux que ceux qui entrent dans la partie éloignée du centre. Mais alors, leur disait-on, comment se fait–il que la meule, dans laquelle nous reconnaissons un seul corps qui ne peut être brisé avec des marteaux, se rompe en tournant et puis se rejoigne, dès qu’elle est en repos, et redevienne telle qu’elle était? et comment ne s’aperçoit-on pas que ses parties se soient séparées? Et pour y répondre, ils se sont servis précisément de cette douzième proposition, qui dit qu’il ne faut pas avoir égard à la perception des sens, mais au témoignage de l’intelligence.", "Il ne faut pas croire du reste que ce que je viens de dire soit ce qu’il résulte de plus absurde de ces trois propositions; car, certes, ce qui résulte de la croyance à l’existence du vide est encore plus extraordinaire et plus absurde; et ce que je t’ai rapporté au sujet du mouvement(1)L’auteur veut parler de ce qu’il a dit plus haut sur la manière dont les Motécallemîn expliquent le mouvement. n’est pas une plus grande absurdité que d’admettre, comme il le faut d’après ce système, que la diagonale du carré est égale à son côté(2)On arrive nécessairement à ce résultat, dès qu’on nie la continuité de l’étendue, comme le font les atomistes. En considérant le carré comme une quantité discrète, composée d’un nombre d’atomes = a 2, le nombre des atomes renfermés dans chacun des côtés, ainsi que dans la diagonale, sera = a. Soit, par exemple, le carré composé de seize atomes placés dans l’ordre suivant: on aura dans toutes les directions, tant en ligne horizontale et:::: verticale qu’en diagonale, quatre atomes; et, comme les atomes sont tous égaux et également rapprochés les uns des autres, il s’ensuivra nécessairement que la diagonale est égale à chacun des côtés du carré, ce qui est absurde. C’est là un des principaux arguments allégués par les péripatéticiens arabes contre l’atomisme des Motécallemîn; Al-Gazâli, dans son Makâcid al-Falâsifa (au commencement de la section de Métaphysique), en énumère six, parmi lesquels figure, au quatrième rang, celui dont nous parlons. Deux des arguments d’Al-Gazâli sont cités par M. Schmœlders (Essai etc., pag. 224); ce sont le premier et le sixième., de sorte qu’il y en avait parmi eux qui soutenaient que le carré est une chose qui n’existe pas. En somme, par suite de la Ire proposition, toutes les démonstrations de la géométrie tout entière se trouvent détruites. Celle-ci peut se diviser à cet égard en deux catégories(3)Littéralement: La chose se divise à SON égard en deux parties. Je rapporte le suffixe dans פיהא et dans בעצׄהא au mot אלהנדסה̈ (la géométrie), et non pas au mot בראהין (les démonstrations), comme l’a fait Ibn-Tibbon, qui met le suffixe au pluriel (קצתם ,בהם); il est évident, par les mots ובעצׄהא תכון בראהינה, que le suffixe dans בעצׄהא ne peut point se rapporter aux démonstrations.: Une partie sera entièrement annulée, comme, par exemple, les propriétés d’incommensurabilité et de commensurabilité(1)Il ne peut y avoir de doute sur le sens qu’ont ici les mots et ; dans la version arabe des Éléments d’Euclide (liv. X, défin. I et II), les grandeurs commensurables (σύμμετρα) sont appelées et les incommensurables (ἀσύμμετρα), . — On comprend facilement, par ce qui vient d’être dit au sujet de la diagonale du carré, qu’avec l’hypothèse des atomes il ne peut être question de démontrer les théories des grandeurs commensurables et incommensurables, des lignes rationnelles et irrationnelles, etc., et presque toutes les démonstrations géométriques deviennent impossibles. dans les lignes et les plans, l’existence de lignes rationnelles et irrationnelles(2)Le mot מרובקים, dans nos éditions de la version d’Ibn-Tibbon, est une faute d’impression; il faut lire מדוברים, comme l’ont les manuscrits et l’édition princeps. Du mot דבור, employé dans le sens de raison, on a formé le mot מדובר, rationnel, à l’imitation du mot arabe (ῥητóϛ), dérivé de , qui désigne à la fois la parole et la raison., et (en général) tout ce que renferme le Xe livre d’Euclide, ainsi que d’autres choses semblables. Pour une autre partie, les démonstrations ne seront point absolues, comme, par exemple, pour le problème de la division d’une ligne en deux parties égales(3)Littéralement: Comme quand nous disons: nous voulons diviser etc. ou est la formule usitée pour présenter un problème.; car, si les atomes de la ligne sont d’un nombre impair, il ne sera pas possible, selon leur hypothèse, d’opérer la division(4)C’est-à-dire: selon l’hypothèse des parcelles indivisibles ou des atomes, il sera impossible de diviser une ligne en deux parties exactement égales, dès que le nombre des atomes qu’on lui attribue est supposé impair.. — Sache aussi que le célèbre Livre des Artifices, par les Beni-Schàkir(1)Ce sont les trois fils de Mousa Ibn-Schâkir, appelés Mo’hammed, A’hmed et Al-’Hasan, et qui florissaient au milieu du IXe siècle. Ils favorisèrent de tous leurs moyens l’introduction des sciences grecques parmi les Arabes, et se rendirent célèbres eux-mêmes par des écrits sur différentes sciences mathématiques. Le livre connu sous le titre de ou Artifices renfermait, à ce qu’il paraît, des inventions ingénieuses relatives aux différentes branches de la science mécanique , et notamment à l’hydraulique et aux machines pneumatiques, et qui étaient basées sur l’hypothèse de l’horreur du vide. Cf. Hammer, Encyclopœdische Übersicht der Wissenschaften des Orients, pag. 340 et 508. Sur les Beni-Schâkir, voy. la notice du Tarîkh al-’Hocamâ, dans la Biblioth. arab. hisp. de Casiri, t. I, pag. 418; Abou’l-Faradj, Hist. dynast., texte ar., pag. 280, vers. lat., pag. 183; Abou’l-Fedâ, Anal. moslem., t. II, pag. 241., renferme au delà de cent artifices, qui tous sont appuyés de démonstrations et ont été mis en pratique; or, si le vide pouvait exister, pas un seul (de ces procédés) ne pourrait s’effectuer, et bien des opérations hydrauliques ne pourraient avoir lieu. Cependant on a passé la vie à argumenter pour confirmer ces propositions et d’autres semblables. — Je reviens maintenant à l’explication des autres propositions que j’ai rapportées.", "La QUATRIÈME PROPOSITION dit: «que les accidents existent, que ce sont des idées ajoutées à l’idée de la substance, et qu’il n’y a aucun corps qui en soit entièrement exempt(2)Littéralement: et qu’aucun des corps ne peut être détaché (ou libre) de l’un d’eux, c’est-à-dire, que dans chaque corps la substance doit être accompagnée d’un accident quelconque..» Si cette proposition restait renfermée dans ces termes, ce serait là une proposition vraie, claire et évidente, qui ne renfermerait rien de douteux ni d’obscur(3)C’est-à-dire: si les Motécallemîn se bornaient à soutenir que la substance est nécessairement accompagnée d’accidents, ils diraient une chose vraie; car, en effet, les accidents sont inhérents à toutes les substances soumises à la contingence.. Mais ils disent que, si une substance (simple) n’a pas en elle l’accident de la vie, elle doit nécessairement avoir l’accident de la mort; car, de deux (accidents) opposés, ce qui reçoit (les accidents) en a nécessairement un(1)C’est-à-dire: il faut que l’un des deux accidents opposés existe dans la substance simple, ou dans l’atome, d’une manière absolue, et il n’y a pas de substance simple qui soit exempte à la fois de l’un et de l’autre des deux opposés, ou qui ait un accident tenant le milieu entre les deux opposés. Les accidents en général, selon les Motécallemîn, sont de deux sortes: 1° accidents appartenant exclusivement aux objets animés; 2° accidents propres aussi à des objets inanimés (voy. Schmœlders, Essai etc., pag. 167). Dans les deux espèces d’êtres, il y a de ces accidents qui sont en opposition directe avec d’autres accidents, comme l’affirmation est opposée à la négation. Cette proposition est en rapport avec la VIIe, selon laquelle les qualités négatives sont également des accidents réels.. Ainsi, disent-ils, elle a (par exemple) la couleur et le goût, et (en outre) le mouvement ou le repos, la réunion ou la séparation(2)C’est-à-dire: outre les accidents qui n’ont pas d’opposé, comme, par exemple, la couleur et le goût, la substance en a toujours qui sont la négation absolue d’autres accidents. Cf. pag. 378, et ibid., note 2.. Si elle a l’accident de la vie, elle a nécessairement aussi quelques autres espèces d’accidents, comme la science ou l’ignorance, la volonté ou son opposé, la puissance ou l’impuissance, la perception ou l’un de ses opposés(3)Cf. Schmœlders, l. c., pag. 168 et suiv.; en somme, tout (accident) qui peut exister dans l’être vivant, elle doit nécessairement l’avoir lui-même, ou bien avoir un de ses opposés.", "La CINQUIÈME PROPOSITION dit: «que c’est dans l’atome déjà que résident(4)La version d’Ibn-Tibbon porte תשלם עמידת מציאותו וכו׳; c’est-à-dire, que l’existence de l’atome est accomplie par ces accidents. Cette traduction, quoique conforme au sens ordinaire de , peregit (cf. chap. LXXVI, fol. 125 b de notre texte, lig. 9 et suiv.), n’est pas ici tout à fait exacte, comme le fait observer Ibn-Falaquéra dans l’Appendice du Moré ha-Moré, pag. 153. Il me semble que l’auteur a employé ici l’expression pour . Il est évident que cette expression a ici un sens différent de celui que l’auteur lui prête plus loin, dans la phrase: אן הדׄא אלערץׄ תקום בה אלגׄמלה̈. ces accidents et qu’il en est inséparable.» Voici l’explication et le sens de cette proposition: Ils disent que chacun de ces atomes que Dieu crée a des accidents dont il est inséparable, comme, par exemple, la couleur et l’odeur, le mouvement ou le repos; excepté toutefois la quantité, car chaque atome à part n’a point de quantité, et en effet, ils n’appellent point la quantité un accident, et ils n’y reconnaissent pas l’idée d’accident(1)C’est-à-dire: ils n’y reconnaissent pas l’idée d’attribut réel, et ils n’y voient qu’une abstraction, une chose existant dans notre idée, et non pas dans les objets. Cf. Schmœlders, Essai, pag. 162 et suiv.. Selon cette proposition, ils pensent qu’on ne peut dire d’aucun des accidents existants dans un corps quelconque qu’il soit propre à l’ensemble de ce corps; cet accident, au contraire, existe, selon eux, dans chacun des atomes dont le corps est composé. Dans ce tas de neige, par exemple, la blancheur n’existe pas seulement dans tout l’ensemble, mais c’est chacun des atomes de cette neige qui est blanc, et c’est pour cela que la blancheur se trouve dans leur ensemble. De même, ils soutiennent, à l’égard du corps mû, que c’est chacun de ses atomes qui se meut, et que c’est pour cela que son ensemble se meut. C’est ainsi que la vie aussi existe, selon eux, dans chacun des atomes du corps vivant, et de même, pour ce qui est de la sensibilité, chaque atome dans cet ensemble sensitif est, selon eux, doué de sensibilité; car la vie, la sensibilité, l’intelligence et la science sont, selon eux, des accidents comme la noirceur et la blancheur, ainsi que nous le montrerons par l’exposé de leurs opinions. ", "Au sujet de l’âme, ils sont divisés: selon l’opinion dominante, elle est un accident existant dans un seul de tous les atomes dont l’homme, par exemple, est composé; et, si l’ensemble s’appelle animé, c’est parce que cet atome en fait partie. Il y en a qui disent que l’âme est un corps(1)Le mot גׄסם, qui n’est point rendu dans les deux versions hébraïques, se trouve dans la plupart des manuscrits arabes; il manque dans les deux manuscrits de Leyde, qui néanmoins portent מרכב, au masculin, ce qui peut faire présumer que le mot גׄסם a été omis par les copistes. composé d’atomes subtils, atomes qui sans doute sont doués d’un certain accident qui leur est particulier et par lequel il devient une âme, et ces atomes, disent-ils, se mêlent aux atomes du corps; par conséquent, ils ne renoncent pas à voir dans l’âme un accident. Quant à l’intelligence, je les vois convenir d’un commun accord qu’elle est un accident (existant) dans l’un des atomes de l’ensemble intelligent. ", "Au sujet de la science, il y a chez eux de l’indécision (sur la question de savoir) si elle existe comme accident dans chacun des atomes de l’ensemble doué de science, ou (si elle n’existe que) dans un seul atome; mais les deux opinions ont des conséquences absurdes.", "Quand on leur a objecté que les métaux et les pierres, nous les trouvons pour la plupart doués d’une couleur intense, laquelle pourtant s’en va dès qu’on les réduit en poudre — [car, quand nous réduisons en poudre l’émeraude, qui est d’un gros vert, elle se transforme en une poussière blanche, ce qui prouve que cet accident compète à l’ensemble(2)Littéralement: que par cet accident est constitué (ou subsiste) l’ensemble., et non pas à chacune de ses parcelles; et, ce qui est encore plus évident, quand on coupe des parties de l’être vivant, elles ne sont point vivantes, ce qui prouve que cette idée (de vie) compète à l’ensemble, et non pas à chacune de ses parties] —, ils ont répondu à cela que l’accident n’a pas de durée, mais qu’il est créé perpétuellement; et c’est cette opinion que j’exposerai dans la proposition suivante.", "La SIXIÈME PROPOSITION dit: «que l’accident ne dure pas deux temps.» Le sens de cette proposition, le voici: Ils prétendent que Dieu, en créant la substance (simple), crée à la fois dans elle tout accident qu’il veut, et qu’on ne saurait attribuer à Dieu le pouvoir de créer une substance sans accident, parce que cela est impossible(1)C’est-à-dire, parce qu’il est dans l’idée même de la substance ou de l’atome d’être inséparable des accidents.. La véritable idée de l’accident, c’est de ne point durer et de ne pas subsister deux temps, c’est-à-dire, deux instants(2)Ou, pour mieux dire, deux atomes de temps. Voy. ci-dessus, pag. 375, note 5.; l’accident donc, aussitôt qu’il est créé, s’en va et ne reste pas, et Dieu crée un autre accident de la même espèce. Ce dernier s’en va également, et Dieu en crée un troisième de la même espèce; et cela se continue ainsi, tant que Dieu veut faire durer cette espèce d’accident. Si Dieu veut créer une autre espèce d’accident dans cette substance, il le fait; mais s’il s’abstient de créer, et qu’il ne crée plus d’accident, cette substance cesse d’être. Telle est l’opinion d’une partie (des Motécallemîn), et c’est la majorité; et c’est là la création des accidents dont ils parlent(3)Tous les manuscrits portent אלתי יקולונהא, et il faut croire que l’auteur a écrit ainsi par inadvertance; car ces mots ne peuvent grammaticalement se rapporter qu’au mot אלאעראץׄ (des accidents), tandis qu’ils devraient se rapporter à כׄלק (création). Ibn-Tibbon a corrigé cette faute, en traduisant: בריאת המקרים אשר יאמרו אותה; car le suffixe dans אותה se rapporte à בריאת (création).. Cependant plusieurs d’entre les Mo’tazales soutiennent qu’il y a des accidents qui durent un certain temps et qu’il y en a d’autres qui ne durent pas deux instants; mais ils n’ont point à cet égard de règle pour se guider, de manière à pouvoir dire: Telle espèce d’accidents dure et telle autre espèce ne dure pas.", "Ce qui leur a fait adopter cette opinion, c’est qu’on n’admet point (chez eux) qu’il y ait une nature (des choses)(4)Voy. ci-dessus, pag. 351 et suiv., et que, par exemple, la nature de tel corps exige que celui-ci soit affecté de tel ou tel accident; car, au contraire, ils veulent soutenir que Dieu a créé ces accidents instantanément, sans l’intermédiaire d’une loi naturelle ou d’une autre chose quelconque. Or, en professant cette opinion, ils devaient nécessairement arriver à cette conclusion: que l’accident ne dure pas. En effet, si l’on admettait qu’il dure un certain temps et qu’ensuite il cesse d’être, cela donnerait lieu à demander quelle chose l’a fait cesser d’être; et si l’on répondait que c’est Dieu qui le fait cesser d’être quand il veut, cela ne pourrait être vrai selon leur opinion(1)C’est-à-dire, selon cette opinion: qu’il n’existe aucune nature des choses, ni aucune causalité, et que tout ce que nous voyons arriver est le fait immédiat de la volonté divine. Dans ce système donc, si l’on accordait à l’accident une certaine durée, après laquelle il cessât d’être, cette disparition de l’accident n’étant point l’effet d’une cause naturelle, il faudrait que ce fût Dieu qui fît le non-être, lequel pourtant ne se fait pas. — Quelques commentateurs ont trouvé que ce raisonnement est en contradiction avec la VIIe proposition des Motécallemîn, d’après laquelle les privations sont également des accidents réels qui ont besoin d’un efficient; mais cette proposition parle de la privation de certaine qualité déterminée, ou, pour ainsi dire, des capacités (ἕς́ειϛ) négatives, et cellesci, selon les Motécallemîn, ne doivent point se confondre avec le non-être absolu. Il n’est donc pas nécessaire de supposer, avec Ibn-Caspi, que l’auteur raisonne ici dans le sens de certains Motécallemîn qui n’admettent pas la VIIe proposition. Voir les commentaires d’Éphodi et de Schem-Tob.; car l’efficient ne fait pas le non-être, lequel n’a pas besoin d’efficient, mais c’est lorsque l’efficient s’abstient d’agir que l’effet cesse d’être [ce qui est vrai sous un certain rapport(2)L’auteur veut dire probablement qu’en principe il est vrai de dire que le non-être n’a pas besoin d’efficient, mais qu’il ne faut pas, comme le font ici les Motécallemîn, confondre le non-être absolu avec la non-existence de ce qui a existé, car celle-ci a besoin d’un efficient.]. C’est pourquoi, ayant voulu soutenir qu’il n’y a point de loi naturelle qui nécessite l’existence ou la non-existence de quoi que ce soit, ils ont été amenés par là à dire(3)Les mots אן קאלוא se lient aux mots אפצׄי בהם אלקול; littéralement: la parole les a entraînés, (de manière) qu’ils ont dit. Le sens est: ayant eu intérêt à soutenir qu’il n’existe ni loi naturelle, ni causalité, ils ont été obligés par là d’affirmer que les accidents ne durent pas, et qu’ils sont créés par Dieu successivement les uns après les autres. que les accidents sont créés successivement. Selon les uns donc, lorsque Dieu veut que la substance cesse d’être, il n’y crée pas d’accident, et par là elle cesse d’être; d’autres cependant disent que, si Dieu voulait détruire le monde, il créerait l’accident de la destruction sans que celui-ci eût un substratum(1)Selon cette dernière opinion, qui est celle des Mo’tazales, il ne suffirait pas pour la destruction du monde que Dieu s’abstînt de créer des accidents dans les atomes, mais il faudrait que Dieu créât tout exprès l’accident de la destruction, sans pourtant que cet accident fût dans un sujet ou dans une substance; car, s’il était dans un sujet, ce serait la réunion de l’être et du non-être, ce qui est impossible. — Ibn-Roschd a fait ressortir tout ce qu’il y a d’absurde dans cette hypothèse, qui, dit-il, ne mérite pas de réfutation sérieuse. D’abord, destruction et non-être sont synonymes, et si Dieu ne crée pas le non-être, il ne crée pas non plus la destruction. Ensuite un accident sans substratum est en lui-même une chose absurde; et d’ailleurs comment peut-on se figurer que le non-être fasse le non-être? Voy. Destr. de la Destruction, IIe question, où l’on trouve d’autres détails relatifs à cette VIe proposition des Motécallemîn., et cette destruction neutraliserait(2)Littéralement: s’érigerait en adversaire, ou s’élèverait contre. l’existence du monde.", "En vertu de cette proposition, ils ont soutenu que cette étoffe que nous croyons avoir teinte en rouge, ce n’est point nous qui l’avons teinte, mais c’est Dieu qui a fait naître cette couleur dans l’étoffe, au moment où celle-ci s’est unie à la couleur rouge; car, disent-ils, bien que nous croyions que cette couleur a (forcément) pénétré dans l’étoffe, il n’en est point ainsi(3)Littéralement: laquelle couleur nous croyons avoir pénétré dans l’étoffe, tandis, disent-ils, qu’il n’en est point ainsi.. Au contraire (ajoutent-ils)(4)La version d’Ibn-Tibbon ajoute ici ces mots: לא זו בלבד אמרו אבל אמרו גם כן, et ils n’ont pas dit seulement cela, mais ils ont dit encore. De tous les manuscrits arabes que nous avons consultés, il n’y en a qu’un seul (l’un des deux manuscrits de Leyde) qui ait cette addition: ולים הדׄא קאלוא פקט בל קאלוא. Ces mots ne se trouvent pas non plus dans la version d’Al-’Harizi., c’est Dieu qui a établi comme une chose habituelle(1)Littéralement: qui a fait courir L’HABITUDE; c’est-à-dire, Dieu a voulu que cela arrivât habituellement, sans en faire une loi de la nature. Les Motécallemîn prétendaient ainsi détruire toute espèce de causalité, afin d’attribuer directement à la seule volonté de Dieu tout ce qui arrive dans le monde. Cette opinion a trouvé un chaleureux champion dans Al-Gazâli (voy. mon article Gazâli dans le Dict. des sc. philos., t. II, p. 511). Ibn-Roschd a montré que cette hypothèse de l’habitude est une chose insaisissable et vide de sens. L’habitude, étant une capacité qu’on acquiert en répétant une action plusieurs fois, ne saurait être attribuée à Dieu, être immuable, dans lequel aucun changement ne peut avoir lieu. Mais elle ne peut pas non plus résider dans les êtres en général; car l’habitude prise dans son véritable sens ne peut s’attribuer qu’à l’être animé, et, si on l’attribue à l’être inanimé, elle signifie la même chose que nature ou loi naturelle. Enfin, on ne saurait en faire quelque chose de subjectif résidant dans notre jugement, qui aurait l’habitude de juger les choses d’une certaine façon; car ce jugement lui-même est l’action de l’intelligence soumise également à une loi naturelle. Voy. Destr. de la Destruction, XVIIe question, et cf. Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, pag. 57. que cette couleur noire, par exemple, ne naquit qu’au moment où l’étoffe s’unît à l’indigo(2)Le mot נילגׄ est généralement employé en Orient pour désigner l’indigo, qui donne la couleur bleue; si donc l’auteur parle ici de couleur noire, c’est peut-être dans le sens des Motécallemîn, selon lesquels le bleu est une espèce de noir. Ils ne comptent en général que cinq couleurs: le blanc, le noir, le rouge, le jaune et le vert; le blanc et le noir sont les couleurs fondamentales, les autres ne sont qu’une portion plus ou moins forte de noir sur un fond blanc. Voy. Schmœlders, Essais etc., pag. 167.; cependant ce noir, que Dieu a créé au moment où la chose à noircir s’unissait à la couleur noire, ne reste pas, mais s’en va à l’instant même, et Dieu crée un autre noir. De même, Dieu s’est fait l’habitude de créer, après la disparition de ce noir, non pas une couleur rouge ou jaune, mais un noir semblable. ", "Conformément à cette hypothèse, ils ont soutenu que les connaissances que nous avons maintenant de certaine chose ne sauraient être les mêmes que celles que nous avions hier; que celles-ci, au contraire, se sont évanouies, et qu’il en a été créé d’autres semblables; et, s’il en est ainsi, disent-ils, c’est parce que la science est un accident. Et de même, celui qui croit que l’âme est un accident doit nécessairement admettre qu’il est créé dans chaque être animé cent mille âmes, par exemple, dans chaque minute; car, selon eux, comme tu le sais, le temps se compose d’instants indivisibles.", "Ils soutiennent encore, en vertu de cette proposition, que, lorsque l’homme meut la plume(1)Proprement, le roseau, dont les Orientaux se servent pour écrire., ce n’est pas l’homme qui la meut; car ce mouvement qui naît dans la plume est un accident que Dieu y a créé. De même, le mouvement de la main, qui dans notre opinion meut la plume, est un accident que Dieu a créé dans la main qui se meut(2)Tous les manuscrits portent אלמתחרכה̈ (participe de la Ve forme), ce que les deux traducteurs hébreux ont inexactement rendu par המניעה; il faut mettre המתנועעה.; Dieu a seulement établi comme habitude que le mouvement de la main s’unît au mouvement de la plume, sans que pour cela la main ait une influence quelconque ou une causalité dans le mouvement de la plume, car, disentils, l’accident ne dépassse pas son substratum(3)C’est-à-dire: l’accident ne passe pas d’un substratum à un autre, et, par conséquent, l’accident de mouvement qui est dans la main ne saurait se communiquer à la plume.. Ils admettent donc d’un commun accord que cette étoffe blanche qu’on a descendue dans la cuve d’indigo et qui a été teinte, ce n’est pas l’indigo qui l’a rendue noire; car le noir est un accident dans le corps de l’indigo et ne saurait passer à un autre corps. Il n’y a absolument aucun corps qui exerce une action; le dernier efficient n’est autre que Dieu, et c’est lui(4)L’auteur veut dire que le dernier efficient, ou Dieu, est, selon les Motécallemîn, le seul et véritable efficient, agissant sans intermédiaire. qui a fait naître le noir dans le corps de l’étoffe, quand celle-ci s’est unie à l’indigo, car telle est l’habitude qu’il a établie. En somme, on ne peut dire aucunement: Telle chose est la cause de telle autre; c’est là l’opinion de la grande majorité (des Motécallemîn). Il y en a quelques uns qui ont admis la causalité, mais on les en a blâmés. ", "— Cependant, à l’égard des actions des hommes, ils sont divisés. La plupart d’entre eux, et (notamment) les Asch’ariyya en masse, sont d’avis que, pour le mouvement(1)Plusieurs manuscrits portent , ce qui est une construction irrégulière, pour אן ענד תחריכי, que, lorsque je meus, etc. Ce qui parle en faveur de cette leçon, c’est le suflixe de la première personne dans les mots אראדתי et קדרתי, auquel les traducteurs hébreux ont substitué la troisième personne: רצונו (Al-’Harizi יכלתו ,(רצון המניע. de cette plume, Dieu a créé quatre accidents qui ne servent point de cause les uns aux autres, et qui ne font que coexister ensemble. Le premier accident, c’est ma volonté de mouvoir la plume; le deuxième accident, c’est la faculté que j’ai de la mouvoir; le troisième accident, c’est le mouvement humain lui-même, je veux dire, le mouvement de la main; enfin, le quatrième accident, c’est le mouvement de la plume. En effet, ils prétendent que, lorsque l’homme veut quelque chose et qu’ensuite il le fait [du moins à ce qu’il croit], il lui a été créé d’abord la volonté, ensuite la faculté de faire ce qu’il voulait faire, et enfin l’action elle-même; car il n’agit point au moyen de la faculté créée dans lui, laquelle n’a point d’influence sur l’action.— Cependant les Mo’tazales disent qu’il agit au moyen de la faculté créée dans lui(2)On a déjà vu plus haut (pag. 337, note 1) que le libre arbitre de l’homme est un point essentiel de la doctrine des Mo’tazales; ils devaient donc nécessairement reconnaître que l’homme agit lui-même volontairement, au moyen de la faculté d’agir que Dieu lui crée pour qu’il puisse exécuter sa volonté. Cf la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XVII, 4e opinion.; et une partie des Asch’ariyya soutiennent que la faculté créée exerce une certaine influence sur l’action et y concourt(1)Plus littéralement: et qu’elle s’y rattache. L’auteur fait allusion à ce que les Ascharites appellent l’acquisition. Voy. ci-dessus, pag. 186 et 187., opinion qui a été blâmée(2)Littéral.: et ils (les Ascharites en général) ont blâmé cela. L’undes deux manuscrits de Leyde porte: לכן אבתׄרהם אםתשנעוא דׄלך, mais la plupart ont blâmé cela; cette leçon a été reproduite dans les deux versions hébraïques.. Cette volonté créée, selon l’opinion de tous, et de même la faculté créée et l’action créée, selon l’opinion de quelques uns, sont toutes des accidents sans durée; et c’est Dieu qui crée dans cette plume des mouvements les uns après les autres, ce qui se continue tant que la plume se meut. Pour qu’elle se repose, il faut que Dieu y crée également le repos(3)Littéralement: et quand elle se repose, elle ne se repose que lorsqu’il y a également créé le repos., et il ne cesse d’y créer successivement le repos, tant que la plume reste en repos.", "C’est ainsi que dans chacun de ces instants, je veux dire (dans chacun) de ces atomes du temps, Dieu crée un accident dans tout être individuel(4)C’est-à-dire, dans tous les atomes dont se compose chaque être individuel., soit ange, soit sphère céleste, etc., et cela se continue ainsi perpétuellement. C’est là, disent-ils, ce qui s’appelle véritablement croire que Dieu est efficient; et celui qui ne croit pas que Dieu agisse ainsi nie, selon eux, que Dieu soit efficient. Mais, selon moi et selon tout homme intelligent, c’est au sujet de pareilles croyances qu’on peut dire: Vous raillerez-vous de lui (Dieu) comme on se raille d’un mortel (Job, 13, 9)? Car c’est là en vérité de la pure raillerie.", "La SEPTIÈME PROPOSITION, c’est qu’ils croient que les privations des capacités(5)Voy. ci-dessus, pag. 376, note 1, et cf. pag. 195, notes 1 et 2. sont des choses (réelles) existant dans le corps et ajoutées à sa substance, que ce sont des accidents ayant également une existence (réelle) et qui, par conséquent, sont perpétuellement créés, de manière que, lorsque l’un disparaît, il en est créé un autre. En voici l’explication: Ils n’admettent pas que le repos soit la privation du mouvement, ni que la mort soit la privation de la vie, ni que la cécité soit la privation de la vue, ni (en général) qu’il y ait de semblables privations de capacités(1)Le texte s’exprime d’une manière irrégulière et tronquée; il dit, mot à mot: ni rien qui ressemble à cela en fait de privations de capacités, et il faut sous-entendre: n’est une véritable privation.. Selon eux, au contraire, il en est du mouvement et du repos comme de la chaleur et du froid(2)C’est-à-dire: de même que la chaleur et le froid naissent de deux causes différentes, de même la seule absence de la cause du mouvement ne suffit pas pour qu’il y ait repos, et il faut pour le mouvement et le repos deux causes distinctes.; et de même que la chaleur et le froid sont deux accidents existant dans deux sujets, celui qui est chaud et celui qui est froid, de même le mouvement est un accident créé dans ce qui se meut et le repos un accident que Dieu crée dans ce qui est en repos. Celui-ci non plus(3)C’est-à-dire, l’accident du repos. ne dure pas deux temps, comme on l’a déjà vu dans la proposition précédente; donc, dans ce corps en repos, Dieu, selon eux, crée le repos pour chacun de ses atomes, et un repos ayant disparu, il en crée un autre, aussi long-temps que cette chose est en repos. Il en est absolument de même, selon eux, de la science et de l’ignorance; car l’ignorance, selon eux, est un accident positif, et elle ne cesse de disparaître et d’être créée de nouveau tant que celui qui ignore une certaine chose reste dans son ignorance(4)Littéralement: car l’ignorance, selon eux, existe (comme quelque chose de réel et de positif), tout en étant un accident, et il ne cesse de disparaître une ignorance et d’en être créé une autre continuellement, tant que l’ignorant ignore une certaine chose.. Il en est encore absolument de même de la vie et de la mort. En effet, l’une et l’autre, selon eux, sont des accidents (au même titre), et ils disent clairement que, tant que l’être vivant reste vivant, il y a toujours une vie (instantanée) qui disparaît et une autre qui est créée; mais lorsque Dieu veut qu’il meure, il crée dans lui l’accident de la mort, à la suite de la (dernière) disparition de l’accident de vie, qui ne dure pas deux temps. Tout cela, ils le disent expressément; ", "et il s’ensuit nécessairement de cette hypothèse que l’accident de mort créé par Dieu disparaît également à l’instant même, et que Dieu crée (aussitôt) une autre mort, car sans cela la mort ne durerait pas. De même donc qu’il est créé vie sur vie, de même, il est créé mort sur mort(1)C’est-à-dire: de même que l’accident de vie est reproduit sans cesse dans l’être vivant par l’action directe du Créateur, de même l’accident de mort a besoin d’être reproduit sans cesse par une nouvelle création.. Cependant, je voudrais savoir jusqu’à quand Dieu créera l’accident de mort dans le mort! Est-ce tant qu’il conserve sa forme extérieure, ou tant qu’il reste un de ses atomes? Car l’accident de mort que Dieu crée, il le crée, comme ils le supposent, dans chacun de ces atomes. Or, nous trouvons des dents molaires de morts qui sont là depuis des milliers d’années, ce qui prouve que Dieu n’a pas réduit au néant cette substance, et que, par conséquent, il y crée l’accident de la mort pendant ces milliers d’années, de manière que, une mort disparaissant, il en crée une autre. Et telle est en effet l’opinion du plus grand nombre (des Motécallemîn).", "Cependant une partie des Mo’tazales admettent que certaines privations de capacités(2)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut remplacer les mots הענינים הטבעיים par הקנינים, comme l’ont les manuscrits. ne sont point des choses positives; ils disent, au contraire, que l’impuissance est (réellement) la privation de la puissance et l’ignorance la privation de la science. Mais ils ne jugent pas ainsi(3)Littéralement: et ils ne poursuivent pas cela, c’est-à-dire: ils ne persévèrent pas dans la même pensée. Le mot יטרד doit être considéré comme un verbe actif , dont le sujet est . Ibn-Tibbon l’a très exactement rendu par ימשיך. à l’égard de toutes les privations, et ils n’admettent pas que les ténèbres soient la privation de la lumière, ni que le repos soit la privation du mouvement. Loin de là, ils voient dans ces privations en partie des choses positives et en partie des privations véritables, selon ce qui leur convient sous le rapport de leur croyance, comme ils l’ont fait aussi pour ce qui concerne la durée des accidents, (disant) que les uns durent un certain temps et que les autres ne durent pas deux instants; car leur but est en général de supposer un Être dont la nature soit conforme à nos opinions et à nos croyances.", "La HUITIÈME PROPOSITION dit: «qu’il n’y a (partout) que substance et accident, et que les formes physiques sont également des accidents(1)C’est-à-dire, que tout, dans la nature, se compose des substances simples, ou des atomes, et de leurs accidents, et non pas de matière (ὔλη) et de forme, comme le disent les philosophes, et que même ce que ces derniers appellent les formes physiques, c’est-à-dire, les formes qui constituent les genres et les espèces et qui font l’essence des choses, ce ne sont également que de simples accidents créés dans les atomes..» Voici l’explication de cette proposition: Tous les corps, selon eux, sont composés d’atomes pareils, comme nous l’avons exposé dans leur première proposition, et ne diffèrent les uns des autres que par les seuls accidents. Selon eux donc, la qualité d’animal, celle d’homme, la sensibilité, la raison, etc., sont des accidents au même titre que la blancheur, la noirceur, l’amertume et la douceur; de sorte que les individus d’espèces diverses ne diffèrent entre eux que comme les individus de la même espèce(2)Littéralement: de sorte que la différence entre un individu de telle espèce et un individu d’une autre espèce est comme la différence entre individu et individu de la même espèce; c’est-à-dire, qu’il n’existe pas de différence générique ou spécifique, et que toute différence entre deux individus quelconques est purement accidentelle, et non essentielle; car les formes physiques, comme on l’a vu, ne sont que de simples accidents.. Ils voient, par conséquent, dans le corps du ciel, et même dans celui des anges, et jusque dans celui du prétendu(1)Les mots עלי מא יתוהם, selon ce qu’on s’imagine, se rapportent au trône ( , cf. ci-dessus, pag. 95, note 1), dans lequel le vulgaire voit quelque chose de réel, mais qui, selon notre auteur, n’est qu’une image de la majesté divine, ou désigne quelquefois la sphère supérieure. Voir ci-dessus, chap. IX et LXX. trône céleste, la même substance que dans un insecte quelconque de la terre ou dans une plante quelconque; toutes ces choses ne diffèrent entre elles que par les seuls accidents, et toutes ont pour substance les atomes.", "La NEUVIÈME PROPOSITION dit: «que les accidents ne se portent pas les uns les autres.» On ne saurait donc dire, selon eux, que tel accident est porté par tel autre(2)Comme, par exemple, la figure et la couleur, qui sont des accidents portés par la quantité, et le temps, qui est un accident porté par celui du mouvement., et cet autre par la substance; mais tous les accidents sont portés, immédiatement et au même titre, par la substance même. Ce qu’ils veulent éviter par là, c’est d’être forcés d’admettre que le second accident ne saurait exister dans la substance qu’avec le premier qui l’y aurait précédé; car ils nient que cela ait lieu pour certains accidents(3)Plus littéralement: s’ils fuient cela (c.-à-d., s’ils refusent d’admettre que les accidents se portent les uns les autres), c’est parce qu’il s’ensuivrait que ce second accident ne saurait exister dans la substance qu’après que le premier accident l’a précédé, ce qu’ils ne veulent pas admettre pour certains accidents, etc. Voici quel est le sens de ce passage: les Motécallemîn ne veulent pas admettre avec les philosophes qu’il y ait certains accidents qui ne se lient à la substance que par l’intermédiaire d’autres accidents, comme, par exemple, la figure et la couleur, par l’intermédiaire de la quantité; ils soutiennent, au contraire, que tous les accidents en général sont portés immédiatement par les atomes et servent à déterminer la substance, c’est-à-dire, à en former l’essence et à en faire ce qu’elle est; car on a vu, dans la proposition précédente, que ce sont les accidents qui déterminent les genres et les espèces et que les formes physiques sont également des accidents (Cf. ci-dessus, pag. 398, note 1). Ils s’efforcent donc de présenter, comme existant dans la substance même, ou dans les atomes, les accidents qui évidemment sont portés par d’autres accidents., et ils s’efforcent d’inventer pour ces certains accidents la possibilité d’exister dans quelque substance que ce soit, sans que celle-ci soit déterminée par un autre accident, (et cela) conformément à leur opinion, savoir, que tous les accidents sont quelque chose qui détermine (la substance). D’autre part aussi, il faut que le sujet qui porte l’attribut reste toujours stable pendant un certain temps; or, comme d’après eux l’accident ne dure pas deux temps, c’est-à-dire, deux instants, comment se pourrait-il, d’après cette supposition(1)Tous les manuscrits portent אלתקדיר (avec daleth); Ibn-Tibbon, qui met היםוד, paraît avoir lu אלתקריר (avec resch)., qu’il servît de substratum à autre chose?", "La DIXIÈME PROPOSITION, c’est cette admissibilité(2)Le verbe signifie laisser passer, et, au figuré, juger admissible ou permis, et le mot , qui en est le nom d’action, est employé par les Motécallemîn comme terme technique pour désigner la fameuse proposition qui dit que tout ce que l’imagination peut se figurer est aussi admissible pour la raison, que tout dans l’univers pourrait être autrement qu’il n’est, et que rien n’est impossible, pourvu qu’on puisse s’en former une idée. Cf. Maïmonide, Huit chapitres, ou Introduction au traité Abôth, chap. Ier (Porta Mosis de Pococke, pag. 188).—Il faut vraiment s’étonner de voir un auteur de nos jours affirmer avec assurance que non seulement il y a des erreurs très essentielles dans la prétendue énumération que Maïmonide fait ici des principes des Motécallemîn, mais que même ce qu’il appelle leur fondement principal, à savoir, qu’il n’y a aucune connaissance sûre des choses, attendu que le contraire peut toujours exister et être pensé dans notre entendement, est tout à fait erroné et diamétralement opposé à la doctrine dogmatique (Schmœlders, Essais, pag. 135). Le même auteur insinue que Maïmonide n’a connu les doctrines des Motécallemîn que par les faux rapports de leurs adversaires; mais il résulte de la propre déclaration de Maïmonide qu’il connaissait parfaitement les doctrines dont il s’agit, et ici, comme partout ailleurs, ses assertions sont basées sur une étude sérieuse et approfondie des sources les plus authentiques; voy. le commencement du chapitre LXXIV. Il suffit d’ailleurs de lire la Destruction de la Destruction d’Ibn-Roschd, qui renferme de nombreux détails sur les Motécallemîn, et où l’on retrouve toutes les propositions énumérées par Maïmonide. Ces deux hommes illustres devaient être au moins aussi bien informés que les auteurs plus récents que M. Schmœlders a pu consulter. Pour ce qui est de cette Xe proposition, que Maïmonide appelle la base de la science du Calâm, elle est tellement essentielle dans le système des Motécallemîn qu’il est impossible de l’en séparer. Ibn-Roschd y revient également à diverses reprises. Nous nous contentons de citer ici un seul passage, où Ibn-Roschd (en parlant du principe de causalité nié par les Motécallemîn, et notamment par les Ascharites, qui voient dans tous les phénomènes et dans toutes les actions qui se produisent dans le monde l’intervention immédiate du Créateur) s’exprime ainsi: והניחו עם זה כל הנמצאות פעולות עוברות ולא יראו שיש בם םדר ולא ערך ולא חכמה גזר אותם טבע הנמצאות אבל האמינו שכל נמצא אפשר שיהיה בחלוף מה שהוא «Ils ont, avec cela, posé en principe que toutes les choses qui existent sont des faits admissibles (et non nécessaires), et ils n’admettent pas qu’il y ait dans elles ni ordre, ni proportion, ni sagesse, résultant de la nature des choses. Ils croient, au contraire, que tout ce qui existe pourrait être autrement qu’il n’est.» Voy. Destr. de la Destruction, IIIe question (vers, hébr., ms. du fonds de l’Oratoire, n° 93, fol. 243 a). Cf. Moïse de Narbonne, Commentaire sur le Moré Neboukhîm, Ire partie, à la fin du chap. LIII; Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, I, chap. LXXIII et LXXIV (pag. 58 et 63); Ritter, Geschichte der Philosophie, t. VII, pag. 737. dont ils parlent et qui est la base de la science du calâm. Écoute quelle en est la signification: Ils sont d’avis que tout ce qui est imaginable est aussi admissible pour la raison, (et ils disent) par exemple, que le globe terrestre pourrait devenir une sphère tournant en cercle(1)C’est-à-dire, que le globe terrestre, centre de l’univers et toujours en repos, pourrait devenir une des sphères célestes qui environnent le centre, autour duquel elles accomplissent leur mouvement circulaire. et la sphère se transformer en globe terrestre, et qu’il est admissible pour la raison que cela puisse arriver; que la sphère du feu pourrait se mouvoir vers le centre et le globe terrestre vers la circonférence(1)Cf. ci-dessus, pag. 134, note 2, et pag. 356. L’élément de la terre, d’une gravité absolue, tend toujours vers le centre, tandis que celui du feu, d’une légèreté absolue, fuit le centre et tend toujours vers la circonférence de l’univers. Voy. Aristote, traité du Ciel, liv. IV, chap. 4 et 5., et que, selon ce principe d’admissibilité rationnelle, l’un des deux lieux convient autant que l’autre à chacun de ces corps(2)Littéralement: et que tel lieu ne convient pas plus à tel corps que tel autre.. De même, disent-ils, toute chose d’entre ces êtres que nous voyons pourrait être plus grande ou plus petite qu’elle n’est(3)La construction du texte arabe est ici un peu irrégulière; en voici à peu près le mot à mot: de même, disent-ils, (quant à) toute chose d’entre ces êtres visibles, que chacune de ces choses soit plus grande, etc…, comme par exemple quil y ait un individu, etc…, tout cela, disent-ils, est admissible pour la raison. L’infinitif כון doit être considéré comme un sujet dont les mots כל הדׄא גׁאיז forment l’attribut., ou se trouver, sous le rapport de la figure et du lieu, dans un état contraire au sien. Ainsi, par exemple, il pourrait y avoir un individu humain de la dimension d’une grande montagne, ayant plusieurs têtes et nageant(4)La plupart des manuscrits portent יטף, ce qu’Ibn-Tibbon rend par יפרח (qui vole); nous avons écrit יטפו, comme le porte l’un des deux manuscrits de Leyde, et c’est cette leçon qu’exprime Al-’Harizi, qui traduit ce verbe par ישוט (qui nage). dans l’air; ou bien il pourrait exister un éléphant de la dimension d’un moucheron et un moucheron de la dimension d’un éléphant; tout cela, disent-ils, est admissible pour la raison. Ce principe d’admissibilité s’applique avec conséquence à tout l’univers, et, pour tout ce qu’ils supposent de la sorte, ils disent: «On peut admettre qu’il en soit ainsi, et il est possible qu’il en soit ainsi, et il ne faut pas que telle chose soit plutôt de telle manière que de telle autre», sans considérer si la réalité répond à leur supposition(1)Littéralement: sans avoir égard à la conformité de l’être avec ce qu’ils supposent.; car, disent-ils, si cet être a des formes connues, des dimensions déterminées et des conditions fixes, qui ne subissent ni altération ni changement, ce n’est là qu’une simple habitude(2)Plus littéralement: celles-ci ne sont ainsi que par le cours d’habitude; voy. ci-dessus, pag. 392, note 1. Le suffixe dans כונהא (leur être) se rapporte aux mots צור, etc.; quelques éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont l’abréviation ‘היות, dont on a fait היותה; il faut lire היותם, comme l’ont les manuscrits.. Ainsi, par exemple, c’est l’habitude du souverain de ne traverser les rues de la ville que sur une monture, et on ne le voit jamais autrement, quoiqu’il ne soit pas inadmissible pour la raison qu’il puisse parcourir la ville à pied; au contraire, personne ne doute que cela ne soit possible, et on admet que cela peut arriver. De même, disent ils, c’est le cours de l’habitude que l’élément terrestre se meuve vers le centre et le feu vers le haut, ou bien que le feu brûle et que l’eau rafraîchisse; mais il n’est pas inadmissible pour la raison que cette habitude puisse changer, de sorte que le feu puisse rafraîchir et se mouvoir vers le bas, tout en étant le feu, et que de même l’eau puisse produire la chaleur et se mouvoir vers le haut, tout en étant l’eau. Telle est la base de tout leur raisonnement(3)Littéralement: Et c’est là-dessus qu’a été construite toute l’affaire; c’est-à-dire: c’est sur de pareils raisonnements que repose tout l’échafaudage de leur système..", "Néanmoins, ils conviennent d’un commun accord que la réunion des contraires dans un même sujet et au même instant est une chose absurde et impossible que la raison ne saurait admettre. De même, ils disent que l’existence d’une substance sans aucun accident, ou bien celle d’un accident sans substratum [admise par quelques uns(4)Il faut se rappeler qu’il y a des Motécallemîn qui admettent, dans certains cas exceptionnels, l’accident sans substratum; voy. ci-dessus, pag. 391, et ibid., note 1.], est une chose impossible que la raison ne saurait admettre. Enfin, ils disent de même que la substance ne saurait se transformer en accident, ni l’accident en substance, ni un corps pénétrer dans un autre corps; et ils affirment même que ce sont là des choses rationnellement impossibles.", "A la vérité, (en disant) que toutes ces choses énumérées comme impossibles, on ne saurait se les figurer, et que, ce qu’ils ont appelé possible, on peut se le figurer, il y a là du vrai. Cependant, les philosophes (leur) disent: Si telle chose, vous l’appelez impossible parce qu’on ne saurait se l’imaginer, et que telle autre chose, vous l’appeliez possible parce qu’on peut se l’imaginer, alors ce qui vous paraît possible ne l’est que dans l’imagination, mais non pour la raison; par conséquent, dans cette proposition, vous considérez le nécessaire, l’admissible et l’absurde, tantôt au point de vue de l’imagination et non de la raison, et tantôt à celui du simple sens commun, comme l’a dit Abou-Naçr (al-Farâbi), en parlant de ce que les Motécallemîn appellent raison.", "Il est donc clair que, pour eux, ce qu’on peut s’imaginer est possible [n’importe que la réalité lui soit conforme, ou ne le soit pas], et que tout ce qu’on ne saurait s’imaginer est impossible. Mais cette proposition ne peut se soutenir qu’au moyen des neuf propositions précédentes, et c’est pour celle-ci sans doute qu’on a été obligé d’établir d’abord celles-là. Cela résultera plus clairement de ce que je vais t’exposer, en te révélant ce qu’il y a au fond de ces choses, sous forme d’une discussion qui eut lieu entre un Motécallem et un philosophe:", "Pourquoi, demanda le Motécallem au philosophe, trouvonsnous le corps de ce fer extrêmement solide et dur et de couleur noire, et le corps de ce beurre extrêmement tendre et mou et de couleur blanche?", "C’est, lui répondit le philosophe, que tout corps naturel a deux espèces d’accidents: les uns lui surviennent du côté de sa matière, comme, par exemple, la santé et la maladie dans l’homme; les autres lui surviennent du côté de sa forme, comme, par exemple, l’étonnement et le rire do l’homme(1)La santé et la maladie tiennent à la constitution physique de l’homme ou a la matière, qui lui est commune avec les autres animaux, tandis que l’étonnement et le rire tiennent à l’âme rationnelle, qui est la forme spécifique de l’homme.. Or, les matières des corps d’une composition achevée(2)Littéralement: des corps composés d’une composition dernière, c’est-à-dire, des corps complexes, composés de tous les éléments divers qui concourent à former leur nature et donnent à leur matière un caractère particulier. varient beaucoup selon les formes particulières à ces matières, de sorte que la substance du fer devient l’opposé de la substance du beurre, et qu’elles sont l’une et l’autre accompagnées des accidents différents que tu y vois; la dureté de l’une et la mollesse de l’autre sont donc des accidents qui tiennent à la diversité de leur forme respective(3)C’est-à-dire, de ce qui constitue l’essence respective des deux substances. — Dans l’un des manuscrits de Leyde cette phrase est construite un peu différemment; on y lit: מא תראה מן אלשדה̈ פי הדׄאואללין פי הדׄא והי אעראץׄ. De même Al-’Harizi: מה שאתה רואה מן החוזק בזה והרפיון בזה שהם מקרים., tandis que la noirceur et la blancheur sont des accidents qui tiennent à la diversité de leur matière dernière(4)C’est-à-dire, de la matière prochaine ou immédiate, qui leur est particulière et qui est le résultat de la composition dernière dont il vient d’être parlé. Cf. ci-dessus, pag. 21, note 1..", "Mais le Motécallem renversa toute cette réponse au moyen de ses susdites propositions, ainsi que je vais te l’exposer: Il n’existe point, dit-il, de forme qui, comme vous le croyez, constitue la substance de manière à en faire des substances variées, mais il n’y a partout que des accidents [selon leur opinion, que nous avons exposée dans la VIIIe proposition(5)Voy. ci-dessus, pag. 398, et ibid., note 1.]. Il n’y a point de différence, poursuivit-il, entre la substance du fer et celle du beurre; car tout est composé d’atomes pareils les uns aux autres. Et c’est là leur opinion que nous avons exposée dans la Ire proposition, de laquelle, comme nous l’avons expliqué, découlent nécessairement la IIe et la IIIe propositions; et de même on a besoin de la XIIe proposition pour établir l’existence des atomes. On ne saurait pas non plus admettre, selon le Motécallem, que telle substance possède certains accidents qui lui soient particuliers et par lesquels elle soit disposée et préparée à recevoir des accidents secondaires; car, selon lui, un accident ne saurait porter un autre accident, comme nous l’avons exposé dans la IXe proposition. L’accident n’a pas non plus de durée, ainsi que nous l’avons exposé dans la VIe proposition. — Le Motécallem étant ainsi parvenu, au moyen de ses propositions, à affirmer tout ce qu’il voulait(1)Littéralement: Lors donc que s’est avéré pour le Motécallem tout ce qu’il voulait, conformément à ses propositions., et ayant obtenu ce résultat: «que les substances du beurre et du fer sont pareilles et identiques, qu’il y a un seul et même rapport entre toute substance et tout accident(2)C’est-à-dire, que toute substance, ou tout atome, est également apte à recevoir tout accident quelconque, et qu’il y a toujours un rapport direct entre la substance et les accidents. Cf. ci-dessus, pag. 399, et ibid., note 3. — Le mot מנהא (d’entre elles), qui suit le mot גׁוהר et qui paraît superflu, a le sens de מן אלגׁואהר; si le pronom se rapportait aux mots אלזבד ואלחדיד (ce qui d’ailleurs n’offrirait pas de sens convenable), il aurait fallu dire מנהמא., que telle substance n’est pas plus apte que telle autre à (recevoir) tel accident, et que, de même que tel atome n’est pas plus susceptible de mouvement que de repos, de même les atomes ne sont pas plus aptes les uns que les autres à recevoir l’accident de la vie ou celui de l’intelligence ou celui de la sensibilité [n’importe que le nombre des atomes (réunis) soit plus ou moins grand(3)Littéralement: et la multitude ou le petit nombre des atomes n’ajoute rien à cela; c’est-à-dire: le nombre plus ou moins grand des atomes que renferme une substance n’est pour rien dans l’aptitude que peut avoir cette substance pour recevoir les accidents en question., car, selon l’opinion exposée dans la Ve proposition, l’accident existe dans chacun des atomes]», il résulte de toutes ces propositions que l’homme n’est pas plus apte à penser que le scarabée(1)Car, l’un et l’autre étant composés d’atomes de la même nature, et tous les atomes étant également aptes à recevoir toute espèce d’accidents, il s’ensuit que l’accident de la pensée peut aussi bien survenir au scarabée qu’à l’homme.—Les manuscrits portent généralement אלכׄנפם et quelques uns אלכׄנפםה̈ , mot qui est le nom générique du scarabée; Ibn-Tibbon a mis העטלף, et Ibn-Falaquéra, en critiquant cette traduction, fait observer que le traducteur a peut-être lu, dans son texte arabe, אלכׄפאש , mot qui signifie chauve-souris. Voy. l’Appendice du Moré ha-Moré, page 153.; et on a dû en venir à cette admissibilité dont ils parlent dans la présente proposition. C’est à cette proposition qu’aboutissaient tous leurs efforts; car elle se prête à merveille à toutes les hypothèses qu’on veut établir(2)Littéralement: car elle est ce qu’il y a de plus ferme, pour établir tout ce qu’on veut établir., ainsi qu’il va être exposé.", "ANNOTATION. Sache, ô lecteur de ce traité! que, si tu es de ceux qui connaissent l’âme et ses facultés et que tu approfondisses chaque chose dans toute la réalité de son être, tu sauras que l’imagination appartient à la plupart des animaux; que, du moins pour ce qui est des animaux parfaits, je veux parler de ceux qui ont un cœur, il est évident qu’ils possèdent tous l’imagination(3)Cf. Aristote, traité de l’Ame, liv. III, chap. 10: καὶ ἐν τοῖς ἄλλοις ζώοις οὐ νόησις οὐδέ λογισμός ἐστιν, ἀλλἀ φαντασία. Voy. aussi la fin du même chapitre et le chapitre 11., et que ce n’est pas par celle-ci que l’homme se distingue (des autres animaux). L’action de l’imagination n’est pas la même que celle de l’intelligence, mais lui est opposée. En effet, l’intelligence analyse les choses composées, en distingue les parties, les abstrait, se les représente dans leur réalité et avec leurs causes et perçoit ainsi dans un seul objet des choses nombreuses, aussi distinctes pour l’intelligence que deux individus humains sont des êtres distincts pour l’imagination(1)L’auteur veut dire que l’intelligence seule, en analysant les choses, sait reconnaître les divers éléments dont elles sont composées et y distinguer la forme et la matière, ainsi que les causes, efficiente et finale, toutes choses inaccessibles à l’imagination.. C’est par l’intelligence qu’on distingue ce qui est général de ce qui est individuel, et aucune démonstration ne peut avoir lieu qu’au moyen de ce qui est général(2)C’est-à-dire, l’intelligence seule sait distinguer, dans les individus, les genres et les espèces, par lesquels se forment les prémisses des démonstrations.; enfin c’est par l’intelligence qu’on sait (distinguer) l’attribut essentiel d’avec l’accidentel. Mais l’imagination ne peut accomplir aucune de ces actions; car elle ne perçoit que l’individuel et le composé dans son ensemble, tel que le perçoivent les sens, ou bien elle compose les choses qui dans la réalité sont séparées et qu’elle combine les unes avec les autres, et cet ensemble(3)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont généralement ויעשה מהבל; il faut lire simplement והבל, comme l’ont les mss. et l’édition princeps. devient un corps ou une des facultés du corps. Ainsi, par exemple, on peut concevoir dans l’imagination un individu humain ayant une tête de cheval et des ailes, et d’autres (créations) semblables; et c’est là ce qu’on appelle une invention mensongère, car il n’y a absolument aucun être qui lui soit conforme. L’imagination ne peut, dans sa perception(4)Il faut effacer, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, les mots להשיג הדבר הבללי, qui ne se trouvent ni dans les mss. de cette version, ni dans l’édition princeps., se débarrasser en aucune façon de la matière, quand même elle ferait tous les efforts pour abstraire une forme; c’est pourquoi il ne faut point avoir égard à l’imagination.", "—Écoute, combien (à cet égard) les sciences mathématiques sont instructives pour nous, et combien sont importantes les propositions que nous y puisons. ", "Sache qu’il y a certaines choses que l’homme, lorsqu’il les considère par son imagination, ne peut nullement se figurer, et qu’au contraire il trouve aussi impossibles pour l’imagination que le serait la réunion des contraires; et cependant, telle chose qu’il est impossible de s’imaginer, on peut établir par la démonstration qu’elle existe et en faire ressortir la réalité(1)Littéralement: et l’être la fait paraître au jour (ou la manifeste); c’est-à-dire la réalité montre que cette chose existe. C’est du moins ainsi que ces mots ont été entendus par Al-’Harizi et Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 60), qui traduisent: והוציאהו המציאות אל האמת.. Si, par exemple, tu t’imagines un grand globe de telle dimension que tu voudras, dusses-tu te l’imaginer aussi grand que le globe de la sphère environnante, qu’ensuite tu t’y imagines un axe qui en traverse le centre, et qu’enfin tu te figures deux hommes debout sur les deux extrémités de l’axe, de manière que leurs pieds soient posés dans la direction de l’axe et que celui-ci forme en quelque sorte avec les pieds une seule ligne droite, il faudra nécessairement que cet axe soit parallèle à l’horizon ou ne le soit pas(2)C’est-à-dire: il faudra qu’il traverse le globe horizontalement ou verticalement.; or, s’il est parallèle (à l’horizon), les deux hommes tomberont, et, s’il n’est pas parallèle, l’un d’eux, celui qui est en bas, tombera, et l’autre restera debout(3)Si l’axe est horizontal, les deux hommes placés horizontalement ne pourront se maintenir et tomberont du globe; si, au contraire, l’axe est vertical, l’un des deux hommes se trouvera au sommet et pourra rester debout, tandis que l’autre, se trouvant au bas du globe, les pieds dirigés vers le haut, tombera nécessairement.. Voilà du moins ce que se figure l’imagination. Or, il est démontré que la terre est de figure sphérique, et qu’aux deux extrémités de son axe il y a des pays habités(4)C’est-à-dire, aux extrémités de l’axe qui traverse la terre de l’orient à l’occident et qui correspond à l’axe horizontal de la sphère imaginaire dont il vient d’être parlé. — Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots ושמוה מיושבת doivent être changés en ושמן המיושבת, comme l’ont plusieurs manuscrits; de même, Al-’Harizi: ובי יש מן הישוב, et Ibn-Falaquéra (M. ha-M., p. 60): ושיש מהנושב.. Chacun des habitants des deux extrémités a sa tête vers le ciel et ses pieds vers ceux de son antipode(1)Plus littéralement: et ses pieds sont du côté qui se dirige vers les pieds de l’autre qui lui est diamétralement opposé.; et cependant il n’est point possible ni imaginable qu’aucun des deux puisse tomber, car ils ne sont pas l’un en haut et l’autre en bas, mais chacun des deux est en haut ou en bas par rapport à l’autre.—De même (pour citer un autre exemple), il a été démontré, dans le IIe livre des Sections coniques, qu’il y a deux lignes sortant (de certains points) et entre lesquelles il y a, à leur point de départ, une certaine distance qui diminue à mesure qu’elles se prolongent; de sorte qu’elles vont toujours se rapprochant l’une de l’autre sans pouvoir jamais se rencontrer, quand même on les prolongerait à l’infini, quoique cependant elles se rapprochent de plus en plus en se prolongeant(2)Il est évident que les deux lignes dont il s’agit ici, et qui, comme l’auteur va le dire, sont, l’une courbe, l’autre droite, ne sont autres que la courbe hyperbolique et l’asymptote. Le traité des Sections coniques cité par l’auteur est celui d’Apollonius, intitulé Κωνιϰὰ στοιχεῖα, et en arabe ; le théorème dont il s’agit est le XIIIe du livre II. Sur les versions arabes du traité d’Apollonius, voy. Wenerich, De auctorum grœcorum versionibus, etc., pag. 198 et suiv.. Voilà une chose qu’on ne saurait se figurer et que l’imagination ne saurait nullement concevoir(3)Littéralement: et qui ne tombe point dans le filet de l’imagination.. Ces deux lignes sont, l’une droite, l’autre courbe, ainsi qu’il est exposé à l’endroit cité. Il est donc démontré qu’il existe des choses qu’on ne peut s’imaginer, et qui (non seulement) ne sauraient être comprises par l’imagination, mais lui paraissent même impossibles. De même, il est démontré (d’autre part) que certaines choses que l’imagination affirmerait sont (en réalité) impossibles, comme, par exemple, que Dieu.soit un corps ou une faculté dans un corps; car, pour l’imagination, rien n’a de l’existence, si ce n’est un corps ou quelque chose dans un corps.", "Il est donc clair qu’il existe autre chose par quoi on juge le nécessaire, le possible et l’impossible, et que ce n’est pas l’imagination. Et que cette étude est belle et d’un grand profit pour celui qui désire éviter le malheur de se laisser guider par l’imagination(1)Littéralement: … qui désire revenir à lui de cette défaillance, je veux dire (de celle) desuivre l’imagination. Le mot אגמא est le nom d’action de la IVe forme du verbe , qui signifie défaillir, s’évanouir. Au figuré, ce même verbe (appliqué au jour ou à la nuit) signifie: se couvrir de nuages ou de ténèbres; c’est pourquoi Ibn-Tibbon a rendu le mot אגמא par חשך, ténèbres.! ", "Il ne faut pas croire que les Motécallemîn ne s’aperçoivent de rien de tout cela; au contraire, ils en ont bien quelque sentiment et le savent si bien qu’ils appellent présomption et chimère(2)Tous les manuscrits portent והמא ןכׄיאלא, erreur et imagination; l’auteur veut dire que les Motécallemîn avouent eux-mêmes que ce sont là des idées fausses et de vaines imaginations, en prenant le mot imagination dans sa vraie acception. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement: עולה על רוח מחשבה לא דמיון, et l’édit. princeps, ainsi que quelques manuscrits: עולה על רוח לא דמיון; mais cette versiou n’offre point de sens. Les mots לא דמיון, pour lesquels plusieurs manuscrits ont ל״א דמיון, ou לשון אחר דמיון, sont une glose marginale que des copistes inintelligents ont fait entrer dans le texte; Ibn-Tibbon avait rendu le mot par עולה על רוח, et le mot par מחשבה ou par דמיון; ce dernier mot, que peut-être le traducteur lui-même avait écrit en marge, a donné lieu à l’erreur que nous venons de signaler. Dans quelques manuscrits de cette version nous trouvons: ויקראו ….. במו היות השם גשם מחשבה ודמיון. ce qui, quoique impossible, est admis par l’imagination, comme, par exemple, que Dieu soit un corps, et souvent ils disent clairement que ces présomptions sont mensongères. C’est pourquoi ils ont eu recours aux neuf propositions que nous avons rapportées, afin de pouvoir affirmer cette dixième proposition, qui énonce l’admissibilité de toutes les choses imaginables qu’ils voulaient déclarer admissibles, et cela à la faveur (des hypothèses) de la parité des atomes et de la nature égale de tous les accidents(1)Littéralement: et de l’égalité des accidents dans la qualité d’accident. L’auteur fait allusion à la VIIIe et à la IXe propositions, qui déclarent que tout ce qui est accident l’est au même titre, et que tous les accidents sont portés immédiatement par les atomes., ainsi que nous l’avons exposé. ", "En y réfléchissant bien, on verra que cela peut donner lieu à une discussion difficile(2)Littéralement: Considère donc, ô lecteur! et vois qu’il naît de là une voie (ou une occasion) pour une spéculation difficile. Sur l’impératif ארי, cf. ci-dessus, pag. 19, note 2.. En effet, il y a certaines idées qu’un tel pourra donner pour des conceptions de l’intelligence, tandis qu’un autre soutiendra qu’elles sont du domaine de l’imagination; et, dans ce cas, nous voudrions trouver un criterium pour distinguer les choses intelligibles des conceptions de l’imagination. Or, si le philosophe disait: «J’ai pour témoin l’être(3)C’est-à-dire: l’être en général ou la loi de la nature me sert de témoignage et de criterium. Sur la conjonction אן , employée ici dans le discours direct, cf. ci-dessus, pag. 283, note 4. [comme il s’exprime] et c’est par lui que nous examinons le nécessaire, le possible et l’impossible», le théologien lui répondrait: «Mais c’est là précisément le point disputable; car moi je soutiens(4)Tous les manuscrits ont נדעי אנא; le pluriel est ici employé pour le singulier , selon l’usage de l’arabe vulgaire. que cet être a été fait par la volonté (divine), et qu’il n’est pas le résultat de la nécessité; et, quoiqu’il soit fait de telle manière, il est admissible qu’il eût pu être fait différemment, à moins que la conception de l’intelligence ne décide qu’il ne saurait être autrement qu’il n’est, ainsi que tu le prétends.»", "Tel est ce principe d’admissibilité, sur lequel je me réserve de revenir dans d’autres endroits de ce traité; et ce n’est pas là une chose qu’on doive se hâter de repousser entièrement et à la légère(1)L’auteur croit devoir faire une réserve à l’égard de cette Xe proposition; car il reconnaît lui-même ce principe d’admissibilité pour une partie de l’univers, et il croit que, pour tout ce qui est au dessus de la sphère de la Lune, il ne nous est pas donné de reconnaître une loi naturelle immuable, et que mainte chose pourrait être autrement qu’elle n’est réellement. L’auteur base ses preuves de la Création sur un raisonnement analogue à celui que les Motécallemîn ont puisé dans cette Xe proposition. Cf. le chapitre suivant (Ve méthode), et la IIe partie de cet ouvrage, chap. XIX et suiv.—Les mots פתאום ברגע קטן, qu’on lit ici dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, renferment une double traduction du mot arabe באלהוינא ; il faut effacer le mot פתאום, qui ne se trouve point dans les manuscrits de ladite version. Ibn-Falaquéra rend le mot באלהוינא par בדבר קל, avec peu de chose, c’est-à-dire, inconsidérément ou légèrement; voy. l’Appendice du Moré ha-Moré, pag 153..", "La ONZIÈME PROPOSITION dit: «que l’existence de l’infini (dans l’univers) est inadmissible, de quelque manière que ce soit.» En voici l’explication: Il a été démontré qu’il est impossible qu’il existe une grandeur infinie, ou bien qu’il existe des grandeurs dont le nombre soit infini [lors même que chacune d’elles serait une grandeur finie], en supposant toutefois que ces choses infinies existent simultanément(2)C’est-à-dire, l’existence de choses infinies en nombre n’est démontré impossible qu’en tant que ces choses seraient supposées exister simultanément; car on verra tout-à-l’heure que l’inadmissibilité de l’infini par succession n’est point démontrée.—Sur les différentes propositions énoncées ici par notre auteur, voy. Aristote, Physique, liv. III, chap. 4-8; Métaphysique, liv. II, chap. 2; liv. XI, chap. 10. Nous nous réservons d’y revenir dans les notes à l’introduction de la IIe partie, propos. 1, 2, 3 et 26.. De même, il est inadmissible qu’il existe des causes à l’infini; je veux dire, qu’une chose servant de cause à une autre ait à son tour une autre cause et cette dernière encore une cause, et ainsi de suite jusqu’à l’infini, de sorte qu’il y eût là des choses nombreuses à l’infini existant en acte(1)On va voir que l’infini en puissance est admissible.. Et peu importe que ce soient des corps ou des substances séparées(2)C’est-à-dire, des substances purement incorporelles et spirituelles, comme les intelligences des sphères célestes. Il est toujours impossible, dit l’auteur, d’admettre des causes remontant à l’infini, que ces causes soient corporelles ou incorporelles., pourvu qu’elles servent de causes les unes aux autres. C’est là l’ordre physique essentiel(3)C’est-à-dire, cette succession des causes et des effets se fait dans la nature par un enchaînement nécessaire et essentiel, et il faut la bien distinguer de la succession accidentelle dont il va être parlé tout-à-l’heure., au sujet duquel il a été démontré que l’infini y est impossible(4)Les manuscrits portent, les uns פיה, les autres לה; il faut réunir les deux leçons et lire לה פיה (Ibn-Tibbon: לו בו). Il y a ici une petite inversion, et la vraie construction de ce membre de phrase est celle-ci: אלדׄי תברהן פיה אמתנאע מא לא נהאיה̈ לה, ce qui est pour אלדׄי תברהן אן ימתנע פיה מא לא נהאיה̈ לה..", "Quant à l’infini existant en puissance ou accidentellement, on en a en partie démontré l’existence; ainsi, par exemple, on a démontré qu’une grandeur est virtuellement divisible jusqu’à l’infini, et que le temps l’est également(5)Voy. Arist., Physique, III, 6: ἄλλως ρἐν οὖν οὐκ ἔστιν, οὕτως δ’ἔστι τὸ ἄπειρον, δυνἀμει τε καὶ ἐπὶ καθαιρἐτει, κ. τ. λ. Sur la divisibilité infinie des grandeurs continues, voy. ibid., chap. 7, et liv. VI, chap. 2 (cf. ci-dessus, pag. 380, note 2). Ce qui est appelé ici l’infini en puissance pourrait aussi être désigné comme infini d’intensité, tandis que l’infini en acte, c’est l’extension infinie.. Mais en partie, cela donne lieu à la spéculation(6)C’est-à-dire, c’est un sujet douteux qui appelle la méditation et sur lequel les opinions sont divisées., comme, par exemple, l’existence de l’infini par succession, qu’on appelle aussi l’infini par accident, c’est-à-dire, quand une chose existe après qu’une autre a cessé d’exister, et cette autre, après qu’une troisième a cessé d’exister, et ainsi de suite (en remontant) à l’infini. C’est là un objet de spéculation très difficile. ", "Ceux qui prétendent avoir démontré l’éternité du monde soutiennent que le temps est infini, et il ne s’ensuit pour eux rien d’inadmissible, car, à mesure qu’une partie du temps se produit, une autre qui la précédait a disparu; et il en est de même, selon eux, de la succession des accidents qui surviennent à la matière jusqu’à l’infini, sans qu’il s’ensuive rien d’inadmissible, puisqu’ils n’existent pas tous simultanément, mais successivement, ce dont l’impossibilité n’a point été démontrée(1)Voy. sur ces questions l’introduction de la IIe partie, à la 26e proposition.. Mais, selon les Motécallemîn, il est indifférent qu’on dise qu’il existe une grandeur infinie, ou qu’on dise que le corps et le temps sont divisibles à l’infini(2)C’est-à-dire, qu’ils ne font pas de différence entre l’infini en acte et l’infini en puissance.. Il est également indifférent, selon eux, (qu’on suppose) l’existence simultanée d’une série de choses infinies en nombre(3)Littéralement: l’existence de choses infinies en nombre rangées ensemble., en parlant, par exemple, des individus humains existant en ce moment, ou qu’on dise qu’il survient dans l’univers des choses d’un nombre infini, quoique disparaissant successivement, comme qui dirait, par exemple: Zéid et le fils de ’Amr, celui-ci le fils de Khâled, celui-ci le fils de Becr, et ainsi de suite (en remontant) à l’infini; car ceci est, selon eux, aussi inadmissible que le premier cas(4)C’est-à-dire, ils n’admettent pas plus l’infini par succession ou par accident que l’existence simultanée d’une série infinie de choses.. Ces quatre classes de l’infini sont donc égales, selon eux(5)C’est-à-dire: ils les jugent également inadmissibles, et ils ne font pas de différence, dans la grandeur continue, entre l’infini en acte et l’infini en puissance, ni, dans le nombre, entre l’infini simultané et l’infini par succession. — Tous les manuscrits portent ממא לא נהאיה̈; un seul des manuscrits d’Oxford ajoute להא. Il faut écrire ממא לא נהאיה̈ לה.. Pour ce qui est de la dernière classe(1)C’est-à-dire: de l’infini par succession., il y en a parmi eux qui croient devoir en prouver la vérité, je veux dire (qu’ils croient devoir) en démontrer l’impossibilité, par une méthode que je t’exposerai dans ce traité(2)Voy. ci-après, à la fin du chap. LXXIV.. D’autres disent que cela s’entend par soi-même(3)C’est-à-dire: ils admettent en quelque sorte comme un axiome que l’infini par succession est impossible., et que c’est quelque chose qu’on sait de prime abord et qui n’a pas besoin de démonstration. Or, s’il était manifestement inadmissible qu’il y eût des choses infinies par succession, dût même ce qui en existe maintenant être fini, l’éternité du monde se montrerait inadmissible de prime abord, sans qu’on eût besoin d’aucune autre proposition(4)En d’autres termes: s’il était de toute évidence qu’on ne saurait admettre une série infinie de choses finies naissant et disparaissant successivement les unes après les autres, cette seule proposition suffirait pour faire reconnaître sur-le-champ que le monde ne saurait être éternel.. Mais ce n’est pas ici le lieu d’examiner ce sujet.", "La DOUZIÈME PROPOSITION dit: «que les sens ne donnent pas toujours la certitude.» En effet, les Motécallemîn suspectaient(5)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement חשבו; il faut lire חשדו, comme l’ont les manuscrits et l’édition princeps. la perception des sens sous deux rapports. Premièrement, disentils, beaucoup d’objets sensibles leur échappent, soit à cause de la subtilité du corps perceptible [comme ils le disent au sujet (de l’hypothèse) des atomes et de ce qui s’ensuit(6)Par les mots: et de ce qui s’ensuit, l’auteur paraît faire allusion à la théorie des Motécallemîn sur le mouvement des atomes; voir ci-dessus, IIIe proposition (pages 382 et 383)., ainsi que nous l’avons exposé], soit parce qu’ils sont trop éloignés de celui qui veut les percevoir; ainsi l’homme ne peut ni voir, ni entendre, ni sentir, à la distance de plusieurs lieues, et de même le mouvement du ciel n’est point perceptible. Secondement, disentils, les sens se trompent dans leurs perceptions. Ainsi, par exemple, une chose qui est grande, l’homme la voit petite lorsqu’elle est éloignée de lui; la chose petite, il la voit grande quand elle est dans l’eau; enfin il voit en ligne brisée ce qui est droit(1)Selon la leçon de tous les manuscrits arabes, ainsi que des deux versions hébraïques, il faudrait traduire: ce qui est courbé (ou brisé) il le voit droit; mais nous croyons que l’auteur a interverti les mots par inadvertance. Tout en conservant dans notre texte la leçon des manuscrits, nous avons traduit comme s’il y avait וירי אלמםתקים מעוגׄא, ce qui est plus naturel; car ce n’est qu’à certaines conditions déterminées que le bâton brisé peut être vu droit. En effet, on lit dans le commentaire d’Éphodi: ר״ל ויתחייב מזה שיראה הישר מעוקם «Il veut dire: il s’ensuit (de ce qui précède) qu’on verra courbé ce qui est droit., quand une partie est dans l’eau et l’autre hors de l’eau. De même, celui qui a la jaunisse voit les choses en jaune, et celui dont la langue s’est imbibée de bile jaune(2)Dans la version d’Al-’Harizi (ms.), ces derniers mots sont ainsi paraphrasés: ואשר גבר על טבעו המרה הירוקה ונשתקעה בלשונו, et celui dans la nature duquel la bile jaune a pris le dessus, de sorte qu’elle a pénétré dans sa langue. Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots ואשר בלשונו sont une faute typographique; il faut lire ואשר שוקה לשונו, comme l’ont les manuscrits et l’édition princeps. Dans la même version, les mots מרה אדומה (bile rouge) sont employés dans le sens de מרה ירוקה (bile jaune); car, selon les anciens médecins, l’humeur appelée bile jaune se divise en cinq espèces, dont l’une est rougeâtre. Voy. R. Méîr al-Dabi, Schebîlé émounâ, introduction du liv. IV (édit. d’Amsterdam, fol. 41 b), et cf., sur les humeurs, ci-dessus, pag. 366, note 4. trouve les choses douces d’un goût amer. Ils énumèrent encore beaucoup de choses de ce genre; c’est pourquoi, disent-ils, on ne saurait se fier aux sens de manière à les prendre pour principe d’une démonstration.", "Il ne faut pas croire que ce soit en vain que les Motécallemîn aient insisté sur cette proposition(1)Littéralement: que les Motécallemîn aient combattu pour cette proposition en jouant; c.-à-d., qu’ils s’en soient fait un simple jeu ou amusement sans utilité. La version d’Ibn-Tibbon, qui rend le verbe צׄארבוא par הםכימו, n’est pas exacte., de même que la plupart de ces (Motécallemîn) modernes croient que c’est sans nécessité que leurs devanciers se sont efforcés de soutenir (l’hypothèse de) l’atome. Au contraire, tout ce que jusqu’ici nous avons rapporté de leur part est nécessaire, et, lorsqu’on porte atteinte à une seule de ces propositions, tout le but est manqué. Quant à cette dernière proposition, elle est très nécessaire; car, quand la perception de nos sens est en contradiction avec ce qu’ils ont établi(2)Littéralement: quand nous percevons par nos sens des choses qui renversent (ou réfutent) ce qu’ils ont établi., ils disent qu’il ne faut pas avoir égard aux sens dès qu’une chose est démontrée au moyen de ce qu’ils appellent le témoignage de la raison(3)Littéralement: dès qu’on a démontré la chose dont ils prétendent que le témoignage de la raison la prouve.. C’est ainsi qu’ils prétendent au sujet du mouvement, qui pourtant est continu, qu’il y entre des intervalles de repos, et que la meule se sépare en tournant(4)Voy. ci-dessus, IIIe proposition (pag. 382).; et ils prétendent encore que la blancheur (précédente) de cette étoffe a maintenant disparu, et que ceci est une autre blancheur(5)C’est-à-dire, que la blancheur qu’on y voit maintenant est une autre. Voy. la VIe proposition (pag. 392).. Ce sont là des choses en opposition avec ce que l’on voit; et (de même) il résulte de l’existence du vide heaucoup de choses qui toutes sont démenties par les sens. A tout cela ils répondent: «C’est une chose qui échappe aux sens», quand toutefois il est possible de répondre ainsi; pour d’autres choses(6)C’est-à-dire, quand il s’agit de choses dont il n’est pas possible de dire qu’elles échappent entièrement aux sens., ils répondent que c’est une des nombreuses erreurs des sens.", "Tu sais que ce sont là toutes des opinions anciennes professées par les Sophistes(1)Le verbe (dérivé de , secte) signifie professer une doctrine ou une opinion. Ce même verbe s’emploie aussi dans le sens de s’attribuer les paroles d’autrui, et c’est dans ce sens que l’a pris ici Ibn-Tibbon, qui a paraphrasé notre passage en ces termes: וכבר ידעת שאלו כולם דעות קדמוניות היו מתפארים בהם הםופםטאנין ואומרים שהם אמרום תחלה «Tu sais que ce sont là toutes des opinions anciennes, dont se vantaient les Sophistes, prétendant qu’ils avaient été les premiers à les exprimer, ainsi que le rapporte Galien dans son livre des Facultés naturelles (en parlant) de ceux qui disent que les sens sont mensongers; il y a relaté (à ce sujet) tout ce que tu sais(2)Ibn-Tibbon traduit: יספר דברים כבר ידעתם; on voit qu’au lieu de כל מא, il a lu כלאמא, comme l’ont en effet quelques manuscrits. — Quant au passage de Galien auquel il est fait allusion, il se trouve dans le traité intitulé: περὶ δυναμέων φυσικῶν, liv. I, chap. 2 (édit. de Kühn, t. II, p. 4). Galien, en parlant des différentes acceptions du mot mouvement (κίνησις), qui embrasse aussi les idées de changement et de transformation, dit que, selon l’opinion générale, la transformation des aliments en sang est une chose perceptible pour les sens de la vue, du goût et du toucher. Puis il ajoute: ὃτι δὲ καὶ κατ’ ἀλήθειαν οὐκέτι τοῦθ’ ὁμολογοῦσιν oἱ σοφισταί. οἱ μὲν γάρ τινες αὐτῶν ἅπαντα τὰ τοιαῦτα τῶυ ἠμετέρων αἰσθήσεων ὰπάτας τινὰς ϰαἰ παραγωγὰς εἶναι νομίζουσιν, ἄλλοτε ἄλλως πασ-χουσῶν τῆς ὑποϰειμένης οὐσίας μηδἐν τούτων, οἷς ἐπονομάζεται, δεχομένης..", "Après avoir parlé d’abord de ces propositions (des Motécallemîn), je vais exposer leurs méthodes relatives aux quatre questions dont il s’agit(3)C’est-à-dire, les méthodes de démonstration employées par les Motécallemîn pour établir la création du monde, ainsi que l’existence, l’unité et l’incorporalité de Dieu.." ], [ "Dans ce chapitre je te relaterai en résumé les preuves des Motécallemîn (établissant) que le monde est créé. Tu ne me demanderas pas d’en donner l’exposé dans leurs propres termes et avec leur prolixité; mais je te ferai connaître ce que chacun d’eux avait en vue(1)כל מנהם est la même chose que כל ואחד מנהם (leçon qu’on trouve dans l’un des manuscrits de Leyde); par ces mots, l’auteur désigne les différents chefs d’école d’entre les Motécallemîn.—L’un des manuscrits d’Oxford porte במקצד כלאמהם, et un autre (le plus ancien), במחץׄ כלאמהם. et sa méthode d’argumentation pour affirmer la nouveauté du monde ou en nier l’éternité, et je te ferai remarquer brièvement les propositions employées pour chaque méthode(2)Littéralement: qu’a employées l’auteur de cette méthode.. Si tu lis leurs livres prolixes et leurs ouvrages les plus célèbres, tu n’y trouveras absolument rien de plus que ce que mes paroles te feront comprendre de leur argumentation sur ce sujet; mais tu y trouveras un langage plus abondant et de belles et brillantes expressions. Quelquefois on y a employé la rime et les mots symétriques, et on y a fait choix des expressions les plus élégantes(3)Le mot désigne la prose rimée; par (mot qui désigne proprement les vertèbres), on entend les consonnances ou les mots qui présentent entre eux une certaine symétrie par leur forme et leur terminaison. Par les verbes םגׄעת ופקרת , l’auteur veut dire que les écrits des Motécallemîn étaient composés en prose rimée et ornée de consonnances, manière d’écrire fort en vogue chez les auteurs arabes, et qui souvent a été imitée au moyen âge par les auteurs juifs qui se piquaient d’élégance. Les compositions hébraïques les plus célèbres dans ce genre sont celles d’Al-’Harizi et d’Immanuel. J’ai essayé moi-même de donner une idée de ce style arabe dans mon Essai d’une traduction des Séances de Hariri (Journal Asiatique, décembre 1834); on y dit, par exemple, en parlant d’un prédicateur:; et parfois aussi on y a employé un style obscur, dans le but d’étonner l’auditeur et d’effrayer celui qui en aborde la méditation. Tu trouveras aussi, dans leurs ouvrages, des répétitions, des questions douteuses qu’ils proposent et qu’ils prétendent avoir résolues, et des sorties fréquentes contre leurs adversaires.", "PREMIÈRE MÉTHODE(1)Le mot étant du genre commun, l’auteur a mis les adjectifs et les verbes qui s’y rapportent tantôt au masculin, tantôt au féminin, et ces variations, comme on le verra, se rencontrent souvent dans une seule et même phrase. Cette inconséquence devant être attribuée à l’auteur lui-même, et non aux copistes, nous avons toujours exactement reproduit les leçons des manuscrits.: Il y en a parmi eux qui soutiennent qu’en admettant une seule chose née(2)C’est-à-dire: nouvellement produite ou créée; voy. ci-dessus, pag. 235, note 2., on peut démontrer que le monde est créé. Ainsi, par exemple, il est inadmissible que cet individu Zéid, qui d’abord était une molécule(3)Proprement: gutta (sc. seminis). et qui ensuite s’est transformé successivement jusqu’à ce qu’il ait atteint sa perfection, se soit ainsi changé lui-même, et que ce soit lui qui ait produit en lui-même ces diverses métamorphoses. Au contraire, il y a eu en dehors de lui quelque chose qui l’a changé; et, par conséquent, il est démontré qu’il avait besoin d’un ouvrier qui organisât sa structure et lui fît subir diverses transformations. Il en est de même, par analogie, de ce palmier et de toute autre chose; et il en est de même encore, a-t-on dit(1)Le verbe קאל , il a dit, se rapporte à l’auteur de cette première méthode; les deux traducteurs hébreux ont mis אמרו, au pluriel., de l’ensemble de l’univers. Tu vois, par conséquent, que celui-ci(2)C’est-à-dire, celui qui emploie cette méthode de démonstration. croit que, de ce qu’on trouve avoir lieu dans un corps, il faut en tirer des conclusions pour tout autre corps(3)Par ces derniers mots, l’auteur veut indiquer ce que cette démonstration par analogie a d’imparfait et de peu concluant. En outre, comme le fait observer Éphodi, elle n’exclut point l’existence d’une matière première; elle établirait tout au plus que le monde n’a pas toujours été tel qu’il est, mais elle ne prouve nullement la création ex nihilo..", "DEUXIÈME MÉTHODE: Ils disent encore qu’en admettant la création d’un seul d’entre les individus qui se propagent par la génération, on peut démontrer que l’univers entier est créé. En voici l’explication: Ce Zéid, qui d’abord n’existait pas, a ensuite existé; toutefois, il n’a pu naître que par ’Amr, son père, et celui-ci, étant également , n’a pu naître que par Khâled, le grand-père. Or, ce dernier étant également (4)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon la leçon est inexacte; il faut lire, d’après les manuscrits: הנה אביו גם כן מחודש ואם אי אפשר היות אביו אלא מיצחק זקנו והנה יצחק גם כן מחודש והנה ילך וכו׳., cela se continuera ainsi jusqu’à l’infini; mais ils ont posé en principe que l’existence de l’infini, même de cette manière(5)C’est-à-dire: même l’infini par succession que les Motécallemîn appellent aussi l’infini par accident., est inadmissible, comme nous l’avons exposé dans la XIe de leurs propositions. De même, si tu aboutissais, par exemple, à un premier individu sans père, qui serait Adam, il s’ensuivrait encore la question: «d’où est né cet Adam?» Si tu répondais, par exemple: «de la poussière», on demanderait nécessairement: «mais d’où est née cette poussière?» Que si, par exemple, on répondait: «de l’eau», on demanderait encore: «mais d’où est née cette eau?» Il est donc absolument nécessaire, disent-ils, que cela se continue ainsi à l’infini, ce qui est inadmissible; ou bien tu aboutiras à l’existence d’une chose sortie du néant absolu. Là est la vérité(1)Telle est la leçon de presque tous les manuscrits arabes et des deux versions hébraïques; au lieu de אלחק, la vérité, le plus ancien des deux manuscrits de Leyde porte אלחד, la limite, et c’est là peutêtre la leçon primitive. et là s’arrêteront les questions. C’est donc là une preuve, disent-ils, que le monde est sorti du néant absolu(2)Littéralement: que le monde a existé après le non-être pur et absolu..", "TROISIÈME MÉTHODE: Les atomes de l’univers, disent-ils, doivent nécessairement être ou réunis ou séparés(3)Littéralement: ne sauraient aucunement échapper (à cette alternative) d’être ou réunis ou séparés. Voy. le chapitre précédent, Ire proposition., et il y en a qui tantôt se réunissent, tantôt se séparent. Or, il est clair et évident que, par rapport à leur essence, ce n’est ni la réunion seule, ni la séparation seule, qui leur compète; car, si leur essence et leur nature exigeaient qu’ils fussent seulement séparés, ils ne se réuniraient jamais, et de même, si leur essence et leur véritable caractère exigeaient qu’ils fussent seulement réunis, ils ne se sépareraient jamais. Ainsi donc, la séparation ne leur convient pas plus que la réunion, ni la réunion plus que la séparation; et par conséquent, s’ils sont en partie réunis et en partie séparés, et qu’en partie encore ils changent de condition, étant tantôt réunis et tantôt séparés, c’est là une preuve que ces atomes ont besoin de quelqu’un qui en réunisse ce qui doit se réunir et qui sépare ce qui doit être séparé. Par conséquent, disent-ils, c’est là une preuve que le monde est créé.—Il est clair que l’auteur de cette méthode s’est servi de la Ire d’entre leurs propositions et de tout ce qui s’ensuit.", "QUATRIÈME MÉTHODE: L’univers entier, disent-ils, est composé de substance et d’accident et aucune substance n’est exempte d’un ou de plusieurs accidents(1)Voir au chapitre précédent les propos. IV et VIII.; or, comme tous les accidents naissent, il faut que la substance qui les porte soit également née, car tout ce qui se joint aux choses nées et en est inséparable est également (2)La substance, ou l’atome, ne pouvant être un seul instant sans accident, il s’ensuit que, si l’accident est une chose née ou nouvellement survenue, la substance doit l’être également.. Par conséquent, le monde entier est (ou créé). Que si quelqu’un disait: «peut-être la substance n’est-elle point née et peut-être n’y a-t-il que les accidents qui naissent en s’y succédant les uns aux autres jusqu’à l’infini», ils répondraient qu’il faudrait alors qu’il y eût un nombre infini de choses nées (successivement), ce qu’ils ont posé comme inadmissible(3)Voir au chapitre précédent, la XIe proposition..— Cette méthode passe chez eux pour la plus ingénieuse et la meilleure, de sorte que beaucoup y ont vu une (véritable) démonstration. ", "On a admis, pour cette méthode, trois hypothèses dont la nécessité n’échappera à aucun penseur(4)Littéralement: qui sont nécessaires pour ce qui n’est point caché aux penseurs; c’est-à-dire, que tout penseur devine facilement pourquoi les trois hypothèses suivantes étaient nécessaires à l’auteur de celte méthode.: 1° Que l’infini par succession est inadmissible; 2° Que tout accident naît(5)C’est-à-dire, que l’accident est une chose nouvellement produite.. Mais notre adversaire, qui soutient l’éternité du monde, nous contredit au sujet d’un des accidents, qui est le mouvement circulaire. En effet, Aristote soutient que le mouvement circulaire ne naît ni ne périt; c’est pourquoi, selon lui, le mobile qui a ce mouvement ne naît ni ne périt(1)C’est-à-dire, la sphère céleste, qui a le mouvement circulaire, n’a ni commencement ni fin. Voy. Aristote, Métaph., XII, 7: ϰαὶ ἔστι τι ἀϵὶ ϰινούμενον ϰίνησιν ἄπαυστον, αὕτη δ’ἡ ϰύϰλῳ · ϰαὶ τοῦτο οὐ λόγῳ μόνον ἀλλ’ ἔργῳ δῆλον ὥστε ἀΐδιος ἂν εἴη ὁ πρῶτος οὺρανός.. Nous ne gagnons donc rien à établir la naissance des autres accidents; car notre adversaire ne conteste pas que ces derniers ne naissent, et il soutient qu’ils se succèdent tour à tour dans ce qui n’est point (2)C’est-à-dire, dans les éléments; car tout naît et périt, se compose et se décompose, par le mélange des éléments, qui s’opère par le mouvement de la sphère céleste, comme on l’a vu au chap. LXXII, pag. 358 et suiv.. De même il soutient que ce seul accident, savoir, le mouvement circulaire [je veux dire, le mouvement de la sphère céleste], n’est point et qu’il n’appartient à aucune des espèces des accidents nés(3)Ainsi que le fait observer Ibn-Tibbon (dans une note qui accompagne notre passage dans quelques manuscrits de la version hébraïque), il y a ici une répétition inutile; car l’auteur a déjà dit que, selon Aristote, le mouvement circulaire ne naît ni ne périt. Selon Ibn-Tibbon, on devrait effacer les mots «n’est point né, et qu’il», de sorte que l’auteur dirait seulement que, selon Aristote, le mouvement circulaire n’entre dans aucune des catégories des véritables accidents. Voici la note en question: אמר שמואל בן תבון נראה לי בזה המקום מותר אין צורך לו שכבר קדם לו המאמר שהתנועה הםבובית בלתי מתחדשת והטוב שנפיל מלות שהיא בלתי מחודשת ולכתוב במקום ואינה שאינה ׃. C’est donc cet accident seul qu’il faudrait examiner, afin de démontrer qu’il est (également) . Enfin, la 3e hypothèse que l’auteur de cette méthode a admise est celle-ci: qu’il n’y a pas d’être sensible autre que la substance et l’accident; je veux dire, la substance simple (ou l’atome) avec les accidents qu’on lui prête(1)On a vu plus haut que les Motécallemîn ne reconnaissent dans tout corps que les atomes et les accidents, et qu’ils rejettent la théorie péripatéticienne de la matière et de la forme. Voy. le chapitre précédent, VIIIe proposition (pag. 398, note 1).. Cependant, si le corps était composé de matière et de forme, comme l’a démontré notre adversaire, il faudrait démontrer que la matière première et la forme première naissent et périssent, et c’est alors seulement qu’on pourrait établir une démonstration pour la nouveauté du monde(2)C’est-à-dire: pour la création ex nihilo..", "Une CINQUIÈME MÉTHODE est celle de la détermination(3)Le mot , qui signifie particularisation, appropriation, détermination, est un terme par lequel, comme on va le voir, les Motécallemîn désignent l’action divine créant librement et déterminant chaque chose dans l’univers, sans être enchaînée par une loi naturelle quelconque; c’est par sa seule volonté que Dieu fait chaque chose d’une manière particulière, tout pouvant être autrement qu’il n’est.. Ils ont une très grande prédilection pour cette méthode, dont le sens revient à ce que je t’ai exposé au sujet de leur Xe proposition. Fixant la pensée(4)Le sujet qu’il faut sous-entendre dans אנה יקצד est le Motécallem ou le partisan de cette méthode. sur l’ensemble du monde ou sur une de ses parties quelle qu’elle soit, on dit: Il est admissible que cette chose soit telle qu’elle est, par rapport à la figure et à la mesure, avec les accidents qui s’y trouvent et dans le temps et le lieu où elle se trouve; mais il est admissible aussi qu’elle eût pu être ou plus grande, ou plus petite, ou d’une figure différente, ou (accompagnée) de tels accidents, ou exister avant ou après l’époque de son existence, ou dans tel autre lieu. Or, comme elle est déterminée par une certaine figure, ou par une mesure, ou par un lieu, ou par un certain accident et par un temps particulier, bien qu’il soit admissible que tout cela eût pu être différemment, c’est là une preuve qu’il y a (un être) qui détermine librement (les choses) et qui a préféré l’un de ces deux cas admissibles(1)Cf. Khozari, liv. V, § 17, art. 3, où l’on rapporte la même argumentation des Motécallemîn, appliquée particulièrement au temps, c’est-à-dire, à l’époqne fixe qui a donné naissance aux choses. Voy. aussi Ahron ben-Éli, Arbre de la vie, chap. XI, 2e démonstration.. Par conséquent, l’ensemble du monde ou une de ses parties ayant besoin d’un être qui détermine, cela prouve que le monde est créé; car, peu importe que tu dises déterminant, ou efficient, ou créateur, ou producteur, ou novateur, ou agissant avec intention, tout cela n’a qu’un seul et même sens.", "Entrant au sujet de cette méthode dans beaucoup de détails généraux et spéciaux, ils disent, par exemple: «Il ne convient pas plutôt à la terre d’être au dessous de l’eau que d’être au dessus d’elle(2)On se rappelle que la terre, occupant le dernier rang parmi les éléments, est placée au dessous de la sphère de l’eau. Voy. ci-dessus, pag. 134, note 2, et pag. 356.; qui donc alors lui a assigné ce lieu? Il ne convient pas plutôt au soleil d’être rond que d’être carré ou triangulaire, car toutes les figures conviennent également aux corps doués de figures; qui donc alors a particularisé le soleil par cette figure?» Et c’est ainsi qu’ils considèrent les détails de l’univers entier; de sorte qu’en voyant des fleurs de différentes couleurs, ils en sont étonnés et trouvent là de quoi fortifier leur argumentation(3)Littéralement: et cette preuve s’affermit chez eux.. En effet, disent-ils, cette terre étant une et cette eau une, pourquoi donc telle fleur est elle jaune et telle autre rouge? Cela peut-il avoir lieu autrement que par un être déterminant? et cet être déterminant est Dieu; donc, le monde entier a besoin d’un être qui en détermine l’ensemble, ainsi que chacune de ses parties, par une particularité(4)Au lieu de באחד אלגׄזאיאת, plusieurs manuscrits portent באחד אלגׄאיזאת, c’est-à-dire: par une d’entre les choses ADMISSIBLES. Les deux versions hébraïques, d’accord avec la leçon que nous avons adoptée, portent באחד מן הפרטים. quelconque.", "Tout cela résulte (seulement) de l’acceptation de la Xe proposition; et il faut ajouter à cela que, parmi ceux-là même qui soutiennent l’éternité du monde, il y en a qui ne nous contestent pas la détermination, ainsi que nous l’exposerons(1)L’auteur veut dire que cette argumentation a deux côtés faibles: d’abord, elle n’a d’autre base que la Xe proposition, qui, comme on l’a vu au chapitre précédent, conduit souvent à des conséquences absurdes; ensuite, ce que les Motécallemîn appellent la détermination est admis aussi par certains philosophes, qui professent l’éternité du monde et qui reconnaissent dans toutes les choses particulières les effets de la loi universelle et immuable établie par Dieu; de sorte qu’on ne saurait tirer de là une preuve décisive pour le dogme de la Création. Cf. la IIe partie de cet ouvrage, chap. XXI.. Mais, en somme, cette méthode me paraît la meilleure, et j’ai là-dessus une opinion que tu entendras (plus loin)(2)Voir la IIe partie, chap. XIX, et cf. ci-dessus, pag. 413, note 1..", "SIXIÈME MÉTHODE: Un des modernes a prétendu être tombé sur une très bonne méthode, meilleure que toutes celles qui précèdent, et qui est (puisée dans) la préférence(3)Proprement: la prépondérance; le verbe , dont est le nom d’action, signifie faire pencher la balance. accordée à l’être sur le non-être. Chacun, dit-il, accorde que l’existence du monde n’est que possible, car, s’il avait une existence nécessaire, il serait Dieu; or nous ne parlons ici qu’à celui qui, tout en professant l’éternité du monde, affirme cependant l’existence de Dieu. Le possible, c’est ce qui peut exister ou ne pas exister, et l’être ne lui convient pas plutôt que le non-être. Or, puisque ce dont l’existence n’est que possible existe (réellement), quoiqu’il y ait pour lui une égale raison pour être et pour ne pas être, c’est là une preuve qu’il y a quelque chose qui en a préféré l’existence à la non-existence(4)Cf. Schmœlders, Essai, pag. 155 et 156: «Les êtres possibles ne peuvent ni exister ni ne pas exister sans une cause distincte. Cette qualité de l’être possible est admise par tout le monde; on discute seulement sur sa valeur, c’est-à-dire, on se demande si c’est une notion immédiate, ou si cette assertion a encore besoin d’une preuve. Or, il est évident que nous savons cela immédiatement; car, la réalité ayant autant de prise sur un être possible avant son apparition que la non-réalité, il faut absolument supposer un motif qui détermine l’existence ou la non-existence de cet être.». Voilà une méthode (qui peut paraître) très satisfaisante, mais qui n’est qu’une branche de celle de la détermination, qui précède, à cela près que celui-là a changé le mot déterminer en préférer, et qu’aux conditions de l’être il a substitué l’existence même de l’être(1)C’est-à-dire: dans la méthode précédente, on argumente par les conditions ou les manières d’être de l’univers et de ses parties, conditions déterminées par le Créateur, tandis qu’ici on argumente par l’existence même du monde, que le Créateur a préférée à sa non-existence.. Mais, ou il a cherché à nous tromper, ou il s’est trompé lui-même sur le sens de cette thèse qui dit: que le monde est d’une existence possible; car notre adversaire, qui admet l’éternité du monde, lorsqu’il dit: «le monde est d’une existence possible», emploie le mot possible dans un sens autre que celui que lui donne le Motécallem, ainsi que nous l’exposerons(2)L’auteur veut dire que le Motécallem prend le mot possible dans un sens absolu, entendant par là ce qui en réalité peut être ou ne pas être, tandis que le philosophe entend par possible ce qui est en puissance et ce qu’une cause nécessaire fait passer de la puissance à l’acte. Par conséquent, ce que le philosophe appelle possible est nécessaire aussi parce qu’il a une cause efficiente qui est nécessaire. Voy. l’introduction de la IIe partie du Guide, propos. XIX et suiv.. Ensuite, quand on dit que le monde a besoin de quelque chose qui en préfère l’existence à la non-existence, il y a là quelque chose de très erroné; car la préférence et la détermination ne peuvent s’appliquer qu’à un être quelconque capable de recevoir également l’une des deux qualités opposées ou différentes(3)C’est-à-dire: pour qu’on puisse dire qu’un ouvrier ou un efficient agissant avec intention a donné à un être quelconque telle forme plutôt que telle autre, il faut tout d’abord que cet être existe et que ce ne soit pas son existence même qui soit mise en question., de sorte qu’on puisse dire: puisque nous le trouvons dans telle condition et non pas dans telle autre, cela prouve qu’il y a là un ouvrier qui agit avec intention. Ainsi, par exemple, on dirait: Ce cuivre n’est pas plutôt apte à recevoir la forme d’une aiguière qu’à recevoir celle d’un chandelier; donc, si nous le trouvons chandelier ou aiguière, nous savons par là nécessairement qu’un (ouvrier) déterminant et agissant avec intention a eu en vue l’une de ces deux formes admissibles. Or, il est évident que le cuivre existait, et qu’avant l’action de celui qui a donné la préférence à l’une des deux formes admissibles qui lui sont attribuées, il n’y avait là de non existant que celles-ci(1)Littéralement: et que (seulement) les deux (formes) admissibles qui lui sont attribuées lui manquaient avant l’action de celui qui a donné la préférence. Au lieu de מעדומאן, les manuscrits portent généralement מעדומה̈; un seul (l’un des deux manuscrits de Leyde) a מעדומין, ce qui est moins incorrect. Ce même manuscrit porte, comme tous les autres: ואלגׄאיזין אלמנםובין; mais il faut mettre tous ces mots au nominatif.. Mais, pour ce qui est de cet être au sujet duquel on n’est pas d’accord si son existence a toujours été et sera toujours telle qu’elle est, ou s’il a commencé à exister après le non-être (absolu), il ne peut nullement donner lieu à cette pensée(2)Littéralement: on ne saurait nullement à son sujet se former cette idée; c’est-à-dire: il ne saurait être question, au sujet de cet être, de ce qu’on a appelé la détermination ou la préférence. Cette idée de détermination, comme va le dire l’auteur, ne peut se présenter qu’après qu’il a été établi que cet être est sorti du néant absolu, ce qui est précisément la question qu’on veut résoudre, de sorte que nous aurions là une pétition de principe.; et on ne saurait demander: «Qui est celui qui en a préféré l’existence à la non-existence?» si ce n’est après avoir reconnu(3)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent ההוראה בשהוא; il faut lire ההודאה בשהוא. qu’il est arrivé à l’existence après ne pas avoir existé, ce qui est précisément la chose sur laquelle on n’est pas d’accord. Que si nous prenions son existence et sa non-existence pour quelque chose d’idéal(1)C’est-à-dire, pour quelque chose de purement subjectif, qui fût seulement du domaine de l’idée et de la pensée et en dehors des questions relatives à l’être en général et aux lois de la nature., nous en reviendrions tout simplement à la Xe proposition, qui dit qu’il faut avoir égard seulement aux imaginations et aux idées, et non pas aux choses réelles et intelligibles(2)C’est-à-dire: aux êtres tels qu’ils existent réellement et à ce qui est du domaine de l’intelligence.; car l’adversaire, qui admet l’éternité du monde, pense qu’il en est de la supposition imaginaire de la non-existence du monde comme de la supposition de toute autre chose impossible qui nous viendrait à l’imagination. — Mais on n’a pas ici pour but de réfuter leurs opinions(3)C’est-à-dire: les opinions des Motécallemîn.; j’ai voulu seulement t’exposer qu’il n’est pas vrai, comme on l’a prétendu, que cette méthode(4)Nous avons cru devoir reproduire exactement dans notre texte la leçon de tous les manuscrits, quoiqu’elle soit incorrecte; il faudrait lire: אן הדׄה אלטריק אלתי טׄן בהא. Cf. ci-dessus, pag. 421, note 1. soit différente de celle qui précède, et qu’au contraire il en est de celle-ci comme de la précédente, en ce qu’elle suppose(5)Au lieu de תקדיר, supposer, quelques manuscrits portent תקריר (avec rêsch), confirmer; de même plusieurs manuscrits de la version d’Ibn-Tibbon, ainsi que l’édition princeps, portent מישב (c.-à-d. מִיֵּשֵּׁב), au lieu de מִשֵּׁעֵר. cette admissibilité qu’on connaît(6)C’est-à-dire: le principe d’admissibilité, posé par la Xe proposition..", "SEPTIÈME MÉTHODE: Un autre d’entre les modernes a soutenu qu’on peut établir la nouveauté du monde au moyen de la permanence des âmes admise par les philosophes. Si le monde, dit-il, était éternel, les hommes qui sont morts dans le passé illimité seraient d’un nombre infini; il y aurait donc des âmes infinies en nombre et qui existeraient simultanément. Or, il a été indubitablement démontré que cela est faux; je veux parler de l’existence simultanée de choses infinies en nombre(1)Voy. le chapitre précédent, XIe proposition..—Voilà une méthode bien singulière, qui démontre une chose obscure au moyen de ce qui est encore plus obscur; et c’est à cela qu’on peut appliquer à juste titre ce proverbe répandu chez les Syriens(2)Par Syriens, l’auteur entend ici les anciens docteurs de l’époque talmudique, qui parlaient un dialecte chaldéen ou syriaque; cf. ci-dessus, pag. 91, note 1. Le proverbe cité ici est très usité chez les talmudistes; voy. p. ex. Talmud de Babylone, traité Succâ, fol. 26 a. — Le mot הערביים (les Arabes), dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, est une faute d’impression; les manuscrits portent הארמיים (les Syriens).: «Ton garant a besoin lui-même d’un garant.» On dirait que pour celui-là la permanence des âmes est une chose démontrée et qu’il sait de quelle manière elles survivent (aux corps) et quelle est la chose qui survit(3)La manière obscure et dubitative dont Aristote s’exprime sur l’immortalité de la partie intelligente de l’âme (voy. traité de l’Ame, I, 4; II, 2; III, 5; Métaph., XII, 3) a donné lieu chez les philosophes arabes à des opinions divergentes sur cette question importante; la plupart nient la permanence individuelle de l’âme, ou n’attribuent l’immortalité qu’à celles qui ont su s’élever au degré de l’intellect acquis. Voy. mon article Ibn-Roschd, dans le Dict. des sc. philos., t. III, pag. 170; cf. ci-dessus, pag. 146, note 2, et pag. 328, note 4., de sorte qu’il puisse tirer de là des arguments. Si cependant il n’a eu pour but que d’élever une objection contre l’adversaire(4)Littéralement: de faire ressortir le doute pour l’adversaire; c’est-à-dire: de montrer ce qu’il y a de douteux et de contradictoire dans l’opinion du philosophe qui admet à la fois l’éternité du monde et l’immortalité de l’âme. qui admet l’éternité du monde tout en admettant la permanence des âmes, son objection ne serait fondée qu’à la condition que l’adversaire avouât aussi l’idée qu’on lui prête sur la permanence des âmes(1)Littéralement: cela ne ressortirait (c.-à-d.: il n’y aurait là contradiction) que si l’adversaire accordait aussi à celui qui élève l’objection ce que celui-ci s’est imaginé au sujet de ses paroles (c.-à-d.: des paroles du philosophe) sur la permanence des âmes.. ", "Quelques philosophes modernes ont résolu cette difficulté en disant: Les âmes qui survivent ne sont point des corps, de manière qu’elles aient un lieu et une situation et que l’infini soit incompatible avec leur manière d’exister(2)Ainsi que le fait observer Moïse de Narbonne, l’auteur fait allusion à Ibn-Sînâ. Ce philosophe, qui admet la permanence individuelle des âmes après la mort, voit dans l’âme une substance entièrement indépendante du corps, mais à laquelle ne s’applique ni la catégorie du lieu ou de l’ ( , τὸ ποί), ni celle de la situation ( , τὸ ϰεîσθαι). Voy. l’abrégé de la Physique d’Ibn-Sînâ, dans Schahrestâni, pag. 419 (trad. all., t. II, pag. 318). Ibn-Sînâ se croyait fondé à soutenir que, les âmes n’ayant ni lieu ni situation, rien ne s’oppose à ce que leur nombre soit infini. Ibn-Roschd, s’élevant contre ceux qui prétendaient démontrer le dogme de la Création au moyen de celui de la permanence des âmes, admis par les philosophes, refuse d’abord d’admettre avec Ibn-Sînâ l’existence de ces substances individuelles, pures formes sans matière; car il adopte sur la permanence de l’âme l’opinion d’Ibn-Bâdja, dont il va être parlé tout à l’heure. Puis, parlant de la solution d’Ibn-Sînâ, à laquelle Maïmonide fait ici allusion, il s’exprime en ces termes (Destr. de la Destruction, Ire question, vers. hébr.): ועוד המנע מה שאין תכלית לו על מה שהוא נמצא בפעל שרש ידוע מדעות הפלוםופים בין שהיו גשמים או בלתי גשמים ולא ידענו אחד יפריש בין מה שיש לו מצב ומה שאין לו מצב בזה הענין אלא אבן םינא לבד ..... והוא מהבלי הטפלות בי הפלוםופים ירחיקו מציאות מה שאין תבלית לו בפעל בין שהיה גשם או בלתי גשם לפי שיתחייב ממנו שיהיה מה שאין תבלית לו יותר ממה שאין תכלית לו ואולי אבן םינא אמנם כיון בו לפיים ההמון במה שהורגלו לשמעו מענין הנפש וכו׳ «Ensuite, l’impossibilité de l’infini pour ce qui existe en acte est un principe bien connu, enseigné par les philosophes, n’importe qu’il s’agisse de corps ou de choses incorporelles. Nous ne connaissons personne qui ait fait à cet égard une distinction entre ce qui a situation et ce qui n’en a pas, si ce n’est le seul Ibn-Sînâ..… Mais ce sont là de vains enfantillages; car les philosophes rejettent l’existence de l’infini en acte, tant pour ce qui est corporel que pour ce qui est incorporel, parce qu’il résulterait de là qu’il y a un infini plus grand qu’un autre infini. Peut-être Ibn-Sînâ n’a-t-il eu pour but que de s’accommoder à la multitude dans ce qu’on était habitué à entendre dire au sujet de l’âme, etc.». Mais toi(1)L’auteur s’adresse ici, comme dans beaucoup d’autres passages, à son disciple, auquel il dédia cet ouvrage., ta sais que ces choses séparées(2)C’est-à-dire, les êtres abstraits entièrement séparés de la corporéité, en grec τὰ ϰεχωρισμένα (Arist., traité de l’Ame, liv. III, chap. 7). Cf. ci-dessus, pag. 373 et 374., je veux dire celles qui ne sont ni des corps, ni une faculté dans un corps, mais de pures intelligences, n’admettent en aucune façon la multiplicité, si ce n’est (dans ce sens) que les unes d’entre elles sont la cause de l’existence des autres, de sorte qu’elles ne se distinguent entre elles qu’en ce que telle est cause et telle autre effet(3)Voy. la IIe partie de cet ouvrage, introduction, XVIe proposition, et cf. Abrégé du Talmud, traité Yessôdé ha-Tôrâ, chap. II, § 5. La proposition dont il s’agit s’applique non seulement aux intelligences des sphères, mais aussi à l’intellect acquis, qui, comme l’a dit l’auteur, n’est point une faculté dans un corps, et qui est la seule chose qui reste de l’âme humaine après la mort. Voy. ci-dessus, à la fin du chap. LXXII (p. 373), et cf. pag. 328, note 4.. Or, ce qui survit de Zéid n’est ni la cause, ni l’effet, de ce qui survit de ’Amr; c’est pourquoi l’ensemble est un en nombre(4)C’est-à-dire: l’ensemble de toutes les âmes ne forme qu’une unité. Cette doctrine de l’unité des âmes a été professée par Abou-Becr ibn-al-Çâyeg, ou Ibn-Bâdja, dans sa Lettre d’Adieux et dans d’autres écrits. Voy. le commentaire de Moïse de Narbonne à notre passage, et Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, pag. 65. — Ibn-Roschd proclame la même doctrine: «Zéid et ’Amr, dit-il (l. c.), sont numériquement deux, mais ils sont un par leur forme, qui est l’âme; or, si les âmes de Zéid et de ’Amr étaient numériquement distinctes, comme le sont leurs personnes, leurs âmes seraient deux en nombre, mais une unité par la forme, de sorte que l’âme aurait une âme. Puis donc que l’âme de Zéid et de ’Amr est nécessairement une par la forme, et que ce qui est un par la forme ne reçoit la multiplicité numérique ou la division que par la matière, il s’ensuit que, si les âmes ne meurent pas avec les corps, elles forment nécessairement, après s’être séparées des corps, une unité numérique.» Développée par Ibn-Roschd dans plusieurs de ses écrits, cette doctrine fit une grande sensation parmi les théologiens chrétiens du XIIIe siècle; Albert le Grand la réfuta dans un écrit particulier intitulé: Libellus contra eos qui dicunt quod post separationem ex omnibus animabus non remanet nisi inlellectus unus et anima una (voy. Alberti Opera, t. V, pag. 218 et suiv., édit. de Jammy)., comme l’a montré Abou-Becr ibn-al-Çâyeg, lui et d’autres qui se sont appliqués(1)Le verbe , qui signifie se dépouiller de ses vêtements, a ici le sens de s’appliquer avec ardeur à une chose; le verbe hébreu נחלץ, qu’ont ici les deux versions hébraïques, correspond exactement au verbe arabe, et Ibn-Falaquéra l’explique par ces mots: בלומר שהכין נפשו כמי שחולץ בגדיו לעשות דבר בזריזות. Voy. l’Appendice du Moré ha-Moré, chap. I (pag. 142). à parler de ces choses profondes. En somme, ce n’est pas dans des choses aussi obscures, que les esprits sont incapables de concevoir, qu’on doit prendre des prémisses pour démontrer d’autres choses.", "Il faut savoir que tous ceux qui s’efforcent d’établir la nouveauté du monde ou d’en contester l’éternité, au moyen de ces méthodes du calâm, doivent nécessairement y employer l’une de ces deux propositions ou les deux à la fois; savoir, la Xe proposition [c’est-à-dire l’admissibilité rationnelle], afin d’établir qu’il y a un être déterminant, ou bien la XIe proposition, qui proclame l’inadmissibilité de l’infini par succession. Cette dernière proposition, ils cherchent à en constater la vérité de différentes manières. D’abord, l’argumentateur s’attache à une espèce quelconque (de créatures) dont les individus naissent et périssent, et, remontant dans son esprit au temps passé, il obtient ce résultat que, selon l’opinion qui admet l’éternité (du monde), les individus de ladite espèce (qui ont existé) à partir de telle époque et antérieurement dans le passé éternel sont infinis (en nombre), et que (d’autre part) les individus de cette même espèce (qui ont existé) à partir d’une époque postérieure, par exemple, de mille ans, à celle qui a été adoptée d’abord, et en remontant dans le passé éternel, sont également infinis(1)Le texte renferme ici, deux fois de suite, une incorrection grammaticale. Tous les manuscrits portent כל שכׄץ ····· גיר מתנאהיה̈; les mots בל שכׄץ, tout individu, sont pris ici dans le sens de l’ensemble de tous les individus. La version d’Ibn-Tibbon reproduit la même incorrection; elle porte בל איש ····· אין תכלית להם. Al-’Harizi a cru mieux faire en mettant אין לו תכלית, de sorte qu’il faudrait traduire: out individu, etc. ..… est infini, ce qui évidemment est un contre-sens.; or, cette dernière totalité dépassant la première totalité de tout le nombre de ceux qui ont été nés pendant ces mille ans, ils prétendent, par cette considération, arriver à ce résultat: qu’il y aurait là un infini plus grand qu’un autre infini(2)C’est-à-dire: ils montrent de cette manière que celui qui professe l’éternité du monde arrive nécessairement à ce résultat qu’il y a des infinis plus grands les uns que les autres, ce qui est absurde.. Ils en font autant des révolutions de la sphère céleste(3)C’est-à-dire: ils appliquent le même raisonnement à la sphère céleste, qui, à partir de deux époques différentes et antérieurement, aura accompli des révolutions évidemment plus nombreuses les unes que les autres, et qui pourtant les unes et les autres sont infinies. Cf. Khozari, liv, V, §18, article 1er. et ils prétendent obtenir ce résultat: qu’il y aurait des révolutions infinies plus nombreuses que d’autres révolutions infinies. Quelquefois ils comparent aussi les révolutions d’une sphère avec celles d’une autre plus lentes et qui toutes sont infinies(4)Les révolutions plus lentes sont évidemment moins nombreuses que celles qui sont plus rapides, et pourtant les unes et les autres, dans l’hypothèse de l’éternité du monde, seraient infinies. Cf. Khozari, l. c.. Ils en font de même pour toute espèce d’accidents qui surviennent(5)C’est-à-dire: ils appliquent encore le même raisonnement aux accidents de toute espèce, survenus successivement les uns après les autres, et qui, dans l’hypothèse de l’éternité du monde, formeraient une série infinie.. Ils comptent donc (partout) les individualités qui n’existent plus et se les représentent comme si elles existaient et comme si c’étaient des choses délimitées(1)L’observation de l’auteur s’applique en général aux différents cas qui viennent d’être énumérés; il veut dire que, tant dans la série des créatures d’une même espèce que dans la série des révolutions des sphères et dans celle des accidents, et, en général, dans l’infini par succession ou par accident, non seulement on compte comme réellement existantes toutes les individualités et toutes les manifestations particulières qui ont cessé d’exister, mais encore on se les figure comme des choses bien délimitées, de manière à pouvoir être comptées comme une multitude infinie d’unités dans cette série infinie qu’on veut établir. Par les mots et comme si c’étaient des choses délimitées, l’auteur indique particulièrement les révolutions des sphères célestes, que les Motécallemîn considèrent également comme une multitude numérique composée d’unités bien déterminées, tandis qu’en réalité le mouvement circulaire n’a ni commencement ni fin, et que, par conséquent, les mouvements des sphères ne sauraient être nombrés. Cf. ci-dessus, pag. 425, note 1. Quant aux mots , qui signifient littéralement ayant un commencement, et que nous avons rendus par choses délimitées, voici comment les explique l’auteur lui-même dans sa lettre à Samuel ibn-Tibbon: דׄאת בדאה̈ מענאהא אנהם יטׄנון אמורא להא אבתדא מחדוד לאן כל מא הו מוגׄוד בגׄמלתה מחדוד אלטרפין הו אלדׄי יקאל פיה אנה דׄאת בדאה̈ והו אלדׄי ימכן אן יזאד עליה או ינקץ מנה אמא מא יחדתׄ אולא אולא ולים פיה מבדא מחדוד מתׄל אלחרכאת אלדוריה̈ פלא יתצור פיה זיאדה̈ ולא נקצאן «Les mots signifient qu’ils croient y voir des choses ayant un commencement déterminé; car, tout ce qui existe comme un ensemble limité aux deux extrémités, on l’appelle , et c’est là ce qui peut être augmenté ou diminué. Mais, dans ce qui naît petit à petit et qui n’a point de commencement déterminé, comme, par exemple, les mouvements circulaires, on ne saurait se figurer ni augmentation ni diminution.» C’est sur le conseil de l’auteur lui-même qu’Ibn-Tibbon a rendu les mots en question par דברים שיש להם התחלה מםוימת.; ensuite ils ajoutent à cette chose idéale ou en retranchent(2)C’est-à-dire: ils ajoutent à cette multitude numérique imaginaire, ou en retranchent, afin de montrer que, dans l’hypothèse de l’éternité du monde, on arriverait à ce résultat qu’il y a deux ou plusieurs infinis plus grands les uns que les autres.. Mais ce sont là des choses purement idéales et non réelles. Déjà Abou-Naçr al-Farâbi a détruit(1)Liltéralement: a frappé sur le cerveau ou sur la tête. Voici comment le verbe דמג a été expliqué, par l’auteur lui-même, dans sa lettre à Samuel ibn-Tibbon: ם תני ען מעני הדׄה לפטׄה̈ אעני דמג והו פי נםכׄתהם אדמג והו כׄטא אנמא אלצחיח דמג אעני צׄרבהא פי דמאגהא מתׄל קולהם ז״ל מחו לה אמוחא כדלך תקול ערב למן צׄרב שכׄצא עלי ראםה פאהלכה דמג פלאן פלאנא פבאן גרצׄי אן אבא נצר ברהן עלי פםאד תלך מקדמה̈ אלתי אתכׄדׄוהא מתכלמון אצלא כבירא «Tu m’as interrogé sur le sens de ce mot, savoir ; car dans leur copie (c.-à-d., dans celle des juifs de Provence) il y avait , ce qui est une faute. La vraie leçon est , c.-à-d.: il l’a frappee sur son cerveau, expression semblable à celle des docteurs: מחו לה אמוחא. C’est ainsi que les Arabes emploient le verbe , avec le régime direct, en parlant de quelqu’un qui a frappé une personne sur la tête, de manière à la faire périr. J’ai voulu dire par là qu’Abou-Naçr a démontré le vice de cette proposition que les Motécallemîn ont adoptée comme un principe important.» — Sur huit manuscrits que nous avons consultés, deux seulement portent דמג; les six autres ont la leçon אדמג, que l’auteur lui-même déclare fautive. Quant à l’expression מחו לה אמוחא, parfaitement analogue au verbe arabe , les talmudistes l’emploient également en parlant d’une proposition dont on a montré la nullité. Voy. Talmud de Babylone, traité Meghillâ, fol. 19 b; cf. le traité Sopherîm, chap. 2, § 11. cette (onzième) proposition, en montrant ce qu’elle présentait d’erroné dans toutes ses applications particulières; ainsi qu’avec un examen impartial tu le trouveras clairement exposé(2)Littéralement: et il a révélé les lieux de l’erreur dans toutes ses particularités, comme tu le trouveras clair et évident, avec un examen dénué de partialité, etc. Le verbe signifie défendre une chose avec ardeur, s’échauffer pour ou contre une opinion, montrer de la partialité. Cf. la IIe partie, vers la fin du chapitre XXII: בתׄיר מן אלמתעצבין (Ibn-Tibbon: הרבה מן העוזרים לאוהביהם); par ces mots Maïmonide entend, comme il le dit dans sa lettre à Ibn-Tibbon: אלו המתחזקים לקיים דברי הפלוםופים בתאותם, ceux qui s’efforcent de soutenir passionnément les paroles des philosophes. dans son célèbre ouvrage sur les Êtres variables(3)Nous ne possédons aucun renseignement sur cet ouvrage d’Al-Farâbi, et déjà Moïse de Narbonne, au XIVe siècle, n’avait pu se le procurer; ce commentateur pense que c’est à l’ouvrage d’Al-Farâbi qu’Ibn-Roschd a emprunté les principaux arguments qu’il allègue contre les Motécallemîn au sujet de la question qui nous occupe ici. Voy. Destr. de la Destruction, quest. Ire et IIIe, et cf. le commentaire de Moïse de Narbonne à notre passage. Le principal argument est indiqué par notre auteur lui-même dans ces mots: et comme si c’étaient des choses délimitées. Voir la note à ces mots et cf. le commentaire d’Éphodi aux mots ובבר הבה..", "Ce sont là les principales méthodes des Motécallemîn pour établir la nouveauté du monde. Dès qu’ils ont établi par ces preuves que le monde est créé, il s’ensuit nécessairement qu’il a un ouvrier qui l’a créé avec intention, avec volonté et de son plein gré(1)On voit que les preuves alléguées par les Motécallemîn pour établir l’existence de Dieu sont du genre de celles qu’on a appelées preuves physiques. Il pourrait paraître que les méthodes énumérées dans ce chapitre, et notamment la Ire et la IIe, ont pour base le principe de causalité, et cependant on a vu que les Motécallemîn rejettent ce principe d’une manière absolue. Mais la contradiction n’est qu’apparente. Pour les Motécallemîn, en effet, la preuve de l’existence du Créateur résulterait immédiatement de chaque chose nouvellement produite ou créée, qui, selon eux, a besoin de l’action directe de la divinité pour passer du non-être à l’être; et si, pour arriver jusqu’au Créateur, ils nous font remonter par une série de créations qui paraissent se produire les unes les autres, ce n’est que pour montrer que la série des transformations serait infinie si l’on ne s’arrêtait pas à une première création, et que ceux-là même qui admettent dans la nature une série de causes et d’effets sont forcés de s’arrêter à une première chose créée qui n’a d’autre cause que la volonté du Créateur. Pour eux rien n’est causé, mais tout dans la nature est fait ou créé; aussi évitent-ils avec soin, dans leurs argumentations, de se servir du mot cause et refusent-ils d’adopter la dénomination de cause première employée par les philosophes pour désigner Dieu. Voy. ci-dessus, au commencement du chapitre LXIX. — Plusieurs des méthodes énumérées dans ce chapitre ont été adoptées en substance par les théologiens juifs du moyen âge; cf. Saadia, Croyances et Opinions, liv. I, chap. 1; Ba’hya, Devoirs des cœurs, liv. I, chap. 5. Les Karaïtes surtout imitèrent sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, les argumentations du calâm arabe. Voy. Juda ha-Lévi, Khozari, liv. V, § 18.. Ensuite ils ont démontré, par (diverses) méthodes que nous t’exposerons dans le chapitre suivant, qu’il (le Créateur) est un." ], [ "Je vais t’exposer aussi, dans ce chapitre, les preuves de l’unité (de Dieu) selon le système des Motécallemîn. Cet être, disent-ils, que l’univers indique, comme étant son ouvrier et son producteur, est un; et leurs méthodes principales pour établir l’unité sont au nombre de deux: la méthode de l’obstacle mutuel et celle de la diversité réciproque(1)On verra par ce qui suit que ces deux méthodes (auxquelles se joignent encore trois autres) sont indirectes; car elles démontrent l’unité de Dieu, en montrant que la supposition du contraire, ou du dualisme, conduit à l’impossible ou à l’absurde. Il est difficile de rendre exactement les deux termes arabes employés par les Motécallemîn pour désigner ces deux méthodes; les deux mots sont des noms d’action de la VIe forme indiquant la réciprocité. Le verbe signifie s’empêcher l’un l’autre, être un obstacle l’un pour l’autre; Ibn-Tibbon attachait sans doute le même sens au mot המנעות qu’il emploie dans sa version, tandis qu’Al-’Harizi fait un contre-sens en traduisant: דרך הנמנע, la méthode l’impossible. Ba’hya, qui donne sur l’unité de Dieu une démonstration combinée de la Ire et de la Ve méthode des Motécallemîn, y emploie également le mot dans le sens que nous venons d’indiquer; voy. Devoirs des cœurs, liv. I, ch. 7 (7e démonstration), où on lit, dans l’original arabe: ולו גׄאז אן יכון אכתׄר מן ואחד לאמכן אן יכון בינהם תמאנע ואכׄתלאף פי כׄלקה̈ אלמכׄלוקין (la version hébr. porte: ואלו היה אפשר להיות יותר מאחד היה אפשר שתהיה ביניהם מחלוקת בבריאת הברואים). — Le verbe signifie différer réciproquement, et exprime la non-identité de deux choses. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon on lit: דרך ההמנעות ודרך ההשתנות והחלוק; le mot והחלוק ne se trouve ni dans les manuscrits, ni dans l’édition princeps. Quelques manuscrits portent: ודרך ההשתנות ודרך החלוף והחלוק; il est évident que la version d’Ibn-Tibbon rendait le mot arabe אלתגאיר de deux manières différentes et que les copistes ont réuni ensemble les deux traductions, dont l’une était probablement écrite en marge..", "La PREMIÈRE MÉTHODE, savoir celle de l’obstacle mutuel, est celle qui est préférée par la grande majorité. Voici quel en est le sens: Si, dit-on, l’univers avait deux dieux, il faudrait que l’atome — qui (en principe) ne saurait être exempt de l’un de deux (accidents) opposés(1)Voy. chapitre LXXIII, IVe proposition (pag. 385 et 386). — fût dénué des deux à la fois, ce qui est inadmissible, ou bien que les deux opposés fussent réunis ensemble dans le même temps et dans le même substratum, ce qui est également inadmissible. Si, par exemple, l’atome ou les atomes que l’un (des deux dieux) voudrait maintenant faire chauds, l’autre voulait les faire froids, il s’ensuivrait, ou bien qu’ils ne seraient ni chauds ni froids, parce que les deux actions se feraient mutuellement obstacle — [ce qui est inadmissible, tout corps recevant l’un des deux accidents opposés] —, ou bien que le corps dont il s’agit serait à la fois chaud et froid (ce qui est impossible). De même, si l’un des deux voulait mettre en mouvement tel corps, il se pourrait que l’autre voulût le mettre en repos; et il s’ensuivrait qu’il ne serait ni en mouvement ni en repos, ou qu’il serait à la fois en mouvement et en repos. Cette espèce d’argumentation est basée sur la question de l’atome, qui est (l’objet de) leur Ire proposition, sur l’hypothèse de la création (perpétuelle) des accidents(2)Voy. ibid., VIe proposition (pag. 389 et suiv.). et sur la proposition qui dit que les privations des capacités sont des choses positives qui ont besoin d’un efficient(3)Voy. ibid., VIIe proposition, à laquelle, comme on vient de le voir, se lie la IVe proposition.. En effet, si quelqu’un disait que la matière inférieure, dans laquelle, selon l’opinion des philosophes, se succèdent la naissance et la destruction, est autre que la matière supérieure [c’est-à-dire, ce qui sert de substratum(4)On lit dans tous les manuscrits מוצׄועאת, au pluriel féminin ayant le sens neutre; dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on lit נושא; mais les mss. et l’édit. princeps ont נושאי, au pluriel. aux sphères célestes], comme cela a été démontré(1)Sur les deux matières, voy. chap. LXXII, pag. 356 et suiv.; l’auteur veut montrer ici que cette Ire méthode est basée sur la doctrine des atomes et qu’elle n’a aucune valeur pour le philosophe qui reconnaît comme principes de l’univers deux matières, celle des éléments et celle des sphères célestes ou l’éther., et que l’on soutînt qu’il y a deux dieux, l’un gouvernant la matière inférieure et dont l’action ne s’étend point aux sphères, l’autre gouvernant les sphères et dont l’action ne s’étend point à la matière élémentaire(2)Le mot , formé du mot grec ὕλη, désigne principalement la matière sublunaire, ou celle des quatre éléments, opposée au cinquième corps., comme le prétendaient les dualistes(3)Le nom de (dualistes), chez les auteurs arabes, embrasse les différentes sectes qui admettaient deux principes souverains, éternels et nécessaires, entièrement indépendants l’un de l’autre, celui de la lumière et celui des ténèbres, et qui se distinguaient des Mages ou disciples de Zoroastre, en ce que ces derniers subordonnaient le principe des ténèbres à celui de la lumière. Voy. Schahrestâni, pag. 188 et suiv. (trad. all., t. I, pag. 285 et suiv.). L’auteur veut dire: Si l’on soutenait que les deux matières sont régies par deux intelligences ou deux divinités, entièrement indépendantes l’une de l’autre, comme les deux principes admis par les dualistes., une telle opinion ne conduirait nullement à un obstacle mutuel(4)C’est-à-dire: il n’en résulterait point la difficulté signalée par les Motécallemîn atomistes; car les deux dieux pourraient très bien agir à côté l’un de l’autre, sans se faire mutuellement obstacle.. Et si l’on objectait que ce serait là attribuer une imperfection à chacun des deux, parce que l’un ne disposerait point de ce dont dispose l’autre, on pourrait répondre que cela ne constitue d’imperfection à l’égard d’aucun des deux; car cette chose à laquelle son action ne s’étend point est à son égard impossible, et ne pas pouvoir faire l’impossible ne constitue point d’imperfection dans l’ouvrier(5)Littéralement: et il n’y a pas d’imperfection dans l’ouvrier par cela qu’il n’a pas de pouvoir sur l’impossible., de même que, pour nous autres unitaires, il n’y a point d’imperfection dans le Dieu unique en ce qu’il ne peut réunir les contraires dans un même sujet, et que son pouvoir ne s’étend ni à cela, ni à d’autres impossibilités semblables.", "S’étant aperçus de la faiblesse de cette méthode, bien qu’il y eût quelque chose qui les y appelât(1)C’est-à-dire: Les Motécallemîn s’aperçurent que cette méthode n’avait aucune valeur pour le philosophe qui reconnaissait comme principes de toute chose la matière et la forme et qui distinguait entre la matière des éléments et celle des sphères célestes, quoique pour eux-mêmes cette méthode eût quelque chose de fort plausible et qu’ils dussent y être entraînés par l’hypothèse des atomes, selon laquelle tout l’univers se compose de parcelles indivisibles, complétement pareilles et susceptibles des mêmes accidents., ils ont passé à une autre méthode.", "DEUXIÈME MÉTHODE: S’il y avait deux dieux, disent-ils, il faudrait qu’ils eussent quelque chose qui leur appartînt en commun et quelque autre chose qui appartînt à l’un d’eux, sans appartenir à l’autre, et par quoi eût lieu leur diversité réciproque(2)L’auteur ne s’exprime pas ici d’une manière explicite et n’achève pas l’explication de cette méthode; mais, comme on va le voir, il la désigne comme une méthode philosophique et démonstrative, promettant d’en exposer le sens plus tard. Le passage auquel il est fait allusion se trouve au chapitre Ier de la IIe partie, où l’auteur s’exprime en ces termes: «Il y a encore une autre méthode pour démontrer l’incorporalité et établir l’unité (de Dieu): C’est que, s’il y avait deux dieux, il faudrait nécessairement qu’ils eussent quelque chose qui leur appartînt en commun — savoir, la chose par laquelle chacun des deux méritât d’être (appelé) Dieu —, et quelque autre chose également nécessaire par quoi eût lieu leur distinction réciproque et par quoi ils fussent deux; soit que chacun des deux eût quelque chose que n’eût pas l’autre, et alors chacun des deux serait composé de deux choses et aucun d’eux ne serait ni cause première, ni être nécessaire par lui-même, mais chacun aurait des causes, comme il a été exposé dans la XIXe proposition (des philosophes); soit que la chose distinctive se trouvât dans l’un des deux, et alors celui qui aurait les deux choses ne serait point un être nécessaire par lui-même.» Cf. l’introduction de la IIe partie, propos. XIX à XXI.. C’est là une méthode philosophique et (véritablement) démonstrative, pourvu qu’on la poursuive(1)C’est-à-dire: pourvu qu’on en achève l’explication. Au lieu de , deux des manuscrits d’Oxford portent תתׄבת , c’est-à-dire: pourvu qu’on l’ait bien établie. et qu’on en ait exposé les prémisses. Je l’exposerai moi-même quand je rapporterai les opinions des philosophes sur cette matière. Mais cette méthode ne saurait être suivie selon le système de ceux qui admettent les attributs(2)L’auteur veut dire: S’il est vrai que d’un côté cette méthode pourrait même convenir aux philosophes, d’un autre côté elle ne saurait convenir aux Motécallemîn, qui admettent les attributs; car, dans le système des attributs, il se pourrait qu’il y eût deux dieux dont chacun eût des attributs différents.; car, selon eux, il y a dans l’être éternel(3)L’optatif תעאלי (qu’il soit exalté!) se rattache au mot אלקדים, l’éternel, et ענדה se rapporte à כל מן יעתקד; la leçon de notre texte est celle de tous les manuscrits, et l’inversion qu’elle renferme a été reproduite par Al-’Harizi, qui traduit: שהקדמון אצלו יתברך, tandis que la version d’Ibn-Tibbon porte: שהקרמון יתעלה אצלו. des choses nombreuses, différentes les unes des autres(4)Au lieu de מתגאירה̈, l’un des manuscrits de Leyde porte מתנאהיה̈, c.-à-d., finies ou ayant un terme; de même Al-’Harizi: בעלי תכלית, ce qui ne donne pas de sens convenable., l’idée de la science étant pour eux autre chose que l’idée de la puissance, et de même l’idée de la puissance autre chose que l’idée de la volonté(5)Cf. ci-dessus, chap. LIII, pag. 208 et suiv. — La leçon que nous avons adoptée s’accorde avec la version d’Ibn-Tibbon; dans la plupart des manuscrits on lit: ומעני אלעלם גיר מעני אלקדרה̈ ענדה גיר מעני אלאראדה̈, et dans l’un des manuscrits de Leyde: וגיר מעני אלאראדה̈; de même Al-’Harizi: וענין המדע זולת ענין היכולת אצלו וזולת ענין החפץ.. Il ne serait donc pas impossible, avec ce système, que chacun des deux dieux renfermât plusieurs idées, de sorte que les unes, il les eût en commun avec l’autre (dieu), et que par les autres il en différât.", "TROISÈME MÉTHODE: Il y a encore une autre méthode qui a besoin de l’une des hypothèses admises par les partisans de ce système(1)C’est-à-dire: du système des Motécallemîn. Le mot אלטריק (au singulier), qui se trouve dans tous les manuscrits, me paraît se rapporter ici au système des Motécallemîn en général; Ibn-Tibbon a mis הדרבים (au pluriel), mot qui dans les éditions a été changé en הדברים. L’auteur veut dire que cette IIIe méthode nécessite une nouvelle hypothèse, qui ne se trouve pas parmi les propositions des Motécallemîn énumérées plus haut.. C’est que plusieurs d’entre eux (les Motécallemîn) — et ce sont les plus anciens — croient que Dieu veut par une volonté, laquelle n’est point une idée ajoutée à l’essence du Créateur, mais qui est une volonté sans substratum. Selon cette hypothèse(2)Les deux versions hébraïques ont אלו ההקדמות, au pluriel, et de même l’un des manuscrits de Leyde, אלמקדמאת; tous les autres manuscrits ont אלמקדמה̈, au singulier. Cf. le Commentaire d’Ibn-Caspi, pag. 84, et la note, pag. 86. que nous venons d’énoncer, mais dont il est difficile, comme tu le vois, de se former une idée(3)Littéralement: mais dont la conception est telle que tu la vois, c’est-à-dire, qui est de telle nature qu’on ne saurait la concevoir. La version d’Ibn-Tibbon ajoute le mot רחוק, invraisemblable, difficile; cette leçon ne se trouve que dans l’un des manuscrits de Leyde, qui porte: תצורהא בעיד., ils disent: La volonté unique qui n’est point dans un substratum ne saurait appartenir à deux; car, ajoutent-ils, une cause unique ne saurait produire deux résultats pour deux essences (différentes)(4)C’est-à-dire: cette volonté divine qui n’a pas de substratum ne peut être qu’une cause d’une simplicité absolue et ne saurait produire deux effets différents; par conséquent elle ne saurait appartenir à deux dieux. Cette hypothèse de la volonté sans substratum ressemble à une autre hypothèse, également insaisissable, dont il a été question plus haut; nous voulons parler de l’accident sans substratum que, selon certains Motécallemîn, Dieu créerait pour détruire le monde. Voy. au ch. LXXIII, VIe proposition (pag. 391).. C’est là, comme je te l’ai déjà fait observer, expliquer une chose obscure par ce qui est encore plus obscur(1)Voy. au chap. LXXIV, VIIe méthode (pag. 432).. Cette volonté dont ils parlent, on ne saurait s’en former une idée; il y en a parmi eux qui la croient impossible, et ceux-là même qui l’admettent y reconnaissent des difficultés innombrables(2)Littéralement: et selon celui qui l’admet par opinion, il survient à son égard des doutes qui ne sauraient être contés. Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots לא תנחצר sont inexactement rendus par שאי אפשר לדחותם, qu’il est impossible de repousser ou de réfuter; Al-’Harizi dit plus exactement: לא יםפרו.. Et cependant ils la prennent pour preuve de l’unité (de Dieu).", "QUATRIÈME MÉTHODE: L’existence de l’action, disent-ils, prouve nécessairement qu’il y a un agent, mais ne nous prouve pas qu’il y ait plusieurs agents, n’importe qu’on prétende que Dieu soit deux, ou trois, ou vingt, ou de quelque nombre que ce soit(3)C’est-à-dire: l’action qui se montre dans l’ensemble de l’univers prouve en général qu’il y a un agent, mais on ne saurait démontrer par cette action qu’il y ait plusieurs agents d’un nombre fixe, n’importe quel soit ce nombre. Par conséquent, la pluralité dans Dieu étant indémontrable, il s’ensuit que Dieu est un.; ce qui est clair et évident. Que si l’on objectait que cette preuve ne démontre point que la pluralité dans Dieu soit impossible, mais qu’elle démontre seulement qu’on en ignore le nombre, et que par conséquent il se peut également qu’il y ait un Dieu ou qu’il y en ait plusieurs(4)Littéralement: et il est possible qu’il (Dieu) soit UN, et il est possible (aussi) qu’il soit PLUSIEURS; c.-à-d.: rien ne s’oppose à ce qu’on admette en général l’existence de plusieurs dieux, bien qu’on ne puisse pas en fixer le nombre., celui-là(5)C’est-à-dire, l’auteur de cette méthode. compléterait sa démonstration en disant: «Dans l’existence de Dieu il n’y a point de possibilité, mais il est (un être) nécessaire, et par conséquent la possibilité de la pluralité (dans Dieu) est inadmissible.» — Voilà de quelle manière argumente l’auteur de cette démonstration; mais l’erreur y est de toute évidence. En effet, c’est dans l’existence même de Dieu qu’il n’y a point de possibilité; mais, dans la connaissance que nous avons de lui, il y a bien possibilité; car, être possible pour la science, c’est autre chose que d’être possible en réalité(1)La divinité en elle-même est ce qu’elle est; unité ou pluralité, elle est l’être nécessaire. Si nous voyons en elle la possibilité d’être de tel ou tel nombre déterminé, cette possibilité n’est que dans notre pensée et n’affecte point l’essence divine.. Il se pourrait donc que Dieu ne fût ni trois, comme le croient les chrétiens, ni un, comme nous le croyons, nous(2)Littéralement: Et peut-être, de même que les chrétiens croient qu’il est TROIS, sans qu’il en soit ainsi, croyons nous de même qu’il est UN, sans que la chose soit ainsi; c’est-à-dire: l’argumentation en question étant insuffisante pour établir la non-pluralité de Dieu, il se pourrait que notre croyance ne fût pas plus vraie que celle des chrétiens, et que Dieu ne fût ni un ni trois, mais une pluralité quelconque. — Dans la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire: שהם שלשה ואינו בן, comme l’ont les manuscrits et l’édition princeps; les mots ואינו בן manquent dans nos éditions.. — Cela est clair pour celui qui a appris à connaître de quelle manière les conclusions résultent des prémisses(3)C’est-à-dire, pour celui qui a bien étudié les règles de la démonstration et qui ne fait pas de faux syllogismes..", "CINQUIÈME MÉTHODE: Un des modernes a prétendu avoir trouvé une méthode démonstrative pour (établir) l’unité; c’est celle dite du besoin, dont voici l’explication: Ou bien, dit-il, c’était chose facile pour un seul (dieu) de produire tout ce qui existe, et alors un second serait superflu et on n’en aurait pas besoin; ou bien cet univers ne pouvait être achevé et mis en ordre que par les deux ensemble, et alors chacun des deux, ayant besoin de l’autre, serait affecté d’impuissance et ne se suffirait pas lui-même. Ce n’est là autre chose qu’une branche (de la méthode) de l’obstacle mutuel(1)En effet, ces deux méthodes (la Ire et la Ve) ont été confondues en une seule par plusieurs théologiens juifs qui ont fait des emprunts aux Motécallemîn; voy. Saadia, Croyances et Opinions, liv. II, au commencement du chap. 3; Ba’hya, Devoirs des cœurs, liv. I, chap. 7, 7e démonstration., ", "et voici ce qu’on pourrait objecter à ce genre d’argumentation: On n’appelle point impuissant quiconque ne fait pas ce qu’il n’est pas dans sa nature de faire; car nous ne disons pas d’un individu humain quil soit faible parce qu’il ne peut pas remuer mille quintaux, et nous n’attribuons point d’impuissance à Dieu pour ne pas pouvoir se corporifier, ni créer son semblable, ni créer un carré dont le côté soit égal(2)Au lieu de (mss. מםאויא), l’un des manuscrits de Leyde a מםתויא. à la diagonale. De même, nous ne saurions dire qu’il soit impuissant parce qu’il ne créerait pas seul; car (selon l’hypothèse) il serait dans les conditions de l’être divin qu’il y eût deux dieux(3)Littéralement: car ce serait une nécessité de leur existence qu’ils fussent deux; c’est-à-dire: la dualité serait dans la nature même de la divinité et formerait une condition essentielle de l’être divin, de sorte que la participation des deux dieux à l’œuvre de la création ne pourrait être attribuée à un besoin réciproque, mais serait une véritable nécessité., et il n’y aurait point là de besoin (mutuel), mais plutôt une nécessité, et le contraire serait impossible(4)Voy. Ahron ben-Élie, עץ חיים ou Arbre de la vie, chap. LXIV (pag. 78 de l’édit. de Leipzig); cet auteur cherche à répondre a l’objection faite ici par Maïmonide à cette Ve méthode, en montrant que ce que l’un des deux dieux ne pourrait pas faire constituerait en lui une véritable impuissance et ne saurait être confondu avec ce qui est réellement et objectivement impossible, comme, p. ex., la réunion des contraires dans le même sujet.. De même donc que, selon leur système, nous ne saurions dire que Dieu soit impuissant pour ne pouvoir produire un corps qu’en créant d’abord des atomes et en les réunissant par des accidents qu’il y crée, — chose que nous n’appelons point besoin ni impuissance, le contraire étant impossible, — de même le dualiste(1)Littéralement: celui qui associe, c’est-à-dire, celui qui donne à Dieu un associé. Cf. ci-dessus, pag. 239, note 1. dira: Il est impossible que l’un (des deux dieux) agisse seul, et cela ne constitue d’impuissance à l’égard d’aucun des deux, car pour leur être c’est une condition essentielle d’être deux(2)Littéralement: car leur être nécessaire (veut) qu’ils soient deux..", "Il y en avait parmi eux qui, fatigués d’inventer des artifices, disaient que l’unité de Dieu doit être acceptée comme dogme religieux(3)Littéralement: Déjà les artifices ont fatigué quelques uns d’entre eux à tel point qu’ils disaient que l’unité est acceptée religieusement; c’est-à-dire: plusieurs Motécallemîn, fatigués d’inventer toutes sortes de subtilités pour établir l’unité de Dieu par des démonstrations artificielles, renonçaient complètement à la démontrer et l’acceptaient comme un dogme religieux.; mais les Motécallemîn ont fortement blâmé cela et ont montré du mépris pour celui qui l’a dit. Moi, cependant, je crois que celui d’entre eux qui a dit cela était un homme d’un esprit très droit et à qui il répugnait d’accepter des sophismes(4)Littéralement: éloigné de l’acceptation du sophisme.; n’ayant donc rien entendu dans leurs paroles qui fût réellement une démonstration, et ne se trouvant point l’esprit tranquillisé par ce qu’ils prétendaient en être une, il disait que c’était là une chose qu’on devait accepter comme tradition religieuse. En effet, ces gens-là n’ont reconnu à la nature aucune loi fixe(5)Littéralement: n’ont laissé (ou concédé) à l’être aucune nature bien établie (ou fixe). dont on puisse tirer un argument véritable, ni n’ont concédé à l’intelligence aucune justesse innée(6)Littéralement: aucune disposition naturelle droite. au moyen de laquelle on puisse former des conclusions vraies. Tout cela a été fait avec intention afin de supposer un univers qui nous permette de démontrer ce qui n’est point démontrable; ce qui a eu pour résultat de nous rendre incapables de démontrer ce qui peut être démontré. Il ne reste qu’à en appeler à Dieu et aux hommes justes et doués d’intelligence(1)Littéralement: Il n’y a (à porter) plainte qu’à Dieu et à ceux qui ont de la justice d’entre les gens d’intelligence. Au lieu de שכיה̈, quelques manuscrits ont שכוה̈. Dans la version d’Ibn-Tibbon il faut lire: אלא לאל ולמודים על האמת; quelques éditions portent incorrectement: לאלו למודים, ou לאלו המודים.." ], [ "DE L’INCORPORALITÉ, SELON LE SYSTÈME DES MOTÉCALLEMÎN.
Les méthodes des Motécallemîn et leurs argumentations pour écarter la corporéité (de Dieu) sont très faibles, plus faibles que leurs preuves de l’unité; car, pour eux, l’incorporalité est comme une branche qui se rattache nécessairement à l’unité comme souche: «Le corps, disent-ils, n’est point un(2)C’est-à-dire: le corps est nécessairement quelque chose de composé et ne saurait former une unité absolue; par conséquent, Dieu, qui est un, ne saurait être un corps..» — Quant à celui qui repousse la corporéité par cette raison que le corps est nécessairement composé de matière et de forme [car c’est là une (véritable) composition, et il est évident que la composition est impossible dans l’essence de Dieu(3)Dans la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire, selon les mss. et l’édit. princeps: וזאת הרכבה ויבאר המנע ההרכבה; les éditions portent généralement וזאת ההרבבה תבאר ובו׳.], je ne le considère point comme un Motécallem; car cette preuve n’est point basée sur les principes des Motécallemîn, mais c’est une démonstration vraie, basée sur la doctrine de la matière et de la forme et sur la conception de ces deux idées(1)On a vu plus haut que les Motécallemîn n’admettaient point les idées de matière et de forme. Voy. pag. 398, note 1.. C’est là une doctrine philosophique dont je parlerai plus loin, et que j’exposerai en rapportant les démonstrations des philosophes sur cette matière. Dans ce chapitre, nous avons seulement pour but de rapporter les preuves des Motécallemîn sur l’incorporalité, selon leurs propositions et leurs méthodes d’argumentation.", "PREMIÈRE MÉTHODE: Si Dieu, disent-ils, était un corps, il faudrait nécessairement, ou bien que la véritable idée de la divinité résidât dans toutes les substances (simples) de ce corps, je veux dire dans chacun de ses atomes, ou bien qu’elle résidât dans un seul des atomes de ce corps(2)Plus littéralement: il serait indispensable pour l’idée de la divinité et sa réalité que ce qui la constituât fût l’ensemble des substances de ce corps, je veux dire chacun de ses atomes, ou bien que ce fût un seul des atomes de ce corps qui la constituât. Au lieu de למעני, la plupart des manuscrits ont מעני; mais les deux versions hébraïques ont également לענין. Il eût été plus régulier de dire: פלא יכׄלו מעני ····· מן אן יבון; la préposition מן a été suppléée par les deux traducteurs hébreux, qui l’ont rendue par מבלתי. Les mots אן יכון יקום בה גׄמלה̈ (où le suffixe dans בה se rapporte à מעני) sont rendus, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, par מבלתי שיתוקן בו שתשלם מציאותו בכלל וכו׳. Il est évident qu’on a ici confondu ensemble deux traductions différentes des mots arabes יקום בה; en effet, plusieurs manuscrits portent מבלתי שיתוקן בו כלל וכו׳, et en marge on trouve la variante שתשלם מציאותו (בבלל). — Pour comprendre le sens de ce passage, il faut se rappeler la Ve proposition des Motécallemîn, suivant laquelle l’accident ou la qualité ne compète pas à l’ensemble du corps, mais à chacun de ses atomes, ou bien à l’un d’entre eux, comme par exemple l’accident de l’âme, ou celui de l’intelligence, ou celui de la science (voy. ci-dessus, pag. 387 et 388); si donc Dieu était un corps, et par conséquent composé d’atomes, il faudrait que l’idée ou la qualité de divinité résidât dans chacun des atomes du corps divin, ou bien qu’elle résidât dans l’un de ses atomes, comme il en est p. ex. de l’accident de l’âme ou de celui de l’intelligence, qui, selon les Motécallemîn, réside dans l’un des atomes du corps animé ou intelligent.. Or, si elle résidait dans un seul atome, à quoi serviraient les autres atomes? L’existence de ce corps n’aurait pas de sens. Si (au contraire) elle résidait dans chacun des atomes de ce corps, il y aurait là beaucoup de dieux, et non pas un seul dieu; mais on a déjà exposé qu’il n’y en a qu’un seul. Si tu examines cette démonstration, tu la trouveras basée sur la Ire et la Ve de leurs propositions. Mais on pourrait leur objecter(1)Le texte dit littéralement: mais si on leur disait etc. La phrase est elliptique et il faut sous-entendre: que diraient-ils? Le sens est: qu’auraient-ils à répondre, si celui qui soutient la corporéité de Dieu leur objectait etc.? Cf. Silv. de Sacy, Grammaire arabe (2e édit.), t. II, p. 464, n° 838.: que le corps de Dieu n’est point composé de parcelles indivisibles, c’est-à-dire, qu’il n’est point composé de (petites) substances semblables à celles qu’il crée, comme vous le dites, mais qu’il est un corps unique et continu qui n’est susceptible de division que dans l’idée, et qu’il ne faut pas avoir égard aux fausses idées(2)On a vu que les Motécallemîn eux-mêmes, tout en soutenant que rien n’est impossible pourvu qu’on puisse s’en former une idée, reconnaissent pourtant qu’il y a certaines présomptions ou idées fausses qui sont absolument inadmissibles. Voy. ci-dessus, pag. 411 et ibid., note 2.. C’est ainsi, en effet, que tu t’imagines que le corps du ciel est susceptible d’être déchiré et morcelé, tandis que le philosophe dit que ce n’est là que l’effet de l’imagination et (que c’est) juger par ce qui est visible [c.-à-d., par les corps qui existent près de nous] de ce qui est invisible(3)C’est-à-dire: Toi, le Motécallem, tu t’imagines aussi que la sphère céleste est composée d’atomes et susceptible de division à l’infini; mais le philosophe déclare que c’est là une erreur et une vaine imagination, et que tu ne juges ainsi qu’en établissant une analogie entre la sphère céleste, inaccessible à nos sens, et les corps qui se trouvent près de nous..", "LA DEUXIÈME MÉTHODE, qu’ils considèrent comme très importante, est (prise dans) l’impossibilité de la similitude. Dieu (disent-ils) ne saurait ressembler à aucune de ses créatures; mais, s’il était un corps, il ressemblerait aux autres corps. Ils s’étendent beaucoup sur ce sujet, et ils disent (entre autres): «Si nous disions (qu’il est) un corps, non comme les autres corps, ce serait là une contradiction(1)Littéralement: tu te réfuterais toi-même; c’est-à-dire, ces paroles renfermeraient en elles-mêmes une contradiction.; car tout corps est semblable à tout autre corps sous le rapport de la corporéité, et les corps ne diffèrent entre eux que sous d’autres rapports, c’est-à-dire, dans les accidents.» Il s’ensuivrait en outre, selon eux, que Dieu aurait créé son semblable(2)C’est-à-dire: dès qu’on admet que Dieu est un corps, tous les corps étant semblables sous le rapport de la corporéité, il s’ensuivrait que Dieu aurait créé son semblable, c.-à-d., un être nécessaire comme lui, ce qui est absurde. Cf. Ahron ben-Eli, Arbre de la vie, chapitre XV (pag. 43), la 7e démonstration de l’incorporalité.. ", "Cette preuve peut se réfuter(3)Littéralement: est percée ou défectueuse. de deux manières. Premièrement, quelqu’un pourrait objecter: «Je n’accorde pas la non-similitude, car comment démontrerez-vous que Dieu ne saurait ressembler en rien à aucune de ses créatures? A moins, par Dieu(4)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement האלהיים, ce qui serait un adjectif de הדברים; mais il faut lire האלהים, comme vocatif, ainsi que l’ont en effet les mss. et l’édit, princeps.! que vous ne vous en rapportiez à cet égard [je veux dire, pour ce qui concerne la négation de la similitude] à quelque texte d’un livre prophétique; mais alors l’incorporalité de Dieu serait une chose reçue par tradition, et non pas un objet de l’intelligence.» Et si l’on disait que Dieu, s’il ressemblait à quelque chose d’entre ses créatures, aurait créé son semblable, l’adversaire pourrait répondre: «Mais ce n’est pas son semblable sous toutes les faces; car je ne nie pas que la divinité renferme des idées nombreuses et qu’elle se présente sous plusieurs faces.» Et en effet, celui qui croit à la corporéité de Dieu ne conteste pas cela. ", "— Une seconde manière, qui est plus profonde(1)Ibn-Tibbon traduit: יותר נאותים, plus convenable; ce traducteur a pris le comparatif dans le sens de decentior, venustior. Al-’Harizi a יותר משובש, plus confuse, ou mieux plus obscure, plus profonde. L’auteur veut dire, sans doute, que celle seconde réfutation est plus difficile à comprendre., est celle-ci: Il est établi et avéré pour quiconque a étudié la philosophie et s’est plongé dans les systèmes des philosophes que, si l’on a (en même temps) appliqué le mot corps aux sphères célestes et à ces corps hyliques(2)C’est-à-dire, aux corps sublunaires, composés des quatre éléments, et dont la matière (ὕλη) est différente de celle des sphères célestes. Voy. ci-dessus, pag. 356 et suiv., et cf. pag. 442, note 2., ce n’est que par simple homonymie; car il n’y a là identité ni de matière, ni de forme(3)Littéralement: car cette matière-ci n’est pas cette matière-là, ni ces formes-ci ne sont cette forme-là; c’est-à-dire: la matière et la forme des choses sublunaires ne sont pas les mêmes que celles des sphères célestes, mais, au contraire, c’est également par homonymie que les mots matière et forme sont appliqués à ce qui est ici-bas et aux sphères célestes. S’il est vrai que la sphère céleste a indubitablement des dimensions, ce ne sont pas les dimensions en elles-mêmes qui font le corps, mais celui-ci est quelque chose qui est composé de matière et de forme. Or, si cela se dit à l’égard de la sphère céleste, à plus forte raison celui qui admet la corporéité pourra-t-il le dire à l’égard de Dieu. Il dira, en effet: Dieu est un corps ayant des dimensions; mais son essence, sa véritable nature et sa substance ne ressemblent à rien d’entre ses créatures, et ce n’est que par homonymie qu’on leur applique, à lui et à elles, le mot corps, de même que c’est par homonymie que, selon les vrais penseurs, on leur appplique, à lui et à elles, le mot être. Celui qui soutient la corporéité n’accorde pas non plus que tous les corps soient composés d’atomes pareils, mais il dit que Dieu est le créateur de tous ces corps, qui varient de substance et de nature; et de même que pour lui le corps de la fiente(1)Deux des meilleurs manuscrits d’Oxford (codd. Poc. 212 et 345) portent très distinctement אלארואתׄ , plur. de ou , fiente de cheval; cette leçon est confirmée par la version d’Ibn-Tibbon, qui, dans la plupart des manuscrits et dans l’édit. princeps, porte גשם הצואות (c.-à-d. corpus stercorum), et c’est à tort que dans la plupart des éditions on a imprimé הנצוצות. Quelques manuscrits de cette version ont גשם הצמחים, et de même l’ancienne version latine (Paris, 1520, in-fol.): corpus plantœ. Plusieurs manuscrits arabes ont אלאדואת ou אלאדׄואת (avec daleth), mot qui n’offre pas de sens. Un seul des manuscrits d’Oxford (le n° 359 du Catal. d’Uri) porte אלנוריאת, mot dont le sens n’est pas clair, mais qui pourrait bien avoir quelque rapport avec le mot hébreu הנצוצות. — C’est sans doute la singularité de l’expression choisie par l’auteur qui a donné lieu aux différentes variantes qu’offrent les manuscrits de l’original arabe et ceux de la version d’Ibn-Tibbon. L’auteur veut dire que les partisans de la corporéité de Dieu mettent entre le corps de Dieu et celui des choses même les plus élevées de la création, telles que la lumière créée et les sphères célestes, une distance aussi grande que celle qui existe entre le globe resplendissant du soleil et les fientes ou les choses les plus infimes de la terre. n’est pas (la même chose que) le corps du globe solaire, de même il dit que le corps de la lumière créée, je veux dire, de la schekhînâ(2)Voy. ci-dessus, chap. LXIV, pag. 286, note 3., n’est pas le corps des sphères et des astres ni le corps de la schekhînâ, ou de la colonne de nuée créée, n’est, selon lui, le corps de Dieu. Ce corps, dit-il au contraire, est l’essence parfaite et sublime qui ne fut jamais composée, qui ne changea jamais et dont le changement est impossible; car, au contraire, ce corps a toujours nécessairement existé tel qu’il est, et c’est lui qui fait tout ce qui est en dehors de lui, selon son intention et sa volonté. — Je voudrais savoir comment ce système, quelque malade qu’il soit, pourrait être réfuté au moyen de leurs étonnantes méthodes que je t’ai fait connaître!", "LA TROISIÈME MÉTHODE est celle-ci: Si Dieu, disent-ils, était un corps, il serait fini [ce qui est vrai], et s’il était fini, il aurait une certaine mesure et une certaine figure déterminée [ce qui est également une conséquence vraie]. Or, disent-ils, quelles que soient la mesure et la figure (qu’on suppose), Dieu, en tant que corps, pourrait être plus grand ou plus petit que cette mesure et avoir une figure différente de celle-là; si donc il est déterminé par une certaine mesure et une certaine figure, il a fallu pour cela un être déterminant(1)C’est-à-dire: Dieu ne pouvait être ainsi déterminé que par un être en dehors de lui, de sorte qu’il y aurait un être antérieur à Dieu et au dessus de lui, ce qui est absurde. Cf. Ahron ben-Élie, Arbre de la vie, chap. XV (pag. 43), 6e démonstration. Ce raisonnement des Motécallemîn, comme va le dire l’auteur, est basé sur leur Xe proposition; il est analogue à celui qui sert de base à quelques unes de leurs démonstrations de la Création; voy. chap. LXXIV, Ve et VIe méthodes.. — Cette démonstration aussi, je l’ai entendu vanter par eux, bien qu’elle soit plus faible que tout ce qui précède, étant basée sur la Xe proposition, dont nous avons déjà exposé toutes les difficultés qu’elle présente à l’égard même des autres êtres [puisqu’on suppose qu’ils pourraient avoir une nature différente de celle qu’ils ont(2)Littéralement: puisqu’ils sont estimés (existés) contrairement à leur nature. Le verbe קדר , au masculin et le suffixe dans טביעתה se rapportent au mot םאיר.], et à plus forte raison à l’égard de Dieu. Il n’y a pas de différence entre ce raisonnement-ci et ce qu’ils disent au sujet de la préférence accordée à l’existence du monde sur sa non-existence, et qui (selon eux) prouverait qu’il y a un agent qui en a préféré l’existence à la non-existence, l’une et l’autre étant possibles(1)Voy. chap. LXXIV, VIe méthode. — Tous les manuscrits portent לאמבאן וגׄודה ועדמה, excepté l’un des deux manuscrits de Leyde, qui a seulement לאמבאן וגׄודה; d’après cette dernière leçon, il faudrait traduire: «son existence étant (seulement) possible,» c.-à-d., n’étant point une chose nécessaire. C’est cette leçon qui a été reproduite par les deux traducteurs hébreux; Ibn-Tibbon a לאפשרות מציאותו, et Al-’Harizi, בעבור שמציאותו אפשרית.. Or, si on leur demandait: pourquoi cela ne s’applique-t-il pas à Dieu et pourquoi ne dit-on pas que, puisqu’il existe, il doive y avoir un être qui en ait préféré l’existence à la non-existence? ils répondraient sans doute: c’est parce que cela conduirait à un enchaînement (infini) et qu’il faudrait nécessairement s’arrêter à un être nécessaire, dans lequel il n’y ait point de possibilité et qui n’ait pas besoin d’un autre être qui le fasse exister. Mais cette même réponse peut s’appliquer à la figure et à la mesure. En effet, pour que les figures et les mesures ne soient que d’une existence possible, il faut qu’elles s’appliquent à un être qui existe après ne pas avoir existé, et d’un tel être seulement on pourra dire(2)La construction de cette phrase est irrégulière; en voici à peu près le mot à mot: Car toutes les figures et les mesures d’une existence possible (le sont) dans ce sens que quelque chose n’avait (d’abord) pas existé et qu’ensuite il a existé; c’est de cela qu’on dira etc.: il était possible qu’il fût plus grand ou plus petit qu’il n’est réellement et qu’il eût une figure différente de celle qu’il a, de sorte qu’il avait absolument besoin d’un être déterminant. Mais, pour ce qui est de la figure et de la mesure de Dieu [loin de lui toute imperfection et assimilation!], le partisan de la corporéité dira: «Ce n’est point après ne pas avoir existé qu’il est arrivé à l’existence, de sorte qu’il ait eu besoin d’un être déterminant. Au contraire, son essence avec la mesure et la figure qu’elle a est ainsi d’une existence nécessaire; elle n’a point eu besoin d’un être qui la déterminât ni qui en préférât(1)Les mots ne se trouvent que dans un seul des manuscrits d’Oxford (Uri, n° 359) et ne sont pas non plus rendus dans la version d’Ibn-Tibbon; mais ces mots me semblent nécessaires pour compléter le sens, et la négation לא, qui, dans tous les manuscrits (excepté dans l’un des mss. de Leyde), précède le mot למכׄצץ, indique suffisamment qu’il manque ici quelque chose. Al-’Harizi traduit: לא יצטרך למגביל אשר יבריע המציאות על האפיםה. l’existence à la non-existence, car il n’y a en elle aucune possibilité de non-existence; et de même elle n’a point eu besoin d’un être qui lui donnât une figure et une mesure déterminées, car son existence était nécessaire de cette manière(2)C’est-à-dire: Dieu, selon les partisans de la corporéité, est, tel qu’il est, l’être nécessaire; tout dans lui, l’attribut comme l’essence, est d’une nécessité absolue, et rien dans lui ne suppose un être antérieur qui l’ait déterminé de telle ou telle manière..»", "Et maintenant, ô lecteur! si tu préfères la recherche de la vérité, si tu rejettes loin de toi la passion, la croyance sur autorité et la prévention pour ce que tu étais habitué à respecter, et si tu ne veux pas t’abuser toi-même, regarde à quoi sont réduits ces penseurs, ce qui leur est arrivé et ce qui est sorti d’eux(3)Littéralement: considère (פתאמל) ..… la condition de ces penseurs (c.-à-d. des Motécallemîn) et ce qui est arrivé à eux et de leur part.; car ils sont(4)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on a mis par erreur שהוא; les mss. ont שהם. comme quelqu’un qui s’échappe de la cendre brûlante (pour tomber) dans le feu(5)C’est-à-dire: qui, pour éviter un mal, tombe dans un mal plus grand encore.. En effet, ils ont effacé toute loi naturelle(6)Littéralement: ils ont détruit la nature de l’être. et altéré la nature du ciel et de la terre, en prétendant que par ces propositions on peut démontrer que le monde est créé. Mais, loin d’avoir démontré la nouveauté du monde, ils nous ont détruit les démonstrations de l’existence, de l’unité et de l’incorporalité de Dieu; car les démonstrations par lesquelles tout cela devient clair ne peuvent être prises que dans la nature de l’être, telle qu’elle est établie, visible et perçue par les sens et l’intelligence.", "Après avoir complétement résumé leurs paroles(1)Littéralement: Après avoir achevé (d’exposer) le but extrême de leurs paroles; c’est-à-dire, après avoir fait connaître en substance les opinions et les démonstrations des Motécallemîn., nous allons rapporter aussi les propositions des philosophes et leurs démonstrations (établissant) que Dieu existe, qu’il est un et qu’il est impossible qu’il soit un corps; et cela, en leur accordant d’abord (l’hypothèse de) l’éternité du monde, bien que, pour nous, nous ne l’admettions pas(2)Cf. ci-dessus, pag. 350, et ibid., note 1.. Ensuite, je te montrerai la méthode que, guidé par une spéculation vraie, j’ai adoptée moi-même pour compléter la démonstration de ces trois questions(3)Littéralement: notre méthode à nous dans ce à quoi une spéculation vraie nous a conduits pour compléter etc.; et enfin, avec l’aide du Tout-Puissant, je reviendrai m’engager avec les philosophes dans ce qu’ils ont dit de l’éternité du monde(4)C’est-à-dire: Après avoir d’abord raisonné dans l’hypothèse de l’éternité du monde, je reviendrai sur cette hypothèse même et je m’en gagerai à ce sujet dans une discussion avec les philosophes..", "FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
DU GUIDE DES ÉGARÉS." ] ] }, "Part 2": { "Introduction": [ "AU NOM DE L’ÉTERNEL DIEU DE L’UNIVERS", "Les propositions dont on a besoin pour établir l’existence de Dieu et pour démontrer qu’il n’est ni un corps, ni une force dans un corps, et qu’il est un [que son nom soit glorifié!], sont au nombre de vingt-cinq, qui, généralement démontrées, ne renferment rien de douteux; — (car) déjà Aristote et les péripatéticiens qui lui ont succédé ont abordé la démonstration de chacune d’elles(1)Tous les mss. ar. portent עלי ברהאן כל ואחדהֹׁ מנהא. Ibn-Tibbon s’écarte un peu de l’original, en traduisant: כבר עשה ··· מופת על כל אחת מהן. La version d’Al-’Harizi porte: כבר בדק ··· על מופת כל אחת מהן.. — Il y a (en outre) une proposition que nous leur accordons comme concession(2)C’est-à-dire, que nous leur concédons provisoirement comme hypothèse; voy. ci-après la XXVIe proposition, et cf. t. 1, pag. 350, note 1., parce que ce sera le moyen de démontrer les questions dont il s’agit, comme je l’exposerai; cette proposition, c’est l’éternité du monde.", "PREMIÈRE PROPOSITION. — L’existence d’une grandeur infinie quelconque est inadmissible(3)Sur l’infini en général, voy. Aristote, Physique, liv. III, chap. 4-8; Métaph., liv. II, chap. 2; liv. XI, chap. 10. Aristote montre dans ces divers passages que, dans la nature, l’infiniment grand en acte, c’est-à-dire l’étendue infinie, est inadmissible, et il n’admet en fait d’infini que l’infiniment petit ou la divisibilité infinie de l’espace, qu’il désigne (ainsi que l’infinité du nombre abstrait) comme l’infini en puissance. Par conséquent, l’univers lui-même, qui est le corps le plus étendu, est limité dans l’espace (voy. le traité du Ciel, liv. I, chap 7, où Aristote dit en terminant: Ὅτι μὲν τοίνυν οὐϰ ἐστὶ τὸ σῶμα τὸ τοῦ παντὸς ἄπειρον ἐϰ τούτων φανερόν). La démonstration la plus générale de cette première proposition est donnée dans la définition même du corps Aristote fait observer qu’au point de vue logique (λογιϰῶς), l’existence d’un corps infini est inadmissible: car, si l’idée qu’on se fait du corps, c’est d’être limité par des surfaces, il ne peut y avoir de corps illimité ni pensé, ni sensible (εἰ γάρ έστι σώματος λόγος τὸ ἐπιπέδῳ ὡρισμένον, οὐϰ ἂν εἴη σῶμα ἄπειρον, οὔτε νοητὸν οὔτε αἰσθητόν. Physique, III, 5, Métaph., XI, 10). Au point de vue physique, Aristote montre que le corps infini ne pourrait être ni composé ni simple: 1° S’il était composé, les parties de la composition seraient ou infinies ou finies; or il est évident qu’elles ne sauraient être infinies, car l’infinité de chacune d’elles exclut nécessairement celle des autres; mais elles ne sauraient pas non plus être finies, car elles seraient consumées par l’infini, et disparaîtraient complètement devant lui. 2° Le corps infini ne saurait pas non plus être simple; car aucun des éléments, dont chacun a sa région déterminée, n’est infini, et il n’existe pas de corps sensible, en dehors des éléments, qui les réunisse tous, comme l’ont cru plusieurs physiciens.— Une autre preuve physique (qui se rattache en quelque sorte à la preuve logique) est celle-ci: «Tout corps sensible est dans l’espace. Les espèces et différences de l’espace sont: le haut et le bas, le devant et le derrière, ce qui est à droite et ce qui est à gauche. Ces distinctions n’existent pas seulement par rapport à nous et par la position, mais sont fondées dans le tout lui-même. Cependant elles ne sauraient exister dans l’infini.» (Voy. Physique, l. c. à la fin du chap. 5). Ibn-Sînâ et d’autres auteurs, arabes et juifs, ont multiplié les démonstrations des propositions énumérées par Maïmonide. Abou-becr-Mo’hammed al-Tebrizi, qui a fait un commentaire sur les vingt-cinq propositions, est entré dans de longs détails pour en démontrer la vérité. Cette 1re proposition a été démontrée par les Arabes de plusieurs manières différentes. Nous citerons ici une démonstration qui est empruntée à Ibn-Sinâ: Soit la grandeur supposée infinie une ligne AB ; nous pourrons supposer que cette ligne se prolonge à l’infini des deux côtés ou seulement d’un côté B. Dans ce dernier cas, figurons-nous que du côté fini on coupe une partie AC; nous aurons alors deux lignes AB et CB, dont chacune sera infinie du côté B et finie de l’autre côté. Or, si nous appliquons le point C sur le point A, il arrivera de deux choses l’une: ou bien la ligne CB se prolongera à l’infini comme la ligne AB, et alors nous aurons AB—AC=AB, ce qui est impossible, car la partie ne peut être égale au tout; ou bien la ligne CB se prolongera moins que la ligne AB, et alors elle sera finie du côté B, ce qui est contraire à l’hypothèse. Si la ligne AB est supposée infinie des deux côtés, on pourra la couper à un point quelconque, de manière à en faire deux lignes dont chacune sera infinie d’un côté et finie de l’autre, et la démonstration sera la même que celle qu’on vient de donner. Cf. Schahrestâni, pag. 403 (trad. allem., t. II, pag. 295 et 296). — Nous ne pourrons pas reproduire les preuves alléguées pour chacune des propositions énumérées ici par Maïmonide, et nous devrons nous borner à indiquer les endroits d’où notre auteur a tiré ces différentes propositions. Ainsi qu’on le verra, elles ne sont pas toutes empruntées à Aristote, et plusieurs sont tirées des œuvres d’Ibn-Sinâ, qui, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, sont la principale source à laquelle Maïmonide a puisé sa connaissance des doctrines péripatéticiennes. Sur cette première proposition et les deux suivantes, voy. aussi la 1re partie de cet ouvrage, chap. LXXIII, 11e proposition, et les notes que nous y avons jointes (tom. I, pag. 413 et 414)..", "DEUXIÈME PROPOSITION. — L’existence d’un nombre infini de grandeurs est inadmissible(1)Cette seconde proposition énonce de la grandeur discrète ce qui, dans la première proposition, a été énoncé de la grandeur continue. L’infinité numérique en acte est aussi inadmissible que l’étendue infinie: car les unités qui composent la quantité discrète peuvent former toutes ensemble une quantité continue, et il est clair que, puisque cette dernière ne peut être infinie, la première ne saurait l’être davantage. On peut d’ailleurs, comme le fait observer le commentateur Schem-Tob, appliquer directement à cette proposition la démonstration que nous avons donnée de la première proposition, d’après Ibn-Sinâ. En effet, en diminuant d’un certain nombre d’unités la quantité discrète supposée infinie, le reste sera ou infini ou fini; or, s’il était infini, la partie serait égale au tout, ce qui est impossible; s’il était fini, le tout serait éga lement fini, ce qui est contraire à l’hypothèse., si l’on veut qu’elles existent (toutes) simultanément(2)On a déjà vu que, selon notre auteur, l’inadmissibilité de l’infini par succession n’est pas démontrée. Voy. t. I, pag. 414 et 415, et cf. ci-après à la 26e proposition..", "TROISIÈME PROPOSITION. — L’existence d’un nombre infini de causes et d’effets est inadmissible, lors même que ce ne seraient pas de grandeurs; ainsi, par exemple, il est évidemment inadmissible que telle intelligence ait pour cause une seconde intelligence, cette seconde une troisième, cette troisième une quatrième, et ainsi de suite jusqu’à l’infini(1)Cette proposition a été développée par Aristote, dans la Métaphysique, liv. II, chap. 2, où il est montré en général que, dans les quatre espèces de causes, on arrive nécessairement à un dernier terme, et que ces causes ne peuvent se continuer à l’infini: Α’λλὰ μέν ὅτί γ’ ἐστὶν ἀρχή τις ϰαὶ oὐϰ ἄπειρα τὰ αἴτια τῶν ὄντων, οὔτ’ εἰς εὐθυωρίαν οὔτε ϰατ’ εἶδος, δῆλον, ϰ. τ. λ. Cf. le tome I de cet ouvrage, pag. 313, note 1..", "QUATRIÈME PROPOSITION. — Le changement se trouve dans quatre catégories: ", "1° dans la catégorie de la substance, et le changement dont est susceptible la substance, c’est la naissance et la corruption; ", "2° dans la catégorie de la quantité, et ici c’est la croissance et le décroissement; ", "3° dans la catégorie de la qualité, ce qui est la transformation; ", "4° dans la catégorie du lieu, ce qui est le mouvement de translation(2)Voy. Aristote, Métaphysique, liv. XII, chap. 2: Eἰ δὴ αἱ μεταϐολαὶ τέτταρες, ἢ ϰατὰ τὸ τί ἢ ϰατὰ τὸ ποιὸν ἢ ποσὸν ἢ ποῦ, ϰαὶ γένεσις μὲν ή ἁπλῆ ϰαὶ φθορὰ ἡ ϰατὰ τόδε, αὔξησις δὲ ϰαὶ φθίσις ἡ ϰατὰ τὸ ποσόν, ἀλλοίωσις δὲ ἡ ϰατὰ τὸ πάθος, φορὰ δε ἡ ϰατὰ τόπον, εἰς ἐναντιώσεις ἂν εἶεν τὰς ϰαθ’ ἕϰα-στον αἱ μεταϐολαὶ, ϰ. τ. λ. Cf. Physique, liv. III, chap. 1: Μεταϐάλλει γάρ τὸ μεταϐάλλον ἀεὶ ἢ ϰατ’ οὐσίαν, ἢ ϰατὰ ποσὸν, ἤ ϰατὰ ποιὸν, ἢ ϰατὰ τόπον. On voit que par changement (μεταϐολή), il faut entendre le passage mutuel des opposés l’un à l’autre, et il ne faut pas le confondre avec l’idée de mouvement, qui, comme le dit Aristote ailleurs, ne s’applique qu’aux catégories de la quantité, de la qualité et du lieu, et non pas à celle de la substance. Voy. Physique, liv. V, à la fin du chap. 1, et au commencement du chap. 2. Cf. le traité de l’Ame, liv. I, chap. 3, § 3, où Aristote parle de quatre espèces de mouvement, qui, au fond, n’en forment que trois, appartenant à trois catégories, savoir: φορά, à la catégorie du lieu, ἀλλοίωσις, à celle de la qualité, φθίσις et αὔξησις à celle de la quantité, Cependant, dans les six espèces de mouvement (ϰινήσεως) énumérées au commencement du chap. 14 des Catégories, Aristote comprend aussi la génération et la corruption (γένεσις ϰαὶ φθορά), qui s’appliquent à la catégorie de la substance. Les quatre autres sont: l’augmentation (αὔξησις), la diminution (μείωσις = φθίσις), la transformation (ἀλλοίωσις) et le changement de lieu (ϰατὰ τόπον μεταϐολή); les deux premières espèces sont relatives à la catégorie de la quantité, la troisième à celle de la qualité, et la quatrième à celle du lieu. On voit que ce passage des Catégories correspond exactement à celui de la Métaphysique, et qu’Aristote y a pris le mot ϰίνησις dans le sens plus étendu de μεταϐολή. Cf. ci-après, note 2.; c’est à ce changement dans le lieu que s’applique en particulier le (terme de) mouvement(1)On a vu dans la note précédente qu’en général les changements dont il est ici question, à l’exception du premier, sont aussi désignés comme mouvements; mais ce n’est que parce qu’au fond tous ces différents changements sont en quelque sorte un mouvement local: πᾶσαι γὰρ αἱ λεχθεῖσαι ϰινήσεις ἐν τόπῳ (Traité de l’Ame, l. c.); ainsi, par exemple, dans la croissance et le décroissement, on peut attribuer aux différentes parties du corps un mouvement local. Cf. ci-après la 14e proposition. — Toutes les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ajoutent ici les mots: ועל שאר השנויים בכלל, et aux autres changements (il s’applique) en général; les mss. de la version n’ont point cette addition. Cf. au commencement du chap. I..", "CINQUIÈME PROPOSITION. — Tout mouvement est un changement et un passage de la puissance à l’acte(2)L’auteur reproduit ici la définition qu’Aristote donne du mouvement. Et ici, le mot mouvement embrasse toutes les espèces de changements dont parle la proposition précédente; aussi bien le changement de la naissance et de la corruption, qui se fait instantanément et pour ainsi dire sans mouvement, que les autres changements, qui se font peu à peu et par un véritable mouvement. Dans ce sens donc, le mouvement est le changement qui peut être désigné, de la manière la plus générale, comme le passage de la puissance à l’acte. Voyez Aristote, Physique, liv. III, chap. 1: Ὥστε ϰινιήσεως ϰαὶ μεταϐολῆς ἐστὶν εἴδη τοσαῦτα ὅσα τοῦ ὄντος. διῃρῆμένου δὲ ϰαθ’ ἔϰαστον γένoç τοῦ μὲν ἐντελεχείᾳ τοῦ δὲ δυνάμε, ἡ τοῦ δυνάμει ὄντς ἐντελέχεια, ᾖ τοιοῦτον, ϰίνησίς ἐστιν, ϰ. τ. λ. Cf. Métaphysique, liv. XI, chap. 9..", "SIXIÈME PROPOSITION. — Les mouvements(3)L’auteur parle ici du mouvement par excellence, c’est-à-dire du mouvement local. sont tantôt essentiels (ou dans la chose en elle-même), tantôt accidentels, tantôt dus à la violence, tantôt partiels, et (dans ce dernier cas) c’est une espèce de (mouvement) accidentel. Essentiels, comme la translation du corps d’un endroit à un autre; accidentels, comme on dirait (par exemple) de la noirceur qui est dans tel corps, qu’elle s’est transportée d’un endroit à un autre; dus à la violence, comme lorsque la pierre se meut vers le haut par quelque chose qui l’y force; partiels, comme le mouvement du clou dans le navire: car lorsque le navire se meut, nous disons aussi que le clou se meut. Et ainsi, toutes les fois qu’une chose composée se meut tout entière, on dit aussi que sa partie se meut(1)Les différentes distinctions que l’auteur fait ici dans le mouvement local sont empruntées à Aristote, et doivent servir à montrer que tous les mouvements particuliers, quels qu’ils soient, ont leur source dans un premier mouvement éternel dont ils dépendent. Ce qui est mû, dit Aristote, l’est ou en soi-même (ϰαθ’ αὑτό) ou accidentellement (ϰατὰ συμϐεϐηϰός). Dans ce qui est mû accidentellement, il distingue des choses qui pourraient aussi être mues en elles-mêmes, comme par exemple les parties du corps animal et le clou dans le navire, et d’autres choses qui sont toujours mues accidentellement, comme la blancheur (dans le corps) et la science (dans l’âme): car celles-ci ne changent de place qu’avec la chose dans laquelle elles se trouvent. Enfin, dans ce qui est mû en soi-même il distingue encore ce qui est mû par soi-même et ce qui l’est par autre chose, ce qui est mû naturellement et ce qui l’est par violence et contre nature (βίᾳ ϰαί παρὰ φὑσιν), Voy. Aristote, Physique, liv. IV, chap. 4 et liv. VIII, chap. 4; cf. le traité de l’Ame, liv. II, chap. 3 (§§ 2 et 3), et le traité du Ciel, liv. III, chap. 2..", "SEPTIÈME PROPOSITION. — Tout ce qui subit le changement est divisible(2)Voy. Aristote, Physique, liv. VI, au commencement du chap. 4: Τò δὲ μεταϐάλλον ἅπαν ἀνάγϰη διαιρετὸν εἶναι. La démonstration donnée par Aristote peut se résumer ainsi: Tout ce qui subit un changement passe d’un état de choses à un autre; il ne peut pas être un seul instant dans aucun des deux états, car alors il ne changerait pas; mais il ne peut pas non plus être dans l’un des deux états, car alors ou il ne changerait pas encore, ou il serait déjà changé. Il faut donc nécessairement qu’il soit en partie dans l’un et en partie dans l’autre, et par conséquent il est divisible.; c’est pourquoi tout ce qui est mû est divisible et est nécessairement un corps(1)La cinquième proposition établit que tout mouvement est un changement; par conséquent, tout ce qui est mû subit le changement et est nécessairement divisible. Aristote, qui avait déjà établi la divisibilité de l’étendue, du temps et du mouvement (cf. le tome I de cet ouvrage, p. 380, note 2), montre, au chap. cité dans la note précédente, que la divisibilité doit s’appliquer aussi à ce qui est mû: Ἐπεὶ δὲ πᾶν τὸ ϰινούμενον ἔν τινι ϰινεῖται ϰαὶ χρόνον τινά, ϰαὶ παντός ἐστι ϰὶνησις, ἀνάγϰη τὰς αὐτὰς εἰναὶ διαιρέσεις τοῦ τε χρόνου ϰαὶ τῆς ϰινήσεως, ϰαὶ τοῦ ϰινεῖσθαι, ϰαὶ τοῦ ϰινουμένου, ϰαὶ ἐν ᾧ ἡ ϰίνησις, ϰ. τ. λ. Cf., liv.VIII, chap. 5 (éd. Bekker, pag. 257 a, lig. 33): Ἀναγϰαῖον δὴ τὸ ϰινούμενον ἄπαν εἶναι διαιρετὸν εἰς ἀεὶ διαιρετά, ϰ. τ. λ.. Tout ce qui n’est pas divisible n’est point mû(2)Comme, par exemple, le point géométrique et l’intelligence, qui n’ont point de mouvement essentiel, mais seulement un mouvement accidentel. Cette thèse, que l’auteur ajoute ici comme corollaire, est une conséquence nécessaire de ce qui précède. Cependant Aristote est entré dans quelques détails pour démontrer que l’indivisible est immobile en lui-même, et n’a qu’un mouvement accidentel, et il fait observer notamment que si l’on admettait le mouvement du point, on arriverait par là à établir que la ligne est composée de points et le temps de petits instants ou de moments présents (ὲϰ τῶν νῦν), ce qui est faux. Voy. Physique, liv.VI, chap. 10, au commencement: Λέγομεν ὅτι τὸ ἀμερὲς οὐϰ ἐνδέ-χεται ϰινεῖσθαι πλὴν ϰατὰ συμϐεϐηϰός, ϰ. τ. λ. Et plus loin: ῶστ’ οὐϰ ἐνδε-χεται τὸ ἀμερὲς ϰινεῖσθάι οὐδ’ ὅλως μεταϐάλλειν, ϰ. τ. λ., et, par conséquent, ne peut nullement être un corps.", "HUITIÈME PROPOSITION. — Tout ce qui est mû accidentellement sera nécessairement en repos, son mouvement n’étant pas dans son essence; c’est pourquoi il est impossible qu’il accomplisse perpétuellement ce mouvement accidentel(3)Cette proposition, énoncée d’une manière trop concise, a été trouvée obscure, et, prise dans un sens absolu, elle a rencontré des objections (voir le commentaire de Moïse de Narbonne). Voici comment elle doit être entendue: Toute chose qui n’a pas en elle-même le principe de son mouvement, mais à laquelle un mouvement accidentel est imprimé par une cause extérieure qui peut cesser d’exister, sera nécessairement en repos quand cette cause cessera, comme par. exemple le passager d’un navire, qui n’est mû que parce qu’il est accidentellement dans une chose en mouvement, qui peut cesser de se mouvoir (Cf. Aristote, de l’Ame, liv. I, chap. 3, § 2). Ce qui prouve que Maïmonide entend ainsi cette proposition, c’est que plus loin, au commencement du chap. I, en démontrant que le premier moteur ne saurait être considéré comme l’âme de la sphère céleste, il applique cette VIIIe proposition à l’âme humaine, qui est mue accidentellement avec le corps par une cause extérieure, soit en cherchant ce qui lui est convenable, soit en fuyant ce qui lui est contraire. C’est donc à tort que le commentateur arabe Al-Tebrîzi objecte à cette proposition de Maïmonide qu’il y a certains mouvements qui, quoique accidentels, n’en sont pas moins perpétuels, comme, par exemple, le mouvement diurne de l’orient à l’occident, imprimé par la neuvième sphère aux huit sphères inférieures, et qui est contraire à leur mouvement propre et essentiel de l’occident à l’orient; ou comme le mouvement circulaire de la sphère du feu et des autres éléments, dont le mouvement essentiel est en ligne droite (cf. le t. I de cet ouvrage, p. 357-359). Il est évident que ces mouvements accidentels, ayant pour cause un mouvement essentiel et perpétuel, doivent être eux-mêmes perpétuels. La proposition dont il s’agit ici paraît se rattacher à un passage du traité du Ciel ( liv. I, fin du chap. 2), où Aristote établit qu’au-dessus des quatre éléments qui, par leur nature, ont un mouvement en ligne droite, il y a une substance simple d’une autre nature qui a le mouvement circulaire. Or, fait-il observer, ce mouvement doit être inhérent à la nature de cette substance; car il serait étonnant et tout à fait irraisonnable que ce mouvement, qui seul est continuel et éternel, pût être contre nature, puisqu’en général ce qui est contre nature est promptement détruit: Eἰ δὲ παρὰ φύσιν φέρεται τά φερόμενα ϰύϰλῳ τὴν περὶξ φοράν, θαυμαστὸν ϰαὶ παντελῶς ἀλογον τὸ μόνην εἶναι συνεχῆ τάυτην τὴν ϰὶνησιν ϰαι ἀίδιον, οὖσαν παρὰ, φύσιν · φαίνεται γὰρ ἔν γε τοῖς ἀλλοις τάχιστα φθειρόμενα τὰ παρὰ φύσιν. La version arabe qui rendait les mots contre nature (παρὰ φύσιν) par accidentel, explique mieux les termes de la proposition de Maïmonide. Voici comment le passage que nous venons de citer a été paraphrasé dans le commentaire moyen d’Ibn-Roschd, de Cœlo et Mundo, liv. I, summa IV, demonstrat. 5 (vers, hébr.): והוא שזאת התנועה הסבובית שהיא סביב האמצע לא המלט משתהיה לזה הגשם טבעית או מקרית ושקר הוא שתהיה מקרית בי התנועה המקרית אי אפשר שתמצא תמידית אין תכלית לה ושהצעת זה יוצאה מכל הקש כי אנחנו רואים הדברים המקריים כלים אובדים..", "NEUVIÈME PROPOSITION. — Tout corps qui en meut un autre ne se meut qu’en étant mû lui-même au moment où il meut(1)Cette proposition a été longuement développée par Aristote, qui, pour établir l’existence d’un premier moteur non mû, montre que ce qui meut, si ce n’est pas le premier moteur lui-même, ne peut être qu’une cause intermédiaire de mouvement, qui est nécessairement mue elle-même par une autre cause. Il s’ensuit naturellement que le corps physique ne peut communiquer le mouvement à un autre corps qu’en étant mû lui-même. Voy. Phys., liv. VIII, chap. 5; Cf. Métaph., liv. XII, chap. 6..", "DIXIÈME PROPOSITION. — Tout ce dont on dit qu’il est dans un corps est de l’une de ces deux classes(2)Littéralement: se divise en deux parties.: c’est ou bien quelque chose qui subsiste par le corps, comme les accidents, ou bien quelque chose par quoi le corps subsiste, comme la forme physique(3)C’est-à-dire, la forme qui constitue le genre ou l’espèce, et qui fait qu’une chose est ce qu’elle est. Cf. t. I, p. 398, et Ibid., note 1.; dans les deux cas, c’est une force (qui est) dans un corps(4)C’est-à-dire: ce qu’on appelle une force dans un corps peut être ou bien un accident, comme par exemple la chaleur et la froideur dans les corps qui, par leur nature, ne sont ni chauds ni froids, ou bien une forme physique, comme p. ex. la chaleur ou la nature ignée du feu, ou la froideur de la glace. Le mot (puissance), que les philosophes arabes emploient dans les divers sens qu’Aristote attribue au mot δύναμɩς, doit être pris ici non pas dans le sens de possibilité ou faculté d’être opposé à l’acte (ἐνέργεɩα), mais dans son sens primitif et absolu qu’Aristote définit comme «le principe duquel émane le mouvement ou le changement produit dans une autre chose en tant qu’autre chose» (Métaph., liv. V, chap. 12, commencem. et fin), ou en d’autres termes dans le sens de force ou de faculté agissante. Cette force peut se trouver en dehors du corps sur lequel elle agit, ou dans ce corps même; et dans ce dernier cas, c’est une force dans un corps..", "ONZIÈME(1)Les mss. portent ici et dans les propositions suivantes עשר; nous avons écrit plus correctement עשרה̈. PROPOSITION. — Certaines choses qui subsistent par le corps se divisent par la division du corps, et sont, par conséquent, accidentellement divisibles, comme, par exemple, les couleurs et en général les forces répandues dans tout le corps. De même, certaines choses qui constituent l’être du corps ne se divisent en aucune manière, comme l’âme et l’intelligence(2)Voici le sens plus précis de cette proposition: parmi les accidents ou les qualités qui ne subsistent que dans le corps, il y en a qui se divisent avec le corps, comme p. ex. la chaleur d’un corps chaud ou la couleur inhérente à un corps; car chaque parcelle du corps conserve la même chaleur et la même couleur. D’autres ne suivent pas la division du corps, comme p. ex. la figure, qui ne reste pas toujours la même quand le corps est divisé. D’autre part, même parmi les choses qui constituent ou achèvent l’être du corps, il y en a qui ne sauraient se diviser en aucune façon, ni en réalité ni même dans la pensée, et telles sont notamment l’âme rationnelle et l’intelligence; d’autres, comme certaines formes physiques, se divisent avec le corps auquel elles appartiennent. — Par l’âme et l’intelligence, l’auteur entend non-seulement l’âme rationnelle de l’homme et l’intellect hylique, mais aussi les âmes des sphères célestes et l’intelligence par laquelle elles conçoivent le but particulier de leur mouvement: car on verra plus loin (chap. IV) que l’auteur, d’après la théorie d’Ibn-Sinâ, attribue aux sphères célestes non-seulement une âme, mais aussi une pensée qui leur est inhérente, et qu’il ne faut pas confondre avec les intelligences séparées objet du désir de leurs sphères respectives, et qui en détermine le mouvement..", "DOUZIÈME PROPOSITION. — Toute force qui se trouve répandue dans un corps est finie, parce que le corps (lui-même) est fini(3)Aristote, après avoir établi que le premier moteur n’est point mû, veut montrer qu’il n’a ni parties ni étendue. Partant de cette proposition déjà démontrée qu’il n’y a pas d’étendue ou de grandeur infinie, il montre que le premier moteur ne saurait être une grandeur finie, car le mouvement qui émane de lui étant infini, il s’ensuivrait que dans une grandeur finie il peut y avoir une force infinie; or, cela est impossible, car la force infinie devrait produire son effet dans un temps moindre que celui qu’il faudrait à toute force finie pour produire le même effet, c’est-à-dire la force infinie produirait son effet dans un rien de temps ou instantanément, ce qui est inadmissible, car toute transformation se fait dans un certain temps. Dira-t-on que la force infinie aussi produira son effet dans un certain temps? Mais alors on pourra trouver une force finie qui produira dans le même temps le même effet, et il s’ensuivrait que cette force finie serait égale à une force infinie, ce qui est impossible. Telle est en substance la démonstration par laquelle Aristote établit que dans une grandeur finie il ne saurait y avoir une force infinie. Voy. Physique, liv. VIII, ch. 10 (édit. Bekker, p. 266 a): ὅτι δ’ὅλως οὐϰ ἐνδέχεται ἐν πεπε-ρασμένῳ μεγέθει ἄπειρον εἶναι δύναμιν, ἐϰ τῶνδε δῆλον. ϰ. τ. λ..", "TREIZIÈME PROPOSITION. — Rien dans les différentes espèces de changement(1)Voy. ci-dessus la IVe proposition. ne peut être continu, si ce n’est le mouvement de translation(2)Les trois premières espèces de changements énumérées plus haut (propos. IV) indiquent toutes le passage d’un état à un autre état opposé; or, les deux états opposés sont nécessairement séparés l’un de l’autre par un intervalle de temps, et par conséquent le changement n’est point continu. Rien de semblable n’a lieu dans la quatrième espèce de changement,ou dans le mouvement local, qui seul peut être continu. Voy. Arist., Phys., liv. VIII, ch. 7 (p. 261 a): ὅτι μὲν οὖν τῶν ἄλλων ϰινή-σεων οὐδεμίαν ἐνδέχεται συνεχῆ εἷναι, ἐϰ τῶνδε φανερόν. Ἅπασαι γὰρ ἐξ ἀντι-ϰειμένων εὶς ἀντιϰείμενά εἰσιν αἱ ϰινήσεις ϰαὶ μεταϐολαὶ, ϰ. τ. λ. Cf. ibid., liv. V, chap. 4 (p. 228 a, b.): Κεῖται γὰρ τὸ συνεχές, ὧν τὰ ἔσχατα ἕν... πολλαὶ οὖν ϰαὶ οὐ μία ἡ ϰίνησις, ὧν ἐστίν ὴρεμία μεταξύ., et dans celui-ci le (seul mouvement) circulaire(3)Dans le mouvement local lui-même, il n’y a que le mouvement circulaire qui soit réellement continu; car le mouvement en ligne droite, ne pouvant pas se continuer à l’infini, aura nécessairement un point d’arrêt d’où il se tournera, pour prendre une autre direction, ou pour revenir dans la direction opposée. Voy. ibid., liv. VIII, chap. 8, au commencement: Ὅτι δ’ἐνδἑχεται εἶναί τινα ἄπειρον, μίαν οὖσαν ϰαὶ συνεχῆ, ϰαὶ αὔτη ἐστίν ἡ ϰύϰλῳ, λέγωμεν νῦν... ὅτι δὲ τὸ φερόμενον τήν εὐθεῖαν ϰαὶ πεπερασμένην οὐ φέρεται συνεχῶς, δῆλον. ’Α’ναϰάμπτει γάρ, τὸ δ’ ἀναϰάμπτον τὴν εὐθεῖαν τὰς ἐναντίας ϰινεῖται ϰινήσεις. Voyez aussi Métaphys., 1. XII, chap. 6, où notre proposition est énoncée en ces termes: Κίνησις δ’οὐϰ ἔστι συνεχής ἄλλ’ ἢ ἡ ϰατὰ τόπον, ϰαὶ ταύτης ἡ ϰύϰλῳ..", "QUATORZIÈME PROPOSITION. — Le mouvement de translation est antérieur à tous les mouvements et en est le premier(1)Les mss. portent ואולהא au masculin, au lieu de ואולאהא. selon la nature; car (même) la naissance et la corruption sont précédées d’une transformation; et la transformation (à son tour) est précédée d’un rapprochement entre ce qui transforme et ce qui doit être transformé; enfin, il n’y a ni croissance, ni décroissement, sans qu’il y ait d’abord naissance et corruption(2)Dans cette proposition, l’auteur établit que le mouvement local (bien entendu celui qui, dans la proposition précédente, a été désigné comme le seul qui soit continu) est antérieur selon la nature à tous les autres mouvements et changements; et par antérieur selon la nature il faut entendre, conformément à la définition d’Aristote (Métaph., liv. V, chap. 11), ce qui peut être sans que d’autres choses soient, mais sans quoi d’autres choses ne peuvent pas être. Les termes de cette proposition sont puisés dans la Physique d’Aristote, liv. VIII, chap. 7 (Cf. liv. VII, chap. 2), quoique l’auteur, ce me semble, ne suive pas strictement le raisonnement du Stagirite. On a vu plus haut, p. 6, note 2, que selon Aristote, l’idée du mouvement s’applique aux catégories de la quantité, de la qualité et du lieu. Or, dit-il, de ces trois espèces de mouvement, celle du lieu est nécessairement la première: car il est impossible qu’il y ait croissance sans qu’il y ait eu d’abord transformation. La transformation est le changement en ce qui est opposé; mais lorsqu’il y a transformation, il faut qu’il y ait quelque chose qui transforme et qui fasse, par exemple, que ce qui est chaud en puissance devienne chaud en acte. Or il est évident que le mobile de cette transformation est tantôt plus près tantôt plus loin de la chose à transformer, et que la transformation ne saurait se faire sans mouvement local; celui-ci, par conséquent, est le premier d’entre les mouvements. Plus loin, Aristote établit par d’autres preuves que le mouvement local, bien qu’il soit le dernier qui se développe dans les êtres individuels de ce monde, est le premier dans l’univers et précède même la naissance (γένεσις) de toutes choses, laquelle est suivie de la transformation et de la croissance (μετὰ γὰρ τὸ γενέσθαι πρῶτον ἀλλοίωσις ϰαὶ αὔξησɩς; Phys., VIII, 7, pag. 260 b, lig. 32). On pourrait s’étonner d’abord que Maïmonide place la transformation avant la naissance et la corruption; mais il paraît que notre auteur considère la transformation à un point de vue plus général, c’est-à-dire non-seulement par rapport à la catégorie de la qualité, comme dans la IVe proposition, mais aussi par rapport à la naissance, qui est elle-même en quelque sorte une transformation de la matière par la forme, transformation qui s’opère par un agent plus ou moins éloigné, qui a besoin de se rapprocher de la matière à transformer. C’est aussi dans ce sens qu’Ibn-Roschd explique le passage de la Physique. Voy. les OEuvres d’Aristote avec les Commentaires d’Averroës, édit. in-fol., t. IV, fol. 180 c: «Deinde dicit: Et manifestum est quod dispositio motoris tunc non currit eodem modo, sed forte quandoque erit propinquior alterato et quandoque remotior, etc. Id est, et quia primum alterans, quod non alteratur, non alterat semper, sed quandoque, necesse est ut non habeat se cum alterato in eadem dispositione, sed quandoque appropinquetur ei, et alteret, et quandoque removeatur, et non alteret: et propinquitas, et distantia non est, nisi per translationem: ergo translatio præcedit naturaliter alterationem, scilicet quod, cum utraque fuerit in actu: deinde alterans alteravit, postquam non alterabat: necesse est ut alterum moveatur in loco aut alterans, aut alteratum, aut utrumque. Si autem alterum fuerit generatum, aut utrumque, et posuerimus hoc esse causam ejus, quod quandoque alterat, et quandoque non, manifestabitur quod translatio debet prœcedere eodem modo, cum alteratio etiam prœcedat generationem; generatio enim aut est alteratio aut sequitur alterationem.", "QUINZIÈME PROPOSITION. — Le temps est un accident qui accompagne le mouvement et qui lui est inhérent(1)Il est, comme s’exprime Aristote, quelque chose du mouvement (τῆς ϰινήσεώς τι). Voy. sur cette proposition le t. I de cet ouvrage, p. 199, n. 1, et p. 380, n. 2., et aucun des deux n’existe sans l’autre; un mouvement n’existe que dans un temps, et on ne saurait penser le temps qu’avec le mouvement. Par conséquent, tout ce pour quoi il n’existe pas de mouvement(2)C’est-à-dire, tout ce qui n’est pas mû, mais qui est lui-même la cause du mouvement, ou en d’autres termes tout ce qui est en dehors de la sphère céleste, comme Dieu et les intelligences séparées. Voy. Arist., Traité du Ciel, liv. I, chap. 9: Ἄμα δὲ δῆλον ὅτι οὐδὲ τόπος οὐδὲ ϰενὸν οὐδὲ χρόνος ἐστὶν ἔξω τοῦ οὐρανοῦ..... ϰίνησις δ’ ἄνευ φυσιϰοῦ σώματος οὐϰ ἔστιν · ἔξω δὲ τοῦ οὐρανοῦ δέδειϰται ὅτι οὔτ’ ἔστιν οὔτ’ ἐνδέχεται γενέσθαι σῶμα, ϰ. τ. λ. Cf. Phys., liv. IV, chap. 12: Ὤστε φανερὸν ὅτι τὰ ἀεὶ ὄντα ῇ ἀεὶ ὄντα, οὐϰ ἔστίν ἐν χρόνῳ, ϰ. τ. λ. ne tombe pas sous le temps.", "SEIZIÈME PROPOSITION. — Tout ce qui est incorporel n’admet point l’idée de nombre(1)Littéralement: Dans tout ce qui n’est pas un corps on ne saurait penser la numération… Cf. Arist. Métaph., liv. XII, chap. 8: Α’λλ’ ὄσϰ, ἀρι-θμῷ πολλά, ὕλην ἔχει, ϰ. τ. λ.; à moins que ce ne soit une force dans un corps, de sorte qu’on puisse nombrer les forces individuelles en nombrant leurs matières ou leurs sujets(2)C’est-à dire, les différentes matières ou les sujets dans lesquels elles se trouvent.. C’est pourquoi les choses séparées, qui ne sont ni un corps, ni une force dans un corps, n’admettent aucunement l’idée de nombre, si ce n’est (dans ce sens) qu’elles sont des causes et des effets (les unes des autres)(3)Voy. le t. I de cet ouvrage, p. 434, et ibid., notes 2, 3 et 4, et ci-après, un commencement du chap. 1, pag. 31, note 2..", "DIX-SEPTIÈME PROPOSITION. — Tout ce qui se meut a nécessairement un moteur(4)Voy. Arist., Phys., liv. VII, chap. 1: Ἅπαν τὸ ϰινούμενον ἀνάγϰη ὑπό τινος ϰινεῖσθαɩ. Aristote démontre cette proposition en argumentant surtout de la divisibilité infinie de ce qui est mû (Voy. la VIIIe propos.), qui ne permet pas de s’arrêter à une partie quelconque de la chose mue pour y voir le principe moteur de l’ensemble; d’où il s’ensuit que ce moteur est nécessairement autre chose que l’ensemble de la chose mue. Cf. liv. VIII, chap. 6, vers la fin.. Ou bien il a un moteur en dehors de lui, comme la pierre que meut la main; ou bien il a son moteur dans lui-même, comme le corps de l’animal(5)Voyez Arist., Phys. liv. VIII, chap. 4. Après avoir distingué ce qui est mû accidentellement avec autre chose de ce qui est mû en lui-même (ϰαθ’ αὑτό), Aristote ajoute: Τῶν δὲ ϰαθ’ αὑτά τὰ μὲν ὑφ’ ἑαυτοῦ τὰ δ’ ὑπ’ ἄλλου... ϰινεῖται γὰρ τὸ ζῷον αὐτὸ ὑφ’αὑτοῦ, ϰ τ. λ.. Ce dernier est composé d’un moteur et d’un chose mue; c’est pourquoi, lorsque l’animal meurt, et qu’il est privé du moteur, qui est l’âme, la chose mue, qui est le corps(6)Au lieu de אלגׄסד, qui désigne mieux le corps inanimé, quelques mss. ont אלגׄסם., tout en restant telle qu’elle était, cesse aussitôt d’avoir ce mouvement(7)C’est-à-dire, le mouvement local qui lui venait de l’âme.. Mais, comme le moteur qui existe dans la chose mue est occulte et ne se manifeste pas pour les sens, on s’est imaginé que l’animal se meut sans moteur. Toute chose mue, qui a son moteur en elle même, est dite se mouvoir d’elle-même(1)Les mots arabes , du côté ou de la part de lui-méme, correspondent aux mots grecs ὑφ’ ἑαυτοῦ.; ce qui veut dire que la force qui meut essentiellement ce qui en est mû se trouve dans son ensemble(2)En d’autres termes: que la force motrice qui lui est inhérente, et par laquelle une partie quelconque du corps mû reçoit un mouvement essentiel et non pas accidentel (comme par exemple le mouvement que recevrait la main par une impulsion extérieure), réside dans l’ensemble de ce corps..", "DIX HUITIÈME PROPOSITION. — Toutes les fois que quelque chose passe de la puissance à l’acte, ce qui l’y fait passer est autre chose que lui, et nécessairement est en dehors de lui(3)Cette proposition résulte de la combinaison des propositions V et XVII. Le mouvement ayant été défini comme le passage de la puissance à l’acte (voy. Phys., III, 1 et 2; Métaph., XI, 9), et tout mouvement supposant un moteur qui est autre que la chose mue, il s’ensuit que toute chose en puissance a besoin d’une impulsion extérieure pour passer à l’acte. La puissance est une faculté d’agir ou une faculté de recevoir l’action (cf. Métaph., IX, 1); dans les deux cas, la puissance ne passe à l’acte que par quelque chose qui lui vient du dehors. Ainsi par exemple l’artiste, qui a la faculté de produire une œuvre d’art, a besoin d’une matière extérieure pour réaliser cette faculté, et de même, le bronze, qui a la faculté de devenir une statue, a besoin, pour que cette faculté se réalise, du travail de l’artiste.: car, si ce qui fait passer (à l’acte) était dans lui, et qu’il n’y eût là aucun empêchement, il ne resterait pas un instant en puissance, mais serait toujours en acte(4)Ainsi, par exemple, ce qui est d’une légèreté absolue, comme le feu, ou d’une pesanteur absolue, comme la terre, a non-seulement la faculté de se mouvoir l’un vers le haut, l’autre vers le bas, mais cette faculté ou puissance est toujours en acte, à moins qu’il n’existe un obstacle qui empêche le mouvement naturel et produise un mouvement contraire.. Que si, cependant, ce qui fait passer une chose (à l’acte) était dans elle, mais qu’il y eût existé un empêchement qui eût été enlevé, il n’y a pas de doute que ce qui a fait cesser l’empêchement ne soit ce qui a fait passer cette puissance à l’acte(1)Si, par exemple, quelqu’un retire une colonne qui soutient une chose pesante, de manière que cette chose tombe, on peut dire en quel-que sorte que c’est lui qui a fait tomber la chose en enlevant l’obstacle qui empêchait la pesanteur de suivre sa loi naturelle. Voyez Arist., Phys., liv. VIII, fin du chap. 4. Cf. Maïmonide, IIIe partie de cet ouvrage, chap. 10.. Tâche de bien comprendre cela(2)Littéralement: et comprends cela. Les commentateurs font observer que l’auteur ajoute ici ces mots à cause de la grande portée de cette proposition, qui semble renverser le dogme de la création: car Dieu étant l’énergie absolue toujours en acte, et rien ne pouvant mettre obstacle à son action, il n’a pu, à un moment donné, créer le monde, ou passer de la puissance à l’acte. Voyez sur cette question, le chap. XVIII de cette IIe partie..", "DIX-NEUVIÈME PROPOSITION. — Toute chose dont l’existence a une cause est, par rapport à sa propre essence, d’une existence possible(3)Cette proposition et les deux suivantes sont empruntées à Ibn-Sinâ, qui le premier a fait, dans l’idée d’étre nécessaire (opposé au possible absolu, qui naît et périt), cette distinction entre ce qui est nécessaire en lui-même ou le nécessaire absolu, et ce qui est nécessaire par autre chose, étant par sa propre essence dans la catégorie du possible. De la deuxième espèce sont, selon Ibn-Sinâ, les sphères célestes, dans lesquelles on distingue la puissance et l’acte, la matière et la forme, et qui ne tiennent la qualité d’êtres nécessaires que de leur rapport avec la cause première, ou Dieu. Ibn-Sinâ s’écarte, sous ce rapport, d’Aristote, qui étend expressément l’idée d’être nécessaire à ce qui est mû éternellement, ou aux sphères célestes, lesquelles, dit-il, ne sont point en puissance et n’ont pas de matière proprement dite, c’est-à-dire de matière sujette à la naissance et à la destruction. Voy. Métaph., l. IX, chap. 8: Oὐθέν ἂρα τῶν ἀφθάρτων ἁπλῶς δυνάμει ἐστὶν ὄν ἁπλῶς οὐδὲ τῶν ἐξ ἀνὰγϰης ὄντων, ϰαί τοι ταῦτα πρῶτα.... διὸ ἀεὶ ἐνεργεῖ ἥλιος ϰαὶ ἄστρα ϰαὶ ὅλος ὁ οὐρανὸς, ϰ. τ. λ. Cf. Traité du Ciel, I, 2. Ibn-Roschd a combattu la théorie d’Ibn-Sinâ dans plusieurs endroits de ses ouvrages. Cf. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 358-359.: car, si ses causes sont présentes, elle existera(4)Ibn-Sinâ donne pour exemple le nombre quatre, qui n’existe qu’en vertu du nombre deux pris deux fois, et qui, par conséquent, cesse d’exister dès que le nombre deux, qui est sa cause, n’existe plus. Voy. Schahrestâni, p. 373 (tr. all., t. II, pag. 250), et Al Nadjâh, Métaph., au commencement du livre II, p. 62.; mais, si elles n’ont jamais été présentes, ou si elles ont disparu, ou enfin, si le rapport(1)C’est-à-dire, le rapport entre la cause et l’effet, ou la condition nécessaire sous laquelle seule telle cause produit tel effet. «Toute chose, dit Ibn-Sinâ (l. c.), dont l’existence est nécessaire par autre chose est en elle-même d’une existence possible: car la nécessité de son existence dépend d’un certain rapport , où l’on considère autre chose que l’essence même de la chose en question.» Ainsi, par exemple, le soleil ne devient la cause du jour pour une partie de la terre que lorsqu’il se trouve dans une certaine position vis-à-vis de cette partie. qui rendait nécessaire l’existence de la chose est changé, elle n’existera pas.", "VINGTIÈME PROPOSITION. — Tout ce qui est d’une existence nécessaire, par rapport à sa propre essence, ne tient son existence, en aucune façon, d’une cause quelconque(2)C’est-à-dire: il n’a ni une cause extérieure, ni même une cause intérieure, qui supposerait une composition. Voy. la propos, suiv..", "VINGT ET UNIÈME PROPOSITION. — Tout ce qui est un composé de deux idées différentes a nécessairement, dans cette composition même, la cause (immédiate) de son existence telle qu’elle est, et, par conséquent, n’est pas d’une existence nécessaire en lui-même: car il existe par l’existence de ses deux parties et de leur composition(3)Il est évident, et l’auteur y insiste très souvent (Voy., dans le t. I, les chapitres sur les attributs, et ci-après, ch. I), que l’être absolu et nécessaire ne saurait être composé de deux choses différentes, et que la pensée ne saurait même pas y distinguer deux idées différentes, ou deux choses intelligibles. Par conséquent, toute existence qui se présente, dans notre pensée, comme un composé de deux idées, comme par exemple matière et forme, ne saurait être, telle qu’elle se présente, nécessaire en elle-même, puisqu’elle est, tout au moins pour la pensée, le résultat d’une composition: car, comme le fait observer Ibn-Sinâ, il est impossible d’admettre que le tout soit, par son essence, antérieur aux parties, mais il est ou postérieur, ou ensemble avec elles. Voy. Al-Nadjâh, l. c., p. 63, ligne 9..", "VINGT-DEUXIÈME PROPOSITION. — Tout corps est nécessairement composé de deux idées différentes et est nécessairement affecté d’accidents. Les deux idées qui en constituent l’être sont sa matière et sa forme(1)Les idées de puissance et d’acte, de matière et de forme, sont si familières aux péripatéticiens, que la proposition dont il s’agit ici n’a pas besoin d’explication. Il faut faire remarquer seulement que l’auteur entend ici par corps, non-seulement ce qui est soumis à la naissance et à la corruption, mais aussi les corps célestes; ceux-ci, selon Aristote, tout en n’ayant pas de matière susceptible de génération, en ont une qui sert de substratum au mouvement de translation. Voy. Arist., Métaph., IX, 8, à la fin et XII, 2, et Cf. Mélanges de philosophie juive et arabe, pag. 4, note 1, et p. 18, note 1. Maïmonide a adopté l’opinion d’Ibn-Sinâ, qui a prétendu donner, de l’existence de la matière et de la forme dans les corps, une démonstration générale, s’appliquant à tous les corps, y compris les corps célestes. Cf. Schahrestàni, pag. 366 (tr. all., II, p. 239-240). Cette opinion, par laquelle on pourrait être amené à attribuer aussi aux corps célestes un être en puissance (ce qui serait contraire aux théories d’Aristote), a été combattue par Ibn-Roschd; celui-ci considère les corps célestes comme des corps simples qui trouvent leur forme ou leur entéléchie dans les intelligences séparées. Cf. Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, sur cette proposition (pag. 71-72).; les accidents qui l’affectent sont la quantité, la figure et la situation(2)Ces trois accidents sont inhérents à chaque corps: on ne saurait se figurer un corps sans quantité, et il a nécessairement des limites qui constituent la figure; enfin ses parties sont dans une certaine situation les unes à l’égard des autres, et le corps tout entier est dans une certaine situation à l’égard de ce qui est en dehors de lui..", "VINGT-TROISIÈME PROPOSITION. — Tout ce qui est en puissance, de manière à avoir dans son essence même une certaine possibilité, peut, à un certain moment, ne pas exister en acte(3)Il y a une nuance entre la puissance et la possibilité; la première peut n’exister que dans notre pensée, la seconde est dans les choses mêmes. Ainsi, nous distinguons souvent la puissance et l’acte d’une manière purement idéale, lors même qu’en réalité les deux idées sont inséparables l’une de l’autre; la matière première, par exemple, est une puissance, mais cette puissance n’existe séparément que dans la pensée, car la matière première est inséparable de la forme. La possibilité, au contraire, est dans l’objet même, et désigne ce qui peut être ou ne pas être; ainsi, par exemple, le bronze peut être ou ne pas être une statue, et la statue peut cesser d’être ce qu’elle est en perdant sa forme. Ainsi donc, l’auteur qui veut caractériser, dans cette proposition, ce qui, à un certain moment, peut ne pas exister en acte, doit ajouter à la puissance la condition de possibilité dans l’essence même de la chose, voulant dire que tout ce qui est en puissance, non pas seulement dans notre pensée, mais parce que la chose même renferme l’idée du possible, peut être pensé aussi ne pas exister en acte à un certain moment. En somme, cette proposition revient à ce qu’a dit Aristote, à savoir que tout ce qui est possible peut ne pas être en acte, et que par conséquent il peut être et ne pas être. Voyez Métaphysique, liv. IX, chap. 8 (édit. de Brandis, p. 187-188): Ἕστι δ’οὐθὲν δυνάμει ἀΐδιον..... Tὸ δυνατὸν δὲ πᾶν ἐνδέχεται<br/>μὴ ἐνεργῖν· τὸ ἄρα δυνατὸν εἶναι ἐνδέχεται εἶναι ϰαὶ μὴ εἶναι. Une explication que l’auteur a donnée lui-même sur cette XXIIIe proposition est citée dans le Moré ha-Moré (pag. 72, lig. 9-18): ופירש בו מורנו ז״ל כי הדבר בהיות תאר מהתארים וכו׳. Cette explication est tirée de la lettre adressée par Maïmonide à R. Samuel ibn-Tibbon, et dont nous avons parlé dans d’autres endroits (cf. t. I, pag. 23, note 1). — On verra au chap. I (à la quatrième spéculation) l’application que l’auteur fait de cette proposition, pour démontrer la nécessité de remontera un premier moteur, dans lequel il n’y ait absolument aucune idée de possibilité..", "VINGT-QUATRIÈME PROPOSITION. — Tout ce qui est une chose quelconque(1)Les mots שי מא sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par les mots דבר אחד, qu’il faut se garder de rendre ici par une seule chose, et qui ont le sens de quelque chose ou une chose quelconque. Ces deux mots, omis dans presque toutes les éditions, se trouvent dans l’édition princeps. Ibn-Falaquéra les a remplacés avec raison par דבר מה, et Al-’Harizi par שום דבר. en puissance a nécessairement une matière: car la possibilité est toujours dans la matière(2)Cette proposition, qui forme un des points principaux du péripatétisme, n’a pas besoin d’explication. La puissance est le principe de la contingence ou la faculté de devenir quelque chose, et cette faculté est nécessairement dans un substratum, qui est la matière. Tout ce qui est sujet à un changement quelconque a une matière (πὰντα δ’ ὕλην ἔχει ὅσα μεταϐάλλει, Métaph., XII, 2). On a déjà vu qu’Aristote attribue aussi aux sphères célestes une certaine matière comme substratum du mouvement de translation. Cf. ci-dessus, p. 20, n. 1..", "VINGT-CINQUIÈME PROPOSITION. — Les principes de la substance composée et individuelle sont la matière et la forme(1)Voy. Phys., liv. I, chap. 7., et il faut nécessairement un agent, c’est-à-dire un moteur, qui ait mû le substratum afin de le disposer à recevoir la forme(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent הצורה ההיא; il faut effacer le mot ההיא, qui n’est pas dans les mss.; et c’est ici le moteur prochain, qui dispose une matière individuelle quelconque(3)C’est-à-dire, qui dispose une matière particulière à recevoir telle forme particulière, comme par exemple l’artiste, qui donne au bronze la forme d’une statue.. ", "C’est là nécessairement le point de départ pour la recherche sur le mouvement, le moteur et ce qui est mû. Toutes les explications nécessaires ont été données sur ce sujet(4)Littéralement: Et déjà a été exposé à l’égard de tout cela ce qu’il est nécessaire d’exposer. L’auteur veut parler des explications développées, données par Aristote dans la Physique et dans la Métaphysique. et Aristote dit expressément: «La matière ne se meut pas elle-même(5)Voyez Métaph., liv. XII, chap. 6: Πῶς γάρ ϰινηθήσεται, εἰ μηθὲν ἔσται ἔνεργείᾳ σἴτιον; Οὐ γὰρ ἤ γε ὕλη ϰινήσει αὐτῆ ἑαυτήν, ὰλλ’ὰ τεϰτονιϰή, ϰ. τ. λ.. Cf. ibid., liv. I, chap. 3: Οὐ γάρ δὴ τό γε ὐποϰείμενον αὐτὸ ποιεῖ μεταϐάλλειν ἑαυτό..» C’est ici la proposition importante qui conduit à la recherche sur l’existence du premier moteur.", "De ces vingt-cinq propositions que j’ai mises en tête, les unes sont claires au plus léger examen, et (ce sont) des propositions démonstratives et des notions premières(6)La plupart des mss. portent מעקולאת sans le ו copulatif, et de même les deux versions hébraïques, ainsi que le Moré ha-Moré, ont מושכלות, comme adjectif de הקדמות מופתיות, de sorte qu’il faudrait traduire: des propositions démonstratives, intelligibles du premier abord; mais alors la forme מעקולאת serait incorrecte, car l’adjectif devrait avoir la forme fém. sing. מעקולה̈. Je considère donc ce mot comme substantif neutre, dans le sens de intelligibilia, de sorte que les mots מעקולאת אול signifient, comme toujours, des notions premières ou des axiomes. Ces mots ne sauraient être un simple appositif des mots מקדמאת ברהאניה̈; car les propositions démonstratives ne sauraient être qualifiées d’axiomes. J’ai donc ajouté un ו copulatif, et j’ai écrit ומעקולאת, comme on le trouve en effet dans l’un des deux mss. de Leyde (n° 221)., ou à peu près, (intelligibles) par le simple exposé que nous en avons fait(1)Littéralement: par ce que nous avons résumé de leur arrangement ou de leur énumération. Le mot במא dépend de מעקולאת, des (notions) intelligibles par, etc.; les autres ont besoin de démonstrations et de prémisses nombreuses, mais ont été déjà toutes démontrées d’une manière qui ne laisse pas de doute, (et cela) en partie dans le livre de l’Acroasis(2)Voy. le t. I, pag. 380, n. 2. et dans ses commentaires, et en partie dans le livre de la Mêtaphysique et dans son commentaire(3)Tous les mss. portent ושרחה au sing., de même la version d’Al-’Harisi: ופירושו, tandis que la version d’Ibn-Tibbon a le pluriel ופירושיו, et ses comment. On sait que les commentaires grecs sur la Métaphysique étaient peu nombreux; les Arabes ne connaissaient qu’un commentaire incomplet d’Alexandre d’Aphrodisias sur le XIIe livre et une paraphrase de Thémistius sur ce même livre. Voici comment s’exprime à cet égard Ibn-Roschd au commencement de son introduction au liv. XII de la Métaphysique (vers, hébr., ms. du fonds de l’Orat., n° 114, fol. 139 a): לא ימצא לאלכסנדר ולא למי שאחריו מהמפרשים פירוש במאמרי זאת החכמה ולא ביאור אלא בזה המאמר כי אנחנו מצאנו לאלכסנדר בו פירוש משני שלישי המאמר ומצאנו לתמסטיוס בו ביאור כפי הענין ·. Je t’ai déjà fait savoir que j’ai pour but, dans ce traité, non pas d’y transcrire les livres des philosophes, ni d’y exposer les propositions les plus éloignées(1)Tous les mss. que j’ai pu consulter portent ; cette leçon est confirmée par la version d’Ibn-Tibbon, qui porte ולבאר הרחוקות שבהקדמות. Il paraît néanmoins que le traducteur hébreu avait ici un doute sur lequel il consulta l’auteur; car voici ce que nous lisons dans la lettre adressée par Maïmonide à R. Samuel Ibn-Tibbon: . «Tu supposais que, dans la XXVe propos., il manquait quelque chose; mais il n’y manque rien, et au contraire la leçon est telle que vous l’avez. Mes paroles ne disent autre chose que ceci: Le but de ce traité n’est pas d’y transcrire les livres des philosophes, mais d’exposer certaines propositions.» — Si ce sont là réellement les termes de Maïmonide, et qu’il n’y ait pas de faute dans le ms. unique que nous avons de la lettre en question, il faudrait continuer la phrase ainsi: ou plutôt de rapporter les propositions qui sont à notre portée, etc. — La version d’Al-’Harizi porte אלא לבאר ההקדמות הרחוקות והקרובות שאנו צריכין עליהם וכו׳. Cette version, dans tous les cas, est inexacte; mais le mot אלא offre une trace de la leçon donnée dans la lettre de Maïmonide., mais d’y rapporter les propositions qui sont à notre portée et nécessaires pour notre sujet.", "Aux propositions qui précèdent j’en ajouterai une qui implique l’éternité (du monde), et qu’Aristote prétend être vraie et tout ce qu’il y a de plus admissible; nous la lui concédons à titre d’hypothèse(2)Cf. ci-dessus, p. 3, note 2., jusqu’à ce que nous ayons pu exposer nos idées à cet égard(3)Littéralement: Jusqu’à ce qu’il ait été exposé ce que nous nous proposons d’exposer..", "Cette proposition, qui est LA VINGT-SIXIÈME, dit que le temps et le mouvement sont éternels, perpétuels, et toujours existant en acte(4)Voyez surtout Phys., liv.VIII, chap. 1, où Aristote établit l’éternité du mouvement comme conséquence nécessaire de l’éternité du temps, qui, comme s’exprime Aristote, est le nombre du mouvement: Eἰ δή ἐστίν ὁ χρόνος ϰινήσεως ἀριθμὸς ἢ ϰίνησίς τις, εἴπερ ἀεὶ χρόνος ἐστίν, ἀνάγϰη ϰαὶ ϰίνησιν ἀἴδιον εἶναι. Cf. Métaph., XII, 6: Αλλ’ ὰδύνατον ϰίνησιν ἢ γενέσθαι ἢ φθαρῆναι · ἀεί γαρ ἦν · οὐδὲ χρόνον. ϰ. τ. λ. Voyez aussi ci-dessus, la XVe proposition et les passages indiqués dans les notes qui l’accompagnent.. ", "De cette proposition donc, il s’ensuit nécessairement, selon lui, qu’il y a un corps ayant un mouvement éternel, toujours en acte, et c’est là le cinquième corps(1)C’est-à-dire, le corps de la sphère céleste, qui est au-dessus des quatre éléments, et dont la substance a été désignée sous le nom d’éther. Voy. le traité du Ciel, liv. I, chap. 2 et 3, Météor., liv. I, chap. 3, et cf. le t. I de cet Ouvrage, p. 247, n. 3, et 425, note 1. — L’expression cinquième corps (πέμπτον σῶμα) est familière aux commentateurs d’Aristote. Voy., par exemple, Simplicius, sur le traité du Ciel, l. I, chap. 3 (Scholia in Aristotelem, collegit Brandis, pag. 475 a). Arist. lui-même emploie plulôt les expressions τὸ ἄνω σῶμα (traité de l’Ame, II, 7, et passim; cf. le commentaire de Trendelenburg, pag. 373 et suiv.), τὸ πρῶτον σῶμα (du Ciel, II, 12), τὸ πρῶτον στοιχεῖον (Météorol., I, 2 et 3). C’est sans doute de cette substance céleste que traitait l’écrit d’Empédocle intitulé «De la cinquième substance» (περὶ τῆς πέμπτης οὐσίας) et qui, à ce qu’il paraît, fut réfuté par Plutarque dans un écrit mentionné par Lamprias. Cf. Sturz, Empedocles agrigentinus (Lipsiæ, 1805, in-8°), pag. 73.. C’est pourquoi il dit que le ciel ne naît ni ne périt: car le mouvement, selon lui, ne naît ni ne périt. En effet, dit-il, tout mouvement est nécessairement précédé d’un autre mouvement, soit de la même espèce, soit d’une autre espèce(2)Ainsi, par exemple, le mouvement circulaire de chacune des sphères célestes, considéré en lui-même, est causé par un mouvement de la même espèce qui le précède; la naissance des éléments et leur mouvement procèdent du mouvement circulaire des sphères célestes, qui n’est pas de la même espèce.; et, quand on s’imagine que le mouvement local de l’animal n’est précédé absolument d’aucun autre mouvement, cela n’est pas vrai; car la cause qui fait qu’il (l’animal) se meut après avoir été en repos, remonte à certaines choses qui amènent ce mouvement local: c’est ou bien un changement de tempérament produisant (dans l’animal) le désir de chercher ce qui lui convient, ou de fuir ce qui lui est contraire, ou bien une imagination, ou enfin une opinion qui lui survient, de sorte que l’une de ces trois choses le mette en mouvement, chacune d’elles étant à son tour amenée par d’autres mouvements(1)Voyez Phys., liv. VIII, chap. 2. Après avoir parlé de cette objection, tirée du mouvement des animaux, qui paraît être spontané et ne procéder d’aucun mouvement venu du dehors, Aristote fait observer que ce n’est là qu’une fausse apparence, et que nous remarquons toujours, dans ce qui compose l’organisme animal, certains mouvements dont la cause ne doit pas être cherchée dans l’animal même, mais dans ce qui l’environne au dehors, de sorte qu’il y a des mouvements extérieurs qui agissent sur les facultés intellectuelles et appétitives: Ὁρῶμεν γὰρ ἀεί τι ϰινούμενον ἐν τῷ ζῴῳ τῶν συμφύτων.... οὐδὲν οὖν ϰωλύει, μᾶλλον δ’ ἴσως ἀναγϰαῖον τῷ σώματι πολλὰς ἐγγίγνεσθαι ϰινήσεις ὑπὸ τοῦ περιέχοντος, τούτων δ’ ὲνίας τὴν διὰνοιαν ἢ τὴν ὄρεξιν ϰινεῖν, ϰ. τ. λ. Cf. le traité du Mouvement des animaux, chap. 6: Ὁρῶμεν δὲ τὰ ϰινοῦντα τὸ ζῷον διάνοιαν, ϰαὶ φαντασίαν ϰαὶ προαίρεσιν, ϰαὶ βούλησιν, ϰαὶ ἐπιθυμίαν · ταῦτα δε πάντα ἀνάγεται εἰς νοῦν ϰαὶ ὄρεξιν. — Pour qu’on puisse mieux comprendre les termes que Maïmonide rapporte ici au nom d’Aristote, nous citerons encore le passage de la Physique d’après la version arabe-latine avec l’explication d’Ibn-Roschd (OEuvres d’Aristote avec les commentaires d’Averroès, t. IV, f. 161, col. 3): «Semper enim invenimus aliquid moveri in animali, quod est naturale in eo; et causa istius motus animalis non est anima ejus, sed aer qui continet animal in eo, quod reputo. Et cum dicimus ipsum moveri a se, non intendimus omni motu, sed motu locali. Et nihil prohibet, immo dignum est ut sit necessarium, ut in corpore fiant plures motus a continente, quorum quidam movent voluntatem et appetitum, et tunc ista movebunt animal secundum totum.» Voici comment Ibn-Roschd explique la fin de ce passage: «Et dixit et nihil prohibet, etc., id est et necesse est ut principium motuum animalis sit ex continente: immo hoc est necessarium. Et quia posuit quod in corpore animalis fiunt plures motus ex continente, narravit quomodo accidit ex istis motibus ut animal moveatur in loco, et dixit quo rumquœdam moventur, etc., id est, et hoc est ita, quod in animali fiet ab eo, quod accidit sibi, opinio, voluntas, et appetitus ad motum, aut ad expellendum nocumentum contingens ex continente, aut ad inducendum juvamentum. Et intendit hic per opinionem aliquid commune virtuti imaginativæ, et rationali. Animali enim non accidit appetitus, nisi ex imaginatione; v. g. quod, cum patitur et cum timet, fugit: et cum auferuntur appetitus, quiescit: aut, cum accidit ei fatigatio, et appetit quietem.» Sur l’imagination, voir aussi plus loin, au commencement du chap. IV.. Il dit de même que, dans tout ce qui survient, la possibilité de survenir précède dans le temps ce qui survient, et il en tire différentes conclusions pour confirmer sa proposition(1)Voy. Phys., VIII, 1 (p. 251 a). Aristote, après avoir rappelé la définition du mouvement donnée plus haut, ajoute que, même sans cette définition du mouvement, chacun accordera qu’à l’égard de chaque mouvement, il faut que ce qui se meut soit capable de se mouvoir, comme par exemple capable de transformer ce qui se transforme, et capable de changer de place ce qui se transporte, de sorte qu’il faut qu’une chose soit combustible avant de brûler, et capable d’enflammer avant qu’elle enflamme. (ὤστε δεῖ πρότερον ϰαυστὸν εἶναι πρὶν ϰάεσθαι, ϰαὶ ϰαυστιϰὸν πρὶν ϰάειν). Selon Ibn-Roschd (l. c., f. 155, c. 3) ce passage ne veut dire autre chose, si ce n’est que le mouvement (qui, selon Aristote, est l’entéléchie d’une chose mobile en tant que mobile) doit exister en puissance dans toute chose mobile. Mais le commentateur arabe nous apprend qu’Al-Farabi entendait ce passage dans ce sens que toute puissance doit temporellement précéder l’acte, non-seulement dans le mouvement, mais en général dans tout ce qui survient: «Dico secundum hanc expositionem intellexit Alpharabius et alii hoc capitulum, scilicet quod induxit definitionem motus ad declarandum potentiam esse ante actum; et hoc non est proprium motui, secundum quod est motus, sed est proprium novo facto secundum quod est novum factum, scilicet ut potentia et posse novi præcedat ipsum secundum tempus.» Il est évident que Maïmonide a emprunté les termes de l’explication d’Al-Farabi, qu’Ibn-Roschd déclare erronés: «Et hoc quod dixit et sine hac definitione, etc., hoc decepit homines in hoc: et existimaverunt ipsum declarare potentiam esse ante actum in tempore, et ipse intendebat dicere quod non dicitur moveri nisi illud in cujus natura est motus, scilicet corpus mobile: et quod non invenitur in immobili.». — Selon cette proposition, le mobile qui est fini(2)C’est-à-dire, la sphère céleste, qui est un corps fini. devra se mouvoir sur une étendue finie un nombre de fois infini, en retournant toujours sur la même étendue, ce qui n’est possible que dans le mouvement circulaire, comme cela est démontré par la treizième de ces propositions. Il s’ensuit que l’infini peut exister par manière de succession et pourvu qu’il n’y ait pas simultanéité(3)C’est-à-dire, qu’on peut admettre l’existence de l’infini en nombre (Voy. la IIe propos.), pourvu que les unités qui le composent n’existent pas simultanément, mais successivement, les unes après les autres, comme par exemple les instants qui se succèdent dans le temps et les mouvements successifs et non interrompus de la sphère céleste. Voy. le t. I, chap. LXXIII, pag. 413-415..", "Cette proposition, Aristote s’efforce toujours de la confirmer. Quant à moi, il me semble qu’il ne prétend nullement attribuer aux preuves dont il l’appuie une force démonstrative(1)Littéralement: Qu’il ne tranche pas (ou ne décide pas) que ses preuves sur elles soient une démonstration.; mais elle est, selon lui, ce qu’il y a de plus admissible. Cependant, ses sectateurs et les commentateurs de ses écrits prétendent qu’elle est nécessaire et non pas seulement possible, et qu’elle a été démontrée(2)Voy. sur cette question, le chap. XV de cette IIe partie.. Chacun des Motécallemîn (au contraire) s’efforce d’établir qu’elle est impossible: car, disent-ils, on ne saurait se figurer qu’il puisse survenir, même successivement, des faits infinis (en nombre); et ils considèrent cela, en somme, comme une notion première(3)Littéralement: La force de leurs paroles (c.-à-d., ce qui en résulte en somme) est que c’est là, selon eux, une notion première; c’est-à-dire: ils considèrent généralement comme un simple axiome que l’infini par succession est impossible. Cf. le t. I, p. 416. — Tous les mss. portent אנהא ענדהם, et il faut prendre le suffixe fém. de אנהא dans le sens neutre, ou bien le rapporter à un mot מקדמה̈, qui serait sous-entendu, c’est-à-dire, la proposition qui déclare inadmissible l’infini par succession. La version d’Ibn-Tibbon porte שהוא au mase., celle d’Al-’Harizi שהיא au fém.. Ce qu’il me semble à moi, c’est que ladite proposition est possible, (et qu’elle n’est) ni nécessaire, comme le disent les commentateurs des paroles d’Aristote, ni impossible, comme le prétendent les Motécallemîn. Je n’ai pas pour but, en ce moment, d’exposer les preuves d’Aristote, ni de produire mes doutes contre lui, ni d’exposer mon opinion sur la nouveauté du monde; mais mon but, dans cet endroit, a été d’énumérer les propositions dont nous avons besoin pour nos trois questions(4)C’est-à-dire l’existence, l’incorporalité et l’unité de Dieu.. Après avoir mis en tête ces propositions et les avoir concédées, je commence à exposer ce qui en résulte." ], "": [ [ "(1)L’auteur donne, dans ce chapitre, différentes démonstrations de l’existence d’un Dieu unique et immatériel. Ses démonstrations sont de celles qu’on a appelées physiques ou cosmologiques, et qui nous conduisent de l’existence contingente du monde à la conception d’un être nécessaire. Ses preuves sont principalement fondées sur le mouvement; on démontre que, la matière inerte ne pouvant se mouvoir elle-même, et les causes du mouvement ne pouvant pas remonter à l’infini, il est nécessaire de reconnaître un premier moteur qui soit lui-même immobile. L’argumentation est, en substance, empruntée à Aristote (Phys., l. VIII, chap. 5 et suiv.; Métaph., l. XII, ch. 6 et 7); mais elle a été, sur divers points, complétée et modifiée par les philosophes arabes, et on reconnaîtra, notamment dans la 3e Spéculation, des théories particulières à Ibn-Sinâ.Il s’ensuit de la vingt-cinquième proposition qu’il y a un moteur qui a mis en mouvement la matière de ce qui naît et périt(2)C’est-à-dire, la matière de toutes les choses sublunaires. Les deux versions hébraïques (cf. Moré ha-Moré, pag. 74), selon lesquelles les mots ההוה והנפםד se rapporteraient à la matière, sont incorrectes; au lieu de החמר הזה, il faudrait écrire חמר זה sans l’article, et considérer חמר comme un état construit, dont זה est le complément., pour qu’elle reçût la forme; et, si l’on cherche ce qui a mis en mouvement ce moteur prochain, il faudra nécessairement qu’on lui trouve (à son tour) un autre moteur, soit de son espèce, soit d’une autre espèce: car le mouvement se trouve dans les quatre catégories auxquelles on applique en général le (terme de) mouvement, ainsi que nous l’avons dit dans la quatrième proposition. Mais cela ne peut pas se continuer à l’infini, comme nous l’avons dit dans la troisième proposition. Or, nous trouvons que tout mouvement (ici-bas) aboutit au mouvement du cinquième corps, où il s’arrête(1)L’auteur veut dire, je crois, que là s’arrête le mouvement propre aux choses sublunaires, pour se continuer par une impulsion émanée d’un mouvement d’une autre espèce.. C’est de ce dernier mouvement que dérive, et à lui remonte par enchaînement, tout ce qui dans le monde inférieur tout entier imprime le mouvement et dispose (à la réception de la forme)(2)C’est-à-dire, tout ce qui dans ce bas monde sert de moteur prochain, ou immédiat, et dispose la matière particulière à recevoir la forme particulière. Voy. ci-dessus la XXVe proposition.. La sphère céleste a le mouvement de translation, qui est antérieur à tous les mouvements, comme il a été dit dans la quatorzième proposition. De même, tout mouvement local (ici-bas) aboutit au mouvement de la sphère céleste. On peut dire, par exemple, que cette pierre qui se meut, c’est le bâton qui l’a mise en mouvement; le bâton a été mu par la main, la main par les tendons, les tendons ont été mus(3)C’est par inadvertance que dans notre texte nous avons écrit חרכתהא, comme l’ont plusieurs mss.; il faut lire חרכהא, leçon plus correcte qu’ont quelques autres mss., car on voit par les mots suivants, ואלעצׄל חרכה, que l’auteur a construit le mot collectif עצׄל comme sing. mase. par les muscles, les muscles par les nerfs, les nerfs par la chaleur naturelle, et celle-ci enfin a été mue par la forme qui est dans elle(4)Par la forme, l’auteur entend ici l’âme vitale., et qui, indubitablement, est le moteur premier. Ce moteur, ce qui l’a porté à mouvoir, aura été, par exemple, une opinion(5)Voy. ci-dessus, pag. 26, note 1., à savoir, de faire arriver cette pierre, en la poussant avec le bâton, dans une lucarne, pour la boucher, afin que ce vent qui souffle ne pût pas pénétrer par là jusqu’à lui. Or, ce qui meut ce vent et ce qui produit(6)Au lieu du participe , plusieurs mss. ont l’infinitif ; de même, plusieurs mss. de la version d’Ibn-Tibbon ont והולדת, au lieu de ומוליִד. son souffle, c’est le mouvement de la sphère céleste; et ainsi tu trouveras que toute cause de naissance et de corruption remonte au mouvement de la sphère céleste(1)Voy. le t. I, pag. 362, et ibid., note 2..", "Quand (par notre pensée) nous sommes enfin arrivés à cette sphère, qui est (également) mue, il faut (disons nous) qu’elle ait à son tour un moteur, selon ce qui a été dit dans la dix-septième proposition. Son moteur ne peut qu’être ou dans elle ou en dehors d’elle; et c’est là une alternative nécessaire. S’il est en dehors d’elle, il doit nécessairement être, ou corporel, ou incorporel; dans ce dernier cas cependant, on ne dirait pas qu’il est en dehors d’elle, mais on dirait qu’il est séparé d’elle: car de ce qui est incorporel, on ne dit que par extension qu’il est en dehors du corps(2)L’auteur veut dire que l’expression en dehors implique l’idée de lieu et de corporéité, et qu’en parlant d’une chose incorporelle, d’une pure intelligence, on ne doit pas dire qu’elle est en dehors du corps, mais qu’elle en est séparée. Le mot , séparé, est employé par les philosophes arabes pour désigner les substances purement spirituelles, séparées de toute espèce de matière, et auxquelles ne s’applique, sous aucun rapport, l’idée d’être en puissance, ni aucune autre catégorie que celle de la substance. Ils ont entendu dans ce sens ce qu’Aristote (traité de l’Ame, liv. III, chap. 7) appelle τὰ ϰεχωρισμένα, les choses séparées (de l’étendue), et c’est là qu’il faut chercher l’origine du terme arabe. Voy. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, pag. 449, et cf. t. I, pag. 434.. Si son moteur, je veux dire celui de la sphère, est dans elle, il ne peut qu’être ou bien une force répandue dans tout son corps et divisible en même temps que ce dernier, comme la chaleur dans le feu, ou bien une force (située) dans lui, mais indivisible, comme l’âme et l’intelligence, ainsi qu’il a été dit dans la dixième proposition(3)Le mot dixième se lit dans la plupart des mss. arabes, ainsi que dans les deux versions hébraïques; mais ce que l’auteur dit ici se rapporte plutôt à la onzième proposition, et en effet l’un des deux mss. de Leyde (cod. 18) porte אלחאדיהֹׁ עשר. Dans plusieurs éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on a ajouté, après le mot העשירית, le chiffre וי״א, qui n’existe ni dans les mss., ni dans l’édition princeps.. Par conséquent, le moteur de la sphère céleste sera nécessairement une de ce ces quatre choses: ou un autre corps en dehors d’elle, ou un (être) séparé, ou une force répandue dans elle, ou une force indivisible.", "Le premier (cas), qui suppose comme moteur de la sphère céleste un autre corps en dehors d’elle, est inadmissible, comme je vais le montrer. En effet, étant un corps, il sera mû lui-même en imprimant le mouvement, ainsi qu’il a été dit dans la neuvième proposition; or, comme ce sixième corps(1)On a déjà vu que le corps de la sphère céleste est appelé le cinquième corps (voy. ci-dessus, pag. 25, et ibid., note 1); par conséquent, le corps qui mettrait en mouvement la sphère céleste serait un sixième corps. sera également mû en communiquant le mouvement, il faudra que ce soit un septième corps qui le meuve, et celui ci encore sera mû à son tour. Il s’ensuivra donc qu’il existe des corps d’un nombre infini, et que c’est par là que la sphère céleste se meut. Mais cela est inadmissible, comme il a été dit dans la deuxième proposition.", "Le troisième cas, qui suppose comme moteur de la sphère céleste une force répandue dans elle, est également inadmissible, comme je vais le montrer. En effet, la sphère, étant un corps, est nécessairement finie, comme il résulte de la première proposition; sa force sera donc également finie, comme le dit la douzième, et elle se divisera par la division du corps, comme le dit la onzième(2)On pourrait se demander de prime abord pourquoi l’auteur a introduit ici comme prémisse la XIe proposition: car la XIIe paraît suffire complétement pour démontrer que la force répandue dans la sphère céleste ne pourrait pas imprimer à celle-ci un mouvement infini. Samuel Ibn-Tibbon ayant soumis cette question à l’auteur, celui-ci lui répondit, dans la lettre déjà citée, par des détails qu’il serait trop long de reproduire ici. Il dit, en substance, que la XIIe proposition ne s’applique d’une manière absolue qu’à une force divisible (comme par exemple la chaleur du feu, qui ne se répand qu’à une certaine distance limitée), tandis que certaines forces indivisibles qui se trouvent dans un corps fini ne sont pas nécessairement finies; ainsi, par exemple, la pensée de l’homme s’élève au delà de la neuvième sphère, et il n’est pas démontré qu’elle ait une limite, quoiqu’elle se trouve dans un corps fini. Il fallait donc ici, pour montrer que le moteur premier de la sphère ne saurait être une force répandue dans elle, joindre ensemble comme prémisses la XIIe et la XIe proposition. L’auteur va montrer ensuite que ce moteur ne peut pas non plus être une force indivisible.. Elle ne pourra donc pas imprimer un mouvement, qui, comme nous l’avons posé dans la vingt-sixième proposition, serait infini(1)Littéralement: Elle ne pourra donc pas mouvoir à l’infini, comme nous l’avons posé dans la XXVIe proposition. Il faut se rappeler que l’auteur n’a admis la XXVIe proposition que comme hypothèse; c’est pourquoi il dit ici: comme nous l’avons POSÉ, expression dont il ne se sert pas en citant les autres propositions, qui toutes sont rigoureusement démontrées..", "Quant au quatrième cas, qui suppose comme moteur de la sphère céleste une force indivisible qui serait dans elle, comme par exemple l’âme humaine est dans l’homme, il est également inadmissible que ce moteur seul soit la cause du mouvement perpétuel, bien qu’il s’agisse d’une force indivisible(2)Littéralement: bien qu’elle soit indivisible. Les fém. באנת et מנקםמהֹׁ paraîtraient, selon la construction de la phrase, devoir se rapporter à אלחרבהֹׁ, le mouvement; mais le sens veut qu’on supplée le mot אלקוהֹׁ, la force, que l’auteur a évidemment sous-entendu. C’est donc à tort qu’Ibn-Tibbon, dans sa version hébraïque, a également employé le féminin, ואע״פ שהיא בלתי מתחלקת: car, en hébreu, le mot כח, force, est du masculin. Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, pag. 74) a traduit plus exactement ואע״פ שאינו מתחלק. Al-’Harîzi, qui met le féminin (שהיא בלי מתחלקת), peut néanmoins avoir bien saisi le sens: car il emploie le mot בח comme féminin.. En effet, si c’était là son moteur premier, ce moteur cependant serait mû lui-même accidentellement(3)C’est-à-dire: Comment supposer que c’est là son moteur premier, puisque ce moteur lui-même est mû par accident, comme on va l’exposer?, comme il a été dit dans la sixième proposition; mais j’ajoute ici une explication(4)C’est-à-dire: Je m’expliquerai plus clairement au sujet de l’application de la VIe proposition.. Lorsque, par exemple, l’homme est mû par son âme, qui est sa forme, pour monter de la maison au pavillon supérieur(1)Le mot désigne ici le pavillon ou la chambre haute qui, en Orient, se trouve sur la plate-forme des maisons, et qui, en arabe comme en hébreu, porte aussi le nom de ’aliyya. Voyez mon ouvrage, Palestine, pag. 364., c’est son corps qui est mû essentiellement, et l’âme est le moteur premier essentiel. Mais cette dernière est mue accidentellement: car, quand le corps se transporte de la maison au pavillon, l’âme, qui était dans la maison, se transporte également et se trouve ensuite dans le pavillon(2)L’un des deux manuscrits de Leyde (cod. 18) porte plus simplement: אנתקלת אלנפם מעה איצׄא וצארת פי אלגרפהֹׁ; de même la version hébraïque d’Al-’Harîzi: התנועעה הנפש עמו אל העליה «L’âme se meut avec lui vers le pavillon.». Cependant, lorsque l’âme cesse de mouvoir, ce qui est mû par elle, c’est-à-dire le corps, se trouve également en repos et (à son tour), par le repos du corps, cesse le mouvement accidentel qui était arrivé à l’âme(3)Le mouvement accidentel de l’âme est celui qu’elle partage avec le corps après l’avoir elle-même mis en mouvement par l’impulsion essentielle qu’elle lui donne; le déplacement local est accidentel pour l’âme. Voy., sur notre passage, Aristote, Traité de l’Ame, l. I, chap. III (§§ 6 et 7) et ch. IV (§ 9).. Or, tout ce qui est mû accidentellement sera nécessairement en repos, comme il a été dit dans la huitième (proposition); et, quand il sera en repos, ce qui est mû par lui le sera également. Il faut donc nécessairement que ce moteur premier ait une autre cause, en dehors de l’ensemble composé d’un moteur et d’une chose mue; si cette cause qui est le principe du mouvement est présente, le moteur premier qui est dans cet ensemble mettra en mouvement la partie mue; mais si elle est absente, cette dernière sera en repos. C’est pourquoi les corps des animaux ne se meuvent pas continuellement, quoi-qu’il y ait dans chacun d’eux un moteur premier indivisible: car leur moteur ne meut pas continuellement par son essence, et, au contraire, ce qui le porte à produire le mouvement, ce sont des choses en dehors de lui, soit (le désir) de chercher ce qui lui convient ou de fuir ce qui lui est contraire, soit une imagination, soit une conception, dans (les êtres) qui ont la conception(1)Voy. ci-dessus, pag. 26, note 1.. C’est par là seulement qu’il meut, et, en donnant le mouvement(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont généralement ובשיתנועע; il faut lire וכשיניע, comme l’a l’édition princeps., il est mû lui-même accidentellement; il reviendra donc nécessairement au repos, comme nous l’avons dit. — Par conséquent, si le moteur de la sphère céleste se trouvait dans elle de cette manière, il ne serait pas possible qu’elle eût un mouvement perpétuel(3)Aristote fait observer en outre que l’âme qu’on supposerait à la sphère céleste, condamnée à lui imprimer perpétuellement un mouvement violent n’aurait qu’une existence douloureuse, et serait plus malheureuse que l’âme de tout animal mortel, à qui il est accordé de se récréer par le sommeil; elle aurait le sort d’Ixion attaché à la roue qui tourne perpétuellement. Voy. traité du Ciel, liv. II, chap. I..", "Si donc ce mouvement est continuel et éternel, comme l’a dit notre adversaire(4)C’est-à-dire, Aristote, dont Maïmonide combattra plus loin l’opinion relative à l’éternité du monde., — ce qui est possible, comme on l’a dit dans la treizième proposition, — il faudra nécessairement, selon cette opinion, admettre pour la cause première du mouvement de la sphère céleste, le deuxième cas, à savoir qu’elle est séparée de la sphère, et c’est ainsi que l’exige la (précédente) division(5)C’est-à-dire, la division en quatre cas, dont le premier, le troisième et le quatrième se sont montrés impossibles, de sorte qu’il ne reste d’admissible que le deuxième cas..", "Il est donc démontré que le moteur premier de la sphère céleste, si celle-ci a un mouvement éternel et continuel, ne peut être nullement ni un corps, ni une force dans un corps; de sorte que ce moteur n’a point de mouvement, ni essentiel, ni accidentel(6)C’est-à-dire, qu’il n’est point mû par un autre moteur, ni essentiellement, ni accidentellement, et qu’il est lui-même immobile., et qu’à cause de cela aussi il n’est susceptible, ni de division, ni de changement, comme il a été dit dans la septième et dans la cinquième proposition. Et c’est là Dieu — que son nom soit glorifié! — je veux dire, (qu’il est) la cause première qui met en mouvement la sphère céleste. ", "Il est inadmissible qu’il soit deux ou plus: car les choses séparées, qui ne sont point corporelles, n’admettent pas la numération, si ce n’est (dans ce sens) qu’elles sont des causes et des effets les unes des autres, comme il a été dit dans la seizième (proposition). Il est clair aussi que, puisque le mouvement ne lui est pas applicable, il ne tombe pas non plus sous le temps, comme il a été dit dans la quinzième.", "Cette spéculation nous a donc conduit (à établir), par une démonstration, que la sphère céleste(1)Pour que la construction fût plus régulière, il faudrait ajouter, avant les mots אן אלפלך, la préposition אלי. Ibn-Tibbon a traduit, de manière à pallier l’ellipse de la préposition: וכבר יצא לנו מן העיון הזה במופת שהגלגל ובו׳; cependant quelques mss. portent: ובבר הביא העיון הזה במופת שהגלגל ובו. Al-’Harîzi a suppléé un verbe: והנה הביא זה העיון בדרך המופת להאמין בי הגלגל ובו׳. ne saurait se donner elle-même le mouvement perpétuel(2)C’est-à-dire, que le mouvement lui vient du dehors, et que par conséquent il existe un premier moteur., que la cause première qui lui imprime le mouvement n’est ni un corps, ni une force dans un corps, et qu’elle est une et non sujette au changement, son existence n’étant pas liée au temps. Ce sont là les trois questions que les meilleurs d’entre les philosophes ont décidées par démonstration.", "DEUXIÈME SPÉCULATION de ces mêmes (philosophes). — Aristote a d’abord posé en principe que, si l’on trouve une chose composée de deux choses (distinctes), et que l’une des deux choses existe isolément en dehors de cette chose composée, il faut nécessairement que l’autre existe également en dehors de cette chose composée: car, si c’était une condition nécessaire de leur existence de n’exister qu’ensemble(3)Littéralement: si leur existence exigeait qu’elles n’existassent qu’ensemble., comme il en est de la matière et de la forme physique, aucune des deux ne pourrait, d’une façon quelconque, exister sans l’autre. Ainsi donc, l’existence isolée de l’une des deux étant une preuve de leur indépendance mutuelle(1)Littéralement: du manque de liaison nécessaire (entre les deux). Sur le sens du mot תלאזם, voy. t. I, pag. 191, note 2., il s’ensuit nécessairement que l’autre aussi existera (isolément). Si, par exemple, l’oxymel existe, et qu’en même temps le miel existe seul, il s’ensuit nécessairement que le vinaigre aussi existe seul. — Après avoir exposé cette proposition, il dit: Nous trouvons beaucoup de choses composées d’un moteur et de ce qui est mû, c’est-à-dire, qui meuvent autre chose et qui, en donnant le mouvement, sont mues elles-mêmes par autre chose; cela est clair pour toutes les choses intermédiaires dans le mouvement(2)C’est-à-dire, dans le mouvement universel du monde. Voy. ci-dessus, au commencement de ce chapitre. Dans la version d’Ibn-Tibbon, l’état construit בהנעת est inexact; il faut lire בהנעה. La version d’Al-’Harîsi porte בתנועה.. Mais nous trouvons aussi une chose mue qui ne meut point, et c’est la dernière chose mue(3)C’est, dans l’univers, la matière de ce qui naît et périt; ou, par exemple, dans les mouvements émanés de l’âme, et dont l’auteur a parlé plus haut, la pierre qui est mue par la main, et qui ne meut plus autre chose.; par conséquent, il faut nécessairement qu’il existe aussi un moteur qui ne soit point mû, et c’est là le moteur premier(4)Cette démonstration paraît être fondée sur un passage de la Physique d’Aristote, qui peut se résumer ainsi: On peut considérer dans le mouvement trois choses: la chose mue, le moteur, et ce par quoi celui-ci meut. Ce qui est mû ne communique pas nécessairement le mouvement; ce qui sert d’instrument ou d’intermédiaire communique le mouvement en même temps qu’il le reçoit; enfin ce qui meut sans être instrument ou intermédiaire est lui-même immobile. Or, comme nous voyons (dans l’univers), d’une part, ce qui est mû sans avoir en lui le principe du mouvement, c’est-à-dire sans mouvoir autre chose, et d’autre part, ce qui est à la fois mû par autre chose et moteur d’autre chose, il est raisonnable, sinon nécessaire, d’admettre une troisième chose qui meuve sans être mue. Voy. Phys., liv. VIII, ch. 5 (édit. de Bekker, p. 256 b): τρία γὰρ ἀνάγϰη εἶναι, τό τε ϰινούμενον, ϰαὶ τὸ ϰινοῦν, ϰαὶ τὸ ᾧ ϰινεῖ. ϰ. τ. λ. Dans la Métaphysique, liv. XII, chap. VII, Aristote se résume lui-même en ces termes: ἔστι τοίνυν τι ϰαὶ ὅ ϰινεῖ, ἐπεὶ δὲ τὸ ϰινούμενον ϰαὶ ϰινούν, ϰαὶ μέσοντοίνυν ἐστί τι ὃ οὐ ϰινούμενον ϰινεῖ, ἀΐδιον ϰαὶ οὐσία ϰαὶ ἐνέργεια οὖσα. Alexandre d’Aphrodisias a expliqué ce passage à peu près dans les mêmes termes que ceux dont se sert Maïmonide dans cette deuxième démonstration; et c’est évidemment à Alexandre que notre auteur a emprunté son argumentation, ainsi que la proposition qu’il met en tête comme ayant été énoncée par Aristote lui-même. L’explication d’Alexandre a été citée par Averroès, dans son grand commentaire sur la Métaphysique. Nous la reproduisons d’après la version latine de ce commentaire (édit. in-fol., f. 149 verso): «Dixit Alexander: Ista est ratio quod [est] aliquod movens [quod] non movetur, et est dicta breviter et rememoratio ejus quod dictum est in ultimo Physicorum. Et est fundata super duas propositiones, quarum una est quod omne compositum ex duobus quorum alterum potest esse per se, possibile erit etiam alterum esse per se, nisi compositio sit substantiæ et accidentis; verbi gratiâ quod hydromel, quia componitur ex aqua et melle, et mel invenitur per se, necesse est ergo ut aqua inveniatur per se. Et, quia invenimus aliquod motum et movens quasi compositum ex movente et moto, et invenimus aliquod motum per se et non movens, manifestum est quod est necesse aliquod movens esse et non motum. Hoc igitur movens immune est a potentia, et in nulla materia existit.» Quant à la proposition attribuée par Maïmonide à Aristote, quelques commentateurs ont objecté que, dans ce qui est composé de substance et d’accident, on ne saurait se figurer l’existence de l’accident seul, quoiqu’évidemment la substance puisse exister seule. Cette objection tombe par la condition expresse posée par Alexandre: nisi compositio sit substantiœ et accidentis. Maïmonide, en copiant Alexandre, a peut-être omis cette condition par inadvertance.. — Puis donc que le mouvement, dans lui, est impossible, il n’est ni divisible, ni un corps, et ne tombe pas non plus sous le temps, ainsi qu’il a été expliqué dans la précédente démonstration.", "TROISIÈME SPÉCULATION PHILOSOPHIQUE sur ce sujet, empruntée aux paroles d’Aristote, quoique celui-ci l’ait produite dans un autre but(1)L’auteur veut dire que cette démonstration n’appartient pas, à vrai dire, à Aristote, mais que c’est lui qui en a fourni les principaux éléments. C’est lorsqu’il veut démontrer l’éternité du monde dans son ensemble, qu’Aristote entre dans des détails sur l’idée du périssable et de l’impérissable, et sur ce qui, en lui-même, est ou n’est pas sujet à la naissance et à la corruption; voy. surtout le traité du Ciel, liv. I, chap. X et suiv. On va voir que cette troisième démonstration est basée sur les théories d’Ibn-Sinâ.. — Voici la suite du raisonnement: on ne saurait douter qu’il n’y ait des choses qui existent, et ce sont ces êtres perçus par les sens. On ne peut admettre au sujet des êtres que trois cas, et c’est là une division nécessaire: ou bien que tous les êtres ne naissent ni ne périssent; ou bien que tous ils naissent et périssent(1)Ces mots manquent dans plusieurs éditions de la version hébraïque, où il faut ajouter, avec l’édition princeps, או יהיו בולם הוות נפםדות.; ou bien qu’en partie ils naissent et périssent et qu’en partie ils ne naissent ni ne périssent. La premier cas est évidemment inadmissible: car nous voyons beaucoup d’êtres qui naissent et périssent. Le second cas est également inadmissible, comme je vais l’expliquer: En effet, si tout être était soumis à la naissance et à la corruption, chacun d’entre tous les êtres aurait la possibilité de périr; mais ce qui est possible pour l’espèce ne peut pas ne pas arriver nécessairement, comme tu le sais(2)L’auteur, interrogé par le traducteur Ibn-Tibbon sur le sens précis de ce passage, s’explique à peu près ainsi dans la lettre citée plus haut: Quand le possible se dit d’une espèce, il faut qu’il existe réellement dans certains individus de cette espèce: car, s’il n’existait jamais dans aucun individu, il serait impossible pour l’espèce, et de quel droit dirait-on alors qu’il est possible? Si, par exemple, nous disons que l’écriture est une chose possible pour l’espèce humaine, il faut nécessairement qu’il y ait des hommes qui écrivent dans un temps quelconque: car, si l’on soutenait qu’il n’y a jamais aucun homme qui écrive, ce serait dire que l’écriture est impossible pour l’espèce humaine. Il n’en est pas de même du possible qui se dit d’un individu: car, si nous disons qu’il se peut que cet enfant écrive ou n’écrive pas, il ne s’ensuit pas de cette possibilité que l’enfant doive nécessairement écrire à unmoment quelconque. Ainsi donc, le possible dit d’une espèce n’est pas, à proprement dire, dans la catégorie du possible, mais est en quelque sorte nécessaire. — Cette explication ne suffit pas encore pour bien faire saisir la conclusion que l’auteur va tirer de cette proposition, à savoir, que tous les êtres auraient nécessairement péri. Il y a ici peut-être un point obscur sur lequel l’auteur ne voulait pas se prononcer plus clairement, comme l’indique le commentateur Ephodi. Cf. l’introduction de la première partie, t. I, p. 28, VIIe cause. Selon les indications du commentateur Schem-Tob, voici quelle serait la pensée de l’auteur: la possibilité attribuée à toute une espèce est, comme celle-ci, une chose éternelle; on ne peut pas, à proprement dire, attribuer une possibilité à une chose éternelle, et pour elle, tout ce qui est possible sera en même temps nécessaire. — En un mot, l’auteur a voulu dire, à ce qu’il paraît, que l’hypothèse de la contingence, pour l’universalité des êtres, est inadmissible; et, s’il n’a pas clairement énoncé cette thèse, c’est qu’il craignait peut-être de choquer certains lecteurs, en avouant explicitement que cette démonstration, qu’il dit être la plus forte, est basée sur le principe de l’éternité du monde.. Il s’ensuivrait de là que tous ils auraient nécessairement péri, je veux dire, tous les êtres. Or, après qu’ils auraient tous péri, il eût été impossible qu’il existât quelque chose: car il ne serait plus rien resté qui eût pu faire exister quelque chose; d’où il s’ensuivrait qu’en effet il n’existe absolument rien. Cependant, nous voyons des choses qui existent, et nous-mêmes nous existons. — Il s’ensuit donc nécessairement de cette spéculation que, s’il y a des êtres qui naissent et périssent, comme nous le voyons, il faut qu’il y ait aussi un être quelconque qui ne naisse ni ne périsse. Dans cet être qui ne naît ni ne périt, il n’y aura absolument aucune possibilité de périr; au contraire, il sera d’une existence nécessaire, et non pas d’une existence possible(1)L’auteur veut parler de la sphère céleste, qui est d’une existence nécessaire et non soumise à la contingence, bien qu’elle n’ait pas en elle-même la cause nécessaire de son existence, selon la distinction faite par Ibn-Sinâ (voy. ci-dessus la XIXe proposition), et sur laquelle l’auteur revient dans la suite de cette démonstration.. ", "— On a dit ensuite(2)L’auteur, par le mot קאל, dixit, fait évidemment allusion à Ibn-Sinâ, qui, comme nous l’avons déjà dit (p. 18, n. 3), a été le premier à distinguer, dans l’être, entre ce qui est nécessaire en lui-même et ce qui l’est par autre chose. Cf., sur la démonstration qui va suivre, l’analyse de la Métaphysique d’Ibn-Sinâ, dans Schahrestâni, pag. 375-376 (trad. all. t. II, p. 253-255).: L’être nécessaire ne peut être tel que par rapport à lui-même, ou bien par rapport à sa cause; de sorte que (dans ce dernier cas) il pourrait, par rapport à lui-même, exister ou ne pas exister, tandis qu’il sera (d’une existence) nécessaire par rapport à sa cause, et que sa cause, par conséquent, sera le (véritable) être nécessaire, comme il a été dit dans la dix-neuvième (proposition). Il est donc démontré qu’il faut nécessairement qu’il existe un être dont l’existence soit nécessaire par rapport à lui-même, et que, sans lui, il n’existerait absolument rien, ni ce qui serait sujet à la naissance et à la corruption, ni ce qui ne le serait pas, — si toutefois il y a quelque chose qui existe de cette dernière manière, comme le soutient Aristote(1)L’auteur fait ici ses réserves pour la sphère céleste, dans laquelle, comme on le verra plus loin, il ne veut point voir, avec Aristote, un être incréé., je veux dire quelque chose qui ne soit pas sujet à la naissance et à la corruption, étant l’effet d’une cause dont l’existence est nécessaire. — C’est là une démonstration qui n’admet ni doute, ni réfutation(2)מדפע, qu’il faut prononcer , signifie littéralement moyen de repousser. Dans la vers. hébr. d’Ibn-Tibbon, ce mot est rendu par דחיה (qu’il faut placer avant מחלוקת, comme l’ont les mss.)., ni contradiction, si ce n’est pour celui qui ignore la méthode démonstrative. ", "Nous disons ensuite: L’existence de tout être nécessaire en lui-même doit nécessairement ne point avoir de cause, comme il a été dit dans la vingtième(3)Quelques mss. ont ici la forme incorrecte , qu’Ibn-Tibbon a imitée en hébreu par העשרימיה. proposition; il n’y aura en lui absolument aucune multiplicité d’idées, comme il a été dit dans la vingt et unième proposition, d’où il s’ensuit qu’il ne sera ni un corps, ni une force dans un corps, comme il a été dit dans la vingt-deuxième. Il est donc démontré, par cette spéculation, qu’il y a un être qui, par sa propre essence même, est d’une existence nécessaire, et c’est celui dont l’existence n’a point de cause, dans lequel il n’y a point de composition, et qui, à cause de cela, n’est ni un corps, ni une force dans un corps; cet être est Dieu [que son nom soit glorifié!]. ", "De même, on peut démontrer facilement qu’il est inadmissible que l’existence nécessaire par rapport à l’essence même appartienne à deux (êtres): car l’espèce d’être nécessaire serait alors une idée ajoutée à l’essence de chacun des deux, et aucun des deux ne serait plus un être nécessaire par sa seule essence; mais il le serait par cette seule idée qui constitue l’espèce de l’être et qui appartiendrait à l’un et à l’autre(1)En d’autres termes: Dès que l’existence nécessaire serait supposée appartenir à plusieurs êtres, ceux-ci formeraient une espèce caractérisée par l’existence nécessaire, et, par conséquent, l’idée d’être nécessaire serait celle de l’espèce et n’appartiendrait plus à l’essence de chacun de ces êtres.. — On peut démontrer de plusieurs manières que dans l’être nécessaire il ne peut y avoir de dualité en aucune façon, ni par similitude, ni par contrariété(2)C’est-à-dire, que la Divinité ne peut se composer de deux principes, ni semblables, ni contraires l’un à l’autre.; la raison de tout cela est dans la simplicité pure et la perfection absolue (de cet être), — qui ne laisse point de place en dehors de son essence à quoi que ce soit de son espèce(3)Littéralement: dont il ne reste rien de redondant en dehors de son essence (qui soit) de son espèce. Le pronom relatif אלדׄי se rapporte à l’être nécessaire, qui est ici sous-entendu., — ainsi que dans l’absence totale de toute cause(4)C’est-à-dire, que l’être absolu n’est émané d’aucune cause antérieure. — Sur les deux mots עלהֹׁ et סבב, qui sont parfaitement synonymes, voy. t. I, pag. 313, note 1.. Il n’y a donc (en lui) aucune association.", "QUATRIÈME SPÉCULATION, également philosophique(5)Ainsi que le fait observer le commentateur Schem-Tob, cette quatrième spéculation est au fond identique avec la première démonstration, avec cette différence que, dans celle-ci, l’auteur, s’attachant particulièrement à l’idée du mouvement dans l’univers, nous fait arriver au premier moteur, tandis qu’ici il nous fait remonter, d’une manière plus générale, la série des effets et des causes, pour arriver à la cause première absolue.. — On sait que nous voyons continuellement des choses qui sont (d’abord) en puissance et qui passent à l’acte. Or, tout ce qui passe de la puissance à l’acte a en dehors de lui quelque chose qui l’y fait passer, comme il a été dit dans la dix-huitième proposition. Il est clair aussi que cet efficient était d’abord efficient en puissance avant de l’être en acte(1)Littéralement, que ce qui fait passer a été d’abord faisant passer (ou efficient) en puissance, ensuite il est devenu faisant passer en acte; c’est-à-dire, que ce qui a fait passer une chose de la puissance à l’acte possédait d’abord lui-même, en puissance, la faculté de faire passer à l’acte, avant que cette faculté se réalisât sur l’objet qu’il a fait passer à l’acte.; et la raison pourquoi il n’était d’abord qu’en puissance est, ou bien dans un obstacle (provenant) de lui-même, ou bien dans (l’absence d’) un certain rapport manquant d’abord entre lui et la chose qu’il a fait passer (à l’acte), de sorte que, ce rapport existant, il a réellement fait passer (à l’acte). Chacun de ces deux cas exigeait nécessairement (à son tour) un efficient, ou quelque chose qui fit cesser l’obstacle; et on devra en dire autant du second efficient, ou de ce qui a fait cesser l’obstacle. Mais, cela ne pouvant s’étendre à l’infini, il faudra nécessairement arriver à quelque chose qui fait passer de la puissance à l’acte, en existant toujours dans le même état, et sans qu’il y ait en lui une puissance quelconque, je veux dire sans qu’il ait dans son essence même une chose quelconque (qui soit) en puissance: car, s’il y avait dans son essence même une possibilité, il pourrait cesser d’exister, comme il a été dit dans la vingt-troisième (proposition). Il est inadmissible aussi que cet être ait une matière; mais, au contraire, il sera séparé(2)Voy. ci-dessus, pag. 31, note 2., comme il a été dit dans la vingt-quatrième (proposition). Cet être séparé, dans lequel il n’y a absolument aucune possibilité, mais qui existe (en acte) par son essence, c’est Dieu(3)Il faut se rappeler que, selon Ibn-Sinâ, dont l’auteur a adopté les théories, les autres intelligences séparées sont, par rapport à leur propre essence, dans la catégorie du possible, et ne tiennent que de leur cause ou de Dieu la qualité d’êtres nécessaires; elles ne forment pas une unité absolue, car elles peuvent être nombrées, comme causes et effets. Voy. la XVIe proposition.. Enfin, il est clair que, n’étant point un corps, il est un, comme il a été dit dans la seizième proposition.", "Ce sont là toutes des méthodes démonstratives pour (établir) l’existence d’un Dieu unique, qui n’est ni un corps, ni une force dans un corps, (et cela) tout en admettant l’éternité du monde.", "Il y a encore une autre méthode démonstrative pour écarter lacorporéité et établir l’unité (de Dieu)(1)La démonstration que l’auteur va donner est empruntée aux Motécallemîn, comme on peut le voir dans la première partie de cet ouvrage, chap. LXXV, IIe méthode (t. I, pag. 443).: c’est que, s’il y avait deux dieux, il faudrait nécessairement qu’ils eussent quelque chose qui leur appartînt en commun, — savoir, la chose par laquelle chacun des deux méritât d’être (appelé) Dieu, — et quelque autre chose également nécessaire, par quoi eût lieu leur distinction réciproque et par quoi ils fussent deux. Mais alors, si chacun des deux avait quelque chose que n’eût pas l’autre, chacun des deux serait composé de deux idées, aucun des deux ne serait ni cause première, ni être nécessaire par lui-même, et chacun des deux aurait des causes, comme il a été exposé dans la dix-neuvième (proposition). Si, au contraire, la chose distinctive se trouvait seulement dans l’un des deux, celui qui aurait ces deux choses ne serait point un être nécessaire par lui-même.", "Autre méthode pour (établir) l’unité. — Il a été établi par démonstration que tout l’univers est comme un seul individu, dont les parties sont liées les unes aux autres, et que les forces de la sphère céleste se répandent dans cette matière inférieure et la disposent(2)Voy. la Ire partie de cet ouvrage, chap. LXXII. — Sur le sens qu’a ici le verbe disposer, voy. la XXVe propos., et cf. pag. 30, note 2.. Cela étant établi, il est inadmissible qu’un dieu s’isole avec l’une des parties de cet être, et qu’un second dieu s’isole avec une autre partie: car elles sont liées l’une à l’autre. Il ne reste donc d’autre partage à faire, si ce n’est que l’un (des deux dieux) agisse dans un temps et l’autre dans un autre temps, ou bien qu’ils agissent toujours tous les deux ensemble, de sorte qu’aucune action ne puisse s’accomplir que par les deux ensemble. — Supposer que l’un agisse dans un temps et l’autre dans un autre temps, est impossible par plusieurs raisons. En effet, s’il se pouvait que, pendant le temps où l’un des deux agit, l’autre agît également, quelle serait la cause qui ferait que l’un agît et que l’autre fût oisif? Si, au contraire, il était impossible que l’un des deux agît dans le même temps où l’autre agit, cela supposerait une autre cause qui aurait fait qu’à l’un il fût possible d’agir, tandis qu’à l’autre cela fût impossible: car dans le temps même il n’y a pas de différence, et le substratum de l’action aussi est un seul dont les parties sont liées les unes aux autres, comme nous l’avons exposé. Ensuite, chacun des deux tomberait sous le temps: car son action serait liée au temps. Ensuite, chacun des deux passerait de la puissance à l’acte, au moment où il agirait, de sorte que chacun des deux aurait besoin de quelque chose qui le fît passer de la puissance à l’acte. Enfin, il y aurait dans l’essence de chacun des deux une possibilité. — Mais, supposer qu’ils opèrent toujours tous les deux ensemble tout ce qui se fait dans l’univers, de sorte que l’un n’agisse pas sans l’autre, c’est là également chose impossible, comme je vais l’expliquer. En effet, toutes les fois qu’une certaine action ne peut s’accomplir que par un ensemble (d’individus), aucun individu de cet ensemble n’est efficient absolu par son essence, et aucun n’est cause première pour l’action en question; mais, au contraire, la cause première est la réunion de l’ensemble. Mais il a été démontré que l’être nécessaire doit être absolument dénué de cause. Ensuite, la réunion de l’ensemble est (elle-même) un acte qui, à son tour, a besoin d’une autre cause, et c’est celle qui réunit l’ensemble. Or donc, si ce qui a réuni cet ensemble, sans lequel l’action ne peut s’accomplir, est (un être) unique, c’est là indubitablement Dieu. Si, au contraire, ce qui a réuni cet ensemble est à son tour un autre ensemble, il faudra pour ce second ensemble ce qu’il a fallu pour le premier ensemble. On arrivera donc nécessairement à un être unique, qui sera la cause de l’existence de cet univers unique, n’importe de quelle manière ce dernier existe: que ce soit par une création ex nihilo, ou par nécessité(1)Cf. t. I, p. 314, et ibid., note 1.. — Il est donc clair aussi, par cette méthode, que l’unité de l’univers entier nous prouve que son auteur est un.", "Autre méthode pour (établir) l’incorporalité(2)Cette méthode a pour but de démontrer que, tout corps étant composé, Dieu, qui est la simplicité absolue, ne saurait être un corps. Elle se compose de deux démonstrations distinctes. Dans la première, basée sur la XXIIe proposition, le corps est considéré au point de vue de sa composition de matière et de forme, qui suppose un efficient, et qui, par conséquent, ne permet pas de voir dans un corps, quel qu’il soit, l’être absolu, indépendant de toute cause. Dans la seconde démonstration, le corps est considéré comme un être composé, au point de vue de sa quantité divisible, de sa composition de substance et d’accidents, et de sa qualité d’être complexe, dans lequel il y a à la fois l’idée de corporéité en général et celle d’un corps déterminé quelconque.. — 1° Tout corps est composé, comme il a été dit dans la vingt-deuxième (proposition), et tout composé suppose nécessairement un efíicient, qui est la cause de l’existence de sa forme dans sa matière. 2° Il est aussi parfaitement clair que tout corps est divisible et a des dimensions, et que, par conséquent, il est indubitablement un substratum pour des accidents. Ainsi donc, le corps ne peut être un, d’une part, parce qu’il est divisible, et d’autre part, parce qu’il est composé, je veux dire, parce qu’il y a une dualité dans le terme même (de corps)(3)Littéralement: parce qu’il est deux par l’expression (ou le terme); car le mot corps renferme l’idée de corporéité en général, et l’idée de tel corps en particulier.: car tout corps n’est tel corps déterminé que par une idée ajoutée à l’idée de corps en général, et, par conséquent, il y a nécessairement en lui deux idées. Mais il a déjà été démontré que dans l’être nécessaire, il n’y a composition d’aucune façon.", "Après avoir d’abord rapporté ces démonstrations, nous commencerons à exposer notre propre méthode(1)C’est-à-dire, celle qui est basée sur la création ex nihilo, et que l’auteur exposera plus loin, après avoir donné des détails sur les sphères célestes et les intelligences., comme nous l’avons promis." ], [ "Ce cinquième corps, qui est la sphère céleste, doit nécessairement être, ou bien quelque chose qui naît et périt [et il en sera de même du mouvement], ou bien quelque chose qui ne naît ni ne périt, comme le dit l’adversaire(2)Voy. ci-dessus, pag. 35, note 4.. Or, si la sphère céleste est une chose qui naît et périt, ce qui l’a fait exister après le non-être, c’est Dieu [que son nom soit glorifié!]; c’est là une notion première, car tout ce qui existe après ne pas avoir existé suppose nécessairement quelque chose qui l’ait appelé à l’existence, et il est inadmissible qu’il se soit fait exister lui-même. Si, au contraire, cette sphère n’a jamais cessé et ne cessera jamais de se mouvoir ainsi par un mouvement perpétuel et éternel, il faut, en vertu des propositions qui précèdent, que ce qui lui imprime le mouvement éternel ne soit ni un corps, ni une force dans un corps; et ce sera encore Dieu [que son nom soit glorifié!]. Il est donc clair que l’existence de Dieu [être nécessaire, sans cause, et dont l’existence est en elle-même exempte de toute possibilité] est démontrée par des preuves décisives et certaines(3)Ainsi que le fait observer ici le commentateur Ephodi, il ne peut y avoir, pour l’existence de Dieu, de démonstration rigoureuse, basée sur des prémisses bien définies, puisque, comme l’auteur l’a dit ailleurs, Dieu n’a pas de causes antérieures et ne saurait être défini. Les preuves qu’on allègue pour l’existence de Dieu sont donc de celles qui sont basées sur des définitions imparfaites, où l’antérieur est défini par le postérieur. Voy. le t. I de cet ouvrage, pag. 190, et ibid., notes 3 et 4. Cf. Mélanges de philosophie juive et arabe, pag. 192 et 193., n’importe que le monde soit une création ex nihilo, ou qu’il ne le soit pas. De même, il est établi par des démonstrations qu’il (Dieu) est un et incorporel, comme nous l’avons dit précédemment: car la démonstration de son unité et de son incorporalité reste établie, n’importe que le monde soit, ou non, une création ex nihilo, comme nous l’avons exposé dans la troisième des méthodes philosophiques(1)Voy. le chap. précédent, à la fin de la 3e spéculation, où l’auteur a montré que, l’existence de l’être nécessaire étant établie, il est facile de démontrer que cet être est un et incorporel., et comme (ensuite) nous avons exposé (à part) l’incorporalité et l’unité par des méthodes philosophiques(2)L’auteur veut dire que les preuves alléguées à la fin du chap. I, pour établir l’unité et l’incorporalité de Dieu, sont également indépendantes de la théorie de l’éternité du monde et conservent toute leur force, même avec la doctrine de la création. — Un seul de nos mss., et c’est le moins correct, porte: ; Ibn-Tibbon a également lu les mots פי תביין, qu’il a rendus par בפירוש..", "Il m’a paru bon d’achever les théories des philosophes en exposant leurs preuves pour l’existence des intelligences séparées, et de montrer qu’ils sont d’accord, en cela(3)Tous les mss. portent מטאבקה̈ דׄלך, la conformité de cela. L’édition princeps de la version d’Ibn-Tibbon rend ces mots par הַסבימוׄ (pour הסבמת זה); les autres éditions, ainsi que plusieurs mss., substituent השתווחם. Al-’Harîzi: איך יאות זה הענין., avec les principes de notre religion: je veux parler de l’existence des anges. Après avoir achevé ce sujet, je reviendrai à l’argumentation que j’ai promise sur la nouveauté du monde: car nos principales preuves là-dessus ne seront solides et claires qu’après qu’on aura connu l’existence des intelligences séparées et les preuves sur lesquelles elle s’appuie(4)Littéralement: et comment on a prouvé leur existence; c.-à-d. et après qu’on aura su comment les philosophes s’y sont pris pour prouver l’existence de ces intelligences. Le verbe doit être prononcé comme prétérit passif . Ibn-Tibbon l’a pris, par erreur, pour un futur actif , et il a traduit ואיך אביא ראיה, et comment prouverai-je? ce qui a embarrassé les commentateurs. Al-’Harîzi a bien rendu le sens en traduisant: ואיך הביאו ראיה, et comment ils ont prouvé.. Mais, avant tout cela, il faut que je fasse une observation préliminaire, qui sera un flambeau pour éclaircir les obscurités de ce traité tout entier, tant des chapitres qui ont précédé que de ceux qui suivront, et cette observation, la voici:", "OBSERVATION PRÉLIMINAIRE.
Sache que, dans ce traité, je n’ai pas eu pour but de composer (un ouvrage) sur la science physique, pas plus que d’analyser d’après certains systèmes les sujets de la science métaphysique, ou de reproduire les démonstrataions dont ils ont été l’objet(1)Littéralement: ou de démontrer ce qui a été démontré d’eux, c.-à-d. de ces sujets métaphysiques.. Je n’y ai pas eu non plus pour but de résumer et d’abréger (la science de) la disposition des sphères célestes, ni de faire connaître le nombre de ces dernières; car les livres qui ont été composés sur tout cela sont suffisants, et dussent-ils ne pas l’être pour un sujet quelconque, ce que je pourrais dire, moi, sur ce sujet ne vaudrait pas mieux que tout ce qui a été dit. Mon but dans ce traité n’a été autre que celui que je t’ai fait connaître dans son introduction(2)L’auteur veut parler de l’introduction générale placée en tête de la Ire partie.; à savoir, d’expliquer les obscurités de la loi et de manifester les vrais sens de ses allégories, qui sont au dessus des intelligences vulgaires. C’est pourquoi, quand tu me verras parler de l’existence(3)Littéralement: de l’affirmation, c.-à-d. de la doctrine qui affirme l’existence des Intelligences séparées. et du nombre des Intelligences séparées, ou du nombre des sphères et des causes de leurs mouvements, ou de la véritable idée de la matière et de la forme, ou de ce qu’il faut entendre par l’épanchement divin(4)Sur le mot פיץׄ , voy. t. I, pag. 244, note 1, et ci-après, chap. XII., ou d’autres choses semblables, il ne faudra pas que tu croies un seul instant(5)Littéralement: que tu croies, ni qu’il te vienne à l’idée. que j’aie eu uniquement pour but d’examiner ce sujet philosophique; car ces sujets ont été traités dans beaucoup de livres, et on en a, pour la plupart, démontré la vérité. Mais j’ai seulement pour but de rapporter ce dont l’intelligence peut servir à éclaircir certaines obscurités de la Loi, et d’exposer brièvement tel sujet par la connaissance duquel beaucoup de difficultés peuvent être résolues(1)Tel me paraît être le sens de la phrase arabe, irrégulièrement construite et qui signifie mot à mot: et beaucoup de difficultés seront résolues par la connaissance de ce sujet que je résumerai.. ", "Tu sais déjà, par l’introduction de ce traité, qu’il roule principalement(2)Littéralement: que son pôle tourne seulement sur, etc. sur l’explication de ce qu’il est possible de comprendre du Ma’asé beréschîth (récit de la Création) et du Ma’asé mercabâ (récit du char céleste)(3)Voy. le t. I, pag. 9, note 2., et sur l’éclaircissement des obscurités inhérentes à la prophétie et à la connaissance de Dieu. Toutes les fois que, dans un chapitre quelconque, tu me verras aborder l’explication d’un sujet qui déjà a été démontré soit dans la science physique, soit dans la science métaphysique, ou qui seulement a été présenté comme ce qu’il y a de plus admissible, ou un sujet qui se rattache à ce qui a été exposé dans les mathématiques, — tu sauras que ce sujet est nécessairement une clef pour comprendre une certaine chose des livres prophétiques, je veux dire de leurs allégories et de leurs mystères, et que c’est pour cela que je l’ai mentionné et clairement exposé, comme étant utile soit pour la connaissance du Ma’asé mercabâ et du Ma’asé beréschîth, soit pour l’explication d’un principe relatif au prophétisme ou à une opinion vraie quelconque qu’on doit admettre dans les croyances religieuses.", "Après cette observation préliminaire, je reviens accomplir la tâche que je m’étais imposée(4)Littéralement: je reviens achever ce à quoi je m’étais attaché, ou ce dans quoi je m’étais engagé.." ], [ "Sache que les opinions qu’émet Aristote sur les causes du mouvement des sphères, et dont il a conclu qu’il existe des Intelligences séparées, quoique ce soient des hypothèses non susceptibles d’une démonstration, sont cependant, d’entre les opinions qu’on peut énoncer, celles qui sont le moins sujettes au doute et qui se présentent avec le plus de méthode(1)Plus littéralement: et qui courent le plus régulièrement. אגׄראהא (prononcez ) est un comparatif avec suffixe, dérivé du participe , courant, marchant., comme le dit Alexandre dans (son traité) les Principes de toutes choses(2)Ce traité d’Alexandre d’Aphrodisias, qui n’existe plus en grec, paraît être le même qui est mentionné par Casiri, sous le titre de De Rerum creatarum principiis, et dont la traduction arabe se trouve dans le mss. arabe n° DCCXCIV de l’Escurial. Voy. Casiri, Biblioth. arab. hisp., t. I, pag. 242.. Ce sont aussi des énoncés, qui, comme je l’exposerai, sont d’accord avec beaucoup d’entre ceux de la Loi, surtout selon l’explication des Midraschim les plus célèbres, qui, sans doute, appartiennent à nos sages. C’est pourquoi, je citerai ses opinions(3)C’est-à-dire, les opinions d’Aristote. et ses preuves, afin d’en choisir ce qui est d’accord avec la Loi et conforme aux énoncés des sages [que leur mémoire soit bénie!]." ], [ "Que la sphère céleste est douée d’une âme, c’est ce qui devient clair quand on examine bien (la chose)(4)Cf. le traité Du Ciel, l. II, chap. 2, où Aristote appelle le ciel un être animé, ayant en lui-même un principe de mouvement (ὁ δ’οὑρανὸς ἒμψυχος ϰαί ἒχει ϰινἠσεως ἀρχήν). Ailleurs, cependant, Aristote paraît attribuer le mouvement circulaire du ciel, comme le mouvement droit des éléments, à une nature inhérente au corps céleste (Ibid., liv. 1, ch. 2), et d’autres fois, il l’attribue à un désir que fait naître en lui l’intelligence suprême, vers laquelle il est attiré (Métaph., XII, 7). Ici, comme dans la théorie des différents intellects (voir t. I, p. 304 et suiv.), l’obscurité et le vague qui régnent dans les théories d’Aristote ont donné lieu à des interprétations diverses. Les philosophes arabes, et notamment Ibn-Sinâ, combinant ensemble les opinions des commentateurs néoplatoniciens et les théories astronomiques, ont formé, sur le mouvement des corps célestes et sur l’ordre des sphères et des Intelligences, la doctrine développée par Maïmonide dans ce chapitre et dans les suivants, et qui, sur divers points, a été combattue par Ibn-Roschd. Voy. Avicennœ opera (Venise, 1495, in-fol.), Métaph., liv. IX, chap. II-IV; Scbahrestâni, p. 380 et suiv. (trad. all., t. II, p. 261 et suiv.); Al-Nadjâh, ou Abrégé de la Philosophie d’Ibn-Sinâ (à la suite du Canon), pag. 71 et suiv.; Averroès, Epitome in libros Metaphys. Aristotelis, tract. IV. Cf. Albert le Grand, De Causis et processu universitatis, lib. I, tract. IV, cap. 7 et 8, et lib. II, tract. II, cap. 1 (opp. omn., t. V, p. 559 et suiv., p. 586 et suiv.); Saint Thomas d’Aquin, De Substantiis separatis, cap. II (opp. t. XVII, fol. 16 verso et suiv.). Ce qui fait que celui qui entend cela le croit une chose difficile à comprendre, ou le rejette bien loin, c’est qu’il s’imagine que, lorsque nous disons douée d’une âme, il s’agit d’une âme comme celle de l’homme, ou comme celle de l’âne et du bœuf. Mais ce n’est pas là le sens de ces mots, par lesquels on veut dire seulement que son mouvement local(1)C’est-à-dire, le mouvement local de la sphère céleste. prouve qu’elle a indubitablement dans elle un principe par lequel elle se meut, et ce principe, sans aucun doute, est une âme. En effet, — pour m’expliquer plus clairement, — il est inadmissible que son mouvement circulaire soit semblable au mouvement droit de la pierre vers le bas, ou du feu vers le haut, de sorte que le principe de ce mouvement soit une nature(2)Le principe du mouvement propre aux éléments, qui est la gravité ou la légèreté, est désigné par Aristote comme une nature (φύσις) inhérente aux éléments. Ceux-ci se meuvent en ligne droite, tantôt conformément à leur nature (ϰατἀ φύσιν), comme par exemple la terre vers le bas et le feu vers le haut, tantôt, et par une force extérieure, contrairement à leur nature (παρἀ φύσιν). Voy. le traité Du Ciel, I, 2; III, 2; IV, 3, et passim. Cf. ci-dessus, p. 8, note 1, et p. 10, note., et non pas une âme; car ce qui a ce mouvement naturel, le principe qui est dans lui le meut uniquement pour chercher son lieu (naturel), lorsqu’il se trouve dans un autre lieu, de sorte qu’il reste en repos dès qu’il est arrivé à son lieu(1)Cf. la Ire partie de cet ouvrage, chap. LXXII (t. I, p. 359)., tandis que cette sphère céleste se meut circulairement (en restant toujours) à la même place. Mais il ne suffit pas qu’elle soit douée d’une âme, pour qu’elle doive se mouvoir ainsi; car tout ce qui est doué d’une âme ne se meut que par une nature, ou par une conception. — Par nature je veux dire ici (ce qui porte l’animal) à se diriger vers ce qui lui convient et à fuir ce qui lui est contraire, n’importe que ce qui le met ainsi en mouvement soit en dehors de lui, — comme, par exemple, lorsque l’animal fuit la chaleur du soleil, et que, ayant soif, il cherche le lieu de l’eau,— ou que son moteur soit l’imagination [car l’animal se meut aussi par la seule imagination de ce qui lui est contraire et de ce qui lui convient]. — Or, cette sphère ne se meut point dans le but de fuir ce qui lui est contraire ou de chercher ce qui lui convient; car le point vers lequel elle se meut est ausssi son point de départ, et chaque point de départ est aussi le point vers lequel elle se meut. Ensuite, si son mouvement avait ce but-là, il faudrait qu’arrivée au point vers lequel elle se meut, elle restât en repos; car si elle se mouvait pour chercher ou pour fuir quelque chose, sans qu’elle y parvînt jamais, le mouvement serait en vain. Son mouvement circulaire ne saurait donc avoir lieu qu’en vertu d’une certaine conception(2)Le verbe est dérivé de , forme, et signifie, selon le livre Ta’rîfât, , recevoir dans l’intellect la forme d’une chose. L’infinitif, que nous traduisons ici par conception, pourrait se rendre aussi par pensée ou idée (cf. le t. I, p. 116, note 3); dans les versions arabes d’Aristote, les mots τὸ νοεῖν, νόησις et νόημα sont souvent rendus par , ou simplement par . Voy. p. ex. le traité De l’Ame, liv. I, chap. 1 (§ 9): Mἀλιστα δ’ ἒοιϰεν ἰδίῳ τὸ νοεῖν; en arabe: (ms. hébr. de la Biblioth. imp., ancien fonds, n° 317, fol. 104 recto, col. b). Ibid., chap. 4 (§ 14): ϰαί τὸ νοεῖν δὴ; en arabe: (même ms., fol. 113, col. d). Métaph., liv. XII, chap. 7: ἀρχὴ δὲ ἡ νόησις; version hébr.: וההתחלה הוא הציור בשבל; vers. ar. lat. (in-fol., fol. 150, col. a): «Principium autem est imaginatio per intellectum.» Le mot indique aussi la simple notion (νόημα), dans laquelle il n’y a ni vrai ni faux, et dans ce sens il est opposé à (affirmation), indiquant la combinaison de pensées (σύνθεσίς νοημάτων), dans laquelle il y a erreur et vérité. Voy. Arist., Catégories, chap. 2 commencement, et chap. 4 (II) fin; traité De l’Interprétation, chap. I; traité De l’Ame, liv. III, chap. 6 (§ 1); et ibid. le commentaire d’Averroès (édit. in-fol., fol. 171, col. c)., qui lui impose de se mouvoir ainsi. Or, la conception n’a lieu qu’au moyen d’un intellect; la sphère céleste, par conséquent, est douée d’un intellect(1)C’est-à-dire, d’une intelligence qu’elle possède dans elle, semblable à la faculté rationnelle de l’homme, et qu’il ne faut pas confondre avec l’intelligence séparée, qui est en dehors de la sphère. Cf. la Ire partie de cet ouvrage, chap. LXXII (p. 373-374).. Mais tout ce qui possède un intellect, par lequel il conçoit une certaine idée, et une âme, par laquelle il lui devient possible de se mouvoir, ne se meut pas (nécessairement) quand il conçoit (une idée); car la seule conception ne nécessite pas le mouvement. Ceci a été exposé dans la Philosophie première (ou dans la Métaphysique), et c’est clair aussi (en soi-même). En effet, tu trouveras par toi-même que tu conçois beaucoup de choses vers lesquelles aussi tu es capable de te mouvoir, et que cependant tu ne te meus pas vers elles, jusqu’à ce qu’il te survienne nécessairement un désir (qui t’entraîne) vers cette chose que tu as conçue, et alors seulement tu te meus pour obtenir ce que tu as conçu. Il est donc clair que ni l’âme par laquelle se fait le mouvement, ni l’intellect par lequel on conçoit la chose, ne suffisent pour produire le mouvement dont il s’agit jusqu’à ce qu’il s’y joigne un désir de la chose conçue. Il s’ensuit de là que la sphère céleste a le désir (de s’approcher) de ce qu’elle a conçu, à savoir de l’objet aimé, qui est Dieu [que son nom soit exalté!]. C’est à ce point de vue qu’on a dit que Dieu met en mouvement la sphère céleste, c’est-à-dire, que la sphère désire s’assimiler à l’objet de sa perception(1)Cf. Aristote, Métaph., l. XII, ch. 7 (édit. de Brandis, p. 248): Ẻπιθυμητὸν γἁρ τὸ φαινόμενον ϰαλόν, βουλητὀν δὲ πρῶτον τὸ ὂν ϰαλόν. Conformément à la doctrine d’Ibn-Sinâ, Maïmonide considère Dieu et les autres Intelligences séparées comme les causes finales du mouvement des sphères célestes, qui, comme on l’a vu, possèdent en elles-mêmes les causes efficientes immédiates de leur mouvement, à savoir leurs âmes et leurs intellects., et c’est là cette chose conçue (par elle), qui est d’une simplicité extrême, dans laquelle il ne survient absolument aucun changement, ni aucune situation nouvelle, et dont le bien émane continuellement. Mais la sphère céleste, en tant qu’elle est un corps, ne peut cela que parce que son action est le mouvement circulaire, pas autrement [car le plus haut point de perfection que le corps puisse atteindre, c’est d’avoir une action perpétuelle]. C’est là le mouvement le plus simple que le corps puisse posséder, et (cela étant) il ne survient aucun changement, ni dans son essence, ni dans l’épanchement des bienfaits qui résultent de son mouvement(2)C’est-à-dire, dans l’influence bienfaisante que le corps céleste exerce sur le monde sublunaire. Cf. le t. I, chap. LXXII, p. 361 et suiv..", "Aristote, après avoir reconnu tout cela, se livra à un nouvel examen, par lequel il trouva démonstrativement (qu’il y a) des sphères nombreuses, dont les mouvements respectifs diffèrent les uns des autres par la vitesse, par la lenteur, et par la direction(3)C’est-à-dire, que le mouvement dans les unes est plus rapide ou plus lent que dans les autres, et qu’elles ne se dirigent pas toutes du même côté. Voyez pour ce paragraphe la Métaphys. d’Aristote, liv. XII, chap. 8. L’auteur a mêlé aux considérations d’Aristote les théories astronomiques qui avaient cours chez les Arabes, notamment celles de Ptolémée., quoiqu’elles aient toutes en commun le mouvement circulaire. Cette étude physique le porta à croire que la chose que conçoit telle sphère, de manière à accomplir son mouvement rapide en un jour, doit nécessairement différer de celle que conçoit telle autre sphère, qui accomplit un seul mouvement en trente ans(1)L’auteur fait allusion, d’une part, au mouvement diurne qu’accomplit la sphère supérieure, ou la neuvième sphère, de l’orient à l’occident, dans l’espace de 24 heures, et d’autre part, au mouvement périodique de la planète de Saturne, de l’occident à l’orient, qui dure trente ans. Cf. le tome Ier, pag. 357, note 3.. Il en a donc décidément conclu qu’il y a des Intelligences séparées, du même nombre que celui des sphères, que chacune des sphères éprouve un désir pour cette intelligence, qui est son principe, et que celle-ci lui imprime le mouvement qui lui est propre, de sorte que telle intelligence (déterminée) met en mouvement telle sphère. Ni Aristote, ni aucun autre(2)C’est-à-dire, aucun de ses contemporains., n’a décidé que les intelligences soient au nombre de dix ou de cent; mais il a dit qu’elles sont du même nombre que les sphères. Or, comme on croyait, de son temps, que les sphères étaient au nombre de cinquante, Aristote dit: «S’il en est ainsi, les Intelligences séparées sont au nombre de cinquante(3)Ceci n’est pas entièrement exact, et l’auteur a seulement voulu donner un nombre rond. Aristote dit que, selon un système, on doit admettre cinquante-cinq sphères, et selon un autre, quarante-sept. Voy. Métaph., XII, 8. Ibn-Sinâ, que notre auteur a probablement suivi, s’exprime plus exactement en disant que, selon Aristote, si les Intelligences sont en raison des sphères, il y en aura environ cinquante: «et sequetur secundum sententiam magistri primi quod sunt circiter quin-quaginta et amplius.» Voy. Avicennœ opera, Metaphysica, liv. IX, chap. 3 (fol. 104 recto, col. b.).» Car les connaissances mathématiques étaient rares de son temps et ne s’étaient pas encore perfectionnées; on croyait que pour chaque mouvement il fallait une sphère, et on ne savait pas que l’inclinaison d’une seule sphère faisait naître plusieurs mouvements visibles, comme, par exemple, le mouvement de longitude, le mouvement de déclinaison, et aussi le mouvement (apparent) qu’on voit sur le cercle de l’horizon, dans l’amplitude des levants et des couchants(1)L’auteur veut dire, ce me semble, qu’en supposant à une planète une sphère inclinée, c’est-à-dire une sphère dont l’axe est oblique à l’écliptique et dont les poles par conséquent s’écartent de ceux de la sphère des étoiles fixes, on se rend compte à la fois 1° du mouvement périodique en longitude, ou d’occident en orient, 2° du mouvement de déclinaison vers le nord ou le sud, et 3° du mouvement qui s’aperçoit sur le cercle de l’horizon dans les arcs compris entre l’équateur et la limite du lever et du coucher de chaque planète (amplitude ortive et occase); car, par suite du mouvement de déclinaison, les points des levers et des couchers des planètes varient de jour en jour dans l’étendue de ces arcs de l’horizon.. Mais ce n’est pas là notre but, et nous revenons à notre sujet(2)Littéralement: à ce dans quoi nous étions..", "Si les philosophes modernes ont dit que les Intelligences sont au nombre de dix, c’est qu’ils ont compté les globes ayant des astres et la sphère environnante, bien que quelques-uns de ces globes contiennent plusieurs sphères. Or, ils ont compté neuf globes, (à savoir) la sphère qui environne tout, celle des étoiles fixes, et les sphères des sept planètes. Quant à la dixième Intelligence, c’est l’intellect actif, dont l’existence est prouvée par nos intellects passant de la puissance à l’acte, et par les formes survenues aux êtres qui naissent et périssent, après qu’elles n’ont été dans leurs matières qu’en puissance(3)Ainsi que nous l’avons dit, l’auteur, dans cette énumération des Intelligences, a suivi Ibn-Sinâ, qui, outre l’Intelligence suprême, ou Dieu, admet dix Intelligences, dont la première, qui émàne directement de Dieu (Cf. ci-après, chap. XXII), est celle de la sphère du mouvement diurne, qui environne tout l’univers, et dont la dernière, émanée de l’Intelligence de la sphère lunaire, est l’intellect actif. Voy. Avicennœ opera, Metaph., IX, l: c.: «Si autem circuli planetarum fuerint sic quod principium motus circulorum uniuscujus-que planetarum sit virtus fluens a planeta, tunc non erit longe quin separata sint secundum numerum planetarum, non secundum numerum circulorum; et tune eorum numerus est decem post primum (c’est-à-dire Dieu). Primum autem eorum est Intelligentia quæ non movetur, cujus est movere sphæram corporis ultimi (c’est-à-dire la sphère diurne). Deinde id quod sequitur est quod movet sphæram fixarum. Deinde sequitur quod movet sphæram Saturni. Similiter est quousque pervenitur ad Intelligentiam a qua fluit super nostras animas; et hæc est Intelligentia mundi terreni, et vocamus eam Intelligentiam agentem.» Ibn-Roschd, identifiant la sphère du mouvement diurne avec celle des étoiles fixes, n’admet que huit sphères. Voy. Epitome in libros metaph., tract. IV (fol. 182, col. a): «Tandem apud me est remotum quod inveniatur orbis nonus sine stellis; nam orbis est stellarum gratia, quæ sunt nobilior pars ejus…. Orbis autem qui movet motum magnum est nobilior cæteris or-bibus; quapropter non videtur nobis quod sit sine stellis, immo apud me est impossibile.» D’après cela, il n’y aurait en tout que neuf Intelligences séparées, dont la dernière, comme dans la théorie d’Ibn-Sinâ, est l’intellect actif. Celui-ci donc, selon la théorie des Arabes, est dans un rapport intime avec l’Intelligence de la sphère lunaire, dont il émane directement, mais avec laquelle il ne faut pas l’identifier. — [Dans mes Mélanges de philosophie juive et arabe, au commencement de la page 332 (Cf. aussi pag. 165 et 448, et le t. I de cet ouvrage, pag. 277, et note 3), je me suis exprimé à cet égard d’une manière inexacte, et j’aurais dû dire: «De la dernière de ces Intelligences séparées, qui préside au mouvement de la sphère la plus rapprochée de nous (celle de la lune), émane l’intellect actif, etc.»] — Le passage d’Ibn-Roschd (l. c., fol. 184, col. d), qu’on a souvent cité pour montrer que, selon cet auteur, l’intellect actif est lui-même le moteur de la sphère lunaire (voy. Ritter, Geschichte der philosophie, t. VIII, p. 148), est ainsi conçu dans la version hébraïque: והשכל הפועל הוא יםודר מםוף אלו המניעים במדרגה ונניחו מניע גלגל הירח. Le mot מםוף me paraît être une traduction inexacte des mots arabes , et il faut traduire ainsi: «L’intellect actif émane du dernier de ces moteurs en rang (c.-à-d. de celui de ces moteurs qui par son rang est le dernier), que nous supposons être le moteur de la sphère de la lune.» Pour ne laisser aucun doute à cet égard, je citerai ici un passage du commentaire de Moïse de Narbonne sur le Makâcid d’Al-Gazâli, vers la fin de la IIe partie, ou de la Métaph., où l’on expose (d’après Ibn-Sîna) la théorie des sphères et de leurs intelligences (voy. ms. hébr. du fonds de l’Oratoire, n° 93, fol. 179 a): ואמנם בן רשד ובל הפילוםופים מודים שהשבל הפועל בלתי מניע לגלגל רק שהוא עשירי לשבלים הנפרדים לפי בן רשד והשבל הראשון בבלל והוא עשירי לשבלים העלולים מבלתי מנוה במחוייב המציאות לפי אבוחמד. «Ibn-Roschd et tous les philosophes conviennent que l’intellect actif n’est le moteur d’aucune sphère céleste. Mais, selon Ibn-Roschd, il est la dixième des Intelligences séparées, si l’on y comprend aussi l’Intelligence première (ou Dieu); tandis que, selon Abou-’Hamed (al-Gazâli), il est la dixième des Intelligences causées, sans compter l’Être nécessaire (c.-à-d. la première cause absolue, ou Dieu).»—Cf. Albert le Grand, De Causis et processu universitatis, liv. I, tract, IV, cap. 8 (opp. t. V, p. 562 a): «Post Intelligentiam autem orbis lunæ et ipsum orbem lunæ, qui (sicut dicit Aristoteles) in aliquo terrestris est, est Intelligentia quæ illustrat super sphæram activorum et passivorum, cujus lumen diffundit in activis et passivis, quæ super animas hominum illustrat, et cujus virtus concipitur in seminibus generatorum et passivorum.». Car, tout ce qui passe de la puissance à l’acte a nécessairement en dehors de lui quelque chose qui l’y fait passer; et il faut que cet efficient soit de la même espèce que la chose sur laquelle il agit(1)Littéralement: et il faut que ce qui fait sortir (ou passer à l’acte) soit de l’espèce de ce qui est fait sortir.. En effet, le menuisier ne fait pas le coffre parce qu’il est artisan, mais parce qu’il a dans son esprit la forme du coffre; et c’est la forme du coffre, dans l’esprit du menuisier, qui a fait passer à l’acte et survenir au bois la forme (objective) du coffre. De même, sans aucun doute, ce qui donne la forme est une forme séparée, et ce qui donne l’existence à l’intellect est un intellect, à savoir l’intellect actif; de sorte que l’intellect actif est aux éléments et à ce qui en est composé, ce que chaque intelligence séparée, appartenant à une sphère quelconque, est à cette sphère(2)Les éditions de la version hébraïque d’Ibn-Tibbon portent: יחם בל שכל נבדל המיוהד לגלגל ההוא; on voit qu’il y manque l’équivalent des mots arabes בכל פלך. Dans les mss. de cette version on lit, comme dans celle d’Al-’Harizi: המיוחד בגלגל לגלגל ההוא; le mot בגלגל rend le mot arabe באלפלך, que portent quelques mss. ar. au lieu de בבל פלך., et que le rôle de l’intellect en acte existant dans nous, lequel est émané de l’intellect actif et par lequel nous percevons ce dernier, est le même que celui de l’intellect existant dans chaque sphère, lequel est émané de l’intelligence séparée, et par lequel elle (la sphère) perçoit l’intelligence séparée, la conçoit, désire s’assimiler à elle, et arrive ainsi au mouvement. ", "Il s’ensuit aussi pour lui(1)C’est-à-dire, pour Aristote, à qui notre auteur attribue le fond de la théorie qu’il vient d’exposer. ce qui déjà a été démontré, à savoir: que Dieu ne fait pas les choses par contact; quand (par exemple) il brûle(2)Littéralement: mais (il en est) comme (quand) il brûle par l’intermédiaire, etc.—Ibn-Tibbon, ayant pris les mots פכמא אן dans leur sens ordinaire de de même que, a écrit, pour compléter la phrase, כן הגלגל (de même la sphère), tandis que tous les mss. ar. portent simplement ואלפלך (et la sphère)., c’est par l’intermédiaire du feu, et celui-ci est mû par l’intermédiaire du mouvement de la sphère céleste, laquelle à son tour est mue par l’intermédiaire d’une Intelligence séparée. Les Intelligences sont donc les anges qui approchent (de Dieu)(3)Les mots sont empruntés au Korân (chap. IV, v. 170), où ils désignent la Ire classe des anges, ou les chérubins. On ne saurait admettre que Maïmonide, dans un ouvrage destiné aux Juifs, ait reproduit avec intention une expression du Korân. Tout le passage est sans doute emprunté à l’un des philosophes arabes, probablement à Ibn-Sînâ, ou à Al-Gazàli. Ce dernier, parlant des philosophes, s’exprime en ces termes (Destruction des philosophes, XVIe question, vers, hébr.): וכבר חשבו שהמלאבים השמימיים הם נפשות הגלגלים ושהמלאבים הנקראים ברובים המתקרבים הם השבלים המופשטים. «Ils prétendent que les anges célestes sont les âmes des sphères, et que les anges qui approchent, appelés chérubins, sont les Intelligences abstraites (ou séparêes).» Cf. Averroès, Destr. destructionis, disputat. XVI, au commencement. — Sur l’identification des anges avec les Intelligences séparées, voy. ci-après, chap. VI., et par l’intermédiaire desquels les sphères sont mises en mouvement. Or, comme les Intelligences séparées ne sont pas susceptibles d’être nombrées sous le rapport de la diversité de leurs essences, — car elles sont incorporelles, — il s’ensuit que, d’après lui (Aristote), c’est Dieu qui a produit la première Intelligence, laquelle met en mouvement la première sphère, de la manière que nous avons exposée; l’Intelligence qui met en mouvement la deuxième sphère n’a pour cause et pour principe que la première Intelligence, et ainsi de suite(1)En d’autres termes: Comme les Intelligences ne constituent pas d’essences diverses, distinctes les unes des autres, de manière à pouvoir être nombrées comme des unités diverses, il s’ensuit qu’elles ne peuvent l’être qu’en tant qu’elles sont les causes et les effets les unes des autres; de sorte que Dieu n’est la cause immédiate que de la première Intelligence, laquelle à son tour est la cause de la deuxième Intelligence, et ainsi de suite. Voy la XVIe des propositions placées en tête de cette IIe partie.; de sorte que l’Intelligence qui met en mouvement la sphère voisine de nous(2)C’est-à-dire, la sphère de la lune. est la cause et le principe de l’intellect actif. Celui-ci est la dernière des Intelligences séparées(3)Littéralement: A celui-ci aboutit l’existence des Intelligences séparées., de même que les corps aussi, commençant par la sphère supérieure, finissent par les éléments et par ce qui se compose de ceux-ci. On ne saurait admettre que l’Intelligence qui met en mouvement la sphère supérieure soit elle-même l’Être nécessaire (absolu); car, comme elle a une chose de commun avec les autres Intelligences, à savoir, la mise en mouvement des corps (respectifs), et que toutes elles se distinguent les unes des autres par une autre chose, chacune des dix est (composée) de deux choses(4)C’est-à-dire: Puisque, d’une part, la première Intelligence a cela de commun avec les autres qu’elle met en mouvement sa sphère respective, et que, d’autre part, toutes les intelligences se distinguent entre elles en ce qu’elles sont les causes et les effets les unes des autres, on peut distinguer dans la première, comme dans toutes les autres, deux idées différentes, car elle est en même temps le moteur de la première sphère et la cause efficiente de la deuxième Intelligence; elle est donc composée, et elle ne saurait être considérée comme l’Ètre nécessaire, qui est d’une simplicité absolue. Cf. le chap. XXII de cette IIe partie., et, par conséquent, il faut qu’il y ait une cause première pour le tout.", "Telles sont les paroles d’Aristote et son opinion. Ses preuves(5)Il manque ici, dans presque toutes les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot וראיותיו qu’on trouve dans les mss. et dans l’édition princeps. sur ces choses ont été exposées, autant qu’elles peuvent l’être(1)Au lieu de שׄבלם, qu’ont ici toutes les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire םבלם, nom d’action du verbe םבל, qui, comme le verbe arabe , a le sens de supporter, soutenir, être admissible ou possible. Le pronom suffixe se rapporte à ses preuves., dans les livres de ses successeurs. Ce qui résulte de toutes ses paroles, c’est que toutes les sphères célestes sont des corps vivants, possédant une âme et un intellect; qu’elles conçoivent et perçoivent Dieu, et qu’elles perçoivent aussi leurs principes(2)C’est-à-dire, par l’intellect qu’elles possèdent dans elles (et qu’il ne faut pas confondre avec l’Intelligence séparée), elles ont la conception ou la pensée de l’Être divin, qu’elles perçoivent ensuite par le désir qui les attire vers lui. En même temps, elles perçoivent leurs principes; c’est-à-dire, que chacune d’elles perçoit les Intelligences qui lui sont supérieures, et dont elles émanent plus directement.; enfin, qu’il existe des Intelligences séparées, absolument incorporelles, qui toutes sont émanées de Dieu, et qui sont les intermédiaires entre Dieu et tous ces corps (cèlestes). ", "— Et maintenant je vais t’exposer, dans les chapitres suivants, ce que notre Loi renferme, soit de conforme, soit de contraire à ces opinions." ], [ "Que les sphères célestes sont vivantes et raisonnables, je veux dire (des êtres) qui perçoivent, c’est ce qui est aussi (proclamé) par la Loi une chose vraie et certaine; (c’est-à-dire) qu’elles ne sont pas des corps morts, comme le feu et la terre, ainsi que le croient les ignorants, mais qu’elles sont, comme disent les philosophes, des êtres animés, obéissant à leur maître, le louant et le glorifiant de la manière la plus éclatante(3)Littéralement: qui le louent et le glorifient; et quelle louange! et quelle glorification!. On a dit: Les cieux racontent la gloire de Dieu, etc. (Ps XIX, 2); et combien serait il éloigné de la conception de la vérité celui qui croirait que c’est ici une simple métaphore(1)Littéralement: celui qui croirait que c’est ici la langue de l’état ou de l’attitude; c’est-à-dire, le langage muet et figuré que, dans notre pensée, nous prêtons aux objets. «L’expression , dit Silvestre de Sacy, est une métaphore qui s’emploie en parlant des choses dont la seule vue prouve aussi bien et souvent mieux que toutes les paroles la vérité d’un fait. C’est ainsi que nous disons en français: Les faits parlent avec évidence. Ainsi les Arabes disent que la maigreur d’un homme, son air have et décharné, ses habits usés et déchirés, disent, par la langue de leur état, qu’il a été le jouet de la mauvaise fortune, et implorent pour lui la commisération des hommes généreux.» Voy. Chrest. ar. (2e édition), t. I, pag. 461. Maïmonide veut dire que ceux-là sont loin de la vérité, qui s’imaginent que dans les paroles du Psalmiste il s’agit d’un langage qui n’existe que dans l’imagination du poëte et que par métaphore il attribue aux cieux; car les sphères célestes, êtres vivants et intelligents, ont réellement un langage en elles-mêmes, et non pas seulement dans notre pensée, quoique leur langage ne consiste pas en paroles. — Les mots לשון הענין, par lesquels la version d’Ibn-Tibbon rend les mots arabes לםאן אלחאל, sont peu intelligibles; Al-’Harizi, pour laisser deviner le vrai sens, a mis: לשון הענין הנראה מהם.! car la langue hébraïque n’a pu employer à la fois les verbes הגּיד (annoncer) et ספּר (raconter) qu’en parlant d’un Être doué d’intelligence. Ce qui prouve avec évidence que (le Psalmiste) parle ici de quelque chose qui leur est inhérent à elles-mêmes, je veux dire aux sphères, et non pas de quelque chose que les hommes leur attribuent(2)Littéralement: qu’il décrit leur état en elles-mêmes, je veux dire l’état des sphères, et non pas l’état de la réflexion des hommes à leur égard, c’est-à-dire, de la réflexion que font les hommes en les contemplant., c’est qu’il dit: Ni discours, ni paroles; leur voix n’est pas entendue (Ibid., v. 4); il exprime donc clairement qu’il parle d’elles-mêmes (en disant) qu’elles louent Dieu et qu’elles racontent ses merveilles sans le langage des lèvres et de la langue. Et c’est la vérité; car celui qui loue par la parole ne fait qu’annoncer ce qu’il a conçu, mais c’est dans cette conception même que consiste la vraie louange, et, si on l’exprime, c’est pour en donner connaissance aux autres, ou pour manifester qu’on a eu soi-même une certaine perception. On a dit (à ce sujet): Dites (pensez) dans votre cœur, sur votre couche, et demeurez silencieux (Ps. IV, 5), ainsi que nous l’avons déjà exposé(1)Voy. t. I, à la fin du chap. L et chap. LXIV (pag. 288).. Cette preuve, tirée de l’Écriture sainte, ne sera contestée que par un homme ignorant ou qui aime à contrarier. ", "Quant à l’opinion des docteurs à cet égard, elle n’a besoin, je crois, ni d’explication, ni de preuve. Tu n’as qu’à considérer leur rédaction de la bénediction de la lune(2)L’auteur fait allusion à la prière qu’on doit réciter après l’apparition de la nouvelle lune, et où on dit, en parlant des astres: ששים ושמחים לעשות רצון קונם ובו׳, ils se réjouissent de faire la volonté de leur créateur, etc.; ce qui prouve qu’on leur attribue l’intelligence., et ce qui est souvent répété dans les prières(3)Par exemple, dans la prière du matin: פנות צבאות קדושים ובו׳, «les chefs des armées de saints, exaltant le Tout-Puissant, racontent sans cesse la gloire et la sainteté de Dieu.», ainsi que les textes des Midraschim sur ces passages: Et les armées célestes se prosternent devant toi (Néhémie, IX, 6)(4)Dans le Talmud, on dit allégoriquement que le soleil parcourt le ciel, se levant à l’orient et se couchant à l’occident, afin de saluer jour-nellement le Créateur, ainsi qu’il est dit: Et les armées célestes se prosternent devant toi. Voy. le traité Synhedrîn, fol. 91 b, et le Midrasch Yalkout, n° 1071.; Quand les étoiles du matin chantaient ensemble et que les fils de Dieu faisaient éclater leur joie (Job. XXXVIII, 7)(5)Selon le Talmud (traité ’Hullin, fol. 91 b), ce sont les Israélites qu’on désigne ici allégoriquement par les mots étoiles du matin, tandis que par les fils de Dieu on entend les anges, qui, selon Maïmonide, ne sont autre chose que les Intelligences des sphères. Le verset de Job est donc expliqué ainsi: Après que les croyants ont chanté leurs hymnes du matin, les anges aussi entonnent leurs chants célestes.. Ils y reviennent souvent dans leurs discours Voici comment ils s’expriment, dans le Beréschîth rabbâ, sur cette parole de Dieu: Et la terre était TOHOU et BOHOU (Gen. I, 2): «Elle était tohâ et bohâ [c’est-à-dire, la terre se lamentait et se désolait de son malheureux sort]; moi et eux, disait-elle, nous avons été créés ensemble [c’est-à-dire, la terre et les cieux]; mais les choses supérieures sont vivantes, tandis que les choses inférieures sont mortes(1)Voy. le Midrasch, Beréschîth rabbâ, sect. II (fol. 2, col. c). Selon notre auteur, les mots tohou et bohou de la Genèse (1, 2), qui signifient informe et vide, ou dans un état chaotique, sont considérés par le Midrasch comme des participes ayant le sens de se lamentant, se désolant. —Nous avons reproduit les paroles du Midrasch telles qu’elles se trouvent dans tous les mss. arabes et hébreux du Guide. Au lieu de אני והן, moi et eux, les éditions du Midrasch portent העליונים והתחתונים, les supérieurs et les inférieurs; ce sont les éditeurs de la version d’Ibn-Tibbon, qui, pour rendre la phrase plus correcte, ont changé le verbe נבראו, ont été créés, en נבראנו, nous avons été créés..» Ils disent donc clairement aussi que les cieux(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent הגלגלים, les sphères; les mss. ont, conformément au texte ar., השמים, les cieux. sont des corps vivants, et non pas des corps morts, comme les éléments.", "Ainsi donc il est clair que, si Aristote a dit que la sphère céleste a la perception et la conception, cela est conforme aux paroles de nos prophètes et des soutiens de notre Loi(3)Littéralement: De ceux qui portent notre Loi, c.-à-d. qui en sont les dépositaires et qui ont pour mission de veiller sur sa conservation. Ibn-Tibbon traduit: וחבמי תורתנו, les sages de notre Loi; Al-’Harîzi: ומקבלי תורתנו, ceux qui ont reçu notre Loi. Il vaudrait mieux traduire en hébreu: ונושׂאי תורתנו., qui sont les docteurs.", "Il faut savoir aussi que tous les philosophes conviennent que le régime de ce bas monde s’accomplit par la force qui de la sphère céleste découle sur lui, ainsi que nous l’avons dit(4)Voy. le t. I, chap. LXXII, pag. 361 et suiv., et ci-après, chap. X et suiv., et Cf. ci-dessus, pag. 55, note 2., et que les sphères perçoivent et connaissent les choses qu’elles régissent. Et c’est ce que la Loi a également exprimé en disant (des armées célestes): que Dieu les a données en partage à tous les peuples (Deut. IV, 19), ce qui veut dire qu’il en a fait des intermédiaires pour gouverner les créatures, et non pour qu’elles fussent adorées. On a encore dit clairement: Et pour dominer (ולמשל) sur le jour et sur la nuit, et pour séparer, etc. (Gen. I. 18); car le verbe משל signifie dominer en gouvernant. C’est là une idée ajoutée à celle de la lumière et des ténèbres, qui sont la cause prochaine de la naissance et de la destruction(1)Voy. le t. I, pag. 362, note 2.; car de l’idée de la lumière et des ténèbres (produites par les astres) on a dit: et pour séparer la lumière des ténèbres (Ibid.). Or, il est inadmissible que celui qui gouverne une chose n’ait pas la connaissance de cette chose, dès qu’on s’est pénétré du véritable sens qu’a ici le mot gouverner. ", "Nous nous étendrons encore ailleurs sur ce sujet." ], [ "Quant à l’existence des anges, c’est une chose pour laquelle il n’est pas nécessaire d’alléguer une preuve de l’Ecriture; car la Loi se prononce à cet égard dans beaucoup d’endroits. Tu sais déjà qu’ÉLOHIM est le nom des juges (ou des gouvernants)(2)Voy. la Ire partie, chap. II, pag. 37.; p. ex. devant les Elohîm (juges) viendra la cause des deux (Exod. XXII, 9). C’est pourquoi ce nom a été métaphoriquement employé pour (désigner) les anges, et aussi pour Dieu, parce qu’il est le juge (ou le dominateur) des anges; et c’est pourquoi aussi on a dit (Deut. X, 17): Car l’Eternel votre Dieu, ce qui est une allocution à tout le genre humain; et ensuite: Il est le Dieu des dieux, c’est-à-dire le dieu des anges, et le Seigneur des seigneurs, c’est-à-dire le maître des sphères et des astres, qui sont les seigneurs de tous les autres corps. C’est là le vrai sens, et les mots élohîm (dieux) et adonîm (seigneurs) ne sauraient désigner ici des êtres humains(3)Littéralement: Les ELOHIM et les ADONIM ne sauraient être de l’espèce humaine, c’est-à-dire, en prenant ces mots dans le sens de juges et de dominateurs.; car ceux-ci seraient trop infimes pour cela(1)C’est-à-dire: les êtres humains, même les personnages de distinction, sont d’un rang trop inférieur pour être mis directement en rapport avec Dieu, et pour qu’on croie glorifier Dieu en disant qu’il est leur juge et leur dominateur.; et d’ailleurs les mots votre Dieu(2)Le mot אלהים dans plusieurs éditions de la version d’Ibn-Tibbon est une faute; il faut lire אלהיכם. embrassent déjà toute l’espèce humaine, la partie dominante comme la partie dominée. — Il ne se peut pas non plus qu’on ait voulu dire par là que Dieu est le maître de tout ce qui, en fait (de statues) de pierre et de bois, est réputé une divinité; car ce ne serait pas glorifier et magnifier Dieu que d’en faire le maître de la pierre, du bois et d’un morceau de métal. Mais ce qu’on a voulu dire, c’est que Dieu est le dominateur des dominateurs, c’est-à-dire des anges, et le maître des sphères célestes.", "Nous avons déjà donné précédemment, dans ce traité, un chapitre où l’on expose que les anges ne sont pas des corps(3)Voy. la Ire partie, chap. XLIX.. C’est aussi ce qu’a dit Aristote; seulement il y a ici une différence de dénomination: lui, il dit Intelligences séparées, tandis que nous, nous disons anges(4)Albert le grand, qui combat cette identification des anges avec les Intelligences séparées, dit que c’est là une théorie qui appartient particulièrement à Isaac Israeli, à Maïmonide et à d’autres philosophes juifs: «Ordines autem intelligentiarum quos non determinavimus quidam dicunt esse ordines angelorum, et intelligentias vocant angelos; et hoc quidem dicunt Isaac et Rabbi Moyses et cæteri philosophi Judæorum. Sed nos hoc verum esse non credimus. Ordines enim angelorum distinguuntur secundum differentias illuminationum et theophaniarum, quæ revelatione accipiuntur et fide creduntur, et ad perfectionem regni cœlestis ordinantur in gratia et beatitudine. De quibus philosophia nihil potest per rationem philosophicam determinare.» Voy. De causis et processu universitatis, liv. I, tract. IV, cap. 8 (opp. t. V, pag. 563 a). On a vu cependant que les philosophes arabes professent sur les anges la même opinion que Maïmonide. Cf. ci-dessus, pag. 60, note 3.. Quant à ce qu’il dit, que ces Intelligences séparées sont aussi des intermédiaires entre Dieu et les (autres) êtres et que c’est par leur intermédiaire que sont mues les sphères, — ce qui est la cause de la naissance de tout ce qui naît(1)C’est-à-dire, des choses sublunaires qui naissent et périssent: Pour les mots פאן דׄלך, ce qui est, on lit dans les éditions d’Ibn-Tibbon. אשר תנועתם היא, dont le mouvement est; les mss. portent אשר הוא, ce qui est conforme au texte arabe., — c’est là aussi ce que proclament tous les livres (sacrés); car tu n’y trouveras jamais que Dieu fasse quelque chose autrement que par l’intermédiaire d’un ange. Tu sais que le mot MALAKH (ange) signifie messager; quiconque donc exécute un ordre est un malâkh, de sorte que les mouvements de l’animal même irraisonnable s’accomplissent, selon le texte de l’Écriture, par l’intermédiaire d’un malâkh, quand ce mouvement est conforme au but qu’avait Dieu, qui a mis dans l’animal une force par laquelle il accomplit ce mouvement. On lit, p. ex.: Mon Dieu a envoyé son ange (MALAKHEH) et a fermé la gueule des lions, qui ne m’ont fait aucun mal (Daniel, VI, 22); et de même tous les mouvements de l’ânesse de Balaam se firent par l’intermédiaire d’un MALAKH. Les éléments mêmes sont nommés MALAKHÎM (anges ou messagers); p. ex.: Il fait des vents ses messagers (MALAKHÂW) et du feu flamboyant ses serviteurs. (Ps. CIV, 4). Il est donc clair que le mot MALAKH s’applique: 1° au messager d’entre les hommes, p. ex.: Et Jacob envoya des MALAKHÎM ou des messagers (Gen. XXXII, 3); 2° au prophète, p. ex.: Et un MALAKH de l’Eternel monta de Guilgal à Bokhîm (Juges II, 1); Il envoya un MALAKH et nous fit sortir d’Egypte (Nom. XX, 16); 3° aux Intelligences séparées qui se révèlent aux prophètes dans la vision prophétique; enfin 4° aux facultés animales, comme nous l’exposerons. ", "Ici, nous parlons seulement des anges, qui sont des Intelligences séparées; et certes notre Loi ne disconvient pas que Dieu gouverne ce monde par l’intermédiaire des anges. Voici comment s’expriment les docteurs sur les paroles de la Loi: Faisons l’homme à notre image (Gen. I, 26), Eh bien, descendons (Ibid. XI, 7), où on emploie le pluriel: «Si, disent-ils, il est permis de parler ainsi, le Très-Saint ne fait aucune chose qu’après avoir regardé la famille supérieure(1)Voy. ci-après, note 4. Le mot מסתכל (ayant regardé), sur lequel l’auteur insiste ici particulièrement, ne se trouve ni dans les passages talmudiques que nous indiquons ci-après, ni dans les passages analogues du Beréschîth rabbâ, sect. 8; peut-être cette leçon existait-elle autrefois dans quelque Midrasch qui ne nous est pas parvenu..» Le mot regardé est bien remarquable(2)Littéralement: étonne-toi de ce qu’ils disent: ayant REGARDÉ. אעגׄב est ici l’impératif, et c’est à tort qu’Ibn-Tibbon a rendu ce mot par l’aoriste אתמה, je m’étonne. Al-’Harizi traduit: ויש לתׄמוה, il faut s’étonner; Ibn-Falaquéra met l’impératif ותמה (Moré ha-Moré, pag. 86).; car Platon a dit, dans ces mêmes termes, que Dieu ayant-regardé le monde des intelligences, ce fut de celui-ci qu’émana l’être(3)Cf. Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 100-102 et p. 253-254.. Dans quelques endroits, ils disent simplement: «le Très-Saint ne fait aucune chose qu’après avoir consulté la famille supérieure(4)Voy. Talmud de Babylone, traité Synhedrîn, fol. 38 b, et Talmud de Jérusalem, même traité, chap. I. Selon Moïse de Narbonne et d’autres commentateurs, la différence consisterait dans la suppression de la formule כביכול, s’il est permis de parler ainsi; mais je crois qu’elle consiste plutôt dans l’emploi du mot consulté, qui n’a pas la même portée que le mot regardé, et qui ne donnerait pas lieu à une comparaison avec les paroles de Platon..» Le mot פמליא (familia) signifie armée dans la langue grecque(5)L’auteur veut dire que par les mots פמליא של מעלה le Talmud entend l’armée supérieure ou céleste; c’est probablement en faveur du rapprochement qu’il a fait avec certaines paroles de Platon qu’il aime à donner au mot פמליא une origine grecque, tandis que c’est évidemment le mot latin familia.. On a dit encore dans le Beréschîth rabbâ, ainsi que dans le Midrasch Kohéleth, (sur les mots) ce qu’ils ont déjà fait (Ecclésiaste II, 12): «On ne dit pas ici עשהו, il l’a fait, mais עשוהו ils l’ont fait; c’est que, s’il est permis de parler ainsi, lui (Dieu) et son tribunal se sont consultés sur chacun de tes membres et l’ont placé sur sa base, ainsi qu’il est dit: il t’a fait, et il t’a établi (Deutér. XXXII, 6)(1)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 12 (fol. 10, col. b), et le Midrasch de Kohéleth, ou de l’Ecclésiaste (fol. 65, col. b), où, dans les paroles obscures de l’Ecclésiaste, on considère Dieu comme sujet du verbe עשוהו, ils l’ont fait..» On a dit encore dans le Beréschîth rabbâ: «Partout où il a été dit: ET l’Eternel, c’est lui et son tribunal(2)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 51 (fol. 45, col. d). — Le sens de ce passage est celui-ci: toutes les fois que dans l’Écriture sainte on lit (ויהוה) et l’Éternel, sans qu’on puisse rigoureusement justifier l’emploi de la conjonction ו, et, celle-ci indique que l’action est attribuée à la fois à Dieu et aux anges qui composent son tribunal..»", "Tous ces textes n’ont pas pour but, comme le croient les ignorants, (d’affirmer) que le Très-Haut parle, ou réfléchit, ou examine, ou consulte, pour s’aider de l’opinion d’autrui(3)Littéralement: qu’il y a là (c.-à-d. auprès de Dieu) langage, — combien est-il au-dessus de cela!ou réflexion, ou examen, ou consultation et désir de s’aider de l’opinion d’autrui. La traduction d’Ibn-Tibbon, שיש לו יתעלה דברים, n’est pas tout à fait littérale. Les mots או התבוננות doivent être placés avant או שאלת עצה, comme l’ont en effet les mss.; car comment le Créateur chercherait-il un secours auprès de ce qu’il a créé? Tout cela, au contraire, exprime clairement que même les (moindres) particularités de l’univers, jusqu’à la création des membres de l’animal tels qu’ils sont, que tout cela (dis-je) s’est fait par l’intermédiaire d’anges; car toutes les facultés sont des anges. De quelle force(4)Au lieu de , Ibn-Tibbon et Al-’Harizi ont lu (avec resch), car ils traduisent l’un et l’autre: מה מאד רע; Ibn-Falaquéra traduit: מה מאד קשה (Moré ha-Moré, pag. 87). est l’aveuglement de l’ignorance, et combien est-il dangereux! Si tu disais à quelqu’un de ceux qui prétendent être les sages d’Israël que Dieu envoie un ange, qui entre dans le sein de la femme et y forme le fœtus, cela lui plairait beaucoup; il l’accepterait et il croirait que c’est attribuer à Dieu de la grandeur et de la puissance, et reconnaître sa haute sagesse(5)Plus littéralement: et il y verrait une grandeur et une puissance à l’égard de Dieu et une sagesse de la part du Très-Haut. Dans plusieurs mss. on lit עטׄמה̈ קדרה̈ sans la conjonction ו, de même dans les versions d’Ibn-Tibbon et d’Ibn-Falaquéra עוצם יכולת, la grandeur de la puissance, tandis que celle d’Al-’Harizi porte גדולה ותפארת.. En même temps il admettrait aussi que l’ange est un corps (formé) d’un feu brûlant, et qu’il a la grandeur d’environ un tiers de l’univers entier; et tout cela lui paraîtrait possible à l’égard de Dieu. Mais, si tu lui disais que Dieu a mis dans le sperme une force formatrice qui façonne et dessine ces membres, et que c’est là l’ange, ou bien que toutes les formes viennent de l’action de l’intellect actif et que c’est lui qui est l’ange et le prince du monde dont les docteurs parlent toujours, il repousserait une telle opinion(1)Littéralement: il fuirait de cela.; car il ne comprendrait pas le sens de cette grandeur et de cette puissance véritables, qui consistent à faire naître dans une chose des forces actives, imperceptibles pour les sens. Les docteurs ont donc clairement exposé, pour celui qui est véritablement un sage, que chacune des forces corporelles est un ange, à plus forte raison les forces répandues dans l’univers, et que chaque force a une certaine action déterminée, et non pas deux actions. Dans le Beréschîth rabbâ on lit: «Il a été enseigné: un seul ange ne remplit pas deux missions, et deux anges ne remplissent pas la même mission(2)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 50 (fol. 44, col. d).;» — et c’est là en effet une condition de toutes les forces (physiques). Ce qui te confirmera encore que toutes les forces individuelles, tant physiques que psychiques, sont appelées anges, c’est qu’ils disent dans plusieurs endroits, et primitivement dans le Beréschîth rabbâ: «Chaque jour le Très-Saint crée une classe d’anges, qui récitent devant lui un cantique et s’en vont(3)Voy. ibid., sect. 78 (fol. 68, col. a); cf. Ekhâ rabbathi, ou Midrasch des Lamentations de Jérémie, au chap. 3, v. 22 (fol. 56, col. b), et Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, fol. 14 a..» Comme on a objecté à ces paroles un passage qui indiquerait que les anges sont stables, — et en effet il a été exposé plusieurs fois que les anges sont vivants et stables, — il a été fait cette réponse, qu’il y en a parmi eux qui sont stables, mais qu’il y en a aussi de périssables(1)Voy. Beréchîth rabbâ, l. c.: זה מיכאל וגבריאל שהן שרים של מעלה דכולא מתחלפין ואנון לא מתחלפין; c’est-à-dire, que Micael et Gabriel sont du nombre des princes supérieurs, ou les anges de lrc classe, qui ne sont pas passagers comme les autres et qui récitent des cantiques tous les jours.. Et il en est ainsi en effet; car ces forces individuelles naissent et périssent continuellement, tandis que les espèces de ces forces sont permanentes et ne se détériorent pas(2)Sur le mot , cf. t. I, pag. 77, note 5.. — On y dit encore(3)C’est-à-dire, dans le Beréschîth rabbâ; voy. sect. 85 (fol. 75, col. a)., au sujet de l’histoire de Juda et de Tamar: «R. Io’hanan dit: Il (Juda) voulut passer outre; mais Dieu lui députa un ange préposé à la concupiscence,» c’est-à-dire à la faculté vénérienne. Cette faculté donc, on l’a également appelée ange. Et c’est ainsi que tu trouveras qu’ils disent toujours: Un ange préposé à telle ou telle chose; car toute faculté que Dieu a chargée d’une chose quelconque(4)C’est-à-dire, que Dieu a destinée à une fonction physique quelconque. est (considérée comme) un ange préposé à cette chose. Un passage du Midrasch Kohéleth dit: «Pendant que l’homme dort, son âme parle à l’ange et l’ange aux chérubins(5)Voy. le Midrasch Kohéleth (fol. 82, col. a) sur les mots כי עוף השמים ובו׳, car l’oiseau du ciel emportera la voix et l’ailé redira la parole (Ecclésiaste, 10, 20): אמר ר׳ בון בשעה שהאדם ישן הגוף אומר לנשמה והנשמה לנפש והנפש למלאך ומלאך לכרוב והכרוב לבעל כנפים מי הוא זה השרף והשרף יוליך דבר ויגיד לפני מי שאמר והיה העולם. «R. Boun dit: Pendant que l’homme dort, le corps parle à l’âme sensible, celle-ci à l’âme rationnelle, celle-ci à l’ange, celui-ci au chérubin, et ce dernier à l’être ailé, qui est le séraphin; celui-ci enfin emporte la parole et la redit devant celui qui a ordonné, et le monde fut.» Cf. Wayyikra rabbâ, ou Midrasch du Lévitique, sect. 32 (fol. 172, col. b).;» ici donc, pour celui qui comprend et qui pense, ils ont dit clairement que la faculté imaginative est également appelée ange et que l’intellect est appelé chérubin(6)Selon l’auteur, le Midrasch aurait désigné par l’âme les sens en général, ou, si l’on veut, le sens commun; celui-ci transmet à l’imagination, appelée ici ange, les impressions reçues, et l’imagination, à son tour, les transmet à l’intelligence, désignée sous le nom de cherubin. Cependant, l’ensemble du passage cité dans la note précédente nous paraît peu favorable à cette interprétation, et il est plus probable que les mots ange, chérubin et séraphin désignent ici des êtres supérieurs, intermédiaires entre Dieu et l’homme. Voy. le Yephé toar, ou commentaire de Samuel Yaphé sur le Wayyikrâ rabbâ, sect. 32, § 2.. Cela paraîtra bien beau à l’homme instruit, mais déplaira beaucoup aux ignorants(1)Littéralement: Combien cela est beau pour celui qui sait, mais combien ce sera laid pour les ignorants! L’auteur veut dire que l’explication qu’il vient de donner du passage du Midrasch sera fortement approuvée par les hommes instruits, mais déplaira beaucoup aux ignorants, qui aimeront mieux prendre les mots ange et chérubin dans le sens littéral et croire à un entretien mystérieux de l’âme avec les êtres supérieurs..", "Nous avons déjà dit ailleurs que toutes les fois que l’ange se montre sous une forme quelconque, c’est dans une vision prophétique(2)C’est-à-dire, que la forme que le prophète voit n’existe que dans son imagination et n’a point de réalité objective. Voy. la Ire partie, chap. XLIX.. Tu trouves(3)Au lieu de אנת, quelques mss. portent אנך . des prophètes qui voient l’ange(4)Tous les mss. portent אלמלאבים au pluriel, et כאנה avec le suffixe singulier; de même Ibn-Tibbon: יראו המלאכים כאלו הוא איש. comme s’il était un simple individu humain; p. ex.: Et voici trois hommes (Gen. XVIII, 2). A d’autres, il apparaît comme un homme redoutable et effrayant; p. ex.: Et son aspect était celui d’un ange de Dieu, très redoutable (Juges, XIII, 6). A d’autres encore il apparaît comme du feu; p. ex.: Et l’ange de l’Eternel lui apparut dans une flamme de feu (Exode, III, 2). On a dit encore au même endroit(5)C’est-à-dire, dans le Beréschîth rabbâ; voy. sect. 50 (fol. 44, col. d), où l’on explique pourquoi les messagers célestes apparurent à Abraham comme des hommes (Gen., XVIII, 2), et à Lot, comme des anges (Ibid., XIX, 1).: «A Abraham, qui avait une faculté excellente, ils apparurent sous la figure d’hommes; mais à Loth, qui n’avait qu’une faculté mauvaise, ils apparurent sous la figure d’anges.» Il s’agit ici d’un grand mystère relatif au prophétisme, dont on dira plus loin ce qu’il convient(1)Littéralement: et (plus loin) le discours tombera (ou reviendra) sur le prophétisme par ce qu’il convient (d’en dire). — Le mystère qui, selon notre auteur, serait indiqué dans le passage du Midrasch, paraît être celui-ci: que les visions n’ont pas de réalité objective et ne sont que l’effet de l’imagination, et que, plus la faculté imaginative est forte et parfaite, plus les objets qu’on croit voir quittent leur forme vague et incertaine et s’approchent de la réalité. Abraham donc, vrai prophète et doué d’une grande force d’imagination, voyait devant lui les messagers divins sous une forme humaine bien distincte, tandis que Loth ne les voyait que sous la forme vague et nébuleuse de ces êtres redoutables et fantastiques, créés par une imagination malade. Les commentateurs font observer que le sens que l’auteur attribue ici au passage du Midrasch paraît être en contradiction avec ce qu’il dit plus loin, au chap. XLV, où, en énumérant les différents degrés des visions prophétiques, il place les visions d’anges au-dessus des visions d’hommes. On peut répondre avec Joseph ibn-Kaspi qu’ici il s’agit d’une distinction dans la nature même de la vision, qui peut survenir à l’homme ou dans l’état de veille, ou dans un songe. Pour Abraham la vision était claire et distincte, tandis que pour Loth elle était confuse: l’un était éveillé, l’autre rêvait; mais, dans chacune des espèces de visions, l’apparition d’une figure humaine est inférieure à celle d’un ange; c’est-à-dire, la perception d’un être sublunaire est au-dessous de la perception des Intelligences supérieures, appelées anges.. — On y a dit encore: «Avant d’accomplir leur mission, (ils se montrèrent comme) des hommes; après l’avoir accomplie, ils reprirent leur nature d’anges(2)Littéralement: «ils se revêtirent d’angélité.» Dans notre texte nous avons reproduit ce passage du Midrasch tel qu’il se trouve dans tous les mss. ar. et hébr. du Guide. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on lit קראם אנשים. Dans les éditions du Midrasch (l. c.), le passage est ainsi conçu: ער שלא עשו שליחותן קראן אנשים משעשו שליחותן מלאבים. L’auteur, qui citait souvent de mémoire, paraît avoir pris les mots לבשו מלאבות d’un autre passage, qui, dans le Midrasch, précède le nôtre.» — Remarque bien que de toute part on indique clairement que par ange il faut entendre une action quelconque, et que toute vision d’ange n’a lieu que dans la vision prophétique et selon l’état de celui qui perçoit. ", "Dans ce qu’Aristote a dit sur ce sujet, il n’y a rien non plus qui soit en contradiction avec la Loi. Mais ce qui nous est contraire(1)C’est-à-dire, ce qui, dans la manière de voir d’Aristote, est contraire à la nôtre. Au lieu de יכׄאלפנא, quelques mss. portent יכׄאלפוא, ce qui est évidemment une faute. Ibn-Tibbon et Al-’Harizi paraissent avoir lu יכׄאלפה; le premier traduit: אבל אשר יחלוק בזה כולו; le second: אבל מחלקתו שהוא חולק בזה הענין בולו.dans tout cela, c’est que lui (Aristote), il croit que toutes ces choses sont éternelles et que ce sont des choses qui par nécessité viennent ainsi de Dieu; tandis que nous, nous croyons que tout cela est créé, que Dieu a créé les Intelligences séparées et a mis dans la sphère céleste une faculté de désir (qui l’attire) vers elles, que c’est lui (en un mot) qui a créé les Intelligences et les sphères et qui y a mis ces facultés directrices(2)Cf. le t. I, p. 363-364, et ci-après, chap. X.. C’est en cela que nous sommes en contradiction avec lui.", "Tu entendras plus loin son opinion, ainsi que l’opinion de la Loi vraie, sur la nouveauté du monde." ], [ "Nous avons donc exposé que le mot malâkh (ange) est un nom homonyme et qu’il embrasse les Intelligences, les sphères et les éléments; car tous ils exécutent un ordre (de Dieu). Mais il ne faut pas croire que les sphères ou les Intelligences soient au rang des autres forces (purement) corporelles, qui sont une nature(3)L’auteur veut dire que les sphères célestes et les intelligences n’agissent pas sans volonté, comme les forces aveugles de la nature sublunaire. Cf. ci-dessus, pag. 52, n. 2. et qui n’ont pas la conscience de leur action; au contraire, les sphères et les Intelligences ont la conscience de leurs actions, et usent de liberté pour gouverner(1)Littéralement: elles choisissent (librement) et gouvernent; c’est-à-dire: dans le régime du monde qui leur est confié, elles agissent avec pleine liberté. Les deux participes מכׄתארה̈ et sont connexes, et le premier doit être considéré en quelque sorte comme adverbe du second, comme s’il y avait ; cela devient évident par ce qui est dit plus loin: «et qu’elles ont la volonté et la liberté dans le régime qui leur a été confié».. Seulement, ce n’est pas là une liberté comme la nôtre, ni un régime comme le nôtre, où tout dépend de choses (accidentelles) nouvellement survenues. La Loi renferme plusieurs passages qui éveillent notre attention là-dessus. Ainsi, p. ex., l’ange dit à Loth: Car je ne puis rien faire, etc. (Gen. XIX, 22); et il lui dit en le sauvant: «Voici, en cette chose aussi j’ai des égards pour toi» (ibid., V. 21); et (ailleurs) on dit: «Prends garde à lui (à l’ange), écoute sa voix et ne te révolte pas contre lui; car il ne par donner a point votre péché parce que mon nom est en lui» (Exode, XXIII, 21). Tous ces passages t’indiquent qu’elles agissent avec pleine conscience(2)Littéralement: qu’elles perçoivent (ou comprennent) leurs actions. Le pronom suffixe doit se rapporter aux sphères et aux intelligences. L’auteur l’a mis au pluriel masculin en pensant aux anges, dont parle le texte, et qui, selon lui, ne sont autre chose que les forces émanées des sphères célestes et de leurs intelligences. Dans les passages cités, on attribue évidemment à ces anges une parfaite liberté d’action. et qu’elles ont la volonté et la liberté dans le régime qui leur a été confié(3)Ibn-Tibbon traduit: במה שהושפע להם, «qui leur a été inspiré», et de même immédiatement après במה שהושפע לנו. Ibn-Falaquéra a déjà relevé cette faute en faisant remarquer que le traducteur a confondu ensemble les racines et , dont la seconde se construit avec , et non pas avec . Voy. Moré ha-Moré, appendice, pag. 154., de même que nous avons une volonté dans ce qui nous a été confié et dont la faculté nous a été donnée dès notre naissance. Nous cependant, nous faisons quelquefois le moins possible; notre régime et notre action sont précédés de privation(1)Le mot privation a ici le sens aristotélique du mot grec στέρησις; l’auteur veut dire que pour nous la puissance précède l’acte (car, tout en ayant la faculté d’agir, nous n’agissons pas toujours en réalité), tandis que les sphères et les intelligences sont, sous tous les rapports, toujours en acte., tandis qu’il n’en est pas ainsi des Intelligences et des sphères. Celles-ci, au contraire, font toujours ce qui est bien, et il n’y a chez elles que le bien, ainsi que nous l’exposerons dans d’autres chapitres; tout ce qui leur appartient se trouve parfait et toujours en acte, depuis qu’elles existent." ], [ "C’est une des opinions anciennes répandues(2)Les mss. ont, les uns אלדאעיה̈, les autres אלדאיעה̈. Al-’Harîzi, qui a המחייבות, paraît avoir exprimé la première de ces deux leçons. Nous préférons la seconde, qu’il faut prononcer , de la racine , et qu’Ibn-Tibbon a bien rendue par המתפשטים. chez les philosophes et la généralité des hommes, que le mouvement des sphères célestes fait un grand bruit fort effrayant(3)Littéralement: a des sons fort effrayants et grands. Dans la plupart des mss., l’adverbe גׄדא est placé avant עטׄימה̈; le manuscrit de Leyde, n° 18, porte האילה̈ עטׄימה̈ גׄדא, leçon qui a été suivie par les deux traducteurs hébreux.. Pour en donner la preuve, ils disent que, puisque les petits corps ici bas(4)Littéralement: qui sont près de nous. Les mots arabes reproduisent exactement les mots grecs τῶν παρ’ ἡμῖν qu’on trouve dans le passaged’Aristote auquel il est ici fait allusion. Voy. le traité du Ciel, liv. II, chap. 9: δοϰεῖ γάρ τισιν ὰναγϰαῖον εἶναι τηλίϰούτων φερομένων σω–μάτων γίγνεσθαι ψόφον, ἐπεὶ ϰαὶ τῶν παρ’ ἡμῖν οὔτε τοὺϛ ὄγϰουϛ ἐχόντων ἴσουϛ οὔτε τοίούτῳ ταχει φερομἐνων. ϰ. τ. λ., quand ils sont mus d’un mouvement rapide, font entendre un grand bruit et un tintement effrayant, à plus forte raison les corps du soleil, de la lune et des étoiles, qui sont si grands et si rapides. Toute la secte de Pythagore croyait qu’ils ont des sons harmonieux, qui, malgré leur force, sont proportionnés entre eux, comme le sont les modulations musicales; et ils allèguent(1)Littéralement: et ils ont une allégation de causes. La version d’Ibn-Tibbon, ויש להם לתת עלה, n’est pas exacte. La cause qu’ils allèguent, c’est que nous sommes habitués dès notre naissance à ces sons perpétuels qu’aucun contraste de silence ne fait ressortir pour nos oreilles. Voyez Aristote, l. c. des causes pourquoi nous n’entendons pas ces sons si effrayants et si forts. Cette opinion est également répandue dans notre nation(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent באמונתינו, dans notre croyance; mais les mss., de même que les commentaires, ont באומתנו. Selon quelques commentateurs, l’auteur ferait allusion à un passage d’Ezéchiel (ch. I, V. 24): Et j’entendis le bruit de leurs ailes, semblable au bruit des grandes eaux, à la voix du Tout-Puissant. Il est plus que probable qu’il a eu en vue un passage talmudique, que nous citons dans la note suivante.. Ne vois-tu pas que les docteurs décrivent le grand bruit que fait le soleil en parcourant chaque jour la sphère céleste(3)L’auteur veut parler sans doute d’un passage du Talmud de Babylone, traité Yômâ, fol. 20 b, où on lit ce qui suit: שלש קולות הולכין מםוף העולם ועד םופו ואלו הן קול גלגל חמה וקול המונה של רומי וקול נשמה בשעה שיוצאה מן הגוף «Trois voix retentissent d’une extrémité du monde à l’autre; ce sont: la voix de la sphère du soleil, le tumulte de la ville de Rome, et le cri de l’âme qui quitte le corps.» Cf. Beréschîth rabbâ, sect. 6 (fol. 5, col. d).? Et il s’ensuit la même chose pour tous (les autres astres). Cependant Aristote refuse (d’admettre) cela et montre qu’ils n’ont pas de sons. Tu trouveras cela dans son livre du Ciel, et là tu pourras t’instruire sur ce sujet. Ne sois pas offusqué de ce que l’opinion d’Aristote est ici en opposition avec celle des docteurs; car cette opinion, à savoir qu’ils (les astres) ont des sons, ne fait que suivre la croyance (qui admet) «que la sphère reste fixe et que les astres tournent(4)Voy. Talmud de Babylone, traité Pesa’hîm, fol. 94 b: חכמי ישראל אומרים גלגל קבוע ומזלות חוזרין וחכמי אומות העולם אומרים גלגל חזזר ומזלות קבועין «Les sages d’Israel disent: La sphère reste fixe et les astres tournent; les sages des nations du monde disent: la sphère tourne et les astres restent fixes.» Aristote aussi met en rapport l’opinion des pythagoriciens avec celle qui attribue le mouvement aux astres eux-mêmes et non pas à la sphère dans laquelle ils seraient fixés. Voy. Traité du Ciel, liv. II, chap. 9: Ὅσα μὲν γὰρ αὐτὰ φέρεται, ποιεῖ ψόφον ϰαἰ πληγήν. ὅσα δ’ἐν φερομένῳ ἐνδέδεται ἢ ἐνυπάρχει, ϰαθάπερ ἐν τῷ πλοίῳ τὰ μόρια οὐχ οἶόν τε ψοφεῖν, ϰ. τ. λ.. Selon Aristote, qui combat l’opinion des pythagoriciens, les astres restent fixes dans leurs sphères respectives, qui les entraînent avec elles dans leur mouvement. Voy. ibid., chap. 8.». Mais tu sais que dans ces sujets astronomiques, ils reconnaissent à l’opinion des sages des nations du monde la prépondérance sur la leur: c’est ainsi qu’ils disent clairement: «Et les sages des nations du monde vainquirent(1)Ces mots ne se trouvent pas, dans nos éditions du Talmud, à la suite du passage de Pesa’hîm que nous avons cité dans la note précédente; aussi quelques auteurs juifs ont-ils exprimé leur étonnement de cette citation de Maïmonide. Voy. R. Azariah de’ Rossi, Meôr’Enaïm, chap. XI (édit. de Berlin, f. 48), et le Sépher ha-berîth (Brünn, 1797, in-4°), Ire partie, liv. II, chap. 10 (fol. 14 b). Cependant plusieurs auteurs disent avec Maïmonide, et en citant le même passage du Talmud, que, sur ce point, les sages d’Israël s’avouèrent vaincus par les sages des autres nations. Voy. Isaac Arama, ’Akédà, chap XXXVII (édit. de Presburg, 1849, in-8°, t. II, fol. 39 a); David Gans, dans son ouvrage astronomique intitulé Ne’hemâd we-na’îm, §§ 13 et 25. Ce dernier, après avoir cité le passage du traité de Pesa’hîm, ajoute que le grand astronome Tycho-Brahe lui avait dit que les sages d’Israel avaient eu tort de s’avouer vaincus et d’adopter l’opinion des savants païens, évidemment fausse. — Il faut supposer que les paroles citées par Maïmonide se trouvaient, du moins de son temps, dans certains mss. du Talmud; les autres auteurs qui les citent ont pu les prendre dans l’ouvrage de Maïmonide sans vérifier la citation.». Et cela est vrai; car tous ceux qui ont parlé sur ces choses spéculatives ne l’ont fait que d’après le résultat auquel la spéculation les avait conduits; c’est pourquoi on doit croire ce qui a été établi par démonstration(2)Littéralement: ce dont la démonstration a été avérée et établie.." ], [ "Nous t’avons déjà exposé que le nombre des sphères n’avait pas été précisé du temps d’Aristote(1)Voy. ci-dessus, p. 56., et que ceux qui, de notre temps, ont compté neuf sphères, n’ont fait que considérer comme un seul tel globe qui embrasse plusieurs sphères(2)Littéralement: n’ont fait que compter le globe unique, embrassant plusieurs sphères. Cette tournure de phrase est irrégulière et assez obscure, et c’est sans doute pour la rendre plus claire qu’Ibn-Tibbon a ajouté les mots: וחשבוהו לאחד, et ils l’ont réputée une seule. Le sens est: «Ils ont souvent compté un certain globe pour un seul, quoiqu’il embrassât plusieurs sphères.», comme il est clair pour celui qui a étudié l’astronomie. C’est pourquoi aussi il ne faut pas trouver mauvais ce qu’a dit un des docteurs: «Il y a deux firmaments, comme il est dit: C’est à l’Éternel ton Dieu qu’appartiennent les cieux et les cieux des cieux (Deut. X, 14)(3)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghigâ, fol. 12 b..» Car celui qui a dit cela n’a compté qu’un seul globe pour toutes les étoiles(4)La leçon que nous avons adoptée dans notre texte, quoiqu’un peu irrégulière, est celle de la plupart des mss. Dans l’un des mss. de Leyde (n° 18), le second כרה̈ a été supprimé, et il est également omis dans la version d’Ibn-Tibbon. Il eût été plus régulier de mettre, au lieu du Ier כרה̈, le pluriel אכר, et c’est ce qu’a fait Al-’Harîzi, qui traduit: היה מונה כידורי הבכבים בלם אחד., je veux dire, pour les sphères renfermant des étoiles, et a compté comme deuxième globe la sphère environnante, dans laquelle il n’y a pas d’étoile; c’est pourquoi il a dit: il y a deux firmaments. ", "Je vais te faire une observation préliminaire qui est nécessaire pour le but que je me suis proposé dans ce chapitre; la voici:", "Sache qu’à l’égard des deux sphères(5)Tous les mss. ont פלך au singulier; il eût été plus régulier de dire , au duel. de Vénus et de Mercure, il y a divergence d’opinion entre les anciens mathématiciens (sur la question de savoir) si elles sont au-dessus ou au-dessous du soleil; car l’ordre dans lequel sont placées ces deux sphères ne saurait être rigoureusement démontré(1)Littéralement: car il n’y a pas de démonstration qui nous indique l’ordre de ces deux globes.. L’opinion de tous les anciens était que les deux sphères de Vénus et de Mercure sont au–dessus du soleil, ce qu’il faut savoir et bien comprendre(2)L’auteur insiste sur ce point, qu’il est nécessaire d’établir, comme on le verra plus loin, pour renfermer toutes les sphères dans quatre globes, qui, selon l’auteur, seraient indiqués par les quatre animaux d’Ezéchiel. Cf. le chap. suiv. et la IIIe partie, chap. II.. Ensuite vint Ptolémée, qui préféra admettre qu’elles sont au-dessous, disant qu’il est plus naturel que le soleil soit au milieu et qu’il y ait trois planètes au-dessus de lui et trois au-dessous(3)Voy. Almageste, ou Grande composition de Ptolémée, liv. IX, ch. I.. Ensuite parurent en Andalousie, dans ces derniers temps, des hommes(4)Littéralement: ensuite vinrent des hommes derniers (ou modernes) en Andalousie. La version d’Ibn-Tibbon porte: אנשים אחרים d’autres hommes, ce qui est inexact; il fallait dire אנשים אחרונים, comme l’a Al-’Harîzi. très versés dans les mathématiques, qui montrèrent, d’après les principes de Ptolémée, que Vénus et Mars sont au-dessus du soleil. Ibn-Afla’h de Séville, avec le fils duquel j’ai été lié, a composé là dessus un livre célèbre(5)L’auteur veut parler du ou livre d’astronomie, d’Abou-Mo’hammed Djâber ibn-Afla’h, auteur qui florissait en Espagne au commencement du XIIe siècle, et qui est souvent cité par les scolastiques sous le nom de Géber. L’ouvrage d’Ibn-Afla’h est un abrégé de l’Almageste; mais l’auteur, sur plusieurs points importants, s’écarte de Ptolémée, et il combat notamment l’opinion de ce dernier à l’égard de la place qu’occupent les planètes de Vénus et de Mercure. Cf. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, pag. 519-520. L’original arabe de l’ouvrage d’Ibn-Afla’h existe dans la bibliothèque de l’Escurial, et la version hébraïque dans la bibliothèque impériale de Paris. Voy. ma Notice sur Joseph-ben-Iehouda, dans le Journal Asiatique, juillet 1842, pag. 15, note 3. Il en a été publié une version latine due à Gerard de Crémone: Gebri filii Afla hispalensis de Astronomia libri IX, etc. Norimbergæ, 1533. J’en ai donné en français un extrait relatif à l’une des inégalités de la lune, dans les Comptes rendus des séances de l’Académie des sciences, t. XVII, pag. 76 et suiv. Voy. aussi, sur cet ouvrage, Delambre, Histoire de l’Astronomie du moyen âge, p. 179 et suiv., et sur la question des planètes de Vénus et de Mercure, ibid., p. 184. Delambre dit en terminant (p. 185) qu’il n’est pas possible de décider en quel temps Géber a vécu; mais l’époque peut se préciser par notre passage même; car nous savons que Maïmonide, qui dit avoir été lié dans sa jeunesse avec le fils d’Ibn-Afla’h ou Géber, était né en 1135. Ibn-Roschd ou Averroès, né en 520 de l’hégire (1126), en parlant, dans son Abrégé de l’Almageste, de cette même question relative aux planètes de Vénus et de Mercure, dit expressèment qu’Ibn-Afla’h avait vécu au même siècle. La version hébraïque porte: והאיש שהיה בדורנו והוא בן אפלח אלאשבילי וכו׳ (Cf. Moré ha-Moré, pag. 89).; puis l’excellent philosophe Abou-Becr ibn-al-Çayeg(1)Sur ce philosophe, connu aussi sous le nom d’Ibn-Bâdja, voyez mes Mélanges de philosophie juive et arabe, pag. 383 et suiv., chez l’un des disciples duquel j’ai pris des leçons, examina ce sujet, et produisit certains arguments [que nous avons copiés de lui(2)L’auteur veut dire probablement que ces arguments furent copiés par les élèves dans les leçons que leur donnait le disciple d’Ibn-al-Çayeg.], par lesquels il présenta comme invraisemblable que Vénus et Mercure soient au-dessus du soleil; mais ce qu’a dit Abou-Becr est un argument pour en montrer l’invraisemblance, et n’en prouve point l’impossibilité. En somme, qu’il en soit ainsi ou non, (toujours est-il que) tous les anciens rangeaient Vénus et Mercure au-dessus du soleil, et à cause de cela, ils comptaient les sphères(3)L’auteur emploie ici le mot , correspondant à notre mot globe, et dont il se sert, comme on l’a vu plus haut, pour désigner un ensemble compacte de plusieurs sphères emboîtées les unes dans les autres, comme l’est notamment ici le globe qui renferme les sphères des cinq planètes. Nous avons dû, dans plusieurs passages, éviter d’employer le mot globe, qui s’appliquerait plutôt au corps même de l’astre qu’à la sphère dans laquelle il tourne. (au nombre de) cinq: celle de la lune, qui, indubitablement, est près de nous(1)C’est-à-dire, qui est la plus rapprochée du globe terrestre, centre de l’univers., celle du soleil, qui est nécessairement au-dessus d’elle, celle des cinq (autres) planètes, celle des étoiles fixes, et enfin la sphère qui environne le tout, et dans laquelle il n’y a pas d’étoiles. Ainsi donc, les sphères figurées,— je veux dire les sphères aux figures, dans lesquelles il y a des étoiles, car c’est ainsi que les anciens appelaient les étoiles figures, comme cela est connu par leurs écrits, — ces sphères (dis-je) seraient au nombre de quatre(2)Littéralement: Donc, le nombre des sphères figurées sera… leur nombre (dis-je) sera quatre sphères. Tous les manuscrits ont au commencement de la phrase le verbe פתבון au féminin en le faisant accorder avec אלאבר, et nous avons suivi la leçon des manuscrits; mais il serait plus correct d’écrire פיבון, ou de supprimer le mot עדר. Ibn-Tibbon (dans les manuscrits) et Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 90) ont reproduit l’incorrection du texte arabe en traduisant ויהיו מספר הכדורים. Quant au nom de figure donné aux étoiles, il s’applique principalement aux signes du zodiaque, appelés par les Arabes . Cf. Haumer, Encyclopädische Uebersicht der Wissenschaften des Orients, pag. 373. Moïse de Narbonne indique le passage du Centiloquium de Ptolémée (n° 9), où il est dit que les formes ou figures, dans ce qui naît et périt, sont affectées par les figures célestes (τὰ ἐν τῇ γενέσει ϰαὶ φθορᾷ εἴδη, πάσχει ὑπὸ τῶν οὐρανίων εἰδῶν). Le même commentateur fait observer que Maïmonide veut faire allusion aux faces des animaux de la vision d’Ezéchiel, chap. I, v. 6 et 10, qui désigneraient les figures des astres.: la sphère des étoiles fixes, celle des cinq planètes, celle du soleil et celle de la lune; et au dessus de toutes est une sphère nue, dans laquelle il n’y a pas d’étoiles. Ce nombre (de quatre) est pour moi un principe important pour un sujet qui m’est venu à l’idée, et que je n’ai vu clairement (exposé) chez aucun des philosophes; mais j’ai trouvé dans les discours des philosophes et dans les paroles des docteurs, ce qui a éveillé mon attention là-dessus. Je vais en parler dans le chapitre suivant, et j’exposerai le sujet." ], [ "On sait, et c’est une chose répandue dans tous les livres des philosophes, que, lorsqu’ils parlent du régime (du monde), ils disent que le régime de ce monde inférieur, je veux dire du monde de la naissance et de la corruption, n’a lieu qu’au moyen des forces qui découlent des sphères célestes. Nous avons déjà dit cela plusieurs fois, et tu trouveras que les docteurs disent de même(1)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 10 (fol. 8, col. b).: «Il n’y a pas jusqu’à la moindre plante ici-bas qui n’ait au firmament son mazzâl (c’est-à-dire son étoile), qui la frappe et lui ordonne de croître, ainsi qu’il est dit (Job, XXXVIII, 33): Connais-tu les lois du ciel, ou sais-tu indiquer sa domination (son influence) sur la terre?— [Par mazzâl, on désigne aussi un astre(2)L’auteur ajoute ici une note pour faire observer que le mot mazzâl, qui ordinairement désigne une constellation, ou l’un des signes du zodiaque, s’emploie aussi en général dans le sens d’astre ou de planète., comme tu le trouves clairement au commencement du Beréschîth rabbâ, où ils disent: «Il y a tel mazzâl (c.-à-d. tel astre ou telle planète) qui achève sa course en trente jours, et tel autre qui achève sa course en trente ans(3)Voy. l. c. fol. 8, col. a. Il est clair que dans ce dernier passage, le mot mazzâl signifie planète; car le texte du Midrâsch dit expressément que le mazzâl qui achève sa course en trente jours, c’est la lune, et que celui qui l’achève en trente années, c’est Saturne. On y mentionne en outre le soleil, qui accomplit sa révolution en douze mois, et Jupiter, qui l’accomplit en douze années..»] — Ils ont donc clairement indiqué par ce passage que même les individus de la nature(4)Le mot , l’être, qui s’emploie dans le sens de γένεσις, désigne ici en général les êtres de la nature sublunaire. sont sous l’influence particulière des forces de certains astres; car, quoique toutes les forces ensemble de la sphère céleste se répandent dans tous les êtres, chaque espèce cependant se trouve aussi sous l’influence particulière d’un astre quelconque(1)Littéralement: cependant la force de tel astre aussi est particulière à telle espèce.. Il en est comme des forces d’un seul corps(2)C’est-à-dire, d’un corps animal; car dans l’animal aussi les différents membres et leurs facultés sont sous l’influence immédiate de certaines forces particulières, quoique le corps tout entier soit dominé par une force générale qu’on a appelée la faculté directrice du corps animal. Voy. le t. I, chap. LXXII, p. 363, et ibid., n. 5.; car l’univers tout entier est un seul individu, comme nous l’avons dit.—C’est ainsi que les philosophes ont dit que la lune a une force augmentative qui s’exerce particulièrement sur l’élément de l’eau; ce qui le prouve, c’est que les mers et les fleuves croissent à mesure que la lune augmente et décroissent à mesure qu’elle diminue, et que le flux, dans les mers, est (en rapport) avec l’avancement de la lune et le reflux avec sa rétrogradation, — je veux parler de son ascension et de sa descente dans les quadrants de l’orbite, — comme cela est clair et évident pour celui qui l’a observé(3)Ce que l’auteur dit ici de l’influence de la lune, non-seulement sur les marées, mais aussi sur la crue des eaux des fleuves, est une hypothèse qu’on trouve déjà chez quelques anciens. Dans les écrits qui nous restent d’Aristote, il est à peine fait quelque légère allusion au flux et au reflux de la mer. Voy. les Météorologiques, liv. II, ch. 1 (§ 11) et ch. 8 (§7), et la note sur le premier de ces deux passages, dans l’édition de M. J. L. Idcler (Leipzig, 1834, in-8°), t. I, p. 501. Seulement dans le traité du Monde (à la fin du chap. 4) il est question du rapport qu’on dit exister entre les marées et les phases de la lune; mais il ne paraît pas que les Arabes aient connu ce traité, dont l’authenticité est au moins douteuse. Ce que dit ici Maïmonide (probablement d’après Ibn-Sinâ) paraît être emprunté au Quadripartitum de Ptolémée, liv. I, au commencement; nous citons la version latine de Camerarius: «Ipsi fluvii nunc augescunt, nunc decrescunt, secundum lunarem splendorem, ipsaque maria impetu diverso pro eo ac ille oritur aut occidit, feruntur.». Que d’autre part, les rayons du soleil mettent en mouvement l’élément du feu, c’est ce qui est très évident, comme tu le vois par la chaleur qui se répand dans le monde en présence du soleil, et par le froid qui prend le dessus aussitôt qu’il (le soleil) s’éloigne d’un endroit, ou se dérobe à lui. Cela est trop évident pour qu’on l’expose longuement.", "Sachant cela, il m’est venu à l’idée que, bien que de l’ensemble de ces quatre sphères figurées il émane des forces (qui se répandent) dans tous les êtres qui naissent et dont elles sont les causes, chaque sphère pourtant peut avoir (sous sa dépendance) l’un des quatre éléments, de manière que telle sphère soit le principe de force de tel élément en particulier, auquel, par son propre mouvement, elle donne le mouvement de la naissance(1)Cette idée avait déjà été émise, comme simple conjecture, par Ibn-Sinâ, qui dit que cette matière sublunaire, qui embrasse les quatre éléments, émane des corps célestes, soit de quatre d’entre eux, soit d’un certain nombre (de corps) compris dans quatre classes; il se peut aussi, ajoute-t-il, qu’elle émane d’un seul corps céleste, et que sa division soit due à des causes qui nous sont inconnues. Voy. le passage d’Ibn-Sinâ, cité par Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, p. 90.. Ainsi donc, la sphère de la lune serait ce qui meut l’eau; la sphère du soleil, ce qui meut le feu; la sphère des autres planètes, ce qui meut l’air [et leur mouvement multiple, leur inégalité, leur rétrogradation, leur rectitude et leur station(2)Les quatre termes astronomiques dont se sert ici l’auteur sont empruntés aux théories de Ptolémée sur le mouvement des planètes. Par on désigne l’anomalie, ou l’inégalité d’un astre; le mot désigne la rétrogradation apparente (προήγησις) des cinq planètes, opposée à leur mouvement direct (ὑπόλειψις) désigné en arabe par le mot , rectitude; enfin par , on entend ce que Ptolémée appelle la station (στηριγμός) de ces mêmes planètes, c’est-à-dire la position où le mouvement de l’astre paraît s’arrêter. Cf. Almageste, liv. XII, chap. I. Dans la version arabe de l’Almageste (ms. hébr. de la Biblioth. imp., anc. fonds, n° 441), les termes de προήγησις et de ὑπόλειψις sont rendus plus exactement, le premier par marcher en avant, le second par rester en arrière. Plus tard, les Arabes ont substitué au premier de ces deux termes celui de rétrogradation, et au second celui de rectitude. En effet, le mouvement périodique des planètes se faisant d’occident en orient, la planète, lorsqu’elle paraît rétrograder, c.-à.-d. lorsqu’elle paraît moins avancée en longitude, se trouve en avant par rapport au mouvement diurne d’orient en occident; plus elle est avancée en longitude par rapport au mouvement périodique, plus elle est en arrière par rapport au mouvement diurne. Delambre, pour rendre compte des deux termes employés par Ptolémée, s’exprime ainsi (Notes sur l’Almageste, à la suite de l’édit. de l’abbé Halma, t. II, p. 16): «On dit d’un astre qui en précède un autre au méridien, qui y passe avant lui, qui marche à sa tête, qu’il est προηγοὐμενος; d’un astre qui y passe après lui, qu’il est ἑπόμενος. Mais celui qui passe le premier au méridien est moins avancé en longitude; celui qui le suit, ἑπόμενος, qui reste en arrière, ὑπολειπόμενος, est au contraire plus avancé en longitude; ainsi un astre est προηγοὐμενος quand sa longitude diminue et qu’il rétrograde; προήγησις, dans le langage des Grecs, répond donc à rétrogradation; c’est le même mouvement considéré par rapport à deux points différents, comme, dans la théorie des courbes, on peut à volonté mettre les abscisses négatives à droite ou à gauche du centre indifféremment.» — Les termes de rétrogradation et de rectitude introduits par les Arabes, nous les trouvons aussi dans l’Abrégé de l’Almageste par Ibn-Afla’h, liv. VIII, où la version hébraïque, que seule nous pouvons consulter, a pour le premier le mot חזרה, et pour le second le mot יושר. C’est probablement dans l’ouvrage d’Ibn-Afla’h que Maïmonide a pris ces termes (cf. ci-dessus, pag. 81). produisent les nombreuses configurations de l’air, sa variation et sa prompte contraction et dilatation]; enfin la sphère des étoiles fixes, ce qui meut la terre; et c’est peut-être à cause de cela que cette dernière se meut difficilement pour recevoir l’impression et le mélange(1)C’est-à-dire: la terre a le mouvement paresseux et ne reçoit que difficilement l’action et le mélange des autres éléments., (je veux dire) parce que les étoiles fixes ont le mouvement lent. A ce rapport des étoiles fixes avec la terre, on a fait allusion en disant que le nombre des espèces des plantes correspond à celui des individus de l’ensemble des étoiles(2)L’auteur veut parler, sans doute, du passage du Midrasch cité au commencement de ce chapitre..", "De cette manière donc, il se peut que l’ordre (dans la nature) soit celui-ci: quatre sphères, quatre éléments mus par elles et quatre forces émanées d’elles (et agissant) dans la nature en général, comme nous l’avons exposé. De même, les causes de tout mouvement des sphères sont au nombre de quatre, à savoir: la figure de la sphère, — je veux dire sa sphéricité, — son âme, son intellect par lequel elle conçoit, comme nous l’avons expliqué, et l’Intelligence séparée, objet de son désir(1)Voy. les détails que l’auteur a donnés plus haut, chap. IV, et qu’il va encore résumer ici. — Sur les visions prophétiques que l’auteur applique à ces quatre causes, Cf. le t. I, ch. XLIX, pag. 179, et ibid., note 2, où je ne me suis pas exprimé avec exactitude sur la troisième et la quatrième cause; la troisième est l’intellect que notre auteur (avec Ibn-Sinâ) attribue à chaque sphère, et la quatrième l’intelligence séparée ou le moteur respectif de chaque sphère.. Il faut te bien pénétrer de cela. En voici l’explication: si elle n’avait pas cette figure (sphérique), il ne serait nullement possible qu’elle eût un mouvement circulaire et continu; car la continuité du mouvement toujours répété n’est possible que dans le seul mouvement circulaire. Le mouvement droit, au contraire, quand même la chose mue reviendrait plusieurs fois sur une seule et même étendue, ne saurait être continu; car, entre deux mouvements opposés, il y a toujours un repos, comme on l’a démontré à son endroit(2)C’est-à-dire, comme l’a démontré Aristote dans la Physique et la Métaphysique. Cf. l’introduction, XIIIe proposition, ci-dessus, pag. 13, et ibid., n. 3.. Il est donc clair que c’est une condition nécessaire de la continuité du mouvement revenant toujours sur la même étendue, que la chose mue se meuve circulairement(3)En d’autres termes: pour que le mouvement puisse être perpétuel et continu, il faut nécessairement qu’il soit circulaire.. Mais il n’y a que l’être animé qui puisse se mouvoir; il faut donc qu’il existe une âme (dans la sphère). Il est indispensable aussi qu’il y ait quelque chose qui invite au mouvement; c’est une conception et le désir de ce qui a été conçu, comme nous l’avons dit. Mais cela ne peut avoir lieu ici qu’au moyen d’un intellect; car il ne s’agit ici ni de fuir ce qui est contraire, ni de chercher ce qui convient. Enfin, il faut nécessairement qu’il y ait un être qui ait été conçu et qui soit l’objet du désir, comme nous l’avons exposé. ", "Voilà donc quatre causes pour le mouvement de la sphère céleste; et (il y a aussi) quatre espèces de forces générales descendues d’elle vers nous, et qui sont: la force qui fait naître les minéraux, celle de l’âme végétative, celle de l’âme vitale et celle de l’âme rationnelle, comme nous l’avons exposé(1)Pour ce passage et pour ce qui suit, cf. le t. I, chap. LXXII, p. 360, 363-364, et 368. Nous préférons employer ici le mot force, au lieu du mot faculté, dont nous nous sommes servi au chap. LXXII de la Ire partie.. Ensuite, si tu considères les actions de ces forces, tu trouveras qu’elles sont de deux espèces, (à savoir) de faire naître tout ce qui naît et de conserver cette chose née, je veux dire d’en conserver l’espèce perpétuellement et de conserver les individus pendant un certain temps. Et c’est là ce qu’on entend par la nature, dont on dit qu’elle est sage, qu’elle gouverne, qu’elle a soin de produire l’animal par un art semblable à la faculté artistique (de l’homme)(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement במלאכה מחשבית; il faut lire במלאכה כמחשבית (comme l’ont les mss. et l’édition princeps), c’est-à-dire, במלאכה כמלאכת המחשבת. Ibn-Falaquéra traduit: במלאכה כמו האומנות (Moré ha-Moré, p. 91). Le mot arabe désigne la faculté par laquelle l’homme possède les arts; c’est ainsi que Maïmonide lui-même définit ailleurs le mot . Voy. à la fin du premier des Huit chapitres (dans la Porta Mosis de Pococke, pag. 189), où Ibn-Tibbon rend ce mot par מלאכת מחשבת. Cf. le t. I de cet ouvrage, p. 210, n. 1., et qu’elle a soin de le conserver et de le perpétuer, produisant (d’abord) des forces formatrices qui sont la cause de son existence, et (ensuite) des facultés nutritives qui sont la cause par laquelle il dure et se conserve aussi longtemps que possible; en un mot, c’est là cette chose divine de laquelle viennent les deux actions en question, par l’intermédiaire de la sphère céleste.", "Ce nombre quatre est remarquable et donne lieu à réfléchir. Dans le Midrasch de Rabbi Tan’houma on dit: «Combien de degrés avait l’échelle? quatre(1)Ce passage ne se trouve pas dans nos éditions du Midrasch Tan’houma, qui, comme on sait, sont fort incomplètes. L’auteur du Mégallé ’amoukôth paraît faire allusion à ce passage en parlant du mystère des quatre degrés de l’échelle de Jacob (םוד ד׳ שבילות בםולם שראה יעקב). Voy. le livre Yalkout Reoubéni, article מלאך, n. 99..» II s’agit ici du passage et voici, une échelle était placée sur la terre (Gen. XXVIII, 12). Dans tous les Midraschîm on rapporte «qu’il y a quatre légions d’anges», et on répète cela souvent(2)Voy. par exemple Pirké Rabbi Eliezer, chap. IV, où il est dit que le trône de Dieu est entouré de quatre légions d’anges qui ont à leur tête quatre archanges: Micaël, Gabriel, Uriel et Raphaël. Cf. le Midrasch des Nombres ou Bemidbar rabbâ, sect. 2 (fol. 179, col. a).. Dans quelques copies j’ai vu: «Combien de degrés avait l’échelle? sept»; mais toutes les copies (du Midrasch Tan’houma) et tous les Midraschîm s’accordent à dire que les anges de Dieu qu’il (Jacob) vit monter et descendre n’étaient que quatre, pas davantage, «deux qui montaient et deux qui descendaient,» que les quatre se tenaient ensemble sur un des degrés de l’échelle et que tous quatre ils se trouvaient sur un même rang, les deux qui montaient, comme les deux qui descendaient. Ils ont donc appris de là que la largeur de l’échelle dans la vision prophétique était comme l’univers et le tiers (de l’univers); car l’espace d’un seul ange, dans cette vision prophétique, étant comme le tiers de l’univers, — puisqu’il est dit: Et son corps était comme un TARSCHISCH (Daniel, x, 6)(3)Le mot tarschîsch, qui désigne une pierre précieuse, est pris ici par les rabbins dans le sens de mer; or, comme la mer, selon la tradition rabbinique, forme le tiers du monde, on a trouvé, dans le passage de Daniel, une allusion à la grandeur de chacun des trois mondes, appelés anges. Les trois mondes, comme on va le voir, sont: celui des intelligences séparées, celui des sphères célestes, et le monde sublunaire. — Le passage que Maïmonide interprète ici se trouve dans le Beréschîth rabbâ, sect. 68 (fol. 61, col. b); cf. Talmud de Babylone, traité ’Hullîn, fol. 91 b., — il s’ensuit que l’espace occupé par les quatre était comme l’univers et le tiers (de l’univers). — Dans les allégories de Zacharie, après avoir décrit (ch. VI, v. 1) les quatre chariots sortant d’entre deux montagnes, lesquelles montagnes étaient d’airain (NE’HOSCHETH), il ajoute pour en donner l’explication (Ibid, v. 5): Ce sont les quatre vents qui sortent de là où ils se tenaient devant le maître de toute la terre, et qui sont la cause de tout ce qui naît(1)L’auteur, selon son habitude, ne se prononce pas clairement sur le sens de ces visions. Dans ce passage de Zacharie, où il veut faire ressortir l’emploi du nombre quatre, il voit sans doute encore une fois une allusion aux quatre sphères et aux quatre forces dont il a parlé. Dans les deux montagnes, les commentateurs ont vu, soit la matière et la forme, soit les deux firmaments dont l’auteur a parlé au commencement du chap.IX.. Dans la mention de l’airain (NE’HOSCHETH), comme dans les mots de l’airain poli (NE’HOSCHETH KALAL, Ezéch., I, 7), on n’a eu en vue qu’une certaine homonymie, et tu entendras plus loin une observation là-dessus(2)L’auteur y reviendra à la fin des chapitres XXIX et XLIII de cette seconde partie, sans pourtant dire clairement de quelle homonymie il veut parler.. ", "— Quant à ce qu’ils disent que l’ange est le tiers de l’univers, — ce qu’ils expriment textuellement dans le Beréschîth rabbâ par les mots שהמלאך שלישו של עולם, — c’est très clair, et nous l’avons déjà exposé dans notre grand ouvrage sur la loi traditionnelle(3)Sur le mot arabe פקה, voy. t. I, pag. 7, n. 1. L’auteur veut parler de son Mischné Tôrâ (répétition de la loi) ou Abrégé du Talmud; l’explication qu’il indique ici se trouve au liv. I, traité Yesôdé ha-Tôrâ, chap. 2, § 3.. En effet, l’ensemble des choses créées se divise en trois parties: 1° les Intelligences séparées, qui sont les anges; 2° les corps des sphères célestes; 3° la matière première, je veux dire les corps continuellement variables, qui sont au-dessous de la sphère céleste.", "C’est ainsi que doit comprendre celui qui veut comprendre les énigmes prophétiques, s’éveiller du sommeil de l’indolence, être sauvé de la mer de l’ignorance et s’élever aux choses supérieures(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot למעלה est de trop; il ne se trouve pas dans les mss.. Quant à celui qui se plaît à nager dans les mers de son ignorance et à descendre de plus en plus bas(2)Par ces mots, que l’original arabe donne en hébreu, l’auteur a voulu sans doute faire allusion à un passage du Deutéronome, chap. XXVIII, v. 43., il n’aura pas besoin de fatiguer son corps; mais son cœur ne sera pas libre d’agitation(3)Le verbe יתׄכלי manque dans quelques manuscrits, et il n’est pas exprimé dans la traduction d’Al-’Harizi, qui porte לא יצטרך להניע גופו ולא לבו בשום תנועה, il n’aura besoin d’agiter ni son corps ni son cœur par aucun mouvement. Le texte arabe laisse un peu d’incertitude; les mots ולא קלבה pourraient aussi se lier à ce qui précède, et dans ce cas il faudrait traduire «….. il n’aura pas besoin de fatiguer son corps ni son cœur; il sera libre d’agitation, mais il descendra naturellement au plus bas degré.» et il descendra naturellement au plus bas degré. ", "Il faut bien comprendre tout ce qui a été dit et y réfléchir." ], [ "Sache que, si un simple mathématicien lit et comprend ces sujets astronomiques dont il a été parlé, il peut croire qu’il s’agit là d’une preuve décisive (pour démontrer) que tels sont la forme et le nombre des sphères. Cependant il n’en est pas ainsi, et ce n’est pas là ce que cherche la science astronomique(4)C’est-à-dire: elle ne cherche pas à donner des démonstrations rigoureuses pour tous ses théorèmes; car elle se contente quelquefois de certaines hypothèses propres à expliquer les phénomènes, comme le sont, par exemple, les hypothèses des épicycles et des excentriques.. A la vérité, il y en a de ces sujets qui sont susceptibles d’une démonstration(5)Littéralement: il y en a qui sont des sujets démontrables (c.-à-d. dont on peut démontrer) qu’ils sont ainsi.: c’est ainsi par exemple qu’il est démontré que l’orbite du soleil décline de l’équateur, et il n’y a pas de doute là-dessus. Mais qu’il a une sphère excentrique, ou un épicycle(1)Littéralement: une sphère de circonvolution. Voy. sur ce terme le t. I, pag. 358, n. 2., c’est ce qui n’a pas été démontré, et l’astronome ne se préoccupe pas de cela; car le but de cette science est de poser un système avec lequel le mouvement de l’astre puisse être uniforme, circulaire, sans être jamais hâté, ni retardé, ni changé, et dont le résultat soit d’accord avec ce qui se voit(2)En d’autres termes: l’astronome fait des suppositions indémontrables en elles-mêmes, dans le but de justifier les anomalies qu’on observe dans le mouvement des astres et de faire voir qu’au fond ce mouvement reste circulaire et toujours égal; tout ce qu’il lui faut, c’est que ses suppositions satisfassent aux observations.. Avec cela, on a pour but(3)Le texte dit: Il se propose; le sujet du verbe est צאחב אלהיאה̈, l’astronome. de diminuer les mouvements et le nombre des sphères autant que possible; car, si par exemple nous pouvons poser un système au moyen duquel les mouvements visibles de tel astre peuvent se justifier par (l’hypothèse de) trois sphères, et un autre système au moyen duquel la même chose peut se justifier par quatre sphères, le mieux est de s’en tenir au système dans lequel le nombre des mouvements est moindre. C’est pourquoi nous préférons, pour le soleil, l’excentricité à l’épicycle, comme l’a dit Ptolémée(4)Voy. Almageste, liv. III, chap. 3 et 4. Ptolémée montre que l’anomalie apparente du soleil peut s’expliquer aussi bien par l’hypothèse d’un épicycle que par celle d’un cercle excentrique; mais il trouve plus raisonnable de s’attacher à l’hypothèse de l’excentrique, parce qu’elle est plus simple, et qu’elle ne suppose qu’un seul, et non deux mouvements..— Dans cette vue donc, puisque nous percevons les mouvements de toutes les étoiles fixes comme un seul mouvement invariable, et qu’elles ne changent pas de position les unes à l’égard des autres, nous soutenons (5Au lieu de עולנא (proprement: nous nous fions à, nous sommes certains), plusieurs mss. ont עמלנא ou עלמנא, leçons qui n’offrent pas ici de sens convenable. D’ailleurs, la préposition עלי, qui suit le verbe, parle aussi en faveur de la leçon que nous avons adoptée.) qu’elles sont toutes dans une seule sphère; mais il ne serait pas impossible que chacune de ces étoiles fût dans une sphère (particulière), de manière qu’elles eussent toutes un mouvement uniforme et que toutes ces sphères (tournassent) sur les mêmes pôles. Il y aurait alors des lntelligences selon le nombre des sphères, comme il est dit: Ses légions peuvent-elles se compter (Job, xxv, 3)? c’est-à-dire, à cause de leur grand nombre; car les Intelligences, les corps célestes et toutes les forces, tout cela ensemble forme ses légions, et leurs espèces doivent nécessairement être limitées par un certain nombre. Mais, dût-il en être ainsi, cela ne ferait aucun tort à notre classification(1)C’est-à-dire: dùt-on admettre que chacune des étoiles fixes se trouve dans une sphère particulière, cela ne dérangerait en rien la classification que nous avons adoptée, en divisant toutes les sphères célestes en quatre groupes, par rapport aux quatre espèces de forces émanées d’elles., en ce que nous avons compté pour une seule la sphère des étoiles fixes, de même que nous avons compté pour une seule les cinq sphères des planètes avec les nombreuses sphères qu’elles renferment; car tu as bien compris que nous n’avons eu d’autre but que de compter (comme une seule) la totalité de chaque force que nous percevons dans la nature comme un seul ensemble(2)C’est-à-dire, de nous rendre compte de l’ensemble des forces émanées des sphères célestes, et dans lesquelles on peut distinguer quatre espèces, dont chacune présente un ensemble de forces particulières homogènes.— Au lieu de אלקוה̈ au singulier, leçon qu’a reproduite Ibn- Tibbon (כל כח אשר השגנוהו), les deux mss. de Leyde ont אלקוי au pluriel; de même Al-’Harîzi: מכלל הכחות אשר נשיגם. D’après cette leçon, il faudrait traduire: de rendre compte de l’ensemble des forces que nous percevons généralement dans la nature., sans nous préoccuper de rendre un compte exact du véritable état des intelligences et des sphères(3)C’est-à-dire, d’en fixer exactement le nombre. — Au lieu de תחריר (avec rêsch), quelques mss. ont תחדיד (avec daleth). Cette dernière leçon, qui signifie limiter, a été suivie par les deux traducteurs hébreux; Ibn-Tibbon a le לגבוׄל, et Al-’Harîzi להגבלת. La leçon que nous avons adoptée est préférée par Ibn-Falaquéra; Voy. Moré ha-Moré, appendice, p. 154..", "Mais notre intention, en somme, est (de montrer): 1° Que tous les êtres en dehors du Créateur se divisent en trois classes: la première (comprend) les intelligences séparées; la deuxième, les corps des sphères célestes, qui sont des substrata pour des formes stables et dans lesquelles la forme ne se transporte pas d’un substratum à l’autre, ni le substratum lui-même n’est sujet au changement; la troisième, ces corps qui naissent et périssent et qu’embrasse une seule matière. 2° Que le régime descend(1)Le verbe פיץׄ , que nous sommes obligé de rendre de différentes manières, signifie proprement: s’épancher, se verser, découler, émaner. Voyez sur cette expression le chap. suivant, et le t. I, pag. 244, n. 1. de Dieu sur les intelligences, selon leur ordre (successif), que les Intelligences, de ce qu’elles ont reçu elles-mêmes, épanchent des bienfaits et des lumières sur les corps des sphères célestes, et que les sphères enfin épanchent des forces et des bienfaits sur ce (bas) corps qui naît et périt, (en lui communiquant) ce qu’elles ont reçu de plus fort de leurs principes(2)Par les principes ou origines des sphères célestes, il faut entendre les intelligences..", "Il faut savoir que tout ce qui, dans cette classification, communique un bien quelconque, n’a pas uniquement pour but final de son existence, tout donneur qu’il est(3)Littéralement: l’existence, le but et la fin de ce donneur ne sont pas uniquement, etc., de donner à celui qui reçoit; car (s’il en était ainsi), il s’ensuivrait de là une pure absurdité. En effet, la fin est plus noble que les choses qui existent pour cette fin; or, il s’ensuivrait (de ladite supposition) que ce qui est plus élevé, plus parfait et plus noble existe en faveur de ce qui lui est inférieur, chose qu’un homme intelligent ne saurait s’imaginer. Mais il en est comme je vais le dire: Quand une chose possède un certain genre de perfection, tantôt cette perfection y occupe une étendue (suffisante) pour que la chose elle-même soit parfaite, sans qu’il s’en communique une perfection à une autre chose; tantôt la perfection a une étendue telle qu’il y en a de reste pour perfectionner autre chose. Ainsi, pour citer un exemple, tu dirais qu’il y a tel homme qui possède une fortune suffisante seulement pour ses besoins et qu’il n’en reste rien de trop dont un autre puisse tirer profit, et tel autre qui possède une fortune dont il lui reste en surplus(1)Des deux mots ענה מנה, qui se trouvent dans tous les mss., le premier se rapporte à la fortune (אלמאל), et le second à la personne (אכׄר), littéralement: dont il reste de sa part. de quoi enrichir beaucoup de monde, de sorte qu’il puisse en donner à une autre personne suffisamment pour que cette personne soit également riche et en ait assez de reste pour enrichir une troisième personne. Il en est de même dans l’univers: l’épanchement, qui vient de Dieu pour produire des Intelligences séparées, se communique aussi de ces intelligences pour qu’elles se produisent les unes les autres, jusqu’à l’intellect actif avec lequel cesse la production des (intelligences) séparées. De chaque (intelligence) séparée, il émane également une autre production(2)C’est-à-dire, chaque intelligence séparée, en produisant l’intelligence qui est au-dessous d’elle, fait émaner d’elle une autre production, qui est une des sphères célestes., jusqu’à ce que les sphères aboutissent à celle de la lune. Après cette dernière vient ce (bas) corps qui naît et périt, je veux dire la matière première et ce qui en est composé. De chaque sphère il vient des forces (qui se communiquent) aux éléments, jusqu’à ce que leur épanchement s’arrête au terme (du monde) de la naissance et de la corruption.", "Nous avons déjà exposé que toutes ces choses ne renversent rien de ce qu’ont dit nos prophètes et les soutiens de notre Loi(3)C’est-à-dire, les docteurs, qui portent et propagent la tradition. Cf. ci-dessus, page 65, n. 3.; car notre nation était une nation savante et parfaite, comme Dieu l’a proclamé par l’intermédiaire du Maître qui nous a perfectionnés, en disant: Cette grande nation seule est un peuple sage et intelligent (Deut. IV, 6). Mais lorsque les méchants d’entre les nations ignorantes eurent anéanti nos belles qualités, détruit nos sciences(1)La plupart des mss., et les meilleurs, portent חכמנא, et il faut prononcer (plur. de ). Les deux versions hébraïques ont חכמתנו, au sing., et de même un seul de nos mss. arabes porte חכמתנא. Quelques autres mss. ont חכמאנא, nos sages, et même quelques mss. de la version d’Ibn-Tibbon ont חכמינו; mais cette dernière leçon est inadmissible; car les mots suivants, ואהלכוא עלמאנא, seraient une répétition inutile. et nos livres et massacré nos savants, — de sorte que nous devînmes ignorants, ainsi qu’on nous en avait menacés à cause de nos péchés, en disant: Et la sagesse de ses sages périra, et l’intelligence de ses hommes intelligents disparaîtra (Isaïe, 29, 14), — nous nous mêlâmes à ces nations(2)Pour être plus exact, il faudrait traduire: et que nous nous mêlâmes à eux; car le complément de la phrase, dans le texte arabe, ne commence qu’au verbe פתעדת. Nous avons un peu modifié la construction de la phrase pour la rendre moins embarrassée., et leurs opinions passèrent à nous, ainsi que leurs mœurs et leurs actions. De même qu’on a dit, au sujet de l’assimilation des actions: Ils se sont mêlés aux nations et ont appris leurs actions (Ps. 106, 35), de même on a dit, au sujet des opinions des nations ignorantes transmises à nous: Et ils se contentent des enfants des étrangers (Isaïe, 2, 6)(3)Nous avons dû adopter, pour le mot ישפיקו, la traduction que l’auteur en donne lui-même au chap. VII de la Ire partie. Dans la version de Jonathan, tous les mss. ont ici le verbe יהכון, tandis que dans la Ire partie, on lit אזלין, comme dans nos éditions de la paraphrase chaldaïque., ce que Jonathan ben-Uziel traduit: Et ils suivent les lois des nations. Lors donc que nous eûmes été élevés dans l’habitude des opinions des peuples ignorants, ces sujets philosophiques parurent être aussi étrangers à notre Loi qu’ils l’étaient aux opinions des peuples ignorants, bien qu’il n’en soit pas ainsi.", "Puisque, dans notre discours, il a été question à plusieurs reprises de l’épanchement (venant) de Dieu et des intelligences, il faut que nous t’en exposions le véritable sens, je veux dire l’idée qu’on désigne par le mot épanchement. Après cela, je commencerai à parler de la nouveauté du monde." ], [ "Il est évident que tout ce qui est (1)Sur le sens du mot חאדתׄ, voy. t. I, p. 235, n. 2; nous traduisons ce mot tantôt par nouveau ou nouvellement survenu, tantôt par ou par créé. a nécessairement une cause efficiente qui l’a fait naître après qu’il n’avait pas existé. Cet efficient prochain ne peut qu’être ou corporel ou incorporel; cependant, un corps quelconque n’agit pas en tant que corps, mais il exerce telle action parce qu’il est tel corps, je veux dire (qu’il agit) par sa forme. Je parlerai de cela plus loin. Cet efficient prochain, producteur de la chose née, peut être lui-même (d’autre chose); mais cela ne peut se continuer à l’infini, et au contraire, dès qu’il y a une chose née, il faut nécessairement que nous arrivions à la fin à un producteur primitif, incréé, qui ait produit la chose. Mais alors il reste la question (de savoir) pourquoi il a produit maintenant et pourquoi il ne l’a pas fait plus tôt, puisqu’il existait. Il faut donc nécessairement que cet acte nouveau ait été impossible auparavant(2)Littéralement: Il faut donc nécessairement que l’impossibilité de cet acte nouveau, avant qu’il survînt, soit venue, ou bien d’un manque de rapport, etc.: soit que, l’agent étant corporel, il manquât un certain rapport entre l’agent et l’objet de l’action; soit que, l’agent étant incorporel, il manquât la disposition de la matière(3)Cf. ci-dessus, pag. 22, propos, xxv, et pag. 30, n. 2; l’auteur entre ci-après dans de plus amples explications sur ce qu’il entend par rapport et par disposition de la matière. — Tous les mss. arabes ont מאדה̈, sans article; les deux traducteurs hébreux ont ajouté l’article (החמר).. ", "Tout cet exposé est le résultat de la spéculation physique, sans que, pour le moment, on se préoccupe ni de l’éternité ni de la nouveauté du monde; car ce n’est pas là le but de ce chapitre.", "Il a été exposé dans la science physique que tout corps qui exerce une certaine action sur un autre corps n’agit sur ce dernier qu’en l’approchant, ou en approchant quelque chose qui l’approche, si cette action s’exerce par des intermédiaires. Ainsi, par exemple, ce corps qui a été chauffé maintenant, l’a été, ou bien parce que le feu lui-même l’a approché, ou bien parce que le feu a chauffé l’air et que l’air environnant le corps l’a chauffé, de sorte que c’est la masse d’air chaud qui a été l’agent prochain pour chauffer ce corps. C’est ainsi que l’aimant attire le fer de loin au moyen d’une force qui se répand de lui dans l’air qui approche le fer. C’est pourquoi il n’exerce pas l’attraction à quelque distance que ce soit, de même que le feu ne chauffe pas à quelque distance que ce soit, mais seulement à une distance qui permet la modification de l’air qui est entre lui et la chose chauffée par sa force; mais lorsque la chaleur de l’air venant de ce feu se trouve coupée (ou éloignée) de dessous la cire, celle-ci ne peut plus se fondre par elle; il en est de même pour ce qui concerne l’attraction. Or, pour qu’une chose qui n’a pas été chaude le devînt ensuite, il a fallu nécessairement qu’il survînt une cause pour la chauffer, soit qu’il naquit un feu, soit qu’il y en eût un à une certaine distance qui fût changée. C’est là le rapport qui manquait d’abord et qui ensuite est survenu. De même, (si nous cherchons) les causes de tout ce qui survient dans ce monde en fait de créations nouvelles, nous trouverons que ce qui en est la cause, c’est le mélange des éléments, corps qui agissent les uns sur les autres et reçoivent l’action les uns des autres, je veux dire que la cause de ce qui naît c’est le rapprochement ou l’éloignement des corps (élémentaires) les uns des autres. — Quant à ce que nous voyons naître sans que ce soit la simple conséquence du mélange(1)Littéralement: Quant à ce que nous trouvons en fait de choses nées qui ne suivent point un mélange, c’est-à-dire dont la naissance ne saurait s’expliquer par le seul mélange des éléments., — et ce sont toutes les formes, — il faut pour cela aussi un efficient, je veux dire quelque chose qui donne la forme. Et ceci n’est point un corps; car l’efficient de la forme est une forme sans matière, comme il a été exposé en son lieu(1)Littéralement: dans ses endroits; c’est-à-dire, dans les endroits de la Physique et de la Métaphysique qui traitent de ce sujet., et nous en avons précédemment indiqué la preuve(2)L’auteur veut parler sans doute de ce qu’il a dit, au chap. IV, de la production des formes par l’intellect actif. Voy. ci-dessus, pag. 57-59. Ce qui peut encore servir à te l’expliquer, c’est que tout mélange est susceptible d’augmentation et de diminution et arrive petit à petit, tandis qu’il n’en est pas ainsi des formes; car celles-ci n’arrivent pas petit à petit, et à cause de cela elles n’ont pas de mouvement, et elles surviennent et disparaissent en un rien de temps(3)Cf. ci-dessus, pag. 6, n. 2, et pag. 7, n. 2.. Elles ne sont donc pas l’effet du mélange; mais le mélange ne fait que disposer la matière à recevoir la forme. L’efficient de la forme est une chose non susceptible de division, car son action est de la même espèce que lui(4)L’action de cet efficient, ou la forme, étant incorporelle et indivisible, l’efficient doit l’être également. Cf. ci-dessus, p. 8 et 9, la VIIe proposition et les notes que j’y ai jointes.; il est donc évident que l’efficient de la forme, je veux dire ce qui la donne, est nécessairement une forme, et celle-ci est une (forme) séparée(5)Voy. ci-dessus, p. 31, n. 2.. Il est inadmissible que cet efficient, qui est incorporel, produise son impression par suite d’un certain rapport. En effet, n’étant point un corps, il ne saurait ni s’approcher ni s’éloigner, ni aucun corps ne saurait s’approcher ou s’éloigner de lui; car il n’existe pas de rapport de distance entre le corporel et l’incorporel. Il s’ensuit nécessairement de là que l’absence de cette action(6)C’est-à-dire, de celle qui vient de l’être séparé, donnant la forme. a pour cause le manque de disposition de telle matière pour recevoir l’action de l’être séparé.", "Il est donc clair que l’action que les corps (élémentaires), en vertu de leurs formes (particulières), exercent les uns sur les autres a pour résultat de disposer les (différentes) matières à recevoir l’action de ce qui est incorporel, c’est-à-dire les actions qui sont les formes(1)Littéralement: lesquelles actions sont les formes; le pronom relatif lesquelles se rapporte irrégulièrement au mot פעל, action, qui est au sing. Le sens est: que c’est de l’être incorporel ou séparé qu’émanent les véritables formes constituant l’essence des choses.. Or, comme les impressions de l’intelligence séparée(2)C’est-à-dire, la dernière des intelligences séparées, qui est l’intellect actif. sont manifestes et évidentes dans ce monde,— je veux parler de toutes ces nouveautés (de la nature) qui ne naissent pas du seul mélange en lui-même, — on reconnaîtra nécessairement que cet efficient n’agit pas par contact, ni à une distance déterminée, puisqu’il est incorporel. Cette action de l’intelligence séparée est toujours désignée par le mot épanchement (FÉIDH), par comparaison avec la source d’eau qui s’épanche de tous côtés et qui n’a pas de côtés déterminés, ni d’où elle proflue, ni par où elle se répande ailleurs, mais qui jaillit de partout et qui arrose continuellement tous les côtés (à l’entour), ce qui est près et ce qui est loin. Car il en est de même de cette intelligence: aucune force ne lui arrive d’un certain côté ni d’une certaine distance, et sa force n’arrive pas non plus ailleurs par un côté déterminé, ni à une distance déterminée, ni dans un temps plutôt que dans un autre temps; au contraire, son action est perpétuelle, et toutes les fois qu’une chose a été disposée(3)Ibn-Tibbon traduit: כל אשר יזדמן דבר; cette version est critiquée par Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, appendice, p. 154), qui préfère traduire: כל דבר שהוא מוכן. La version d’Al-’Harîzi porte: בעוד שיזדמן דבר מוכן, toutes les fois qu’il se rencontre une chose disposée., elle reçoit cette action toujours existante qu’on a désignée par le mot épanchement. De même encore, comme on a démontré l’incorporalilé du Créateur et établi que l’univers est son œuvre et qu’il en est, lui, la cause efficiente, — ainsi que nous l’avons exposé et que nous l’exposerons encore, — on a dit que le monde vient de l’épanchement de Dieu et que Dieu a épanché sur lui tout ce qui y survient(1)Cf. Ibn-Gebirol, La Source de vie, liv. V, § 64 (Mélanges de philosophie juive et arabe, pag. 138).. De même encore on a dit que Dieu a épanché sa science sur les prophètes. Tout cela signifie que ces actions sont l’œuvre d’un être incorporel; et c’est l’action d’un tel être qu’on appelle épanchement. La langue hébraïque aussi a employé ce mot, je veux dire (le mot) épanchement, en parlant de Dieu par comparaison avec la source d’eau qui s’épanche(2)Pour être plus exact, l’auteur aurait dû dire que la langue hébraïque emploie une image analogue, en appelant Dieu une source d’eau vive (Jérémie, 2, 13); car la langue biblique, comme on le pense bien, n’offre aucun mot qui exprime l’idée philosophique que désigne le mot arabe (épanchement), et les rabbins du moyen âge ont employé dans ce sens la racine שפע, qui, dans les dialectes araméens, signifie affluer, profluer, abonder, et qui ne se trouve qu’une seule fois dans l’hébreu biblique, comme substantif, dans le sens d’affluence, abondance (Deutéron. 33, 19). Mais on verra, à la fin de ce chapitre, que l’auteur interprète dans le sens philosophique le mot מקור, source., ainsi que nous l’avons dit. En effet, on n’aurait pu trouver d’expression meilleure que celle-là, je veux dire féidh (épanchement), pour désigner par comparaison l’action de l’être séparé; car nous ne saurions trouver un mot réellement correspondant à la véritable idée, la conception de l’action de l’être séparé étant chose très difficile, aussi difficile que la conception de l’existence même de l’être séparé. De même que l’imagination ne saurait concevoir un être que comme corps ou comme force dans un corps, de même elle ne saurait concevoir qu’une action puisse s’exercer autrement que par le contact d’un agent, ou du moins à une certaine distance (limitée) et d’un côté déterminé. Or, comme pour certains hommes, même du vulgaire, c’est une chose établie que Dieu est incorporel, ou même qu’il n’approche pas de la chose qu’il fait, ils se sont imaginé qu’il donne ses ordres aux anges et que ceux-ci exécutent les actions par contact et par un approche corporel, comme nous agissons nous-mêmes sur ce que nous faisons; ils se sont donc imaginé que les anges aussi sont des corps. Il y en a qui croient que Dieu ordonne la chose en parlant comme nous parlons, je veux dire par des lettres et des sons, et qu’alors la chose se fait(1)Au lieu de הדבור, qu’ont généralement les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire הדבר, comme l’a l’édition princeps; le verbe ויפעל est au passif ( ponctuez: וְיִפָּעֵל). Al-’Harîzi traduit: ויהיה הדבר נפעל; Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 94) ויתפעל אותו הדבר.. Tout cela, c’est suivre l’imagination, qui est aussi, en réalité, le yécer ha-ra’ (la fantaisie mauvaise)(2)Le mot יֵצֶר (formation, création) désigne, au figuré, le penchant naturel (Genèse, 6, 5; VIII, 21), et les rabbins désignent par יצר הרע toute espèce de dégénération morale, le mauvais penchant, la passion, ou le dérèglement de l’imagination.; car tout vice rationnel ou moral est l’œuvre de l’imagination ou la conséquence de son action. Mais ce n’est pas là le but de ce chapitre. Nous avons plutôt l’intention de faire comprendre ce qu’on entend par l’épanchement, en parlant soit de Dieu, soit des Intelligences ou des anges, qui sont incorporels(3)Littéralement: L’intention est plutôt la compréhension du sens de l’épanchement qui se dit à l’égard de Dieu et à l’égard des intelligences, je veux dire des anges, parce qu’ils sont incorporels.. On dit aussi des forces des sphères célestes qu’elles s’épanchent sur le (bas) monde, et on dit: «l’épanchement de la sphère céleste,» quoique les effets produits par celle-ci viennent d’un corps et qu’à cause de cela les astres agissent à une distance déterminée, je veux dire suivant qu’ils sont près ou loin du centre (du monde) et selon leur rapport mutuel(4)C’est-à-dire, selon leur position respective les uns à l’égard des autres.. C’est ici le premier point de départ de l’astrologie judiciaire(5)Littéralement: C’est par ici qu’on est entré dans les jugements des astres ou dans l’astrologie. L’auteur, comme on le pense bien, rejetait cette science chimérique, qui avait séduit même quelques esprits élevés parmi les juifs, comme par exemple le célèbre Ibn-Ezra. Maïmonide s’est prononcé contre cette science, dans les termes les plus énergiques. Voyez surtout sa Lettre aux docteurs de Marseille..", "Quant à ce que nous avons dit que les prophètes aussi ont présenté métaphoriquement l’action de Dieu par l’idée de l’épanchement, c’est, par exemple, dans ce passage: Ils m’ont abandonné, moi, source d’eau vive (Jérémie, 2, 13), ce qui signifie épanchement de la vie, c’est-à-dire de l’existence, qui, indubitablement, est la vie. De même on a dit: Car auprès de toi est la source de la vie (Ps. 36, 10), ce qui veut dire l’épanchement de l’existence; et c’est encore la même idée qui est exprimée à la fin de ce passage par les mots: dans ta lumière nous voyons la lumière (ce qui veut dire) que, grâce à l’épanchement de l’intellect (actif) qui est émané de toi, nous pensons, et par là nous sommes dirigés et guidés(1)Le mot ונםתדל, et nous nous guidons, n’a pas été rendu dans les versions hébraïques. Al-’Harizi finit ce chapitre par les mots נשכיל ונלך באורח משור. Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 94) en traduit ainsi les derniers mots: נשכיל וינחה אותנו ויורנו השכל. et nous percevons l’intellect (actif). Il faut te bien pénétrer de cela." ], [ "Sur la question de savoir si le monde est éternel ou créé, ceux qui admettent l’existence de Dieu ont professé trois opinions différentes(2)Littéralement: les opinions des hommes sur l’éternité du monde ou sa nouveauté, chez tous ceux qui ont admis qu’il existe un Dieu, sont trois opinions. — Pour אלאה מוגׄוד, les mss. ont généralement אלאהא מוגׄודא, à l’accusatif, ce qui est incorrect.:", "I. La première opinion, embrassée par tous ceux qui admettent la Loi de Moïse, notre maître, est (celle-ci): Que l’univers, dans sa totalité, je veux dire tout être hormis Dieu, c’est Dieu qui l’a produit du néant pur et absolu; qu’il n’avait existé (d’abord) que Dieu seul et rien en dehors de lui, ni ange, ni sphère, ni ce qui est à l’intérieur de la sphère céleste; qu’ensuite il a produit tous ces êtres, tels qu’ils sont, par sa libre volonté et non pas de quelque chose; enfin, que le temps lui-même aussi fait partie des choses créées, puisqu’il accompagne le mouvement, lequel est un accident de la chose mue, et que cette chose ellemême dont le temps accompagne le mouvement a été créée et est née après ne pas avoir existé. Que si l’on dit: «Dieu fut avant de créer le monde,» — où le mot fut indique un temps,— et de même s’il s’ensuit de là pour la pensée(1)Littéralement: et de même tout ce qui en est entraîné (comme conséquence) dans l’esprit. Ibn-Tibbon traduit: וכן כל מה שיעלה בשכל; cette version est justement critiquée par Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, Appendice, pag. 154), qui fait observer que le verbe arabe ינגׄר ressemble à la forme hébraïque יִגּרר (niph’al de גרר, entraîner), et qu’il ne convient pas ici de traduire par שׂכל, intelligence, le mot arabe דׄהן, qui signifie esprit, pensée. que son existence avant la création du monde s’est prolongée à l’infini, il n’y a dans tout cela que supposition ou imagination de temps et non pas réalité de temps; car le temps est indubitablement un accident, et il fait partie, selon nous, des accidents créés aussi bien que la noirceur et la blancheur. Bien qu’il ne soit pas de l’espèce de la qualité(2)C’est-à-dire, bien qu’il n’entre pas dans la catégorie de la qualité, comme la noirceur, la blancheur et la plupart des accidents., il est pourtant, en somme, un accident inhérent au mouvement, comme il est clair pour celui qui a compris ce que dit Aristote pour expliquer le temps et son véritable être(3)Voy. ci-dessus, pag. 15, la XVe propos, et les notes..", "Nous allons ici donner une explication, qui sera utile pour le sujet que nous traitons, bien qu’elle ne s’y rapporte pas directement. Ce qui (disons-nous) a fait que le temps est resté une chose obscure pour la plupart des hommes de science, de sorte qu’ils ont été indécis(4)Littéralement: de sorte que sa chose (ou son idée) les a rendus perplexes. — comme par exemple Gallien(5)Cf. le t. I, chap. LXXIII, pag. 381. et d’autres — sur la question de savoir s’il a, ou non, une existence réelle, c’est qu’il est un accident dans un (autre) accident. En effet, les accidents qui existent dans les corps d’une manière immédiate, comme les couleurs et les goûts, on les comprend du premier abord et on en conçoit l’idée. Mais les accidents dont les substrata sont d’autres accidents, comme, par exemple, l’éclat dans la couleur, la courbure et la rondeur dans la ligne, sont une chose très obscure, surtout lorsqu’il se joint à cela (cette circonstance) que l’accident qui sert de substratum n’est pas dans un état fixe, mais change de condition(1)Littéralement: mais dans un état après un (autre) état. Ibn-Tibbon traduit: אבל ישתנה מענין אל ענין. L’un des mss. de Leyde(n. 18) a: יתגיר פי חאלה̈ בעד חאלה̈; mais, cette construction étant incorrecte, je crois que le copiste s’est permis ici d’ajouter un mot (יתגיר), d’après la version hébraïque, comme il l’a fait dans d’autres endroits.; car alors la chose est plus obscure. Or, dans le temps, les deux choses sont réunies; car (d’abord) il est un accident inhérent au mouvement, lequel est un accident dans la chose mue; et (ensuite) le mouvement n’est pas dans la condition de la noirceur et de la blancheur, qui sont quelque chose de fixe mais au contraire, il est de la véritable essence du mouvement de ne pas rester un seul clin d’œil dans le même état. C’est donc là ce qui a fait que le temps est resté une chose obscure. ", "Notre but est (d’établir) que, pour nous autres, il est une chose créée et née, comme les autres accidents et comme les substances qui portent ces accidents. Par conséquent, la production du monde par Dieu n’a pu avoir un commencement temporel, le temps faisant partie lui-même des choses créées.", "Il faut que tu médites profondément sur ce sujet, afin que tu ne sois pas en butte aux objections auxquelles ne saurait échapper celui qui ignore cela. En effet, dès que tu affirmes (qu’il existait) un temps avant le monde, tu es obligé d’admettre l’éternité; car le temps étant un accident, auquel il faut nécessairement un substratum, il s’ensuivrait de là qu’il a existé quelque chose avant l’existence de ce monde qui existe maintenant, et c’est à cela précisément que nous voulons échapper.", "Telle est donc l’une des (trois) opinions, qui forme indubitablement un principe fondamental de la Loi de Moïse, notre maître, le second principe après celui de l’unité (de Dieu); et il ne doit point te venir à l’idée qu’il puisse en être autrement. Ce fut notre père Abraham qui commença à publier cette opinion, à laquelle il avait été amené par la spéculation; c’est pourquoi il proclama le nom de l’Éternel, Dieu de l’univers(1)Voy. Genèse, 21, 33, et cf. le t. I, pag. 3, note 2.. Il a clairement exprimé cette opinion en disant: Créateur du ciel et de la terre (Genèse, 14, 22).", "II. La deuxième opinion est celle de tous les philosophes dont nous avons entendu parler, ou dont nous avons vu les paroles. Il est inadmissible, disent-ils, que Dieu produise quelque chose du néant, et il n’est pas non plus possible, selon eux, qu’une chose soit réduite au néant (absolu); je veux dire, qu’il n’est pas possible qu’un être quelconque, ayant matière et forme, soit né sans que la matière ait jamais existé, ni qu’il périsse de manière que la matière elle-même soit réduite au néant absolu(2)Littéralement: qu’il naisse un être quelconque ayant matière et forme du non-être absolu de cette matière, ni qu’il périsse en le non-être absolu de cette matière. Tous les mss. ont les deux fois תלך אלמאדה̈, cette matière; de même, les versions d’Ibn-Tibbon et d’Al-’Harîzi: החמר ההוא. Dans le Moré ha-Moré d’Ibn-Falaquéra, tant dans l’édition imprimée (pag. 95) que dans les mss., on lit אותה הצורה, cette forme; mais cette leçon est inadmissible.. Attribuer à Dieu la faculté de (faire) pareille chose, ce serait, selon eux, comme si on lui attribuait la faculté de réunir au même instant(3)La version d’Ibn-Tibbon ajoute les mots כנושא אחד dans un même sujet. En effet, ces mots sont sous-entendus dans le texte arabe; car il n’y a vraiment contradiction qu’en supposant les deux contraires réunis au même instant et dans le même sujet. Cf. la Ire partie, chap. LXXV, à la fin de la Ire méthode (pag. 443) et IIIe partie, chap. XV. les deux contraires, ou de créer son semblable, ou de se corporifier, ou de créer un carré dont la diagonale soit égale au côté, ou de semblables choses impossibles. Ce qui est sousentendu dans leurs paroles, c’est qu’ils veulent dire que, de même qu’il ne peut être taxé d’impuissance pour ne pas produire les choses impossibles, — car l’impossible a une nature stable, qui n’est pas l’œuvre d’un agent, et qui, à cause de cela, est invariable(1)Voy. la IIIe partie de cet ouvrage, chap. xv., — de même on ne saurait lui attribuer l’impuissance, parce qu’il ne serait pas capable de produire quelque chose du néant (absolu); car cela est de la catégorie de toutes les choses impossibles. Ils croient donc qu’il existe une matière qui est éternelle comme Dieu; que lui, il n’existe pas sans elle, ni elle sans lui. Cependant ils ne croient pas pour cela qu’elle occupe dans l’être le même rang que Dieu; mais, au contraire, Dieu est (selon eux) la cause par laquelle elle existe, et elle est pour lui ce que l’argile est pour le potier, ou ce que le fer est pour le forgeron. Il crée dans elle ce qu’il veut: tantôt il en forme ciel et terre, tantôt il en forme autre chose. ", "Les partisans de cette opinion croient que le ciel aussi est né et (qu’il est) périssable, mais qu’il n’est pas né du néant, ni ne doit périr (de manière à retourner) au néant. Au contraire, de même que les individus des animaux naissent et périssent (en sortant) d’une matière qui existe et (en retournant) à une matière qui existe, de même le ciel est né et doit périr, et il en est de sa naissance et de sa corruption comme de celles des autres êtres qui sont au-dessous de lui. Ceux qui appartiennent à cette secte se divisent en plusieurs classes, dont il est inutile de mentionner dans ce traité les divisions et les opinions; mais(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement אם כן; il faut lire אבל, comme l’ont les mss. le principe universel de cette secte est celui que je t’ai dit. Platon aussi professe cette opinion; tu trouveras qu’Aristote rapporte de lui dans l’Acroasis (ou la Physique) qu’il croyait, — c’est-à-dire Platon, — que le ciel est né et (qu’il est) périssable(1)Voy. Phys., liv. VIII, chap. 1, où Aristote dit que Platon seul considérait le temps comme né; il est né, disait-il, en même temps que le ciel, qui lui-même est né: Ἅμα μὲν γὰρ αὐτὸν τῷ οὐρανῷ γεγονέναι, τὸν δ’ οὐρανὸν γεγονέναι φησίν. On remarquera qu’Aristote dit seulement que, selon Platon, le ciel a été produit, mais non pas qu’il doive périr; ailleurs Aristote dit même expressément que, selon le Timée, le ciel, quoique , est impérissable et durera toujours (voy. le traité Du Ciel, liv. I, à la fin du chap. 10). C’est donc à tort que Maïmonide dit ici et plus loin (chap. XV et XXV) que, selon Platon, le ciel est et sujet à la corruption. Cf. Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, pag. 95., et de même tu trouveras son opinion clairement exprimée dans son livre à Timée(2)Voy. le Timée, pag. 28 B.C: Γέγονεν (ὁ οὐρανός) · ὁρατὸς γἁπτός τέ ἐστι ϰαὶ σῶμα ἔχων, πάντα δὲ τὰ τοιαῦτα αἰσθητά, τὰ δὲ αἰσθητά, δόξη περιληπτὰ μετὰ αἰσθήσεως, γιγνὀμενα ϰαὶ γεννητὰ ἐφάνη. — Maïmonide a pu lire le Timée, dont il existait une traduction arabe intitulée (Voy. Wenrich, De auctorum grœcorum versionibus, etc., p. 118). Presque tous les mss. ar., ainsi que les deux versions hébraïques, ont לטימאוס, à Timée; nous avons reproduit cette leçon, quoiqu’elle renferme une inexactitude. Dans un de nos mss. on lit plus exactement: פי בתאבה טימאוס (sans ל), dans son livre Timée; de même dans le Moré ha-Moré, l. c.: בספרו טימיאוס.. Cependant il ne croit pas ce que nous croyons, comme le pensent ceux qui n’examinent pas les opinions et n’étudient pas avec soin, et qui s’imaginent que notre opinion et la sienne sont semblables. Il n’en est point ainsi; car nous, nous croyons que le ciel est né, non pas de quelque chose, mais du néant absolu, tandis que lui, il croit qu’il existait (virtuellement) et qu’il a été formé de quelque chose(3)On voit que, selon Maïmonide, la différence entre Platon et Aristote est celle-ci: que ce dernier admet, non-seulement l’éternité de la matière première, mais aussi celle du mouvement et du temps, tandis que Platon, tout en admettant l’éternité de la matière et du chaos, croit pourtant que le monde, tel qu’il est, a eu un commencement, que le ciel a été, comme les choses sublunaires, produit du chaos, et que par conséquent le mouvement et le temps ont eu un commencement. C’est dans ce sens que l’opinion de Platon a été généralement interprétée par les Arabes et par les scolastiques, et c’est dans ce sens encore que se prononce l’un des plus savants adeptes de la nouvelle école platonique d’Italie. Voici comment Léon Hébreu s’exprime sur cette question (Dialoghi di amore, III, édit. de Venise, 1572, fol. 145 et suiv.): «Concedendo tutti gli huomini che’l sommo Dio genitore et opifice del mondo sia eterno, senza alcun principio temporale, son divisi nella produttion del mondo, se è ab eterno, o da qualche tempo in quà. Molti dei filosofi tengono essere prodotto ab eterno da Dio, e non havere mai havuto principio temporale, così come esso Dio non l’ha mai havuto, et di questa opinione è il grande Aristolile, et tutti i peripatetici… Ma gli fideli, et tutti quelli che credono la sacra legge di Moise, tengono che’l mondo fusse non ab eterno produtto, anzi di nulla creato in principio temporale, et ancora alcuni dei filosofi par che sentino questo; per quali è il divino Platone, che nel Timeo pone il mondo essere fatto et genito da Dio, produtto del chaos, che è la materia confusa, del quale le cose sono generate… È ben vero che lui fa il chaos, di che le cose sono fatte, eterno, cioè eternalmente produtto da Dio, laquai cosa non tengono gli fideli; perche loro tengono che fino all’ hora della creatione solo Dio fusse in essere senza mondo, et senza chaos, et che l’omnipotentia di Dio di nulla tutte le cose in principio di tempo habbia produtto, che in effetto non par già chiaramente in Moise, che’l ponga materia coeterna a Dio.— Sono adunque tre opinioni nella produttione del mondo da Dio: la prima d’Aristotile, che tutto il mondo fu produtto ab eterno; la seconda di Platone, che solamente la materia, o chaos, fu produtto ab eterno, ma il mondo in principio di tempo; et la terza delli fideli, che tutto sia produtto di nulla in principio di tempo.» — Mais on reconnaît par notre passage qu’à l’époque de Maïmonide, comme à toutes les époques, les opinions étaient divisées sur le vrai sens de la doctrine de Platon; et, en effet, le langage poétique de Platon et l’enveloppe mythique sous laquelle il présente souvent ses doctrines ne justifient que trop cette divergence des opinions. Tandis que plusieu s des plus anciens Platoniciens, et plus tard les Néoplatoniciens, prétendaient que Platon avait admis, comme Aristote, l’éternité du monde, d’autres au contraire (notamment quelques chrétiens, comme par exemple Clément d’Alexandrie) allaient jusqu’à soutenir que Platon avait professé la doctrine de la création ex nihilo, en considérant Dieu comme l’auteur non-seulement de l’ordre du monde, mais de la matière même. La même divergence se fait remarquer encore parmi les savants de nos jours. On peut voir, à cet égard, Zeller, Die Philosophie der Griechen, t. II, pag. 508 et suiv. (2e édit. Tubingue, 1859), et Henri Martin, Études sur le Timée de Platon, t. II, pag. 179 et suiv. Ce dernier savant, après un examen approfondi des textes, arrive à des conclusions qui s’accordent avec l’opinion de Maïmonide et de Léon Hébreu, à savoir que, d’après le Timée, 1°Dieu n’a pas créé la matière première des corps, c’est-à-dire la substance indéterminée; 2° il n’a pas même créé la matière seconde, c’est-à-dire le chaos éternel; 3° il a produit l’ordre du monde, mais non de toute éternité. — La distinction entre la matière première incorporelle et le chaos corporel ne nous intéresse point ici, pas plus que la question de savoir comment Platon entendait la matière première et en quoi sa doctrine, à cet égard, diffère de celle d’Aristote. Qu’il nous suffise de dire que Platon admet un principe éternel opposé à l’idée, comme l’aveugle nécessité l’est à la raison, le nonêtre à l’être, le variable et le multiple au permanent et à l’un absolu. Mais ce n’est pas là la ὕλη d’Aristote, cet être en puissance qui appelle nécessairement la forme pour devenir être en acte; car, selon Platon, c’est avec conscience et liberté, et non par nécessité, que l’idée se réalise dans le substratum indéterminé, qu’elle fait passer de la confusion à l’ordre. Le terme de ὕλη est lui-même inconnu à Platon, quoique Aristote emploie ce terme en parlant de la doctrine de son maître. Cette substance confuse et indéterminée que l’idée ordonne et dans laquelle elle se manifeste est appelée par Platon: ce qui reçoit l’empreinte (τὸ ἐϰμαγεῖον), ce dans quoi les choses naissent, le lieu, l’espace, etc.; elle est aussi présentée comme la mère ou le réceptacle et la nourrice de toute génération; et Platon dit lui-même (Timée, pag. 49 a) que c’est une espèce bien obscure et bien difficile à comprendre. Cf. Ritter, Geschichte der Philosophie, t. II, pag. 347 et suiv.; Brandis, Handbuch der Geschichte der griechisch-römischen Philosophie, t. II, A, pag. 297 et suiv.; Zeller, l. c., pag. 457 et suiv.; Henri Martin, l. c., t. I, pag. 16 et suiv.. Telle est la deuxième opinion.", "III. La troisième opinion est celle d’Aristote, de ses sectateurs et des commentateurs de ses ouvrages. Il soutient, avec les adeptes de la secte dont il vient d’être parlé, qu’aucune chose matérielle ne peut être produite sans une matière (préexistante), mais il soutient en plus que le ciel n’est aucunement sujet à la naissance et à la corruption. Voici le résumé de son opinion: Il prétend que cet univers entier, tel qu’il est, a toujours été et sera toujours ainsi(1)Littéralement: n’a jamais cessé et ne cessera jamais (d’être) ainsi.; que la chose stable qui n’est point sujette à la naissance et à la corruption, c’est à-dire le ciel, ne cesse jamais d’être tel (qu’il est); que le temps et le mouvement sont éternels et permanents, sans naissance ni corruption; que ce qui naît et périt, à savoir ce qui est au-dessous de la sphère de la lune, continue toujours ainsi [c’est-à-dire que cette matière première en elle-même n’est pas née et ne périra pas, mais que les formes se succèdent dans elle, de sorte que, dépouillée d’une forme, elle en revêt une autre]; enfin, que tout cet ordre (de l’univers), le supérieur comme l’inférieur, ne sera pas altéré et ne cessera pas, qu’il ne s’y produira rien de nouveau qui ne soit pas dans sa nature et qu’il n’y surviendra absolument rien(1)Les mots ולא יטרי פיה טאר (littéralement: et il n’y surviendra rien de frais, ou de nouveau) ne sont pas exprimés dans la version d’Ibn- Tibbon; celle d’Al-’Harîzi porte: ולא יתחדש בו מתחדש ממה שאין בטבעו ולא יוסיף בו תוספת שהיא חוץ מן הםברא בשום פנים. qui sorte de la règle. ", "Il dit [car, bien qu’il ne s’exprime pas en ces termes, c’est pourtant ce qui résulte de son opinion] qu’il est, selon lui, de la catégorie de l’impossible que Dieu change son vouloir ou qu’il lui survienne une volonté nouvelle, et que tout cet univers, tel qu’il est, Dieu l’a fait exister par sa volonté, sans pourtant qu’il ait rien fait du néant. De même, pense-t-il, qu’il est de la catégorie de l’impossible que Dieu cesse d’exister ou que son essence change, de même il est de la catégorie de l’impossible qu’il change de volonté ou qu’il lui survienne un vouloir nouveau. Il s’ensuit par conséquent que tout cet univers, tel qu’il est maintenant, tel il a été de toute éternité et tel il sera à tout jamais.", "Tel est le résumé de ces opinions et leur véritable sens; et ce sont les opinions de ceux pour lesquels c’est une chose démontrée qu’il existe un Dieu pour cet univers. Quant à ceux qui n’ont pas reconnu l’existence de Dieu, mais qui ont pensé que les choses naissent et périssent(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut ajouter ici les mots הווים נפםדים, qu’on trouve dans les mss. et dans l’édition princeps. par l’agrégation et la séparation(2)L’auteur fait allusion aux anciens atomistes, selon lesquels la naissance et la destruction des choses consistent dans l’agrégation et la séparation des atomes. Cf. le t. I de cet ouvrage, pag. 378., selon le hasard, et qu’il n’y a pas d’être qui gouverne et ordonne l’univers, — et ce sont Épicure, sa secte et ses semblables, comme le rapporte Alexandre, — il n’est d’aucune utilité pour nous de parler de ces sectes; car l’existence de Dieu a été démontrée, et il serait inutile de mentionner les opinions de gens qui ont construit leur système sur une base qui déjà a été renversée par la démonstration(3)Littéralement: dont le renversement a déjà été démontré.. Il serait également inutile pour nous de faire des efforts pour établir la vérité de ce que disent les partisans de la deuxième opinion, à savoir que le ciel est et qu’il est périssable; car ceux-là admettent l’éternité (de la matière), et il n’y a pas de différence, selon nous, entre ceux qui croient que le ciel est nécessairement né de quelque chose et qu’il y retournera en périssant, et l’opinion d’Aristote, qui croit qu’il n’est pas et qu’il ne périra pas. En effet, tous ceux qui suivent la Loi de Moïse et de notre père Abraham, ou qui marchent sur leurs traces, ne tendent à autre chose qu’à cette croyance: qu’il n’existe absolument aucune chose éternelle à côté de Dieu, et que produire l’être du néant (absolu) n’est point pour Dieu de la catégorie de l’impossible; bien plus, dans l’opinion de certains penseurs, c’est même une chose nécessaire(4)C’est-à-dire, certains penseurs considèrent même la création ex nihilo comme une chose nécessaire et parfaitement démontrable. L’auteur fait évidemment allusion aux Motécallemîn, qui sont souvent désignés sous la dénomination de אהל אלנטׄר. Voy. le t. I, pag. 184, note 3, et ibid. chap. LXXIV..", "Après avoir établi les (différentes) opinions, je commence à exposer en résumé(1)Tous les mss. ont פי תביין ותלכׄיץ; la version d’Ibn-Tibbon a seulement בביאור; celle d’Al-’Harîzi porte לברר ולבאר. les preuves d’Aristote (qu’il allègue) pour son opinion, et comment il y a été conduit." ], [ "Je n’ai pas besoin de répéter dans chaque chapitre que je n’ai composé pour toi ce traité que parce que je sais ce que tu possèdes(2)L’auteur s’adresse, comme dans d’autres endroits, au disciple pour lequel il a écrit cet ouvrage. Cf. le t. I, p. 312, n. 3.; il n’est donc pas nécessaire que je cite partout textuellement les paroles des philosophes, mais (il suffit d’en indiquer) les sujets, sans être long et en appelant seulement ton attention sur les méthodes (de démonstration) qu’ils avaient en vue, comme je l’ai fait pour les opinions des Motécallemîn, Je n’aurai point égard à ceux qui, outre Aristote, ont raisonné (sur ces matières); car ses opinions sont les seules qu’il faille examiner, et, si ce que nous lui objectons, ou le doute que nous élevons contre lui sur un point quelconque, est bien fondé(3)Littéralement: et si l’objection ou la dubitation, dans ce que nous objectons ou que nous rendons douteux contre lui dans l’une d’elles (c.-à-d. des opinions), est bien établie. Au lieu de , plusieurs mss. portent נריר אן; mais les deux versions hébraïques confirment la leçon que nous avons adoptée et qui est aussi demandée par le sens de la phrase., il le sera mieux encore et aura plus de force à l’égard de tous les autres qui contredisent les principes fondamentaux de la loi. — Je dis donc(4)L’auteur va citer sept démonstrations par lesquelles les péripatéticiens ont cru pouvoir établir l’éternité du monde. Ces sept méthodes démonstratives ont été citées, d’après Maïmonide, et réfutées par Albert le Grand. Voy. Summa Theologiœ, pars II, tract. I, quæst. IV, partic. 3 (Opp., t. XVIII, p. 58): «De septem viis quas collegit rabbi Moyses, quibus probatur mundi æternitas.»:", "I. Aristote dit que le mouvement n’est pas né ni ne périra, — c’est-à-dire le mouvement par excellence(1)L’auteur veut parler du mouvement de la sphère céleste. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il manque ici le mot התנועה; les mss. portent: ר״ל התנועה המוחלטת. —; car, dit-il, si le mouvement était nouvellement survenu, alors, toute chose survenue étant précédée d’un mouvement, qui est son passage (de la puissance) à l’acte et son devenir après ne pas avoir été, il s’ensuivrait qu’il avait déjà existé un mouvement, à savoir celui en vertu duquel existe ce mouvement postérieur. Donc, le mouvement premier est nécessairement éternel; sinon, la chose remonterait à l’infini(2)Cette démonstration est fondée sur le raisonnement d’Aristote, au chap. I du liv. VIII de la Physique.. Partant de ce principe, il dit encore que le temps n’est pas né ni ne périra; car le temps accompagne le mouvement et lui est inhérent, de sorte que le mouvement n’a lieu que dans le temps et qu’on ne saurait penser le temps qu’avec le mouvement, comme cela a été démontré(3)Voy. la XVe des propositions placées en tête de cette IIe partie (p. 15).. — C’est là une (première) méthode à lui, dont on peut conclure l’éternité du monde.", "II. Une seconde méthode à lui (est celle-ci): La matière première, dit-il, commune aux quatre éléments, n’est pas née, ni ne périra; car, si la matière première était née, elle aurait (à son tour) une matière dont elle serait née, d’où il s’ensuivrait que cette matière née serait douée de forme, ce qui est la vraie condition de la naissance. Or, comme nous l’avons supposée être une matière non douée de forme, il s’ensuit nécessairement qu’elle n’est point née de quelque chose; elle est donc éternelle et elle ne périra pas(1)Cette démonstration est tirée du liv. I de la Physique, chap. 9, où Aristote montre que la matière relative seule est périssable, c’est-à-dire ce qui est matière pour autre chose sans l’être en soi-même. La matière absolument première, c’est-à-dire celle qui est puissance et substratum dans un sens absolu, ne peut être sujette à la naissance et à la corruption; car si elle était née, il faudrait qu’elle eût elle-même un substratum dont elle fût née, c’est-à-dire un substratum d’une nature identique à la sienne, de sorte qu’elle aurait existé avant de naître: Ὡς μὲν γὰρ τὸ ἐν ᾧ, ϰαθ’ αὑτὸ φθείρεται (ἡ ὕλη). τὸ γὰρ φθειρόμενον ἐν τούτῳ ἐστὶν ἡ στέρησις. ὡς δἐ ϰατα δύναμιν οὑ ϰαθ’ αὑτὸ ἀλλ’ ἄφθαρτον ϰαἰ ἀγένητον ἀνάγϰη αὑτὴν εἶναι, εἴτε γὰρ ἐγὶγνετο, ὑποϰεῖσταί τι δεῖ πρῶτον, τὸ ἐξ οὗ ἐνυπάρχοντος τοῦτο δ’ἐστὶν αὑτἡ ῆφύσις, ὥστ ἔσται πρὶν γενέσθαι.. Et cela conduit également à l’éternité du monde(2)Car, la matière première devant recevoir la forme, qui lui survient par le mouvement, on remontera nécessairement jusqu’au mouvement éternel de la sphère céleste, par lequel l’éternité du monde a été démontrée..", "III. Troisième méthode à lui: Dans la matière de la sphère céleste tout entière, dit-il, il n’existe aucune espèce de contrariété, le mouvement circulaire n’ayant pas de contraire, comme on l’a exposé; la contrariété, comme il a été démontré, n’a lieu que dans le mouvement droit(3)Le mouvement en ligne droite se dirige vers un point opposé au point de départ, tandis que le mouvement circulaire se dirige toujours vers son point de départ, de sorte qu’on ne peut y signaler aucune espèce de contrariété ni d’opposition. Cf. ci-dessus, chap. IV, p. 53.. Or, dit-il, tout ce qui périt n’a pour cause de sa perte que la contrariété qui est dans lui; mais, comme il n’y a pas de contrariété dans la sphère céleste, celle-ci ne périt pas(4)Voy. traité du Ciel, liv. I, chap. 3, où Aristote, en parlant du corps céleste qui a le mouvement circulaire, s’exprime ainsi: ὁμοίως δ’ εὔλογον ὑπολαβεῖν περι αὐτοῦ ϰαὶ ὅτι ἀγένητον ϰαὶ ἄφθαρτον ϰαὶ ἀνανξὲς ϰαὶ ἀναλλοίωτον, διὰ τὸ γίγνεσθαι μἐν ἅπαν τὸ γίγνόμενον ἐξ ἐναντίον τε ϰαὶ ὑποϰειμένου τίνός, ϰαὶ φθείρεσθαι ὡσαύτως ὑποϰειμένου τὲ τινος ϰαὶ εναντίου ϰαὶ εἰς εναντίον, ϰαθάπερ ἐν τοῖς πρώτοις ἐίρηται λόγοις. ϰ. τ. λ. Cf. Phys., liv. I, chap. 5., et ce qui ne périt pas n’est pas non plus né. Car il énonce d’une manière absolue les propositions suivantes: tout ce qui est né est périssable; tout ce qui est périssable est né; tout ce qui n’est pas né n’est pas périssable; tout ce qui n’est pas périssable n’est pas né(1)Voy. le traité du Ciel., liv. I, chap. 10 et suiv.; au chap. 12 (page 283 a, édit. de Bekker), Aristote se résume en ces termes: τὸ δὴ φάναι μηδἐν ϰωλύειν γινὸμενόν τι ἄφθαρτον εἶναι ϰαὶ ἀγἐνητον ὂν φθαρῆναι… ἀναιρεῖν ἐστὶ τῶν δεδομένων τι.. C’est donc là encore une méthode par laquelle il arrive, comme il l’a pour but, à (établir) l’éternité du monde(2)Albert le Grand (l. c., pag. 58-59), sans reproduire toute la démonstration, en expose ainsi la conclusion: «Tertia via est sumpta de natura cœli, cujus materia elongata est a generatione et corruptione; propter quod omnes antiqui convenerunt, quod cœlum esset locus Dei. Manente autem cœlo nunquam defuit motus ejus; manente motu, nunquam cessavit mundus producere animalia et plantas. Substantia orbis et motus sine initio manserunt, et manent, et manebunt sine fine; ergo mundus sine initio mansit, manet, et manebit sine fine.».", "IV. Quatrième méthode: Dans tout ce qui survient (ou naît), dit-il, la possibilité de survenir précède temporellement ce qui survient; et de même, dans tout ce qui change, la possibilité de changer en précède temporellement le changement. De cette proposition il conclut que le mouvement circulaire est perpétuel et qu’il n’a ni fin, ni commencement; et c’est aussi par cette proposition que ses sectateurs modernes ont expliqué l’éternité du monde(3)Nous avons fait voir plus haut, p. 27, n. 1, que la proposition dont il s’agit ne repose que sur l’interprétation d’un passage d’Aristote admise par Al-Farâbi, mais qu’Ibn-Roschd déclare erronée. — Albert le Grand (l. c. p. 59) fait remarquer aussi que cette IVe méthode n’appartient pas à Aristote, mais à ses commentateurs grecs et arabes; cependant il se trompe sans doute en comptant aussi Averroès parmi ceux qui l’ont admise.. Avant que le monde fût, disent-ils, sa naissance devait être ou possible, ou nécessaire, ou impossible; or, si sa naissance a élé nécessaire, il a toujours existé; si sa naissance a été impossible, il n’a jamais pu exister; enfin si elle a été possible, quel serait donc le substratum de cette possibilité? Il fallait donc nécessairement qu’il existât quelque chose qui fût le substratum de la possibilité et par quoi la chose en question pût être dite possible. — C’est là une méthode très forte pour établir l’éternité du monde. ", "Quelques-uns des plus pénétrants parmi les Motécallemîn modernes ont prétendu résoudre la difficulté, en disant: la possibilité réside dans l’agent et non pas dans l’objet de l’action. Mais cela ne veut rien dire; car il y a deux possibilités différentes. En effet, dans tout ce qui naît, la possibilité de naître est antérieure à la naissance, et de même, dans l’agent qui l’a fait naître, la possibilité de faire naître telle chose existait avant qu’il la fit naître; il y a donc là indubitablement deux possibilités: une possibilité dans la matière, (celle) de devenir telle chose, et une possibilité dans l’agent, (celle) de faire telle chose.", "Telles sont les principales méthodes suivies par Aristote pour établir l’éternité du monde, en prenant pour point de départ le monde lui-même. ", "Mais il y a quelques autres méthodes, mentionnées par ses successeurs, qui les ont tirées de sa philosophie, et où ils établissent l’éternité du monde en prenant Dieu pour point de départ.", "V. L’une d’elles (est celle-ci): Si, disent-ils, Dieu avait produit le monde du néant, Dieu aurait été, avant de créer le monde, agent en puissance, et en le créant, il serait devenu agent en acte. Dieu aurait donc passé de la puissance à l’acte, et, par conséquent, il y aurait eu en lui une possibilité et il aurait eu besoin d’un efficient qui l’eût fait passer de la puissance à l’acte(1)C’est-à-dire: Si on admettait un Dieu créateur du monde, ce Dieu ne pourrait pas être l’agent absolu toujours en acte; un tel agent suppose l’éternité de l’action, et, par conséquent, l’éternité du monde. Cf. ci-dessus, chap. I, quatrième spéculation (p. 43).. — C’est là encore une grande difficulté, sur laquelle tout homme intelligent doit méditer, afin de la résoudre et d’en pénétrer le mystère(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il manque quelques mots de cette dernière phrase; les mss. portent: וזהו כמו כן קשה מאד וזהו אשר צריך כל משכיל להתירו ולהראות סודו..", "VI. Autre méthode: Si un agent, disent-ils, tantôt agit et tantôt n’agit pas, ce ne peut être qu’en raison des obstacles ou des besoins(2)Proprement: des choses qui invitent ou appellent. qui lui surviennent ou (qui sont) dans lui; les obstacles donc l’engagent à s’abstenir de faire ce qu’il aurait voulu, et les besoins(3)Le mot המקרים, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, est une faute; les mss. portent המביאים. l’engagent à vouloir ce qu’il n’avait pas voulu auparavant. Or, comme le créateur n’a pas de besoins qui puissent amener un changement de volonté, et qu’il n’y a pour lui ni empêchements, ni obstacles, qui puissent survenir ou cesser, il n’y a pas de raison pour qu’il agisse dans un temps et n’agisse pas dans un autre temps; son action, au contraire, doit perpétuellement exister en acte, comme il est lui-même perpétuel.", "VII. Autre méthode: Les œuvres de Dieu, disent-ils, sont très parfaites, et il n’y a dans elles rien de défectueux, ni rien d’inutile ou de superflu. C’est ce qu’Aristote répète continuellement, en disant: la nature est sage et ne fait rien en vain, mais elle fait chaque chose de la manière la plus parfaite possible(4)Voy. p. ex. traité du Ciel, liv. I, à la fin du chap. 4: ὁ δὲ θεὸς ϰαὶ ή φύσις οὐδἐν μάτην ποιοῦσιν. Des parties des animaux, liv. IV, chap. 13: ….. ἐπεὶ οὔτε περίεργον οὐδἐν οὔδἐν μάτην ἡ φύσις ποιεῖ.. De là, disent-ils, il s’ensuit que cet univers est ce qu’il y a de plus parfait, et qu’il n’v a rien qui le surpasse(5)Littéralement: et il n’y a pas d’extrême (perfection) après lui. Ibn-Tibbon traduit: ואי אפשר טוב ממנו, et il n’est pas possible qu’il y ait quelque chose de meilleur; Al-’Harîzi traduit litttéralement: ואין אחריו תכלית; il faut donc qu’il soit perpétuel, car la sagesse de Dieu est perpétuelle comme son essence, ou plutôt son essence est (elle-même) sa sagesse qui a exigé l’existence de cet univers.", "Tout ce que tu pourras trouver, en fait d’argumentations (émanées) de ceux qui admettent l’éternité du monde, dérive de ces méthodes et peut se ramener à l’une d’elles. ", "Ils disent encore, comme pour réduire à l’absurde: Comment se pourrait-il que Dieu eût été oisif, ne faisant absolument rien et ne produisant rien dans toute l’éternité passée(1)Littéralement: Dans l’Éternité qui na pas cessé. Au lieu de אלאזל, l’éternité, l’un des mss. de Leyde (n° 18) porte אלחאל l’état; de même Ibn-Tibbon: בענין אשר לא סר. Al-’Harîzi traduit: ולא חדש חרוש מקודם., et qu’après n’avoir rien fait pendant toute la durée de son existence éternelle qui est sans fin, il eût depuis hier commencé (à créer) l’univers? Car, lors même que tu dirais, par exemple, qu’avant ce monde Dieu en a créé beaucoup d’autres, aussi nombreux que les grains de sénevé que pourrait contenir le globe de la sphère dernière, et que chacun de ces mondes a existé pendant des années aussi nombreuses que ce même contenu de grains de sénevé, tout cela serait encore, par rapport à l’existence infinie de Dieu, comme si tu disais que c’est d’hier que Dieu a créé le monde. En effet, dès que nous affirmons que l’univers a commencé après le néant absolu, il importe peu que tu admettes que cela a eu lieu depuis des centaines de mille ans(2)Je dois avertir que, pour les numéraux מיי אלף , aucun des mss. que j’ai pu consulter ne présente l’orthographe que j’ai adoptée. Ces mss. portent, les uns מנוין אלאף, les autres מיין אלאף. Le pluriel אלאף est ici contraire aux règles de la grammaire arabe; quant à la forme מיין ( , génitif pl.), elle a été probablement écrite ainsi par Maïmonide lui-même; mais j’ai cru devoir substituer l’état construit , quoique j’avoue n’avoir jamais rencontré cette forme. ou depuis un temps très rapproché; car ceux qui admettent l’éternité (du monde) trouvent cela également absurde.", "On a argumenté encore de ce qui de tout temps a été généralement admis(1)Littéralement: Et (on a procédé) aussi par voie d’argumentation de ce qui est généralement connu, ou admis. Cette phrase n’a pas de verbe, et il faut sous-entendre on a procédé; l’auteur veut dire qu’on a employé le syllogisme dialectique, qui a pour base le suffrage de la totalité ou de la pluralité des hommes, et qui part, non pas de principes d’une vérité absolue, mais seulement d’opinions probables (ἐξ ἐνδόξων). Voy. Aristote, Topiques, liv. I, chap. 1, et cf. le t. I, p. 39, n. 1. par tous les peuples, et d’où il résulte que la chose est naturelle et non pas (simplement) hypothétique; de sorte qu’on est tombé d’accord à cet égard. Tous les hommes, dit Aristote, reconnaissent ouvertement la perpétuité et la stabilité du ciel, et, comme ils ont senti qu’il n’est pas né et qu’il n’est pas non plus périssable, ils en ont fait la demeure de Dieu et des êtres spirituels, c’est-à-dire des anges; ils l’ont attribué à Dieu pour indiquer sa perpétuité(2)C’est-à-dire, la perpétuité du Ciel. — Voy. traité du Ciel, liv. I, chap. 3: Ἔοιϰε δ’ὅ τε λόγος φαινομένοις μαρτυρεῖν ϰαὶ τὰ φαινόμένα τῷ λόγῳ πάντες γάρ ἄνθρωποι περὶ θεῶν ἔχουσιν ὑπόληψιν ϰαὶ πάντες τὸν ᾀνοτάτω τῷ θείῳ τόπον ἀποδιδόασι, ϰαὶ βἀρβαροι ϰαὶ Ἔλληνες, ὄσοι περ εἶναι νομίζουσι θεοὑς, δῆλον ὅτι ὡς τῷ ἀθανἀτῳ τὸ ἀθάνατον συνηρτημένον. Averroès, dans son grand commentaire (édit. in-fol., t. V, f. 9, col. b), dit en expliquant ce passage: «Et cum dixit quod sensus testatur rationi, in hac ratione incœpit dare significationes ex propositionibus famosis (ἐξ ἐνδόξων) apud plures gentes, etc.». Il allègue, dans le même chapitre, d’autres choses de cette espèce, afin de fortifier, par les opinions probables(3)C’est-à-dire, par des syllogismes dialectiques., l’opinion que la spéculation lui avait fait reconnaître vraie." ], [ "Mon but, dans ce chapitre, est d’exposer qu’Aristote n’a pas de démonstration sur l’éternité du monde (envisagée) selon son opinion. ", "Il ne s’abuse même pas là-dessus; je veux dire qu’il sait lui-même qu’il n’a pas de démonstration là dessus, et que ces argumentations et ces preuves qu’il allègue sont (seulement) celles qui ont le plus d’apparence et vers lesquelles l’âme incline le plus. Elles sont (en effet), comme le soutient Alexandre, celles qui offrent le moins de doutes; mais il ne faut point croire qu’un Aristote ait pu prendre ces raisonnements pour une démonstration, puisque c’est Aristote lui-même qui a enseigné aux hommes les méthodes de la (vraie) démonstration, ses règles et ses conditions. ", "— Ce qui m’a engagé à parler de cela, c’est que les modernes d’entre les partisans d’Aristote prétendent que celuici a démontré l’éternité du monde. La plupart de ceux qui ont la prétention d’être philosophes suivent donc dans cette question l’autorité d’Aristote, croyant que tout ce qu’il a dit est une démonstration décisive dans laquelle il n’y a rien de douteux; et ils trouvent même absurde de le contredire, ou (de supposer) que quelque chose ait pu lui rester caché(1)Au lieu de כׄפית (plusieurs mss. portent כׄפאת, pour ), ce qui n’est qu’une faute d’orthographe très commune dans les verbes dont la 3e radicale est une lettre quiescente. Cf. le t. I, pag. 24, à la fin de la note. ou qu’il ait pu se tromper dans quoi que ce soit. C’est pourquoi j’ai cru devoir procéder avec eux suivant leur propre opinion, et leur montrer qu’Aristote lui-même ne prétend point donner une démonstration sur cette question. Ainsi, par exemple, il dit dans l’Acroasis: «Tous les physiciens qui nous ont précédés croyaient que le mouvement n’est pas né et qu’il est impérissable, à l’exception de Platon qui croyait que le mouvement est né et périssable; et de même le ciel, selon lui, est né et périssable.» Telles sont ses expressions(2)L’auteur, sans doute, a eu en vue le passage du VIIIe liv. (ch. 1) de la Physique, que nous avons cité plus haut, p. 109, n. 1; mais la citation n’est pas textuelle.. Or, il est clair que si cette question avait été démontrée par des démonstrations rigoureuses, Aristote n’aurait pas eu besoin de l’appuyer par l’opinion conforme des anciens physiciens(1)Littéralement: par là que les physiciens qui ont précédé pensaient de même., et il n’aurait pas eu besoin non plus de dire tout ce qu’il a dit au même endroit pour montrer l’absurdité de ceux qui le contredisent et rendre méprisable leur opinion; car, dès qu’une chose est démontrée, sa vérité ne saurait augmenter, ni sa certitude se fortifier, par le commun accord de tous les savants, et (d’un autre côté) sa vérité ne saurait diminuer, ni sa certitude s’affaiblir, par la contradiction de tous les habitants de la terre.", "Tu trouveras aussi qu’Aristote, dans le traité du Ciel et du Monde, là où il commence à exposer que le ciel n’est pas né et qu’il est impérissable, s’exprime ainsi: «Nous voulons donc, après cela(2)Les mots בעד דׄלך, après cela, n’ont pas été rendus dans la version d’Ibn-Tibbon., faire encore des recherches sur le ciel, et nous disons: crois tu qu’il soit né de quelque chose, ou qu’il ne le soit pas? qu’il soit sujet à la corruption, ou qu’il ne doive jamais périr(3)Voyez le traité du Ciel, liv. I, au commencement du chap. 10: Τούτων δὲ διωρισμένων λέγωμεν μετὰ ταῦτα πότερον ἀγένητος ἢ γενητὸς ϰαὶ ἄφθαρτος ἢ φθαρτός. — Il serait inutile d’insister sur les tournures de la version arabe que Maïmonide avait sous les yeux; on verra tout à l’heure un exemple frappant de la manière dont elle paraphrasait le texte grec.?» Après avoir posé cette question, voulant (comme il le dit) rapporter les arguments de ceux qui disent que le ciel est né(4)Il faut effacer dans la version d’Ibn-Tibbon les mots הווים נפסדים; les meilleurs manuscritsde cette version ont seulement בהתהוות השמים. Dans quelques manuscrits, cependant, on lit: בהיות השמים הווים נפםדים, et de même que dans l’un des mss. de Leyde (n° 18), בכון אלםמא כאינה̈ פאםדה̈; mais il faut attribuer cette variante à l’inintelligence des copistes, qui ne comprennent pas le sens du mot arabe employé ici dans le sens de λένεσις., il continue dans les termes suivants: «Quand nous aurons fait cela, nos paroles seront accueillies avec plus de bienveillance par ceux qui excellent dans la spéculation; surtout quand ils auront d’abord entendu les argumentations des adversaires. Car si, sans rapporter les arguments de nos adversaires, nous disions seulement notre opinion et nos arguments, ceux-ci paraîtraient aux auditeurs trop faibles pour être acceptés. Il est digne de celui qui veut juger avec vérité de ne pas être hostile à celui qui le contredit; il doit, au contraire, être bienveillant et impartial à son égard, en rendant justice à ses argumentations comme aux siennes propres(1)Littéralement: en lui concédant ce qu’il se concède à lui-même en fait de la justesse des argumentations. — On reconnaîtrait à peine, dans la citation qu’on vient de lire, le texte grec auquel elle correspond (l. c.: Ἅμα δὲ ϰαὶ μᾶλλον ἂν εἴη πιστἀ ϰ. τ. λ.), et dont voici la traduction littérale: «Ce qui va être dit paraîtra plus croyable à ceux qui auront entendu d’abord les justifications des raisons adverses; car il nous conviendrait fort peu de paraître juger par contumace. En effet, ceux qui veulent prononcer un jugement suffisamment vrai doivent être des arbitres et non pas des adversaires.» Mais l’exactitude de la citation de Maïmonide, d’après la version arabe, nous est garantie par la version arabelatine, qui, à son tour, a mal paraphrasé les termes arabes. Voyez les Œuvres d’Aristote avec les commentaires d’Averroès, édit. in-fol., t. V, f. 32, col. d: «Et nos cum hoc fecerimus, tune sermo noster erit dignior ut recipiatur apud eos qui sunt bonæ discretionis (vel considerationis in discretione ipsorum, vel intellectu); et maxime, cum audierint rationes contradicentium primo. Et jam scimus quod cum nos dixerimus in aliquo, necesse est ut sic sit, aut sic visum est nobis, et cum hac opinione et necessitate non dixerimus rationes contradicentium in eis, tunc minus erunt recipiendæ apud audientes ex distinguentibus propositiones signorum, et contemplationes intellectuum; et oportet qui voluerit judicare vere, ut non sit contradicens. Et odiens eum qui contradicit: sed oportet esse diligentem ipsum et pacificum ei. Et ex pacificatione est ut concedat ei, sicut concederet sibi de sermonibus recte et de scientia apud terminos demonstrationum». — La version latine du traité du Ciel, attribuée dans l’édition imprimée à Paul Israélite, est, à très peu de chose près, identique avec celle de Michel Scott, qui se trouve dans plusieurs mss. de la Bibliothèque impériale..» Telles sont les paroles textuelles de cet homme. ", "Et maintenant, ô vous tous qui êtes penseurs! y a t-il encore, après cette déclaclaration préliminaire, de quoi blâmer cet homme? croira-t-on encore, après de telles paroles, qu’il ait eu une démonstration sur cette question? Un homme quelconque, et à plus forte raison Aristote, peut-il s’imaginer qu’une chose qui a été démontrée puisse être faiblement accueillie si on n’a pas entendu les argumentations de ceux qui la contredisent? — Ensuite, Aristote déclarant que c’est là une opinion(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont généralement הדעת; il faut lire דעת, sans article, comme l’a l’édition princeps. à lui et que ses preuves làdessus ne sont que des argumentations (dialectiques), — est-ce un Aristote qui pourrait ignorer la différence entre les argumentations et les démonstrations, entre les opinions qui paraissent à la pensée fortes ou faibles et les choses démonstratives? Enfin, cette expression oratoire d’impartialité envers l’adversaire, qu’il ajoute comme pour fortifier son opinion! a-t-on besoin de tout cela dans la démonstration? Non, certes; mais tout ce qu’il a pour but, c’est de montrer que son opinion est plus vraie que celle de ses adversaires, ou de ceux qui prétendent que la spéculation philosophique conduit à (admettre) que le ciel est sujet à la naissance et à la corruption, mais que cependant il n’a jamais été (absolument) non existant, — ou qu’il a été formé (de quelque chose), — et qu’il ne périra pas (absolument)(2)L’auteur veut parler de ceux qui admettent que le ciel a eu un commencement temporel, mais qu’il a été formé d’une matière éternelle, et qu’en périssant, il retourne à cette matière; c’est-à-dire qu’il se trouve dans les mêmes conditions que les choses sublunaires. Voy. au chap. XIII, la IIe opinion.; et autres choses semblables qu’il rapporte de ces opinions. Et cela est indubitablement vrai; car (en effet) son opinion est plus près de la vérité que la leur, quand on cherche à argumenter de la nature de l’être. Mais nous ne pensons pas ainsi(3)C’est-à-dire, nous ne partageons pas l’opinion d’Aristote, bien qu’à un certain point de vue elle soit plus près de la vérité., comme je l’exposerai. Cependant toutes les sectes, et même les philosophes, se sont laissés entraîner par les passions, de sorte qu’ils ont voulu établir qu’Aristote a démontré cette question. Peut-être, selon leur opinion, Aristote a-t-il fait une démonstration sur cette question, sans s’en apercevoir lui-même(1)Littéralement: sans s’apercevoir qu’il a démontré. L’auteur dit ironiquement que, puisque Aristote ne donne pas ses preuves pour de véritables démonstrations, il se peut qu’il ne se soit pas aperçu lui-même de toute la force de ses arguments., de sorte que ce ne serait qu’après lui qu’on en aurait fait la remarque! — Quant à moi, il me semble hors de doute que toutes les opinions qu’Aristote exprime sur ces sujets, — je veux parler de l’éternité du monde, de la cause des mouvements variés des sphères et de l’ordre des Intelligences, — que tout cela, dis-je, n’est pas susceptible d’une démonstration. Aussi Aristote n’a-t-il jamais eu la pensée que ces raisonnements pussent être (considérés comme) une démonstration; au contraire, comme il le dit lui-même, nous n’avons aucun moyen d’aborder ces choses par des méthodes démonstratives(2)Littéralement: que les méthodes pour trouver des preuves sur ces choses laissent leurs portes fermées devant nous., et elles n’ont pour nous aucun principe dont nous puissions argumenter(3)C’est-à-dire, il n’y a dans toutes ces choses aucun principe, aucun axiome, qui puisse servir de point de départ pour une démonstration..", "Tu connais le texte de ses paroles que voici: «et il y en a (des problèmes) sur lesquels nous n’avons pas d’argument, ou qui nous paraissent graves; car il nous est difficile d’en dire le pourquoi, comme par exemple la question si le monde est éternel, ou non(4)Voy. Topiques, liv. I, ch. 11: …… ϰαὶ περὶ ὧν λόγον μὴ ἔχομεν, ὄντων μεγἀλων χαλεπὸν οἰόμενοι εἶναι τὸ διὰ τί ἀποδοῦναι, οἶον πότερον ὁ ϰόσμος ἀΐδιος, ἢ οὔ. — Au lieu de ou qui nous paraissent graves, il faudrait dire, d’après le texte grec: parce qu’ils sont graves. Tous les mss. ar. du Guide portent או הי עטׄימה̈ ענדנא; dans la vers. ar. des Topiques (ms. ar. de la Biblioth. imp., 882 a, f. 247 b), on lit: .» Telles sont ses expressions. Mais tu sais comment Abou-Naçr (al-Farâbi) a interprété cet exemple, quelle explication il en a donnée et comment il a repoussé (l’idée) qu’Aristote ait pu douter de l’éternité du monde(1)Moïse de Narbonne ne connaissait déjà plus l’ouvrage d’Al-Farâbi auquel il est ici fait allusion: l’auteur, dit-il, se contente de le citer brièvement, parce qu’il était très connu alors; mais il ne nous est pas parvenu.. Il parle de Gallien avec un souverain mépris, parce que celui-ci avait dit que c’est là une question obscure pour laquelle on ne connaît pas de démonstration(2)Cf. Gallien, de Hippocratis et Platonis placitis, liv. IX, chap. 7 (édit. de Kühn, t. V, p. 780), où Gallien traite d’oiseuse et inutile la question de savoir si le monde est ou non. Оὺ γἀρ δή, ὥσπερ γεγονἐναι τὀν ϰὀσμον ἢ μὴ γεγονἐναι, ζητεῖν ἂχρηστον, οὕτω ϰαὶ περἰ προνοἰας ϰαὶ θεῶν.. Abou-Naçr pense que c’est une chose claire, évidente et susceptible d’une démonstration (rigoureuse) que le ciel est éternel et que ce qui est au dedans de lui est sujet à la naissance et à la corruption.", "En somme, ce n’est pas de l’une des manières que nous avons rapportées dans ce chapitre qu’une opinion peut être confirmée, ou détruite, ou mise en doute(3)L’auteur veut parler de la manière dont s’exprime Aristote dans les différents passages cités dans ce chapitre, et il veut dire qu’on ne peut rien inférer de ces expressions vagues, par lesquelles l’opinion de l’éternité du monde n’est ni confirmée, ni détruite ou mise en doute.. ", "Nous n’avons fait ces citations que parce que nous savons que la plupart de ceux qui prétendent être des génies, quoiqu’ils ne comprennent aucune science, tranchent sur l’éternité du monde, en suivant l’autorité des savants célèbres qui en ont proclamé l’éternité, et rejettent les paroles de tous les prophètes, parce que celles-ci ne sont pas conçues dans le style didactique(4)Littéralement: parce que leur discours n’est pas dans la voie de l’enseignement (méthodique). Le mot , lieu où l’on se rencontre, s’emploie, comme , dans le sens de voie, manière, méthode., mais dans celui d’une proclamation de la part de Dieu. Dans cette voie (des prophètes) ne sont guidés que quelques-uns que l’intelligence a favorisés. ", "Ce que nous désirons (établir), nous autres, relativement à la nouveauté du monde, selon l’opinion de notre Loi, je le dirai dans les chapitres suivants." ], [ "Voici un chapitre dans lequel je t’exposerai ce que je pense sur cette question, et ensuite j’alléguerai des preuves sur ce que nous voulons (établir). Je dis donc, au sujet de tout ce que débitent ceux d’entre les Motécallemîn qui prétendent avoir démontré la nouveauté du monde, que je n’accepte pas ces preuves et que je ne veux pas m’abuser moi-même en décorant les méthodes sophistiques du nom de démonstrations. Si un homme prétend démontrer une certaine question par des sophismes, il ne fortifie point, selon moi, la croyance à cette chose qu’on cherche, mais, au contraire, il l’affaiblit et donne lieu à contester la chose; car la nullité de ces preuves étant devenue manifeste, l’âme se refuse à croire(1)Littéralement: l’âme s’affaiblit dans la croyance de, etc. ce qu’on a cherché à prouver. Mieux vaut encore que la chose sur laquelle il n’y a pas de démonstration reste simplement à l’état de question, ou qu’on accepte (traditionnellement)(2)Au lieu de יקבל, l’un des deux manuscrits de Leyde (n° 18) porte יטלק; l’autre (n° 221) a יטלב l’un des deux termes de la contradiction. J’ai déjà rapporté les méthodes par lesquelles les Motécallemîn établissent la nouveauté du monde(3)Voy. la Ire partie, chap. LXXIV., et j’ai appelé ton attention sur la critique à laquelle elles donnent lieu. De même, tout ce qu’Aristote et ses successeurs ont dit pour prouver l’éternité du monde n’est point, selon moi, une démonstration rigoureuse; ce ne sont, au contraire, que des argumentations sujettes à des doutes graves, comme tu l’entendras (plus loin).", "Ce que je désire faire, moi, c’est de montrer que la nouveauté du monde, conformément à l’opinion de notre Loi que j’ai déjà exposée, n’est point impossible, et que toutes ces argumentations philosophiques, desquelles il semble résulter qu’il n’en est pas comme nous avons dit(1)C’est-à-dire que le monde n’a pas été créé, comme nous le disons, mais qu’il est éternel., — que tous ces raisonnements (dis-je) ont un côté par lequel on peut les détruire et empêcher qu’on les emploie comme arguments contre nous. Cela étant avéré pour moi, et cette question, — à savoir si le monde est éternel ou créé, — restant indécise(2)Le texte dit: étant possible, c’est-à-dire, comme dans cette question l’une et l’autre des deux hypothèses sont possibles…, j’accepte la solution donnée par la prophétie(3)Littéralement: Elle sera acceptée par moi de la part de la prophétie. Encore ici l’auteur s’est exprimé d’une manière elliptique et peu logique; car ce n’est pas la question qu’il accepte, mais la solution., qui explique des choses auxquelles la faculté spéculative ne saurait arriver; car nous exposerons que la prophétie n’est pas une chose vaine, même selon l’opinion de celui qui admet l’éternité (du monde).", "Après avoir exposé que ce que nous soutenons est possible, je chercherai également, par une preuve spéculative, à le faire prévaloir(4)Sur le mot , voy. le t. I, p. 428, note 3. sur l’autre (opinion); je veux dire, à faire prévaloir l’opinion de la création sur celle de l’éternité. J’exposerai que, si nous sommes conduits à quelque conséquence absurde en admettant la création, on est poussé à une absurdité plus forte encore en admettant l’éternité. ", "Et maintenant j’essayerai de présenter une méthode pour détruire les preuves de tous ceux qui argumentent en faveur de l’éternité du monde." ], [ "Toute chose nouvelle qui naît après ne pas avoir existé, — bien que sa matière existât et que celle-ci ne fasse que se dépouiller d’une forme et en revêtir une autre, — possède, après être née, achevée et arrivée à son état définitif, une nature autre que celle qu’elle avait au moment où elle naissait et commençait à passer de la puissance à l’acte, et différente aussi de celle qu’elle avait avant de se mouvoir pour passer à l’acte(1)Cf. sur ce passage, le t. I, p. 226, et ibid., note 3.. Ainsi, par exemple, le sperme de la femelle, pendant qu’il n’est encore que du sang dans les vaisseaux, a une nature différente de celle qu’il a au moment de la conception, lorsqu’il a été touché par le sperme du mâle et qu’il commence à se mouvoir; et la nature qu’il a dans ce moment-là est également différente de celle de l’animal parfait après sa naissance. On ne peut en aucune façon argumenter de la nature qu’a une chose, après être née, achevée et arrivée en définitive à son état le plus parfait, sur l’état où se trouvait cette chose au moment où elle se mouvait pour naître. On ne peut pas non plus argumenter de l’état où elle était au moment de se mouvoir sur celui dans lequel elle se trouvait avant de commencer à se mouvoir. Dès que tu te trompes là-dessus et que tu persistes à argumenter de la nature d’une chose arrivée à l’acte sur celle qu’elle avait étant en puissance, il te survient des doutes graves; des choses qui doivent être te paraissent absurdes(2)Le verbe ne vient pas ici de la racine , mais doit être considéré comme verbe dénominatif, dérivé de , chose inadmissible, absurde, de même que de , lieu, on forme le verbe , se fixer dans un lieu. Voy. ma Notice sur Abou’l-Walid, etc., p. 188 et 189 (Journal Asiatique, novembre-décembre 1850, p. 410 et 411)., et des choses absurdes te semblent devoir être.", "Que l’on fasse, au sujet de l’exemple que nous avons allégué, la supposition suivante(3)Littéralement: suppose donc, au sujet de ce que nous avons donné pour exemple, que, etc. פאפרץׄ doit être considéré comme impératif ; dans la version d’Ibn-Tibbon, au lieu de ונניח, les mss. ont, plus exactement, והנח. La supposition que l’auteur va faire se rapporte à l’exemple de la formation du fœtus, qu’il a cité plus haut.: Un homme a été né avec un naturel très parfait(1) signifie naturel, disposition naturelle qu’on apporte en naissant. Cf. Appendice du Moré ha-Moré, p. 149 (première note sur le chap. II de la Ire partie). Les mots כאמל אלפטרה̈ ont été paraphrasés, dans la version d’Ibn-Tibbon, par שלם במדע המוטבע באדם, parfait dans la connaissance innée à l’homme; cependant plusieurs manuscrits portent simplement שלם היצירה, parfait de création; de même Al-’Harîzi: שלם הבריאה.; sa mère étant morte après l’avoir allaité quelques mois, le mari(2)Le texte arabe porte אלרגׄל, l’homme, et Ibn-Tibbon entend par ces mots le père de l’enfant; il traduit (edit. princeps): ונפרד אביו לברן להשלים וכו׳. Dans plusieurs mss. du texte arabe, on lit אלרגׄאל au pluriel, les hommes; cette leçon est adoptée par Ibn-Falaquéra, qui traduit: ונפרדו אנשים להשלים וכו׳, et quelques hommes s’occupèrent seuls d’achever, etc. Cette leçon, dit-il, est confirmée par ce qui est dit un peu plus loin, que l’enfant interrogea un des hommes qui étaient avec lui, sans qu’il soit question du père. Voy. l’Appendice du Moré ha-Moré, p. 154. Al-’Harîzi traduit dans le même sens: והתעסקו אנשים, des hommes s’occupèrent. L’auteur, en effet, ne s’est pas exprimé avec toute la clarté désirable; peut-être a-t-il voulu dire que le père se rendit, avec quelques serviteurs dans une île solitaire, pour y achever l’éducation de son enfant. s’occupa seul, dans une île retirée, d’achever l’éducation de cet enfant, jusqu’à ce qu’il eût grandi et qu’il fût devenu intelligent et instruit. N’ayant jamais vu ni femme, ni aucune femelle des animaux, il demanda un jour à un des hommes qui étaient avec lui: «Comment se fait-il que nous existons, et de quelle manière avons-nous été formés ?» Celui à qui il avait adressé la question lui répondit: «Chacun de nous a été formé dans le ventre d’un individu de notre espèce, semblable à nous, et qui était une femme ayant telle et telle forme; chacun de nous était un petit corps dans l’intérieur du ventre, se mouvant, s’alimentant, croissant petit à petit, vivant, jusqu’à ce qu’arrivé à telle limite de grandeur, il s’ouvrit à lui, dans le bas du corps (de la femme), une porte par laquelle il apparut et sortit, et après cela il ne cessa de grandir jusqu’à ce qu’il fût devenu tel que tu nous vois.» Cet enfant orphelin interrogera nécessairement de nouveau et dira: «Cet individu d’entre nous, pendant qu’il était petit dans le ventre, vivant, se mouvant et croissant, mangeait-il? buvait-il? respirait-il par la bouche et le nez? déposait-il des excréments?» — Non, lui répondra-t on. — Mais lui, il s’empressera indubitablement de nier cela, et il démontrera l’impossibilité de toutes ces choses, qui pourtant sont vraies(1)Littéralement: et il établira la démonstration contre toutes ces choses vraies, (pour montrer) qu’elles sont impossibles., en argumentant de l’être parfait arrive à son état définitif. «Si l’un de nous, dira-t-il, était pendant quelques moments privé de respiration, il mourrait, et ses mouvements cesseraient; et comment donc peut-on se figurer que quelqu’un d’entre nous puisse rester pendant des mois dans une membrane épaisse(2)Ibn-Tibbon a: כים סתום, une bourse fermée; cette traduction a été blâmée avec raison par Ibn-Falaquéra (Appendice du Moré ha-Moré, p. 154), qui fait observer que le mot arabe ספיק ne signifie pas ferme, mais fort, grossier ou épais. Al-’Harîzi a כלי קשה., enfermé dans l’intérieur d’un corps, et avec cela vivre et se mouvoir? Si l’un de nous pouvait avaler un moineau, certes, ce moineau mourrait instantanément dès qu’il arriverait dans l’estomac, et à plus forte raison dans le bas-ventre. Chacun de nous, s’il ne prenait pas de nourriture par la bouche et s’il ne buvait pas, mourrait indubitablement au bout de quelques jours; et comment donc un individu pourrait-il rester des mois sans manger ni boire? Si quelqu’un de nous, après s’être nourri, ne déposait pas d’excréments, il mourrait en peu de jours dans les douleurs les plus violentes; comment donc celui-là aurait-il pu rester des mois sans déposer des excréments? Si l’on perçait le ventre à l’un de nous, il mourrait au bout de quelques jours; comment donc pourrait-on croire que ce fœtus ait eu l’ombilic ouvert? comment enfin se fait-il qu’il n’ouvre pas ses yeux, ni n’étende ses mains, ni n’allonge ses pieds, comme vous le prétendez, puisque tous ses membres sont en bon état, et n’ont aucun mal?» — Et ainsi il poursuivra ses raisonnements, (pour prouver) qu’il est impossible que l’homme se forme de cette manière.", "Examine bien cet exemple et réfléchis-y, ô penseur! et tu trouveras que c’est là également la condition dans laquelle nous sommes vis-à-vis d’Aristote. En effet, nous tous, les sectateurs de Moïse, notre maître, et d’Abraham, notre père, nous croyons que le monde a été formé de telle et telle manière, qu’il s’est développé de telle manière(1)Littéralement: qu’il a été tel de tel, c’est-à-dire qu’il a eu telle forme qui s’est développée de telle autre., et que telle chose a été créée après telle autre; mais Aristote se prend à nous contredire, en argumentant contre nous de la nature de l’être arrivé à son état définitif, parfait et existant en acte, tandis que nous, nous lui affirmons qu’après être arrivé à son état définitif et être devenu parfait, il ne ressemble à rien de ce qu’il était au moment de naître, et qu’il a été produit du néant absolu. Quel argument donc peut-on tirer contre nous de tout ce qu’il dit? car ces arguments ne frappent que celui qui prétend que c’est la nature de cet être, arrivée à son état définitif, qui prouve (elle-même) qu’il a été créé, tandis que je t’ai déjà fait savoir que, quant à moi, je ne soutiens pas cela.", "Je vais maintenant reprendre les principes de ses méthodes(2)L’auteur veut parler des méthodes par lesquelles Aristote démontre l’éternité du monde, et qui sont énumérées au chap. XIV., et je te montrerai comment il ne s’ensuit absolument rien pour nous qui soutenons que Dieu a produit le monde entier du néant et l’a formé (successivement) jusqu’à ce qu’il fût devenu parfait comme tu le vois.", "La matière première, dit-il, n’est pas née ni ne périra; et, argumentant des choses nées et périssables, il montre qu’il est impossible qu’elle soit née(3)Voir au chap. XIV, la deuxième méthode.. Et cela est vrai(4)C’est-à-dire: Il est vrai, en effet, comme le dit Aristote, qu’elle n’est pas née de quelque chose; mais rien ne nous empêche d’admettre qu’elle est sortie du néant absolu.. Car nous ne soutenons pas que la matière première se soit formée, comme l’homme se forme du sperme, ni qu’elle doive périr, comme périt l’homme en devenant poussière; mais nous soutenons au contraire que Dieu l’a produite du néant, et qu’après sa production elle est telle qu’elle est(1)En d’autres termes: elle est telle qu’elle doit être pour répondre à l’idée de matière première; car, après être sortie du néant, elle est absolument sans forme., je veux dire que toute chose se forme d’elle et que tout ce qui s’est formé d’elle retourne à elle en périssant. Elle n’existe point dénuée de forme(2)C’est-à-dire: bien que dans notre pensée ce soit une matière sans forme, elle n’existe en réalité qu’avec la forme; car, immédiatement après sa production, les formes s’y succèdent sans cesse et y font place les unes aux autres., et elle est le terme de la naissance et de la corruption. Quant à elle, elle n’est pas née (de quelque chose), comme naît tout ce qui se forme d’elle, et elle ne périra pas (en quelque chose), comme périt ce qui périt en elle; mais au contraire, elle est une chose créée, et quand son créateur le voudra, il la réduira au néant pur et absolu.", "Nous dirons absolument la même chose du mouvement; car on a argumenté de la nature du mouvement pour prouver qu’il n’est pas né et qu’il ne périra pas(3)Voir au chap. XIV, la première méthode.. Et cela est encore vrai(4)C’est-à-dire, nous pouvons accorder cela, sans qu’il en résulte une preuve contre notre système de la création.; car nous soutenons qu’il est inimaginable que, depuis que le mouvement a existé avec sa nature invariable et fixe, il ait pu, dans son universalité, être sujet à la naissance et à la corruption, comme le sont les mouvements partiels qui naissent et périssent(5)Littéralement: car nous soutenons que, après que le mouvement a existé selon cette nature sur laquelle il a été fixé, il est inimaginable qu’il ait pu naître et périr par une naissance totale et par une corruption totale, comme naissent les mouvements partiels qui naissent, et comme périssent les mouvements partiels. L’auteur s’est exprimé d’une manière embarrassée et peu claire. Le sens est: Nous admettons avec Aristote que le mouvement universel du monde est de nature telle qu’il n’a pu naître d’un mouvement antérieur qui l’ait fait passer de la puissance à l’acte, comme cela a lieu dans les mouvements partiels, par exemple dans celui des animaux. Mais nous ne concluons pas de là que le mouvement universel soit éternel; car, s’il est vrai qu’il n’a pu avoir pour cause un mouvement antérieur, il a pu cependant avoir un commencement et avoir été créé par Dieu. C’est dans ce sens qu’Albert le Grand réfute la première méthode d’Aristote, et il résume sa réfutation en ces termes: «Et de hac via constat, per antedicta, quod non probat motum non incepisse per creationem, sed quod non incepit per mutationem et motum. » Voy. Summa theologiœ, pars. II, tract. I, quæst. IV, partic. 3 (opp. t. XVIII, pag. 58, col. b.). Le même raisonnement s’applique à tout ce qui est inhérent à la nature du mouvement(1)L’auteur veut parler du temps, dont il est également question dans cette première méthode.. De même, quand il dit du mouvement circulaire qu’il n’a pas de commencement, cela est vrai (dans ce sens) qu’après la production du corps sphérique, qui se meut circulairement, on ne saurait se figurer dans son mouvement aucun commencement(2)L’auteur réfute ici, en passant, un argument tiré du mouvement circulaire de la sphère céleste; ce mouvement n’ayant pas de point de départ, on a prétendu pouvoir conclure de là qu’il doit être éternel. Cet argument n’est pas compris dans les méthodes du chap. XIV..", "Nous en dirons autant de la possibilité qui doit précéder tout ce qui naît(3)Voir au chap. XIV, la quatrième méthode.; car cela n’est nécessaire que dans cet univers (complétement) établi, où tout ce qui naît ne naît que d’un être quelconque. Mais la chose produite du néant n’indique, ni pour les sens, ni pour l’intelligence, aucune chose (antérieure), de manière qu’elle dût être précédée d’une possibilité.", "Enfin, nous raisonnerons encore de la même manière sur (ce qu’il dit) que dans le ciel il n’y a pas de contrariété(4)Voir au chap. XIV, la troisième méthode.. Cela est encore vrai; seulement (il faut remarquer) que nous ne soutenons pas que le ciel se soit formé, comme se forment le cheval et le palmier, et (par conséquent) nous ne soutenons pas qu’étant composé, il doive périr, comme les plantes et les animaux, à cause de la contrariété qui y existerait(1)L’auteur veut dire: Nous accordons à Aristote que dans le ciel, tel qu’il est, il n’y a pas de contrariété, par suite de laquelle il doive périr, et que, par conséquent, il n’a pu naître comme naissent les choses sublunaires; mais aussi nous ne disons nullement qu’il soit et composé comme ces dernières; et il ne s’ensuit point de la thèse d’Aristote que Dieu n’ait pu le créer, en le faisant sortir du néant dans une simplicité absolue..", "Le fond de la chose est ce que nous avons dit, (à savoir) que l’être étant dans son état parfait et achevé, on ne saurait argumenter de son état actuel sur l’état (où il était)(2)Les mots הנמצא לו, qu’ajoutent ici les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, ne se trouvent pas dans les mss. de cette version, ni dans celle d’Al-’Harîzi. avant sa perfection. ", "Nous ne trouvons non plus rien d’absurde dans ce qu’on a dit que le ciel a été formé avant la terre, ou la terre avant le ciel(3)L’auteur fait sans doute allusion à la discussion entre l’école de Schamaï et celle de Hillel, rapportée dans le Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, fol. 12 a., ou que le ciel était d’abord sans astres, ou (qu’il existait) telle espèce d’animaux sans telle autre; car tout cela s’applique à l’époque où cet ensemble (de l’univers) fut formé. Il en est comme de l’animal lors de sa formation, le cœur étant formé avant les testicules, comme on le reconnaît à la simple vue, et les veines avant les os, quoique, dans son état parfait, aucun de ses membres n’existe indépendamment de tous les autres, sans lesquels la conservation de l’individu est impossible. Il faut aussi (admettre) tout cela, dès qu’on prend le texte (de l’Ecriture) dans son sens littéral, bien qu’il n’en soit pas ainsi, comme cela sera exposé quand nous nous étendrons là-dessus(4)Voir plus loin, chap. XXX, où l’auteur explique longuement divers détails de la création.. ", "— Il faut que tu fasses bien attention à ce sujet(1)C’est-à-dire, au sujet traité dans le présent chapitre, qui a pour but de montrer que les arguments d’Aristote ne prouvent rien contre la création.; car c’est un grand mur que j’ai construit autour de la Loi et qui l’environne pour la protéger contre les pierres qu’on lui lance. Si Aristote, — je veux dire celui qui adopte son opinion, — argumentait contre nous, en disant: Puisqu’on ne peut tirer aucune preuve de cet univers (achevé), comment donc savez-vous, vous-mêmes, qu’il a été créé et qu’il y avait une autre nature(2)C’est-à-dire, un être d’une nature différente, qui est la Divinité. qui l’a créé? nous répondrions: Cela ne nous touche point par rapport à notre but actuel(3)Dans la version d’Ibn-Tibbon, le mot arabe רומנא, désir, effort, a été rendu par מחשבתנו, notre pensée; Ibn-Falaquéra (l. c.) fait observer qu’il faut le traduire par השתדלותנו. Al-’Harîzi a בקשתנו.. En effet, nous ne voulons pas maintenant établir que le monde a été créé; mais ce que nous voulons, c’est (de montrer) qu’il est possible qu’il ait été créé; et on ne saurait démontrer la fausseté de cette assertion, en argumentant de la nature de l’univers, avec laquelle nous ne nous mettons pas en opposition(4)L’auteur fait allusion au reproche qu’il a adressé lui-même aux Motécallemîn, à savoir, que leur système est en révolte ouverte contre les lois de la nature. Voy. la Ire partie, chap. LXXI, p. 349 et suiv.. La possibilité de cette assertion étant établie, comme nous l’avons exposé, nous chercherons ensuite à faire prévaloir l’opinion de la création. Il ne resterait donc à cet égard (d’autre moyen de nous réfuter) que de nous démontrer l’impossibilité de la création du monde, non pas par la nature de l’univers, mais par ce que l’intelligence juge être nécessaire par rapport à Dieu; et ce sont les trois méthodes dont je t’ai parlé précédemment, et par lesquelles on cherche à démontrer l’éternité du monde en prenant Dieu pour point de départ(5)Voir au chap. XIV, les méthodes V, VI et VII.. Je vais donc te montrer, dans le chapitre suivant, de quelle manière on peut les mettre en doute, de sorte qu’il ne puisse en résulter aucune preuve." ], [ "La première méthode dont ils parlent est celle où ils prétendent établir que, selon nous(1)Littéralement: est celle par laquelle nous serions forcés, selon leur opinion, d’admettre que, etc., Dieu aurait passé de la puissance à l’acte, puisqu’il aurait agi dans un certain moment et pas dans un autre moment(2)Voir au chap. XIV, la cinquième méthode.. — Il sera très facile de réfuter cette objection(3)Littéralement: La réfutation de ce doute est très évidente.: En effet, on ne peut raisonner de la sorte(4)Littéralement: Cette chose ne s’ensuit, etc.; c’est-à-dire: le raisonnement par lequel on conclut que l’agent qui tantôt agit et tantôt n’agit pas a dû nécessairement passer de la puissance à l’acte, ce raisonnement, dis-je, ne peut s’appliquer qu’à un corps composé de matière et de forme. que (lorsqu’il s’agit) de quelque chose qui est composé d’une matière à l’état de possibilité et d’une forme. Sans aucun doute, si un tel corps agit par sa forme après ne pas avoir agi, il y a eu en lui quelque chose en puissance qui a passé à l’acte, et, par conséquent, il a eu besoin d’un efficient; car, pour les choses douées de matière, c’est là une proposition démontrée. Mais ce qui est incorporel et immatériel n’a dans son essence aucune possibilité, et tout ce qui est en lui est perpétuellement en acte. On ne peut donc pas lui appliquer le raisonnement en question, et pour lui il n’est point impossible que tantôt il agisse et tantôt il n’agisse pas. Pour l’être séparé, ce n’est là ni un changement, ni un passage de la puissance à l’acte. Nous en avons une preuve dans l’intellect actif, qui, selon l’opinion d’Aristote et de ses sectateurs, est séparé, et qui, cependant, tantôt agit et tantôt n’agit pas, comme l’a exposé Abou-Naçr dans son traité de l’Intellect(1)L’auteur veut parler d’un petit traité d’Al-Farâbi, intitulé , et qui a été publié en latin sous le titre de: De Intellectu et intellecto (Voy. mes Mélanges, etc., p. 350, et ibid., n. 2). Le passage que l’auteur va citer se trouve vers la fin de ce traité. — Récemment un jeune rabbin allemand, M. Michael Rosenstein, a publié, comme thèse de doctorat, la version hébraïque de cet opuscule, accompagnée d’une traduction latine et de quelques notes: Abû-Nassr Alfarabii de intellectu intellectisque commentatio, etc., Breslau, 1858, in-8°.. Il s’y exprime en ces termes: «Il est évident que l’intellect actif n’agit pas perpétuellement; mais, au contraire, tantôt il agit et tantôt il n’agit pas.» Voilà ce qu’il dit textuellement, et c’est évidemment la vérité. Mais, bien qu’il en soit ainsi, on ne dit pas cependant que l’intellect actif soit sujet au changement, ni qu’après avoir été agent en puissance, il le soit devenu en acte, parce qu’il aurait fait dans un certain moment ce qu’il n’aurait pas fait auparavant; car il n’y a pas de rapport entre les corps et ce qui est incorporel, et il n’y a de similitude (entre eux) ni au moment de l’action, ni au moment où ils s’abstiennent d’agir. Si l’action des formes matérielles et celle de l’être séparé sont (l’une et l’autre) appelées action, ce n’est que par homonymie; c’est pourquoi, si l’être séparé n’accomplit pas dans un certain moment l’action qu’il accomplira plus tard, il ne s’ensuit pas de là qu’il aura passé de la puissance à l’acte, comme nous le trouvons dans les formes matérielles.", "On pourra peut-être croire que dans ce que je viens de dire il y a quelque sophisme: Si, dira-t-on, l’intellect actif nécessairement agit dans un certain moment et n’agit point dans un autre moment, ce n’est point à cause de quelque chose qui soit inhérent à son essence, mais à cause de la disposition des matières; de sa part, l’action s’exerce perpétuellement sur tout ce qui est disposé, et s’il y a quelque chose qui empêche l’action, cela vient de la disposition de la matière, et non pas de l’intellect en lui-même(1)Cf. le t. I, p. 311, et ibid., note 4..— Que celui là donc qui pense ainsi(2)C’est-à-dire, celui qui croit qu’en argumentant de l’intellect actif, j’ai fait un raisonnement sophistique, et qu’il n’y a pas d’analogie entre cet intellect et Dieu. sache bien que nous n’avons pas pour but de faire connaître la cause pour laquelle Dieu a agi dans un certain moment et non dans un autre, et, en citant cet exemple, nous n’en avons pas conclu que, puisque l’intellect actif, qui est séparé, agit dans un temps et n’agit pas dans un autre, il doive en être de même de Dieu(3)L’auteur veut dire: De la similitude que nous avons établie entre Dieu et l’intellect actif, nous n’avons pas conclu que l’action, chez l’un et l’autre, dépende de la disposition de la matière, et que l’action de Dieu puisse, comme celle de l’intellect actif, être quelquefois interrompue par les obstacles qui surviennent dans la matière. Cf. le t. I, l. c., où l’auteur dit que Dieu est toujours intellect en acte, et que sa perception n’éprouve aucun empêchement ni de lui-même, ni d’autre part. On verra plus loin que la cause pourquoi Dieu a créé dans un certain moment, Maïmonide la cherche uniquement dans la volonté divine.. Nous n’avons pas dit cela, et nous n’avons pas fait cette conclusion; et si nous avions fait cela, c’eût été en effet un sophisme. Mais ce que nous en avons conclu, — et c’est une conclusion vraie, — c’est que, bien que l’intellect actif, qui n’est ni un corps ni une force dans un corps, agisse dans un certain moment et n’accomplisse pas la même action dans un autre moment, n’importe quelle en soit la cause, on ne dit pas pour cela de lui qu’il ait passé de la puissance à l’acte, ni qu’il y ait eu dans son essence une possibilité, ni enfin qu’il ait besoin d’un efficient qui le fasse passer de la puissance à l’acte(4)L’auteur n’a pas complétement achevé sa pensée, et il fait sous-entendre ce qui suit: Par conséquent, Dieu aussi a pu ne pas agir de toute éternité et a pu créer le monde à une certaine époque, sans que pour cela on soit fondé à soutenir qu’en créant le monde, il aurait passé de la puissance à l’acte, ce qui supposerait un efficient antérieur à lui..", "Ainsi se trouve écartée de nous cette grave objection qui nous a été faite par ceux qui soutiennent l’éternité du monde; car, comme nous croyons que Dieu n’est ni un corps, ni une force dans un corps, il n’est point affecté de changement en agissant après ne pas avoir agi.", "La deuxième méthode est celle où on conclut l’éternité du monde de ce que pour Dieu il n’y a ni besoins, ni rien qui survienne, ni obstacles(1)Voir au chap. XIV, la sixième méthode.. La solution de cette objection est difficile et à la fois subtile; écoute-la. ", "Sache que tout agent qui a une volonté et qui agit pour une raison quelconque doit nécessairement tantôt agir et tantôt ne pas agir, en raison de certains obstacles ou de besoins qui surviennent. Ainsi, par exemple, tel homme qui voudrait posséder une maison n’en bâtira point cependant, à cause des empêchements, soit qu’il n’en ait pas les matériaux sous la main, soit que ceux-ci, tout préparés qu’ils sont, ne soient pas prêts(2)Ibn-Tibbon traduit: ולא יבא; Ibn-Falaquéra (Moré ha - Moré, Append., p. 154) fait observer avec raison qu’il faudrait dire ולא יוכן, ou ואינו נאות. Dans la IIIe partie, chap. VIII, Ibn-Tibbon rend plus exactement les mots par החמר הנאות. à recevoir la forme, à cause du manque d’instruments. Il se peut aussi que les matériaux et les instruments soient prêts, et que cependant (l’homme) ne bâtisse pas, parce que, n’ayant pas besoin de demeure, il ne veut pas bâtir; mais lorsqu’il lui surviendra des accidents, comme la chaleur ou le froid, qui le forceront de chercher un abri, alors il voudra bâtir. Il est donc clair que les accidents survenus changent la volonté, et que les obstacles s’opposent à la volonté de manière qu’on ne puisse pas agir. Cependant, tout cela n’a lieu que lorsque les actions ont pour raison quelque chose en dehors de la volonté même. Mais lorsque l’action n’a absolument aucun autre but que celui d’obéir à une volonté, cette volonté n’a pas besoin d’invitation (du dehors); et (dans ce cas) il n’est pas nécessaire non plus que celui qui a la volonté, tout en n’ayant pas d’obstacles, agisse toujours; car il n’a pas de but extérieur qui le fasse agir, de manière qu’il soit forcé d’agir dès qu’il n’y aurait pas d’obstacles pour atteindre le but, puisque l’action, dans ce cas, obéit à la seule volonté.", "On pourrait nous objecter: Tout cela est vrai; mais n’y a-t-il pas changement en cela même que tantôt on veut et tantôt on ne veut pas(1)C’est-à-dire: si l’on supposait que Dieu a créé le monde à une certaine époque, ayant voulu alors ce qu’il n’avait pas voulu auparavant, ne serait-ce pas là lui attribuer le changement?? A cela nous répondrons: Non; car ce qui constitue la véritable idée de la volonté, c’est de vouloir et de ne pas vouloir. Or, si cette volonté appartient à un être matériel, et que ce qu’on cherche par elle soit un but extérieur, ce sera une volonté sujette au changement, en raison des obstacles et de ce qui peut survenir; mais la volonté de l’être séparé, qui n’est aucunement déterminée par autre chose, n’est point sujette au changement, et, s’il veut maintenant une chose et demain autre chose, cela ne constitue pas de changement dans son essence, ni n’exige une autre cause (en dehors de lui), de même qu’il n’y a point changement en ce que tantôt il agit et tantôt il n’agit pas, comme nous l’avons exposé. On exposera (plus loin)(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont התבאר, au prétérit; il faut lire יתבאר, au futur, comme l’ont les mss. que ce n’est que par homonymie qu’on applique à la fois à notre volonté et à celle de l’être séparé le nom de volonté, et qu’il n’y a point de similitude entre les deux volontés. — Ainsi donc, cette objection se trouve également détruite, et il est clair qu’il ne résulte pour nous de cette méthode rien d’inadmissible(3)C’est-à-dire, que de cette deuxième méthode on ne peut tirer aucune conclusion pour combattre notre système et en démontrer l’inadmissibilité.. C’est là ce que nous voulions (obtenir), comme tu sais.", "La troisième méthode est celle où l’on prouve l’éternité du monde (en raisonnant) ainsi: Quand la sagesse (divine) décide qu’une chose doit apparaître, elle a apparu(4)C’est-à-dire: Tout ce que la sagesse divine décide doit avoir lieu immédiatement; car ce qu’elle décide est nécessaire et ne peut pas un seul instant ne pas exister.; or, la sagesse de Dieu étant éternelle comme son essence, ce qui en résulte est (également) éternel(1)Voir au chap. XIV, la septième méthode.. — Mais c’est là un raisonnement très faible; car, de même que nous ignorons pourquoi sa sagesse a exigé que les sphères fussent (au nombre de) neuf, ni plus ni moins, que les étoiles fussent aussi nombreuses qu’elles sont, ni plus ni moins, et (qu’elles ne fussent) ni plus grandes ni plus petites, de même nous ignorons pourquoi la sagesse, à une époque (relativement) récente, a fait que l’univers existât après ne pas avoir existé(2)Littéralement: De même que nous ignorons sa sagesse qui a exigé que…., de même nous ignorons sa sagesse en ce qu’il (Dieu) a fait exister, etc.. Tout se conforme à sa sagesse perpétuelle et invariable; mais nous, nous ignorons complètement la loi de cette sagesse et ce qu’elle exige(3)La version d’Ibn-Tibbon, qui porte דרך החכמה ההיא ומשפטה, n’est pas tout à fait exacte; Al-’Harîzi traduit plus exactement: חק החכמה ההיא וחיובה.. Car, selon notre opinion, la volonté se conforme également à la sagesse; tout (dans Dieu) est une seule et même chose, je veux dire que sa sagesse est son essence, car nous n’admettons pas les attributs(4)L’auteur veut dire: Nous ne pouvons pas même dire que la sagesse de Dieu soit déterminée par sa volonté, ou vice versa; car, selon nous, la volonté et la sagesse, dans Dieu, sont une seule et même chose, l’une et l’autre étant son essence même. Cf. le t. I, chap. LIII, p. 214 et 215.. Tu entendras beaucoup sur ce sujet, quand nous parlerons de la Providence(5)Voy. la IIIe partie, chap. XIII et XVII, et cf. la Ire partie, chap. LXIX, p. 321, 322. — Par cette considération donc, tombe aussi cette absurdité (qu’on nous attribue)(6)C’est-à-dire, l’absurdité qu’on nous attribue implicitement par cette dernière démonstration de l’éternité du monde..", "Quant à ce qu’Aristote dit que les peuples, dans les temps anciens, croyaient d’un commun accord que les anges habitaient le ciel, et que Dieu aussi était au ciel(1)Voy. ci-dessus, p. 121., — chose que dit aussi le sens littéral des textes (sacrés), — cela ne peut pas servir de preuve pour l’éternité du monde, comme il le veut, lui; mais cela a été dit pour prouver que le ciel nous indique l’existence des Intelligences séparées, qui sont les êtres spirituels et les anges, et qu’il nous indique aussi l’existence de Dieu, qui le met en mouvement et qui le gouverne, ainsi que nous l’exposerons. Nous montrerons qu’il n’y a pas de preuve qui nous démontre mieux l’existence du Créateur, selon notre opinion(2)C’est-à-dire, selon l’opinion qui admet un Dieu créateur., que celle tirée du ciel; et celui-ci, comme nous l’avons déjà dit, prouve aussi, selon l’opinion des philosophes, qu’il existe (un être) qui le met en mouvement, et que ce dernier n’est ni un corps, ni une force dans un corps.", "Après t’avoir exposé que ce que nous affirmons est admissible, et que (tout au moins) ce n’est pas une chose impossible, comme le prétendent ceux qui soutiennent l’éternité (du monde), je vais montrer, dans les chapitres suivants, que notre opinion est préférable au point de vue spéculatif, et je révélerai les conséquences absurdes qu’a l’autre opinion(3)Littéralement: Ce qui s’attache à son opinion en fait d’absurdités. Le suffixe dans ראיה (son opinion) se rapporte à Aristote, ou aux mots précédents: מן יקול באלקדם, celui qui soutient l’éternité.." ], [ "(4)L’auteur aborde ici les preuves directes qu’on peut alléguer en faveur de la création ex nihilo; il combat le système d’Aristote, selon lequel tout dans l’univers suivrait une loi éternelle et immuable, et il montre que, notamment dans les mouvements des sphères célestes, on ne saurait méconnaître l’action d’une volonté libre agissant avec intention et non par nécessité. Maïmonide montre les invraisemblances qui résultent du système d’Aristote, et il insiste notamment sur les difficultés que présentent certains passages du traité du Ciel. Ce chapitre est un des plus importants dans la discussion engagée par Maïmonide contre les péripatéticiens. Moïse de Narbonne ayant répondu à plusieurs objections de l’auteur et ayant affaibli par là, aux yeux de certains contemporains, l’effet que devait produire ce chapitre, Isaac Abravanel l’a expliqué dans un commentaire particulier, accompagné de plusieurs dissertations. Ce commentaire, intitulé שמים חדשים, les Cieux nouveaux, était resté inédit; il a été publié, pour la première fois, par Wolf Heidenheim, Rödelheim, 1828, in-4°.Il résulte évidemment du système d’Aristote, comme du système de tous ceux qui professent l’éternité du monde, que selon lui cet univers est émané du Créateur par nécessité, que Dieu est la cause et ce monde l’effet, et que, par conséquent, celui-ci est nécessaire(1)Cf. le t. I, chap. LXIX, p. 313-314.. De même qu’on ne saurait dire de Dieu pourquoi il existe, ni comment il existe ainsi, je veux dire un et incorporel, de même on ne saurait dire de l’univers dans son ensemble pourquoi il existe ni comment il existe ainsi (que nous le voyons); car il est nécessaire que tout cela existe ainsi, (je veux dire) la cause et son effet; et il est impossible pour tous deux de ne pas exister ou de devenir autres qu’ils ne sont. Il s’ensuit donc de cette opinion que toute chose doit nécessairement conserver toujours la nature qu’elle a, et qu’aucune chose ne peut, en une façon quelconque, changer de nature. Selon cette opinion, le changement de nature d’un être quelconque est chose impossible, et, par conséquent, toutes ces choses n’ont pu naître par le dessein d’un être ayant une intention et qui aurait librement voulu qu’elles fussent ainsi; car, si elles étaient nées par un tel dessein, elles n’auraient pas existé ainsi avant que le dessein en fût arrêté(2)Littéralement: Avant qu’on se les proposât, ou avant qu’elles fussent l’objet du dessein; c’est-à-dire: L’intention qui a voulu que les choses fussent de telle et telle manière, quoiqu’elles pussent être autrement, devait nécessairement précéder ces choses, et par conséquent elles n’auraient pas toujours été telles qu’elles sont.. ", "Mais, selon notre opinion, à nous, il est clair que les choses sont par suite d’un dessein, et non par nécessité. Il se pourrait donc que celui qui a formé le dessein les changeât et formât un autre dessein. Toutefois, ce ne pourrait être, dans un sens absolu, un dessein quelconque; car il y a une nature de l’impossible qui est stable et qui ne saurait être détruite(1)C’est-à-dire: Il y a des choses naturellement impossibles et qu’il ne dépend pas de Dieu de changer, parce qu’il est de leur nature même d’être impossibles, comme, par exemple, la réunion des contraires dans le même sujet et au même moment, ou la construction d’un carré dont la diagonale soit égale aux côtés. Voy. la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XV, et cf. ci-dessus, p. 108., comme nous l’exposerons. — J’ai pour but, dans ce chapitre, de te montrer, par des preuves qui approchent de la démonstration, que cet univers nous indique nécessairement un Créateur agissant avec intention(2)Littéralement: Qu’il est (ou qu’il existe) par le dessein d’un (être) ayant une intention., sans que pour cela je veuille prendre à tâche ce qu’ont entrepris les Motécallemîn, en détruisant la nature de l’être et en proclamant l’atome, la perpétuelle création des accidents et tout ce que je t’ai exposé de leurs principes, dont le seul but est d’établir la détermination(3)Littéralement: de leurs principes qu’ils ne se sont efforcés d’exposer que pour faire trouver la détermination. L’auteur veut dire que toutes les propositions des Motécallemîn ont uniquement pour but d’établir que c’est la volonté divine qui détermine chaque chose dans l’univers. Sur le sens du mot détermination, voy. le t. I, p. 426, note 3. — La version d’Ibn-Tibbon est ici absolument inintelligible; elle porte: אשר אמנם השתדלתי להציעו להמציא הביאור. Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 100) traduit plus exactement: אשר השתדלו להציעם להמצאת הסגול; de même Al-’Harîzi: אשר השתדלו להציעם כדי להמציא ההגבלה. On voit par les notes critiques d’Ibn-Falaquéra (Append., p. 154) que les mss. d’Ibn-Tibbon portaient aussi הביאור, comme plus loin: וכונו בהם הביאור; probablement ce dernier avait dans son texte arabe אלתלכׄיץ, au lieu de אלתכׄציץ. La note d’Ibn-Falaquéra étant très corrompue dans l’édition imprimée, nous la reproduisons ici plus correctement: לאיגׄאד אלתכׄציץ העתיק להמציא הביאור והעתקתו להמציא הסגול או ההתיחד כי אינו ביאור.. Il ne faut pas croire qu’ils aient dit aussi ce que je vais dire; mais ce qu’on ne saurait mettre en doute, c’est qu’ils ont visé au même but que moi. Ils parlent donc aussi des choses dont je vais parler, ayant en vue la détermination; mais pour eux, si telle plante est plutôt rouge que blanche, plutôt douce qu’amère, c’est une particularisation au même titre que celle du ciel ayant de préférence cette figure qu’il a, et non pas la figure carrée ou triangulaire(1)Littéralement: Seulement quant à eux, il n’y a pas de différence pour eux entre la particularisation de cette plante par la couleur rouge, à l’exclusion de la blancheur, ou par la douceur à l’exclusion de l’amertume, et la particularisation du ciel par cette figure qu’il a, à l’exclusion de la figure carrée et triangulaire. En d’autres termes: Ils ne font pas de différence entre les choses sublunaires, soumises à certaines lois physiques qui en expliquent les propriétés particulières, et les corps célestes, dont les particularités ne peuvent pas toutes s’expliquer par une loi naturelle, et où l’on reconnaît la volonté de Dieu, laquelle a librement préféré tel état de choses à tel autre.. Eux, ils ont établi la détermination au moyen de leurs propositions que tu connais déjà(2)C’est-à-dire, par des propositions qui nient toute loi de la nature et toute causalité, et qui attribuent les particularités de toutes les choses, tant sublunaires que célestes, à l’intervention directe et immédiate de la Divinité. Voy. surtout la VIe proposition des Motécallemîn (t. I, chap. LXXIII, p. 388 et suiv.), tandis que moi, j’établirai la détermination, là où il le faut, au moyen de propositions philosophiques puisées dans la nature de l’être.", "Je vais exposer cette méthode, après avoir d’abord posé en principe ce qui suit: toutes les fois qu’une matière(3)La version d’Ibn-Tibbon porte: שהחמר, et celle d’Al-’Harîzi: כי החמר; de même l’un des mss. ar. de Leyde (n° 18) אן אלמאדה̈. Il faut lire: אן כל מאדה̈, comme l’ont les autres mss. est commune à des choses qui diffèrent entre elles d’une manière quelconque, il a fallu nécessairement, en dehors de cette matière commune, une cause qui ait fait que ces choses eussent, les unes telle qualité, les autres telle autre, ou plutôt (il a fallu) autant de causes qu’il y a de choses différentes. C’est là une proposition sur laquelle tombent d’accord les partisans de l’éternité (du monde) et ceux de la création. ", "Après avoir posé ce principe, j’aborde l’exposition de ce que j’avais en vue, (en discutant) sous la forme de question et de réponse, sur l’opinion d’Aristote.", "Nous posons d’abord à Aristote la question suivante: Tu nous as démontré que toutes les choses sublunaires ont une seule et même matière, commune à toutes; quelle est donc alors la cause de la diversité des espèces qui existent ici-bas, et quelle est la cause de la diversité des individus de chacune de ces espèces? — Là-dessus, il nous répondra: Ge qui cause la diversité, c’est que les choses composées de cette matière diffèrent de mélange. Cette matière commune a reçu d’abord quatre formes, dont chacune est accompagnée de deux qualités(1)Ce sont les formes des quatre éléments, dont chacun a deux qualités: le feu est chaud et sec, l’air est chaud et humide, l’eau est froide et humide, et la terre est froide et sèche. Voy. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 88, note 1, et les passages d’Aristote et de Gallien qui y sont indiqués., et par ces quatre qualités elle devient les éléments de ce qui en est composé(2)C’est-à-dire: par les quatre qualités, qui, réunies deux à deux, constituent les quatre formes des éléments, la matière devient un quadruple corps élémentaire pour tout ce qui se compose de cette matière. — Le verbe צארת et le suffixe dans מנהא se rapportent à הלך אלמאדה̈, cette matière. Les deux traducteurs hébreux ont mis le verbe et le suffixe au pluriel; Ibn-Tibbon a: היו יסודות למה שהורככ מהם; Al-’Harîzi: נעשו יסודות לכל מה שהורכב מהם. D’après ces versions, les deux formes féminines se rapporteraient grammaticalement aux quatre formes (ארבע צור), ce qui serait peu rationnel; car ce qui constitue les quatre eléments, ce ne sont pas les formes, mais plutôt la matière universelle, revêtue de la forme élémentaire.; car ils (les éléments) s’entremêlent d’abord par suite du mouvement de la sphère céleste, et ensuite, ayant formé un mélange tempéré(3)Le verbe signifie s’entremêler, c’est-à-dire former un mélange confus (αίξις), tandis que, par , on désigne un mélange où les éléments divers sont répartis partout avec une égalité parfaite, un mélange égal et proportionné (ϰράσις)., la diversité survient dans les choses mêlées, qui sont composées (des éléments) à des degrés différents de chaud, de froid, d’humide et de sec. Par ces mélanges divers, elle (la matière) acquiert des dispositions diverses pour recevoir des formes diverses, et ces formes, à leur tour, la disposent pour la réception d’autres formes, et ainsi de suite. La matière (substratum) d’une seule forme spécifique possède une grande étendue de quantité et de qualité, et c’est en raison de cette étendue qu’il y a une variété d’individus de la même espèce, comme cela a été exposé dans la science physique. — Tout cela est vrai et évident pour celui qui est équitable envers lui-même et qui ne veut pas s’abuser.", "Ensuite, nous adresserons encore à Aristote cette autre question: S’il est vrai que le mélange des éléments est la cause qui dispose les matières à recevoir les formes diverses, qu’est-ce donc alors qui a disposé cette matière première de manière qu’une partie reçût la forme de feu, et une autre partie la forme de terre, et que ce qui est entre les deux (devînt apte) à recevoir la forme d’eau et d’air? Puisque le tout a une matière commune, qu’est-ce donc qui a rendu la matière de la terre plus propre à la forme de terre, et la matière du feu plus propre à la forme de feu ? ", "— A cela Aristote fera la réponse suivante: Ce qui a fait cela, c’est la différence des lieux(1)C’est-à-dire, des différentes régions occupées par les quatre éléments. Voy. le t. I, p. 134, note 2, et p. 356.; car ce sont ceux-ci qui ont produit dans la matière unique des dispositions diverses. La partie qui est plus près de la circonférence a reçu de celle-ci une impression de subtilité et de mouvement rapide et approche de sa nature, de sorte qu’ainsi préparée, elle a reçu la forme de feu; mais, à mesure que la matière s’éloigne de la circonférence (et qu’elle est) plus près du centre, elle devient plus épaisse, plus consistante et moins lumineuse; elle se fait alors terre, et, par la même raison, eau et air. Il doit nécessairement en être ainsi; car il serait absurde (de dire) que celle matière n’est point dans un lieu, ou que la circonférence est elle-même le centre, et vice versa. C’est donc là ce qui a fait qu’elle devait se particulariser par des formes diverses, je veux dire ce qui l’a disposée à recevoir des formes diverses.", "Enfin nous lui demanderons encore: La matière de la circonférence, c’est-à-dire du ciel, est-elle la même que celle des éléments? ", "— Non, répondra-t-il; mais, au contraire, celle-là est une autre matière, et elle a d’autres formes(1)Voy. le t. I, p. 247, note 3, et ci-dessus, p. 25, note 1.. Si on donne en même temps aux corps d’ici-bas et à ceux-là (d’en haut) le nom de corps, ce n’est que par homonymie, comme l’ont exposé les modernes(2)Selon Abravanel, l’auteur ferait allusion aux commentateurs d’Aristote, et notamment à Themistius. Celui-ci avait fait observer que la définition qu’Aristote donne du corps, à savoir qu’il est ce qui a longueur, largeur et profondeur (traité du Ciel, liv. I, chap. I), ne s’applique pas exactement aux corps célestes; car, ceux-ci étant d’une simplicité absolue, les dimensions ne s’y déterminent point, comme dans les corps sublunaires, par la forme corporelle survenue à la matière, mais s’y trouvent toujours en acte et sont inhérentes à leur matière. Ce sont donc des dimensions d’une autre nature, formant des corps d’une autre nature, et par conséquent ce n’est que par homonymie que les noms de dimension et de corps sont appliques en même temps au ciel et aux choses sublunaires. Voy. Abravanel, Schamaïm ’hadaschîm, fol. 4.. Tout cela a été démontré.", "Écoute maintenant, ô lecteur de ce traité! ce que je dis, moi. ", "— Tu sais qu’il a été démontré par Aristote que de la différence des actions on peut inférer la différence des formes(3)Ainsi qu’il a été dit plus haut (chap. XII), les corps n’agissent les uns sur les autres que par leur forme; toutes les fois donc qu’il y a une différence dans l’action respective qu’exercent certains corps, il faut supposer que leurs formes sont différentes.. Or, comme les mouvements des quatre éléments sont droits, tandis que le mouvement de la sphère céleste est circulaire, on reconnaît (d’abord) que la matière des uns n’est pas la même que celle de l’autre, ce qui est une vérité résultant de la spéculation physique; mais, comme on trouve aussi que ceux-là (les éléments), qui ont les mouvements droits, diffèrent de direction, se mouvant les uns vers le haut, les autres vers le bas, et que ceux-là même qui se dirigent du même côté ont le mouvement plus ou moins rapide ou lent, on reconnaît qu’ils diffèrent de formes. C’est ainsi qu’on a reconnu que les éléments sont au nombre de quatre(1)Voy. Aristote, traité du Ciel, liv. IV, chap. 4 et 5.. C’est par une argumentation absolument semblable qu’on arrive à conclure que toutes les sphères célestes ont une même matière; car toutes elles se meuvent circulairement. Mais, en fait de forme, les sphères diffèrent les unes des autres(2)Littéralement: Mais la forme de chaque sphère diffère de la forme de l’autre sphère.; car telle se meut de l’orient à l’occident, et telle autre de l’occident à l’orient(3)Les anciens, croyant la terre immobile et n’admettant pas, en général, sa rotation autour de son axe (Almageste I, 6), durent chercher à expliquer d’une autre manière comment il se fait que le soleil et toutes les planètes accomplissent, en vingt-quatre heures, autour de la terre, un mouvement d’orient en occident, opposé aux mouvements divers qui leur sont propres et qu’ils accomplissent dans des périodes plus ou moins longues, en se transportant d’occident en orient, vers celles des étoiles fixes qui arrivent plus tard au méridien. On croyait donc que la sphère supérieure, appelée la sphère diurne, avait seule un mouvement naturel d’orient en occident, dans lequel elle entraînait avec elle les sphères des sept planètes, ce qui n’empêchait pas ces dernières d’accomplir leur propre mouvement périodique d’occident en orient. Voy. Almageste, liv. I, chap. 7, et cf. le t. I de cet ouvrage, p. 357, note 3. Quant à la sphère diurne, il y en a parmi les Arabes qui l’identifient avec celle des étoiles fixes, tandis que d’autres en font une neuvième sphère dénuée d’étoiles. Voy. ci-dessus, p. 57, note 3., et, en outre, les mouvements diffèrent par la rapidité et la lenteur. On doit donc encore lui adresser (c’est-à-dire à Aristote) la question suivante: Puisque toutes les sphères ont une matière commune, et que dans chacune d’elles le substratum a une forme particulière qui n’est pas celle des autres, qui est donc celui qui a particularisé ces substrata et qui les a disposés pour recevoir des formes diverses? Y a-t-il, après la sphère, autre chose à quoi on puisse attribuer cette particularisation, si ce n’est Dieu, le très haut ?", "Je dois ici appeler ton attention sur la grande profondeur d’Aristote et sur sa compréhension extraordinaire, et (te faire remarquer) combien, sans doute, cette objection l’a embarrassé, et comment il s’est efforcé d’en sortir par des moyens où (la nature de) l’être ne lui venait pas en aide. Car, bien qu’il n’ait pas mentionné cette objection, il est pourtant évident, par ses paroles, qu’il désire nous présenter systématiquement l’existence des sphères, comme il a fait pour ce qui est au-dessous de la sphère céleste(1)Littéralement: Comme il nous a ordonné (ou rangé) l’existence de ce qui est au-dessous de la sphère. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: גלגל הירח, la sphère de la lune; mais les mss. portent simplement הגלגל, et de même tous les mss. ar., אלפלך., de manière que tout ait lieu par une nécessité physique et non par l’intention d’un être qui poursuit le but qu’il veut et qui détermine (les choses)(2)Littéralement: Et par la détermination d’un déterminant. Voy. le t. I, p. 426, note 3., de quelque manière qu’il lui plaise. Mais il n’y a point réussi, et on n’y réussira jamais. Il s’efforce de donner la raison 1° pourquoi le mouvement de la sphère part de l’orient et non de l’occident(3)L’auteur veut parler de la sphère supérieure, qui, comme on l’a vu, se meut d’orient en occident. Il fait évidemment allusion à un passage du traité du Ciel, liv. II, chap. 5, où Aristote cherche à indiquer la raison pourquoi le ciel se meut de gauche à droite; de même, dit-il, que dans les mouvements droits (des éléments) celui qui se dirige vers le haut est le plus noble, de même, dans les mouvements circulaires des sphères célestes, c’est celui qui se dirige en avant ou vers la droite. Il paraîtrait donc qu’Aristote parle ici plutôt du mouvement des planètes que de celui du ciel supérieur; car, en avant (εἰς τὸ πρόσθεν), ou vers la droite, signifie vers l’orient. Cf. ibid., chap. 2: δεξιὸν γὰρ ἑϰάστου λέγομεν, ὅθεν ἡ ἀρχὴτῆς ϰατὰ τόπον ϰινήσεως · τοῦ δ’ οὐρανοῦ αρχὴν τῆς περιφορᾶς, ὅθεν αἱ ἀνατολαὶ τῶν ἄστρων, ὥστε τοῦτ’ ἂν εἴη δεξιόν, οὗ δ’αἱ δύσεις, ἀριστερόν. Mais l’assertion de Maïmonide est fondée sur la version arabe, qui, comme on le reconnaît par la version arabe-latine, avait sensiblement altéré le texte grec. La dernière phrase du chap. V (βέλτιστον γὰρ ϰινεῖσθαι ἁπλῆν τε ϰίνησιν ϰαὶ ἄπαυστον, ϰαὶ ταύτην ἐπὶ τὸ τιμιώτερον) est ainsi paraphrasée dans la version arabe-latine (fol. 55, col. b): «Melius enim et nobilius est ut cœlum moveatur semper sine cessatione, et quod motus ejus sit ex nobilissimo locorum, quod est dextrum. Manifestum est igitur quare cœlum movetur ex oriente ad occidentem, et non e converso; 2° pourquoi (les sphères) ont le mouvement, les unes rapide, les autres lent, ce qui dépend de l’ordre de leur position vis-à-vis de la sphère supérieure(1)Voy. ibid., chap. 10, où Aristote dit que, les sphères des planètes ayant un mouvement opposé à celui du ciel supérieur, celle qui est la plus rapprochée de ce dernier a le mouvement le plus lent, celle qui en est la plus éloignée a le mouvement le plus rapide, et de même le mouvement des autres est, en raison de leur distance respective du ciel supérieur, plus lent ou plus rapide: …. εὔλογον ἤδη τὸ μὲν ἐγγυτάτω τῆς ἁπλῆς ϰαὶ πρώτης περιφορᾶς ἐν πλειστῳ χρόνῳ διιέναι τὸν αὑτοῦ ϰύϰλον, τὸ δὲ πορρωτάτω ἐν ἐλαχίστῳ, ϰ. τ. λ. — Ainsi, la révolution périodique de Saturne dure trente ans, celle de Jupiter douze ans, et ainsi de suite jusqu’à la révolution de la lune, qui s’accomplit en moins d’un mois.; 3° pourquoi chacune des sept planètes a plusieurs sphères, tandis que ce grand nombre (d’étoiles fixes) est dans une seule sphère(2)Voy. ibid., chap. 12: ἡ μὲν γὰρ πρώτη μία οὖσα πολλὰ ϰινεῖ τῶν σωμάτων τῶν θείων, αἱ δὲ πολλαὶ οὖσαι ἓν μόνον ἑϰάστη · τῶν γάρ πλανομένων ἓν ὁτιοῦν πλείους φέρεται φοράς, ϰ. τ. λ. Cf. Métaph., liv. XII, chap. 8, où Aristote cite les opinions d’Eudoxe et de Callippe sur les différentes sphères qu’il faut supposer à chaque planète pour en expliquer le mouvement.. Il s’efforce d’indiquer les causes de tout cela, afin de nous présenter la chose suivant un ordre physique (existant) par nécessité. Cependant, il n’a réussi à rien de tout cela; car, si tout ce qu’il nous a exposé à l’égard des choses sublunaires est systématique et conforme à ce qui existe (réellement) et dont les causes sont manifestes, et si on peut dire que tout y a lieu par une nécessité (résultant) du mouvement et des forces de la sphère céleste, il n’a pu donner aucune raison évidente pour tout ce qu’il a dit à l’égard de la sphère céleste, et la chose ne se présente pas sous une forme systématique, de manière qu’on puisse en soutenir la nécessité. En effet, pour ce qui est des sphères, nous voyons que tantôt celles qui ont le mouvement plus rapide sont au-dessus de celles qui ont le mouvement plus lent, tantôt celles qui ont le mouvement plus lent sont au-dessus de celles qui ont le mouvement plus rapide, tantôt enfin elles ont les mouvements égaux, quoiqu’elles soient au-dessus les unes des autres(1)Isaac Abravanel rapporte sur ce passage, qui est assez obscur, l’interprétation d’un autre auteur, qni me paraît extrêmement forcée (voy. Schamaïm ’hadaschim, fol. 6). Cet auteur croit que Maïmonide, en disant qu’il y a des sphères plus rapides qui sont au-dessus de celles qui ont le mouvement plus lent, veut parler, d’une part, des mouvements périodiques propres aux sphères respectives de chaque planète, et, d’autre part, des mouvements des apogées des planètes qui lui sont inférieures; car le mouvement de précession de ces apogées est presque aussi lent que celui de la sphère des étoiles fixes. Or, il est évident que la sphère de Saturne, par exemple, est plus près de la huitième sphère que l’apogée de Jupiter, et à plus forte raison que celui de Mars et des autres planètes; de même, la sphère de Jupiter est plus élevée que l’apogée de Mars, et ainsi de suite. Si ensuite Maïmonide dit qu’il y a des sphères qui ont les mouvements égaux, quoiqu’elles soient au-dessus les unes des autres, le même auteur pense qu’il veut parler de ces mêmes apogées qui tous, à ce qu’il paraît, ont les mouvements égaux, à l’exception de ceux de Mercure et de la lune; ou bien, des révolutions périodiques du soleil, de Vénus et de Mercure, qu’on croyait être d’une égale durée. — Mais il n’est pas probable que Maïmonide ait comparé entre eux des mouvements d’une nature aussi diverse. Il se peut qu’en disant que certaines sphères qui ont le mouvement plus rapide sont au-dessus de celles qui ont le mouvement plus lent, il veuille parler de la planète de Mercure, qui, selon une opinion qui lui paraît probable (voy. ci-dessus, chap. IX), se trouve au-dessus du soleil, et dont le mouvement périodique vrai est moins long que celui du soleil; car on lui attribuait une durée de dix mois environ. (Voy. Abravanel, l. c.) Par les planètes aux mouvements égaux et dont le mouvement périodique s’accomplit dans le même espace de temps ou à peu près, Maïmonide entend peut-être Vénus et le soleil. Cependant nous n’osons rien affirmer à cet égard; car il y a beaucoup de divergence dans les données qu’on trouve chez les astronomes arabes sur les révolutions périodiques de Mercure et de Vénus, et il faudrait savoir quelles étaient les données adoptées par Maïmonide. Cf. Almageste, liv. IX, chap. III et suiv.. Il y a encore d’autres choses (qui deviennent) très difficiles, dès qu’on se place au point de vue de la nécessité(1)Plus littéralement: A l’égard de l’opinion (qui admet) que la chose est par nécessité., et je leur consacrerai un chapitre particulier de ce traité(2)Voy. ci-après le chap. XXIV, où l’auteur fait ressortir tout ce que les hypothèses des épicycles et des excentriques ont d’invraisemblable et de contraire à la nature..", "En somme, Aristote, reconnaissant sans doute la faiblesse de ce qu’il dit pour motiver ces choses et en indiquer les causes, a mis en tête, en abordant ces recherches, des paroles dont voici le texte: «Nous voulons maintenant examiner soigneusement deux questions qu’il est nécessaire d’examiner, et nous en dirons ce que comportent notre intelligence(3)Tous les mss. ont עקולנא, et la version d’Ibn-Tibbon (édit. princeps) a שכלינו au pluriel, nos intelligences; mais il faut peut-être considérer ici le mot comme un nom d’action., notre science et notre opinion; mais personne ne doit pour cela nous taxer d’outrecuidance et d’audace. On doit, au contraire, admirer notre passion et notre zèle pour la philosophie; et quand nous examinons les questions grandes et nobles(4)Les mss. portent généralement: אלמסאיל אלגׄזילה̈ אלשריפה̈, et la version d’Ibn-Tibbon a: השאלות המעולות הנכבדות; mais deux versions arabes-latines du texte d’Aristote ont, l’une quœstiones disputabiles, l’autre quœstiones topicas, ce qui fait supposer que leur texte arabe portait: . Il paraît que cette leçon se trouvait aussi dans quelques mss. ar. du Guide, et qu’elle fut plus tard adoptée par Ibn-Tibbon; car, dans un ms. de la version de ce dernier (ms. hébr. de la Biblioth. imp., n° 238, fol. 185 a), on lit: השאלות המחלקיות הנכבדות, et ces mots sont accompagnés de la glose suivante פי׳ כי מלאכת מחלוקת הנצוח יש לה להניח שאלות בכל דבר ולבקש אמתתם והיא כהצעה למלאכת המופת לבוא ולבאר האמת בהם. et que nous parvenons à leur donner une solution tant soit peu solide, l’auditeur doit éprouver un grand plaisir et être dans la joie(1)Ce passage est tiré du traité du Ciel, liv. II, chap. 12, où Aristote examine les deux questions suivantes: 1° Pourquoi les mouvements respectifs de chaque planète n’augmentent pas en raison de leur distance de la sphère supérieure, qui n’a qu’un seul mouvement? car nous voyons, au contraire, que le soleil et la lune ont moins de mouvements que les planètes situées au-dessus, quoique celles-ci soient plus éloignées du centre et plus rapprochées de la sphère supérieure. 2° Pourquoi la sphère supérieure a un grand nombre d’étoiles, tandis que chacune des sphères inférieures n’en a qu’une seule? — La version arabe n’est qu’une paraphrase très libre du texte grec, dont nous nous contentons de citer le commencement: δυοῖν δ’ἀπορίαιν οὔσαιν, περὶ ὧν εἰϰότως ἄν ὁστισοῦν ἀπορήσειε, πειρατέον λἑγειν τὸ φαινόμενον. Ce qui veut dire: «Comme il existe deux difficultés qui pourraient à bon droit embarrasser chacun, il faut essayer de dire ce qu’il nous en semble.» On voit que les mots τὸ φ ανόμενον, id quod videtur, ont été paraphrasés, en arabe, par ce que comportent notre intelligence, notre science et notre opinion. Maïmonide s’est donc donné une peine inutile, en expliquant plus loin, d’une manière très subtile, ce qu’Aristote a voulu dire par les trois mots intelligence, science et opinion; car pas un seul de ces mots ne se trouve dans le texte grec. — Les deux versions arabes-latines du traité du Ciel n’ont pas le mot intelligence. Celle de Michel Scott (publiée sous le nom de Paul Israélite) porte: «Et volumus modo perscrutari de duabus quæstionibus, de quibus oporlet perscrutatorem perscrutari; et dicemus in eis secundum nostram scientiam et nostram opinionem.» L’autre version, anonyme et inédite (ms. lat. de la Biblioth. imp., fonds de Saint-Victor, n° 872, fol. 147), a les termes suivants: «Volo autem nunc inquirere de duabus quæstionibus inquisitione sufficiente; convenit autem ut inquirat de his inquisitor. Dicam ergo in utrisque secundum summam scientiœ nostrœ et nostrœ sententiœ.» Tels sont ses propres termes. Il est donc clair qu’il reconnaissait indubitablement la faiblesse de ce qu’il disait à cet égard; d’autant plus que la science des mathématiques était encore imparfaite de son temps, et qu’on ne savait pas alors ce que nous savons aujourd’hui à l’égard des mouvements de la sphère céleste. Il me semble que, si Aristote dit, dans la Métaphysique, qu’on doit supposer une intelligence séparée pour chaque sphère, c’est également à cause du sujet en question, (c’est à-dire) afin qu’il y ait une chose qui donne un mouvement particulier à chaque sphère(1)L’auteur veut dire que, les raisons qu’Aristote donne (dans le traité du Ciel) des mouvements divers des planètes ayant paru insuffisantes, c’est sans doute pour cela qu’il suppose à chaque sphère une intelligence séparée, qui concourt à en déterminer le mouvement particulier. Le passage auquel il est fait allusion se trouve au liv. XII de la Mélaphys., chap. VIII.. Mais nous allons montrer qu’il ne gagne rien par là.", "Quant à ce qu’il dit, dans le texte que j’ai cité: «ce que comportent notre intelligence, notre science et notre opinion,» je vais t’en expliquer le sens; car je ne l’ai vu (exposé) par aucun des commentateurs. Par les mots notre opinion, il indique le point de vue de la nécessité, c’est-à dire l’opinion de l’éternité du monde. Les mots notre science indiquent cette chose évidente sur laquelle on est d’accord, (à savoir) que chacune de ces choses (célestes) a nécessairement une cause et n’arrive point par un simple hasard. Les mots notre intelligence signifient: notre impuissance à indiquer, d’une manière tout à fait parfaite, les causes de pareilles choses; cependant, il prétend pouvoir en dire quelque peu de chose. Et c’est en effet ce qu’il a fait; car ce qu’il dit de la rapidité du mouvement universel et de la lenteur qu’a la sphère des étoiles fixes, (son mouvement) prenant une direction opposée, est un raisonnement étrange et étonnant(2)Voy. ci-dessus p. 153, note 1. Sur la raison pourquoi les sphères ont le mouvement plus lent à mesure qu’elles sont plus rapprochées de la sphère supérieure (diurne), Aristote s’exprime en ces termes (du Ciel, II, 10): τὸ μὲν γὰρ ἐγγυτάτω μάλιστα ϰρατεῖται, τὸ δὲ πορρωτάτω πάντων ἥϰιστα διὰ τὴν ἀπόστασιν. Le sens est: que les sphères les plus rapprochées du mouvement diurne, qui va d’orient en occident, subissent le plus l’influence de ce mouvement, de sorte que leur mouvement opposé d’occident en orient est plus faible; et au contraire, celles qui sont le plus éloignées du mouvement diurne sont moins arrêtées dans leur mouvement opposé, qui, par conséquent, est plus fort et plus rapide. — Ce raisonnement, en effet, paraît rationnel (εὔλογον), comme dit Aristote. Si Maïmonide le trouve étrange et étonnant, c’est probablement parce que la lenteur ou la rapidité du mouvement périodique des sphères (d’occident en orient) n’est pas proportionnée à leur distance respective de la sphère supérieure, ou bien parce que, selon lui, il y a telle sphère plus rapide que telle autre, et qui cependant se trouve au-dessus de cette dernière. Le mot מסתגרבה̈, étrange, n’est pas rendu dans la version hébraïque d’Ibn-Tibbon, ni dans celle d’Al-’Harîzi.. De même il dit qu’à mesure qu’une sphère est plus éloignée de la huitième, il faut que son mouvement soit plus rapide; et pourtant il n’en est pas toujours ainsi, comme je te l’ai exposé(1)Voy. ci-dessus p. 154, et ibid., note 1.. Et ce qui est encore plus grave que cela, c’est qu’il y a aussi des sphères au-dessous de la huitième qui se meuvent de l’orient à l’occident; il faudrait donc que celles qui se meuvent de l’orient à l’occident fussent (chacune d’elles) plus rapides que celles qui sont au-dessous, et que (généralement) celles dont le mouvement part de l’orient fussent plus rapides, à mesure qu’elles sont plus près du mouvement (diurne) de la neuvième(2)Selon Abravanel (l. c., fol. 8 a), Maïmonide veut parler du mouvement rétrograde des nœuds des planètes, qui va d’orient en occident. En effet, il n’est guère possible d’expliquer autrement ce passage; car aucune des sphères des planètes n’a un mouvement naturel d’orient en occident. Comme on imaginait des sphères pour chaque mouvement, on en attribuait aussi au mouvement rétrograde des nœuds. Ainsi les Arabes donnent aux nœuds de la lune une sphère qu’ils appellent , ce que les auteurs juifs rendent par גלגל התנין (voy. Yesôd ’olâm, liv. III, chap. VIII). Or, le mouvement des nœuds des planètes qui sont au-dessus de la lune est d’une lenteur extrême et presque insensible, par rapport au mouvement des nœuds de la lune, qui, selon Maïmonide, parcourent en une année 18°, 44′, 42″ (voy. Abrégé du Talmud, traité Kiddousch ha-hodesch, chap. XVI, § 2). Mais, selon les principes posés par Aristote, les sphères qui se meuvent d’orient en occident devraient avoir un mouvement plus rapide, à mesure qu’elles sont plus rapprochées de la sphère diurne et qu’elles subissent plus l’influence de cette dernière. Tel paraît être le sens de l’objection de Maïmonide, quelque subtile qu’elle puisse paraître. Sur les nœuds et leurs mouvements, cf. Riccioli, Almagestum novum, t. I, pars I, p. 502.. Mais, comme je te l’ai déjà fait savoir, la science astronomique n’était pas de son temps ce qu’elle est aujourd’hui.", "Sache que, selon notre opinion à nous tous qui professons la nouveauté du monde, tout cela est facile et marche bien (d’accord) avec nos principes; car nous disons qu’il y a un être déterminant, qui, pour chaque sphère, a déterminé comme il l’a voulu la direction et la rapidité du mouvement, mais que nous ignorons le mode de cette sagesse qui a fait naître telle chose de telle manière. Si Aristote avait été capable de nous donner la raison de la diversité du mouvement des sphères, de manière que tout fût en harmonie avec leur position réciproque, comme il le croyait, c’eût été à merveille; et alors il en eût été de la cause de ce qu’il y a de particulier (pour chaque sphère) dans cette diversité des mouvements, comme il en est de la cause de la diversité des éléments à l’égard de leur position (respective) entre la circonférence et le centre (de l’univers)(1)C’est-à-dire: La diversité qu’on remarque dans le mouvement des sphères aurait pu se ramener à une cause physique, aussi bien qu’on peut expliquer, au point de vue physique, pourquoi les quatre éléments occupent des positions diverses, les uns vers le centre, les autres vers la circonférence.. Mais la chose n’est pas ainsi réglée, comme je te l’ai exposé.", "Ce qui rend encore plus évidente l’existence de la détermination(2)Voy. ci-dessus p. 146, note 3. dans la sphère céleste, de sorte que personne ne saurait lui trouver d’autre cause déterminante que le dessein d’un être agissant avec intention, c’est la manière d’exister des astres. En effet, la sphère étant toujours en mouvement et l’astre restant toujours fixe(3)Voy. ci-dessus chap. VIII, p. 78, et ibid., note 4., cela prouve que la matière des astres n’est pas la même que celle des sphères. Déjà Abou-Naçr (Al-Farâbi), dans ses gloses sur l’Acroasis, s’est exprimé dans les termes suivants: «Entre la sphère et les astres il y a une différence; car la sphère est transparente, tandis que les astres ne le sont pas. La cause en est qu’il y a entre les deux matières et entre les deux formes une différence, quoique petite.» Telles sont ses expressions. Moi cependant je ne dis pas petite, mais (je dis) qu’elles diffèrent beaucoup; car j’en tire la preuve, non pas de la transparence, mais des mouvements. Il est donc clair pour moi qu’il y a trois matières et trois formes: 1° des corps qui, en eux-mêmes, sont toujours en repos, et ce sont les corps des astres; 2° des corps qui sont toujours en mouvement, et ce sont les corps des sphères; 3° des corps qui tantôt se meuvent, tantôt sont en repos, et ce sont les éléments. Or, je voudrais savoir ce qui a pu réunir ensemble ces deux matières(1)C’est-à-dire, la matière des astres et celle des sphères., — entre lesquelles il y a une différence extrême, comme il me semble, ou (tout au moins) une petite différence(2)Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 102) fait observer, avec raison, que Maïmonide se sert ici improprement du mot (qui signifie diversité ou variété), et qu’il fallait dire , comme dans le texte d’Abou-Naçr., comme le dit Ahou-Naçr, — et qui est celui qui a préparé cette union ? En somme, deux corps divers, dont l’un est fixé dans l’autre, sans y être mêlé, et se trouvant, au contraire, circonscrit dans un lieu particulier de ce dernier et fortement attaché, (tout cela) sans le dessein d’un être agissant avec intention, ce serait là une chose étonnante(3)L’auteur veut dire qu’il serait bien étonnant que l’astre fût fixé dans sa sphère par suite d’une loi physique et nécessaire, et que cela ne peut s’expliquer que par la volonté du Créateur agissant librement et dans une certaine intention. Mais, ce qui est encore plus étonnant, ce sont ces étoiles nombreuses qui se trouvent dans la huitième (sphère), toutes des globes, les unes petites, les autres grandes, ici une étoile, là une autre [en apparence à la distance d’une coudée], ici dix (étoiles) agglomérées ensemble, là une grande bande sans rien. Quelle est donc la cause qui distingue particulièrement cette bande par dix étoiles et cette autre par le manque d’étoiles ? Enfin, le corps de la sphère est un seul corps simple, sans diversité; par quelle cause donc telle partie de la sphère convient-elle à l’astre qui s’y trouve, plutôt que telle autre? Tout cela, comme tout ce qui est de la même espèce, serait très invraisemblable, ou plutôt toucherait à l’impossible, si l’on admettait que tout vient de Dieu par nécessité, comme le pense Aristote. Mais, dès qu’on admet que tout est dû au dessein d’un être agissant avec intention et qui l’a fait ainsi, il ne reste plus rien dont il faille s’étonner(1)Littéralement: Aucun étonnement n’accompagne cette opinion., ni absolument rien d’invraisemblable; et il n’y a plus lieu de scruter, à moins que tu ne demandes: quelle est la cause de ce dessein ?", "Tout ce qu’on sait, en somme, c’est que tout cela a lieu pour une raison que nous ne connaissons pas, mais que ce n’est pas cependant une œuvre inutile, ni due au hasard. En effet, tu sais que les veines et les nerfs de l’individu chien ou âne ne sont pas l’œuvre du hasard, ni n’ont fortuitement telle mesure, et que ce n’est pas non plus par le simple hasard que telle veine est grosse et telle autre mince, que tel nerf se déploie en beaucoup de branches tandis que tel autre ne se déploie pas ainsi, que l’un descend tout droit tandis qu’un autre se replie sur lui-même; car rien de tout cela n’a lieu que pour certains avantages dont on connaît la nécessité. Et comment donc un homme intelligent pourrait-il s’imaginer que les positions de ces astres, leurs mesures, leur nombre et les mouvements de leurs sphères diverses soient sans raison, ou l’œuvre du hasard ? Il n’y a pas de doute que chacune de ces choses ne soit nécessaire par rapport au dessein de celui qui a agi avec intention, et il est très difficile de concevoir que cet ordre des choses vienne d’une (aveugle) nécessité, et non pas d’un dessein.", "Il n’y a pas, selon moi, de plus grande preuve du dessein que la variété des mouvements des sphères et les astres fixés dans les sphères; c’est pourquoi tu trouveras que tous les prophètes ont pris les astres et les sphères pour preuve qu’il existe nécessairement un Dieu. Ce que la tradition sur Abraham rapporte de son observation des astres est très connu(1)Le Talmud rapporte qu’Abraham possédait de grandes connaissances astronomiques, et que tous les rois d’Orient et d’Occident venaient le consulter. Voy. Talmud de Babylone, Baba-Bathra, fol. 16 b; Yoma, fol. 28 b; cf. Josèphe, Antiquités, liv. I, chap. 8, § 2.. Isaïe dit, pour appeler l’attention sur les preuves qu’on peut en tirer: Elevez vos yeux vers le haut et voyez; qui a créé ces choses ? etc. (Is., XL 26). De même Jérémie dit: Celui qui a fait les cieux(2)L’auteur a fait ici une erreur de mémoire; les mots עושה השמים ne se trouvent nulle part dans Jérémie. Il a pensé probablement à ce passage de Jérémie (32, 17): O Seigneur Éternel! c’est toi qui as fait les cieux, etc.; ou à cet autre passage (X, 12; LI, 15): עושה ארץ בכחו וכו׳, celui qui a fait la terre par sa force, etc.. Abraham a dit: l’Eternel, Dieu des cieux (Genèse, 24, 7), et le prince des prophètes: Celui qui chevauche sur les cieux (Deutér., 33, 26), ce que nous avons expliqué(3)Voy. le t. I, chap. LXX, p. 324.. Et c’est là en effet la véritable preuve, dans laquelle il n’y a rien de douteux. Je m’explique: S’il y a au-dessous de la sphère céleste tant de choses diverses, bien que leur matière soit une, comme nous l’avons exposé, tu peux dire que ce qui les a particularisées, ce sont les forces des sphères et les différentes positions de la matière vis-à-vis de la sphère céleste, comme nous l’a enseigné Aristote. Mais, pour ce qui est des diversités qui existent dans les sphères et les astres, qui a pu les particulariser, si ce n’est Dieu? car, si quelqu’un disait (que ce sont) les intelligences séparées, il n’aurait rien gagné par cette assertion. En effet, les intelligences ne sont pas des corps, de sorte qu’ils puissent avoir une position vis-à-vis de la sphère; pourquoi donc alors ce mouvement de désir (qui attire chaque sphère) vers son intelligence séparée(4)Voy. ci-dessus chap. IV, p. 54-56., telle sphère le ferait-elle vers l’orient et telle autre vers l’occident? Crois-tu que telle intelligence soit du côté de l’occident et telle autre du côté de l’orient? Pourquoi encore telle (sphère) seraitelle plus lente et telle autre plus rapide, sans même qu’il y eût en cela une suite (régulière) en rapport avec leur distance (respective) les unes des autres(1)Cf. ci-dessus, p. 157, note 2., comme tu le sais? Il faudrait donc dire nécessairement que c’est la nature même de telle sphère et sa substance qui ont exigé qu’elle se mût vers tel côté et avec tel degré de vitesse, et que le résultat de son désir fût telle chose (obtenue) de telle manière. Et c’est en effet ce que dit Aristote et ce qu’il proclame clairement(2)Voy. ci-dessus p. 152, note 3, et p. 153, n. 1..", "Nous voilà donc revenus à notre point de départ, et nous disons: Puisque toutes (les sphères) ont une seule et même matière, qu’est-ce donc qui peut faire qu’elles se distinguent les unes des autres par une nature particulière(3)Plus littéralement: Grâce à quoi l’une se distingue-t-elle par une (certaine) nature à l’exclusion de la nature de l’autre., et que les unes aient un certain désir produisant telle espèce de mouvement et opposé au désir des autres produisant telle autre espèce de mouvement ? ne faut-il pas nécessairement quelque chose qui les particularise? — Cette considération nous a conduit à examiner deux questions. L’une (est celle-ci): peut-on, ou non, conclure de l’existence de cette diversité que tout se fasse nécessairement par le dessein d’un être ayant une intention, et non par nécessité? La deuxième question (est celle ci): Supposé que tout cela soit dû au dessein d’un être ayant une intention et qui ait ainsi particularisé les choses, peut-on conclure de là que tout ait été créé après ne pas avoir existé? ou bien, doit-on ne pas en tirer cette conclusion et admettre au contraire que cette particularisation a eu lieu de toute éternité(4)Littéralement: Que celui qui l’a particularisé (ou déterminé) n’a jamais cessé (d’agir) ainsi.? — car cette opinion(5)C’est-à-dire, l’opinion qui attribue tout à un être agissant avec intention et volonté, et non à une aveugle nécessité. a été professée aussi par quelques-uns de ceux qui admettent l’éternité (du monde). Je vais donc, dans les chapitres suivants, aborder ces deux questions et en exposer ce qui est nécessaire." ], [ "Aristote démontre que les choses physiques en général n’arrivent pas par le hasard, et la démonstration qu’il en donne est celle-ci: les choses du hasard n’arrivent ni continuellement, ni même le plus fréquemment(1)Sur le mot , voy. le t. I, p. 300, note 2. Il correspond ici aux mots grecs ἐπὶ πολύ, dont se sert Aristote dans cette démonstration. Voy. Phys., liv. II, au commencement du chap. V.; mais toutes ces choses (physiques) arrivent ou continuellement, ou (du moins) très fréquemment. Quant au ciel, avec tout ce qu’il renferme, il reste continuellement dans certaines situations, sans subir aucun changement, comme nous l’avons exposé, ni dans son essence même, ni en changeant de place. Mais les choses physiques qui sont au dessous de la sphère de la lune ont lieu, les unes continuellement, les autres le plus fréquemment: continuellement, comme, par exemple, le feu qui chauffe et la pierre qui descend vers le bas; le plus fréquemment, comme, par exemple, les figures des individus de chaque espèce et ses actions(2)C’est-à-dire, le plus fréquemment, les individus d’une même espèce ont les mêmes figures et contours, sauf de rares exceptions, et de même il émane de chaque espèce certaines actions qui font rarement défaut.. Tout cela est clair. Or, puisque les choses partielles (du monde)(3)On ne voit pas à quoi se rapporte le suffixe masculin des mots et כלה; il faut sous-entendre אלעאלס, du monde. ne sont pas dues au hasard, comment le tout le serait-il? Il est donc démontré que ces êtres ne sont point l’œuvre du hasard. ", "Voici comment s’exprime Aristote, en réfutant ceux d’entre les anciens qui prétendaient que ce monde est venu du hasard et qu’il est né spontanément, sans cause: «D’autres, dit-il, ont donné pour cause de ce ciel et de tous les mondes la spontanéité(1)Les mots arabes תלקא אנפסהא correspondent, dans le texte grec, à τὸ αὐτόματον, et doivent être considérés, en quelque sorte, comme un substantif composé, dont la traduction littérale serait: le sua sponte, la spontanéité. Cf. ci-dessus, p. 17, à la fin de la XVIIe proposition, où les mots correspondent aux mots grecs ὑφ’ ἑαυτοῦ. — La traduction arabe de ce passage d’Aristote est presque littérale, sauf quelques légères variantes, que nous retrouvons aussi dans la version arabe-latine. Voy. Phys., liv. II, chap. 4: Ἐισἰ δε τινες οὶ ϰαὶ τοὐρανοῦ τοῦδε ϰαὶ ϰοσμιϰῶν πάντων αἰτιῶνται τὸ αὐτόματον, ϰ. τ.).; car, disent ils, c’est spontanément que naît la révolution ainsi que le mouvement qui a tout distingué et constitué dans cet ordre. Mais il y a en cela quelque chose de fort étonnant: ils disent (d’une part), des animaux et des plantes, qu’ils ne sont ni ne naissent par le hasard, mais qu’ils ont pour cause, soit une nature, soit une intelligence, soit quelque autre chose de semblable; car toute chose quelconque ne naît pas de toute semence ou de tout sperme (quelconque), mais de telle semence il naît un olivier, et de tel sperme il naît un homme. Et (d’autre part), ils disent du ciel et des corps qui (seuls) parmi tous les corps visibles sont (véritablement) divins(2)Maïmonide, interrogé par Samuel ibn-Tibbon sur le sens précis de ces paroles d’Aristote, lui donna, dans la lettre déjà citée (ci-dessus, p. 21 et 24), l’explication suivante: «Le sens est: Tous les corps visibles, c’est-à-dire perçus par le sens de la vue, comme, par exemple, la terre, l’eau, l’or, l’argent et d’autres choses semblables, on les appelle seulement visibles, et on y comprend aussi le ciel et les astres; mais ces derniers seuls d’entre tous les corps visibles, les philosophes les appellent par excellence les corps divins. Et de même ils appellent la sphère céleste le corps divin, voulant dire par là qu’elle est, selon leur opinion, le corps qui est stable comme Dieu lui-même., qu’ils ne sont nés que spontanément et qu’ils n’ont absolument aucune cause, comme en ont les animaux et les plantes.» Telles sont ses expressions, et il entre dans de longs détails pour montrer la fausseté de ce qu’ils ont présumé.", "Il est donc clair qu’Aristote croit et démontre que tous ces êtres n’existent pas par le hasard; ce qui réfute (l’opinion qui admet) qu’ils sont l’œuvre du hasard, c’est qu’ils existent essentiellement, c’est-à-dire qu’ils ont (évidemment) une cause qui veut qu’ils soient nécessairement ainsi, et par cette cause ils existent tels qu’ils sont. Voilà ce qui a été démontré et ce que croit Aristote. Mais (quant à la question de savoir) si, de ce qu’ils ne sont pas nés spontanément, il s’ensuit nécessairement qu’ils sont l’œuvre d’un dessein et d’une volonté libre(1)Littéralement: qu’ils sont par le dessein d’un (être) agissant avec intention et par la volonté d’un voulant., il ne m’est pas prouvé qu’Aristote croie cela; car, réunir ensemble l’existence par nécessité et la naissance par un dessein et une volonté, de manière à en faire une seule et même chose, voilà ce qui me paraît bien près de la réunion de deux choses opposées. En effet, l’idée de la nécessité admise par Aristote est (celle-ci): que tout ce qui d’entre les êtres n’est pas le produit de l’art a nécessairement une cause qui l’a produit et formé tel qu’il est; cette cause a une deuxième cause, celle-ci une troisième, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on arrive à une cause première de laquelle tout est émané; car on ne saurait admettre un enchaînement (de causes) à l’infini. Mais il ne croit pas pour cela que l’existence du monde résulte nécessairement du Créateur, je veux dire de la cause première, comme l’ombre résulte du corps, ou comme la chaleur résulte du feu, ou comme la lumière résulte du soleil, comme le soutiennent de lui ceux qui ne comprennent pas ses paroles. Il croit, au contraire, qu’il en est de cette nécessité à peu près comme (quand nous disons que) l’intelligible résulte nécessairement de l’intellect, l’intellect étant l’efficient de l’intelligible en tant qu’intelligible(1)Voici le sens de ce passage: Aristote, tout en considérant l’existence du monde comme une chose nécessaire, ne croit pas pour cela que le monde soit l’œuvre d’une fatalité aveugle et qu’il soit issu d’une cause qui agit sans avoir la conscience de son œuvre, comme le corps, qui fait l’ombre; mais il croit, au contraire, que Dieu agit avec pleine conscience et qu’il est l’efficient du monde, comme l’intellect est l’efficient de l’intelligible, lequel, comme intelligible, est nécessairement pensé et compris par l’intellect.; car, même selon lui (Aristote), cette cause première est un intellect au rang le plus élevé et le plus parfait de l’être. Mais, bien qu’il dise que Dieu veut ce qui émane de lui, qu’il en a de la joie et du plaisir(2)Cf. Métaph., XII, 7: ἐπεἰ ϰαὶ ἡ ἡδονὴ ἐνέργεια τούτου, ϰ. τ. λ. et qu’il ne pourrait vouloir le contraire, on ne saurait appeler cela dessein(3)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ולזה לא יאמר לזה כונה, ms. ולא יאמר וכו׳. Al-’Harîzi a mieux rendu ce passage: ואפילו אם יאמר כי הוא רוצה מה שיתחייב ממנו ···· לא יאמר לזה כונה ♦, et il n’y a pas là l’idée du dessein. En effet, l’homme désire avoir deux yeux et deux mains, il en éprouve de la joie et du plaisir, et il ne saurait vouloir le contraire; mais si tel individu a deux yeux et deux mains, ce n’est pas par un dessein (venant de lui), ni parce qu’il veut particulièrement telle figure et telles actions. L’idée du dessein et celle de la détermination ne s’appliquent qu’à une chose qui n’existe pas encore et qui peut exister ou ne pas exister telle qu’on l’a projetée ou déterminée. ", "Je ne sais (du reste) si les modernes(4)C’est-à-dire, ceux qui, tout en admettant l’éternité du monde, soutiennent qu’il y a de la part de Dieu dessein et détermination. Voy. à la fin du chapitre précédent. ont compris les paroles d’Aristote, disant que les choses ont nécessairement une cause(5)Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi ont: שתי סבות, deux causes; c’est qu’au lieu des deux mots סבב אן, ils ont lu סבבאן, au duel, ce qui d’ailleurs serait une faute, car il faudrait le génitif סבבין. Un de nos mss. a, en effet, cette dernière forme, mais ce n’est là qu’une prétendue correction du copiste., dans le sens du dessein et de la détermination; ou bien, s’ils l’ont contredit sur ce point et si ce sont eux qui ont préféré l’opinion du dessein et de la détermination, croyant qu’elle n’est pas en contradiction avec l’éternité (du monde).", "— Après cet exposé, j’aborde l’opinion de ces modernes." ], [ "Sache que, parmi les philosophes modernes qui professent l’éternité du monde, il y en a qui disent que Dieu est l’efficient du monde, dont il a préféré l’existence (à la non-existence), qu’il l’a fait avec dessein et l’a déterminé tel qu’il est, mais qu’il est inadmissible que cela ait eu lieu dans un temps plutôt que dans un autre, et qu’au contraire, cela a toujours été et sera toujours ainsi. Ce qui fait, disent-ils, que nous ne saurions nous figurer qu’un agent ait fait quelque chose sans que cet agent ait précédé son action dans le temps, c’est que dans ce que nous faisons, nous autres, il en est nécessairement ainsi; car, dans tout agent de celte sorte(1)C’est-à-dire, dans tout agent qui agit de la manière dont nous agissons., il y a une certaine privation: il est (d’abord) agent en puissance, et, après avoir agi, il a passé à l’acte. Mais Dieu, dans lequel il n’y a point de privation, ni absolument rien qui soit en puissance, ne précède point son action; au contraire, il n’a jamais cessé d’agir, et de même qu’il y a une immense différence entre son essence et la nôtre, de même aussi le rapport qui existe entre son action et lui diffère de celui qui existe entre notre action et nous. Ils font le même raisonnement sur la détermination et la volonté; car, peu importe que tu dises agent, ou voulant, ou agissant avec dessein, ou préférant, ou déterminant, (tous ces mots) ayant le même sens(2)C’est-à-dire: De même que son action n’a pu commencer dans le temps, de même sa volonté, sou dessein, etc., ont nécessairement existé de toute éternité.. Il est inadmissible, disent-ils encore, que son action ou sa volonté soit sujette au changement, ainsi que nous l’avons exposé(1)Voy. ci-dessus chap. XIII, p. 112..", "Il est donc clair pour toi, ô lecteur de mon présent traité, que ceux-là ont bien changé le mot nécessité, mais en ont laissé subsister l’idée. Peut-être ont-ils eu pour but de choisir une plus belle expression, ou (du moins) d’écarter quelque chose de malsonnant(2)C’est-à-dire: Ils croyaient peut-être qu’il était plus digne de Dieu de l’appeler efficient ou agent, et ils voulaient peut-être éviter les expressions malsonnantes de cause première et de nécessité. (Cf. le t. I, au commencement du chap. LXIX).; car (si l’on dit) que l’univers est intimement lié à sa cause, — qui est Dieu, comme le dit Aristote, — et qu’il participe de sa perpétuité, c’est absolument la même idée que lorsqu’ils disent que le monde vient de l’action de Dieu, ou (qu’il a été fait) par son dessein, sa volonté, son choix et sa détermination, mais qu’il n’a jamais cessé et ne cessera jamais d’être tel qu’il est, de même que le lever du soleil est indubitablement l’efficient du jour, sans que l’un précède temporellement l’autre. Mais ce n’est pas là l’idée du dessein(3)C’est-à-dire, du dessein ou de l’intention que nous attribuons à Dieu. Ibn-Tibbon a ajouté les mots היטם יתעלה pour plus de clarté. tel que nous l’envisageons; au contraire, nous voulons dire par là que le monde n’est pas nécessairement émané de Dieu, comme l’effet émane de sa cause, de laquelle il est tellement inséparable qu’il ne peut changer sans que la cause elle-même subisse un changement, ou que (du moins) elle change à l’égard d’une de ses conditions. Quand tu auras ainsi compris l’idée (du dessein), tu reconnaîtras combien il est faux de dire que le monde est une conséquence nécessaire de l’existence de Dieu, comme l’effet l’est de la cause, et (tu sauras) qu’il est venu de l’action (libre) de Dieu ou (qu’il existe) par sa détermination.", "Après avoir ainsi exposé le sujet, nous arrivons à examiner (la question de) cette diversité qui existe dans le ciel et qui, comme il a été démontré, a nécessairement une cause; (et nous demandons) si cette cause, par son existence même, a motivé et rendu nécessaire cette diversité(1)Littéralement: Si cette cause est la raison de cette diversité et si cela résulte nécessairement de son existence., ou bien si elle est l’efficient de cette diversité qui l’a déterminée(2)Le participe , qui se rapporte à אלפאעל, l’efficient, doit être prononcé à la forme active; les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont le participe passif המיוחדת, mais les mss. ont המיחרת. de la manière que nous croyons, nous, les sectateurs de Moïse, notre maître? Nous répondrons à cela, après avoir fait d’abord une observation préliminaire pour expliquer le sens de la nécessité admise par Aristote, afin que tu en conçoives l’idée; et ensuite je t’exposerai la préférence que je donne à l’opinion de la nouveauté du monde, (appuyée) par des preuves spéculatives, philosophiques et pures de tout faux raisonnement.", "S’il dit que l’Intelligence première est nécessairement émanée de Dieu, la deuxième Intelligence de la première et la troisième de la deuxième, et de même, s’il pense que les sphères sont émanées des Intelligences et (s’il proclame) cet ordre bien connu que tu as pu étudier dans les passages y relatifs et que nous avons ici exposés en abrégé(3)Voy. ci-dessus chap. IV, où l’auteur a parlé de l’ordre des Intelligences et des sphères, en attribuant à Aristote les théories des péripatéticiens arabes., il est clair qu’il ne veut pas dire par là que telle chose ait existé d’abord, et qu’ensuite soit née d’elle cette autre chose qui en est la conséquence nécessaire; car il n’admet la naissance d’aucune de ces choses. En disant conséquence nécessaire, il ne veut parler que de la causalité, comme s’il disait: l’Intelligence première est la cause de l’existence de la deuxième Intelligence, celle-ci est la cause de l’existence de la troisième, et ainsi de suite; et il en est de même de ce qu’il dit des sphères et de la matière première(4)C’est-à-dire, de la matière des choses sublunaires, qui émane des sphères, lesquelles, à leur tour, émanent des Intelligences., car toutes ces choses ne se précèdent point les unes les autres et n’existent point, selon lui, les unes sans les autres(1)Littéralement: Et aucune de toutes ces choses ne précède l’autre et n’existe, selon lui (Aristote), sans elle.. Il en est, par exemple, comme si quelqu’un disait que, des qualités premières(2)Voy. ci-dessus p. 148, notes 1 et 2., résultent nécessairement l’aspérité, le lisse, la dureté, la mollesse, l’épaisseur et la qualité spongieuse(3)Ibn-Tibhon, n’ayant pu trouver de mots hébreux pour désigner toutes ces qualités secondaires, a mis pour les deux premières, החלקות והפכו, le lisse et son opposé, et pour les deux dernières, הספוגיות והפכו, la qualité spongieuse et son opposé. Al-’Harîzi traduit: הגס והחלק והקשה והרך והעבה והפכו.; car personne ne met en doute que ce ne soient celles-là (les qualités premières), je veux dire la chaleur, la froideur, l’humidité et la sécheresse, qui aient fait naître l’aspérité, le lisse, la dureté, la mollesse, l’épaisseur, la qualité spongieuse et autres choses semblables, et que ces dernières ne soient nécessairement émanées des qualités premières, quoiqu’il soit impossible qu’il existe un corps qui, possédant les qualités premières, soit dénué de ces qualités secondaires(4)L’auteur veut dire que, bien qu’il soit évident que les deux espèces de qualités existent simultanément, et que les qualités premières ne précèdent point temporellement les qualités secondaires, on dit pourtant que celles-ci sont émanées des premières, comme l’effet émane de la cause. Ibn-Tibbon ajoute, dans sa version, ces mots explicatifs: שאין נופל בזה ענין החרוש אך ענין הסבה. «Et il ne s’agit point ici de l’idée de naissance, mais de l’idée de cause. C’est donc absolument de la même manière qu’Aristote dit(5)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont: ויאמר ארסטו; il faut lire יאמר, sans le ו conjonctif, comme l’ont les mss. Al-’Harîzi: על זה הדמיון בעצמו אמר ארסטו., de l’univers en général, que telle chose est nécessairement émanée de telle autre, jusqu’à ce qu’on arrive à la cause première, comme il s’exprime, lui, ou à l’Intelligence première, ou(6)Il faut ajouter, dans la version d’Ibn-Tibbon, le mot או, qui se trouve dans les mss. — Dans la phrase suivante: כי בלגו וכן׳, il faut effacer le mot כי, que les mss. n’ont pas, mais qui se trouve aussi dans la version d’Al-’Harîzi. n’importe comme tu voudras l’appeler. Nous avons tous en vue un seul et même principe; mais lui, il pense que tout ce qui est en dehors (de ce principe) en est émané par nécessité, comme je l’ai dit, tandis que nous, nous disons que c’est Dieu qui a fait toutes ces choses avec dessein et en voulant cet univers, qui n’a pas existé d’abord et qui maintenant a été appelé à l’existence par la volonté de Dieu. Je vais maintenant, dans les chapitres suivants, produire les preuves qui me font donner la préférence (l’opinion qui admet) que le monde a été créé." ], [ "C’est une proposition sur laquelle Aristote et tous les philosophes sont d’accord, que d’une chose simple il ne peut émaner (directement) qu’une seule chose simple(1)Cette proposition, que Maïmonide a empruntée à Ibn-Sinâ, n’a point été énoncée par Aristote; mais on trouve dans les écrits de ce dernier plusieurs passages qui ont pu y donner lieu. Ainsi, par exemple, Aristote dit dans la Physique (liv. VIII, chap. VI fin) que ce qui n’est pas mû (le moteur premier), restant simple et toujours le même, ne pourra produire qu’un seul mouvement simple (τὸ ὃ’ἀϰίνητον, ὥσπερ εἴρηται, ἅτε ἁπλῶς ϰαὶ ὡσαύτως ϰαὶ ἐν τῷ αὐτῷ διαμένον, μίαν ϰαὶ ἁπλῆν ϰινήσει ϰίνησιν). Dans la Métaphysique (liv. XII, chap. VIII vers la fin), il est dit que le moteur premier non mû étant un par l’idée et par le nombre, il s’ensuit que ce qui est mû toujours et d’une manière continue est également un; et que, par conséquent, il n’y a qu’un seul ciel (ἓν ἄρα ϰαὶ λόγῳ ϰαὶ ἀριθμῷ τὸ πρῶτον ϰινοῦν ἀϰίνητον ὄν · ϰαὶ τὸ ϰινούμενον ἄρα ἀεὶ ϰαὶ συνεχῶς ἓν μόνον · εἷς ἄρα οὐρανὸς μόνος). Ici, comme ailleurs, Maïmonide attribue à Aristote une théorie d’Ibn-Sinâ, qui dit que la cause première, étant l’unité simple et absolue, n’a pu faire directement émaner d’elle qu’une seule intelligence simple; Ibn-Roschd fait observer que c’est par erreur qu’on a attribué cette proposition à Aristote, en se méprenant sur le sens que ce philosophe attache à l’idée d’unité, lorsqu’il présente l’univers comme une unité, ou un tout organique, émané d’une cause première et unique. Voy., sur ce sujet, mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 360 et suiv. — L’auteur va montrer dans ce chapitre que tout l’échafaudage de l’émanation successive des Intelligences et des sphères, selon la théorie d’Aristote (ou mieux d’Ibn-Sinâ), ne suffit pas pour expliquer la multiplicité et la diversité qui régnent dans le monde, mais que toutes les difficultés disparaissent, dès qu’on admet un Dieu créateur, ayant créé le monde par sa libre volonté.. Si la chose est composée, il peut en émaner plusieurs choses, selon le nombre des simples qu’elle renferme et dont elle est composée. Le feu, par exemple, étant un composé de deux qualités (premières), la chaleur et la sécheresse, il en résulte qu’il chauffe par sa chaleur et dessèche par sa sécheresse(1)Il y a ici une contradiction apparente avec ce que l’auteur a dit du feu au chap. LIII de la Ire partie (p. 207-208), où il cite l’exemple du feu pour montrer qu’une seule cause simple peut produire des effets en apparence divers, tandis qu’ici il dit expressément que le feu est en lui-même un composé de deux choses simples. Mais tous les effets du feu que l’auteur énumère dans le passage en question, il les attribue, en réalité, à l’une des deux qualités simples du feu, savoir à la chaleur.. De même, une chose étant composée de matière et de forme, il peut en émaner, si elle est de composition multiple, plusieurs choses du côté de sa matière et plusieurs autres du côté de sa forme. — Conformément à cette proposition, Aristote dit qu’il n’y a eu d’émanation primitive de Dieu qu’une seule intelligence simple, pas autre chose.", "Deuxième proposition(2)Cette proposition et les deux suivantes ne sont pas empruntées à Aristote; l’auteur les énonce comme des axiomes, contre lesquels on ne saurait élever aucune objection.: Toute chose quelconque ne saurait émaner fortuitement de toute chose quelconque, mais il faut toujours nécessairement qu’il y ait une certaine relation entre la cause et son effet. Les accidents eux-mêmes ne sauraient émaner au hasard les uns des autres, comme par exemple la quantité de la qualité, ou la qualité de la quantité. De même, une forme ne saurait émaner de la matière ni une matière de la forme", "Troisième proposition: Tout agent qui agit avec dessein et volonté, et non par sa nature, peut exercer des actions diverses et nombreuses.", "Quatrième proposition: Un tout composé de substances diverses juxtaposées forme plus véritablement une composition qu’un tout composé de substances diverses mêlées ensemble. Ainsi, par exemple, les os, ou la chair, ou les veines, ou les nerfs, sont plus simples que l’ensemble de la main ou du pied, composé de nerfs, de chair, de veines et d’os. — Cela est trop clair pour qu’on ait besoin d’en dire davantage.", "Après ces préliminaires, je dirai que, si Aristote dit(1)Ainsi que nous l’avons déjà lait observer, l’auteur attribue à Aristote la théorie de l’émanation des Intelligences les unes des autres, qui appartient à Al-Faràbi et à Ibn-Sinâ. Cf. ci-dessus p. 51, note 4, et mes Mélanges, etc., p. 331 et 360. que la première Intelligence sert de cause à la deuxième, la deuxième à la troisième, et ainsi de suite, dût-il y en avoir des milliers de degrés, la dernière(2)Les éditions delà version d’Ibn-Tibbon portent הראשון, ce qui n’est qu’une faute d’impression; les mss. ont האחרון. de ces intelligences sera toujours indubitablement simple. D’où donc alors viendrait la composition, qui, selon l’opinion d’Aristote, existerait par nécessité dans ces êtres (d’ici-bas)? Nous voulons bien être d’accord avec lui quand il dit qu’à mesure que les Intelligences s’éloignent (de la cause première), il se rencontre dans elles une plus grande composition d’idées (diverses), leurs intelligibles devenant de plus en plus nombreux; mais, tout en admettant avec lui celte opinion conjecturale, (nous lui demanderons) comment les intelligences ont-elles pu devenir la cause des sphères émanant d’elles ? Quel rapport y a-t-il entre la matière (des sphères) et l’Intelligence séparée, qui est absolument immatérielle? Supposé même que nous accordions que chaque sphère a pour cause une Intelligence, ainsi qu’on l’a dit, parce que cette intelligence est composée en ce qu’elle se pense elle-même et (qu’elle pense aussi) ce qui est en dehors d’elle,— de sorte qu’elle est en quelque sorte composée de deux choses, dont l’une produit l’autre intelligence qui est au-dessous d’elle, et dont l’autre produit la sphère(1)Selon la théorie d’Ibn-Sinâ, chaque intelligence est en quelque sorte composée, en ce que, d’une part, elle se pense elle-même, et que, d’autre part, elle pense sa cause, ou l’Intelligence supérieure, qui lui sert de forme et dont elle est en quelque sorte le substratum. De la première de ces deux pensées émane la sphère, et de la seconde émane l’Intelligence inférieure. Cf. ci-dessus, vers la fin du chap. IV, p. 60 et suiv., - on pourra encore lui demander: Cette chose une et simple de laquelle (selon vous) émane la sphère, comment a-t-elle pu produire la sphère, puisque celle ci est composée de deux matières et de deux formes (qui sont d’une part) la matière et la forme de la sphère et (d’autre part) la matière et la forme de l’astre fixé dans la sphère(2)Voy. ci-dessus p. 159-160.? Si donc tout se passait par voie de nécessité, il nous faudrait nécessairement supposer dans cette intelligence composée une cause également composée de deux parties, dont l’une pût produire le corps de la sphère et l’autre le corps de l’astre(3)C’est-à-dire: Il ne suffirait plus de considérer chaque Intelligence comme composée de deux éléments simples ou de deux sortes de pensées, mais il faudrait que l’un de ces deux éléments fût lui-même composé pour pouvoir servir de cause aux deux espèces de matières et de formes qui sont dans la sphère et l’astre.. Et encore faudrait-il que la matière de tous les astres fût une seule et même(4)Littéralement: Et cela, si la matière de tous les astres était une seule; c’est-à-dire l’hypothèse d’un élément composé, qui existerait dans les Intelligences séparées et dont seraient émanées la matière des sphères et celle des astres, celte hypothèse même, dis-je, ne suffirait qu’en admettant que la matière de tous les astres est une seule et même.; mais il se peut que les étoiles brillantes soient d’une substance à part, et les nébuleuses(1)Le mot אללטכׄיה̈ désigne, selon Maïmonide (dans sa lettre à R. Samuel ibn-Tibbon), «les astres qui n’ont pas d’éclat, qu’on ne distingue pas bien, même dans l’obscurité de la nuit, et dont l’apparence diffère peu de celle du firmament» הכוכבים שאין להם זהר ואפילו באישון לילה ואפלה אינם נכרים ומראהם משונה מעט מן מראה הרקיע· Al-’Harîzi traduit ce mot par הכוכבים המעוננים, les étoiles nébuleuses. d’une autre substance. Enfin, on sait que tout corps est composé de sa matière et de sa forme(2)L’auteur veut dire qu’il faudrait encore supposer, dans les Intelligences, des éléments à part, comme causes efficientes des différentes matières, et d’autres éléments, comme causes des formes. Ainsi, par exemple, l’intelligence qui préside à la sphère des étoiles fixes devra renfermer un élément composé pour produire la matière et la forme de cette sphère, un deuxième pour produire la matière et la forme des étoiles brillantes, un troisième pour produire la matière et la forme des nébuleuses, et enfin un élément simple pour produire l’Intelligence qui est au-dessous d’elle, ou celle de la sphère de Saturne..", "Il est donc clair que ces choses ne procèdent point par voie de nécessité, comme il le dit. De même, la diversité du mouvement des sphères n’est point en rapport avec leur ordre successif(3)Littéralement: Ne conservent point la régularité de l’ordre., les unes au-dessous des autres, de manière qu’on puisse soutenir à cet égard le système de la nécessité, ce dont nous avons déjà parlé(4)Voy. ci-dessus p. 153-154.. ", "Il y a encore (dans ce système) autre chose qui renverse tout ce qui a été établi à l’égard des choses physiques, si l’on considère l’état de la sphère céleste: Si la matière de toutes les sphères est une, comment se fait-il que la forme de telle sphère ne se transporte pas nécessairement à la matière de telle autre, comme cela arrive dans les choses sublunaires, à cause de l’aptitude de la matière(5)En d’autres termes: Comment se fait-il que les corps célestes, ayant une seule et même matière, ne reçoivent pas successivement la forme les unes des autres, comme cela arrive dans les éléments et en général dans les choses sublunaires que nous voyons constamment se servir mutuellement de substratum et de forme les unes aux autres, en parcourant les différents degrés de l’individualité, de l’espèce et du genre, parce que la matière première, qui est une, est apte à recevoir toutes les formes?? pourquoi telle forme reste-t-elle toujours dans telle matière (déterminée), puisque tout a une matière commune? — à moins, par Dieu, qu’on ne veuille soutenir que chaque sphère a une matière différente de celle des autres, de sorte qu’alors la forme du mouvement ne serait plus une preuve pour (l’unité de) la matière(1)Car, c’est de la forme du mouvement, c’est-à-dire du mouvement circulaire commun à toutes les sphères, qu’on a conclu que leur matière est une.; mais ce serait là le renversement de tous les principes. ", "Ensuite, si la matière de tous les astres est une, par quoi (peut-on demander) se distinguent leurs individualités? Est-ce par des formes ou par des accidents? Mais, dans n’importe laquelle des deux hypothèses, il faudrait que, soit ces formes, soit ces accidents, se transportassent nécessairement sur chacun (des astres), si l’on ne veut pas nier l’aptitude (de la matière)(2)Littéralement: afin que l’aptitude ne soit pas détruite, c’est-à-dire: Afin qu’on ne soit pas obligé de nier que la matière, qu’on a supposée être une, soit apte à recevoir toutes les formes et tous les accidents. Ibn Tibbon a rendu le mot arabe אלאסתיהאל par la paraphrase suivante: היות החמר ראוי לכל אחד מהצורות ולכל אחד מהמקרים..", "Tu comprendras donc par là que, si nous disons matière des sphères, ou matière des astres, cela ne doit point être pris dans le même sens que cette matière (sublunaire), et qu’il n’y a là qu’une simple homonymie; car chacun de ces corps célestes a une existence qui lui est particulière et à laquelle ne participent point les autres. Mais (s’il en est ainsi), comment se fait-il pourtant qu’il y ait communauté en ce qui concerne le mouvement circulaire des sphères ou la fixité des astres? — Cependant, si nous admettons que tout cela a lieu par le dessein d’un être agissant avec intention, qui a tout fait et déterminé comme l’a exigé sa sagesse incompréhensible(1)Dans plusieurs éditions de la vers. d’Ibn-Tibbon, il manque ici, après le mot אשר, les mots לא תושג, ce qui rend la phrase inintelligible., on ne peut nous adresser aucune de toutes ces questions, que l’on n’est en droit de faire qu’à celui qui soutient que tout se fait par nécessité et non par une volonté libre(2)Littéralement: par la volonté d’un voulant.. Mais cette dernière opinion ne s’accorde point avec l’ordre de l’univers, et on n’a pu l’appuyer d’aucune raison ni d’aucune preuve suffisante. Et avec cela, il s’ensuit des choses extrêmement invraisemblables; car Dieu, que tout homme intelligent affirme être doué de toutes les espèces de perfections, se trouverait, à l’égard de tous les êtres, dans l’impuissance de rien innover(3)Plus littéralement: à savoir que Dieu… existerait vis-à-vis de tous les êtres (de manière) à ne rien innover. La phrase arabe est un peu obscure, et les mss. ar. nous offrent quelques variantes. L’un des mss. de Leyde (n° 18) porte: והי כון אלאלאה אלדׄי יקר כל עאקל בכמאלה בגׄמיע אנואע אלכמאלאת מע כל אלמוגׄודאת לא יבדי שיא. La version d’Ibn-Tibbon est d’accord avec cette leçon, qui supprime les mots צאר וגׄודה et remplace la préposition ענד par מע; mais le traducteur a suppléé le mot בענין, de manière. Al-’Harîzi a traduit un peu librement: …. והיא היות האלוה ית׳ לא יוכל לשגות דבר בכל הנמצאים., et s’il voulait allonger l’aile d’une mouche ou raccourcir le pied d’un insecte, il ne le pourrait pas. Mais Aristote dira à cela que Dieu ne le veut point, et qu’il serait même inadmissible qu’il voulût qu’il en fût autrement; ce ne serait pas là (dira-t-il) lui attribuer plus de perfection, et peut-être serait-ce plutôt une imperfection à certains égards(4)C’est-à-dire: si l’on supposait que l’ordre et la symétrie pussent être dérangés dans les moindres détails de l’univers, ce serait en quelque sorte attribuer à Dieu une imperfection..", "Je te dirai en thèse générale, — car quoique je sache que beaucoup d’hommes passionnés(5)Sur le sens de אלמתעצבין, voy. le t. I, p. 438, n. 2. Al-’Harîzi rend ce mot par המקנאים, hommes jaloux, passionnés; Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, mss.) par המתגברים, hommes violents. me reprocheront de peu comprendre leurs paroles ou de m’en écarter à dessein, je ne m’abstiendrai pas pour cela de dire ce que j’ai saisi et compris selon ma faible intelligence, — et cette thèse la voici: Tout ce qu’Aristote a dit sur tout ce qui existe au-dessous de la sphère de la lune, jusqu’au centre de la terre, est indubitablement vrai; et personne ne saurait s’en écarter, si ce n’est celui qui ne le comprend pas, ou bien celui qui a des opinions préconçues qu’il veut défendre (à tout prix)(1)Voici comment Maïmonide lui-même, dans sa lettre à Ibn-Tibbon, explique ce passage: או מי שקדמו לו מדעות מטעות והוא רוצה לדהות הקושיות הסותרות את מרעיו המטעים, ou qui a adopté d’avance des opinions erronées et qui veut repousser les objections qui renversent ses opinions erronnées. ou qui le conduisent à nier une chose évidente. Mais, à partir de la sphère de la lune et au-dessus, tout ce qu’Aristote en dit ressemble, à peu de chose près, à de simples conjectures; et à plus forte raison, ce qu’il dit de l’ordre des intelligences, ainsi que quelques-unes de ces opinions métaphysiques qu’il adopte, sans pouvoir les démontrer, mais qui renferment de grandes invraisemblances, des erreurs évidentes et manifestes (répandues) parmi les nations et de mauvaises doctrines qui se sont divulguées(2)Littéralement: et des divulgations de maux. Al-’Harîzi traduit: ולהרבות המחלוקות, et (qui servent) à multiplier les disputes; au lieu de אלשרור, il a lu אלשדׄודׄ..", "Il ne faut pas me critiquer pour avoir fait ressortir les doutes(3)Littéral.: pour avoir NOUÉ les doutes. L’expression , nouer les doutes ou les difficultés, est opposée à , dénouer ou résoudre les difficultés. qui s’attachent à son opinion. Est ce bien par des doutes, me diras-tu, qu’on peut détruire une opinion, ou établir l’opinion opposée? Certes, il n’en est point ainsi; mais nous agissons avec ce philosophe, comme ses sectateurs nous ont recommandé d’agir avec lui. En effet, Alexandre a déjà exposé que, toutes les fois qu’une chose n’est pas susceptible d’être démontrée, il faut poser (successivement) les deux hypothèses contraires(1)Littéralement: les deux côtés de la contradiction dans cette chose., voir quels sont les doutes qui s’attachent à chacun des deux cas opposés, et admettre celui qui offre le moins de doutes. Il en est ainsi, dit Alexandre, de tout ce qu’Aristote dit au sujet de certaines opinions métaphysiques pour lesquelles on n’a pas de démonstration; car tous ceux qui sont venus après Aristote affirment que ce qu’Aristote en a dit offre moins de doutes que tout ce qu’on en pourrait dire(2)Cf. ci-dessus, chap. XV, p. 122.. ", "Et c’est là ce que nous avons fait: après qu’il nous a été avéré que, dans la question de savoir si le ciel est né ou éternel, aucune des deux (hypothèses) opposées ne saurait être démontrée, et après avoir exposé les doutes inhérents à chacune des deux opinions, nous t’avons montré(3)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement אראנו; il faut lire הראינו, comme l’ont les mss. et l’édition princeps. que l’opinion de l’éternité (du monde) offre le plus de doutes et qu’elle est très dangereuse pour la croyance qu’il faut professer à l’égard de Dieu. Ajoutons à cela que la nouveauté (du monde) est l’opinion de notre père Abraham et de Moïse, notre prophète.", "Puisque nous avons dit qu’il faut examiner les opinions au moyen des doutes (qu’elles renferment), je crois devoir entrer là-dessus dans quelques détails." ], [ "Sache que, dans la comparaison (à établir) entre les doutes qui s’attachent à une certaine opinion et ceux qui s’attachent à l’opinion opposée, afin de donner la préférence à celle qui offre le moins de doutes, il ne s’agit pas de prendre en considération le plus grand nombre des doutes, mais plutôt l’importance de l’invraisemblance (qu’ils font ressortir) et des difficultés qu’on rencontre dans la nature de l’être(1)Littéralement: mais plutôt l’importance de leur absurdité et de l’opposition que leur fait l’être. L’auteur s’est exprimé d’une manière trop concise et même peu logique; car ce ne sont pas les doutes qui sont plus ou moins absurdes et en contradiction avec la nature de l’être, mais les deux hypothèses opposées, objets des doutes. Voici en somme le sens de cette phrase: lorsqu’on compare entre elles les deux hypothèses opposées, pour examiner laquelle des deux paraît plus douteuse, il ne s’agit pas de constater de quel côté est le plus grand nombre des doutes, mais plutôt de peser les invraisemblances qui résulteraient de chacune des deux hypothèses, et de voir laquelle des deux est plus contraire aux lois de la nature.. Il se peut, en effet, que tel doute ait à lui seul plus d’importance que mille autres doutes.", "Ensuite, cette comparaison ne pourra être établie avec profit que par celui qui attacherait une égale valeur aux deux (hypothèses) contraires; mais si quelqu’un, soit à cause de son éducation, soit par un intérêt quelconque, préférait (d’avance) l’une des deux opinions, il resterait aveugle pour la vérité. Il est vrai que l’homme passionné ne saurait s’opiniâtrer contre une chose démontrable; mais, quand il s’agit de pareilles choses (hypothétiques), il n’est que trop possible de s’y montrer rebelle. ", "Tu peux quelquefois, si tu le veux, te dépouiller de la passion, te débarrasser de l’habitude, ne t’appuyer que sur la seule spéculation, et choisir de préférence ce qui mérite d’être préféré; mais il faut pour cela remplir plusieurs conditions: En premier lieu, savoir mesurer la capacité de ton esprit et la perfection de ton talent naturel; et tu t’éclaireras là-dessus en étudiant toutes les sciences mathématiques(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ajoutent ici les mots על אמתתם, qui ne se trouvent pas dans les mss. et en cherchant à comprendre les règles de la logique. En second lieu, connaître les sciences physiques et les approfondir, afin de te rendre un compte exact des points douteux(3)Littéralement: afin que tu connaisses les doutes dans leur réalité.. En troisième lieu, (surveiller) tes mœurs; car, dès qu’un homme, soit par son naturel, soit par une habitude acquise, se trouve entraîné aux appétits et aux plaisirs, se laisse aller à la violence et à la colère, laisse prévaloir sa faculté irascible et lui lâche la bride, il fera toujours des faux pas et bronchera partout où il ira, cherchant des opinions qui puissent venir en aide à son penchant naturel.", "J’ai appelé ton attention là-dessus, afin que tu ne te laisses pas séduire; car il se peut que quelqu’un, un jour, t’induise en erreur en élevant des doutes contre la nouveauté du monde, et que tu sois trop prompt a te laisser tromper en adoptant une opinion qui sape la religion par la base et proclame une hérésie à l’égard de Dieu(1)Littéralement: car cette opinion renferme le renversement de la base de la loi, et une hérésie à l’égard de Dieu. Par les mots cette opinion, l’auteur désigne l’opinion de l’éternité du monde, quoiqu’il n’en ait pas expressément parlé dans ce qui précède. Sur le mot אפתיאת, que nous traduisons ici par hérésie, voy. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 269, n. 3, et Cf. la IIIe partie du Guide, au commencement du chap. XVI.. Il faut donc que ton esprit soit toujours sur ses gardes à cet égard(2)Littéralement: sois donc toujours soupçonneux dans ton esprit là-dessus. Le mot דׄהנך, ton esprit, est ici un accusatif absolu, ou terme circonstanciel . Voy. Silv. de Sacy, Grammaire arabe (2e édit.), t. II, n° 330., et que tu suives les deux prophètes(3)Les deux prophètes dont on parle ici sont Abraham et Moïse. Le duel se fait reconnaître par le pronom המא ; mais les mss. ont la forme incorrecte אלדׄין pour . Le ms. n° 18 de Leyde a אלדׄין הם au pluriel, et cette leçon a été également suivie par Al-’Harîzi et Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 112), qui ont vu dans un pluriel; le premier a ומקבל דעת הנביאים, et le second ומקבל מהנביאים. qui sont la colonne de l’amélioration de l’espèce humaine dans ses croyances et sa vie sociale. Tu ne t’écarteras de l’opinion de la nouveauté du monde que par suite d’une (vraie) démonstration; mais une telle n’existe pas dans la nature.", "Que le lecteur de ce traité veuille ne pas me critiquer de ce que je me suis servi ici de paroles oratoires pour appuyer l’opinion de la nouveauté du monde; car le prince des philosophes, Aristote, dans ses principaux écrits, a également employé des paroles oratoires pour appuyer son opinion de l’éternité du monde, et c’est en pareil cas qu’on peut dire en vérité: «Notre loi parfaite ne vaut-elle pas leurs discours frivoles(1)L’auteur se sert ici des paroles prononcées un jour par R. Io’hanan ben-Zaccaï, dans une discussion qu’il eut avec un saducéen. V. Meghillath tâ’anith, chap. V, et Talmud de Babylone, traité Bâba bathra, fol. 115 b.?» Si lui, il appuie son opinion par les folies des Sabiens(2)C’est-à-dire, des idolâtres; voy. le t. I, p. 280, note 2., comment n’appuierions-nous pas la nôtre par les paroles de Moïse et d’Abraham et par tout ce qui s’ensuit?", "Je t’ai promis un chapitre(3)Voy. ci-dessus, chap. XIX, p. 155, et ibid., note 2. dans lequel je te parlerais des doutes graves qu’on peut opposer à celui qui croit que la science humaine peut rendre compte(4)Littéralement: que l’homme a embrassé par la science l’ordre, etc. de l’ordre des mouvements de la sphère céleste, et que ce sont là des choses physiques qui arrivent par une loi nécessaire et dont l’ordre et l’enchaînement sont clairs. J’en aborde donc maintenant l’exposition." ], [ "Tu sais en fait d’astronomie ce que, dans mes leçons, tu as lu et compris du contenu du livre de l’Almageste; mais le temps n’était pas assez long pour te faire commencer une autre étude(5)Dans tout ce chapitre, Maïmonide s’adresse particulièrement au disciple pour lequel primitivement il composa le Guide (voy. le commencement de la Ire partie). Nous savons par d’autres documents que ce disciple, émigré du Maghreb et qui s’établit plus tard à Alep, ne passa qu’un court espace de temps auprès de Maïmonide, établi au vieux Caire, et que ce temps fut consacré à des études astronomiques. Cf. ma Notice sur Joseph ben-Iehouda, dans le Journal Asiatique, Juillet 1842, p. 14 et 34..", "Ce que tu sais déjà, c’est que, pour se rendre compte de la régularité des mouvements et pour que la marche des astres soit d’accord avec les phénomènes visibles, il faut admettre (une de ces) deux hypothèses(1)Littéralement: c’est que, à l’égard de la régularité des mouvements et de la conformité de la marche des astres avec ce qui se voit, tout suit deux principes., soit un épicycle, soit une sphère excentrique, ou même les deux à la fois(2)Les astronomes anciens, pour expliquer les inégalités apparentes des mouvements des planètes, les font mouvoir, tantôt dans des excentriques, c’est-à-dire dans des sphères dont le centre s’écarte de celui du zodiaque ou de la terre, tantôt dans des épicycles, c’est-à-dire dans de petites sphères secondaires, portées par les grandes sphères concentriques ou excentriques, et dont le centre est supposé se mouvoir à la surface de la grande sphère sur la circonférence d’un grand cercle, appelé le déférent (Voy. Almageste, liv. VI, chap. 3). Ces hypothèses, purement géométriques, très ingénieuses et en même temps très compliquées, restèrent, pendant tout le moyen âge, une des bases de la science astronomique. Elles sont devenues inutiles par la découverte des orbes elliptiques des planètes et par celle des lois de l’attraction. Dès le commencement du XIIe siècle, les philosophes arabes s’émurent de ce que les hypothèses de Ptolémée offraient d’invraisemblable et de peu conforme aux principes physiques et aux théories du mouvement développées par Aristote. On essaya de leur substituer d’autres hypothèses; mais on ne parvint point à élaborer un système qui pût lutter avec celui de Ptolémée (Voy. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 412, 430, 520 et suiv.). Ces tentatives n’eurent aucun succès parmi les astronomes, et Maïmonide lui-même, qui attaque ici les hypothèses de Ptolémée au point de vue philosophique, n’hésite pas, dans son traité Kiddousch ha-’hodesch, ou de la fixation des néoménies, à les admettre dans toute leur étendue et à les prendre pour bases de ses calculs astronomiques.. Mais je vais te faire remarquer que chacune de ces deux hypothèses est totalement(1)Le mot באלגׄמלהֹׁ se rapporte, comme adverbe, aux mots כׄארגׄא ען אלקיאם, et c’est à tort que les deux traducteurs hébreux l’ont rapporté à ce qui suit, en ajoutant un ו copulatif. Ibn-Tibbon traduit: וםוף דבר חולק וכו׳, et Al-Harîzi: ועל דרך כלל הוא הפך. Un seul de nos mss. (celui de Leyde, n. 18) a ובאלגׄמלהֹׁ, avec le ו copulatif. en dehors de toute règle et contraire à tout ce qui a été exposé dans la science physique. D’abord, établir un épicycle qui tourne sur une certaine sphère, sans tourner autour du centre de cette sphère qui le porte, comme cela a été supposé pour la lune et pour les cinq planètes(2)Car pour le soleil, Ptolémée se borne à l’hypothèse d’une sphère excentrique. Cf. ci-dessus, p. 93, n. 4., voilà une chose dont il s’ensuivrait nécessairement qu’il y a roulement, c’est-à-dire que l’épicycle roule et change entièrement de place, chose inadmissible à laquelle on a voulu échapper, (à savoir) qu’il y ait là (dans le ciel) quoi que ce soit qui change de place(3)C’est-à-dire: on a établi que toutes les parties du ciel, bien que perpétuellement en mouvement, ne changent jamais de place, et que les différentes sphères, en tournant sur elles-mêmes, ne se transportent pas d’un endroit à un autre.. C’est pourquoi Abou-Becr-ibn-al-Çâyeg, dans un discours qui existe de lui sur l’astronomie, a dit que l’existence de l’épicycle est inadmissible; et, après avoir parlé de ladite conséquence (du roulement), il dit qu’outre cette chose inadmissible qui résulterait de l’existence de l’épicycle, il s’ensuivrait encore d’autres choses inadmissibles. Je vais te les exposer: 1° Il y aurait une révolution autour d’un centre qui ne serait pas celui du monde; et cependant c’est un principe fondamental de tout cet univers, que les mouvements sont au nombre de trois: un mouvement (partant) du milieu, un autre (se dirigeant) vers le milieu et un autre autour du milieu(4)Cf. le t. 1, chap. LXXII, p. 359.. Mais, s’il y avait un épicycle, son mouvement ne se ferait ni du milieu, ni vers lui, ni autour de lui. 2° C’est un des principes posés par Aristote, dans la science physique, qu’il faut nécessairement quelque chose de fixe autour de quoi se fasse le mouvement, et c’est là pourquoi il faut que la terre reste fixe; mais, si l’épicycle existait, ce serait là un mouvement circulaire autour de rien de fixe.", "J’ai entendu dire qu’Abou-Becr disait avoir trouvé un système astronomique dans lequel il n’y avait pas d’épicycle, mais (où tout s’expliquait) uniquement par des sphères excentriques; cependant, je n’ai point entendu cela (de la bouche) de ses disciples(1)Cf. ci-dessus, p. 82, où l’auteur dit avoir étudié chez un des disciples d’Abou-Becr Ibn-al-Çayeg.. Mais, quand même il y aurait réussi, il n’y aurait pas gagné grand’ chose; car, dans (l’hypothèse de) l’excentricité, on s’écarte également des principes posés par Aristote et auxquels on ne peut rien ajouter. Et ceci est une observation qui m’appartient. En effet, dans l’excentricité aussi, nous trouvons un mouvement circulaire des sphères qui ne se fait pas autour du milieu (de l’univers), mais autour d’un point imaginaire qui s’écarte du centre du monde; et c’est là également un mouvement qui ne se fait pas autour de quelque chose de fixe. Il est vrai que ceux qui n’ont pas de connaissances en astronomie prétendent que, puisque ces points (imaginaires) sont à l’intérieur de la sphère de la lune, comme cela paraît de prime abord, l’excentricité aussi admet un mouvement autour du milieu (de l’univers); et nous voudrions pouvoir leur accorder qu’il (le mouvement) se fait autour d’un point dans le feu ou dans l’air, bien que cela ne soit pas un mouvement autour de quelque chose de fixe(2)C’est-à-dire: nous nous contenterions, au besoin, de leurs raisonnements, s’il était réellement établi que le centre de l’excentrique est toujours à l’intérieur de la sphère de la lune et qu’il se trouve dans la sphère du feu ou dans celle de l’air, bien qu’on puisse objecter que, même dans cette hypothèse, ce ne serait toujours pas là un mouvement autour de quelque chose de fixe. — Pour comprendre ce que l’auteur dit ici du mouvement autour d’un point dans le feu ou dans l’air, il faut se rappeler les théories d’Aristote sur la position des quatre éléments, à l’intérieur de la sphère de la lune, et sur leurs différentes régions. Voy. le t. I, p. 134, n. 2, et p. 359, n. 1.. Mais nous leur exposerons que les mesures des excentricités ont été démontrées dans l’Almageste, selon les hypothèses qui y sont adoptées; et les modernes ayant établi par une démonstration vraie, dans laquelle il n’y a rien de douteux, quelle est la mesure de ces excentricités relativement au demi-diamètre de la terre(1)L’auteur veut dire que les astronomes arabes ont fixé les distances entre les centres des excentriques et le centre du zodiaque ou de la terre, et de même les distances des planètes et leur grandeur, en prenant pour unité le rayon ou demi-diamètre de la terre. C’est, en effet, ce que fait Albatâni, ou Albategnius (mort en 929); Voir son traité d’astronomie, publié en latin sous le titre de De Scientia stellarum, chap. 50, et Cf. Delambre, Histoire de l’astronomie du moyen âge, p. 50. On verra plus loin que, selon notre auteur, c’est surtout Al-Kabîci, ou Alkabitius, qui en a donné la démonstration complète., comme aussi ils ont exposé toutes les distances et les grandeurs (desastres), il a été prouvé que le centre de l’excentrique du soleil(2)Littéralement: que le point excentrique du monde, autour duquel tourne le soleil. est nécessairement hors de la concavité de la sphère de la lune et au-dessous de la convexité de la sphère de Mercure(3)Il faut effacer, dans la version d’Ibn-Tibbon, le mot חמה.. De même, le point autour duquel tourne Mars, je veux dire le centre de son excentrique, est hors de la concavité de la sphère de Mercure et au-dessous de la convexité de la sphère de Vénus. De même encore, le centre de l’excentrique de Jupiter se trouve à cette même distance(4)C’est-à-dire: il est à la même distance du centre du monde que le centre de l’excentrique de Mars., je veux dire entre les sphères(5)Tous les mss. ont, ici et dans la phrase suivante, פלך, au singulier; le duel פלבי serait plus correct. Ibn-Tibbon a, la première fois, גלגל, et la seconde fois גלגלי, au pluriel. Cf. ci-dessus, p. 80, n. 5. de Mercure et de Vénus. Quant à Saturne, le centre de son excentrique tombe entre Mars et Jupiter. Vois(6)Sur la forme de l’impératif ארי, Voy. le t. I, p. 19, n. 2., par conséquent, combien toutes ces choses s’éloignent de la spéculation physique! Tout cela te deviendra clair, quand tu auras étudié les distances et les grandeurs que l’on connaît pour chaque sphère et pour chaque astre; et l’évaluation de tout cela se fait par le demi-diamètre de la terre, de sorte que tout (se calcule) d’après un seul et même rapport, sans en établir aucun entre l’excentricité et la sphère respective.", "Mais il y a quelque chose de plus étrange encore et de bien plus obscur: c’est que, toutes les fois qu’il y a deux sphères placées l’une dans l’autre, appliquées de tous côtés l’une à l’autre, mais ayant des centres différents(1)Au lieu de ומרכזהמא, plusieurs mss. portent ומרבזאהמא, ou ומרכזיהמא, au duel; mais tous les mss. ont מכׄתלף, au singulier., il se peut que la petite se meuve dans la grande sans que cette dernière se meuve aussi; mais il est impossible que la grande se meuve sur tout axe quelconque, sans que la petite se meuve aussi; car toutes les fois que la grande se meut, elle emporte nécessairement la petite par son mouvement, excepté toutefois quand le mouvement se fait sur l’axe qui passe par les deux centres(2)Cette proposition est assez obscure. Voici, ce me semble, quel en est le sens: Les sphères célestes étant toutes exactement emboîtées les unes dans les autres, sans qu’il y ait aucun vide entre elles (voy. le t. I, p. 356-357), il faut nécessairement que, de deux sphères qui ont des centres différents, la supérieure, ou la plus grande, forme d’un côté sur la moins grande une voûte épaisse, tandis que, des autres côtés, elle formera autour de la petite sphère intérieure une enveloppe dont l’épaisseur ira diminuant, en raison de la distance des deux centres. Il est évident alors que, toutes les fois que la grande sphère se meut autour d’un axe autre que celui qui passe par les deux centres, elle entraînera toujours la petite par son mouvement. Mais, si le mouvement de la grande sphère se fait autour de l’axe qui passe par les deux centres, il ne sera pas gêné par la sphère intérieure, qui pourra toujours rester dans la même position; de sorte que la grande sphère pourra rouler autour de la surface de la petite, sans l’entraîner par son mouvement. —Ibn-Tibbon s’est exprimé d’une manière inexacte, en disant: הקוטר העובר בין שני המרכזים; au lieu de בין, il fallait dire על.. Or, en raison de cette proposition démonstrative, en raison de ce qui a été démontré que le vide n’existe pas(1)Car, s’il y avait un vide suffisant dans l’intérieur de la grande sphère, son mouvement, n’importe autour de quel axe, ne serait plus gêné par la petite, qui, par conséquent, ne serait plus forcée de se mouvoir avec elle., et enfin, en raison de l’hypothèse de l’excentricité(2)C’est-à-dire, de l’hypothèse des sphères excentriques, qui suppose l’existence de sphères à centres différents emboîtées l’une dans l’autre., il faudrait que, la (sphère) supérieure étant en mouvement, elle emportât l’inférieure, par son mouvement, autour de son (propre) centre; et cependant nous ne trouvons pas qu’il en soit ainsi, mais au contraire nous trouvons qu’aucune des deux sphères, l’une contenant et l’autre contenue, ne se meut ni par le mouvement de l’autre, ni autour du centre de cette dernière, ni autour de ses pôles, et que chacune a un mouvement qui lui est particulier. C’est pourquoi on a été forcé d’admettre (qu’il existe), entre les sphères prises deux à deux, des corps autres que ceux des sphères (des planètes)(3)Cette hypothèse permet de supposer un intervalle entre les deux sphères, qui, n’étant plus enchaînées l’une à l’autre, restent libres et indépendantes dans leur mouvement respectif. Le vide est supposé être rempli par des corps sphériques qui ne participent point à la vie et aux mouvements de la sphère céleste, et qui varient de formes, selon le vide qu’ils ont à remplir. R. Lévi ben-Gerson, qui adopte cette hypothèse, appelle un tel corps: גשם בלתי שומר תמונתו. Voy. Mil’hamoth Adonaï, l. V, IIe partie, chap. 2.. Mais, combien resterait-il là encore d’obscurités, s’il en était réellement ainsi! où supposerait-on les centres de ces corps qui existeraient entre chaque couple de sphères ? Et il faudrait que ces corps aussi eussent un mouvement particulier. —Déjà Thâbit(4)C’est le célèbre astronome arabe Thâbit-ben-Korra (vulgairement appelé Thébith), Sabien de ’Hârran, mort en 901. Voy. sur cet astronome, d’Herbelot, Bibliothèque orientale, édit. in-fol., p. 1015; Casiri, Biblioth. arab. hisp., t. I, p. 386 et suiv. Maïmonide le cite encore dans la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XIV, où il lui attribue la même théorie des corps intermédiaires. a exposé cela dans un traité particulier, et il a démontré, selon ce que nous avons dit, qu’il faut nécessairement (admettre) un corps sphérique entre chaque couple de sphères. — Je ne t’ai point expliqué tout cela, quand tu suivais mes leçons, afin de ne pas te troubler dans ce que j’avais pour but de te faire comprendre.", "Pour ce qui concerne l’inclinaison et l’obliquité dont il est question pour la latitude de Vénus et de Mercure(1)L’auteur veut parler des écarts de ces deux planètes en latitude. La théorie à laquelle il est fait allusion est exposée dans l’Almageste, liv. XIII, chap. I. et suiv. Cf. Al-Farghâni, Elementa astronomica, chap. XVIII. Les mots arabes et correspondent aux mots grecs ἔγϰλισις et λόξωσις; Delambre pense que le premier de ces deux mots désigne l’inclinaison de l’excentrique sur le zodiaque, et le second, l’inclinaison de l’épicycle sur l’excentrique. Voy. les notes sur l’Almageste, édit. de l’abbé Halma, t. II, p. 25. La version hébraïque d’Ibn-Tibbon ne rend pas le mot אנחראף. Al-Harizi a הנטיה והיציאה., je t’ai exposé de vive voix et (clairement) montré qu’il est impossible de se figurer comment pareille chose peut exister dans les corps (célestes)(2)Delambre (l. c.) s’exprime à peu près dans le même sens sur la difficulté de cette théorie: «Tout ce chapitre, dit-il, est difficile à entendre, impossible à retenir. On ne peut se faire une idée bien précise de toute cette théorie qu’en examinant les tables où elle est renfermée. Cette remarque s’applique plus ou moins à tout ce qui suit, jusqu’aux tables.». Ptolémée en a clairement avoué la difficulté(3)Littéralement: a manifesté l’impuissance en cela; c’est-à-dire: il a déclaré que l’homme est incapable de s’en faire une juste idée., comme tu l’as vu; car il s’exprime en ces termes: «Que personne ne croie que ces principes et d’autres semblables puissent difficilement avoir lieu, en considérant ce que nous avons présenté ici comme des choses obtenues par artifice et par la subtilité de l’art, et qui peuvent difficilement avoir lieu; car il ne convient pas de comparer les choses humaines aux choses divines(4)Ce passage, tiré par Maïmonide de la vers. ar. de l’Almageste (liv. XIII, chap. 2), diffère un peu du texte grec, qui porte: Καὶ μηδεὶς τὰς τοιαύτας τῶν ὑποθέσεων ἐργώδεις νομισάτω, σκοπῶν τὸ τῶν παρ’ ἡμῖν ἐπιτεχνημάτων κατασκελές · Οὐ γὰρ προσήκει παραϐάλλειν τὰ ἀνθρώπινα τοῖς θείοις. «Que personne ne croie que de semblables hypothèses soient difficiles (à admettre), en considérant ce qu’il y a de dur dans les artifices employés par nous; car il ne convient pas de comparer les choses humaines aux choses divines.».» Tels sont ses propres termes, comme tu le sais.", "Je t’ai indiqué les endroits par lesquels tu peux vérifier tout ce que je t’ai dit, excepté cependant ce que je t’ai dit(1)Les mots אלא מא דׄברת לך, manquent dans le ms. de Leyde, n. 18, et les deux traducteurs hébreux les ont également négligés, quoiqu’ils soient nécessaires pour le sens de la phrase. de l’observation de ces points qui sont les centres des excentriques, (pour savoir) où ils tombent; car je n’ai jamais rencontré aucun (auteur) qui s’en soit préoccupé. Mais cela te deviendra clair, quand tu sauras la mesure du diamètre de chaque sphère, et quelle est la distance entre les deux centres, relativement au demi diamètre de la terre, comme l’a démontré Al-Kabîci dans le traité des Distances(2)Cf. ci-dessus, p. 187, n. 1, et la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XIV. Nous ne trouvons nulle part des renseignements sur l’astronome Al-Kabîci, ni sur son traité des Distances, et nous ne savons pas de quelle manière il a démontré les distances entre les centres des excentriques et le centre du zodiaque, en prenant pour unité le demi-diamètre ou le rayon de la terre. L’astronome dont il s’agit est sans doute le même que les scolastiques citent souvent sous le nom patronymique d’Alkabitius, et qui, selon Albert le Grand, s’appelait Abdilazil, ou mieux ’Abd-al-’Azîz. Voy. Speculum astronomiœ, chap. V et XI (Opp. t. V, p. 659 et 663). La Biblioth. Imp. possède plusieurs mss. renfermant une Introduction à l’astrologie, par Alkabitius, qui commence par ces mots: Postulata a Domino prolixitate vitœ Ceyfaddaula, id est gladii regni (ms. du fonds de la Sorbonne, n. 976). On peut conclure de là que notre astronome vivait à la cour de Seif-ed-Daula, ’Ali-ben-’Hamdân, à Alep, et, par conséquent, qu’il florissait dans la première moitié du Xe siècle de l’ère chrétienne. Cf. le Dictionnaire bibliographique de ’Hadji-Khalfa, édit. de M. Flügel, t. V, p. 473. Les deux ouvrages indiqués par le bibliographe arabe sous les nos 11,681 et 11,682 me paraissent être identiques. Le premier, qui était dédié à Seif-ed-Daula, est anonyme; le second est attribué à ’Abd-al-’Azîz ben-’Othmân al-Kabîci. L’un et l’autre portent le titre d’Introduction à l’Astrologie. — Quant au nom de , on peut le prononcer Al Kabîci ou Al-Kobéici; la version d’Ibn-Tibbon pourrait justifier cette dernière prononciation, car elle porte הקבאיצי.; car, quand tu examineras ces distances, tu reconnaîtras la vérité de ce que je t’ai fait remarquer.", "Regarde, par conséquent, combien tout cela est obscur; si ce qu’Aristote dit dans la science physique est la vérité, il n’y a(1)Il faut supprimer dans la version d’Ibn-Tibbon les mots: כי לפי דעתו, quise trouvent aussi dans les mss. de cette version, mais qui sont contraires à la construction de la phrase arabe. ni épicycle ni excentrique, et tout tourne autour du centre de la terre. Mais d’où viendraient alors aux planètes tous ces mouvements divers? Est-il possible, d’une manière quelconque, que le mouvement soit parfaitement circulaire et égal, et qu’il réponde (en même temps) aux phénomènes visibles, si ce n’est (en l’expliquant) par l’une des deux hypothèses(2)C’est-à-dire, par celle de l’excentrique ou par celle de l’épicycle. Tous les mss. ont אצלין, sans article, et de même Ibn-Tibbon: באחד משיני שרשים; Al-Harizi העיקרים, avec l’article. ou par les deux à la fois? D’autant plus qu’en admettant tout ce que Ptolémée dit de l’épicycle de la lune et de sa déviation vers un point en dehors du centre du monde et aussi du centre de l’excentrique(3)L’auteur fait ici allusion à une observation ingénieuse de Ptolémée (Almageste, liv. V, chap. 5), relative au mouvement oscillatoire de la ligne des apsides ou du diamètre de l’épicycle de la lune, et qui forme un corollaire aux deux inégalités de l’excentricité et de l’évection. Voy. mes Notes sur les découvertes attribuées aux Arabes relativement aux inégalités du mouvement de la lune (Comptes-rendus des séances de l’Académie des sciences, t. XVI, p. 1444 et suiv., et t. XVII, p. 76 et suiv.), et le mémoire de M. Biot dans le Journal des Savants, octobre 1843, p. 623 et suiv., les calculs faits d’après ces hypothèses ne se trouvent pas en défaut d’une seule minute, et que la vérité en est attestée par la réalité des éclipses, toujours calculées d’après ces hypothèses et pour lesquelles on fixe si exactement les époques, ainsi que le temps et les mesures(1)C’est-à-dire, le moment où commence l’éclipse, et l’étendue de la surface obscurcie. Le suffixe masculin dans מקאדירה (Ibn-Tibbon ושעורו), ses mesures, se rapporte au mot אטׄלאמהא, leur obscurcissement; quelques mss. ont ומקאדירהא, et leurs mesures, le suffixe se rapportant aux éclipses, et de même, la version d’Al-Harizi et quelques mss. de celle d’Ibn-Tibbon ont ושעורם. de l’obscurcissement. — Comment encore se figurer la rétrogradation (apparente) d’une planète, avec ses autres mouvements, sans (l’hypothèse de) l’épicycle(2)Voy. Ptolémée, Almageste, liv. XII, chap. I et suiv. et Cf. ci-dessus, p. 86, n. 2.? Comment enfin peut-on s’imaginer qu’il y ait là (dans le ciel) un roulement ou mouvement autour d’un centre non fixe? Et c’est là une perplexité réelle.", "Je t’ai déjà expliqué de vive voix que tout cela ne regarde pas l’astronome; car celui-ci n’a pas pour but de nous faire connaître sous quelle forme les sphères existent, mais son but est de poser un système par lequel il soit possible d’admettre des mouvements circulaires, uniformes et conformes à ce qui se perçoit par la vue, n’importe que la chose soit (réellement) ainsi, ou non(3)C’est-à-dire: l’astronome, comme tel, ne se préoccupe pas de savoir si ses hypothèses peuvent être admissibles ou non, au point de vue philosophique, mais seulement si elles suffisent pour expliquer les phénomènes. Cf. ci-dessus, chap. XI, p. 92, 93.. ", "Tu sais qu’Abou-Becr ibn-al-Çâyeg, dans son discours sur la Physique, exprime ce doute: si Aristote a connu l’excentricité du soleil, et si, la passant sous silence, il ne s’est préoccupé que de ce qui résulte de l’inclinaison, — l’effet de l’excentricité n’étant point distinct de celui de l’inclinaison(4)Ibn-al-Çayeg voulait dire qu’Aristote connaissait peut-être l’hypothèse de l’excentricité, mais la croyait inutile, parce qu’il pensait qu’on peut aussi bien trouver le lieu du soleil, au moyen de sphères homocentriques, en admettant une certaine inclinaison. Cf. ci-dessus, p. 57 note 1., — ou bien s’il ne l’a point connue. La vérité est qu’il ne l’a point connue et qu’il n’en avait jamais entendu parler; car les sciences mathématiques étaient imparfaites de son temps. S’il en avait entendu parler, il l’aurait certainement repoussée avec violence; et si elle lui avait été avérée, il se serait trouvé dans une grande perplexité, à l’égard de tout ce qu’il a établi sur cette matière. ", "Ce que j’ai déjà dit plus haut(1)Voy. ci-dessus, chap. XXII, p. 179., je le répéterai ici: c’est que tout ce qu’Aristote a dit sur les choses sublunaires a une suite logique; ce sont des choses dont la cause est connue et qui se déduisent les unes des autres, et la place qu’y tiennent la sagesse et la prévoyance de la nature est évidente et manifeste. Quant à tout ce qui est dans le ciel, l’homme n’en connaît rien, si ce n’est ce peu de théories mathématiques(2)Littéralement: l’homme n’en embrasse rien, si ce n’est cette petite dose de mathématiques.; et tu vois ce qu’il en est. Je dirai, en me servant d’une locution poétique: Les cieux appartiennent à l’Eternel; mais la terre, il l’a donnée aux fils d’Adam (Ps. 115, 16), c’est-à-dire, que Dieu seul connaît parfaitement la véritable nature du ciel, sa substance, sa forme, ses mouvements et leurs causes; mais, pour ce qui est au-dessous du ciel, il a donné à l’homme la faculté de le connaître, car c’est là son monde et la demeure où il a été placé et dont il forme lui-même une partie. Et c’est la vérité; car il nous est impossible d’avoir les éléments (nécessaires) pour raisonner sur le ciel, qui est loin de nous et trop élevé(3)Les verbes masculins בעד, et עלא, se rapportent au Ciel; le subst. אלםמא est du genre commun, et le plus souvent l’auteur met au féminin les ajectifs et les verbes qui s’y rapportent. par sa place et son rang; et même la preuve générale qu’on peut en tirer, (en disant) qu’il nous prouve (l’existence de) son moteur, est une chose à la connaissance de laquelle les intelligences humaines ne sauraient arriver(4)La leçon de ce passage est uniforme dans tous les mss., excepté que les mots manquent dans l’un des mss. de Leyde (n° 18). La version d Al-Ilarîzi s’accorde parfaitement avec la leçon de nos mss. arabes; elle porte: והראיה הכוללת המצואה מהם על מניעם הוא דבר אשר לא יגיעו דעות בני אדם אליו. Ibn-Tibbon ajoute après מניעם les mots אבל שאר ענינם, ce qui modifie essentiellement le sens de cette phrase, qui se traduirait ainsi: «La preuve générale qu’on peut en tirer, c’est qu’il nous prouve (l’existence de) son moteur; mais le reste de ce qui le concerne (c’est-à-dire, le ciel) est une chose à la connaissance de laquelle les intelligences humaines ne sauraient arriver.» La leçon d’Ibn-Tibbon paraît se justifier par d’autres passages de ce traité, où l’auteur dit expressément que le Ciel nous prouve en général l’existence d’un premier moteur, quoique nous ne puissions pas nous rendre un compte exact des lois du mouvement. Voy. p. ex. Ire partie, chap. IX. et ci-dessus, chap. II et chap. XVIII, p. 144.. Mais, fatiguer les esprits avec ce qu’ils ne sauraient saisir, n’ayant même pas d’instruments pour y arriver, ne serait qu’un manque de bon sens et une espèce de folie. Arrêtons-nous donc à ce qui est en notre puissance; mais ce qui ne peut être saisi par le raisonnement, abandonnons-le à celui qui fut l’objet de la grande inspiration divine, de sorte qu’il mérita qu’il fût dit de lui: Je lui parle bouche à bouche (Nom. XII, 8).", "Voilà tout ce que je sais dire sur cette question; mais il est possible qu’un autre possède une démonstration qui lui rende évidente la vérité de ce qui a été obscur pour moi. Le plus grand hommage que j’aie pu rendre à la vérité, c’est d’avoir ouvertement déclaré combien ces matières me jetaient dans la perplexité(1)Littéralement: le point extrême (c’est-à-dire, la plus forte preuve) de ma préférence pour la recherche de la vérité, c’est d’avoir manifesté et déclare ma perplexité dans ces matières. Dans la version d’Ibn-Tibbon, il faut écrire: שאני בארתי והגדתי בלבולי באלו הענינים, comme l’a l’édition princeps. et que je n’avais ni entendu, ni connu de démonstration pour aucune d’elles." ], [ "Sache que, si nous évitons de professer l’éternité du monde, ce n’est pas parce que le texte de la Loi proclamerait le monde créé; car les textes qui indiquent la nouveauté du monde ne sont pas plus nombreux que ceux qui indiquent la corporéité de Dieu. Au sujet de la nouveauté du monde aussi, les moyens d’une interprétation allégorique ne nous manqueraient pas et ne nous seraient pas interdits(1)Littéralement: Les portes de l’interprétation allégorique ne seraient pas non plus fermées devant nous, ni ne nous seraient inaccessibles, en ce qui concerne la nouveauté du monde. L’auteur veut dire que les textes relatifs à la création du monde pourraient être interprétés allégoriquement, comme doivent l’être ceux dont il semble résulter que Dieu est un être corporel. Le mot désigne l’interprétation allégorique du texte sacré, tandis que l’explication du sens littéral est désignée par le mot .; au contraire, nous pourrions employer ici ce mode d’interprétation, comme nous l’avons fait pour écarter la corporéité (de Dieu). Peut-être même serait-ce beaucoup plus facile, et serions-nous très capable d’interpréter les textes en question et d’établir l’éternité du monde, de même que nous avons interprété les (autres) textes et écarté la corporéité de Dieu. Mais deux raisons nous ont engagé à ne pas faire cela et à ne pas l’admettre. L’une est celle-ci: l’incorporalité de Dieu a été démontrée, et il faut nécessairement avoir recours à l’interprétation allégorique, toutes les fois que, le sens littéral étant réfuté par une démonstration, on sait (d’avance) qu’il est nécessairement sujet à l’interprétation(2)Plus littéralement: et il faut nécessairement interpréter tout ce dont une démonstration réfute le sens littéral et que l’on sait avoir besoin d’une interprétation.. Mais l’éternité du monde n’a pas été démontrée, et, par conséquent, il ne convient pas de faire violence aux textes et de les interpréter allégoriquement, pour faire prévaloir une opinion dont on pourrait aussi bien faire prévaloir le contraire, en raisonnant d’une autre manière(3)Littéralement: par d’autres modes de préférence; c’est-à-dire, en motivant de différentes manières la préférence qu’on donnerait à cette opinion contraire.. Voilà donc une raison. ", "— La seconde raison est celle-ci: notre croyance de l’incorporalité de Dieu ne renverse aucune des bases de notre religion, ni ne donne de démenti à rien de ce qu’ont proclamé les prophètes. Il n’y a en cela (aucun inconvénient), si ce n’est qu’au dire des ignorants, ce serait contraire aux textes (de l’Écriture); mais, ainsi que nous l’avons montré, il n’y a là rien qui lui soit contraire, et c’est là plutôt le but de l’Écriture. Mais, admettre l’éternité (du monde) telle que la croit Aristote, c’est-à-dire comme une nécessité, de sorte qu’aucune loi de la nature ne puisse être changée et que rien ne puisse sortir de son cours habituel, ce serait saper la religion par sa base, taxer nécessairement de mensonge tous les miracles, et nier(1)Sur le sens du verbe , cf. le t. I, p. 115, note 1. —Tous les mss. ar. ont ici l’infinitif תעטיל, bien que les deux verbes précédents soient au participe. Les deux versions hébraïques ont le participe ומבטלת. tout ce que la religion a fait espérer ou craindre, à moins, par Dieu! qu’on ne veuille aussi interpréter allégoriquement les miracles, comme l’ont fait les Bâtenis (ou allégoristes)(2)Par le mot , intérieur (en hébreu תוך), les Arabes désignent le sens allégorique des paroles du Corân, opposé à , extérieur, qui désigne le sens littéral. De là vient le nom de Bâtenis ( ou ), c’est-à-dire, partisans du sens allégorique, secte musulmane mystique qui se forma sous l’influence des doctrines néo-platoniciennes et qui a beaucoup d’analogie avec les kabbalistes juifs. Voy. sur cette secte, sur ses noms et sur ses différentes branches, Schahrestâni, Histoire des sectes religieuses et philosophiques, texte arabe publié par M. Cureton, p. 147 et suiv. (trad. all. de M. Haarbrucker. t. I, p. 221 et suiv.). parmi les musulmans, ce qui conduirait à une espèce de folie. — Cependant, si l’on admet l’éternité selon la deuxième opinion que nous avons exposée(3)Voy. ci-dessus, chap. XIII, p. 107 et suiv., qui est celle de Platon, et selon laquelle le ciel aussi est périssable(4)Cf. ci-dessus, p. 109, note 1., cette opinion ne renverse pas les bases de la religion, et il ne s’ensuit point la négation du miracle, mais, au contraire, son admissibilité. On pourrait interpréter les textes dans son sens(1)C’est-à-dire, dans le sens de cette opinion de Platon. et trouver(2)La plupart des mss. ont ויגׄד à la forme active, et de même Al-’Harîzi: וימצא לו דמיונים רבים. Nous avons préféré écrire ויוגׄד, au passif, leçon que nous n’avons trouvée que dans un de nos mss., mais qui est confirmée par la version d’Ibn-Tibbon, וימׇּצאו לו וכו׳, dans les textes du Pentateuque et ailleurs, beaucoup d’expressions analogues auxquelles elle pourrait se rattacher et qui pourraient même lui servir de preuve. Cependant, aucune nécessité ne nous y oblige, à moins que cette opinion ne pût être démontrée; mais, puisqu’elle n’a pas été démontrée, nous n’inclinons pas vers cette opinion et nous n’y(3)Le texte répète inutilement les mots: הדׄא אלראי אלאכׄר à cette autre opinion; au lieu de אלאכׄר, quelques mss. ont איצׄא, et de même Ibn-Tibbon: גם כן. faisons même aucune attention. Nous prenons plutôt les textes dans leur sens littéral, et nous disons que la religion nous a fait connaître une chose que nous sommes incapables de concevoir, et le miracle témoigne de la vérité de ce que nous soutenons.", "Il faut savoir que, dès qu’on admet la nouveauté du monde, tous les miracles devenant possibles, la (révélation de la) Loi devient possible aussi, et toutes les questions qu’on pourrait faire à ce sujet s’évanouissent. Si donc on demandait: Pourquoi Dieu s’est-il révélé à tel homme et pas à tel autre? pourquoi Dieu a-t-il donné cette Loi à une nation particulière, sans en donner une à d’autres ? pourquoi l’a-t-il donnée à telle époque et ne l’a-t-il donnée ni avant ni après? pourquoi a-t-il ordonné de faire telles choses et défendu de faire telles autres? pourquoi a-t il signalé le prophète par tels miracles qu’on rapporte, sans qu’il y en eût d’autres? qu’est-ce que Dieu avait pour but dans cette législation? pourquoi enfin n’a-t-il pas inspiré à notre nature le sentiment de ces choses ordonnées ou défendues, si tel a été son but(4)C’est-à-dire: pourquoi n’a-t-il pas fait que, par un sentiment naturel, nous fussions portés à faire ce qu’il a ordonné et à nous abstenir de ce qu’il a défendu, s’il est vrai qu’il a eu uniquement pour but que nous fissions telle chose et que nous nous abstinssions de telle autre?? — la réponse à toutes ces questions serait celle-ci: «c’est ainsi qu’il l’a voulu,» ou bien: «c’est ainsi que l’a exigé sa sagesse.» De même qu’il a fait naître le monde sous cette forme au moment où il l’a voulu, sans que nous puissions nous rendre compte de sa volonté à cet égard, ni de la sagesse qui lui a fait particulièrement choisir telles formes(1)La plupart des mss. ont צורה, au pluriel ses formes, et de même Al-’Harîzi: צורותיו; Ie ms. de Leyde,n° 18, a צורתה au singulier, leçon qui a été adoptée par Ibn-Tibbon. et telle époque, de même nous ne saurions nous rendre compte de sa volonté, ni de ce qu’a demandé sa sagesse, quand il a déterminé tout ce qui fait l’objet des questions précédentes. Mais, si l’on soutenait que le monde est ainsi par nécessité, il faudrait nécessairement faire toutes ces questions, et on ne pourrait en sortir que par de méchantes réponses, qui renfermeraient le démenti et la négation de tous ces textes de la Loi dont un homme intelligent ne saurait mettre en doute l’acception littérale(2)Littéralement: ….. le démenti et la négation de toutes les paroles extérieures de la loi au sujet desquelles il ne peut y avoir de doute pour un homme intelligent qu’elles ne soient (prises) dans ces acceptions extérieures (ou littérales). Sur le mot , au pluriel féminin , cf. ci-devant, p. 197, note 2.. C’est pour cela qu’on a évité (de professer) cette opinion, et pour cela les hommes pieux ont passé et passeront leur vie à méditer sur cette question; car, si la nouveauté (du monde) était démontrée, ne fût-ce que selon l’opinion de Platon, tout ce que les philosophes ont dit pour nous réfuter tomberait; et de même, s’ils avaient réussi à démontrer l’éternité (du monde)(3)Dans la plupart des éditions de la vers. d’Ibn-Tibbon, il manque ici les mots על הקדמות, qui se trouvent dans l’édition princeps. selon l’opinion d’Aristote, toute la religion tomberait, et on serait porté vers d’autres opinions. ", "Je t’ai déjà exposé que tout dépend de cette question; sache-le bien." ], [ "Dans les Aphorismes célèbres de Rabbi Eliézer le Grand, connus sous le titre de Pirké Rabbi Eli’ézer, j’ai vu un passage tel que je n’en ai jamais vu de plus étrange dans les discours d’aucun de ceux qui suivent la loi de Moïse, notre maître. Ecoute en quels termes il s’exprime(1)Voy. les Pirké R. Eli’ézer, ch. III. La citation de Maïmonide est un peu abrégée.; «D’où furent créés les cieux? Il (Dieu) prit de la lumière de son vêtement et l’étendit comme un drap; et de là les cieux allèrent se déployant, ainsi qu’il a été dit: Il s’enveloppe de lumière comme d’un vêtement, il étend les cieux comme un tapis (Ps. 104, 2). —D’où fut créée la terre? Il prit de la neige de dessous le trône de sa gloire et la lança, ainsi qu’il a été dit: Car à la neige il dit: sois terre (Job, 37, 6).» ", "— Tels sont les termes du passage en question. Puissé-je savoir ce que croyait ce sage! Croyait-il peut-être qu’il est inadmissible qu’une chose soit produite du néant et qu’il faut nécessairement une matière de laquelle soit formé tout ce qui naît? Et est-ce pour cela qu’il cherchait pour le ciel et la terre (la matière) d’où ils avaient été créés? Mais, de quelque manière qu’on comprenne sa réponse, on devra nécessairement lui demander: «D’où a été créée la lumière de son vêtement? D’où a été créée la neige qui est sous le trône de la gloire? D’où a été créé ce trône lui-même?» — Que si, par la lumière de son vêtement, il avait voulu indiquer quelque chose d’incréé, et que de même (selon lui) le trône de la gloire fût incréé. ce serait là (une opinion) bien répréhensible(2)La version d’Ibn-Tibbon porte רחוק; il fallait dire מגונה. Al-’Harîzi traduit: זאת דבה גדולה ורעה.; car il aurait alors affirmé l’éternité du monde(3)L’auteur veut dire que R. Eliézer, dans ce cas, aurait affirmé l’éternité de la matière première, qu’il désignerait allégoriquement par la lumière de son vêtement et par la neige de dessous le trône de la gloire., tout au moins dans le sens de l’opinion de Platon(1)Littéralement: Si ce n’est que ce serait selon l’opinion de Platon; c’est-à-dire: il aurait affirmé l’éternité de la matière, quoique dans un sens qui n’est pas aussi contraire à la religion que l’est l’opinion d’Aristote. Voy. ci-dessus, chap. XIII, deuxième opinion.. ", "Pour ce qui est du trône de la gloire, les docteurs disent expressément qu’il est une des choses créées, quoiqu’ils s’expriment d’une manière singulière (en disant) qu’il a été créé avant la création du monde(2)Les anciens rabbins énumèrent sept choses créées avant la création du monde et au nombre desquelles se trouve le trône de la gloire. Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 1, (fol. 1, col 2); Talmud de Babylone, Pesa’hîm, fol. 54 a; Nedarîm, fol. 39 b. Cf. le Khozari, liv. III, § 73, et le ’Akédâ, chap. 101.. Quant aux textes des livres (sacrés), ils ne parlent point de création à son égard, à l’exception de ces paroles de David: L’Éternel a érigé son trône dans les cieux (Ps. 103, 19); mais c’est un passage qui prête beaucoup à l’interprétation allégorique(3)Sur le sens du mot תאויל, voy. ci-dessus, p. 196, note 1. Ibn-Tibbon emploie dans le même sens le mot hébreu פירוש, comme le fait observer Ibn-Falaquéra, dans l’Appendice du Moré ha-Moré, à notre passage (p. 154):. Ce que le texte déclare expressément, c’est sa durée éternelle: Toi, Eternel, tu résides éternellement, ton trône (reste) de génération en génération (Lament., 5, 19). ", "— Si donc R. Eliézer avait admis l’éternité du trône, celui-ci ne pourrait désigner qu’un attribut de Dieu et non pas un corps créé(4)Voy. la Ire partie de cet ouvrage, chap. IX.; mais, comment alors serait-il possible que quelque chose fût né d’un attribut? — Mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est l’expression la lumière de son vêtement.", "En somme, c’est là un passage qui trouble très fort le théologien, homme de science, dans sa foi(1)La version d’Ibn-Tibbon manque ici de clarté, par sa trop grande littéralité; le mot אמונתו est le régime de יבלבל, et היודע, adjectif de בעל הדת, a le sens de savant. La phrase hébraïque doit être construite de cette manière: יבלבל מאד מאד אמונת בעל הדת היודע· L’auteur veut dire que ce passage met dans un grand embarras celui qui est à la fois théologien orthodoxe et homme de science. Al-’Harîzi traduit: ועל דרך כלל הוא דבר משבש דעת המאמין בתורה וישחית לאיש החכס אמונתו מאד מאד.. Je ne saurais en donner une interprétation suffisante, et je ne t’en ai parlé que pour que tu ne te laisses pas induire en erreur; ", "mais, quoi qu’il en soit, il (l’auteur) nous a rendu par là un grand service, en disant clairement que la matière du ciel est une autre que celle de la terre et que ce sont deux matières bien distinctes. L’une, à cause de son élévation et de sa majesté, est attribuée à Dieu et vient de la lumière de son vêtement(2)Selon Moïse de Narbonne, l’auteur veut dire que, par cette expression, Rabbi Eliézer désigne évidemment une matière pure et brillante, et non pas un attribut de Dieu.; l’autre, éloignée de la lumière et de la splendeur de Dieu, est la matière inférieure, qu’on fait venir de la neige qui est sous le trône de la gloire(3)Cf. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 144-145, où j’ai rapporté une explication curieuse de ce passage, attribuée à l’empereur Frédéric II.. — C’est là ce qui m’a amené à interpréter les paroles du Pentateuque Et sous ses pieds il y avait comme un ouvrage de la blancheur du saphir (Exode, 24, 10), dans ce sens: qu’ils perçurent, dans cette vision prophétique, la véritable condition de la matière première inférieure; car Onkelos, comme je te l’ai expliqué, considère (les mots) ses pieds comme se rapportant au trône, ce qui indique clairement que ce blanc, qui était sous le trône, est la matière terrestre(4)Pour l’intelligence de ce passage, voy. la Ire partie de cet ouvrage, chap. XXVIII, où l’auteur entre dans de longs détails sur ce sujet.. ", "Rabbi Eliézer a donc répété la même chose, en s’exprimant plus clairement, à savoir, qu’il y a deux matières, une supérieure et une inférieure, et que la matière de toute chose n’est point une seule. C’est là un grand mystère, et il ne faut pas dédaigner ce que les plus grands docteurs d’Israël en ont révélé; car c’est un des mystères de l’Être, et un des secrets de la Torâ. Dans le Beréschith Rabbâ on lit: «R.Eliézer dit: la création de tout ce qui est dans les cieux vient des cieux, et la création de tout ce qui appartient à la terre vient de la terre(1)Voy. Beréschîth Rabbâ, sect. 12 (fol. 11, col. 1). Cf. Talmud de Babylone, traité Yômâ, fol. 54 b..» Remarque bien comme ce docteur dit clairement que tout ce qui appartient à la terre, c’est-à-dire tout ce qui est au-dessous de la sphère de la lune, a une seule matière commune, et que la matière des cieux et de tout ce qui s’y trouve est une autre, distincte de la première(2)L’auteur insiste sur ce sujet, parce qu’il y a à cet égard divergence d’opinions, non-seulement parmi les docteurs (voy. l. c.), mais aussi parmi les philosophes; car les platoniciens, et notamment les Alexandrins, admettaient une seule matière qui, d’une extrême subtilité à son origine, va se condensant successivement de plus en plus. Parmi les philosophes juifs, c’est Ibn-Gebirol qui professe cette opinion, dans sa Source de vie.. Dans ses Aphorismes, il ajoute ce trait nouveau, concernant la majesté de l’une de ces matières, voisine de Dieu, ainsi que la défectuosité de l’autre et son espace circonscrit. Il faut te pénétrer de cela." ], [ "Je t’ai déjà exposé que la croyance à la nouveauté du monde est nécessairement la base de toute la religion; mais que ce monde, création nouvelle, doive aussi périr un jour(3)Littéralement: mais sa destruction, après avoir été né et formé, n’est point, selon nous, etc., ce n’est point là, selon nous, un article de religion, et, en croyant à sa perpépuité, on ne blesserait aucune de nos croyances. Tu diras peut-être: «N’a-t-il pas été démontré que tout ce qui naît est périssable? Donc, puisqu’il est né, il doit périr.» Mais, sache bien que nous ne sommes pas obligés de raisonner ainsi(1)Littéralement: Que cela ne nous oblige pas, ou que cela ne s’ensuit pas pour nous; c’est-à-dire, que ce raisonnement ne saurait s’appliquer à l’opinion que nous avons soutenue.; car nous n’avons pas soutenu qu’il soit né comme naissent les choses physiques, soumises à une loi naturelle(2)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, הטבעי est une faute d’impression; il faut lire טבעי, sans article.. En effet, ce qui est né selon le cours naturel des choses doit nécessairement périr selon le cours de la nature; car, de même que sa nature a exigé qu’il n’existât pas d’abord tel qu’il est(3)C’est-à-dire, qu’il n’existât pas sous cette forme qu’il a maintenant; car toutes les choses sublunaires naissent les unes des autres, et toutes elles naissent du mélange des éléments. — Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon il manque ici, après נמצא, le mot כן, qui se trouve dans les mss. et qu’ensuite il devînt tel, de même elle exige nécessairement qu’il n’existe pas perpétuellement ainsi(4)C’est-à-dire, qu’il ne conserve pas perpétuellement la forme qu’il a maintenant; car les choses nées finissent par perdre leurs formes et par retourner à leurs premiers éléments., puisqu’il est avéré que, par sa nature même, cette manière d’exister ne lui convient pas perpétuellement. Mais, selon notre thèse religieuse, qui attribue l’existence des choses et leur perte à la volonté de Dieu, et non à la nécessité, selon cette opinion (dis-je), rien ne nous oblige d’admettre que Dieu, après avoir produit une chose qui n’avait pas existé, doive nécessairement détruire cette chose. Au contraire, cela dépendra, ou bien de sa volonté qui sera libre de la détruire ou de la conserver, ou bien(5)Il faut lire, dans la version d’Ibn-Tibbon, או בגזרת חכמתו; la conjonction או manque dans la plupart des éditions, mais se trouve dans l’édition princeps. de ce qu’exigera sa sagesse; il sera donc possible qu’il la conserve éternellement et qu’il lui accorde une permanence semblable à la sienne propre. ", "Tu sais (par exemple) que les docteurs ont expressément déclaré que le trône de la gloire est une chose créée, et cependant ils n’ont jamais dit qu’il doive cesser d’être; on n’a jamais entendu, dans le discours d’aucun prophète, ni d’aucun docteur, que le trône de la gloire doive périr ou cesser d’être, et le texte de l’Écriture en a même proclamé la durée éternelle(1)Voy. ce qui a été dit, sur le trône de la gloire, au chapitre précédent. — Tous les mss. portent בל אלנץ בתאבידה, phrase elliptique, dans laquelle il faut sous-entendre le verbe קאל. Ibn-Tibbon a suppléé cette ellipse en traduisant: אבל הכתוביס אומריס בנצחותו.. De même les âmes des hommes d’élite, selon notre opinion, bien que créées, ne cessent jamais d’exister(2)On a déjà vu ailleurs que notre auteur n’attribue l’immortalité qu’aux âmes des justes, ou des hommes supérieurs, c’est-à-dire à celles qui dans cette vie sont arrivées au degré de l’intellect acquis, tandis que les âmes des impies, ou celles qui n’ont pas cherché à se perfectionner ici-bas par la vertu ou la science, sont vouées à la destruction. Voy. le t. I, p. 328, note 4. Et cf. le Mischné-Torâ, liv. I, traité Teschoubâ (de la pénitence), chap. VIII, §§ 1-3.. Selon certaines opinions de ceux qui s’attachent au sens littéral des Midraschîm, leurs corps aussi jouiront de délices perpétuelles dans toute l’éternité, ce qui ressemble à la fameuse croyance que certaines gens professent sur les habitants du paradis(3)Plus littéralement: Comme croient ceux dont la croyance est répandue, au sujet des gens du paradis. L’auteur fait évidemment allusion aux fables musulmanes relatives aux délices du paradis. — Cf. sur ce passage, Maïmonide, Commentaire sur la Mischnâ, 4e partie, introduction au Xe (XIe) chapitre du traité Synhedrin..", "En somme, la spéculation (philosophique) amène à cette conclusion: que le monde n’est pas nécessairement soumis à la destruction. Il ne reste donc (à examiner) que le point de vue de la prédiction des prophètes et des docteurs: a-t-il été prédit, ou non, que le monde sera infailliblement réduit au néant? En effet, le vulgaire d’entre nous croit, pour la plupart, que cela a été prédit et que ce monde tout entier doit périr; mais je t’exposerai qu’il n’en est point ainsi, qu’au contraire un grand nombre de textes en proclament la perpétuité, et que tout ce qui, pris dans le sens littéral(1)La plupart des mss. ont: מן טׄאהר; quelques-uns: מן טׄאהר נץ. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: מפשוטו כל דבר, il faut lire: מפשוטו של דבר., semble indiquer qu’il doit périr, est très évidemment une allégorie, comme je l’expliquerai. Si quelque partisan du sens littéral s’y refuse, disant qu’il doit nécessairement croire à la destruction (future) du monde, il ne faut pas le chicaner pour cela(2)Le verbe est ici l’aoriste passif de la 3e forme de la racine , ayant le sens de compter strictement avec quelqu’un, être avare ou rigoureux, ne rien céder à quelqu’un. C’est dans le même sens que les talmudistes emploient le verbe הקפיד, et c’est par ce verbe que Maïmonide lui-même, dans sa lettre à Ibn-Tibbon, traduit notre verbe arabe: סאלתני כיף יתרגׄם פלא ישאחח תתרגׄס אין בזה הקפדה. —Dans la plupart des mss., le verbe en question est écrit ישאחח, probablement pour faire mieux reconnaître la racine. Dans l’introduction du Kitâb al-luma’, le ms. d’Oxford a également אלמשאחחה̈, pour . Voy. ma Notice sur Abou’l-Walid, p. 133 (Journal asiatique, nov.-décemb. 1850, p.355).. Cependant, il faut lui faire savoir que, si la destruction du monde est nécessaire, ce n’est pas parce qu’il est créé, et que, si selon lui elle doit être admise, c’est plutôt par une foi sincère dans ce qui a été prédit par cette expression allégorique qu’il a prise, lui, dans son sens littéral. Il n’y a en cela aucune espèce de danger pour la religion." ], [ "Beaucoup de nos coreligionnaires croient que Salomon admettait l’éternité (du monde). Mais il est étonnant qu’on ait pu s’imaginer qu’un homme qui professait la religion de Moïse, notre maître, ait pu admettre l’éternité. Si quelqu’un croyait, — ce dont Dieu nous garde! — qu’il a déserté en cela les opinions religieuses(1)La version d’Ibn-Tibbon ajoute ici les mots ויציאה מעקרי הדת, dont l’équivalent ne se trouve dans aucun de nos mss. arabes, ni dans la version d’Al-’Harîi. Cette addition peut provenir d’une observation que Maïmonide, dans sa lettre, adressa au traducteur, au sujet du verbe , qui signifie, selon lui, sortir du rang ou de la ligne, s’écarter d’une opinion. et qu’il dit avoir employé ici dans le sens de יציאה מעקרי הדת, sortir (s’écarter) des principes de la religion:, comment donc tous les prophètes et docteurs l’auraient-ils accepté? comment ne l’auraient-ils pas attaqué sur ce point et ne l’auraient-ils pas blâmé après sa mort, comme on dut le faire(2)La plupart des mss. ont וגׄב; l’un des mss. de Leyde (n° 18) a נגׄד, et de même Al-’Harîsi: כמו שנמצא, comme nous le trouvons. La version de Ibn-Tibbon réunit les deux leçons כמו שנמצא שחייבוהו; Ibn-Tibbon avait mis sans doute en marge l’un des deux verbes, que les copistes ont ensuite réunis. pour les femmes étrangères et pour d’autres choses? Ce qui a donné lieu à le soupçonner à cet égard, c’est que les docteurs disent: «On voulait supprimer le livre de l’Ecclésiaste, parce que ses paroles inclinent vers les paroles des hérétiques(3)Voy. Wayyikra Rabbâ, sect. 28 (fol. 168, col. 4); Midrasch-Kohéleth, au chap. I, vers. 3. La citation de Maïmonide, comme il arrive souvent, diffère un peu de nos éditions des Midraschîm, qui portent: שמצאו בו דברים שהם נוטים לצד מינות..» Il en est ainsi, sans doute; je veux dire que ce livre, pris dans son sens littéral, renferme des choses qui inclinent vers des opinions hétérodoxes(4)Littéralement: Vers des opinions étrangères aux opinions de la loi. et qui ont besoin d’une interprétation. Mais l’éternité (du monde) n’est pas de ce nombre; il n’y a (dans ce livre) aucun passage qui l’indique, et encore moins y trouve-t-on un texte qui déclare manifestement l’éternité du monde. Cependant, il renferme des passages qui en indiquent la durée perpétuelle, laquelle est vraie; or, y ayant vu des passages qui en indiquent la perpétuité, on a pensé que Salomon le croyait incréé, tandis qu’il n’en est point ainsi. ", "Le passage sur la perpétuité est celui-ci: et la terre reste à perpétuité, לעולם (Ecclésiaste, 1, 4); et ceux qui n’ont pas porté leur attention sur ce point curieux ont dû recourir à cette explication: pendant le temps qui lui a été fixé(1)C’est-à-dire: ceux qui n’ont pas su séparer l’éternité du monde de sa durée perpétuelle ont dû expliquer ces paroles de l’Ecclésiaste dans ce sens que la terre aura la durée qui lui a été fixée d’avance par le Créateur.. Ils ont dit de même, au sujet de ces paroles de Dieu: Jamais tant que durera la terre (Genèse,8, 22), qu’il s’agit là de la durée du temps qui lui a été fixé. Mais je voudrais savoir ce qu’on dira des paroles de David: Il a fondé la terre sur ses bases, afin qu’elle ne chancelle point, à tout jamais (Ps. 104, 5); car si les mots עולם ועד, in sœculum, n’indiquaient pas non plus la durée perpétuelle, Dieu aussi aurait une certaine durée limitée, puisqu’on s’exprime sur sa perpétuité en ces termes: l’Éternel règnera à jamais, לעולם ועד (Exode, 15, 18)(2)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on cite ici le verset: י״י מלך עולם ועד (Ps. 10, 16).. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que עולם, sœculum, n’indique la durée perpétuelle que lorsque la particule עד y est jointe, soit après, comme, p.ex., עולם ועד, soit avant, comme, par exemple, עד עולם; ainsi donc, l’expression de Salomon, לעולם עמדת reste à perpétuité, dirait même moins que celle de David, בל תמוט עולם ועד, afin qu’elle ne chancelle point, à tout jamais. David, en effet, a clairement exposé la perpétuité du ciel et (déclaré) que ses lois, ainsi que tout ce qu’il renferme, resteront invariablement dans le même état. Il a dit: Célébrez l’Éternel du haut des cieux, etc., car il a ordonné et ils furent créés; il les a établis pour toute éternité; il a fixé une loi qui reste invariable (Ps. 148, 1, 5, 6), ce qui veut dire que ces lois qu’il a fixées ne seront jamais changées; car le mot חׄק (loi) est une allusion aux lois du ciel et de la terre, dont il a été parlé précédemment(3)Voy., ci-dessus, chap. X et passim.. Mais en même temps il déclare qu’elles ont été créées, en disant: car il a ordonné, et ils(1)C’est-à-dire, les cieux et leurs lois. furent créés. Jérémie a dit: celui qui a destiné le soleil pour servir de lumière pendant le jour, (qui a prescrit) des lois à la lune et aux étoiles pour servir de lumière pendant la nuit, etc., si ces lois peuvent disparaître de devant moi, dit l’Éternel, la race d’Israël aussi cessera d’être une nation. (Jérémie 31, 35); il a donc également déclaré que bien qu’elles aient été créées, à savoir ces lois, elles ne disparaîtront point. Si donc on en poursuit la recherche, on trouvera (aussi cette doctrine) ailleurs que dans les paroles de Salomon. Mais Salomon (lui-même) a dit encore que ces œuvres de Dieu, c’est-à-dire le monde et ce qu’il renferme, resteront perpétuellement stables dans leur nature, bien qu’elles aient été faites: Tout ce que Dieu a fait, dit-il, restera à perpétuité; il n’y a rien à y ajouter, rien à en retrancher (Ecclésiaste, 3, 14). Il a donc fait connaître par ce verset, que le monde est l’œuvre de Dieu et qu’il est d’une durée perpétuelle, et il a aussi donné la cause de sa perpétuité, en disant: il n’y a rien à y ajouter, rien à en retrancher; car ceci est la cause pourquoi il restera à perpétuité. C’est comme s’il avait dit que la chose qui est sujette au changement ne l’est qu’à cause de ce qu’elle a de défectueux et qui doit être complété, ou (à cause) de ce qu’elle a de superflu et d’inutile, de sorte que ce superflu doit être retranché; tandis que les œuvres de Dieu, étant extrêmement parfaites, de sorte qu’il est impossible d’y ajouter ou d’en retrancher, restent nécessairement telles qu’elles sont, rien dans elles ne pouvant amener le changement(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent כי אי אפשר המצא דבר מביא לשנוים. Les mots המצא דבר ne se trouvent pas dans les mss., et n’ont été ajoutés que pour plus de clarté.. Il semblerait qu’il ait voulu aussi indiquer le but de la création, ou justifier les changements qui surviennent(3)Littéralement: C’est aussi comme s’il avait voulu donner un but à ce qui existe, ou excuser ce qui est changé, en disant, etc.; c’est-à-dire: il semble que Salomon, par les derniers mots de ce verset, a voulu indiquer le but qu’avait Dieu en créant le monde, ou bien justifier le changement que les lois de la nature semblent subir, à certaines époques, par l’intervention des miracles. — Les mots תכלית כונה, dans la version d’Ibn-Tibbon, sont une double traduction du mot arabe גאיה̈; il faut donc effacer l’un des deux mots., en disant à la fin du verset: Et Dieu l’a fait pour qu’on le craignît, ce qui est une allusion aux miracles qui surviennent. Quand il dit ensuite (V, 15): Ce qui a été est encore, et ce qui sera a déjà été, et Dieu veut cette suite (continuelle); il veut dire par là que Dieu veut la perpétuité de l’univers et que tout s’y suive par un enchaînement mutuel.", "Ce qu’il a dit de la perfection des œuvres de Dieu et de l’impossibilité d’y rien ajouter et d’en rien retrancher, le prince des savants(1)Cf. sur cette expression, appliquée à Moïse, le t. I, p. 216, note 2. l’a déjà déclaré en disant: Le rocher (le Créateur), son œuvre est parfaite (Deut., XXXII, 4); ce qui veut dire que toutes ses œuvres, à savoir ses créatures, sont extrêmement parfaites, qu’il ne s’y mêle aucune défectuosité, et qu’elles ne renferment rien de superflu ni rien d’inutile. Et de même, tout ce qui s’accomplit pour ces créatures et par elles est parfaitement juste et conforme à ce qu’exige la sagesse (divine), comme cela sera exposé dans quelques chapitres de ce traité." ], [ "Sache que celui qui ne comprend pas la langue d’un homme qu’il entend parler, sait sans doute que cet homme parle, mais il ignore ce qu’il veut dire. Mais, ce qui est encore plus grave, c’est qu’on entend quelquefois dans le langage (d’un homme) des mots qui, dans la langue de celui qui parle, indiquent un certain sens, tandis que par hasard, dans la langue de l’auditeur, tel mot a un sens opposé à celui que l’interlocuteur voulait (exprimer); et cependant l’auditeur croit que le mot a, pour celui qui parle, la signification qu’il a pour lui-même. Si, par exemple, un Arabe entendait dire à un Hébreu abâ, l’Arabe croirait que l’autre veut parler de quelqu’un qui repousse une chose et qui ne la veut pas, tandis que l’Hébreu veut dire, au contraire, que la chose plaît à celui-là et qu’il la veut. C’est là également ce qui arrive au vulgaire avec le langage des prophètes; en partie, il ne le comprend pas du tout, mais c’est, comme a dit (le prophète): Toute vision est pour vous comme les paroles d’un livre scellé (Isaïe, 29, 11); en partie, il le prend à rebours ou dans un sens opposé, comme a dit (un autre prophète): Et vous renversez les paroles du Dieu vivant (Jérémie, 23, 36). Sache aussi que chaque prophète a un langage à lui propre, qui est en quelque sorte la langue (particulière) de ce personnage; et c’est de la même manière que la révélation, qui lui est personnelle, le fait parler à celui qui peut le comprendre.", "Après ce préambule, il faut savoir que ce qui arrive fréquemment dans le discours d’Isaïe, — mais rarement dans celui des autres (prophètes), — c’est que, lorsqu’il veut parler de la chute d’une dynastie(1)Ibn-Tibbon traduit: על נתיצת עם; Al-’Harîzi dit plus exactement: על עקירת מלכות, car le mot arabe , qu’Ibn-Tibbon traduit souvent par עם ou אומה, nation, signifie dynastie, empire. ou de la ruine d’une grande nation, il se sert d’expressions telles que: Les astres sont tombés, le ciel a été bouleversé(2)Le verbe , à la lre et à la IIe forme, signifie envelopper la tête (d’un turban). Dans le Koran, se dit du soleil (chap. LXXXI, v. 1): . Les commentateurs ne sont pas d’accord sur le sens de ce verbe passif; on l’explique par être obscurci ou enveloppé, se coucher, s’effacer. Voy. le Commentaire des Séances de Hariri, p.313. Maïmonide y attache l’idée de bouleversement, destruction, comme il le dit lui-même dans sa lettre à R. Samuel Ibn-Tibbon: ואלסמא כורת באלכאף ומעני אלתכויר אבארה̈ אלסמא «Il faut lire כורת, par un câf. Ce verbe se dit de la destruction du ciel.», le soleil s’est obscurci, la terre a été dévastée et ébranlée, et beaucoup d’autres métaphores semblables. ", "C’est comme on dit chez les Arabes (en parlant) de celui qu’un grand malheur a frappé: Son ciel a été renversé sur sa terre(1)C’est-à-dire: il a été bouleversé sens dessus dessous.. De même, lorsqu’il décrit la prospérité d’une dynastie et un renouvellement de fortune, il se sert de métaphores telles que l’augmentation de la lumière du soleil et de la lune, le renouvellement du ciel et de la terre, et autres expressions analogues. C’est ainsi que (les autres prophètes), lorsqu’ils décrivent la ruine d’un individu, d’une nation ou d’une ville, attribuent à Dieu des dispositions de colère et de grande indignation contre eux; mais, lorsqu’ils décrivent la prospérité d’un peuple, ils attribuent à Dieu des dispositions de joie et d’allégresse. Ils disent (en parlant) de ses dispositions de colère contre les hommes: il est sorti, il est descendu, il a rugi, il a tonné, il a fait retentir sa voix, et beaucoup d’autres mots semblables; ils disent aussi: il a ordonné, il a dit, il a agi, il a fait, et ainsi de suite, comme je l’exposerai. En outre, lorsque le prophète raconte la ruine des habitants d’un certain endroit, il met quelquefois toute l’espèce (humaine) à la place des habitants de cet endroit; c’est ainsi qu’lsaïe dit: Et l’Éternel éloignera les hommes (VI, 12), voulant parler de la ruine d’Israël(2)Saadia traduit dans le même sens: ואדׄ יבער אללה האולא אלנאס, et voici Dieu éloignera ces hommes (les Israélites).. Sephania dit dans le même sens: J’exterminerai l’homme de la surface de la terre, et j’étendrai ma main contre Juda (I, 3 et 4). Il faut te bien pénétrer de cela.", "Après t’avoir exposé ce langage (des prophètes) en général, je vais le faire voir que ce que je dis est vrai et t’en donner la preuve(3)Littéralement: Je vais t’en faire voir la vérité et la démonstration; c’est-à-dire: Je vais te démontrer par des exemples que ce que je dis est vrai.. Isaïe, — lorsque Dieu l’a chargé d’annoncer la chute de l’empire de Babylone, la destruction de San’hérib, celle de Nebouchadneçar qui apparut après lui, et la cessation de son règne, et que (le prophète) commence à dépeindre les calamités (qui devaient les frapper) à la fin de leur règne, leurs déroutes et ce qui devait les atteindre en fait de malheurs qui atteignent quiconque est mis en déroute et qui fuit devant le glaive victorieux,— (Isaïe, dis-je,) s’exprime ainsi: Car les étoiles des cieux et leurs constellations ne feront pas luire leur lumière, le soleil sera obscurci dès son lever, et la lune ne fera pas resplendir sa clarté (Isaïe, 13, 10). Il dit encore dans la même description: C’est pourquoi j’ébranlerai les cieux, et la terre sera remuée de sa place, par la fureur de Jehova Sebaoth, et au jour de sa brûlante colère (ibid., v. 13). Je ne pense pas qu’il y ait un seul homme dans lequel l’ignorance, l’aveuglement, l’attachement au sens littéral des métaphores et des expressions oratoires, soient arrivés au point qu’il pense que les étoiles du ciel et la lumière du soleil et de la lune aient été altérées lorsque le royaume de Babylone périt, ou que la terre soit sortie de son centre, comme s’exprime (le prophète). Mais tout cela est la description de l’état d’un homme mis en fuite, qui, sans doute, voit toute lumière en noir, trouve toute douceur amère, et s’imagine que la terre lui est trop étroite et que le ciel s’est couvert(1)Ibn-Tibbon a: והשמים נהפכים עליו; peut-être a-t-il lu, dans son texte arabe, מנקלבה̈ au lieu de מנטבקה̈. sur lui.", "De même, quand il dépeint à quel état d’abaissement et d’humiliation devaient arriver les Israélites pendant les jours de l’impie San’hérib, lorsqu’il s’emparerait de toutes les villes fortes de Juda (ibid., XXXVI, 1), comment ils devaient être faits captifs et mis en déroute, quelles calamités devaient successivement venir (fondre) sur eux, de la part de ce roi, et comment la terre d’Israël devait périr alors par sa main, — il s’exprime ainsi: Effroi, fosse et piége contre toi, habitant du pays. Celui qui fuira le bruit de l’effroi tombera dans la fosse; celui qui remontera de la fosse sera pris dans le piége; car les écluses des hauteurs (célestes) s’ouvrent, et les fondements de la terre sont ébranlés. La terre sera violemment secouée, crevassée, ébranlée. La terre chancellera comme un ivrogne, etc. (ibid., XXIV, 17-20). A la fin de ce discours, en décrivant ce que Dieu fera à San’hérib, la perte de sa domination altière (dans son expédition) contre Jérusalem, et la honte dont Dieu le confondra devant cette ville, il dit allégoriquement(1)Le ms. de Paris (n° 237) porte מתממא, en terminant.: La lune rougira, le soleil sera confus; car l’Eternel Sebaoth régnera, etc. (ibid., v. 23). Jonathan ben Uziel a très bien interprété ces paroles; il dit que, lorsqu’il arrivera à San’hérib ce qui lui arrivera (dans son expédition) contre Jérusalem, les adorateurs des astres sauront que c’est un acte divin, et ils seront stupéfaits et troublés: Ceux, dit-il, qui rendent un culte à la lune rougiront, ceux qui se prosternent devant le soleil seront humiliés, car le règne de Dieu se révélera, etc(2)De même Saadia: פיכׄזא אלקמ ריון ויכׄיב אלשמסיון..", "Ensuite, en dépeignant la tranquillité dont jouiront les Israélites quand San’hérib aura péri, la fertilité et le repeuplement de leurs terres et la prospérité de leur empire sous Ezéchias, il dit allégoriquement que la lumière du soleil et de la lune sera augmentée; car, de même qu’il a été dit, au sujet du vaincu, que la lumière du soleil et de la lune s’en va et se change en ténèbres par rapport au vaincu, de même la lumière des deux (astres) augmente pour le vainqueur. Tu trouveras toujours que, lorsqu’il arrive à l’homme un grand malheur, ses yeux s’obscurcissent, et la lumière de sa vue n’est pas claire, parce que l’esprit visuel(3)Voy. le t. I, p. 111, note 2, et p. 355, note 1. se trouble par l’abondance des vapeurs et qu’en même temps il s’affaiblit et s’amoindrit par la grande tristesse et par le resserrement de l’âme. Dans la joie, au contraire, lorsque l’âme se dilate et que l’esprit (visuel) s’éclaircit, l’homme voit en quelque sorte la lumière plus forte qu’auparavant. — Après avoir dit: Car, peuple dans Sion, qui habites dans Jérusalem! tu ne pleureras plus, etc. (le prophète ajoute,) à la fin du discours: La lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera septuple comme la lumière des sept jours, lorsque Dieu pansera la fracture de son peuple et qu’il guérira la plaie de sa blessure (ibid., XXX, 19 et 26); il veut dire: lorsqu’il les relèvera de leur chute(1)Le verbe , IVe forme de la racine , ou (Voy. le Commentaire des Séances de Hariri, p .6), signifie résilier un marché, relever quelqu’un d’un engagement, lui pardonner; de là, , il l’a relevé de sa chute, au propre et au figuré. Maïmonide, dans sa lettre, avait conseillé à Ibn-Tibbon de traduire les mots אקאלה̈ עתׄרתהם par רפוי מחצתם, la guérison de leur blessure, sans doute par allusion aux mots d’Isaïe, ומחץ מכתו ירפא. Probablement Ibn-Tibbon trouva cette traduction trop libre; il traduit plus littéralement: הָקים כשלונם. Maïmonide emploie la même expression dans la IIIe partie, chap. XVI: ועתׄרוא עתׄרה̈ לא אקאלה̈ להם מנהא, ce qu’Ibn-Tibbon traduit: כשלו כשלון אין תקומה להם ממנו, littéralement, et ils ont fait un faux pas (ou une chute) dont ils ne sauraient se relever. (qu’ils auront faite) par la main de l’impie San’hérib. Quant à ces mots: comme la lumière des sept jours, ies commentateurs disent qu’il veut indiquer par là la grande quantité (de lumière); car les Hébreux mettent sept pour un grand nombre. Mais il me semble, à moi, qu’il fait allusion aux sept jours de la dédicace du Temple qui eut lieu aux jours de Salomon; car jamais la nation n’avait joui d’un bonheur, d’une prospérité et d’une joie générale, comme dans ces jours-là. Il dit donc que leur bonheur et leur prospérité seront alors (grands) comme dans ces sept jours.", "Lorsqu’il décrit la ruine des impies Iduméens, qui opprimaient les Israélites, il dit: Leurs morts seront jetés, et de leurs cadavres s’élèvera une odeur infecte; les montagnes se fondront dans leur sang. Toute l’armée céleste se dissoudra, les cieux se rouleront comme un livre, toute leur armée tombera comme tombent la feuille de la vigne et le fruit flétri du figuier. Car mon glaive, dans le ciel, est ivre; voici qu’il descend sur Edom, etc. (ibid., XXXIV, 3–5). Or, considérez, vous qui avez des yeux, s’il y a dans ces textes quelque chose qui soit obscur, ou qui puisse faire penser qu’il décrive un événement qui arrivera au ciel, et si c’est là autre chose qu’une métaphore pour dire que leur règne sera détruit, que la protection de Dieu se retirera d’eux, que leur fortune sera abattue, et que les dignités de leurs grands s’évanouiront(1)Les mots וסקוט בכׄותהם וכׄמול חטׄוטׄ עטׄמאיהם sont rendus, dans la version d’Ibn-Tibbon, par והשפלם ושחות גדוליהם. On voit que ce traducteur a négligé les mots בכׄות et חטׄוטׄ. Al-’Harîzi traduit plus exactement: ורדת מזלם ושפלות גדולת נכבריהם. Ibn-Falaquéra, dans ses observations critiques sur la version d’Ibn-Tibbon (Appendice du Moré-ha-moré, p. 149), a déjà fait remarquer l’omission du mot חטׄוטׄ, qui, dit-il, a ici le sens de dignités, honneurs (cf. le t. I, p. 52, note 2); il y fait observer en même temps que כׄמול a ici le sens de disparition, évanouissement: . au plus vite et avec une extrême rapidité. C’est comme s’il disait que les personnages qui étaient comparables aux étoiles par la solidité, par l’élévation de position et par l’éloignement des vicissitudes, tomberont, dans le plus court délai, comme tombe la feuille de la vigne, etc. Ceci est trop clair pour qu’on en parle dans un traité comme celui-ci, et, à plus forte raison, pour qu’on s’y arrête. Mais la nécessité (nous) y a appelé; car le vulgaire, et même ceux qu’on prend pour des gens distingués, tirent des preuves de ce verset, sans faire attention à ce qui se trouve avant et après, et sans réfléchir à quel sujet cela a été dit, (le considérant) seulement comme un récit par lequel l’Écriture eût voulu nous annoncer la fin du ciel, comme elle nous en a raconté la naissance.", "Ensuite, lorsqu’Isaïe annonce aux Israélites la ruine de San’hérib et de tous les peuples et rois qui étaient avec lui [comme il est notoire] et la victoire qu’ils remporteront par l’aide de Dieu seul, il leur dit allégoriquement: voyez comme ce ciel se dissout, comme cette terre s’use; ceux qui l’habitent meurent, et vous, vous êtes secourus. C’est comme s’il disait que ceux qui ont embrassé toute la terre et que l’on croyait solides comme le ciel, — par hyperbole(1)Le mot אגיא ( , accusatif ) est le nom d’action de la IIe forme de la racine et est employé dans le sens d’hyperbole (dérivé de , extrémité). Cette signification du mot n’est pas indiquée dans les dictionnaires; mais Maïmonide emploie ce mot dans plusieurs passages de ce traité: par exemple, ci-après, chap. XLVII: , les métaphores et les hyperboles. On emploie aussi dans le môme sens le mot , nom d’action de la VIe forme. Voy. mon édition du Commentaire de R. Tan’houm sur ’Habakkouk, p. 33, et la note 13 b, p. 98., — périront rapidement et s’en iront comme s’en va la fumée, et leurs monuments qui étaient en vue(2)Ibn-Tibbon traduit le mot inexactement par ועניניהם; Al-’Harîzi a ואותותיהם. L’un et l’autre ont omis de traduire אלטׄאהרהׄ, qui manque aussi dans le ms. n° 18 de Leyde. et (paraissaient) slables comme la terre, ces monuments se perdront comme se perd un vêtement usé. Au commencement de ce discours, il dit: Car Dieu consolera Sion, il consolera toutes ses ruines, etc Écoutez-moi, mon peuple, etc. Ma justice est proche, mon salut apparaît, etc. Levez vos yeux vers les cieux, regardez la terre en bas, car les cieux se dissipent comme la fumée, la terre s’use comme un vêtement, et ses habitants périssent également; mais mon salut sera pour l’éternité et ma justice ne se brisera pas (ibid., LI, 3-6).", "En parlant de la restauration du royaume des Israélites, de sa stabilité et de sa durée, il dit que Dieu produira de nouveau un ciel et une terre; car, dans son langage, il s’exprime toujours au sujet du règne d’un roi, comme si c’était un monde propre à celui-ci, à savoir: un ciel et une terre. Après avoir commencé les consolations (par les mots): Moi, moi-même je vous console (ibid., v. 12), et ce qui suit, il s’exprime ainsi: Je mets mes paroles dans ta bouche et je te couvre de l’ombre de ma main, pour implanter les cieux, pour fonder la terre et pour dire à Sion: tu es mon peuple (ibid., v. 16). Pour dire que la domination restera aux Israélites et qu’elle s’éloignera des puissants célèbres, il s’exprime ainsi: Car les montagnes céderont, etc. (ibid., LIV, 10). En parlant de la perpétuité du règne du Messie, et (pour dire) que le règne d’Israël ne sera plus détruit depuis, il s’exprime ainsi: Ton soleil ne se couchera plus, etc. (ibid., LX, 20). — Enfin, pour celui qui comprend le sens de ce langage, ce sont de pareilles métaphores, souvent répétées, qu’Isaïe emploie dans son discours. C’est ainsi que, décrivant les circonstances de l’exil et leurs particularités, et ensuite le retour de la puissance et la disparition de tous ces deuils, il dit allégoriquement: Je créerai un autre ciel et une autre terre, ceux d’à présent(1)Tous les mss. arabes ont ותנסי תלך, ce qu’Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi rendent par וישכחו הראשונים. seront oubliés et leur trace sera effacée. Puis il explique cela dans la suite du discours, et il dit: Si j’emploie les mots je créerai etc., je veux dire par là que je vous formerai un état de joie continuelle et d’allégresse en place de ces deuils et de cette affliction, et on ne pensera plus à ces deuils précédents. ", "Ecoute l’enchaînement des idées et comment se suivent les versets qui s’y rapportent: d’abord, en commençant ce sujet, il dit: Je rappellerai les bontés de l’Éternel, les louanges de l’Éternel, etc. (ibid., LXIII, 7). Après cela, il dépeint tout d’abord les bontés de Dieu envers nous (en disant): Il les a soulevés et il les a portés tous les jours de l’éternité, et tout l’ensemble du passage (ibid., v. 9). Puis il décrit notre rébellion: Ils se sont révoltés et ils ont irrité son esprit saint, et ce qui suit (ibid., v. 10). Ensuite il décrit comment l’ennemi s’est rendu maître de nous: Nos ennemis ont foulé ton sanctuaire; nous sommes (comme ceux) sur lesquels tu n’as jamais dominé, et ce qui suit (ibid., v. 18 et 19). Ensuite, il prie pour nous, et il dit: Ne t’irrite pas trop, ô Éternel, et ce qui suit (ibid., LXIV, 8). Après cela il rappelle de quelle manière nous avons mérité le grave (châtiment) par lequel nous avons été éprouvés, puisque nous avons été appelés à la vérité et que nous n’avons pas répondu, et il dit: Je me suis laissé chercher par ceux qui n’avaient pas demandé, etc. (ibid., LXV, 1). Puis, il promet le pardon et la miséricorde, et il dit: Ainsi parle l’Eternel: comme le moût se trouve dans la grappe, et ce qui suit (ibid., v. 8). Il menace ensuite ceux qui nous ont opprimés, et il dit: Voici, mes serviteurs mangeront, et vous, vous aurez faim, etc. (ibid., v. 13). Enfin, il ajoute à cela que les croyances de cette nation se corrigeront, qu’elle deviendra un objet de bénédiction sur la terre, et qu’elle oubliera toutes les vicissitudes précédentes; et il s’exprime en ces termes: Et il appellera ses serviteurs par un autre nom; celui qui se bénira sur la terre se bénira par le vrai Dieu, et celui qui jurera sur la terre jurera par le vrai Dieu; car les premières détresses seront oubliées et dérobées à mes yeux. Car voici, je crée des cieux nouveaux et une terre nouvelle, on ne pensera plus à ce qui a précédé et on ne s’en souviendra plus. Mais, réjouissez-vous et tressaillez pour toujours à cause de ce que je crée; car voici, je crée Jérusalem pour l’allégresse, et son peuple pour la joie. Et je me réjouirai de Jérusalem, etc. (ibid., v. 15-19). — Tu as donc maintenant une explication claire de tout le sujet. C’est que, après avoir dit: Car voici, je crée des cieux nouveaux et une terre nouvelle, il l’explique immédiatement, en disant: Car voici, je crée Jérusalem pour l’allégresse, et son peuple pour la joie. Après ce préambule, il dit: De même que ces circonstances de la foi et de l’allégresse qui s’y rattache, (circonstances) que j’ai promis de créer(1)Il faut effacer ici dans la version d’Ibn-Tibbon les mots וימלאו את הארץ, qui ne sont exprimés ni dans le texte arabe, ni dans la version d’Al-’Harîzi., subsisteront toujours, — car la foi en Dieu et l’allégresse que cause cette foi sont deux circonstances qui ne peuvent jamais cesser ni s’altérer dans celui à qui elles sont arrivées(2)Dans la version d’Ibn-Tibbon, au lieu de ממה שהגיע אליו, il faut lire: מכל מי שהיו לו, comme l’ont les mss. — La phrase ayant été interrompue ici par une parenthèse, l’auteur la recommence une seconde fois.; — il dit donc. De même que cet état de foi et d’allégresse, que j’annonce comme devant être universel sur la terre, sera perpétuel et stable, de même se perpétuera votre race et votre nom. C’est là ce qu’il dit après: Car de même que ces cieux nouveaux et cette terre nouvelle que je ferai subsistent devant moi, dit l’Éternel, de même subsistera votre race et votre nom (ibid., LXVI, 22). Car il arrive quelquefois que la race reste, et que le nom ne reste pas; tu trouves, par exemple, beaucoup de peuples qui indubitablement sont de la race des Perses ou des Grecs, et qui cependant ne sont plus connus par un nom particulier, mais qu’une autre nation a absorbés. Il y a là encore, selon moi, une allusion à la perpétuité de la Loi (de Moïse), à cause de laquelle nous avons un nom particulier.", "Comme ces métaphores se rencontrent fréquemment dans Isaïe, j’ai dû, à cause de cela, les parcourir toutes; mais il s’en trouve aussi quelquefois dans le discours des autres (prophètes).", "JÉRÉMIE dit, en décrivant la destruction de Jérusalem, due aux crimes de nos ancêtres: J’ai vu la terre, et il n’y avait que le vide et le chaos (IV, 23).", "EZÉCHIEL dit, en décrivant la ruine du royaume d’Égypte et la chute du Pharaon par la main de Nebouchadneçar: Je couvrirai les cieux en t’éteignant, et j’obscurcirai leurs astres; je couvrirai le soleil d’un nuage, et la lune ne fera pas luire sa lumière. Toutes les clartés de lumière dans les cieux, je les obscurcirai sur toi, et je répandrai des ténèbres sur ta terre, dit le Seigneur, l’Éternel (XXXII, 7–8).", "JOEL, fils de Pethouel, dit (en parlant) de la multitude des sauterelles qui arrivèrent de son temps: Devant elles la terre tremble, le ciel s’ébranle, le soleil et la lune s’obscurcissent, et les astres retirent leur clarté (II, 10).", "AMOS dit, en décrivant la destruction de Samarie: Je ferai coucher le soleil en plein midi, et je couvrirai de ténèbres la terre au milieu de la clarté du jour; je changerai vos fêtes en deuil, etc. (VIII, 9 et 10).", "MICHA dit, au sujet de la destruction de Samarie, en demeurant toujours dans ces expressions oratoires généralement connues: Car voici, l’Éternel sort de sa résidence, il descend, et il foule les hauteurs de la terre; les montagnes se fondent, etc. (I, 3-4).", "’HAGGAΪ dit (en parlant) de la destruction du royaume des Perses et des Mèdes: J’ébranlerai les cieux et la terre, la mer et le continent; je remuerai toutes les nations, etc. (II, 6-7).", "Au sujet de l’expédition de Joab contre les Araméens, lorsqu’il (David) dépeint combien la nation était faible et abaissée auparavant et comment (les Israélites) étaient vaincus et mis en fuite, et qu’il prie pour qu’ils soient victorieux dans ce moment, il s’exprime ainsi: Tu as ébranlé la terre, tu l’as brisée; guéris ses fractures, car elle chancelle (Ps. 60, 4). De même, pour nous avertir que nous ne devons rien craindre lorsque les peuples périssent et s’en vont, — parce que nous nous appuyons sur le secours du Très-Haut et non pas sur notre combat et sur notre force, comme a dit (Moïse): Peuple secouru de l’Eternel (Deut., XXXIII, 29),— il dit: C’est pourquoi nous ne craignons rien, lorsque la terre change et que les montagnes chancellent au cœur des mers (Ps. 46, 3). ", "Au sujet de la submersion des Egyptiens, on trouve (les expressions suivantes): Les eaux t’ont vu et elles ont tremblé, et les abîmes se sont émus. La voix de ton tonnerre dans le tourbillon etc., la terre tremblait et s’ébranlait (Ps. 77, 17 et 19). L’Éternel est-il en colère contre les fleuves (Habac., III, 8)? La fumée monta dans ses narines etc. (Ps. 18, 9). De même, dans le cantique de Débora: la terre s’ébranla, etc. (Juges, 5, 4.— On rencontre beaucoup (d’autres passages) de ce genre; ce que je n’ai pas cité, tu l’expliqueras d’une manière analogue(1)Littéralement: Mesure-le (ou compare-le) avec ce que j’ai cité..", "Quant à ces paroles de Joel (III, 3-5): Je montrerai des prodiges dans les cieux et sur la terre, du sang, du feu et des colonnes de fumée. Le soleil sera changé en ténèbres et la lune en sang, avant qu’arrive le jour grand et terrible de l’Éternel. Et quiconque invoquera le nom de l’Éternel sera sauvé; car sur le mont Sion et dans Jérusalem il y aura un refuge etc., — je serais très porté à croire qu’il veut décrire la ruine de San’hérib (dans son expédition) contre Jérusalem. Mais, si tu ne veux pas (admettre) cela, ce peut être la description de la ruine de Gôg (qui aura lieu) devant Jérusalem, aux jours du roi-Messie, bien qu’il ne soit question, dans ce passage, que du grand carnage, du ravage des flammes et de l’éclipse des deux astres. Tu diras peut-être: comment se fait-il que, selon notre explication, il appelle le jour de la ruine de San’hérib le jour grand et terrible de l’Eternel? Mais il faut savoir que chaque jour auquel a lieu une grande victoire ou une grande calamité est appelé le jour grand et terrible de l’Eternel. Joel a dit de même (en parlant) du jour où ces sauterelles arrivèrent contre eux(1)Cette phrase manque dans les éditions de la version d’Ihn-Tibbon; il faut ajouter, d’après les mss.: כבר אמר יואל זה על יום בוא הארבה עליהם. (II, 11): Car grand est le jour de l’Eternel et fort terrible; qui peut le supporter?", "On connaît déjà le but auquel nous visons; c’est (de prouver) qu’une destruction (future) de ce monde, un changement de l’état dans lequel il est, ou même un changement quelconque dans sa nature, de manière qu’il doive ensuite rester dans cet état altéré(2)Par ces derniers mots, l’auteur, comme il va le dire lui-même, indique qu’il se peut bien qu’il survienne parfois un changement momentané, par suite d’un miracle; mais jamais les lois de la nature ne seront modifiées d’une manière définitive., est une chose qu’aucun texte prophétique, ni même aucun discours des docteurs ne vient appuyer; car, lorsque ces derniers disent: «Le monde dure six mille ans et pendant un millénaire il reste dévasté(3)Voy. Talmud de Babylone, Rôsch ha-schanâ, fol. 31 a; Synhédrin, fol. 97 a.,» ce n’est pas (dans ce sens) que tout ce qui existe doive rentrer dans le néant, puisque ces mots même: et pendant un millénaire il reste dévasté, indiquent que le temps restera(1)La mesure du temps par un millénaire prouve que, selon l’auteur de ce passage talmudique, le mouvement et le temps existeront. Donc il restera quelque chose de la Création; car, dans le système orthodoxe, le mouvement et le temps ne sauraient être éternels, et nécessairement ils sont créés, comme le soutient Maïmonide contre Aristote (voy. ci-dessus chap. XIII, et, ci-après, chap. XXX, p. 231 et suiv.).. Au reste, c’est là une opinion individuelle et (conçue) suivant une certaine manière de voir(2)C’est-à-dire, dans le système de ceux qui disent que le monde, après avoir parcouru un certain cycle, revient à son premier état de chaos, en sorte que Dieu crée toujours des mondes pour les détruire après un certain temps: בורא עולמות ומחריבן. Voy. Beréschîth-Rabbâ, sect. 3 (fol. 3, col. 3), et cf. ci-après, p. 233, et ibd., notes 1 et 2.. Mais, ce que tu trouves continuellement chez tous les docteurs, et ce qui est un principe fondamental dont chacun des docteurs de la Mischnâ et du Talmud tire des arguments, c’est que, selon cette parole: Rien de nouveau sous le soleil (Ecclesiaste, I, 9), aucun renouvellement n’aura lieu de quelque manière et par quelque cause que ce soit. Gela est si vrai, que celui-là même qui prend les mots (d’Isaïe) cieux nouveaux et terre nouvelle dans le sens qu’on leur attribue (par erreur)(3)C’est-à-dire: Celui-là même qui ne prend point ces mots pour une métaphore, et qui croit au contraire qu’il s’agit réellement d’un renouvellement dans la nature, croit devoir supposer que ce renouvellement avait été prévu, et, pour ainsi dire, mis en réserve dès le moment de la création., dit pourtant: «Même les cieux et la terre qui seront produits un jour sont déjà créés et subsistent, puisqu’il est dit: ils subsistent devant moi; on ne dit donc pas ils subsisteront, mais ils subsistent»; et il prend pour argument ces mots, rien de nouveau sous le soleil(4)L’auteur paraît avoir eu en vue le passage suivant du Beréschîth rabbâ, sect. I (fol. 2, col. 1): אפילו אותן שכתוב בהן כי הנני בורא שמים חדשים כבר הן ברואים מששת ימי בראשית הה״ד כי כאשר השמים החדשים והארץ החדשה חדשה אין כתיב כאן אלא החדשה. On voit qu’il n’est point question ici du participe עומדיס ni du verset de l’Ecclésiaste·, il paraîtrait que Maïmonide avait sous les yeux une autre rédaction de ce passage. Voy. le commentaire Yephé toar sur le Beréschîth rabbâ, sect. I, à la fin du § 18.. Ne crois pas (du reste) que cela soit en opposition avec ce que j’ai exposé; il est possible, au contraire, qu’il ait voulu dire par là que la disposition physique qui devra alors produire ces circonstances promises (par le prophète) est créée depuis les six jours de la création; ce qui est vrai.", "Si j’ai dit que rien ne changera sa nature, de manière à rester dans cet état altéré, ç’a été uniquement pour faire mes réserves au sujet des miracles; car, quoique le bâton (de Moïse) se fût changé en serpent et l’eau en sang, et que la main pure et glorieuse fût devenue blanche (par la lèpre), sans que cela fût le résultat d’une cause naturelle, ces circonstances pourtant et d’autres semblables ne durèrent point et ne devinrent point une autre nature; et on a dit au contraire: Le monde suit sa marche habituelle(1)Phrase empruntée au Talmud, ’Abôdâ-Zarâ, fol. 54 b.. Telle est mon opinion, et c’est là ce qu’il faut croire. A la vérité, les docteurs se sont exprimés sur les miracles d’une manière fort extraordinaire, dans un passage que tu trouveras dans le Beréschith rabbâ et dans le Midrasch Kohéleth. Mais l’idée qu’ils ont voulu exprimer est celle-ci(2)Littéralement: Ce sujet est (ou signifie) qu’ils croient que les miracles, etc. C’est-à-dire: la chose qu’ils ont voulu indiquer par le passage en question, c’est leur manière de voir au sujet des miracles.: que les miracles sont aussi, en quelque sorte, dans la nature; car, disent-ils, lorsque Dieu créa cet univers et qu’il y mit ces dispositions physiques, il mit aussi dans ces dispositions (la faculté) de faire naître tous les miracles survenus au moment même où ils sont réellement survenus(3)Sur cette opinion, que l’auteur expose aussi dans son Commentaire sur la Mischnâ, voy. le t. I, p. 296, note 1.. Le signe du prophète (selon cette opinion) consiste en ce que Dieu lui fait connaître le temps où il doit annoncer tel événement(4)Littéralement: Le temps ou il doit avancer ce qu’il avance; c’est-à-dire où il doit proclamer l’arrivée de tel miracle. et où telle chose recevra telle action, selon ce qui a été mis dans sa nature dès le principe de sa création.", "S’il en est réellement ainsi, cela donne une haute idée de l’auteur de ce passage et nous montre qu’il trouvait extrêmement difficile (d’admettre)(1)Littéralement: S’il en est comme tu le vois (ici), cela indique la grandeur de celui qui l’a dit, et (montre) qu’il trouvait extrêmement difficile, etc. qu’une disposition physique (quelconque) put être changée après l’œuvre de la création(2)L’auteur emploie ici les mots hébreux מעשה בראשית, si usités chez les talmudistes pour désigner l’acte de la création et la relation qui en est faite dans le Ier chapitre de la Genèse, commençant par le mot Beréschîth. Cf. le t. I, p. 9, note 2, et p. 349, note 2., ou qu’il pût survenir une autre volonté (divine) après que tout a été ainsi fixé(3)Le texte dit: Après qu’elle a été ainsi fixée. Le verbe féminin peut se rapporter à טביעה̈, nature, disposition physique, ou à משיה̈, volonté; je crois que, dans la pensée de l’auteur, le verbe se rapporte aux deux choses à la fois, et Ibn-Tibbon, en effet, a mis le verbe au pluriel (שהונחו). Il faut lire, dans la vers, hébr., יתחדש רצון אחֵר אחַר שהונחו כן. Les copistes ont négligé l’un des deux אחר, qu’ils ont pris pour une répétition inutile.. Son opinion paraît être, par exemple, qu’il a été mis dans la nature de l’eau d’être continue et de couler toujours de haut en bas, excepté à l’époque où les Égyptiens seraient submergés; alors seulement l’eau devait se diviser(4)L’auteur s’exprime d’une manière moins correcte, en disant littéralement: Cette eau particulièrement devait se diviser; il laisse sous-entendre l’eau dans laquelle les Égyptiens furent submergés..", "Ainsi je t’ai fait remarquer quel est le véritable esprit du passage en question, et que tout cela (a été dit) pour éviter d’admettre la rénovation de quoi que ce soit (dans la nature). Voici ce qu’on y dit(5)C’est-à-dire, dans le passage du Midrasch, indiqué plus haut. Voy. Beréschîth Rabbâ, sect. 5 (fol. 4, col. 3).: «Rabbi Jonathan dit: Dieu avait fait des conditions avec la mer, pour qu’elle se divisât devant les Israélites; c’est là ce qui est écrit: וישבלאיתנו, la mer retourna, vers le matin, à sa première CONDITION (Exode, 14, 27). R. Jérémie, fils d’Eléazar, dit: Ce ne fut pas seulement avec la mer que Dieu fit des conditions, mais avec tout ce qui fut créé dans les six jours de la Création; tel est le sens de ces mots: Ce sont mes mains qui ont déployé les cieux, et j’ai ordonné à toute leur armée (Isaïe, 45, 12). J’ai ordonné à la mer de se diviser, au feu de ne pas nuire à Hanania, Mischaël et Asaria, aux lions de ne pas faire de mal à Daniel, à la baleine de vomir Jonas.» Et c’est d’une manière analogue qu’il faut expliquer les autres (miracles).", "Maintenant la chose t’est claire, et l’opinion (que je professe) est nettement exposée. C’est que nous sommes d’accord avec Aristote pour la moitié de son opinion: nous croyons que cet univers existera toujours et perpétuellement avec cette nature que Dieu a voulu (y mettre) et que rien n’en sera changé de quelque manière que ce soit, si ce n’est dans quelque particularité et par miracle, quoique Dieu ait le pouvoir de le changer totalement ou de le réduire au néant, ou de faire cesser telle disposition qu’il lui plairait de ses dispositions physiques; cependant, il a eu un commencement, et il n’y avait d’abord absolument rien d’existant, si ce n’est Dieu. Sa sagesse a exigé qu’il produisît la création, au moment où il l’a produite, que ce qu’il aurait produit ne fût pas réduit au néant, et que sa nature ne fût changée en rien, si ce n’est dans quelques particularités qu’il plairait à Dieu (de changer), lesquelles nous connaissons déjà en partie, mais qui, en partie, nous sont encore inconnues et appartiennent à l’avenir. Telle est notre opinion et tel est le principe fondamental de notre loi. Mais Aristote pense que, de même qu’il (l’univers) est perpétuel et impérissable, de même il est éternel et n’a pas été créé. Or, nous avons déjà dit et clairement exposé que cela ne peut bien s’arranger qu’avec la loi de la nécessité; mais (proclamer) la nécessité, ce serait professer une hérésie(1)Cf. ci-dessus, p. 182, note 1. à l’égard de Dieu, comme nous l’avons déjà montré.", "La discussion étant arrivée à ce point, nous donnerons un chapitre dans lequel nous ferons aussi quelques observations sur des textes qui se trouvent dans le récit de la création [car le but principal dans ce traité n’est autre que d’expliquer ce qu’il est possible d’expliquer dans le Ma’asé beréschîth et le Ma’asé mercabâ(1)Voy. ci-dessus, p. 225, note 2, et cf. chap. II, p. 50.]; mais nous le ferons précéder de deux propositions générales.", "L’UNE D’ELLES est la proposition que voici: «Tout ce qui est rapporté, dans le Pentateuque, sur l’œuvre de la création, ne doit pas toujours être pris dans son sens littéral, comme se l’imagine le vulgaire;» car, s’il en était ainsi, les hommes de science n’auraient pas été si réservés(2)Tous les mss. ont טׄן (avec teth); mais il faut lire צׄן ( être avare, être réservé), et c’est dans ce sens qu’ont traduit Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi: le premier a: לא היו מסתירים, le second: לא מנעוהו. Cf. le t. I, p. 67, note 2. à cet égard, et les docteurs n’auraient pas tant recommandé de cacher ce sujet et de ne pas en entretenir le vulgaire. En effet, ces textes, pris à la lettre, conduisent à une grande corruption d’idées et à donner cours à des opinions mauvaises sur la divinité; ou bien même (ils conduisent) à la pure irréligion(3)Sur le mot תעטיל, voy. le t. I, p. 115, note 1. et à renier les fondements de la Loi (de Moïse). La vérité est, qu’on doit s’abstenir de les considérer avec la seule imagination et dénué(4)Ibn-Tibbon traduit הנטיה מן המכמה, en s’écartant de la science. Ibn-Falaquéra (Appendice du Moré ha-Moré, p. 154-155), fait observer que le traducteur a lu, sans doute, אלתעדי (par un daleth), au lieu de אלתערי (par rêsch); ce dernier mot, ajoute-t-il, doit être traduit par העֵרום, le dénûment, et le sens est ריקם מהחכמות, vide de sciences. de science; et il ne faut pas faire comme ces pauvres darschanîm (prédicateurs) et commentateurs, qui s’imaginent que la science consiste à connaître l’explication des mots, et aux yeux desquels c’est une très grande perfection que de parler avec abondance et prolixité; mais d’y méditer avec une véritable intelligence, après s’être perfectionné dans les sciences démonstratives et dans la connaissance des mystères prophétiques, c’est là ce qui est un (véritable) devoir. Cependant(1)Au lieu de לכן כל, quelques mss. portent לכל, mot qui dépendrait de פלאזם, de sorte qu’il faudrait traduire: C’est là un devoir pour quiconque en aura acquis quelque connaissance. Al-’Harîzi a traduit dans ce dernier sens: והוא ראוי לכל מי שידע דבר זה: Ibn-Tibbon a suivi la leçon que nous avons adoptée dans notre texte: הוא ראוי אבל כל מי שידע מזה דבר., quiconque aura acquis quelque connaissance de ce sujet, ne doit pas le divulguer, comme je l’ai exposé plusieurs fois dans le Commentaire sur la Mischnâ(2)Voy., par exemple, le Commentaire sur le traité ’Haghigâ, chap. II, § 1.. On a dit expressément: «Depuis le commencement du livre (de la Genèse) jusqu’ici, la majesté de Dieu (demande) de cacher la chose(3)Allusion à un passage des Proverbes (XXV, 2), que les anciens rabbins appliquent aux mystères contenus dans le Ier chapitre de la Genèse. Voy. Beréschîth Rabba, sect. 9, au commencement.;» c’est ce qu’on a dit (dans le Midrasch) à la fin de la relation du sixième jour (de la création). ", "— Ainsi, ce que nous avons dit est clairement démontré. Cependant, comme le précepte divin oblige nécessairement quiconque a acquis une certaine perfection, de la répandre sur les autres [ainsi que nous l’expliquerons ci-après dans les chapitres sur la prophétie], tout savant qui est parvenu à comprendre quelque chose de ces mystères, soit par sa propre spéculation, soit par un guide qui l’y a conduit, ne peut se dispenser d’en parler; mais, comme il est défendu d’en parler clairement, il fera de simples allusions(4)Le verbe signifie proprement faire entrevoir. Ibn-Tibbon traduit (ms.): וההַראות נמנע אבל יַראו מהם מעט. Al-’Harîzi: והגלוי מנוע ואסור ועל כן צריך לרמוז בראשי דבריס.. De pareilles allusions, observations et indications se trouvent souvent aussi dans les discours de quelques-uns des docteurs; mais elles sont confondues avec les paroles des autres et avec d’autres sujets(5)Dans la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire: אלא שהם מעורבות כדברי אחרים ובדברים אחרים, comme l’ont, en dffet, les mss. et l’édition princeps. De même Al-’Harîzi: אבל הם מתערבים בדברי אחרים ובמאמרים אחרים.. C’est pourquoi tu trouveras que, (en parlant) de ces mystères, je mentionne toujours la seule parole qui est la base du sujet, et j’abandonne le reste à ceux qui en sont dignes.", "LA SECONDE PROPOSITION est celle-ci: «Les prophètes [comme nous l’avons dit] emploient, dans leurs discours, des homonymes et des noms par lesquels ils n’ont pas en vue ce que ces noms désignent dans leur première acception(1)Sur les mots מתׄאלהא אלאול, cf. le t. I, p. 75, note 1.; mais plutôt, en employant tel nom, ils ont égard seulement à une certaine étymologie.» Ainsi, par exemple, de makkel SCHAKÉD (bâton de bois d’amandier), on déduit SCHÖKED (vigilant, attentif)(2)Selon les commentateurs, l’arbre שָקֵד, amandier, tire son nom de la racine שקד, se hâter, parce qu’il fleurit plus vite que les autres arbres. Voy. Raschi et Kim’hi sur le livre de Jérémie, chap. 1, v. 12., comme nous l’expliquerons dans les chapitres sur la prophétie(3)Voy., ci-après, le chap. XLIII.. C’est d’après la même idée que, dans le (récit du) char, on emploie le mot ’HASCHMAL (Ezéch., I, 4), comme on l’a expliqué; de même REGHEL ’EGHEL et NE’HOSCHETH KALAL (ibid., v. 7)(4)Le mot השמל est expliqué par les rabbins de différentes manières: les uns disent que les חשמלים sont חיות אש ממללות, des animaux de feu qui parlent; d’autres disent que le mot vient de חשה, se taire, et de מלל, parler, car ces êtres célestes tantôt se taisent, tantôt parlent; d’autres encore font venir le mot חשמל de חוש, se hâter, et de מול, couper, cesser, s’arrêter. Voy. la IIIe partie de cet ouvrage, chap. VII. Dans le mot עגל, veau, il y a une allusion à עגול, rond; car les pieds des ’Hayoth, ou animaux célestes, sont arrondis. Maïmonide ne se prononce pas sur les allusions qu’il trouve dans les mots נחשת et קלל; les commentateurs du Guide pensent que, dans נחשת, on fait allusion à השחתה, corruption (c’est-à-dire, à ce qui est exempt de la corruption), et, dans קלל, à קל, léger, rapide. Cf., ci-dessus, chap. X (p. 91), et, plus loin, chap. XLIII. — Après נחשת קלל, la version d’Ibn-Tibbon ajoute les mots וזולת זה, et, de même, Al-’Harîzi, וזולתו. Le ms.de Leyde, n° 18, a en effet וגיר דׄלך.; de même ce que dit Zacharie (6, 1): Et les montagnes étaient de NE’HOSCHETH (airain)(1)Dans les montagnes d’airain de la vision de Zacharie, Raschi voit une allusion à la force des quatre dynasties représentées par les quatre chars. Voy. Raschi sur Zacharie, chap. 6, v. 1. Sur les allusions que Maïmonide trouve dans la vision de Zacharie, voy. ci-dessus, p. 91, note 1., et d’autres expressions semblables.", "Après ces deux propositions, je donne le chapitre que j’ai promis." ], [ "Sache qu’il y a une différence entre le premier et le principe. C’est que le principe existe, ou dans la chose à laquelle il sert de principe, ou (simultanément) avec elle, quoiqu’il ne la précède pas temporellement(2)L’auteur veut dire que le principe, comme tel, ne précède pas temporellement la chose dont il est principe; ainsi, dans les exemples que l’auteur va citer, le cœur ne peut être dit principe de l’animal qu’au moment où ce dernier est complètement formé et arrivé à la vie; et de même l’élément ne peut être dit élément d’une chose qu’au moment où cette chose existe. Le principe, ou bien existe dans la chose et en fait partie, ou bien n’existe que simultanément avec la chose sans en faire partie; aucun des deux exemples ne s’applique à ce dernier cas, et quelques commentateurs y suppléent en citant l’exemple du lever du soleil, qui est le principe et la cause du jour, quoiqu’il n’y ait entre les deux d’autre relation que la simultanéité. — Selon Moïse de Narbonne, les mots quoiqu’il ne la précède pas temporellement ne se rapporteraient qu’au second cas, ou celui de la simultanéité; et ce serait à ce même cas que s’appliquerait l’exemple du cœur, qui ne précède pas temporellement la vie animale dont il est le principe. Le second exemple, selon lui, s’appliquerait au principe qui est dans la chose à laquelle il sert de principe et qui la précède temporellement; car la matière première, ou la privation, et les fondements d’un édifice précèdent temporellement la chose à laquelle ils servent de principe. Voici les paroles textuelles de Moïse de Narbonne, d’après les mss.: ירצה וזה שההתחלה אשר בעצם לא במקרה כמו ההעדר נמצאת כמה היא לו התחלה ר״ל שהיא חלק ממנו ותקדם לו בזמן או עמו אע״פ שלא תקדס לו בזמן כמו שיאמר שהלכ התחלת החי וזה משל על ההתחלה הנמצאת עם מה שהיא לו התחלה אשר לא תקדם בזמן כי מיד שנוצר הלב רוח חיים כקרבו כמו שיאמר מהלב התחלת החיים והיסוד התחלת מה שהוא לו יסוד וזה משל על ההתחלה הנמצאת במה שיש לו התחלה ותקדם לו בזמן כמו ההיולי הראשון ויסוד הבנין אם טבעי ואם מלאכותי.; on dit, par exemple, que le cœur est le principe de l’animal, et que l’élément est le principe de ce dont il est élément. On applique aussi quelquefois à cette idée le mot premier. D’autres fois cependant(1)Ibn-Tibbon traduit: אבל הראשון אמנם יאמר על הקודם בזמן לבד. Al-’Harîzi: אבל הראשון הוא אמור על הקדמון בזמן בלכד. Ibn-Falaquéra (l. c., p. 155) fait observer avec raison que ces deux traductions sont inxaetes; car on peut les entendre dans ce sens que le mot premier se dit seulement de ce qui est antérieur dans le temps (כי הראשון לא יאמר אלא על הקודם בזמן לבד), tandis que l’auteur vient de dire que ce mot est quelquefois synonyme de . En effet, les deux tradueteurs ont négligé la particule (dans פקד יקאל), qui signitie quelquefois, et Ibn-Falaquéra traduit: ואמנס הראשון לפעמ׳ם יאמר על הקודם כזמן לכד. premier se dit de ce qui est seulement antérieur dans le temps, sans que cet antérieur soit la cause de ce qui lui est postérieur; on dit, par exemple, «le premier qui ait habité cette maison était un tel, et après lui c’était tel autre,» sans que l’un puisse être appelé le principe de l’autre. Le mot qui, dans notre langue (hébraïque), indique la priorité, est TE’HILLA (תחלה); par exemple: Première (תחלת) allocution de l’Éternel à Hosée (Hos., I, 2). Celui qui désigne le principe est RÉSCHÎTH (ראשית); car il est dérivé de RÔSCH (ראש), la tête, qui est le principe (commencement) de l’animal, par sa position(2)C’est-à-dire, que la tête, par la place qu’elle occupe, est le commencement de l’animal; car le véritable principe de la vie animale, c’est le cœur.. ", "Or, le monde n’a pas été créé dans un commencement temporel, comme nous l’avons exposé, le temps étant (lui-même) du nombre des choses créées(3)Voy. ci-dessus, chap. XIII, p. 105.; c’est pourquoi on a dit BE–RÉSCHÎTH (בראשית, Gen., I, 1), où la particule BE (ב) a le sens de dans(1)Le texte dit: le ב a le sens de dans, ce qu’Al-’Harîzi a rendu exactement par והבית כמו פי בלשון ערב. Ibn-Tibbon a substitué: והכית כבית כלי, «le BETH est (employé) comme BETH de vase (ou de contenant),» c’est-à-dire, comme préposition indiquant un rapport circonstanciel de temps ou de lieu, en arabe . Cf. le Sépher ha-rikmâ, chap. VI, p. 31: והבית ⋯ לענין כלי או מחזיק. Dans quelques mss. de la version d’Ibn-Tibbon on lit: והבית כבית ביום; ce qui veut dire que le bêth est une préposition de temps, comme dans ב׳וס.. La véritable traduction de ce verset est donc celle-ci: Dans le principe Dieu créa le haut et le bas (de l’uninivers); c’est là la seule explication qui s’accorde avec la nouveauté (du monde)(2)Le mot principe, comme l’auteur vient de le dire, n’implique point un commencement temporel.. ", "— Quant à ce que tu trouves rapporté de la part de quelques-uns des docteurs, tendant à établir que le temps existait avant la création du monde, c’est très obscur; car ce serait là, comme je te l’ai exposé, l’opinion d’Aristote, qui pense qu’on ne saurait se figurer un commencement pour le temps, ce qui est absurde. Ce qui les a amenés à professer une pareille opinion, c’est qu’ils rencontraient(3)Le texte dit: parce qu’ils ont trouvé. Les éditions d’Ibn-Tibbon ont הוא מוצאם, et quelques mss., באשר מצאו; Al-’Harîzi dit plus exactement מפני שמצאו. (les expressions) un jour, deuxième jour (Gen., I, 5, 8). Celui-là donc qui professait cette opinion prenait la chose à la lettre: puisque, se disait-il, il n’y avait encore ni sphère qui tournât, ni soleil, par quelle chose donc aurait été mesuré le premier jour? Voici le passage textuel(4)Voy. Beréschith rabbâ, sect. 3 (fol. 3, col. 3). On remarquera qu’ici, comme ailleurs, Maïmonide ne reproduit pas exactement le texte de nos éditions du Midrasch, selon lesquelles l’opinion des deux docteurs se fonde sur les mots ויהי ערב, et il fut soir (Genèse, 1, 5). Ces mots n’étant pas précédés de la parole créatrice יהי ערכ, qu’il y ait soir, ils croyaient y voir une allusion à la préexistence de l’ordre du temps.: «Premier jour(5)C’est-à-dire, puisqu’on parle d’un premier jour; car le texte biblique ne porte pas יום ראשון, mais יום אחד, un jour. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon on a mis, en effet, יום אחד; mais les mss. de cette version, ainsi que ceux du texte arabe et de la version d’Al-’Harîzi, portent יום ראשון.: Il s’ensuit de là, dit R Juda, fils de R. Simon, que l’ordre des temps avait existé auparavant. R. Abbahou dit: il s’ensuit de là que le Très-Saint avait déjà créé des mondes qu’il avait ensuite détruits(1)On a vu (ci-dessus, p. 222) que, selon les talmudistes, chaque monde a une durée de six mille ans, suivis d’un septième millénaire de chaos, après lequel, selon l’opinion de R. Abbahou, il est créé un monde nouveau.—Léon Hébreu rattache cette opinion à celle de Platon, qui proclame l’éternité du chaos. Voy. Dialoghi di amore, édit. de Venise, 1572, fol. 151, et cf. ci-dessus, p. 109, note 3..» Cette dernière opinion est encore plus blâmable que la première(2)R. Juda se borne à établir l’éternité du temps; R. Abbahou y ajoute encore cette autre idée de mondes successivement créés et détruits, c’est-à dire, de différents essais de création que Dieu aurait détruits parce qu’ils ne répondaient pas à l’idéal qu’il avait eu en vue, comme le dit expressément R. Abbahou dans un autre passage du Beréschîth rabbâ (sect. 9, au commencement): אמר דין הניין לי יתהון לא הניין לי. C’est donc cette idée, si peu digne de la toute-puissance divine, que Maïmonide trouve plus blâmable que l’opinion de R. Juda, conforme à la doctrine péripatéticienne. — C’est dans ce sens que notre passage est expliqué dans le commentaire inédit de Moïse de Salerno (ms. hébr., n° 238, de la Biblioth. imp., fol. 220 b): אמר משה הקטן בדין גנה הרב רבנו המאמר הזה האחרון מן הראשון וכי היה הקב״ה בונה עולמות שלו ולא היו עולים בידו כתקונן ולזה היה מחריבן פאדם המתחיל במלאכה ומתקלקלת בידו ומרוב כעס מחריבן לא מחכמה יצאו הדברים.. Tu comprends ce qui leur paraissait difficile à tous les deux, à savoir, que le temps existât avant l’existence de ce soleil; mais on t’exposera tout à l’heure la solution de ce qui a pu leur paraître obscur à eux deux(3)Cette solution, comme on va le voir, consiste dans la supposition que toutes les choses du ciel et de la terre ont été créées, du moins en germe, dès le premier moment de la création, et n’eurent besoin que de se développer et de s’organiser successivement.. A moins, par Dieu! que ces (deux docteurs) n’aient voulu soutenir que l’ordre des temps dut nécessairement exister de toute éternité(1)C’est-à-dire, à moins que ces deux docteurs ne se soient pas contentés de ladite solution, et qu’ils n’aient voulu soutenir tout simplement l’éternité du temps, et, par conséquent, l’éternité du monde.; — mais alors ce serait admettre l’éternité (du monde), chose que tout homme religieux doit repousser bien loin. Ce passage me paraît tout à fait semblable à celui de R. Eliézer: D’où furent créés les cieux, etc.(2)Voy. ci-dessus, chap. XXVI.. En somme, il ne faut pas avoir égard, dans ces sujets, à ce qu’a pu dire un tel. Je t’ai déjà fait savoir que c’est le principe fondamental de toute la religion, que Dieu a produit le monde du néant absolu, et non pas dans un commencement temporel; le temps, au contraire, est une chose créée, car il accompagne le mouvement de la sphère céleste, et celle-ci est créée.", "Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que, pour ce qui est du mot ETH (את) dans את השמים ואת הארץ (Gen., I, 1), les docteurs ont déclaré dans plusieurs endroits qu’il a le sens d’avec. Ils veulent dire par là que Dieu créa avec le ciel tout ce qui est dans le ciel, et avec la terre tout ce qui appartient à la terre(3)Il faudrait, d’après cela, traduire ainsi le premier verset de la Genèse: «Au commencement Dieu créa avec le ciel et avec la terre.» La grammaire ne permet pas de prendre cette explication au sérieux; car la particule את est ici évidemment le signe du régime direct. C’est ici une de ces interprétations subtiles qui, à côté du sens littéral, servent de point d’appui (אסמכתא) à une doctrine quelconque que les rabbins cherchaient à rattacher d’une manière ingénieuse au texte biblique.. Tu sais aussi qu’ils disent clairement que le ciel et la terre ont été créés à la fois, en alléguant ce passage: Je les ai appelés, ils furent là ensemble (Isaïe, 48, 13)(4)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, fol. 12 a; Beréschîth rabbâ, sect. 1, à la fin.. Tout donc fut créé simultanément, et ensuite les choses se distinguèrent successivement les unes des autres(5)Tous les mss. que nous avons pu consulter ont והבעת; il nous a paru plus correct d’écrire ותבאינת, à la VIe forme.. Il en est, selon eux, comme d’un laboureur(6)Littéralement: De sorte qu’ils ont comparé cela à un laboureur etc. qui a semé dans la terre, au même instant, des graines variées, dont une partie a poussé au bout d’un jour, une autre au bout de deux jours et une autre encore au bout de trois jours, bien que toute la semaille ait eu lieu au même moment. Selon cette opinion, qui est indubitablement vraie, se trouve dissipé le doute qui engagea R. Juda, fils de R. Simon, à dire ce qu’il a dit, parce qu’il lui était difficile de comprendre par quelle chose furent mesurés le premier, le deuxième, le troisième jour. Les docleurs se prononcent clairement là-dessus dans le Beréschîth rabbâ; en parlant de la lumière qu’on dit. dans le Pentateuque, avoir été créée le premier jour (Gen., I, 3), ils s’expriment ainsi: «Ce sont là les luminaires (ibid., v. 14) qui furent créés dès le premier jour, mais qu’il ne suspendit qu’au quatrième jour(1)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, fol. 12 a. L’auteur paraît avoir fait une erreur de mémoire en disant que ce passage se trouve dans le Beréschîth rabbâ; dans nos éditions du Midrasch, on ne trouve que le commencement du passage talmudique: אור שברא הקב״ה ביום ראשון אדם צופה ומביט בו מסוף העולם ועד סופו וכוי. Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 11 et 12 (fol. 9, col. 2, et fol. 10, c. 3)..» Ce sujet est donc clairement exposé.", "Ce qu’il faut savoir encore, c’est que ארץ (terre) est un homonyme, qui s’emploie d’une manière générale et spéciale. Il s’applique, en général, à tout ce qui est au-dessous de la sphère de la lune, c’est-à dire aux quatre éléments, et se dit aussi, en particulier, du dernier d’entre eux seulement, qui est la terre. Ce qui le prouve, c’est qu’on dit: Et la terre était vacuité et chaos, des ténèbres étaient sur la surface de l’abîme, et le souffle de Dieu, etc. (Gen., I, 2). On les appelle donc tous ארץ (terre)(2)C’est-à-dire, on les comprend tous sous le mot terre du verset 1. L’auteur veut dire que l’énumération des quatre éléments au verset 2 (cf. le paragraphe suivant) prouve que le mot terre du verset 1 les comprend tous les quatre; et, pour prouver plus clairement que le mot ארץ désigne en particulier l’élément de la terre, il cite encore le verset 10.; ensuite on dit: Et Dieu appela la partie sèche ארץ terre (ibid., v. 10).", "—C’est là aussi un des grands mystères; (je veux dire) que toutes les fois que tu trouves l’expression et Dieu appela telle chose ainsi, on a pour but de la séparer de l’autre idée (générale), dans laquelle le nom est commun aux deux choses(1)L’auteur s’est exprimé d’une manière embarrassée et peu claire; le sens est: on a pour but de prendre le nom dans son acception particulière et restreinte, et de le distinguer de l’autre acception générale, le nom ayant à la fois les deux sens. Ainsi, par exemple, dans le verset 1, le mot terre indique aussi bien le monde sublunaire en général, que l’élément de la terre en particulier; tandis que, dans les versets 2 et 10, on sépare cet élément de l’ensemble des quatre éléments, désignés également par le mot terre.. C’est pourquoi je t’ai traduit le (premier) verset: Dans le principe Dieu créa le HAUT et le BAS (de l’univers); de sorte que le mot ארץ (terre) signifie, la première fois, le monde inférieur, je veux dire les quatre éléments, tandis qu’en disant: Et Dieu appela la partie sèche ארץ terre, on veut parler de la terre seule. Ceci est donc clair.", "Ce qu’il faut remarquer encore, c’est que les quatre éléments sont mentionnés tout d’abord après le ciel; car, comme nous l’avons dit, ils sont désignés par le premier nom de ארץ, terre(2)C’est-à-dire, par le mot הארץ du verset 1. — Dans les éditions de la vers. d’Ibd-Tibbon, il y a ici une transposition; la leçon des mss. est conforme au texte arabe: כי היסודות הארכעה נזכרו תחלה אמר השמים אשר אמרנו ששם ארץ הראשון יורה עליהם. Ce qui a motivé la transposition, c’est sans doute l’ambiguïté qu’il y a dans le mot עליהם (ainsi que dans le mot ar. עליהא), qui se rapporte aux éléments; pour éviter cette ambiguïté, Al-’Harîzi a substitué à עליהם les mots על ארבעתם. En effet on énumère: ארץ (la terre), מים (l’eau), רוח (le souffle ou l’air)(3)Dans les mots רוח אלהים, qu’on traduit généralement par l’esprit de Dieu, l’auteur voit l’élément de l’air Cf. le t. I, p. 144, et ibid., note 4. et חשך (les ténèbres).—Quant au mot חשך (ténèbres), il désigne le feu élémentaire, et il ne faut pas penser à autre chose; (Moïse, par exemple,) après avoir dit: Et tu entendis ses paroles du milieu du feu האש (Deut., IV, 36), dit ensuite: Lorsque vous entendîtes la voix du milieu des ténèbres החשך (ibid., V, 20); et ailleurs on dit: Toutes les ténèbres (calamités) sont réservées à ses trésors, un feu non soufflé le dévorera (Job, 20, 26)(1)Selon notre auteur, le parallélisme indique que חשך (ténèbres), dans ce dernier verset, a le même sens que אש (feu).. Si le feu élémentaire a été désigné par ce nom (de ténèbres), c’est parce qu’il n’est pas lumineux, mais seulement diaphane(2)Voici comment s’exprime Ibn-Sinâ, en parlant de la sphère du feu élémentaire: «Le feu ne forme qu’une seule couche; il n’a pas de lumière, mais il est comme l’air diaphane, qui n’a pas de couleur.» Voy. Schahrestâni, Histoire des sectes religieuses et philosophiques, p. 410 (trad. all., t. II, p. 305). —Il s’agit ici du diaphane en puissance, qui peut être même l’obscurité, tandis que le diaphane en acte est inséparable de la lumière. Cf. Aristote, traité de l’Ame, liv. II, chap. 7: Φῶς δέ ἐστιν ἡ τούτου ἐνέργεια τοῦ διαφανοῦς ᾗ διαφανές · δυνάμει δἑ ἐν ᾧ τοῦτ ἐστί, ϰαί τὸ σϰὀτος.; car, si le feu élémentaire était lumineux, nous verrions toute l’atmosphère enflammée pendant la nuit.", "—On les a énumérés (les éléments) selon leurs positions naturelles: la terre (d’abord), au-dessus d’elle l’eau, l’air s’attache à l’eau, et le feu est au-dessus de l’air; car, puisqu’on désigne l’air comme se trouvant sur la surface de l’eau (Gen., I, 2)(3)Il faut évidemment lire בתכׄציצה, comme l’a le ms. de Leyde, n° 18, quoique la plupart des mss. portent תכציצה sans ב., les ténèbres qui sont sur la surface de l’abîme (ibid.) se trouvent indubitablement au-dessus de l’air (רוח) (4)Cette explication de Maïmonide est citée par saint Thomas: «Rabbi Moyses ….. ignem significatum esse dixit per tenebras, eo quod ignis in propria sphæra non luceat, et situs ejus declaratur in hoc quod dicitur super faciem abyssi.» Voy. Quœstiones disputatœ, de Creatione, Quæst. IV, art. 1 (édit. de Lyon, fol. 25 d). L’auteur du Zohar y fait également allusion; voy. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p.278.. Ce qui a motivé (pour désigner l’air) l’expression רוח אלהים, le souffle ou le vent de Dieu, c’est qu’on l’a supposé en mouvement, מרחפת, et que le mouvement du vent est toujours attribué à Dieu; par exemple: Et un vent partit d’auprès de l’Éternel (Nomb., 11, 31); Tu as soufflé avec ton vent (Exode, 15, 10); L’Éternel fit tourner un vent d’ouest (ibid., X, 19), et beaucoup d’autres passages. — Puisque le mot ’HOSCHEKH (חשך), la première fois (v. 5), employé comme nom de l’élément (du feu), est autre chose que le ’HOSCHEKH dont on parle ensuite et qui désigne les ténèbres, on l’explique et on le distingue en disant: et il appela les ténèbres nuit (v. 5), selon ce que nous avons exposé. Voilà donc qui est également clair.", "Ce qu’il faut savoir encore, c’est que dans le passage: Et il fit une séparation entre les eaux etc. (v. 7), il ne s’agit pas (simplement) d’une séparation locale, de sorte qu’une partie (des eaux) aurait été en haut et une autre en bas, ayant l’une et l’autre la même nature; le sens est, au contraire, qu’il les sépara l’une de l’autre par une distinction physique, je veux dire par la forme, et qu’il fit de cette partie qu’il avait désignée d’abord par le nom d’eau(1)C’est-à-dire, au verset 2, dans les mots et le souffle de Dieu (ou l’air) planait sur la surface des eaux. Ici, comme on l’a vu, le mot eau désigne l’eau élémentaire ou la sphère de l’élément de l’eau, et la forme dont cette eau fut revêtue, c’est la forme élémentaire. une chose à part, au moyen de la forme physique dont il la revêtit, tandis qu’il donna à l’autre partie une autre forme Cette dernière c’est l’eau (proprement dite)(2)C’est-à-dire, l’eau terrestre, ou celle des mers, des fleuves, etc.; c’est pourquoi aussi il dit: Et l’agrégation des eaux, il l’appela mers (v. 10), te révélant par là que la première eau, dont il est question dans les mots sur la surface des eaux (v. 2), n’est pas celle qui est dans les mers, mais qu’une partie, au-dessus de l’atmosphère(3)Par le mot אלהוא , il faut entendre ici l’atmosphère, et non pas la sphère de l’élément de l’air, qui est au-dessus de l’élément de l’eau., fut distinguée par une forme (particulière), et qu’une autre partie est cette eau (inférieure). Il en est donc de l’expression: Et il fit une séparation entre les eaux qui sont au-dessous du firmament etc. (v. 7), comme de cette autre: Et Dieu fit une séparation entre la lumière et les ténèbres (v. 4). où il s’agit d’une distinction par une forme. ", "Le firmament (רקיע) lui-même fut formé de l’eau, comme on a dit: «La goutte du milieu se consolida(1)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 4, au commencement (fol. 3, col. 3)..» ", "— [L’expression Et Dieu appela le firmament ciel (v. 8) a encore le but que je t’ai exposé(2)Littéralement: Est aussi (à expliquer) selon ce que je t’ai exposé. L’auteur veut parler de l’observation qu’il a faite sur l’expression et Dieu appela telle chose par tel nom. Voy. ci-dessus, p. 236, et ibid., note 1. Le passage que nous avons mis entre [ ] est une note qu’il faut séparer du reste du paragraphe, qui traite de l’eau., celui de faire ressortir l’homonymie et (de faire comprendre) que le ciel dont il est question d’abord, dans les mots le ciel et la terre (v. 1), n’est pas ce que nous appelons (vulgairement) ciel, ce qu’on a confirmé par les mots devant le firmament des cieux (v. 20), déclarant ainsi que le firmament est autre chose que le ciel. C’est à cause de cette homonymie que le véritable ciel est aussi appelé quelquefois firmament, de même que le véritable firmament est appelé ciel; ainsi, on a dit: Et Dieu les plaça (les astres) dans le firmament des cieux (v. 17). ", "Il est clair aussi par ces mots, — ce qui déjà a été démontré, — que tous les astres, et (même) le soleil et la lune, sont fixés dans la sphère(3)Cf. ci-dessus, p. 78, note 4; et p. 159-160. — Tous les mss. portent מרכוזאת, il serait plus correct d’écrire מרכוזה̈., parce qu’il n’y a pas de vide dans le monde(4)Si les astres étaient proéminents et qu’ils ne fussent pas fixés dans la voûte même de la sphère, il faudrait nécessairement qu’il y eût un vide entre les différentes sphères.; ils ne se trouvent pas à la surface (inférieure) de la sphère, comme se l’imagine le vulgaire, puisqu’on dit DANS le firmament des cieux, et non pas SUR le firmament des cieux.] ", "— Il est donc clair qu’il y avait d’abord une certaine matière commune, appelée eau, qui se distingua ensuite par trois formes: une partie forma les mers, une autre le firmament, et une troisième resta au-dessus de ce firmament; cette dernière est tout entière en dehors de la terre(5)Par cette troisième partie, l’auteur paraît entendre la sphère de l’eau élémentaire.. On a donc adopté pour ce sujet une autre méthode(1)L’auteur veut dire, ce me semble, que ce sujet a été traité, dans le récit de la Création, d’une manière plus énigmatique que le reste de ce récit. R.| Samuel Ibn-Tibbon appelle le passage qui traite de la séparation des eaux: חדר אפל מאד וסוד עמוק סתום וחתום, une chambre très obscure et un profond mystère, scellé et fermé. Voy. son traité Yikkawou ha-maïm, chap. 20 (édit. de Presbourg, 1837, p. 137)., pour (indiquer) des mystères extraordinaires. — Que cette chose qui est au-dessus du firmament n’a été désignée comme eau que par le seul nom, et que ce n’est pas cette eau spécifique (d’ici-bas), c’est ce qu’ont dit aussi les docteurs, dans ce passage: «Quatre entrèrent dans le paradis (de la science), etc.(2)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, fol. 14 b; cf. le t. I de cet ouvrage, p. 110, note 5.. Rabbi ’Akiba leur dit: Quand vous arriverez aux pierres de marbre pur, ne dites pas de l’eau! de l’eau! car il est écrit: Celui qui dit des mensonges ne subsistera pas devant mes yeux (Ps. 101, 7)(3)C’est expliquer une énigme par une autre énigme; car l’auteur ne nous dit pas quel est, selon lui, le sens des paroles obscures de R. ’Akiba, qui ont été la croix des interprètes. Tout ce paragraphe, en général, est très obscur, et il semble que Maïmonide ait voulu se conformer strictement aux prescriptions talmudiques en ne se prononçant qu’à demi-mot sur le Ma’asé Beréschîth (voy. l’Introduction de cet ouvrage, t. I, p. 10). Il paraît que notre auteur, combinant ensemble les paroles de la Genèse et les théories péripatéticiennes, admettait, entre l’orbite de la lune et notre atmosphère, l’existence des trois éléments du feu, de l’air et de l’eau, formant des sphères qui environnent notre globe. Ces sphères renferment la matière première sublunaire revêtue des formes élémentaires; ee ne sont là que les éléments en puissance, qui, dans notre atmosphère, deviennent éléments en acte. Dans la 3e sphère, ou l’eau, il se forma une séparation appelée le firmament (רקיע); la partie supérieure resta l’eau comme élément dans toute son abstraction, tandis que la partie inférieure devint l’eau proprement dite, qui remplit les cavités de la terre. Ce serait donc, d’après notre auteur, l’eau supérieure, l’élément humide et froid, que R. ’Akiba aurait désignée par les mots marbre pur, et il aurait voulu dire qu’il faut bien se garder d’y voir de l’eau semblable à celle d’ici-bas. Tel me paraît être le sens de l’ensemble de ce paragraphe obscur. Cependant, selon Moïse de Narbonne et quelques autres commentateurs, l’eau inférieure, l’eau des mers, serait elle-même ce qui constitue l’élément de l’eau; tandis que par l’eau supérieure, Maïmonide est supposé entendre la couche moyenne de l’air. Selon les péripatéticiens arabes, l’air se divise en trois couches: la première, près de l’élément du feu, est chaude et sèche, et donne naissance à différents météores, tels que les comètes, les étoiles filantes, la foudre, etc.; la deuxième, celle du milieu, est froide et humide, et les vapeurs qui y montent en redescendent sous la forme de pluie, de neige ou de grêle; la troisième, près de la terre, est échauffée par la réverbération des rayons du soleil. Selon les commentateurs, c’est cette dernière couche de l’air que Maïmonide aurait considérée comme la séparation, ou le firmament, qui sépare l’eau inférieure, ou celle des mers (laquelle est elle-même l’eau élémentaire), de l’eau supérieure, ou de la deuxième couche de l’air, qui n’est qu’eau en puissance. Ce serait donc de cette dernière qu’aurait voulu parler R. ’Akiba en disant qu’il ne faut pas l’appeler eau. Voy. les commentaires de Moïse de Narbonne et de Schem-Tob, à notre passage, et le commentaire d’Isaac Abravanel sur le Pentateuque, au verset 6 du Ier chapitre de la Genèse, IVe opinion..» Réfléchis donc, si tu es de ceux qui réfléchissent, quel éclaircissement il (R. ’Akiba) a donné par ce passage, et comment il a révélé tout le sujet, pourvu que tu l’aies bien examiné, que tu aies compris tout ce qui a été démontré dans la Météorologie, et que tu aies parcouru tout ce qui a été dit sur chaque point(1)Littéralement: Tout ce que les gens ont dit sur chaque chose d’elle. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent אנשי החכמה, au lieu de האנשים, leçon qu’ont les mss. Le suffixe dans מנהא se rapporte au pluriel (les signes, les météores), qui désigne ici la Météorologie d’Aristote, appelée par les Arabes: ..", "Ce qui mérite encore de fixer ton attention, c’est la raison pourquoi, au second jour, on ne dit pas כי טוב, que c’était bien(2)La formule el Dieu vit que c’était bien, par laquelle l’auteur de la Genèse termine la relation de chaque période de création, ne se trouve pas à celle du second jour, parce que, disent les rabbins, l’œuvre de l’eau ne fut achevée que le troisième jour. Aussi cette formule se trouve-t-elle deux fois dans la relation du troisième jour (versets 10 et 12).. Tu connais les opinions que les docteurs ont émises à cet égard, selon leur méthode d’interprétation(1)Le mot דרש désigne, chez les rabbins, l’interprétation scolastique, ou allégorique, par opposition à l’explication littérale, appelée פשט.; ce qu’ils ont dit de meilleur, c’est: «que l’œuvre de l’eau n’était pas achevée(2)Voy. Beréschîth rabba, sect. 3 (fol. 4, col. 1): אמר ר׳ שמואל לפי שלא נגמרה מלאכת המים לפיכך כתוב בשלישי כי טוב שני פעמים אהד למלאכת המים ואחד למלאכתו של יום..» Selon moi aussi, la raison en est très claire: c’est que, toutes les fois qu’on parle de l’une des œuvres de la création(3)Littéralement: De l’une des choses créées de l’être (ou du monde). Au lieu du mot הנמצאות, qu’ont les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, les mss. portent, plus exactement, המציאות. dont l’existence se prolonge et se perpétue et qui sont arrivées à leur état définitif, on en dit que c’était bien. Mais ce firmament (רקיע) et la chose qui est au-dessus, appelée eau, sont, comme tu le vois, enveloppés d’obscurité. En effet, si on prend la chose à la lettre et qu’on ne la considère que superficiellement(4)Mot à mot: Par un examen grossier (ou en gros)., c’est là quelque chose qui n’existe pas du tout; car, entre nous et le ciel inférieur, il n’y a d’autre corps que les éléments, et il n’y a pas d’eau au-dessus de l’atmosphère(5)C’est-à-dire: Pour celui qui ne connaît pas les doctrines spéculatives de la science physique, il n’existe, entre nous et la partie inférieure du ciel (ou l’orbite de la lune), d’autre corps que les éléments, et il ne comprend pas qu’il puisse y avoir, outre l’eau proprement dite, une autre eau au-dessus de l’atmosphère; car ce qui a été dit de l’eau élémentaire, ou de l’eau en puissance, lui est complètement inconnu.. Et que serait-ce, si quelqu’un s’imaginait que le firmament en question, avec ce qu’il y a sur lui, est au-dessus du ciel(6)L’auteur s’est exprimé ici d’une manière peu exacte; car il veut dire évidemment: si quelqu’un s’imaginait que, par le raki’a, ou firmament, il faut entendre le véritable ciel, ou la sphère céleste, de sorte que, selon la théorie biblique, il y aurait de l’eau au-dessus de la sphère céleste.? car alors la chose serait ce qu’il y a de plus impossible et de plus insaisissable. Mais (d’un autre côté), si on prend la chose dans son sens ésotérique et selon ce qu’on a voulu dire (en effet), c’est extrêmement obscur; car il était nécessaire d’en faire un des mystères occultes(1)Ibn-Tibbon a מן הסודות החתומים (des mystères scellés); il lisait: אלמכׄתומה̈ avec un câf ponctué , mais tous nos mss. ont אלמכתומה̈ sans point , et de même Al-’Harîzi: מן הסודות הנסתרות (des mystères cachés)., afin que le vulgaire ne le sût pas. Or, comment serait-il permis de dire d’une pareille chose que c’était bien? Les mots que c’était bien n’ont d’autre sens, si ce n’est que la chose est d’une utilité manifeste et évidente pour l’existence et la prolongation de cet univers. Mais la chose dont le (véritable) sens est caché, et qui extérieurement ne se présente pas telle qu’elle est, quelle est donc l’utilité qui s’y manifeste aux hommes, pour qu’on puisse en dire que c’était bien? — Il faut que je t’en donne encore une autre explication: c’est que, bien que cette chose(2)C’est-à-dire, la séparation des eaux au moyen du firmament. forme une partie très importante de la création, elle n’est pas cependant un but qu’on ait eu en vue pour la prolongation de durée de l’univers(3)C’est-à-dire: La création du raki’a, ou firmament, n’avait pas pour but la prolongation de durée de l’ensemble de l’univers; car le monde aurait pu exister et se perpétuer sans le firmament et la séparation des eaux., de sorte qu’on eût pu en dire que c’était bien; mais (elle a été faite) pour une certaine nécessité urgente, (c’est-à-dire) afin que la terre fût à découvert. Il faut te bien pénétrer de cela.", "Il faut que tu saches encore que, selon l’explication des docteurs, les herbes et les arbres, Dieu ne les fit pousser de la terre qu’après l’avoir arrosée de pluie(4)Littéralement: Que les docteurs ont déjà exposé que les herbes et les arbres que Dieu fit pousser de la terre, il ne les fit pousser qu’après avoir fait pleuvoir sur elle. — Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 13 (fol. 11, col. 2): אלו ואלו לא צמחו עד שירדו עליהם גשמים., de sorte que le passage: Et une vapeur monta de la terre (Genèse, 2, 6) parle d’une circonstance antérieure, qui précéda (cet ordre:) Que la terre fasse pousser des végétaux (ibid., I, 11). C’est pourquoi Onkelos traduit: ועננא הוה סליק מן ארעא «et une vapeur était montée de la terre.» C’est d’ailleurs ce qui résulte clairement du texte même: Aucune plante des champs n’était encore sur la terre (ibid., II, 5). Voilà donc qui est clair.", "—Tu sais, ô lecteur! que les principales causes de la naissance et de la corruption, après les forces des sphères célestes(1)Voy. ci-dessus, chap. X, p. 89., sont la lumière et les ténèbres, à cause de la chaleur et du froid qu’elles ont pour conséquence(2)Cf. le t. I, p. 362, et ibid., note 2.. C’est par suite du mouvement de la sphère céleste que les éléments se mêlent ensemble, et leur mélange varie en raison de la lumière et des ténèbres. Le premier mélange qui en naît, ce sont les deux espèces d’exhalaisons(3)Voy. Aristote, Météorolog., liv. II, chap. 4: Ἒστι γὰρ δύο εἴδη τῆς αναθυμιάσεως, ὣς φαμεν, ἡ μὲν ὑγρὰ ἡ δὲ ξηρά · ϰαλεῖται δ’ἡ μὲν ἀτμίς, ἡ ὅὲ τὸ μὲν ὅλον ἀνώνυμος, τῷ δ’ ἐπὶ μέρους ἀνάγϰη χρωμένους ϰαθόλου προσαγορεὑειν αὐτἠν οἷον ϰαπνὀν. Ibid., liv. 3, chap. 6: Δύο μὲν γὰρ αἱ ἀναθυμιἁσεις, ἡ μὲν ἀτμιδώδης ἡ δὲ ϰαπνώδης, ὣς φαμεν, εἰσίν. Cf. Ibn-Sînâ, dans l’ouvrage de Schahrestâni, p. 410 et suiv. (trad. all., t. II, p. 306 et suiv.). — Le duel אלבכׄאראן désigne ici à la fois les deux espèces d’exhalaisons (ἀναθυμιἁσεις), dont l’une (ἀτμίς, vapeur) est particulièrement désignée en arabe par le mot , et l’autre (ϰαπνός, fumée) par le mot . qui sont la première cause de tous les phénomènes supérieurs, du nombre desquels est la pluie, et qui sont aussi les causes des minéraux, et ensuite, de la composition des plantes, à laquelle succède celle des animaux et enfin celle de l’homme(4)Cf. le t. I, p. 360 et ibid., note 2.. Les ténèbres(5)Le texte porte: ואן אלטׄלאם, et que les ténèbres; la conjonction ואן, et que, se rattache au commencement de ce passage וקד עלמת⋯אן, tu sais que, etc. sont la nature de l’être de tout le monde inférieur, et la lumière lui survient (comme accident)(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont: מקרי חוצה לו מתחדש עליו מחוץ, ce qui est une double traduction des mots arabes . Les mss. ont seulement: מקרי חוצה לו, et ’Al-’Harîzi: והאור דבר מתחדש עליו.; il te suffit (de voir) que, dans l’absence de la lumière, tout reste dans un état immobile. — L’Écriture, dans le récit de la Création, suit absolument le même ordre, sans rien omettre de tout cela(2)L’auteur veut dire que l’Écriture parle également de tout ce qui vient d’être dit; après la sphère céleste, mentionnée au premier verset de la Genèse, on parle des éléments, de la lumière et des ténèbres, des exhalaisons (II, 6), des plantes, des animaux, et enfin de l’homme..", "Ce qu’il faut savoir encore, c’est qu’ils (les docteurs) disent(3)Voy. Talmud de Babylone, Rosch-ha-schanâ, fol. 11 a; ’Hullîn, fol. 60 a.: «Toutes les œuvres de la création furent créées dans leur stature (parfaite), avec toute leur intelligence(4)Le mot לדעתן, que notre auteur applique à la forme, se rapporte aux êtres raisonnables; toutes les créatures, disent les rabbins, sortirent de la main du Créateur, non pas en germe, mais dans leur état le plus développé et le plus parfait. et dans toute leur beauté»; ce qui veut dire que tout ce qui a été créé l’a été dans sa perfection quantitative, avec sa forme parfaite et avec ses plus belles qualités(5)Le texte dit: Avec ses plus beaux accidents; c’est-à-dire que les êtres, au moment de la création, possédaient aussi extérieurement toutes les belles qualités accidentelles dont ils étaient susceptibles.. Ce sont ces dernières qu’indique le mot לצביונם (dans leur beauté) qui vient de צב׳, beauté, ornement, par exemple: le plus beau (צבי) de tous les pays (Ezéch., XX, 6). Sache bien cela; car c’est là un principe important, parfaitement vrai et clair.", "Ce qui doit être un sujet de sérieuse méditation, c’est qu’après avoir parlé de la création de l’homme, dans les six jours de la création, en disant: il les créa mâle et femelle (Gen., I, 27), et après avoir entièrement conclu (le récit de) la création, en disant: Ainsi furent achevés le ciel et la terre et toute leur armée (ibid., II, 1), on ouvre un nouveau chapitre, (pour raconter) comment Ève fut créée d’Adam. On y parle de l’arbre de la vie et de l’arbre de la science, de l’aventure du serpent et de ce qui en arriva, et on présente tout cela comme ayant eu lieu après qu’Adam eut été placé dans le jardin d’Eden. Tous les docteurs tombent d’accord que tout cet événement eut lieu le vendredi, et que rien ne fut changé, en aucune façon, après les six jours de la création. Il ne faut donc rien voir de choquant dans aucune de ces choses; car, comme nous l’avons dit, il n’y avait encore jusque-là aucune nature fixe(1)Littéralement: Selon ce que nous avons dit qu’il n’y avait encore, etc. C’est-à-dire: jusqu’à la fin du sixième jour, la nature des choses n’était pas encore établie par des lois immuables; il n’y a donc rien de choquant dans les relations du IIe chapitre de la Genèse, dès qu’on admet que tout se passa dans le courant du sixième jour. Comparez ce que l’auteur a dit plus haut (p. 235) au sujet de la lumière, en citant l’exemple du laboureur et des semailles..", "Outre cela, ils ont dit d’autres choses que je dois te faire entendre, en les recueillant dans différents endroits, et je dois aussi appeler ton attention sur certains points, comme ils ont fait eux-mêmes à notre égard(2)Littéralement: Et je te ferai aussi remarquer certaines choses comme ils nous (les) ont fait remarquer eux-mêmes. L’auteur veut dire qu’il fera comme ont fait les docteurs, en se bornant à appeler l’attention du lecteur sur certains points, sans développer ses idées. — Au lieu de נבהונא, les deux mss. de Leyde ont נבהוא, sans suffixe; de même les deux versions hébraïques: כמו שהעירו.. Il faut savoir que tout ce que je vais te citer ici des discours des docteurs sont des paroles d’une extrême perfection, dont l’interprétation était claire pour ceux à qui elles s’adressaient, et qui sont d’une très grande précision. C’est pourquoi je n’en pousserai pas trop loin l’explication et je ne les exposerai pas longuement(1)Les deux traducteurs hébreux ont pris les mots ולא אבסטהא dans le sens de je ne les rendrai pas simples, c’est-à-dire, je n’en ferai pas connaître le sens clairement et simplement. Ibn-Tibbon traduit: ולא אשימם פשוטים; Al-’Harîsi: ולא אפרש פשטם., afin de ne pas révéler un secret(2)Par les mots hébreux מגלה םוד, l’auteur fait allusion à un passage des Proverbes, XI, 13.; mais il suffira, pour les faire comprendre à un homme comme toi, que je les cite dans un certain ordre et avec une rapide observation.", "C’est ainsi qu’ils disent(3)L’auteur a en vue un passage du Beréschîth rabbâ, sect. 8, au commencement (fol. 6, col. 2), où il est dit qu’Adam fut créé à la fois homme et femme, et qu’il avait deux visages (דיו פרצופין), tournés de deux côtés; cf. Talmud de Babylone, ’Eroubin, fol. 18 a. Ce passage rappelle la fable de l’Androgyne, dans le Festin de Platon (p. 189). qu’Adam et Ève furent créés ensemble, unis dos contre dos; (cet homme double) ayant été divisé, il (Dieu) en prit la moitié, qui fut Ève, et elle fut donnée à l’autre (à Adam) pour compagne(4)Ibn-Tibbon traduit והובא אליו; Al-’Harîzi traduit plus exactement והקביל אותו בה: les mots וקובל בה signifient littéralement: et elle (cette moitié) fut placée vis-à-vis de lui. Ibn-Falaquéra a déjà fait observer que l’auteur fait allusion aux mots עזר כנגדו, un aide vis-à-vis de lui (Genèse, 2, 18, 20). Voy. Moré ha-Morè, Appendice, p. 155.. Les mots אחת מצלעתיו (Gen., II, 21) signifient (dit-on) un de ses deux côtés(5)La traduction d’Ibn-Tibbon אהד מחלקיו (une de ses parties) est inexacte; voy. Ibn-Falaquéra, l. c., et on a cité pour preuve צלע המשכן (Exode, 26, 20, etc.), que le Targoum rend par סטר משכנא, côté du tabernacle, de sorte, disent-ils, qu’ici (il faudrait traduire): מן סטרוהי, de ses côtés. Comprends bien comment on a dit clairement qu’ils étaient en quelque sorte deux et que cependant ils ne formaient qu’un, selon ces mots: un membre de mes membres et une chair de ma chair (Gen., II, 23), ce qu’on a encore confirmé davantage, en disant que les deux ensemble étaient désignés par un seul nom: Elle sera appelée ISCHA, parce qu’elle a été prise du ISCH (ibid.); et, pour faire mieux encore ressortir leur union, on a dit: Il s’attachera à sa femme, et ils seront une seule chair (ibid., v. 25). — Combien est forte l’ignorance de ceux qui ne comprennent pas qu’il y a nécessairement au fond de tout cela une certaine idée! Voilà donc qui est clair(1)L’auteur veut dire: Il est clair que ce récit renferme une certaine idée philosophique; il se contente de l’indiquer, mais ne juge pas convenable de l’exposer clairement. Selon les commentateurs, l’auteur voyait dans ce récit une allusion à l’union de la matière et de la forme, qui, dans notre pensée, sont deux choses distinctes, mais qui, en réalité, sont toujours unies ensemble et que la parole créatrice fit au même instant sortir du néant. L’auteur paraît faire allusion à la même idée au chap. VI de la Ire partie, en disant que le mot ISCHA (femme) a été employé métaphoriquement pour toute chose destinée et prête à se joindre à une autre chose, ce qui indique la matière première destinée à recevoir la forme, ou le mâle (ISCH), et que nous en séparons dans notre pensée..", "Un autre sujet qu’ils ont exposé dans le Midrasch et qu’il faut connaître est celui-ci: Le serpent, disent-ils, était monté par un cavalier, et il était aussi grand qu’un chameau; ce fut son cavalier qui séduisit Ève, et ce cavalier fut Sammaël(2)Voy. Pirkè rabbi-’Eliézer, chap. XIII.. Ce nom, ils l’appliquent à Satan: ils disent, par exemple, dans plusieurs endroits, que Satan voulait faire faillir notre père Abraham, en sorte qu’il ne consentìt pas à offrir Isaac (en holocauste), et de même il voulut faire faillir Isaac, en sorte qu’il n’obéit pas à son père; et, dans cette occasion, je veux dire, au sujet du sacrifice d’Isaac, ils s’expriment ainsi: «Sammaël se rendit auprès de notre père Abraham et lui dit: Eh quoi, vieillard, tu as donc perdu ton bon sens, etc.(3)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 56 (fol. 49, col. 4)..» Il est donc clair que Sammaël est Satan. Ce nom, de même que celui du na’hasch (serpent), indique une certaine idée; en rapportant comment ce dernier vint tromper Ève, ils disent: «Sammaël était monté sur lui; mais le Très-Saint se riait du chameau et de son cavalier(1)Encore ici, l’auteur ne se prononce pas sur l’idée philosophique qu’il croit être cachée sous ce récit et indiquée par les noms qui y sont employés. Selon les commentateurs, le mot נָחָש, serpent, indiquerait la faculté imaginative et serait en rapport avec le mot נַחַש qui désigne la divination, où l’imagination joue un grand rôle; le nom de Sammaël viendrait du verbe סמא, aveugler, et indiquerait la faculté appétitive, ou la concupiscence, qui aveugle l’homme; enfin, Dieu qui se rit du chameau (serpent) et de son cavalier, c’est l’intelligence..»", "Ce qui mérite encore de fixer ton attention, c’est que le serpent n’eut aucune espèce de rapport avec Adam et ne lui adressa pas la parole, mais qu’il ne conversa et n’eut de communication qu’avec Ève; ce fut par l’intermédiaire d’Ève qu’il arriva du mal à Adam et que le serpent le perdit. La parfaite inimitié n’a lieu qu’entre le serpent et Ève, et entre la postérité de l’un et celle de l’autre, bien que sa postérité à elle (זרעה) soit indubitablement celle d’Adam(2)Il faut se rappeler que Dieu dit au serpent: Et je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la sienne (Genèse, 3, 15).—Ainsi que nous venons de le dire, le serpent représente la faculté imaginative; l’auteur veut indiquer ici, à ce qu’il paraît, ce sens allégorique: Que l’imagination n’affecte pas directement l’intelligence, représentée par Adam, et qu’elle ne trouble cette dernière que par un intermédiaire, qui est, ou la matière, ou la faculté sensible, représentée par Ève.. Ce qui est encore plus remarquable, c’est que ce qui enchaîne le serpent à Ève, c’est-à-dire la postérité de l’un à celle de l’autre, c’est (d’une part) la tête et (d’autre part) le talon, de sorte qu’elle le dompte par la tête(3)C’est-à-dire, en le frappant sur la tête., tandis que lui il la dompte par le talon(4)Les commentateurs ne donnent que des explications peu satisfaisantes sur l’allégorie que l’auteur a pu avoir en vue dans ce dernier passage; la plus plausible me paraît être celle de Schem-Tob, qui s’exprime à peu près ainsi: La postérité de. la femme, ou l’être humain, par sa faculté rationnelle et spéculative, ou par son intelligence, l’emporte sur l’imagination, qui a son siège dans la tête et en détruit les fantômes. Mais souvent la faculté imaginative et les passions qui en naissent frappent l’homme au talon, c’est-à-dire l’empêchent de marcher en avant, de développer ses facultés intellectuelles et d’arrriver à la conception des choses intelligibles.. Voilà donc qui est également clair.", "Voici encore un de ces passages étonnants, dont le sens littéral est extrêmement absurde, mais (dans lesquels), dès que tu auras parfaitement bien compris les chapitres de ce traité, tu admireras l’allégorie pleine de sagesse et conforme à (la nature de) l’être(1)Plus littéralement: Du nombre des passages étonnants, etc., est ce qu’ils disent. Tous les mss. ont והו קולהם, et de même Ibn-Tibbon: והוא אמרם; ces mots étant le conséquent des mots ומן אלאקאויל, il eût été plus correct d’écrire הו, sans le ו conjonctif. C’est sans doute l’auteur lui-même qui a écrit והו, par inadvertance. — Quant au mot פהמת, Ibn-Tibbon l’a considéré comme un verbe passif , dont le sujet est פצול, et l’a traduit par וכשיובנו; maisle verbe תעגׄב qui suit montre avec évidence qu’il faut prononcer , verbe actif, dont פצול est le régime.. «Au moment, disent-ils, où le serpent s’approcha d’Ève, il l’entacha de souillure. Les israélites s’étant présentés au mont Sinaï, leur souillure a été enlevée; quant aux gentils, qui ne se sont pas présentés au mont Sinaï, leur souillure n’a pas été enlevée(2)Voy. Talmud de Babylone, Schabbâth, fol. 146 a; Yebamôth, fol. 103 b. Le sens du passage, selon Maïmonide, paraît être celui-ci: La faculté imaginative, en éveillant les passions, entache l’homme de souillure; les Israélites, en recevant une loi morale qui dompta leurs passions, se sont purifiés de cette souillure, dont les païens restaient toujours entachés..» Médite aussi là-dessus(3)Le verbe תדבר doit être prononcé , impératif de la Ve forme, et c’est à tort qu’Ibn-Tibbon l’a traduit par והנהיג (mss. והנהיגו). Al-’Harîzi l’a mieux rendu par והעיר מחשבתך לזה..", "Un autre passage qu’il faut connaître est celui-ci: «L’arbre de la vie a (une étendue de) cinq cents ans de marche, et toutes les eaux de la création se répandent de dessous lui(4)Voy. Beréschîth rabbà, sect. 15 (fol. 13, col. 2); Talmud de Jérusalem, Berakhôth, chap. I, et le commentaire Yephé march, ibid., § 4.. On y a déclaré qu’on a pour but (de désigner) par cette mesure l’épaisseur de son corps, et non pas l’étendue de ses branches: «Le but de cette parole, disent-ils, n’est pas son branchage, mais c’est son tronc (קורתו) (1)La plupart des mss. ar. du Guide et la version d’Al-’Harîzi ont כוורתו; mais nos éditions du Midrasch et du Talmud de Jérusalem ont קורתו, et cette leçon se trouve aussi dans un ancien ms. du Beréschîth rabbâ que possède la Bibliothèque impériale. Le mot קורה, qui signifie poutre, est ici employé dans le sens de tronc d’arbre. qui a (une étendue de) cinq cents ans de marche.» Par קורתו, on entend son bois épais qui est debout; ils ont ajouté cette phrase complémentaire(2)Au lieu de ההשאלה, qu’ont ici les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire ההשלמה comme l’ont les mss. de cette version et celle d’Al-’Harîzi., pour compléter l’explication du sujet et lui donner plus de clarté. Voilà donc qui est clair aussi(3)Encore ici, on ne peut qu’entrevoir le sens allégorique que l’auteur trouvait dans les paroles des docteurs. Ce qu’il y a de plus probable, c’est qu’il voyait dans l’arbre de ta vie la science qui est la véritable vie de l’âme humaine. Cette science embrasse une étendue de cinq cents ans de marche, c’est-à-dire elle s’étend sur tout ce qui existe au-dessous de la sphère de la lune; car, selon les rabbins, il y a cinq cents ans de chemin de la terre au ciel ou à la dernière des sphères célestes: מן הארץ עד לרקיע מהלך חמש מאות שנה (Talmud de Babylone, ’Haghigâ, fol. 13 b; cf. la IIIe partie de cette ouvrage, chap. XIV). Ces choses sublunaires, qui seules sont complètement accessibles à la science humaine, sont désignées par le tronc de l’arbre; ses branches, qui s’étendent bien au delà de la sphère de la lune, représentent la science des sphères célestes et la métaphysique, dont l’homme ne peut acquérir qu’une connaissance plus ou moins imparfaite. Cf. les commentaires d’Ephôdi et de Schem-Tob..", "Il faut aussi connaître le passage suivant: «Quant à l’arbre de la science, le Très-Saint n’a jamais révélé cet arbre à aucun homme et ne le révélera jamais(1)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 15, à la fin, où, après avoir rapporté les opinions de plusieurs docteurs sur l’espèce à laquelle appartenait l’arbre de la science, on cite celle de R. Josua ben-Levi, qui disait que l’arbre de la science ne devait jamais être désigné avec précision, afin qu’aucun homme ne pût connaître le fruit qui avait conduit au péché..» Et cela est vrai; car la nature de l’être l’exige ainsi(2)Pour comprendre ce passage, il faut se rappeler la distinction que l’auteur a établie, au chap. II de la Ire partie, entre la connaissance du vrai et du faux et celle du bien et du mal. L’intelligence, par laquelle l’homme connaît le vrai et le faux, fut donnée à l’homme dès le moment de la création, et c’est elle qui le rendait semblable à Dieu; mais la connaissance de ce qui est beau ou laid, bien ou mal, n’est qu’une suite du péché de l’homme et de la perte de son état d’innocence. Selon l’auteur donc, le passage du Midrasch qui vient d’être cité veut dire que ce n’est pas Dieu qui révèle directement à l’homme, en lui donnant l’intelligence, la connaissance de ce qui est beau ou laid, bienséant ou inconvenant, et que les objets de cette connaissance n’existeraient pas pour lui, s’il n’avait pas péché et s’il n’était pas entraîné par ses désirs et ses mauvais penchants..", "Le passage suivant mérite également que tu l’apprennes: «Et l’Éternel Dieu prit l’homme (Genèse, 2, 15), c’est-à-dire, il l’éleva; et il l’établit (ויניחהו) dans le jardin d’Eden, c’est-à-dire, il lui donna le repos (הניח לו) (3)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 16 (fol. 14, col. 1)..» On n’a donc pas entendu le texte(4)Ibn-Tibbon (ms.) a לא אמרו זה הלשון, ce qui est un contresens; car le mot אלנץ désigne ici le verset biblique. Al-’Harîzi dit plus exactement אין זה הפסוק להעלותו וכו׳. (dans ce sens) qu’il (Dieu) l’aurait retiré d’un endroit et placé dans un autre endroit, mais (dans ce sens allégorique) qu’il éleva le rang de son être, au milieu de ces êtres qui naissent et périssent, et qu’il l’établit dans une certaine position(5)C’est-à-dire, dans une situation morale qui l’élevait au-dessus de tous les êtres d’ici-bas, et c’est cette situation qui est désignée allégoriquement par les mots jardin d’Eden..", "Un autre point qu’il faut te faire remarquer, c’est avec quelle sagesse les deux fils d’Adam furent désignés par les noms de Kaïn et de Hebel (Abel), que ce fut Kaïn qui tua Hebel au champ (Genèse, 4, 8), qu’ils périrent tous deux, bien que celui qui avait exercé la violence fût traité avec indulgence(1)Le verbe אמהל est au passif . La traduction d’Ibn-Tibbon, שהאריך (pour שהאריך אף), n’est pas tout à fait exacte; quelques mss. ont שנמחל. Al-’Harîzi traduit: ואם האריכו חיי המתגבר והרוצח., et enfin qu’il n’y eut d’existence durable que pour Scheth: Car Dieu m’a établi (SCHATH) une autre postérité (ibid., v. 25). Tout cela est justifié(2)L’auteur se borne à appeler la méditation du disciple sur le sens symbolique des noms de Kaïn, de Hébel et de Scheth, et sur les allégories que renferme le récit biblique. Le silence que garde l’auteur sur sa véritable pensée a donné lieu à des explications variées; les commentateurs s’accordent généralement à voir dans les trois fils d’Adam les symboles de différentes facultés de l’âme rationnelle. Kaïn représente la faculté des arts pratiques, nécessaires à la conservation du corps, et dont l’un des principaux est l’agriculture; le nom de Kaïn, que le texte biblique met en rapport avec le verbe kanâ (acquérir), signifie acquisition, possession. Hébel représente la réflexion, qui juge de l’opportunité des actions au point de vue moral, et qui détermine le régime de l’individu et des sociétés, représenté par l’image du pasteur. Le nom de Hébel, qui signifie vanité, indique que la faculté de la réflexion, quoique supérieure à celle des arts pratiques, est une chose vaine et périssable; car ce qui reste de l’homme après la mort, c’est la seule intelligence, représentée par Schéth, qui seul, parmi les fils d’Adam, ressemblait à son père créé à l’image de Dieu, comme l’a fait observer l’auteur dans la Ire partie de cet ouvrage, chap. VII. Si Kaïn tue Hébel au champ, cela indique que l’homme qui vit en dehors des habitudes et des lois sociales ne possède pas des notions exactes de ce qui est juste ou injuste, et se livre à la violence. Voy. les commentaires de Moïse de Narbonne et d’Ephôdi; et cf. le passage de Maïmonide sur la partie rationnelle de l’âme, cité dans le t. I de cet ouvrage, p. 210, note 1. Voy. aussi, sur notre passage, le commentaire d’Isaac Abravanel sur le Pentateuque, Genèse, chap. 4, versets 1-8..", "Ce qui mérite encore de fixer ton attention, c’est le passage: Et l’homme imposa des noms, etc. (ibid., II, 20), qui nous apprend que les langues sont conventionnelles et non pas naturelles(1)C’est-à-dire, que les mots sont une chose de pure convention, et qu’ils n’ont pas pris leur origine dans la nature même des choses qu’ils servent à désigner. C’est ce qui résulte, selon l’auteur, du passage en question, où l’on attribue la dénomination de tous les êtres à la seule volonté d’Adam, qui invente les noms au hasard., comme on l’a cru(2)L’auteur paraît faire allusion à un passage du Midrasch, où il est dit que la sagesse d’Adam, c’est-à-dire sa connaissance des choses de la nature, était supérieure à celle des anges; car ces derniers ignoraient la nature des choses sublunaires et ne savaient pas les appeler par leurs noms, tandis qu’Adam savait donner à chaque animal le nom qui lui convenait naturellement et qui en caractérisait l’être: אמר לזה נאה לקרותו שור ולזה ארי ולזה סוס ולזה חמור ולזה גמל ולזה נשר וכן כלם שנאמר ויקרא האדם שמות לכל הבהמה וגו׳. Voy. le Midrasch Tan’houma, liv. des Nombres, section הקת (édit. de Vérone, fol. 77, col. 1); Beréschîth rabbâ, sect. 17 (fol. 14, col. 3). Les mots לזה נאה לקרותו וכו׳, celui-ci il convient de l’appeler, etc., sont expliqués par Isaac Abravanel en ces termes: לפי שלא היו אותם השמות מוסכמים כפי הרצון כלבד אבל מונחים ונגזרים באופן נאות לטבעיהם ולצורותיהם «Parce que ces noms n’étaient pas simplement conventionnels et arbitraires, mais posés et dérivés de manière à convenir à la nature des objets et à leurs formes.» Voy. la dissertation d’Abravanel sur la sagesse de Salomon, chap. 2, dans son commentaire sur le livre des Rois, chap. III, v. 6 et suiv. (Commentarius in prophetas priores, Lipsiæ, 1686, fol. 210, col. 3). Cette opinion des anciens rabbins, qui est combattue ici par Maïmonide, est aussi adoptée par R. Juda ha-Lévi, dans son Khozari, liv. IV, § 25 (édition de Buxtorf, p. 303)..", "Ce qui enfin mérite encore ta méditation, ce sont les quatre mots employés pour (désigner) le rapport entre le ciel(3)Par ciel, il faut entendre ici l’ensemble de l’univers. et Dieu, à savoir: ברא créer, עשה faire, קנה acquérir, posséder, et אל Dieu. On dit, par exemple: Dieu créa (ברא) le ciel et la terre (Gen., I, 1); au jour ou Dieu fit (עשות) terre et ciel (ibid., II, 4); auteur ou possesseur (קׂנה) du ciel et de la terre (ibid., XIV, 19 et 22); le Dieu (אל) de l’univers (ibid., XXI, 33)(4)Voy. le t. I, p. 3, note 2.; Dieu (אלהי) du ciel et Dieu de la terre (ibid, XXIV, 3). Quant aux expressions: אשר כוננתה (la lune et les étoiles) que tu as ÉTABLIES (Ps. 8, 4), טפחה שמים (et ma droite) a MESURÉ par palmes les cieux, נוטה שמים, qui ÉTEND les cieux (Ps. 104, 2), elles sont toutes renfermées dans עשה, faire. Pour ce qui est du verbe יצר, former, il ne se rencontre pas (dans ce sens)(1)L’auteur veut dire que ce verbe n’est jamais employé lorsqu’il s’agit de la création du ciel et de la terre, ou de l’ensemble de l’univers; car, en parlant de la terre seule, on dit aussi יוצר ארץ (Isaïe, XLV, 18), ce que l’auteur interprétait sans doute comme יוצר הרים.. Il me semble, en effet, que ce verbe s’applique à la formation de la figure et des linéaments, ou à un des autres accidents; car la figure et les linéaments sont également des accidents. C’est pourquoi on dit: יוצר אור, qui forme la lumière (Isaïe, 45, 7), car celle-ci est un accident; יוצר הרים, qui forme les montagnes (Amos, 4, 13), signifie qui en fait la figure; il en est de même de וייצר י״י אלהים, l’Éternel Dieu forma, etc. (Genèse, 2, 7 et 19). Mais, en parlant de cet être qui comprend l’ensemble de l’univers, c’est-à-dire le ciel et la terre, on emploie le verbe ברא, créer, qui, selon nous, signifie produire du néant. On dit aussi עשה, faire, (ce qui s’applique) aux formes(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ליצירותיו, à ses créatures, ce qui évidemment est une faute; les mss. portent לצורותיו; mais il faut lire, d’après l’arabe, לצורותיהם, à leurs formes, où le suffixe se rapporte au ciel et à la terre. spécifiques qui leur ont été données, je veux dire à leurs caractères physiques. On leur a appliqué le verbe קנה, posséder, parce que Dieu les domine, comme le maître domine ses esclaves; c’est pourquoi il est appelé le Seigneur de toute la terre (Josué, 3, 11, 13) et (simplement) האדון, le Seigneur (Exode, 23, 17; XXXIV, 23). Mais, comme(3)Tous les mss. ont ולמא avec ו, et ce mot par conséquent commence une nouvelle phrase. Dans plusieurs mss. de la version d’Ibn-Tibbon, le mot והאדון est suivi de כאשר, qui manque dans les éditions; mais il faut lire וכאשר. Ce qui a causé l’erreur, c’est qu’on ne s’est pas aperçu que le mot והאדון forme une seconde citation biblique. il n’y a pas de Seigneur sans qu’il y ait en même temps une possession, ce qui semblerait supposer une certaine matière préexistante(1)Littéralement: Et cela incline vers la croyance de l’éternité d’une certaine matière. L’auteur veut dire: comme il y a une corrélation entre le maître et la possession, et que le mot קונה, possesseur, appliqué au créateur, paraît impliquer la préexistence d’une matière, on a généralement employé, pour désigner l’acte de la création, les verbes ברא (créer) et עשה (faire), qui renferment l’idée de produire du néant., on a (plutôt) employé les verbes ברא, créer, et עשה, faire. Quand on dit אלהי השמים, Dieu du ciel, et אל עולם, Dieu de l’univers, c’est au point de vue de la perfection de Dieu et de la perfection de ces derniers; lui, il est ELOHÎM, c’est-à dire gouvernant, et eux, ils sont gouvernés(2)Cf. le t. I, chap. II, p. 37, et ci-dessus, chap. VI, p. 66.. Il ne faut pas y voir l’idée de domination, car c’est là le sens de קונה, possesseur; (en disant ELOHÎM) c’est au point de vue du rang(3)Sur le sens du mot , cf. le t. I, p. 52, note 2. que Dieu occupe dans l’être et de leur rang à eux(4)C’est-à-dire, de celui du ciel et de l’univers. Le suffixe dans וחטׄהא est mis, ainsi que les pronoms précédents, au féminin singulier, et non pas au duel, parce que les deux choses se confondaient dans la pensée de l’auteur, de sorte qu’il n’a eu égard qu’au mot féminin אלסמא, le ciel, comme on le voit à la fin de cette phrase, où il est dit mot à mot: Car c’est lui qui est Dieu et non pas elle, je veux dire אלסמא (le ciel).; car c’est lui, et non pas le ciel, qui est Dieu. Il faut te bien pénétrer de cela.", "Ces observations sommaires(5)Littéralement: Ces mesures, ou ces quantités-ci., avec ce qui précède et ce qui sera dit encore sur ce sujet, sont suffisantes par rapport au but qu’on s’est proposé dans ce traité et par rapport au lecteur(6)C’est-à-dire: elles suffisent pour le lecteur intelligent et instruit que l’auteur a eu en vue.." ], [ "Tu as peut-être déjà reconnu la raison pourquoi on a tant insisté sur la loi du sabbat et pourquoi elle a (pour pénalité) la lapidation, de sorte que le prince des prophètes a (en effet) infligé la mort à cause d’elle(1)C’est-à-dire: Par tout ce qui a été dit précédemment sur l’importance du dogme de la création, tu as déjà pu comprendre, par toi-même, pourquoi la loi du sabbat a été si souvent répétée dans le Pentateuque, et pourquoi celui qui la transgresse est puni de la peine la plus grave, celle de la lapidation, peine qui en effet fut appliquée un jour par le législateur lui-même, comme le rapporte le livre des Nombres, chap. xv, v. 32-36. — Ce chapitre sur le sabbat se rattache, comme complément naturel, à tout ce que l’auteur a dit sur la Création, qui est symboliquement représentée par le repos solennel du septième jour de la semaine.. Elle occupe le troisième rang après l’existence de Dieu et la négation du dualisme [car la défense d’adorer un autre être que lui n’a d’autre but que d’affirmer l’unité](2)L’auteur veut dire que, dans le Décalogue, la loi du sabbat, qui forme le quatrième commandement, occupe le troisième rang après les commandements relatifs à l’existence et à l’unité de Dieu; car le troisième commandement, ou la défense de proférer en vain le nom de l’Éternel, se rattache aux deux premiers commandements et ne proclame pas de nouveau principe fondamental, tandis que la loi du sabbat proclame le dogme de la Création. C’est ainsi que l’auteur a dit plus haut (chap. XIII, p. 107), en parlant de la Création, qu’elle est le second principe après celui de l’unité de Dieu.. Tu sais déjà, par mes paroles(3)L’auteur fait allusion, ce me semble, à des entretiens qu’il avait eus avec son disciple sur les motifs qu’on peut supposer à certains préceptes relatifs aux pratiques religieuses. Voy. ce qu’il dit à cet égard dans la IIIe partie de cet ouvrage, chap. XXVII et passim., que les idées ne se conservent pas si elles ne sont pas accompagnées d’actions qui puissent les fixer, les publier et les perpétuer parmi le vulgaire. C’est pourquoi il nous a été prescrit d’honorer ce jour, afin que le principe de la nouveauté du monde fût établi et publié dans l’univers par le repos auquel tout le monde se livrerait(1)Littéralement: Lorsque tous les hommes resteraient oisifs. le même jour; car, si l’on demandait quelle en est la cause, la réponse serait: Car en six jours l’Éternel a fait etc. (Exode, 20, 11).", "Mais on a donné à cette loi deux causes différentes, qui devaient avoir deux conséquences différentes: dans le premier Décalogue (Exode, chap. XX). on dit, pour motiver la glorification du sabbat: Car en six jours l’Éternel a fait etc., tandis que dans le Deutéronome (V, 15) on dit: Et tu te souviendras que tu as été esclave dans le pays d’Égypte(2)Il est curieux que le texte arabe et la version hébraïque d’Ibn-Tibbon portent ici, dans presque tous les mss. comme dans les éditions, במצרים, tandis que le texte biblique porte בארץ מצרים. L’auteur a fait probablement une erreur de mémoire en pensant à deux autres versets du Deutéronome (XVI, 12; XXIV, 18).…..; c’est pourquoi l’Éternel ton Dieu t’a prescrit de célébrer le jour du sabbat. Et cela est juste(3)C’est-à-dire: Les deux causes indiquées dans les deux Décalogues se justifient par les conséquences dont il va être parlé.. En effet, la conséquence (indiquée) dans le premier passage, c’est l’illustration et la glorification de ce jour, comme on a dit: C’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié (Exode, 20, 10), ce qui est la conséquence résultant de la cause (indiquée par ces mots): Car en six jours etc. Mais, si on nous en a fait une loi, et s’il nous a été ordonné, à nous, d’observer ce jour, c’est une conséquence (résultant) de cette autre cause: que nous étions esclaves en Égypte, où nous ne travaillions pas selon notre choix et quand nous voulions, et où nous n’étions pas libres de nous reposer. ", "On nous a donc prescrit l’inaction et le repos, afin de réunir deux choses: 1° d’adopter une opinion vraie, à savoir (celle de) la nouveauté du monde, qui, du premier abord et par la plus légère réflexion, conduit à (reconnaître) l’existence de Dieu; 2° de nous rappeler le bien que Dieu nous a fait en nous accordant le repos de dessous les charges de l’Égypte (Exode, 6, 6 et 7). C’est en quelque sorte un bienfait qui sert à la fois à confirmer une opinion spéculative et à produire le bien-être du corps(1)Littéralement: un bienfait général pour la confirmation de l’opinion spéculative et pour le bien-être de l’état corporel. La plupart des mss. portent: פי צחיח אלראי אלנטׄרי. Et c’est aussi cette leçon que paraît exprimer Ibn-Tibbon, qui a: בדעת האמתי העיוני; mais la construction nous oblige de considérer ici le mot צחיח, comme un nom d’action, dans le sens de תצהיח. Le ms. de Leyde (n° 18) porte en effet פי תצחיח, et Al-’Harîzi traduit: בקיום דעת העיון.." ], [ "Il en est des opinions des hommes sur la prophétie comme de leurs opinions concernant l’éternité ou la nouveauté du monde; je veux dire que, de même que ceux pour qui l’existence de Dieu est avérée professent trois opinions (diverses) sur l’éternité ou la nouveauté du monde, comme nous l’avons exposé, de même aussi les opinions concernant la prophétie sont au nombre de trois(2)Nous croyons, avec Isaac Abravanel, que l’auteur voyait une certaine relation entre les trois opinions sur la prophétie et les trois opinions qu’il a rapportées plus haut (chap. XIII) sur l’origine du monde; car on ne saurait supposer qu’il n’ait voulu parler que de la triplicité des opinions dans les deux sujets, qui n’est qu’une chose tout accidentelle et qui n’aurait pas mérité que l’auteur y insistât. Selon Abravanel, la première opinion sur la prophétie, celle de la foule vulgaire des croyants, est analogue à la première opinion sur l’origine du monde, celle qui fait tout émaner de la seule volonté de Dieu, sans admettre aucune espèce de matière première ou de substratum préexistant et apte à recevoir la forme. La deuxième opinion sur la prophétie correspond à la troisième sur l’origine du monde, ou à celle des péripatéticiens. Ces derniers, n’admettant rien de surnaturel, ne voient dans la prophétie que le développement et l’entéléchie d’une faculté que toute l’espèce humaine possède en puissance, de même que, selon eux, il y a dans l’univers une matière préexistante qui, de toute éternité, a reçu la forme. Enfin, la troisième opinion, qui attribue la prophétie à une faculté préexistante se développant par la volonté divine, est analogue à celle que Platon professe sur l’origine du monde, et selon laquelle le monde, sorti du chaos éternel, a eu un commencemeut temporel et a été ordonné par la libre volonté de Dieu. Voy. le commentaire d’Isaac Abravanel sur diverses parties du Moré Néboukhim, publié par M. J. Landau, IIe livraison (Prague, 1832, in-4°), fol. 20; cf. Isaac Arama, ’Akédâ, chap. 35.. Je ne m’arrêterai pas à l’opinion de l’épicurien, — car celui-ci ne croit pas à l’existence d’un Dieu, et comment, à plus forte raison, croirait-il à la prophétie? — mais je n’ai pour but que de rapporter les opinions de ceux qui croient en Dieu(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ajoutent le mot בנבואה. Selon cette leçon, il faudrait traduire: Les opinions que ceux qui croient en Dieu professent sur la prophétie; mais tous les mss. du texte arabe ont seulement ארא מעתקד אלאלאה, et de même Al-’Harîzi: דעות המאמינים בבורא..", "I. La première opinion, professée par ceux d’entre les peuples païens(2)Ibn-Tibbon a: המון הפתאים, et Al-’Harîzi: המון הסכלים, c’est-à-dire la foule des ignorants; mais, si l’auteur avait voulu parler des ignorants en général, il aurait dit . Par le mot , l’auteur désigne, conformément à l’usage des auteurs arabes, l’état des peuples qui n’ont point été instruits par une révélation divine, ou l’époque du paganisme. qui croyaient à la prophétie, est aussi admise par certaines gens du vulgaire appartenant à notre religion(3)La version d’Ibn-Tibbon porte וקצת עמי אנשי תורתנו (dans quelques mss., וקצת המון מאנשי תורתנו); il a lu: ובעץׄ עואם אהל שריעתנא, comme le porte en effet le ms. de Leyde, n° 18.. Dieu (disent-ils), choisissant celui qu’il veut d’entre les hommes, le rend prophète et lui donne une mission; et peu importe, selon eux, que cet homme soit savant ou ignorant, vieux ou jeune. Cependant ils mettent aussi pour condition qu’il soit un homme de bien et de bonnes mœurs; car personne n’a prétendu jusqu’ici que, selon cette opinion, Dieu accorde quelquefois le don de prophétie à un homme méchant, à moins qu’il ne l’ait d’abord ramené au bien.", "II. La deuxième opinion est celle des philosophes(1)L’auteur veut parler des péripatéticiens arabes, qui considèrent le don de prophétie comme le plus haut degré de développement des facultés rationnelles et morales de l’âme, degré auquel l’homme parvient moins par l’étude que par la purification de l’âme, en se détachant complétement des choses de ce monde et en se préparant ainsi à l’union la plus intime avec l’intellect actif, qui fait passer à l’acte toutes les facultés que notre âme possède en puissance. Voy. Ibn-Sînâ, dans l’analyse de Schahrestâni, p. 428-429 (trad. all., t. II, p. 331-332), et cf. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 364-365.; à savoir, que la prophétie est une certaine perfection (existant) dans la nature humaine; mais que l’individu humain n’obtient cette perfection qu’au moyen de l’exercice, qui fait passer à l’acte ce que l’espèce possède en puissance(2)Cf. la Ire partie, chap. XXXIV, deuxième cause (t. I, p. 119)., à moins qu’il n’y soit mis obstacle par quelque empêchement tenant au tempérament ou par quelque cause extérieure. Car, toutes les fois que l’existence d’une perfection n’est que possible dans une certaine espèce, elle ne saurait exister jusqu’au dernier point dans chacun des individus de cette espèce(3)Littéralement: …, comme il en est de toute perfection dont l’existence est POSSIBLE dans une certaine espèce; car l’existence de cette perfection ne saurait aller jusqu’à son extrémité et sa fin dans chacun etc., mais il faut nécessairement (qu’elle existe au moins) dans un individu quelconque(4)Car, comme l’auteur le dit ailleurs, ce qui est possible pour l’espèce ne peut pas ne pas arriver nécessairement. Voy. ci-dessus, p. 39, et ibid. note 2.; et si cette perfection est de nature à avoir besoin d’une cause déterminante pour se réaliser, il faut une telle cause(5)Plus littéralement: Et si cette perfection est une chose qui a besoin, pour se réaliser, de quelque chose qui la fasse sortir (ou passer à l’acte), il faut quelque chose qui la fasse sortir.. Selon cette opinion, il n’est pas possible que l’ignorant devienne prophète, ni qu’un homme sans avoir été prophète la veille le soit (subitement) le lendemain, comme quelqu’un qui fait une trouvaille. Mais voici, au contraire, ce qu’il en est: si l’homme supérieur, parfait dans ses qualités rationnelles et morales, possède en même temps la faculté imaginative la plus parfaite et s’est préparé de la manière que tu entendras (plus loin), il sera nécessairement prophète; car c’est là une perfection que nous possédons naturellement. Il ne se peut donc pas, selon cette opinion, qu’un individu, étant propre à la prophétie et s’y étant préparé, ne soit pas prophète, pas plus qu’il ne se peut qu’un individu d’un tempérament sain se nourrisse d’une bonne nourriture, sans qu’il en naisse un bon sang et autres choses semblables.", "III. La troisième opinion, qui est celle de notre Loi et un principe fondamental de notre religion, est absolument semblable à cette opinion philosophique, à l’exception d’un seul point(1)L’opinion que l’auteur va exposer, et qu’il considère comme l’opinion orthodoxe, est loin d’être celle des principaux théologiens juifs, qui croient en général que les hautes facultés que possèdent les prophètes leur viennent de la volonté de Dieu, et non pas d’une certaine nature innée, מצד הבורא ולא מצד עצמם, comme dit Saadia (Livre des croyances et des opinions, liv. III, chap. 4, fin). Aussi l’opinion de Maïmonide, qui attribue aux facultés intellectuelles de l’homme une trop grande part dans la prophétie, et qui ne fait intervenir la volonté divine que comme un obstacle, n’a-t-elle pas manqué de trouver de nombreux contradicteurs. Voy. Joseph Albo, ’Ikkarîm, liv. III, chap. 8; Isaac Arama, ’Akedâ, chap. 35 (édition de Presbourg, in-8°, t. II, fol. 10 b et suiv.), et le post-scriptum d’Abravanel à son commentaire sur ce chapitre, l. c., fol. 22 a.. En effet, nous croyons que celui qui est propre à la prophétie et qui y est préparé peut pourtant ne pas être prophète, ce qui dépend de la volonté divine. Selon moi, il en est de cela comme de tous les miracles, et c’est de la même catégorie(2)Littéralement: et cela est, selon moi, semblable à tous les miracles et courant dans le même ordre. C’est-à-dire: Si l’homme, tout en remplissant les conditions nécessaires pour la prophétie, n’arrive pourtant pas à être prophète, il y a là, comme dans tous les miracles, une véritable interruption des lois de la nature, qui doit être attribuée à la volonté divine.; car la nature veut que tout homme qui, par sa constitution naturelle, est propre (à la prophétie) et qui s’est exercé par son éducation et par son étude, devienne réellement prophète; et, si cela lui est refusé, c’est comme quand on est empêché de mouvoir sa main, à l’exemple de Jéroboam (I Rois, 13, 4), ou qu’on est empêché de voir, comme l’armée du roi de Syrie allant chercher(1)Les deux versions hébraïques ont בעניין אלישע; au lieu de ענד קצדה, les deux traducteurs ont lu ענד קצה̈, leçon qui se trouve en effet dans le ms. de Leyde, n° 18, mais qui est incorrecte. Elisée (II Rois, 6, 18). ", "— Quant à ce (que j’ai dit) que c’est notre principe fondamental qu’il faut être préparé et s’être perfectionné dans les qualités morales et rationnelles, c’est ce qu’ont dit (les docteurs): «La prophétie ne réside que dans l’homme savant, fort et riche(2)Voy. Talmud de Babylone, Schabbath, fol. 92 a, et Nedarim, fol. 38 a, où les éditions portent: אין הקב״ה משרה שכינתו אלא וכו׳. L’auteur prend ici les mots fort et riche dans le sens moral qui leur est donné par Ben-Zôma: le fort est celui qui sait dompter ses passions; le riche, celui qui se contente de ce qu’il possède. Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Aboth, chap. IV, § 1, et l’Introduction de Maïmonide à ce même traité, intitulée Huit Chapitres, chap. VII.». Nous avons déjà exposé cela dans le Commentaire sur la Mischnâ(3)Voy. l’Introduction de Maïmonide à la Ire partie de la Mischnâ, ou Séder Zera’îm (Pococke, Porta Mosis, p. 18 et suiv.). et dans le grand ouvrage(4)C’est-à-dire, dans le Mischné-Tôrâ, ou Abrégé du Talmud, liv. I, traité Yésodé ha-Tôrâ, chap. VII., et nous avons fait connaître que les élèves des prophètes s’occupaient constamment de la préparation. Mais, que celui qui est préparé peut pourtant subir un empêchement et ne pas devenir prophète, c’est ce que tu peux apprendre par l’histoire de Baruch, fils de Neria: car celui-ci s’était fait le suivant de Jérémie, qui l’exerça(5)Le sujet du verbe וראצׄה et des deux verbes suivants est nécessairement Jérémie, et il aurait été plus correct d’écrire פראצׄה; mais la leçon que nous avons adoptée est celle de tous les mss. La version d’Ibn-Tibbon ne rend que deux des trois verbes; les éditions ont והכינו ולמדו, et les mss. ולמדו והכינו. Al-’Harîzi traduit: והרגילו ולמדו והכין נפשו., l’instruisit et le prépara; mais, tout animé qu’il était du désir de devenir prophète, cela lui fut pourtant refusé, comme il le dit: Je me suis lassé dans mes gémissements et je n’ai point trouvé le repos (Jérémie, 45, 3), et il lui fut répondu par l’intermédiaire de Jérémie: Voici ce que tu lui diras: Ainsi dit l’Éternel etc. Toi, tu recherches des grandeurs ! Ne les recherche point (ibid., vers. 4 et 5). A la vérité, on serait libre de dire qu’on a voulu déclarer par là que la prophétie, par rapport à Baruch, était trop de grandeur(1)Selon les commentaires rabbiniques, le mot grandeurs, dans les paroles de Jérémie, désigne la prophétie qu’ambitionnait Baruch et à laquelle il s’était préparé. Il résulterait donc de ce passage que, par la volonté divine, le don de prophétie peut être refusé à ceux-là même qui en sont dignes par leurs qualités naturelles et qui s’y sont dignement préparés. Cependant, ajoute l’auteur, il serait permis de voir dans les paroles de Jérémie la déclaration expresse que Baruch n’était pas suffisamment préparé, et que c’était de sa part une trop grande ambition que de vouloir être prophète, de sorte que le passage de Jérémie ne pourrait pas servir de preuve à la thèse qui vient d’être soutenue. — Les commentateurs s’étonnent que l’auteur réfute ainsi lui-même la seule preuve biblique qu’il a alléguée en faveur de sa thèse, et ils y voient l’aveu implicite qu’il préférait admettre l’opinion des philosophes sans aucune restriction. Mais l’auteur dit expressément que ceux qui voudraient entendre le passage du livre de Jérémie et celui des Lamentations (II, 9) dans ce sens que l’aptitude naturelle et la préparation suffisent seules pour former le prophète, trouveraient beaucoup d’autres passages, tant dans l’Écriture sainte que dans les écrits des docteurs, qui prouveraient que, par la volonté divine, le don de prophétie peut être refusé à celui-là même qui y est parfaitement préparé. Abravanel cite l’exemple des soixante-dix anciens, qui prophétisèrent quand l’esprit reposait sur eux, mais qui ne continuèrent pas (Nombres, 11, 35), ce qui prouve qu’ils cessèrent de prophétiser aussitôt que la volonté divine les en empêchait: de même les prophètes Hosée (XII, 11) et Amos (3, 8) font évidemment dépendre la prophétie de la parole de Dieu ou de sa volonté. Voy. Abravanel, l. c., fol. 20 b.; de même on pourrait dire que dans le passage des Lamentations (II, 9): Même ses prophètes n’ont pas trouvé de vision de la part de l’Éternel, (il faut sous-entendre) parce qu’ils étaient dans l’exil(1)C’est-à-dire, parce que les afflictions de l’exil ne leur laissaient pas le loisir nécessaire pour se préparer; car il faut que le prophète ait l’esprit tranquille et libre de toute préoccupation. Voy. Talmud de Babylone, Schabbath, fol. 30 b: אין השכינה שורה לא מתוך עצבות ולא מתוך עצלות; cf. Maïmonide, Yesodé ha-Tôrâ, chap. VII, § 4, et ci-après, chap. XXXVI (p. 287)., comme nous l’exposerons. Mais nous trouvons de nombreux passages, tant des textes bibliques que des paroles des docteurs, qui tous insistent sur ce principe fondamental, à savoir, que Dieu rend prophète qui il veut et quand il le veut, pourvu que ce soit un homme extrêmement parfait et (vraiment) supérieur; car pour les ignorants d’entre le vulgaire, cela ne nous paraît pas possible, — je veux dire que Dieu rende prophète(2)Le verbe ינבי est évidemment actif ayant pour sujet le mot אללה sous-entendu et pour régime , et c’est à tort que les deux traducteurs hébreux l’ont traduit comme verbe neutre ou passif, l’un par שינׇּבא et הנבא, l’autre par שיתנבא; nous avons donc écrit חמארא et צׄפדעא à l’accusatif, quoique les mss. portent חמאר et צׄפדע, sans א. l’un d’eux, — pas plus qu’il ne serait possible qu’il rendît prophète un âne ou une grenouille. Tel est notre principe, (je veux dire) qu’il est indispensable de s’exercer et de se perfectionner, et que par là seulement naît la possibilité à laquelle se rattache la puissance divine(3)C’est-à-dire: la puissance divine n’accorde le don de prophétie que lorsque cela est devenu possible par une bonne préparation. Tous les mss. ont קדרה̈ אלאלאה, ce qu’Ibn-Tibbon a rendu par גזרת השם ית׳, en prenant קדרה̈ dans le sens de קדר; Al-’Harîzi a: כה האלוהי..", "Ne te laisse pas induire en erreur par ce passage: Avant que je te formasse dans les entrailles (de ta mère), je t’ai connu, et avant que tu sortisses de son sein, je t’ai sanctifié (Jérém., I, 5)(4)L’auteur veut dire qu’il ne faut pas conclure de ce passage que certains hommes soient prédestinés à la prophétie, par la seule volonté de Dieu, et sans qu’il leur faille une préparation intellectuelle ou morale.; car c’est là la condition de tout prophète, (je veux dire) qu’il lui faut une disposition naturelle dès sa constitution primitive, comme on l’exposera. Quant à ces mots: Je suis un jeune homme, NA’AR (ibid., vers. 6)(1)Jérémie dit: Je ne sais pas parler, car je suis un jeune homme, נער; ce dont on pourrait inférer que, bien que jeune homme inexpérimenté, il pouvait être chargé d’une mission prophétique, et qu’il n’avait besoin d’aucune étude préparatoire. Pour répondre à cette objection, l’auteur cite quelques exemples qui prouvent que le mot hébreu NA’AR désigne aussi quelquefois un homme d’un âge mûr. Il désigne en effet le serviteur, n’importe de quel âge, comme le mot grec πϰῖς et le mot latin puer; mais ce sens ne peut s’appliquer au passage de Jérémie, et l’explication de l’auteur est évidemment forcée., tu sais que la langue hébraïque appelle le pieux Joseph NA’AR (jeune homme), bien qu’il fût âgé de trente ans(2)L’auteur paraît faire allusion aux paroles du chef des échansons de Pharaon (Genèse, 41, 12), qui désigne Joseph comme NA’AR, ou jeune homme, quoiqu’il eût alors près de trente ans (cf. ibid., vers. 46)., et qu’on appelle aussi Josué NA’AR, bien qu’il approchât alors de la soixantaine. En effet, on dit (de ce dernier), à l’époque de l’affaire du veau d’or: Et son serviteur Josué, fils de Nun, jeune homme (NA’AR), ne bougeait pas etc. (Exode, 33, 11). Or Moïse, notre maître, avait alors quatre-vingt-un ans(3)Tous les mss. portent: אחד ותׄמאנין; nous avons écrit plus correctement אחדי au féminin, car il faut sous-entendre סנה̈. Plus loin les mss. portent incorrectement ארבעה̈ עשר, pour ארבע עשרה̈; de même מאיה̈ ועשרה̈ pour מאיה̈ ועשר, et סבעה̈ pour סבע., et sa vie entière fut de cent vingt ans; mais Josué, qui vécut encore quatorze ans après lui, arriva à l’âge de cent dix ans. Il est donc clair que Josué avait, à l’époque en question, cinquante-sept ans au moins, et cependant on l’appelle NA’AR.", "Il ne faut pas non plus te laisser induire en erreur par ce qui se trouve dans les promesses (prophétiques), où il est dit: Je répandrai mon esprit sur tous les mortels, de sorte que vos fils et vos filles prophétiseront (Joël, 2, 28); car il (le prophète) a expliqué cela et a fait connaître quelle serait cette prophétie, en disant: Vos vieillards feront des songes, vos jeunes gens auront des visions (ibid.). En effet, quiconque prédit une chose inconnue(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont כל מגיד בעולם; au lieu de בעולם, il faut lire בנעלם comme l’ont les mss. Al-’Harîzi traduit: כל מודיע העתידות., soit au moyen de la magie et de la divination, soit au moyen d’un songe vrai(2)Il nous paraît évident que le mot רויה̈ doit être pris ici dans le sens de , songe, et c’est à tort qu’Ibn-Tibbon a rendu ce mot par מחשבה, pensée. Le songe vrai est ce qu’Aristote appelle εὐθυονειρία. Voy. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 95, note 1., est également appelé prophète; c’est pourquoi les prophètes de Baal et ceux d’Aschérâ sont appelés prophètes. Ne vois-tu pas que Dieu a dit: S’il s’élève au milieu de toi un prophète ou un SONGEUR (Deut. XIII, 1)?", "Quant à la scène du mont Sinaï, bien que tous (les Israélites), par la voie du miracle, vissent le grand feu et entendissent les sons redoutables et effrayants, il ne parvint pourtant au rang de la prophétie que ceux-là seuls qui y étaient propres, et cela à différents degrés. Tu le vois bien par ce passage: Monte vers l’Éternel, toi, Aaron, Nadab, Abihu et soixante-dix d’entre les anciens d’Israël (Exode, 24, 1). Lui (Moïse), il occupe le degré le plus élevé, comme il est dit: Moïse seul s’approcha de Dieu, mais eux, ils ne s’approchèrent point (ibid., vers. 2); Aaron est placé au-dessous de lui, Nadab et Abihu sont au-dessous d’Aaron, les soixante-dix anciens au-dessous de Nadab et d’Abihu, et les autres au-dessous de ces derniers, selon leurs degrés de perfection. Un passage des docteurs dit: «Moïse forme une enceinte à part et Aaron une enceinte à part(3)Le mot מחיצה, qui signifie proprement paroi, mur de séparation, compartiment, est ici employé au figuré pour désigner les différents degrés de perception. Voy. Mekhiltha ou comment. rabb. sur l’Exode, au chap. 19, verset 24 (édit. de Venise, fol. 25, col. 1), et le commentaire de Raschi au même passage de l’Exode; cf. Abravanel, commentaire sur l’Exode, chap. 19, 13e question..»", "Puisque nous avons été amenés à parler de la scène du mont Sinaï, nous appellerons l’attention, dans un chapitre à part, sur les éclaircissements que fournissent, au sujet de cette scène, les textes (bibliques), quand on les examine bien, ainsi que les discours des docteurs." ], [ "Il est clair pour moi que, dans la scène du mont Sinaï, tout ce qui parvint à Moïse ne parvint pas dans sa totalité à tout Israël(1)C’est-à-dire: Le peuple n’entendit pas distinctement, et dans leur totalité, toutes les paroles divines qui parvinrent à l’oreille de Moïse. — Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots גׄמיע et הו כלה n’ont pas été reproduits; cependant le premier de ces mots est rendu dans les mss. et dans les commentaires, qui ont: כל המגיע למשה. Quelques mss. portent קול המגיע, ce qui est une faute. Al-’Harîzi traduit: לא היו כל הדברים המגיעים למשה מגיעים לכל ישראל.. La parole, au contraire, s’adressa à Moïse seul [c’est pourquoi l’allocution, dans le Décalogue, se fait à la deuxième personne du singulier], et lui, descendu au pied de la montagne, fit connaître au peuple ce qu’il avait entendu. Le texte du Pentateuque (dit): Je me tenais entre l’Éternel et vous, en ce temps-là, pour vous rapporter la parole de l’Éternel (Deutér, V, 5), et on dit encore: Moïse parlait et Dieu lui répondait par une voix (Exode, 19, 19); il est dit expressément dans le Mekhilthâ qu’il leur répétait chaque commandement comme il l’avait entendu(2)Voy. Mekhilthâ, sur le verset וידבר אלהים (Exode, 20, 1): מלמד שאמר המקום עשרת הדברות בדבור אחד חזר ופרשן דבור דבור בפני עצמו.. Un autre passage du Pentateuque dit: Afin que le peuple entende quand je parlerai avec toi, etc. (ibid., vers. 9), ce qui prouve que la parole s’adressait à lui; eux ils entendirent la voix forte, mais ils ne distinguèrent pas les paroles(3)Littéralement: non la distinction du discours., et c’est de cette voix forte, entendue (par eux), qu’on a dit: Quand vous entendîtes la voix (Deutér., 5, 20). On a dit encore: Vous entendiez une VOIX de paroles, sans voir aucune figure; rien qu’une VOIX (ibid., IV, 12); mais on n’a pas dit vous entendiez des paroles. Toutes les fois donc qu’il est question de paroles entendues, on ne veut parler que de la voix qu’on entendait; ce fut Moïse qui entendit les paroles et qui les leur rapporta. Voilà ce qui est évident par le texte du Pentateuque et par plusieurs discours des docteurs.", "Cependant, (je dois citer) de ces derniers une assertion rapportée dans plusieurs endroits des Midraschîm et qui se trouve aussi dans le Talmud; c’est celle-ci: «JE SUIS et TU N’AURAS POINT, ils les entendirent de la bouche de la Toute-Puissance(1)C’est-à-dire: les deux premiers commandements, commençant l’un par les mots je suis l’Éternel ton Dieu, et l’autre par les mots tu n’auras point d’autres dieux, tous les Hébreux présents devant le mont Sinaï les entendirent prononcer par Dieu lui-même. Voy. Talmud de Babylone, traité Maccoth, fol. 24 a; Midrasch du cantique, ou Schir ha-Schirim rabba, fol. 3, col. 2. — Selon ce passage donc, les deux premiers commandements feraient une exception au principe que l’auteur vient de poser, puisque tout le peuple entendit directement chaque parole de la voix de Dieu, sans avoir besoin de l’intermédiaire de Moïse..» Ils veulent dire par là que ces paroles leur parvinrent (directement), comme elles parvinrent à Moïse, notre maître, et que ce ne fut pas Moïse qui les leur fit parvenir. En effet, ces deux principes, je veux dire l’existence de Dieu et son unité, on les conçoit par la (simple) spéculation humaine(2)C’est-à-dire: ce sont des principes philosophiques parfaitement démontrables, et pour lesquels on n’a pas besoin d’une révélation prophétique.; et tout ce qui peut être su par une démonstration l’est absolument au même titre par le prophète et par tout autre qui le sait, sans qu’il y ait là une supériorité de l’un sur l’autre. Ces deux principes donc ne sont pas connus seulement par la prophétie, (comme le dit) le texte du Pentateuque: On te l’a fait voir afin que tu reconnusses etc. (Deulér., IV, 35)(3)Voici quel est, selon l’auteur, le sens de ce passage du Deutéronome: on t’a montré la voie pour savoir, c’est-à-dire pour reconnaître, par la seule voie de l’intelligence et de la science, que Dieu existe et qu’il n’y a pas d’autre Dieu en dehors de lui.. Quant aux autres commandements, ils sont de la catégorie des opinions probables et des choses acceptées par tradition, et non de la catégorie des choses intelligibles(1)Les huit autres commandements concernent des choses qui ne sont pas du domaine de l’intelligence, et qui ne sauraient être l’objet d’un syllogisme démonstratif; ils concernent les vertus et les vices, le bien et le mal, qui sont du domaine des opinions probables, ou bien même ce sont des choses purement traditionnelles, comme par exemple le quatrième commandement relatif au sabbat. Sur le sens du mot אלמשהוראת, voy. le t. I, p. 39, note 1..", "Mais, quoi qu’ils aient pu dire à cet égard, ce que comportent(2)Le verbe a ici le sens de , supporter, comporter, admettre, permettre; l’auteur veut dire que c’est l’opinion qui, d’après les textes, est admissible. les textes (bibliques) et les paroles des docteurs, c’est que tous les Israélites n’entendirent dans cette scène qu’un seul son, en une fois(3)C’est-a-dire: un seul son prolongé, sans aucun intervalle. Voy. Mekhilthâ, l. c. (cf. Yalkout, t. I, n° 285): אח כל הדברים מלמד שאמר המקום עשרת הדברות בדבור אחד מה שאי אפשר לבשר ודם לומר כן. Cf. Midrasch Tan’houma, section יתרו (fol. 51, col. 3): אמרו ז״ל שעשרת הדברות כלן בקול אחד יצאו מפי הגבורה וכו׳. Je pense que dans le texte arabe (קול ואחד), il faut considérer קול comme un mot hébreu signifiant voix, son. C’est aussi dans ce sens qu’il a été pris par Ibn-Tibbon, qui a: קול אחד, tandis qu’Al-’Harîzi traduit: דבור אחד. Immédiatement après, les mots והו אלקול sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par והוא המאמר, et dans celle d’Al-’Harîzi par והוא הדבור. Cependant dans le commentaire d’Ephodi, on lit וזהו הקול.; et c’est le son par lequel Moïse et tout Israël entendirent (les deux commandements) JE SUIS et TU N’AURAS POINT, que Moïse leur fit entendre (de nouveau) dans son propre langage, en prononçant distinctement des lettres intelligibles(4)L’auteur juge donc admissible l’opinion de certains docteurs, qui disent que tous les Israélites entendirent proclamer les deux premiers commandements par la voix divine elle-même. Mais, selon le principe qu’il a posé au commencement du chapitre, il pense que Moïse seul les entendit distinctement, tandis que pour le peuple ce n’était qu’un son de voix confus; ce qui signifie que, même ces choses purement intelligibles et parfaitement démontrables, Moïse en avait une intelligence plus claire et plus profonde que tous les autres Israélites. Si l’on explique dans ce sens ce qui a été dit pour les deux premiers commandements, il faut supposer qu’en ce qui concerne les huit autres commandements, le peuple n’entendit même plus le son confus qu’il avait entendu d’abord, et que ces commandements lui furent simplement rapportés par Moïse, au nom de Dieu, comme tous les autres commandements de la loi divine. Mais, soit que l’on admette que le peuple ait entendu directement de la voix divine tout le Décalogue, soit qu’il n’ait entendu que les deux premiers commandements, ce que l’auteur veut établir avant tout, c’est que le peuple n’entendit cette voix divine que confusément et que les paroles ne frappèrent pas distinctement son oreille.. Les docteurs se sont prononcés dans ce sens, en s’appuyant de ces mots(1)Littéralement: Les docteurs ont mentionné cela, en l’appuyant, etc. L’auteur veut parler de ce son de voix prolongé et confus que les Israélites entendirent pendant la proclamation, soit de tout le Décalogue, soit des deux premiers commandements seulement. Voy. Mekhîltha, l. c., Yalkout, t. I, n° 285, et t. II, n° 783: שלא כמדת הקדוש ברוך הוא מדת בשר ודם בשר ודם אינו משמיע ב׳ דברים כאחד אבל מי שאמר והיה העולם אמר עשרת הדברות בדבור אחד שנאמר אחת דבר אלהים וידבר אלהים את כל הדברים האלה לאמר.: UNE FOIS Dieu a parlé, deux fois j’ai entendu cela (Ps. 62, 12), et ils ont clairement dit, au commencement du Midrasch ’Hazîtha, qu’ils n’entendirent pas d’autre voix émanée (directement) de Dieu(2)Ici, les deux traducteurs hébreux ont considéré קול comme un mot arabe et l’ont rendu, l’un par מאמר, l’autre par דבור; mais il résulte de l’ensemble qu’il est toujours question de la voix divine entendue par tous les Israélites, et qui leur inspira tant de terreur. Après la proclamation des commandements, dit l’auteur, ils n’entendirent plus cette voix divine, mais seulement la voix du tonnerre. Dans le passage du Midrasch que l’auteur invoque (Schîr ha-Schirim rabbâ, l. c.), il est dit que, selon R. Josué, fils de Lévi, les Israélites n’entendirent proclamer, par la bouche de Dieu, que les deux premiers commandements, mais que, selon les autres docteurs, ils entendirent tout le Décalogue; tous s’accordent donc à dire que par les voix dont il est question avant et après le Décalogue, il ne faut pas entendre la voix divine, mais le retentissement des cors et du tonnerre. — Par מדרש חזית, on désigne le Midrasch du Cantique des Cantiques, qui commence par la citation du verset חזית איש מהיר במלאכתו (Prov. 22, 29)., ce qu’indique aussi le texte du Pentateuque: … avec une grande voix, qui ne continua point (Deutér., 5, 19). Ce fut après avoir entendu cette première voix, qu’arriva ce qu’on raconte de la terreur qu’ils éprouvaient et de leur peur violente, et (qu’ils prononcèrent) les paroles qu’on rapporte: Et vous dites: voici, l’Éternel, notre Dieu, nous a fait voir etc. Et maintenant pourquoi mourrions-nous etc.? Approche toi et écoute etc. (ibid., vers. 21-24). Il s’avança donc, lui, le plus illustre des mortels, une seconde fois, reçut le reste des commandements un à un(1)L’auteur parle encore ici dans le sens de ceux qui disent que les Israélites n’entendirent eux-mêmes directement que les deux premiers commandements, opinion que l’auteur a jugée admissible et qu’en définitive il paraît adopter. Voy. ci-dessus, p. 270, note 4., descendit au pied de la montagne, et les leur fit entendre au milieu de ce spectacle grandiose. Ils voyaient les feux et entendaient les voix, je veux dire ces voix(2)Les mots אעני תלך אלאצואת n’ont pas été rendus dans les versions d’Ibn-Tibbon et d’Al-’Harîzi, et ne se trouvent pas non plus dans le ms. de Leyde, n° 18. qui sont (désignées par les mots) des voix et des éclairs (Exode, 19, 16), comme le tonnerre et le fort retentissement du cor; et partout où l’on parle (dans cette occasion) de plusieurs voix qu’on entendait, comme par exemple: Et tout le peuple apercevait(3)Littéralement: voyait. Cf. le t. I, chap. XLVI, p. 161. les voix (ibid., XX, 15), il ne s’agit que du retentissement du cor, du tonnerre, etc. Mais la voix de l’Éternel, je veux dire la voix créée(4)Voyez le t. I, chap. LXV, p. 290, et ibid., note 2., par laquelle fut communiquée la parole (de Dieu), ils ne l’entendirent qu’une seule fois, comme le dit textuellement le Pentateuque et comme l’ont exposé les docteurs à l’endroit que je t’ai fait remarquer. C’est cette voix (dont on a dit) que «leur âme s’échappa en l’entendant(1)Par les mots hébreux יצאה נשמתן בשמעו, l’auteur fait allusion à un passage du Midrasch du Cantique des Cantiques, chap. V, verset 6 (fol. 19, col. 4): נפשי יצאה בדברו מקול דבורו הראשון שאמר אנכי ה׳ אלהיך. Cf. Yalkout, au même verset du Cantique (t. II, n° 988, fol. 179, col. 4): בדבור ראשון יצאה נשמתן של ישראל.,» et au moyen de laquelle furent perçus les deux premiers commandements.", "Il faut savoir cependant que, pour cette voix même, leur degré (de perception) n’était point égal à celui de Moïse, notre maître. Je dois appeler ton attention sur ce mystère et te faire savoir que c’est là une chose traditionnellement admise par notre nation et connue par ses savants. En effet, tous les passages où tu trouves (les mots): Et l’Éternel parla à Moïse en disant, Onkelos les traduit (littéralement) par ומלל י״י, Et l’Éternel parla etc. Et de même (il traduit les mots): Et l’Éternel prononça toutes ces paroles ( Exode, 20, 1) par ומלל י״י יה כל פתגמיא. Mais, ces paroles des Israélites (adressées) à Moïse: Et que Dieu ne parle pas avec nous (ibid., vers. 16), il les traduit par ולא יתמלל עמנא מן קדם י״י, et qu’il ne soit pas parlé avec nous de la part de Dieu. Il t’a donc révélé par là la distinction que nous avons établie(2)Littéralement: L’ensemble que nous avons séparé. L’auteur veut dire qu’Onkelos, par sa manière de traduire, a fait ressortir la distinction qu’il faut établir dans cette perception, commune à Moïse et aux autres Israélites, en indiquant que Moïse perçut la parole divine distinctement et directement par son intelligence qui la lui retraçait avec clarté, tandis que pour les autres Israélites elle était en quelque sorte voilée; car ceux-ci ne la perçurent que confusément, et elle ne put pas frapper si vivement leur intelligence, qui était troublée par les sens. — Selon R. Moïse ben-Na’hman (Commentaire sur le Pentateuque, Exode, 20, 16), l’observation de Maïmonide au sujet d’Onkelos serait peu fondée; il cite à ce sujet plusieurs passages de la version d’Onkelos, où la communication de la parole divine aux Israélites est exprimée par les mots מלל י״י (Voy. Exode, 20, 19; Deutéronome, V, 4, 19 et 21), et un autre passage où la communication faite à Moïse lui-même est exprimée par la périphrase מן קדם י״י (Voy. Exode, 19, 19). — Abravanel, pour justifier Maïmonide, fait observer que, dans les quatre premiers passages, le texte hébreu lui-même indique suffisamment que la parole se communiquait par un intermédiaire désigné par les mots ciel (מן השמים) et feu (מתוך האש), et que, par conséquent, Onkelos n’était pas obligé d’employer une périphrase; quant au dernier passage, on y parle de la voix divine entendue à la fois par Moïse et par le peuple hébreu, et c’est pour cela qu’Onkelos a cru devoir se servir ici de la périphrase מן קדם י״י. Voy. le Commentaire d’Abravanel sur notre chapitre, fol. 26 b et 27 a.. Tu sais que ces choses remarquables et importantes, Onkelos, comme on l’a dit expressément, les apprit de la bouche de R. Eliézer et de R. Josué(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Meghîllâ, fol. 3 a., qui sont les docteurs d’Israël par excellence(2)La version d’Ibn-Tibbon porte החכמים שבישראל, les plus sages dans Israël. Le mot החכמים doit être considéré comme un superlatif, par lequel le traducteur a voulu rendre le mot arabe באטלאק, par excellence ou dans le sens absolu. Al-’Harîzi traduit: אשר הס חכמי ישראל במלה מוחלטת..", "Il faut savoir tout cela et te le rappeler; car il est impossible de pénétrer dans la scène du mont Sinaï plus profondément qu’on ne l’a fait(3)Plus littéralement: dans une mesure plus grande que ce qu’ils (les docteurs) en ont dit., (cette scène) étant du nombre des secrets de la loi. La vraie nature de cette perception et les circonstances qui l’accompagnaient sont pour nous une chose très obscure(4)Littéralement: la vérité de cette perception et quel en était l’état, c’est ce qui est très occulte pour nous. Le mot כׄפי doit être considéré comme un adjectif neutre: quelque chose d’occulte.; car il n’y en a jamais eu de semblable auparavant, et il n’y en aura pas dans l’avenir. Sache-le bien." ], [ "Quant à ce passage qu’on rencontre dans le Pentateuque, et qui dit: Voici, j’envoie un ange devant toi etc. (Exode, 23, 20), le sens de ce passage a été expliqué dans le Deutéronome (XXIII, 18), où on lit que Dieu dit à Moïse, dans la scène du mont Sinaï: Je leur susciterai un prophète etc.(1)L’auteur veut dire, non pas que le messager, ou l’ange, dont il est question dans le passage de l’Exode, est lui-même le prophète dont parle le Deutéronome, mais qu’il désigne l’intellect actif qui inspire le prophète. Il résulte évidemment de ce que l’auteur a dit plus haut (ch. VII, p. 76), que, dans le passage de l’Exode, il faut entendre par ange celle des intelligences séparées, ou des forces supérieures, par laquelle Dieu communique avec le prophète.. Ce qui le prouve(2)C’est-à-dire: ce qui prouve qu’il s’agit ici de la puissance supérieure qui est en rapport avec le prophète, et non pas d’un ange qui aurait marché à la tête du peuple et qui se serait révélé à lui., c’est qu’on dit (en parlant) de cet ange: Prends garde à lui et écoute sa voix etc. (Exode, 23, 21), ordre qui s’adresse indubitablement à la foule; mais l’ange ne se manifestait pas à la foule, à laquelle il ne communiquait (directement) ni ordre, ni défense, pour qu’elle dût être avertie de ne pas se montrer rebelle à lui. Le sens de ces paroles ne peut donc être que celui-ci: que Dieu leur fit savoir qu’il y aurait parmi eux un prophète, auquel viendrait un ange, qui lui parlerait, et qui lui communiquerait des ordres et des défenses; Dieu nous ordonne donc de ne pas être rebelles à cet ange dont le prophète nous ferait parvenir la parole, comme on a dit clairement dans le Deutéronome (XVIII, 15): Vous lui obéirez, et encore: Et quiconque n’obéira pas à mes paroles qu’il aura dites EN MON NOM etc. (ibid., v. 19), ce qui explique les mots parce que MON NOM est en lui (Exode, 23, 21)(3)Cf. la Ire partie de cet ouvrage, chap. LXIV (t. I, p. 286)..", "Tout cela (leur fut dit) seulement pour leur donner l’avertissement suivant(4)Littéralement, pour leur faire savoir que etc. La conjonction , que, sert ici à introduire le discours direct. Cf. le t. I, p. 283, note 4. Au lieu de אעלאמא , les mss. ont אעלאם; cet infinitif, il me semble, doit être pris adverbialement et être mis à l’accusatif.: Ce spectacle grandiose que vous avez vu, c’est-à-dire la scène(5)Dans la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire מעמד au lieu de במעמד. du mont Sinaï, n’est pas une chose qui doive se continuer pour vous; il n’y en aura pas de semblable dans l’avenir, et il n’y aura pas non plus toujours de feu ni de nuée, comme il y en a maintenant continuellement sur le tabernacle(1)Voy. Exode, chap. 40, verset 38; Nombres, chap. 9, versets 15 et 16.. Mais un ange que j’enverrai à vos prophètes vous conquerra les pays, déploiera(2)Le verbe signifie étendre, déployer, préparer. Le sens est: il vous rendra accessible la terre que vous devez conquérir. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont וישקיט, il apaisera; dans quelques mss. on lit ויזמן, il préparera. Al-’Harîzi a: ויושיבכם על הארץ. la terre devant vous, et vous fera connaître ce que vous devez faire(3)Ces mots se rapportent encore à ce qu’il y aurait à faire pour la prise en possession du pays conquis, tandis que les mots suivants se rapportent en général aux règles de conduite qu’ils devaient observer dans la suite. La conjonction , dans פיעלמכם, indique que ce verbe désigne une action nouvelle, suite ou conséquence de la précédente. Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots וילמדכם מה שצריך לעשותו peuvent paraître une répétition inutile de ויודיעכם מה שתעשוהו.; c’est lui qui vous fera savoir ce qu’il faut aborder et ce qu’il faut éviter. ", "— Par là aussi a été donné le principe que je n’ai cessé d’exposer(4)C’est-à-dire: par l’explication du passage Voici, j’envoie un ange devant toi, appliqué aux prophètes qui viendraient après Moïse, on a fait connaître le principe que l’auteur a exposé ailleurs et dont traite le chapitre suivant, à savoir, que les autres prophètes, avant et après Moïse, reçurent l’inspiration divine par un ange, c’est-à-dire par quelque chose d’intermédiaire, comme l’intellect actif, ou seulement l’imagination. Le verbe אעטי doit être considéré, je crois, comme prétérit passif ; comme il précède le sujet אלואעדה̈, il a pu être mis au masculin, quoique ce sujet soit du féminin; de même, selon la version d’Ibn-Tibbon, le verbe נתן doit être prononcé נתּן, ce qui est indiqué dans quelques mss. par l’écriture pleine: ניתן. Dans plusieurs de nos mss. arabes on lit אעטא, ce qui doit être considéré comme un nom d’action , de sorte qu’il faudrait traduire en hébreu: ובזה גם כן נתינת היסוד. Le mot איצׄא, aussi, ne se trouve pas dans tous les mss. et n’a pas été rendu dans les deux versets hébreux., à savoir, qu’à tout prophète autre que Moïse, notre maître, la révélation arrivait par l’intermédiaire d’un ange. Sache bien cela." ], [ "J’ai déjà exposé à tout le monde(1)C’est-à-dire, dans un langage populaire, accessible à tout le monde, comme l’est celui des ouvrages talmudiques de notre auteur., dans le Commentaire sur la Mischnâ et dans le Mischné Tôrâ, les quatre différences par lesquelles la prophétie de Moïse, notre maître, se distinguait de celle des autres prophètes; et j’en ai donné les preuves et montré l’évidence(2)Voy. le Comment. sur la Mischnâ, Introduction au Xe (XIe) chap. du traité Synhédrîn, septième article de foi (Pococke, Porta Mosis, p. 169-173); Mischné Tôrâ ou Abrégé du Talmud, traité Yesôdé ha-Tôrâ, chap. VII, § 6. L’auteur y signale les différences suivantes: 1° Dieu ne parlait à tous les prophètes en général que par un intermédiaire, tandis qu’il parlait à Moïse sans intermédiaire. 2° Tous les prophètes n’avaient leurs révélations divines que dans des songes ou des visions nocturnes, ou dans un état d’assoupissement, dans lequel les sens cessaient de fonctionner; mais Moïse avait ses inspirations dans l’état de veille et en pleine possession de toutes ses facultés. 3° Tous les prophètes éprouvaient, pendant leur vision, un tremblement convulsif et un trouble extrême; Moïse était toujours dans un calme parfait. 4° Tous les prophètes, quoique parfaitement préparés pour l’inspiration divine, n’étaient inspirés qu’à certaines époques, par une grâce particulière de la volonté divine; Moïse avait le privilége de pouvoir spontanément et à toute heure appeler l’inspiration divine.. Il n’est donc pas besoin de répéter cela, et c’est aussi en dehors du but de ce traité.", "Je dois te faire savoir que tout ce que je dis sur la prophétie, dans les chapitres de ce traité, ne se rapporte qu’à la qualité prophétique de tous les prophètes qui furent avant Moïse et de ceux qui devaient venir après lui; mais, pour ce qui est de la prophétie de Moïse, notre maître, je ne l’aborderai pas, dans ces chapitres, même par un seul mot, ni expressément, ni par allusion. En effet, selon moi, ce n’est que par amphibologie(1)A un point de vue, on peut considérer le nom de prophète comme un nom commun, convenant à Moïse comme à tous les autres prophètes; mais, à un autre point de vue, on peut le considérer comme nom homonyme, puisqu’il y a une différence essentielle et bien tranchée entre Moïse et les autres prophètes. C’est donc ce qu’on appelle un nom ambigu ou amphibologique. Voy. le t. I de cet ouvrage, p. 6, note 3, et p. 229., que le nom de prophète s’applique à la fois à Moïse et aux autres; et il en est de même, selon moi, de ses miracles et de ceux des autres, car ses miracles ne sont pas de la même catégorie que ceux des autres prophètes. ", "La preuve tirée de la loi, (pour établir) que sa prophétie était distincte de celle de tous ses prédécesseurs, est dans ces mots: J’apparus à Abraham, etc., mais je ne me suis pas fait connaître à eux par mon nom d’ÉTERNEL (Exode, 6, 3); car on nous a fait savoir par là que sa perception n’était point semblable à celle des patriarches, mais plus grande, ni, à plus forte raison, (semblable) à celles des autres (prophètes) antérieurs(2)Comme par exemple, Noé, Sem et Eber.. Mais, que sa prophétie était distincte aussi de celle de tous ses successeurs, c’est ce qui a été dit, sous forme de simple énoncé(3)L’auteur veut dire que, dans le passage qu’il va citer, la chose est simplement énoncée comme un fait, et non pas exposée sous forme de théorie.: Et il ne s’est plus levé, dans Israël, de prophète comme Moïse, que Dieu ait connu face à face (Deut., XXXIV, 10): on a donc dit clairement que sa perception était distincte de la perception de tous ceux qui devaient lui succéder parmi les Israélites, — lesquels (pourtant) furent un royaume de prêtres et un peuple saint (Exode, 19, 6), et au milieu desquels était l’Éternel (Nombres, 16, 3), — et, à plus forte raison, parmi les autres nations(4)C’est-à-dire: et à plus forte raison la perception de Moïse devaitelle essentiellement différer de la perception de ceux qui, parmi les nations païennes, passaient pour prophètes, comme par exemple Bileam.. ", "Ce qui distingue généralement ses miracles de ceux de tout autre prophète en général, c’est que tous les miracles que faisaient les prophètes, ou qui étaient faits en leur faveur, n’étaient connus que de quelques personnes, comme par exemple les miracles d’Élie et d’Élisée; ne vois-tu pas que le roi d’Israël s’en informe(1)La version d’Ibn-Tibbon porte: תמה מהם, ou, selon quelques mss., יתמה מהם, s’en étonnait; cette traduction est inexacte, comme l’a déjà fait observer Ibn-Falaquéra. Voy. Append. du Moré ha-Moré, p. 155: יםתפהם ענהא העתיק יתמה מהם והעתקתו יבקש ידיעתם והחריזי העתיק ישאל בעדם., et demande à Guéhazi de les lui faire connaître, comme il est dit: Raconte-moi donc toutes les grandes choses qu’Élisée a faites; et il raconta etc. Et Guéhazi dit: Mon Seigneur, le Roi, voici cette femme et voici son fils qu’Élisée a rappelé à la vie (II Rois, 8, 4 et 5). Il en est ainsi des miracles de tout prophète, à l’exception de Moïse, notre maître; c’est pourquoi l’Écriture déclare au sujet de ce dernier, également sous forme d’énoncé(2)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il manque les mots על צד ההגדה, qui se trouvent dans quelques mss., qu’il ne s’élèvera jamais de prophète qui fera des miracles publiquement, devant l’ami et l’adversaire(3)La version d’Ibn-Tibbon porte: האוהב והשונא הנאות לו והחולק עליו; c’est une double traduction des mots arabes אלמואלף לה ואלמכׄאלף עליה., comme a fait Moïse. C’est là ce qui est dit: Et il ne s’est plus levé de prophète etc., à l’égard de tous les signes et miracles etc., aux yeux de tout Israël (Deut., XXXIV, 10-12); on a donc ici lié ensemble et réuni à la fois(4)Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi n’ont rendu que l’un des deux verbes synonymes: בי קשר הנה שני עניינים יחד. les deux choses: qu’il ne se lèvera plus (de prophète) qui aura la même perception que lui, ni qui fera ce qu’il a fait. Ensuite on déclare que ces miracles furent faits devant Pharaon, tous ses serviteurs et tout son pays, ses adversaires, comme aussi en présence de tous les Israélites, ses partisans: aux yeux de tout Israël; c’est là une chose qui n’avait eu lieu chez aucun prophète avant lui(1)Le ms. de Leyde, n° 18, porte בעדה, après lui; de même Al-’Harîzi, אחריו., et sa prédiction véridique a annoncé d’avance que cela n’aurait lieu chez aucun autre.", "Ne te laisse pas induire en erreur par ce qu’on a dit au sujet de la lumière du soleil, qui s’arrêta pour Josué pendant des heures: Et il dit en présence d’Israël (Jos., X, 12); car on n’a pas dit de TOUT Israël, comme on l’a fait au sujet de Moïse. De même Élie, sur le mont Carmel, n’agit que devant un petit nombre d’hommes(2)Voy. I Rois, chap. 18, versets 19-39.. Si je dis pendant des heures, c’est qu’il me semble que les mots כיום תמים (environ un jour entier, Josué, 10, 13) signifient comme le plus long jour qui soit; car תמים signifie complet. C’est donc comme si on avait dit que cette journée de Gabaon fut pour eux comme le plus long des jours d’été dans ces contrées(3)L’auteur n’exprime pas clairement toute sa pensée. Selon les commentateurs, il indique par les mots ענדהם, pour eux, et הנאך, (c’est-à-dire, dans ces contrées), que le miracle était purement local et qu’il ne faut point penser à un véritable ralentissement dans le mouvement de la sphère du soleil; car un tel miracle aurait causé une catastrophe universelle. En effet, comme l’auteur le dit expressément ailleurs (Ire partie, chap. LXXII, p. 362): «De même que, lorsque le cœur s’arrête un seul instant, l’individu meurt, et ses mouvements et ses facultés cessent, de même, si les sphères célestes s’arrêtaient, ce serait la mort de l’univers entier et l’anéantissement de tout ce qui s’y trouve.» — Maïmonide paraît donc insinuer ici que, lors du combat de Gabaon, le jour avait paru aux Israélites se prolonger au delà de ses limites ordinaires, à cause des grandes choses qui s’étaient accomplies; ou bien que, par un miracle, Dieu avait fait paraître une lumière indépendante de celle du soleil, de sorte qu’on aurait dit que le soleil lui-même s’était arrêté..", "Après que tu m’auras mis à part, dans ton esprit, la prophétie de Moïse et ses miracles, — car il s’agit là d’une perception et d’actes également extraordinaires(1)Littéralement: car la singularité de cette perception est comme la singularité de ces actes., — et que tu seras convaincu que c’est là un degré que nous sommes incapables de comprendre dans toute sa réalité, tu entendras ce que je dirai, dans tous ces chapitres (suivants), sur la prophétie et sur les différents degrés qu’y occupent les prophètes, abstraction faite de ce premier degré (de Moïse)(2)Littéralement: tout cela après ce degré (dont il a été parlé).. Voilà ce que j’avais à dire dans ce chapitre." ], [ "Sache que la prophétie, en réalité(3)Littéralement: la réalité de la prophétie et sa quiddité., est une émanation de Dieu, qui se répand, par l’intermédiaire de l’intellect actif, sur la faculté rationnelle d’abord, et ensuite sur la faculté imaginative; c’est le plus haut degré de l’homme et le terme de la perfection à laquelle son espèce peut atteindre, et cet état est la plus haute perfection de la faculté imaginative. C’est une chose qui ne saurait nullement exister dans tout homme, et ce n’est pas une chose à laquelle on puisse arriver en se perfectionnant dans les sciences spéculatives et par l’amélioration des mœurs, dussentelles toutes être les meilleures et les plus belles, sans qu’il s’y joigne la plus grande perfection possible de la faculté de l’imagination dans sa formation primitive. Tu sais que la perfection de ces facultés corporelles, du nombre desquelles est la faculté imaginative, dépend de la meilleure complexion possible de tel organe portant telle faculté, de sa plus belle proportion et de la plus grande pureté de sa matière(4)Ibn-Tibbon rend ici le mot מאדה̈, matière, par ליחה, humeur; il en fait de même dans plusieurs autres passages. Voy., par exemple, le chap. LXXII de la Ire partie, texte arabe, fol. 102 a, et trad. franç., p. 368.; c’est là une chose dont il n’est nullement possible de réparer la perte(1)Ibn-Tibbon n’a pas rendu les mots יגׄבר פאיתה או; la version d’Al-’Harîzi porte: וזה הדבר לא יתכן להשיג מה שאבד ממנו או למלאות חםרונו., ou de suppléer la défectuosité, au moyen du régime. Car l’organe dont la complexion a été mauvaise dès le principe de sa formation, le régime réparateur peut tout au plus le conserver dans un certain degré de santé, sans pouvoir le ramener à la meilleure constitution possible; mais, si son infirmité provient de sa disproportion(2)Littéralement: de sa mesure, c’est-à-dire de son volume trop grand ou trop petit., de sa position, ou de sa substance, je veux dire de la matière même dont il a été formé, alors il n’y a pas moyen d’y remédier(3)Littéralement: il n’y a pour cela aucun artifice.. Tu sais bien tout cela; il serait donc inutile d’entrer à ce sujet dans de longues explications.", "Tu connais aussi les actions de cette faculté imaginative, consistant à garder le souvenir des choses sensibles, à les combiner(4)Cf. Ibn-Sînâ, dans le résumé de Schahrestàni, p. 416 (trad. all., t. II, p. 314), où il est dit de la faculté imaginative, qu’elle garde le souvenir de ce que le sens commun a reçu des (cinq) sens, et qu’elle le conserve quand les choses sensibles ont disparu ., et, ce qui est (particulièrement) dans sa nature, à retracer (les images); son activité(5)Le texte porte: et que son activité etc.; la conjonction ואן, et que, se rattache au verbe עלמת (tu connais, tu sais) qui se trouve au commencement de la phrase. la plus grande et la plus noble n’a lieu que lorsque les sens reposent et cessent de fonctionner, et c’est alors qu’il lui survient une certaine inspiration, (qui est) en raison de sa disposition, et qui est la cause des songes vrais(6)Voy. ci-dessus, p. 267, note 2. et aussi celle de la prophétie. Elle ne diffère que par le plus et le moins, et non par l’espèce(7)C’est-à-dire: l’inspiration en question est de la même espèce dans les songes et dans la prophétie, et elle ne diffère que par le plus ou moins d’intensité, étant beaucoup plus forte dans la prophétie que dans les songes. — Le verbe יכׄתלף, qui est au singulier masculin, se rapporte à פיץׄ, inspiration, et c’est à tort qu’Ibn-Tibbon l’a rendu par le pluriel יתחלפו.. Tu sais qu’ils (les docteurs) ont dit à différentes reprises: «le songe est un soixantième de la prophétie(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 57 b.»; mais on ne saurait établir une proportion entre deux choses spécifiquement différentes, et il ne serait pas permis de dire par exemple: la perfection de l’homme est autant de fois le double de la perfection du cheval. Ils ont répété cette idée dans le Beréschîth rabbâ, en disant: «Le fruit abortif de la prophétie est le songe(2)Voy. Beréschîth rabbâ, sect.17 (f.14, col.4), et sect.44 (f.39, col.3).». C’est là une comparaison remarquable: en effet le fruit abortif (נובלת) est identiquement le fruit lui-même, si ce n’est qu’il est tombé avant sa parfaite maturité(3)Littéralement: avant sa perfection et avant d’avoir mûri.; de même, l’action de la faculté imaginative pendant le sommeil est la même que dans l’état de prophétie, si ce n’est qu’elle est encore insuffisante et qu’elle n’est pas arrivée à son terme. — Mais pourquoi t’instruirions-nous par les paroles des docteurs et laisserions-nous de côté les textes du Pentateuque? (Comme par exemple:) Si c’est un prophète d’entre vous, moi, l’Éternel, je me fais connaître à lui dans une vision, je lui parle dans un songe (Nombres, 12, 6). Ici Dieu nous a fait connaître le véritable être de la prophétie, et nous a fait savoir que c’est une perfection qui arrive dans un songe ou dans une vision. Le mot vision (מראה) est dérivé de voir (ראה); car il arrive à la faculté imaginative d’agir si parfaitement, qu’elle voit la chose comme si elle existait au dehors et que la chose qui n’a son origine que dans elle(4)Les mss. ont, les uns אבתדאה, les autres אבתדא ou אבתדי. Ibn-Tibbon traduit: אשר יראהו (la chose qu’elle voit); il a donc lu, dans sa copie arabe, אלדׄי תראה, avec l’omission du mot מנהא, leçon qu’on trouve dans le ms. de Leyde, n° 18. Dans le ms. unique de la version d’Al-’Harîzi, ce passage manque. Nous adoptons la leçon אבתדאה, que nous considérons comme un nom d’action avec suffixe, en prononçant (son commencement ou son origine). lui semble être venue par la voie de la sensation extérieure. Dans ces deux parties, je veux dire dans la vision et dans le songe, sont renfermés tous les degrés de la prophétie. On sait que la chose dont l’homme, dans l’état de veille et en se servant de ses sens, est très occupé, à laquelle il s’applique et qui est l’objet de son désir, (que cette chose, dis-je) est aussi celle dont s’occupe la faculté imaginative pendant le sommeil, lorsque l’intellect (actif) s’épanche sur elle, selon qu’elle y est préparée. Il serait superflu de citer des exemples pour cela et d’en dire davantage; car c’est une chose claire que chacun connaît, et il en est comme de la perception des sens, contre laquelle aucun des hommes de bon sens n’élève d’objection.", "Après ces préliminaires, il faut savoir qu’il s’agit ici d’un individu humai(1)Littéralement: que, s’il y avait un individu humain etc. Nous nous sommes vu obligé de modifier légèrement, dans notre traduction, les premiers mots de cette phrase, qui commence une longue période hypothétique énumérant toutes les qualités physiques et morales requises pour l’inspiration prophétique, et dont le complément grammatical ne commence qu’aux mots: פאלשכׄץ אלדׄי הדׄה צפתה (fol. 79 b, ligne 10). S’il y avait un individu humain, dit l’auteur, qui possédât toutes les qualités qui vont être énumérées, cet individu, entraîné par l’action de sa faculté imaginative parfaite et appelant par sa perfection spéculative l’inspiration de l’intellect actif, percevrait indubitablement des choses divines, extraordinaires, etc. (ci-après, p. 286). — Il était d’autant plus nécessaire, pour la clarté, de couper cette période, que l’auteur lui-même en a perdu le fil et s’est interrompu par une petite digression sur un passage de l’Éthique d’Aristote., dont la substance cérébrale, dans sa formation primitive, serait extrêmement bien proportionnée, par la pureté de sa matière et de la complexion particulière à chacune de ses parties, par sa quantité et par sa position, et ne subirait point de dérangements de complexion de la part d’un autre organe. Ensuite, (il faudrait) que cet individu eût acquis la science et la sagesse, de manière à passer de la puissance à l’acte(2)C’est-à-dire, de manière que toutes les facultés qu’il possède en puissance pussent se développer et passer à la réalité ou à l’acte.; qu’il possédât une intelligence humaine toute parfaite et des mœurs humaines pures et égales(1)Il faut se rappeler que, selon Aristote, la vertu consiste à éviter les extrêmes et à savoir tenir dans nos penchants un juste milieu raisonnable, également éloigné du trop et du trop peu. Voy. Éthique à Nicomaque, liv. II, chap. 5 et 6.; que tous ses désirs se portassent sur la science des mystères de cet univers et sur la connaissance de leurs causes; que sa pensée se portât toujours sur les choses nobles; qu’il ne se préoccupât que de la connaissance de Dieu, de la contemplation de ses œuvres et de ce qu’il faut croire à cet égard; et enfin, que sa pensée et son désir fussent dégagés des choses animale(2)Mot à mot: que sa pensée fût oisive et son désir inoccupé à l’égard des choses animales., telles que la recherche des jouissances que procurent le manger, le boire, la cohabitation, et, en général, le sens du toucher, sens dont Aristote a expressément dit, dans l’Éthique, qu’il est une honte pour nous(3)Voy. Éthique à Nicomaque, liv. III, chap. 13, où Aristote dit, en parlant du sens du toucher: Καὶ δόξειεν ἂν διϰαίως ἐπονείδιστος εἶναι, ὅτι οὐχ ᾗ ἄνθρωποί ἐσαεν ὑπάρχει, ἀλλ’ ᾗ ζῷα.. — [Et que c’est bien ce qu’il a dit! et combien il est vrai qu’il (ce sens) est une honte pour nous! car nous ne le possédons qu’en tant que nous sommes des animaux, comme les autres bêtes brutes, et il ne renferme rien qui s’applique à l’idée de l’humanité. Quant aux autres jouissances sensuelles, telles que celles de l’odorat, de l’ouïe et de la vue, bien qu’elles soient corporelles, il s’y trouve parfois un plaisir pour l’homme en tant qu’homme, comme l’a exposé Aristote. Nous avons été entraîné ici à parler de ce qui n’est pas dans notre but (actuel), mais cela était nécessaire; car trop souvent les pensées des savants distingués se préoccupent des plaisirs du sens en question et les désirent, et néanmoins ils s’étonnent de ne pas être prophètes(4)Les mss. ont généralement la forme vulgaire יתנבוא, quelques-uns יתנבון; nous avons écrit plus correctement ., puisque, (disent-ils) la prophétie est quelque chose qui est dans la nature (de l’homme).] — Il faudrait aussi que la pensée et le désir de cet individu fussent dégagés des ambitions vaines(1)Littéralement: non vraies, ou non réelles; c’est-à-dire, des ambitions qui se portent sur des choses vaines, dénuées de toute véritable valeur., je veux parler du désir de dominer ou d’être exalté par les gens du peuple et de se concilier leurs hommages et leur obéissance sans aucun autre but(2)Littéralement: uniquement pour cela, c’est-à-dire pour le seul plaisir de recevoir des hommages et d’être respecté et obéi. Selon Abravanel (l. c., fol. 38 a), l’auteur ferait allusion aux vues ambitieuses du prophète Mohammed. [car on doit plutôt considérer tous les hommes selon leurs positions(3)Nous considérons cette phrase comme une parenthèse, par laquelle l’auteur s’explique plus clairement sur ce qu’il a voulu indiquer par les mots uniquement pour cela; il dit donc que le véritable sage, loin de chercher une puérile satisfaction dans les vains hommages de la foule, ne doit faire cas du respect et de la soumission que les hommes peuvent lui témoigner, qu’autant que ceux-ci se trouvent en position de lui être utiles ou de lui nuire., par rapport auxquelles ils sont assurément semblables, les uns aux bêtes domestiques, les autres aux bêtes féroces, sur qui l’homme parfait et solitaire(4)Il me semble que par solitaire l’auteur entend ici le sage, qui s’isole de la société des hommes, afin de se trouver hors des atteintes de leurs vices et de ne pas être troublé dans ses méditations; c’est le sage dont parle Ibn-Bâdja dans son traité du Régime du solitaire. Voy. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 388 et suiv. ne porte sa pensée, — si toutefois il y pense, — que pour se préserver du mal qu’elles peuvent lui faire, si par hasard il a affaire à elles, ou pour tirer profit des avantages qu’elles peuvent offrir, quand il s’y trouve réduit pour un besoin quelconque]. — Si donc, dans un individu tel que nous venons de le décrire, la faculté imaginative aussi parfaite que possible était en pleine activité, et que l’intellect (actif) s’épanchât sur elle en raison de la perfection spéculative de l’individu, celui-ci ne percevrait indubitablement que des choses divines fort extraordinaires, ne verrait que Dieu et ses anges, et la science qu’il acquerrait n’aurait pour objet que des opinions vraies et des règles de conduite embrassant les bonnes relations des hommes les uns avec les autres.", "On sait que, dans les trois choses que nous avons posées pour conditions, à savoir, la perfection de la faculté rationnelle au moyen de l’étude, celle de la faculté imaginative dans sa formation (primitive), et celle des mœurs (qui s’obtient) lorsqu’on dégage sa pensée de tous les plaisirs corporels et qu’on fait taire le désir de toute espèce de sottes et pernicieuses grandeurs, (que dans ces trois choses, dis-je) les hommes parfaits ont une grande supériorité les uns sur les autres, et c’est en raison de la supériorité dans chacune de ces trois choses que tous les prophètes sont supérieurs en rang les uns aux autres.", "Tu sais que toute faculté corporelle, tantôt s’émousse, s’affaiblit et se détériore, et tantôt se corrobore. Or, cette faculté imaginative est indubitablement une faculté corporelle; c’est pourquoi tu trouveras que les prophètes, pendant la tristesse, la colère et autres (sentiments) semblables, cessent de prophétiser. Tu sais que les docteurs disent que «la prophétie n’arrive ni pendant la tristesse, ni pendant l’abattement(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Schabbath, fol. 30 b.»; que notre patriarche Jacob n’eut point de révélation pendant les jours de son deuil, parce que sa faculté imaginative était occupée de la perte de Joseph(2)Voy. Pirké Rabbi Eli’ézer, chap. XXXVIII, et cf. Maïmonide, Huit chapitres, ou Introduction au traité Aboth, chap. VII., et que Moïse n’eut pas de révélation, comme auparavant, depuis le malheureux événement(3)נובה̈ signifie un accident malheureux. La traduction d’Ibn-Tibbon, qui a תלונת, murmure, n’est pas exacte. Al-’Harîzi traduit: אחר נבואת המרגלים (après la prophétie des explorateurs), ce qui est un non-sens; au lieu de נובה̈, il a lu נבוה̈, leçon qu’a en effet le ms. de Leyde, n° 18. des explorateurs et jusqu’à ce que la génération du désert eût péri tout entière(4)Voy. Talmud de Babylone, traité Ta’anîthé, fol. 30 b., parce qu’il était accablé par l’énormité de leur crime [quoique, du reste, la faculté imaginative n’entrât pour rien dans sa prophétie et que l’intellect (actif) s’épanchât sur lui sans l’intermédiaire de cette faculté(1)L’auteur, après avoir allégué incidemment l’exemple de Moïse, qui confirme, en thèse générale, la sentence des docteurs qu’il vient de citer, a jugé nécessaire d’ajouter que cet exemple ne s’applique pas, comme celui de Jacob, à la réflexion qu’il vient de faire sur la matérialité de la faculté imaginative, puisque celle-ci n’entrait pour rien dans la prophétie de Moïse. Selon Éphôdi, l’auteur aurait voulu faire entendre ici, sans oser le dire clairement, que Moïse lui-même avait besoin, jusqu’à un certain point, de la faculté imaginative, pour prédire l’avenir. Abravanel (l. c., fol. 35 a) considère cette opinion d’Éphôdi comme une véritable hérésie.; car, comme nous l’avons dit plusieurs fois, il ne prophétisait pas, comme les autres prophètes, par des paraboles(2)Voy. les passages indiqués plus haut, p. 277, note 2., chose qui sera encore exposée ailleurs et qui n’est pas le but de ce chapitre]. ", "De même, tu trouveras que certains prophètes, après avoir prophétisé pendant un certain temps, furent dépouillés de la prophétie, qui, à cause d’un accident survenu, ne pouvait se continuer(3)Littéralement: et cela ne pouvait se continuer; le mot דׄלך, cela, cette chose, se rapporte à la prophétie. Al-’Harîzi traduit littéralement: וזה לא היה נוהג; Ibn-Tibbon: ולא התמידה להם, et elle ne se continua pas pour eux.. C’est là, indubitablement, la cause essentielle et immédiate pour laquelle la prophétie a cessé au temps de la captivité; peut-il exister pour un homme, dans une circonstance quelconque, un motif plus grave d’abattement ou de tristesse(4)Littéralement: quel abattement ou (quelle) tristesse peut-il exister pour un homme, dans une circonstance quelconque (qui soit) plus grave etc. — Ibn-Tibbon a rendu ce passage inexactement, en se méprenant sur le sens du mot אי, qu’il a prononcé , et qu’il a rendu par כלומר, à savoir, tandis qu’il faut prononcer ; cette erreur l’a engagé à ajouter un ו conjonctif au mot אשד et à traduire ויותר חזק. Le seul ms. de Leyde, n° 18, a la leçon ואשד, qui peut bien n’être qu’une prétendue correction faite d’après la version d’Ibn-Tibbon. Al-’Harîzi n’a pas mieux compris ce passage: il traduit: כי הוא עצכות או עצלות אשר ימצא אדם בעניניו וכל שכן בהיותו עבד וכו׳., que d’être esclave, propriété (d’un autre) et soumis à des hommes ignorants et impies qui joignent l’absence de la véritable raison à la plénitude des concupiscences animales, et de ne rien pouvoir contre cela(1)Les mots hébreux ואין לאל ידך (littéralement: sans qu’il soit au pouvoir de ta main) sont empruntés au Deutéronome, chap. XXVIII, verset 32. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, ידו est une faute d’impression; les mss. ont ידך.? C’est là ce dont nous avons été menacés, et c’est ce qu’on a voulu dire par ces mots: Ils erreront pour chercher la parole de l’Éternel, et ils ne la trouveront pas (Amos, 8, 12); et on a dit encore: Son roi et ses princes sont parmi les nations, sans loi; même ses prophètes n’ont pas trouvé de vision de la part de l’Éternel (Lament., 2, 9). Cela est vrai, et la raison en est manifeste; car l’instrument a cessé de fonctionner(2)C’est-à-dire, l’instrument de la prophétie, qui est la force imaginative libre de toute préoccupation.. C’est pour cette môme raison aussi que la prophétie nous reviendra à l’époque du Messie [puisse-t-il bientôt se révéler!], comme on nous l’a promis." ], [ "Il est nécessaire d’appeler ton attention sur la nature de l’être de cette émanation divine(3)Par le mot פיץׄ, épanchement, émanation, l’auteur entend ici l’influence que l’intellect actif exerce sur les facultés de l’homme. qui nous arrive, par laquelle nous pensons et (par laquelle) nos intelligences sont supérieures les unes aux autres. C’est que tantôt elle arrive à un individu dans une mesure suffisante pour le perfectionner lui-même, sans aller au delà(4)Littéralement: C’est qu’il en arrive parfois quelque chose à un individu, de manière que la mesure de ce quelque chose qui lui arrive est assez pour le perfectionner, pas autre chose., tantôt ce qui en arrive à l’individu suffit au delà de son propre perfectionnement(1)Au lieu de שלימותו, qu’ont la plupart des éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire השלמתו, comme l’ont les mss. et l’édition princeps. La version d’Al-’Harîzi est ici plus claire; elle porte: שיעור יותר ממה שיהיה שלם ויוכל להשלים בו לזולתו., (de sorte qu’il lui en reste) pour le perfectionnement des autres. Il en est de même pour tous les êtres: il y en a qui ont assez de perfection pour gouverner les autres (êtres), tandis qu’il y en a d’autres qui n’ont de perfection qu’autant qu’il faut pour se laisser gouverner par d’autres(2)Nous avons suivi la leçon qu’offrent la plupart des mss., qui portent: קדר יכון מדבר בגירה. La vers. d’Ibn-Tibbon porte: כשיעור שיהיה מנהיג בו עצמו לא זולתו; de même, Al-’Harîzi: כפי מה שינהיג בו לנפשו לא לזולתו, qu’autant qu’il faut pour se gouverner soi-même, et non les autres. Les deux traducteurs ont lu: קדר יכון מדברא בה נפםה לא גירה, leçon qu’on trouve en effet dans les deux mss. de Leyde, et qui est plus conforme à la manière dont l’auteur s’exprime plus haut, ch. XI (p. 95-96). D’après la leçon que nous avons adoptée, le sens est: tandis qu’il y a d’autres êtres dont toute la perfection consiste à être constitués de manière à recevoir l’influence et la direction des êtres qui leur sont supérieurs. Il s’agit ici des êtres inférieurs régis par les êtres supérieurs, dont les forces se communiquent à eux. Voy. ci-dessus, ch. X et XI, et la Ire partie de cet ouvrage, ch. LXXII (t. 1, p. 361)., comme nous l’avons exposé.", "Cela étant, il faut que tu saches que, si cette émanation de l’intellect (actif) se répand seulement sur la faculté rationnelle (de l’homme), sans qu’il s’en répande rien sur la faculté imaginative [soit parce que l’émanation elle-même est insuffisante(3)Littéralement: à cause du peu (paucitatis) de la chose qui s’épanche; c’est-à-dire, parce que l’intellect actif ne s’épanche pas suffisamment. Il va sans dire que cette insuffisance ne saurait être attribuée à l’intellect actif lui-même, qui est toujours en acte et qui agit toujours avec la même force; mais la matière sur laquelle il agit (ou l’intellect hylique de l’homme) peut quelquefois ne pas être apte à recevoir la forme, de sorte que l’action de l’intellect actif, qui donne la forme, se trouve arrêtée ou affaiblie en apparence (voy. ci-dessus, p. 139, et le t. I, p. 311, note 4). Selon Schem-Tob et Abravanel, il faut entendre par la chose qui s’épanche la faculté rationnelle, qui répand sur la faculté imaginative ce qu’elle a reçu de l’intellect actif et qui, selon qu’elle est plus ou moins forte, agit plus ou moins sur la faculté imaginative. Abravanel, qui ne pouvait lire que la version d’Ibn-Tibbon, croit devoir rapporter le mot ממנו (dans ולא ישפע דבר ממנו) à la faculté rationnelle; mais le texte arabe qui a מנה, au masculin, n’admet pas cette explication., soit parce que la faculté imaginative est défectueuse dans sa formation primitive, de sorte qu’elle est incapable de recevoir l’émanation de l’intellect], c’est là (ce qui constitue) la classe des savants qui se livrent à la spéculation. Mais, si cette émanation se répand à la fois sur les deux facultés, je veux dire sur la rationnelle et sur l’imaginative [comme nous l’avons exposé et comme l’ont aussi exposé d’autres parmi les philosophes](1)Dans le ms. de Leyde, n° 18, on a omis les mots , et les deux traducteurs hébreux les ont également passés. L’auteur veut parler de ce que, dans le chapitre précédent, il a dit de la faculté imaginative et de l’émanation divine se répandant d’abord sur la faculté rationnelle et ensuite sur la faculté imaginative., et que l’imaginative a été créée primitivement dans toute sa perfection, c’est là (ce qui constitue) la classe des prophètes. Si, enfin, l’émanation se répand seulement sur la faculté imaginative, et que la faculté rationnelle reste en arrière, soit par suite de sa formation primitive, soit par suite du peu d’exercice, c’est (ce qui constitue) la classe des hommes d’État qui font les lois(2)Quelques mss. ont וואצׄעוא, avec le ו copulatif; d’après cette leçon il faudrait traduire: C’est la classe des hommes d’État, des législateurs, etc., des devins, des augures et de ceux qui font des songes vrais; et de même, ceux qui font des miracles par des artifices extraordinaires et des arts occultes, sans pourtant être des savants, sont tous de cette troisième classe.", "Ce dont il faut te pénétrer, c’est qu’à certains hommes de cette troisième classe, il arrive, même quand ils sont éveillés, d’étonnantes visions chimériques, des rêves et des agitations, semblables aux visions prophétiques, de telle sorte qu’ils se croient eux-mêmes prophètes; ils se complaisent donc beaucoup dans ce qu’ils perçoivent de ces visions chimériques, croyant qu’ils ont acquis des sciences sans avoir fait des études, et ils apportent de grandes confusions dans les choses graves et spéculatives, mêlant ensemble, d’une manière étonnante, les choses vraies et les chimères. Tout cela, parce que la faculté imaginative est forte (chez eux), tandis que la faculté rationnelle est faible et n’a absolument rien obtenu; je veux dire qu’elle n’a point passé à l’acte.", "On sait que, dans chacune de ces trois classes, il y a un grand nombre de gradations(1)Littéralement: beaucoup de supériorité réciproque; c’est-à-dire, que les individus appartenant à chacune de ces catégories diffèrent beaucoup entre eux par la supériorité qu’ils ont les uns sur les autres. La version d’Ibn-Tibbon, qui porte יתרון רב מאד, manque de clarté; le sens est: יש יתרון רב מאד לבני אדם זה על זה. Au commencement de ce chapitre, les mots ותתפאצׄל עקולנא ont été plus exactement rendus par: ויהיה יתרון שכלינו זה על זה. Al-’Harîzi traduit: וידוע כי כל מין משלשת המינים האלה יש יתרון גדול לזה על זה; d’après cette traduction, ce seraient les trois catégories elles-mêmes qui seraient déclarées avoir une supériorité les unes sur les autres, ce qui est un contre-sens.. Chacune des deux premières classes se divise en deux parties, comme nous l’avons exposé. En effet, l’émanation qui arrive à chacune des deux classes est, ou bien suffisante seulement pour perfectionner l’individu, et pas plus, ou bien elle est assez forte pour qu’il en reste à cet individu de quoi en perfectionner d’autres(2)Littéralement: ou bien, en quantité (suffisante) pour le perfectionner (c’est-à-dire, l’individu auquel elle arrive), pas autre chose, ou bien, en telle quantité qu’il en reste (à l’individu), après son perfectionnement, de quoi perfectionner d’autres.. En ce qui concerne la première classe, celle des savants, tantôt ce qui se répand sur la faculté rationnelle(3)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont השכלי, il faut lire הדברי, comme l’ont les mss. de l’individu est suffisant pour en faire un homme d’étude et d’intelligence, possédant des connaissances et du discernement, mais qui ne se sent pas porté à instruire les autres, ni à composer des ouvrages, n’ayant pour cela ni le goût ni la capacité (nécessaire); tantôt, ce qui se répand sur lui est d’une force suffisante pour le stimuler nécessairement à composer des ouvrages et à professer. Il en est de même de la deuxième classe: tantôt tel prophète a des inspirations qui servent seulement à le perfectionner lui-même; tantôt il est inspiré de manière à être forcé de faire un appel aux hommes, de les instruire et de répandre sur eux (une partie) de sa perfection. ", "Il est donc clair que, sans cette perfection surabondante, on n’aurait pas composé de livres sur les sciences, et les prophètes n’auraient pas appelé les hommes à la connaissance de la vérité. En effet, un savant n’écrit rien pour lui-même, afin de s’enseigner à lui-même ce qu’il sait déjà; mais il est dans la nature de cet intellect (actif)(1)Ibn-Tibbon n’a pas exprimé le pronom démonstratif הדׄא; la version d’Al-’Harîzi porte זה השכל. de se communiquer perpétuellement et d’étendre successivement son épanchement d’un individu à un autre(2)Littéralement: et de s’étendre de celui qui reçoit cet épanchement à un autre qui le reçoit après lui. Les verbes et תנתהי sont au féminin, ayant pour sujet טביעה̈, la nature., jusqu’à ce qu’il arrive à un individu au delà duquel son influence ne saurait se répandre(3)Littéralement: à un individu que cet épanchement ne peut pas dépasser. et qu’il ne fait que perfectionner (personnellement), comme nous l’avons expliqué, par une comparaison, dans un des chapitres de ce traité(4)Voy. ci-dessus, ch. XI (p. 96), l’exemple de l’homme riche. La version d’Ibn-Tibbon porte simplement כמו שביארנו; mais le verbe arabe מתׄל signifie faire une comparaison.. ", "La nature de cette chose fait que celui qui a reçu cet épanchement surabondant prêche nécessairement aux hommes, n’importe qu’il soit écouté ou non, dût-il même exposer sa personne(5)Littéralement: dût-il être endommagé dans son corps. La version d’Ibn-Tibbon a בעצמו, pour כגופו.; de sorte que nous trouvons des prophètes qui prêchèrent aux hommes jusqu’à se faire tuer, stimulés par cette inspiration divine qui ne leur laissait ni tranquill té ni repos(1)Tous les mss. ont et יםכנוא au mode subjonctif; il faut sous-entendre la conjonction . Voy. Silv. de Sacy, grammaire arabe, (2e édition), t. II, n° 64., lors même qu’ils étaient frappés de grands malheurs. C’est pourquoi tu vois Jérémie déclarer(2)Les deux traducteurs hébreux ont omis de traduire le verbe , qui manque aussi dans le ms. de Leyde, n° 18., qu’à cause du mépris qu’il essuyait de la part de ces hommes rebelles et incrédules qui existaient de son temps, il voulait cacher(3)Ibn-Tibbon, qui a לםתום, paraît avoir lu יכׄתם , avec un כׄ ponctué; d’après lui, il faudrait traduire: il voulait clore sa mission prophétique. sa mission prophétique et ne plus les appeler à la vérité qu’ils avaient rejetée, mais que cela lui était impossible: Car la parole de l’Éternel, dit-il, est devenue pour moi une cause d’opprobre et de dérision tout le jour. Je me disais: Je ne ferai plus mention de lui, et je ne parlerai plus en son nom; mais il y avait dans mon cœur comme un feu ardent, renfermé dans mes os; j’étais las de le supporter, je ne le pouvais plus (Jérémie, 20, 8, 9). C’est dans le même sens qu’un autre prophète a dit: Le Seigneur, l’Éternel, a parlé; qui ne prophétiserait pas (Amos, 3, 8)? — Il faut te pénétrer de cela." ], [ "Sache que chaque homme possède nécessairement une faculté de hardiesse(4)C’est-à-dire: une certaine faculté de l’âme qui donne la hardiesse, et qui fait partie des facultés motrices. Dans nos éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut effacer le ו de וגבורה. Le mot גבודה d’ailleurs n’est pas bien choisi pour rendre le mot arabe , qui signifie hardiesse, courage. Ibn-Falaquéra, en blâmant ici l’emploi du mot גבורה, propose de traduire כח קדימה, et s’exprime ainsi sur la faculté désignée par ce nom: וכה הקדימה הוא שיקדים האדם וילך להלחם עם האריה או הדומה ולהכנם במקום םכנה ולא יפחד «Cette faculté est celle en vertu de laquelle l’homme s’avance hardiment (יקדים) pour combattre le lion ou autre chose semblable, ou pour se rendre sans crainte dans un lieu de danger.» Voy. Appendice du Moré ha-Moré, p. 155. Al-’Harîzi appelle cette faculté כה אמצה.; sans cela, il ne serait pas mû par la pensée à écarter ce qui lui est nuisible. Cette faculté, selon moi, est, parmi les facultés de l’âme, ce que l’expulsive(1)Cf. le t. I de cet ouvrage, p. 367, et ibid., note 5. est parmi les facultés physiques. Cette faculté de hardiesse varie par la force et la faiblesse, comme les autres facultés: de sorte que tu trouves tel homme qui s’avance contre le lion, et tel autre qui s’enfuit devant une souris; tel qui s’avance seul contre une armée pour la combattre, et tel autre qui tremble et a peur quand une femme lui lance un cri. Il faut aussi qu’on possède, dès sa formation primitive, une certaine prédisposition de complexion, laquelle, avec une certaine manière de penser, s’accroîtra [de sorte que ce qui est en puissance sortira par l’effort (qu’on fera) pour le faire sortir], et qui, avec une autre façon de penser(2)Selon Moïse de Narbonne et Schem-Tob, l’auteur, par les mots avec une certaine manière de penser, veut dire qu’il faut aussi joindre à la prédisposition naturelle une certaine manière de voir; selon qu’on croira, par exemple, qu’avec la mort tout finit pour l’homme, ou qu’une mort héroïque place l’homme au rang des êtres supérieurs, on négligera cette disposition naturelle, ou on l’exercera., diminuera par le peu d’exercice. Dès le plus jeune âge, on reconnaît dans les enfants si cette faculté(3)Les deux versions hébraïques ont אלו הכחות, ces facultés; mais tous les mss. arabes ont le singulier אלקוה̈. est forte ou faible chez eux.", "De même, cette faculté de divination (qu’on rencontre chez les prophètes) existe dans tous les hommes, mais varie par le plus et le moins; (elle existe) particulièrement pour les choses dont l’homme se préoccupe fortement et dans lesquelles il promène sa pensée. Tu devines, par exemple(4)Mot à mot: de sorte que tu trouves dans ton âme., qu’un tel a parlé ou agi de telle manière dans telle circonstance, et il en est réellement ainsi. Tu trouves tel homme chez lequel la faculté de conjecturer et de deviner(1)Ibn-Tibbon traduit: מי שדמיונו ומשערו וכו׳. Selon Ibn-Falaquéra, les mots arabes et désignent la sagacité de l’esprit, ou la faculté de deviner soudainement l’inconnu par le connu (וענינם אצל חכמי המחקר זכות השכל שמבין הדבר הנםתר מתוך הדבר הנגלה במהירות ובזמן קצר מאד). Il blâme, comme une grave erreur, le mot דמיון, imagination, employé ici par Ibn-Tibbon. Voy. dans l’Appendice du Moré ha-Morè, p. 156, la note sur le chap. XLV. est tellement forte et juste, que presque tout ce que, dans son imagination, il croit être, est (réellement) tel qu’il se l’est imaginé, ou l’est (du moins) en partie(2)Littéralement: qu’il ne peut presque pas s’imaginer qu’une chose soit, sans qu’elle soit (réellement) comme il se l’est imaginée, ou qu’elle soit en partie.. Les causes en sont nombreuses, (et cela arrive) par un enchaînement de nombreuses circonstances(3)Le mot קראין ( , plur. de ) signifie conjonctures, circonstances réunies. Ibn-Tibbon traduit ce mot simplement par ענינים, et Al-’Harîzi par ענינים דבקים. Selon Ibn-Falaquéra (l. c., p. 156), ce mot serait employé dans le sens de prémisses; car, dit-il, les prémisses, réunies ensemble, font naître la conclusion. Mais, s’il est vrai que l’auteur dit, immédiatement après, תלך אלמקדמאת, ces prémisses, il ne s’ensuit pas de là qu’il emploie le mot קראין dans le sens de prémisses; il veut dire seulement que l’esprit parcourt rapidement toutes les circonstances qui se sont présentées à des moments différents, et qui, pour lui, s’enchaînent mutuellement en un clin d’œil et lui servent de prémisses, dont il tire des conclusions., antérieures, postérieures et présentes; mais, par la force de cette (faculté de) divination, l’esprit parcourt toutes ces prémisses et en tire les conclusions en si peu de temps qu’on dirait que c’est l’affaire d’un instant(4)Littéralement: que c’est dans un rien de temps.. C’est par cette faculté que certains hommes avertissent(5)Au lieu de ינדׄר, le ms. de Leyde, n° 221, porte כׄבר; de même Ibn-Tibbon יגידו, annoncent. de choses graves qui doivent arriver.", "Ces deux facultés, je veux dire, la faculté de hardiesse et la faculté de divination, doivent nécessairement être très fortes dans les prophètes. Lorsque l’intellect (actif) s’épanche sur eux, ces deux facultés prennent une très grande force, et tu sais jusqu’où est allé l’effet produit par là; à savoir, qu’un homme isolé se présentât hardiment(1)Ibn-Tibbon a שהתגבר; mais cette traduction est justement critiquée par Ibn-Falaquéra (l. c., p. 155-156), qui traduit: והיא קדימת האיש הנפרד., avec son bâton, devant un grand roi, pour délivrer une nation de l’esclavage imposé par celui-ci, et qu’il n’éprouvât ni terreur(2)Le verbe ירתע est le futur apocopé de la VIIIe forme de la racine . ni crainte, parce qu’il lui avait été dit (par Dieu): Car je serai avec toi (Exode, 3, 12). C’est là un état qui varie bien chez eux (les prophètes), mais qui leur est indispensable(3)C’est-à-dire: la hardiesse est indispensable à tous les prophètes, quoiqu’ils la possèdent à des degrés différents.. C’est ainsi qu’il fut dit à Jérémie: N’aie pas peur d’eux, etc. Ne tremble pas devant eux, etc. Voici, j’ai fait de toi aujourd’hui une ville forte, etc. (Jérémie, 1, 8, 17,18); et à Ézéchiel il fut dit: N’aie pas peur d’eux et ne crains point leurs paroles (Ézéch., 2, 6). C’est ainsi que tu les trouves tous doués d’une forte hardiesse. De même, par le grand développement de leurs facultés de divination, ils prédisent promptement l’avenir; mais, à cet égard aussi, il y a chez eux variation (de degrés), comme tu le sais.", "Il faut savoir que les vrais prophètes ont indubitablement aussi des perceptions spéculatives, (mais d’une nature telle) que l’homme, par la seule spéculation, ne saurait saisir les causes qui peuvent amener une pareille connaissance; c’est comme quand ils prédisent des choses que l’homme ne saurait prédire au moyen de la seule conjecture et de la divination vulgaire(4)Le sens est: De même que les prophètes prédisent des choses qu’il n’est pas donné à tout homme de prévoir par la seule faculté de divination que nous possédons tous jusqu’à un certain point, de même ils ont des connaissances spéculatives auxquelles l’homme vulgaire ne saurait s’élever par la seule spéculation philosophique.. En effet, cette même inspiration(1)Littéralement: ce même épanchement, c’est-à-dire celui de l’intellect actif. qui se répand sur la faculté imaginative, de manière à la perfectionner à tel point que son action va jusqu’à prédire l’avenir et à le percevoir comme s’il s’agissait de choses perçues par les sens et qui fussent parvenues à cette faculté imaginative par la voie des sens, (cette même inspiration, dis-je) perfectionne aussi l’action de la faculté rationnelle à tel point qu’elle arrive par cette action à connaître l’être réel des choses(2)Mot à mot: des choses d’un être réel; c’est-à-dire, les choses telles qu’elles sont dans toute leur réalité. et qu’elle en possède la perception comme si elle l’avait obtenue par des propositions spéculatives. ", "Telle est la vérité que doit admettre quiconque aime à porter un jugement impartial(3)Littéralement: quiconque préfère la justice (ou l’impartialité) pour lui-même.; car toutes les choses servent de témoignage et de preuve les unes aux autres. Cela convient même bien plus encore à la faculté rationnelle(4)Après avoir cherché à établir, par la simple analogie, que la faculté rationnelle doit être, comme la faculté imaginative, beaucoup plus forte chez les prophètes que chez tous les autres hommes, l’auteur veut montrer, par une preuve plus directe, que ce qu’il a dit s’applique même mieux encore à la faculté rationnelle qu’à la faculté imaginative.. En effet, ce n’est que sur elle, en réalité, que s’épanche (directement) l’intellect actif, qui la fait passer à l’acte, et c’est par la faculté rationnelle que l’épanchement arrive à la faculté imaginative; comment donc alors se pourrait-il que la force imaginative fût parfaite au point de percevoir ce qui ne lui arrive pas par la voie des sens, sans qu’il en fût de même pour la faculté rationnelle, c’est-à-dire (sans qu’elle fût parfaite au point) de percevoir ce qu’elle ne saurait percevoir au moyen des prémisses, de la conclusion logique et de la réflexion? — Telle est la véritable idée du prophétisme, et telles sont les opinions qui servent à caractériser l’enseignement prophétique. Si, dans ce que je viens de dire des prophètes, ", "j’ai mis pour condition que ce soient de vrais prophètes, ç’a été pour faire mes réserves au sujet des gens de la troisième classe(1)Voy. le chapitre précédent, p. 291. — Au lieu de אלדׄין, les mss. ont généralement אלדׄי, ce qui est incorrect., qui possèdent, non pas des notions rationnelles, ni de la science, mais seulement des chimères et des opinions erronées. Il se peut aussi que ce que perçoivent ceux-là ne soit autre chose que des idées (vraies) qu’ils avaient (autrefois), et dont leurs chimères (actuelles) ont conservé les traces(2)Littéralement: et dont les traces sont restées empreintes dans leurs chimères., à côté de tout ce qui est dans leur faculté imaginative; de sorte que, après avoir anéanti et fait disparaître beaucoup de leurs chimères, les traces(3)C’est probablement par distraction qu’Ibn-Tibbon a traduit ici par מקומות (endroits, lieux), le mot qu’un peu plus haut il rend lui-même par רשומים (traces), comme le fait observer Ibn-Falaquéra (Appendice du Moré ha-Moré, p. 156). de ces (anciennes) idées soient restées seules et leur aient apparu comme une nouveauté(4)Littéralement: et leur aient apparu de manière qu’ils les crussent une chose nouvelle. et comme une chose venue du dehors(5)L’auteur veut dire qu’il se peut même que les prédictions de ces prétendus prophètes ne soient pas toujours basées sur de pures chimères, mais sur de vagues réminiscences qui, à leur insu, affectent leur imagination, à laquelle elles se présentent comme une révélation soudaine.. Je crois pouvoir les comparer à un homme qui a eu auprès de lui, dans sa maison, des milliers d’animaux; ceux-ci s’étant tous retirés de la maison, à l’exception d’un seul individu du nombre de ceux qui y étaient, l’homme, resté seul avec cet individu, s’imaginerait que celui-ci vient d’entrer auprès de lui dans la maison, tandis qu’il n’en est pas ainsi et qu’au contraire c’est celui-là même qui n’en est point sorti. ", "C’est là ce qui a donné lieu aux erreurs les plus pernicieuses et ce qui a causé la perte de bien des hommes qui prétendaient avoir du discernement(6)Littéralement: c’est un des lieux qui induisent en erreur et qui font périr; et combien y en a-t-il qui ont péri par là de ceux qui prétendaient au discernement? L’auteur veut parler de ces soudaines inspirations, en vertu desquelles certains hommes croient pouvoir s’arroger le don de prophétie, et qui ne sont autre chose que des réminiscences d’anciennes études et de certaines idées fort simples et fort rationnelles. — C’est à tort qu’Ibn-Tibbon a rendu le mot אלמהלכה̈ (qui font périr) par הממיתים (qui font mourir), et de même וכם הלך (et combien ont péri, par וכמה מתו (et combien sont morts); le terme arabe désigne ici une perdition morale. Al-’Harîzi a les mots המאבידות et אבדו. Les mots אלדׄין ירידון אלתמייז (mot à mot: ceux qui veulent le discernement) admettent deux interprétations différentes; on peut traduire: ceux qui prétendent au discernement ou à un bon jugement, et c’est là le sens adopté par Ibn-Tibbon, qui a המחזיקים עצמם כחכמים, qui se prennent eux-mêmes pour des sages; ou bien on peut entendre par ces mots: ceux qui cherchent à bien discerner, sens adopté par Al-’Harîzi, qui a רודפי האמת, qui poursuivent la vérité.. ", "Ainsi(1)Le texte porte ומן אגׄל הדׄא, c’est pourquoi, mots qui se rapportent à ce que l’auteur a dit des réminiscences qui se mêlent aux fantômes de l’imagination., tu trouves des gens qui appuient la vérité de leurs idées sur des songes qu’ils ont eus, s’imaginant que ce qu’ils ont vu dans le sommeil est autre chose que l’idée qu’ils ont conçue (eux-mêmes) ou entendue dans l’état de veille.", "C’est pourquoi il ne faut accorder aucune attention à ceux dont la faculté rationnelle n’est point parfaite et qui ne sont pas arrivés à la plus haute perfection spéculative; car celui-là seul qui est arrivé à la perfection spéculative peut ensuite obtenir d’autres connaissances (supérieures), quand(2)Au lieu de ענד פיץׄ, le ms. de Leyde, n° 18, a מן פיץׄ, et c’est cette leçon qu’expriment les deux traducteurs hébreux; Ibn-Tibbon a באמצעות שפע, et Al-’Harîzi, משפע. l’intellect divin s’épanche sur lui. C’est celui-là qui est véritablement prophète, et c’est ce qui a été clairement dit (par les mots) ונביא לבב חכמה (Ps. 90, 12), c’est-à-dire que le véritable prophète(3)Maïmonide, à l’exemple de la version chaldaïque, considère ici le mot נביא comme un substantif dans le sens de prophète, quoiqu’il soit plus naturel d’y voir un verbe, hiph’il de בוא. est (celui qui a) un cœur plein de sagesse. C’est là aussi ce dont il faut se pénétrer." ], [ "Après avoir parlé de l’essence de la prophétie, que nous avons fait connaître dans toute sa réalité, et après avoir exposé que la prophétie de Moïse, notre maître, se distingue de celle des autres, nous dirons que c’est cette perception seule (de Moïse) qui a eu pour conséquence nécessaire de nous appeler à la loi. En effet, un appel semblable à celui que nous fit Moïse n’avait jamais été fait par aucun de ceux que nous connaissons(1)Au lieu de ממן עלמנאה, le ms. de Leyde, n° 18, porte ממן תקדם, de ceux qui ont précédé. Cette leçon a été suivie par les deux traducteurs hébreux; Ibn-Tibbon a ממי שקדם, et Al-’Harîzi, מן הקדומים., depuis Adam jusqu’à lui, et il n’a pas été fait non plus d’appel semblable après lui, par aucun de nos prophètes. De même, c’est un principe fondamental de notre loi qu’il n’y en aura jamais d’autre; c’est pourquoi, selon notre opinion, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais qu’une seule Loi, celle de Moïse, notre maître. En voici une (plus ample) explication, d’après ce qui a été dit expressément dans les livres prophétiques et ce qui se trouve dans les traditions. C’est que, de tous les prophètes qui précédèrent Moïse, notre maître, tels que les patriarches, Sem, Eber, Noé, Méthusélah et Hénoch, aucun n’a jamais dit à une classe d’hommes: «Dieu(2)Le texte dit: אן אללה, QUE Dieu. On sait que la conjonction אן sert quelquefois à introduire le discours direct; cf. le t. I de cet ouvrage, p. 283, note 4. m’a envoyé vers vous et m’a ordonné de vous dire telle et telle chose; il vous défend der faire telle chose et vous ordonne de faire telle autre.» C’est là une chose qui n’est attestée par aucun texte du Pentateuque et qu’aucune tradition vraie ne rapporte. Ceux-là, au contraire, n’eurent de révélation(1)Un seul de nos mss., le n° 18 de Leyde, porte אלוהי, avec l’article, de même les deux versions hébraïques הנבואה. divine que dans le sens que nous avons déjà exposé(2)Voy. la Ire partie, ch. LXIII, p. 281-282.; et si quelqu’un d’entre eux était plus fortement inspiré, comme, par exemple, Abraham, il rassemblait les hommes et les appelait, par la voie de l’enseignement et de la direction, à la vérité qu’il avait perçue lui-même. C’est ainsi qu’Abraham instruisait les hommes, leur montrant, par des preuves spéculatives, que l’univers n’avait qu’un seul Dieu, que c’était lui qui avait créé tout ce qui est en dehors de lui, et qu’il ne fallait point adorer ces figures (des astres), ni aucune des choses créées. C’est là ce qu’il inculquait aux hommes, les attirant par de beaux discours et par la bienveillance; mais jamais il ne leur disait: «Dieu m’a envoyé vers vous et m’a ordonné ou défendu (telle ou telle chose).» Cela est si vrai que, lorsque la circoncision lui fut ordonnée, pour lui, ses enfants et ceux qui lui appartenaient, il les circoncit, mais n’invita point les (autres) hommes, par un appel prophétique, à en faire autant. Ne vois-tu pas que le texte de l’Écriture dit à son égard: Car je l’ai distingué, etc. (Genèse, 18, 19)? d’où il résulte clairement qu’il procédait seulement par voie de prescription(3)L’auteur a en vue ces mots du même verset: afin qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie de l’Éternel, etc., où il est dit clairement qu’il se bornait à instruire les siens de ce qu’ils devaient faire pour plaire à Dieu, sans dire que Dieu l’avait envoyé pour proclamer tel et tel commandement.; et c’est sous la même forme qu’Isaac, Jacob, Lévi, Kehath et Amram adressaient leurs appels aux hommes. Tu trouves de même que les docteurs, en parlant des prophètes antérieurs (à Moïse), disent: Le tribunal d’Eber, le tribunal de Méthusélah, l’école de Méthusélah(4)Voy., par exemple, Beréschîth rabba, sect. 43 (fol. 55, col. 2, et 56, col. 1), où il est question de l’école de Sem et d’Éber. Je ne saurais dire si, dans nos Midraschîm, on parle d’un tribunal ou d’une école de Méthusélah; mais çà et là il est question de la grande piété de ce patriarche et de sa profonde science. Voy. p. ex. le Midrasch Abkhir, cité dans le Yalkout, t. I, n° 42.; car tous ces prophètes ne faisaient qu’instruire les hommes, en guise de précepteurs, d’instituteurs et de guides, mais ne disaient jamais: l’Éternel m’a dit: Parle aux fils d’un tel(1)C’est-à-dire: aux descendants d’un tel, à telle tribu, ou à tel peuple..", "Voilà comment la chose se passa avant Moïse, notre maître. Quant à Moïse, tu sais ce qui lui fut dit et ce qu’il a dit, et (tu connais) cette parole que lui adressa tout le peuple: Aujourd’hui nous avons vu que Dieu parle à un homme etc. (Deut., V, 21). Quant à tous ceux de nos prophètes qui vinrent après Moïse, notre maître, tu sais de quelle manière ils s’expriment dans toutes leurs relations et qu’ils se présentent comme des prédicateurs qui invitent les hommes à suivre la loi de Moïse, menaçant ceux qui s’y montreraient rebelles et faisant des promesses à ceux qui s’efforceraient delà suivre(2)Littéralement: qui se tiennent droit (ou debout) pour la suivre, ce qu’Ibn-Tibbon a rendu par מי שהתישר להמשך אחריה. Al-’Harîzi traduit plus librement: ויבטיחו כל הרודף אחריה והולך בדרכיה.. Et nous croyons de même qu’il en sera toujours ainsi(3)C’est-à-dire: que cette loi devra toujours être suivie, et qu’elle ne sera jamais remplacée par une autre; car, comme dit l’Écriture, elle n’a pas besoin d’être cherchée dans le ciel, ni au delà des mers; elle est dans notre bouche, dans notre cœur, et s’adapte parfaitement à la nature humaine., comme il a été dit: Elle n’est pas dans le ciel etc. (ibid., XXX, 12); pour nous et pour nos enfants à jamais (ibid., XXIX, 28). Et cela doit être, en effet; car, dès qu’une chose est la plus parfaite possible de son espèce, toute autre chose de la même espèce ne peut pas ne pas être d’une perfection moindre, soit en dépassant la juste mesure, soit en restant au-dessous. Si, par exemple, une complexion égale est ce qu’il y a de plus égal possible dans une espèce, toute complexion qui serait en dehors de celte égalité pécherait par la défectuosité, ou par l’excès. Il en est de même de cette loi, qu’on a déclarée être égale (c.-à-d. équitable ou juste), en disant: des statuts et des ordonnances JUSTES צדיקים (ibid., IV, 8); car tu sais que צדיקים (justes) signifie égaux (ou équitables)(1)L’auteur joue ici sur le double sens du mot arabe , qui désigne ce qui est égal, en équilibre, bien proportionné, et au figuré, ce qui est équitable ou juste; il correspond aux mots latins œquus et œqualis, qui s’emploient également au propre et au figuré, tandis que le mot hébreu צדיק n’est usité que dans le sens figuré. Le jeu de mots dont il s’agit ici ne peut guère se rendre en français; mais les mots égal et èquitable ont la même étymologie.. En effet, ce sont des pratiques religieuses dans lesquelles il n’y a ni fardeau, ni excès, comme (il y en a) dans le monachisme, dans la vie de pèlerin(2)Le mot , qui signifie la vie d’anachorète, est rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par cette périphrase: עבודת המתבודד בהרים הפורש עצמו מן הבשר והיין ודבריס רביס מצרכי הגוף, le culte de celui qui vit solitairement sur les montagnes, et qui s’abstient de viande, de vin et de beaucoup d’autres choses nécessaires au corps; le mot est rendu par טלטול לעבודה, Vie errante qui a pour objet le culte. La version d’Al-’Harîzi ne rend pas ces deux mots. — Au lieu de אלרהכאניה̈, le ms. de Leyde, n° 18, a אלבראהמה̈, le brahmanisme. Un ms. de la version d’Ibn-Tibbon (Biblioth. impér., anc. fonds, n° 238, fol. 235 b) a la singulière leçon במופתיות, qui ferait supposer qu’on a lu dans le texte arabe אלברהאניה̈ (au lieu de אלרהבאניה̈), leçon qui n’offre ici aucun sens., etc., ni défectuosité (vice) qui conduise à la gloutonnerie et à la débauche, de manière à diminuer la perfection de l’homme, relativement aux mœurs et à l’étude, comme (le font) toutes les lois (religieuses) des peuples anciens(3)Au lieu de אלסאלפה̈, le ms. de Leyde, n° 18, a אלגׄאהליה̈; de même, Ibn-Tibbon, הסנליות, et Al-’Harîzi, הסכלוׄת, ce qu’on doit entendre ici dans le sens de païens. Cf. ci-dessus, p. 260, note 2.. ", "Quand nous parlerons, dans ce traité, des motifs qu’on peut alléguer pour les lois (de Moïse(4)Voy. la IIIe partie de cet ouvrage, ch. XXXI et suivants. — Dans la version d’Ibn-Tibbon les mots עלת טעמי sont une double traduction du mot תעליל; Al-’Harîzi a: בטעמי המצות.), tu auras tous les éclaircissements nécessaires sur leur égalité(1)C’est-à-dire, sur leur juste proportion tenant le milieu entre le trop et le trop peu. Cf. ci-dessus, p. 285, note 1. — Le suffixe, dans אעתדאלהא וחבמתהא, se rapporte évidemment au pluriel אלשראיע (hébr. המצות), et Ibn-Tibbon a eu tort de mettre le suffixe au singulier: שוויה וחכמתה. et leur sagesse; c’est pourquoi on en a dit: La loi de l’Éternel est parfaite (Ps. 19, 8). Quand on prétend qu’elles imposent de grands et lourds fardeaux et qu’elles causent des tourments, c’est là une erreur du jugement. Je montrerai que, pour les hommes parfaits, elles sont faciles; c’est pourquoi on a dit: Qu’est-ce que l’Éternel, ton Dieu, te demande? etc. (Deutér., 10, 12); et encore: Ai-je été un désert pour Israël, etc. (Jér., II, 31)(2)Ces paroles signifieraient, selon l’auteur: ai-je été dur pour Israël, par mes commandements, comme un désert et une terre de profondes ténèbres, où le voyageur rencontre des difficultés à chaque pas? Cf. le commentaire d’Abravanel sur ce verset de Jérémie: ראו דבר י״י הביטו מצותיו ותורותיו אם יש בהם מעמם וטורח לבעלי התורה, «voyez la parole de l’Êternel, c’est-à-dire voyez s’il y a dans ses commandements et dans ses lois un fardeau et une fatigue pour ceux qui possèdent la loi.»? Tout cela, certainement, (a été dit) par rapport aux hommes vertueux. Quant aux hommes impies, violents et despotes, ils considèrent, comme la chose la plus nuisible et la plus dure, qu’il y ait un juge qui empêche le despotisme; et de même, pour les hommes à passions ignobles, c’est la chose la plus dure que d’être empêchés de s’abandonner librement à la débauche et d’encourir le châtiment pour s’y être livrés(3)Littéralement: et que le châtiment frappe celui qui l’exerce.. Et c’est ainsi que tout homme vicieux considère comme un lourd fardeau l’empêchement du mal qu’il aime à faire par suite de sa corruption morale(4)Dans la version d’Ibn-Tibbon les mots גנות רוע sont une double traduction du mot arabe; רדׄילה̈ Al-’Harîzi a: כפי נבלות מדותיו.. Il ne faut donc pas mesurer la facilité et la difficulté de la loi selon la passion de tout homme méchant, vil et de mœurs dépravées; mais il faut considérer cette loi au point de vue de l’homme parfait qu’elle veut donner pour modèle à tous les hommes(1)Littéralement: mais elle (la loi) doit être considérée en raison de l’homme parfait, le but de la loi étant que tous les hommes soient (comme) cet homme. Les mss. arabes portent: אן יכון אלנאס כלהס דׄלך אלאנסאן; le sens est: que tous les hommes soient identiquement cet homme, c.-à-d. lui ressemblent parfaitement. Les deux versions hébraïques ont כמו האיש ההוא. — Le plus ancien des mss. d’Oxford (Uri, n° 359, cf. le t. I, p. 462) a cette leçon singulière: אן יכון אלנאס כלחס דׄלך אלזמאן כאמלין, que tous les hommes fussent parfaits dans ce temps-là.. Cette loi seule, nous l’appelons Loi divine; mais tout ce qu’il y a en dehors d’elle en fait de régimes politiques, comme les lois des Grecs et les folies des Sabiens et d’autres (peuples), est l’œuvre d’hommes politiques et non pas de prophètes, comme je l’ai exposé plusieurs fois." ], [ "Il a été très clairement exposé que l’homme est naturellement un être sociable(2)Voy. la Politique d’Aristote, liv. I, ch. 1: ἄνθρωπος φύσει πολιτιϰὸν ζῶον. Cf. la IIIe partie de cet ouvrage, ch. XXVII., et que sa nature (exige) qu’il vive en société(3)Littéralement: qu’il soit réuni (avec ses semblables).; il n’est pas comme les autres animaux, pour lesquels la réunion en société n’est pas une nécessité. A cause de la composition multiple de cette espèce (humaine), — car, comme tu le sais, elle est ce qu’il y a de plus composé(4)Nous remarquons dans l’ensemble des êtres sublunaires une progression du moins parfait au plus parfait. Outre les quatre éléments, dont tous les êtres sont composés, les plantes ont l’âme végétative, à laquelle, dans les animaux, se joint l’âme vitale; l’homme seul possède aussi l’âme rationnelle et se trouve ainsi être le plus composé et le plus parfait de tous les êtres sublunaires., — il y a, entre ses individus, une différence tellement variée qu’on ne trouve presque pas deux individus en harmonie sous un rapport moral quelconque, pas plus qu’on ne pourrait trouver deux figures parfaitement semblables(1)Littéralement: que tu ne trouves presque pas deux individus qui soient d’accord, d’une manière quelconque, dans une des espèces de mœurs, si ce n’est comme tu trouves leurs figures extérieures d’accord. Au lieu de אלא מא, le ms. de Leyde, n° 18, porte כמא לא, et de même Ibn-Tibbon: כמו שלא תראה; Al-’Harîzi traduit: אלא כשתמצא.. Ce qui en est la cause, c’est la différence de complexion, qui produit une différence dans les matières (respectives) et aussi dans les accidents qui accompagnent la forme; car chaque forme physique a certains accidents particuliers qui l’accompagnent, outre les accidents qui accompagnent la matière. Une si grande variation d’individu à individu ne se rencontre dans aucune espèce d’animaux; au contraire, la différence entre les individus de chaque espèce est peu sensible(2)Littéralement: est rapprochée ou tend à se rapprocher., excepté chez l’homme. En effet, on peut trouver deux individus qui diffèrent tellement dans chaque qualité morale, qu’on dirait qu’ils appartiennent à deux espèces (différentes), de sorte que tu trouveras (p. ex.) tel individu qui a de la cruauté au point(3)Au lieu de , jusqu’à la limite, au point, le ms. de Leyde, n° 18, a les mots אלי חד, qui ont le même sens; la version d’Ibn-Tibbon a simplement עד, jusqu’à; de même Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, p. 116. d’égorger son jeune fils dans la violence de la colère, tandis qu’un autre s’émeut (à l’idée) de tuer un moucheron ou un reptile, ayant l’âme trop tendre pour cela; et il en est de même dans la plupart des accidents(4)C’est-à-dire, dans la plupart des qualités morales de l’âme..", "Or, comme l’espèce humaine, par sa nature, comporte cette variation dans ses individus(5)Littéralement: comme sa nature (celle de l’espèce humaine) exige qu’il y ait cette variation dans ses individus., et comme la vie sociale est nécessaire à sa nature, il est absolument impossible que la société soit parfaite sans qu’elle ait un guide qui puisse régler les actions des individus, en suppléant ce qui est défectueux et en modérant ce qui est en excès(1)Au lieu du premier אלמפרט, qu’il faut prononcer , quelques mss. portent אלמקצר., et qui puisse prescrire des actions et des mœurs que tous doivent continuellement pratiquer, d’après la même règle, afin que la variation naturelle soit cachée par la grande harmonie conventionnelle et que la société soit en bon ordre. ", "C’est pourquoi je dis que la loi, bien qu’elle ne soit pas naturelle, entre pourtant, à certains égards, dans la catégorie du naturel(2)Littéralement: a pourtant une entrée dans la chose naturelle.; car il était de la sagesse divine, pour conserver cette espèce dont elle avait voulu l’existence, de mettre dans sa nature (la condition) que ses individus possédassent une faculté de régime. Tantôt l’individu est celui-là même à qui ce régime a été inspiré, et c’est le prophète ou le législateur; tantôt il est celui qui a la faculté de contraindre (les hommes) à pratiquer ce que ces deux-là(3)C’est-à-dire, le prophète et le législateur. Ibn-Tibbon a מה שצוה הנביא ההוא, ce que ce prophète a prescrit; de même Al-’Harîzi, במה שצוה הנביא, et Ibn-Falaquéra (l. c.), מה שאמר אותו הנביא. Cette traduction n’est justifiée que par un seul de nos mss., le n° 18 de Leyde, qui porte: בעמל מא גׄא בה אלנביא. ont prescrit, à le suivre et à le faire passer à l’acte, et tels sont le souverain qui adopte cette loi (du législateur) et le prétendu prophète qui adopte la loi du (vrai) prophète, soit en totalité, soit en partie. Si (celui-ci) adopte une partie et abandonne une autre partie(4)Au lieu de ותרך, le ms. de Leyde, n° 18, a ותרבה avec suffixe. Ibn-Tibbon a והנּיח, sans suffixe. Au commencement de la phrase Ibn-Tibbon a ויהיה, tandis que tous les mss. arabes ont יכון, sans le ו copulatif; הקצתו dans les éditions d’Ibn-Tibbon est une faute d’impression, pour הקצת., c’est ou bien parce que cela lui est plus facile, ou bien parce que, par jalousie, il veut faire croire que ces choses lui sont parvenues par la révélation (divine) et qu’il ne les a pas empruntées à un autre; car il y a tel homme qui se plaît dans une certaine perfection, la trouve excellente et l’affectionne, et qui veut que les hommes s’imaginent qu’il est lui-même doué de cette perfection, quoiqu’il sache bien qu’il ne possède aucune perfection. C’est ainsi que tu vois beaucoup d’hommes qui se vantent du poëme d’un autre et se l’attribuent; et c’est là aussi ce qui s’est fait pour certains ouvrages des savants et pour beaucoup de détails scientifiques, (je veux dire) qu’une personne jalouse et paresseuse, étant tombée (par hasard) sur une chose inventée par un autre, prétendait l’avoir inventée. C’est aussi ce qui est arrivé pour cette perfection prophétique; car nous trouvons que certains hommes, prétendant être prophètes, dirent des choses qui n’avaient jamais été révélées par Dieu(1)Dans les éditions de la vers. d’Ibn-Tibbon, il manque ici les mots מאת השם; les mss. portent: מה שלא באה נבואה בו מאת השם יום כלל. Le traducteur a employé le mot יום comme adverbe, dans le sens de jamais, à l’imitation de l’adverbe arabe ., comme (le fit), par exemple, Sidkia, fils de Kenaana(2)Voy. I Rois, ch. 22, V. 11 et 24., et nous en trouvons d’autres qui, s’arrogeant la prophétie, dirent des choses que, sans doute, Dieu avait dites, je veux dire qu’elles avaient été révélées, mais à d’autres, comme (le fit), par exemple, Hanania, fils d’Azzour(3)Voy. Jérémie, ch. 28, V. 1 et suiv. — Cet exemple, au premier abord, ne paraît pas bien choisi, puisque Hanania, aussi bien que Sidkia, est présenté comme un faux prophète, et que ses paroles sont expressément démenties par Jérémie. Ibn-Caspi, dans son comment, intitulé עמודי כסף, relève cette difficulté en ces termes: תמה איך יאמר הר״מ זה כי עליו כתוב כמו על צרקיה כי סרה דבר ובכלל לא מצאתי הבדל בין צדקיה וחנניה. Mais, en établissant ici une distinction entre Sidkia et Hanania, Maïmonide n’a fait que suivre le Talmud, selon lequel le premier aurait prédit des choses qu’il n’avait jamais entendues (מתנבא מה שלא שמע), tandis que le second aurait prédit ce qui ne lui avait pas été dit à lui (מתנבא מה שלא נאמר לו), c.-à-d. qu’il n’aurait fait que reproduire une prophétie de Jérémie, dont il aurait faussé le sens ou qu’il aurait mal comprise. Selon le Talmud de Jérusalem (traité Synhédrîu dernier chapitre), Hanania, en prédisant que, dans deux ans, Dieu briserait le joug du roi de Babylone, aurait cru être d’accord avec Jérémie, qui prédisait soixante-dix ans de captivité (Jérémie, 29, 10), lesquels, dans l’opinion de Hanania, avaient commencé pendant le règne de Manassé. Selon le Talmud de Babylone (même traité, fol. 89 a), les paroles de Hanania: Je briserai le joug du roi de Babylone, ne seraient que la reproduction des paroles de Jérémie (49, 35): voici, je brise l’arc d’Élam; puisque, se disait Hanania, les Élyméens, qui n’étaient que les auxiliaires de Babylone, devaient recevoir le châtiment céleste, à plus forte raison les Chaldéens eux-mêmes., — de sorte qu’ils se les attribuèrent et s’en parèrent.", "Tout cela se reconnaît et se distingue très clairement; mais je te l’exposerai, afin qu’il ne te reste rien d’obscur, et que tu possèdes un critérium au moyen duquel tu puisses faire la distinction entre les régimes des lois conventionnelles(1)C’est-à-dire, les régimes ou les gouvernements fondés par un simple législateur. — Plusieurs éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent המונחים לא המושמים; au lieu de לא, il faut lire ל״א, abréviation de לשון אחר, car les mots המונחים et המושמים sont deux traductions différentes du mot arabe אלמוצׄועה̈. Cf. le t. I, p. 411, note 2., ceux de la Loi divine et ceux émanés d’hommes qui ont fait des emprunts aux paroles des prophètes, en s’en vantant et en se les attribuant. Quant aux lois que leurs auteurs ont expressément déclarées être l’œuvre de leur réflexion(2)Littéralement: que ce sont des lois qu’ils ont posées au moyen de leurs réflexions., tu n’as besoin(3)Le verbe תחתאגׄ est la 2e personne du masculin, le ms. de Leyde, n° 18, porte יחהאגׄ, à la 3e personne, et de même Ibn-Tibbon, לא יצטרך. pour cela d’aucune argumentation, l’aveu de l’adversaire rendant inutile toute preuve. Je ne veux donc te faire connaître que les régimes qu’on proclame prophétiques, et qui, en partie, sont réellement prophétiques, je veux dire divins, en partie législatifs et en partie des plagiats(4)C’est-à-dire, des emprunts faits aux prophètes, mais qu’on a voulu faire passer pour des œuvres originales. — Le mot מנתחלח̈, qu’Al-’Harizi rend par לקוחות מזולתו, a été ainsi paraphrasé par Ibn-Tibbon: שיאמר אומרם שהוא אמרם מלבו ולקחם מזולתו. Cf. le t 1, p. 419, note 1..", "Si donc tu trouves une loi qui n’a d’autre fin et dont l’auteur, qui en a calculé les effets, n’a eu d’autre but que de mettre en bon ordre l’État et ses affaires et d’en écarter l’injustice et la violence, sans qu’on y insiste, en aucune façon, sur des choses spéculatives, sans qu’on y ait égard(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, השגה est une faute d’impression pour השגחה. au perfectionnement de la faculté rationnelle, et sans qu’on s’y préoccupe des opinions, qu’elles soient saines ou malades, tout le but étant, au contraire, de régler, à tous les égards, les rapports mutuels des hommes et (de faire) qu’ils obtiennent une certaine félicité présumée(2)Le mot מטׄנונח̈, qu’Ibn-Tibbon a rendu par les mots ראה אותו, manque dans le ms. de Leyde, n° 18, et n’a pas été rendu dans la version d’Al-’Harîzi, qui porte: ושישיגו שום הצלחה בעצת המנהיג ההוא., selon l’opinion du législateur, — (si, dis-je, tu trouves une telle loi,) tu sauras que cette loi est (purement) législative et que son auteur, comme nous l’avons dit, est de la troisième classe, je veux dire de ceux qui n’ont d’autre perfection que celle de la faculté imaginative(3)Voy. ci-dessus, p. 291..", "Mais, si tu trouves une loi dont toutes les dispositions visent(4)Les éditions de la vers. d’Ibn-Tibbon ont מעויניס; il faut lire, selon les mss., מעייניס. (non-seulement) à l’amélioration des intérêts corporels, dont on vient de parler, mais aussi à l’amélioration de la foi, s’efforçant tout d’abord de répandre des opinions saines sur Dieu et sur les anges, et tendant à rendre l’homme sage, intelligent et attentif, pour qu’il connaisse tout l’être selon sa vraie condition, alors tu sauras que ce régime émane de Dieu et que cette loi est divine. ", "Mais il te restera encore à savoir si celui qui la proclame est luimême l’homme parfait auquel elle a été révélée, ou si c’est une personne qui s’est vantée de ces discours et se les est faussement attribués. — Pour en faire l’expérience, il faut examiner (jusqu’où va) la perfection de cette personne, épier(5)Dans la version d’Ibn-Tibbon, le verbe arabe est rendu par les deux verbes ילחקור ולדעת; les mss. ont ולחקור ולבדוק, ce qui est une double traduction du verbe arabe. La version d’Al-’Harîzi porte ולדקדק על פעליו. ses actions et considérer sa conduite. Le plus important critérium que tu puisses avoir, c’est la répulsion et le mépris (qu’aurait cette personne) pour les plaisirs corporels; car c’est là le premier pas des hommes de science, et, à plus forte raison, des prophètes, particulièrement en ce qui concerne celui des sens, qui est une honte pour nous, comme le dit Aristote(1)Voy. ci-dessus, p. 285, note 3., et notamment la souillure de la cohabitation qui en dérive. C’est pourquoi Dieu a confondu(2)Le verbe פצׄח, qui signifie confondre, couvrir publiquement de honte, a été rendu, dans la version d’Ibn-Tibbon, par עבר ופרסם. Al-’Harîzi traduit plus exactement: וע״כ גלה בה הבורא חרפת כל מתנחלי הנבואה. — Apres les mots , quiconque s’arrogeait, il faut sous-entendre le don de prophétie; les deux traducteurs hébreux ont suppléé cette ellypse. Le sens de cette phrase est: que Dieu a confondu les faux prophètes en démasquant leur hypocrisie et en faisant voir publiquement que c’étaient des hommes débauchés qui commettaient l’adultère. par cette dernière quiconque s’arrogeait (la prophétie), afin que la vérité fût connue à ceux qui la cherchaient et qu’ils ne fussent pas égarés et induits en erreur. Tu en vois un exemple(3)Littéralement: Ne vois-tu pas Sidkia etc?…, comment ils s’arrogèrent la prophétie, et les hommes les suivaient etc.? dans Sidkia, fils de Masséïa, et Achab, fils de Kolaïa, qui s’arrogèrent la prophétie et attirèrent les hommes, en débitant des discours prophétiques révélés à d’autres(4)C’est ce que l’auteur paraît trouver dans les paroles de Jérémie, citées ci-après: et qu’ils avaient dit des paroles de mensonge que je ne leur avais pas commandées. Le mensonge consistait, selon l’auteur, en ce qu’ils s’attribuaient des paroles prononcées par d’autres prophètes., mais qui (en même temps) se livrèrent à l’ignoble plaisir vénérien, au point de commettre l’adultère avec les femmes de leurs amis et de leurs partisans, jusqu’à ce qu’enfin Dieu les dévoilât, comme il en avait confondu d’autres, de sorte que le roi de Babylone les fit brûler, comme le dit clairement Jérémie: On les prendra comme exemple de malédiction pour tous les captifs de Juda qui sont à Babylone, et on dira: Que Dieu te rende semblable à Sidkia et à Achab, que le roi de Babylone a fait consumer par le feu. Parce qu’ils ont commis une indignité avec les femmes de leurs prochains, et qu’ils ont dit en mon nom des paroles de mensonge que je ne leur avais pas commandées. C’est moi qui le sais et qui en suis témoin, dit l’Éternel (Jérém., XXIX, 22 et 23). Comprends bien l’intention de cela(1)C’est-à-dire: l’intention de ce qui a été dit dans ce dernier paragraphe, pour faire la distinction entre le véritable prophète et le plagiaire.." ], [ "Je n’ai pas besoin d’expliquer ce que c’est que le songe. Quant à la vision (מראה), — par exemple, je me fais connaître à lui dans une vision (Nomb., 12, 6), — qu’on désigne par le nom de מראֵה הנבואה, vision prophétique(2)L’auteur veut dire que ce que l’Écriture appelle מראׇה, les théologiens l’expliquent par מראֵה הנבואה, ce qui est vu dans l’état de prophétie, vision prophétique., qui (dans l’Écriture) est aussi appelée יד י״י, main de l’Éternel(3)Voy. II Rois, 3, 15; Ézéchiel, 1, 3; III, 22; XXXVII, 1; XL, 1., et qui porte aussi le nom de MAHAZÉ (מחזה) (4)Mot dérivé du verbe ’HAZA (הזה), voir. Voy. Genèse, 15, 1; Nombres, 24, 4 et 16., c’est un état d’agitation et de terreur qui saisit le prophète quand il est éveillé, comme cela est exposé, au sujet de Daniel, dans ces mots: Je vis cette grande vision, et il ne resta pas de force en moi; ma bonne mine se changea et se décomposa, et je ne conservais pas de vigueur; et il continue: Je tombai étourdi sur ma face, ayant le visage contre terre (Daniel, 10, 8, 9). Quand ensuite l’ange lui adresse la parole et le fait lever, cela se passe encore dans la vision prophétique. Dans un pareil état, les sens cessent de fonctionner; cet épanchement (dont j’ai parlé) se répand sur la faculté rationnelle, et de là sur la faculté imaginative, de sorte que celle-ci se perfectionne et fonctionne(1)Voy. ci-dessus, au commencement du chap. XXXVII.. Parfois la révélation commence par une vision prophétique; puis cette agitation et cette forte émotion, suite de l’action parfaite de l’imagination, vont s’augmentant, et alors arrive la révélation (véritable). C’est là ce qui eut lieu pour Abraham; car (en parlant) de cette révélation, on commence par dire: La parole de l’Éternel fut adressée à Abram dans une vision (Genèse, 15, 1), et à la fin (on dit), et un profond assoupissement pesa sur Abram (ibid., V. 12); et ensuite: Et il dit à Abram etc. (ibid., V. 13-16).", "Sache que ceux d’entre les prophètes qui racontent avoir eu une révélation, tantôt l’attribuent (expressément) à un ange, tantôt à Dieu, bien qu’elle ait eu lieu indubitablement par l’intermédiaire d’un ange; les docteurs se sont prononcés là-dessus, en disant: «El l’Éternel lui dit (ibid, XXV, 23), par l’intermédiaire d’un ange(2)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 63 (fol. 55, col. 2), où R. Levi dit, au nom de R. Aba, que Dieu parla à Rebecca par l’intermédiaire d’un ange..» — Il faut savoir que, toutes les fois qu’un passage (de l’Écriture) dit de quelqu’un qu’un ange lui parla, ou que la parole de Dieu lui fut adressée, cela n’a pu avoir lieu autrement que dans un songe ou dans une vision prophétique.", "Les termes employés dans les livres prophétiques nous présentent quatre modes de s’exprimer sur la parole adressée aux prophètes(3)Littéralement: La relation (ou l’énoncé) de la parole adressée aux prophètes, selon l’expression qui se présente dans les livres prophétiques, se fait de quatre manières.: Le premier mode, (c’est quand) le prophète dit expressément(4)Dans aucun de nos mss. le verbe יצרח n’est précédé de la conjonction אן; et de même, Ibn-Tibbon a simplement יגלה. La version d’Al-’Harîzi porte שיאמר הנביא. que ce discours est venu de l’ange, dans un songe ou dans une vision. Le deuxième mode, c’est qu’il rapporte seulement le discours qui lui a été adressé par l’ange, sans dire expressément que ç’a été dans un songe, ou dans une vision, étant sûr que c’est une chose (généralement) connue qu’il n’existe de révélation que de l’une des deux manières: Je me fais connaître à lui dans une vision, je lui parle dans un songe (Nombres, 12, 6). Le troisième mode, c’est qu’il ne parle point d’un ange, mais qu’il attribue la parole à Dieu, qui la lui aurait adressée lui-même, déclarant toutefois que cette parole lui est parvenue dans une vision ou dans un songe. Le quatrième mode, c’est que le prophète dit simplement que Dieu lui a parlé, ou qu’il lui a ordonné d’agir(1)Les deux traducteurs hébreux ont omis l’impératif אפעל, à cause de sa synonymie avec אצנע., de faire (telle chose) ou de parler de telle manière, sans qu’il parle expressément ni d’ange, ni de songe, en se fiant à ce qui est connu et a été posé en principe(2)Dans la version d’Ibn-Tibbon, même dans les mss., on lit והשודש, ce qui évidemment est une faute de copiste, pour והושרש., (à savoir) qu’aucune prophétie, aucune révélation, n’arrive autrement que dans un songe, ou dans une vision, et par l’intermédiaire d’un ange.", "On s’exprime selon le premier mode dans les passages suivants: Et l’ange de Dieu me dit dans un songe (Genèse, 31, 11); Et Dieu dit à Israël dans les visions de la nuit (ibid. XLVI, 2); Et Dieu vint à Bileam; Et Dieu dit à Bileam (Nomb., 22, 9 et 12)(3)Dans les trois derniers exemples, comme dans ceux du deuxième mode, le mot ÉLOHIM (Dieu) désigne, selon notre auteur, un ange (voy. le t. I, ch. II, p. 37, et ci-dessus, ch. VI, p. 66), et il est à remarquer que, pour le troisième et le quatrième mode, l’auteur ne cite que des exemples où Dieu est désigné par le nom tétragramme. En ce qui concerne les deux derniers exemples, il faut se rappeler que, s’il n’y est pas dit expressément que la vision de Bileam eut lieu dans un songe, cela résulte du verset 8, où Bileam dit aux ambassadeurs de Balak: Passez ici la nuit, et je vous rendrai réponse. — Le deuxième et le troisième exemple manquent dans la version d’Ibn-Tibbon.. — Pour le deuxième mode, on peut citer les exemples suivants: Et Dieu dit à Jacob: Lève-toi, monte à Béthel (Genèse, 35, 1); Et Dieu lui dit: ton nom est Jacob (ibid., V. 10); Et un ange de l’Éternel lui cria du ciel; Et l’ange de l’Éternel lui cria une seconde fois etc. (ibid., XXII, 11 et 15); Et Dieu dit à Noé (ibid., VI, 13); Et Dieu parla à Noé (ibid., VIII, 15). — Un exemple du troisième mode se trouve dans ce passage: La parole de l’Éternel fut adressée à Abram dans une vision etc. (ibid., XV, 1). — Pour le quatrième mode, on trouve les exemples suivants: Et l’Éternel dit à Abram (ibid., XII, 1); L’Éternel dit à Jacob: Retourne dans le pays de tes pères (ibid., XXXI, 3); Et l’Éternel dit à Josué (Josué, 3, 7); Et l’Éternel dit à Gédéon (Juges, 7, 2)(1)Si l’auteur cite ici l’exemple de Gédéon, il faut l’entendre dans ce sens que la parole de l’Éternel s’adressa à un prophète qui parla à Gédéon; car Gédéon lui-même n’était point prophète, comme le déclare l’auteur plus loin, chap. XLVI.. Et c’est ainsi qu’ils (les prophètes) s’expriment pour la plupart: Et l’Éternel me dit (Isaïe,8, 1); Et la parole de l’Éternel me fut adressée (Ézéchiel, XXIV, 1); Et la parole de l’Éternel fut adressée (II Sam., 24, 11; 1 Rois, XVIII, 1); Et voilà que lui arriva la parole de l’Éternel (I Rois, 19, 9)(2)Les mots והנה דבר י״י אליו se trouvent aussi au chap. XV de la Genèse, verset 4; mais l’auteur n’a pu avoir en vue ce passage, qui se rattache au verset 1 du même chapitre, et appartient, par conséquent, au troisième mode.; La parole de l’Éternel fut adressée (Ézéch., 1, 3); Première allocution de l’Éternel à Hosée (Hos., I, 2); La main de l’Éternel fut sur moi (Ézéch., 37, 1; XL, 1). Il y a beaucoup d’exemples de cette espèce.", "Tout ce qui est présenté selon l’un de ces quatre modes est une prophétie, et celui qui le prononce est un prophète. Mais, quand on dit: «Dieu vint auprès d’un tel dans un songe de la nuit,» il ne s’agit point là de prophétie, et cette personne n’est point prophète. En effet, on veut dire (seulement) qu’il est venu à cette personne un avertissement de la part de Dieu, et on nous déclare ensuite que cet avertissement se fit au moyen d’un songe; car, de même que Dieu fait que telle personne se mette en mouvement pour sauver une autre personne ou pour la perdre, de même il fait naître, au moyen de ce qu’on voit dans un songe, certaines choses qu’il veut faire naître. Certes, nous ne doutons pas que l’Araméen Laban ne fût un parfait scélérat et en même temps un idolâtre; et, pour ce qui est d’Abimélech, bien qu’au milieu de son peuple il fût un homme pieux, notre père Abraham dit de sa ville et de son royaume: Certes, il n’y a pas de crainte de Dieu dans ce lieu (Genèse, 20, 11); et cependant, de chacun des deux, je veux dire de Laban et d’Abimélech, on dit (que Dieu lui apparut dans un songe): Et Dieu vint auprès d’Abimélech dans un songe de la nuit (ibid., V. 3), et de même (on dit) de Laban: Dans un songe de la nuit (ibid., XXXI, 24)(1)Au lieu des mots וכדׄלך פי לבן בחלום הלילה, qu’ont généralement les mss. arabes, mais qui ont été supprimés dans le ms. de Leyde, n° 18, et dans la version d’Al-’Harîzi, Ibn-Tibbon donne textuellement le passage de la Genèse, ch. 31, V. 24: ויבא אלהים אל לבן האדמי בחלום הלילה. En général, la construction de cette phrase est peu logique, et nous avons dû suppléer dans notre traduction les mots: que Dieu lui apparut dans un songe, qui sont sous-entendus.. Il faut donc te pénétrer de cela et faire attention à la différence qu’il y a entre les expressions: Dieu vint et Dieu dit, et entre les expressions dans un songe de la nuit et dans les visions de la nuit; car de Jacob on dit: Dieu DIT à Israël dans les visions de la nuit (ibid., XLVI, 2), tandis que de Laban et d’Abimélech (on dit): Et Dieu VINT etc. dans un songe de la nuit; c’est pourquoi(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont וכל זה, ce qui n’est qu’une faute d’impression pour ולזה, leçon des mss. Onkelos le traduit par ואתא מימר מן קדם י״י, et il vint une PAROLE de la part de Dieu, et il ne dit point (en parlant) des deux derniers: ואתגלי י״י, et Dieu se révéla.", "Il faut savoir aussi qu’on dit parfois: l’Éternel dit à un tel, sans qu’il s’agisse (directement) de ce personnage(3)Littéralement: sans que ce soit ce tel; c’est-à-dire, sans que ce soit à lui que la parole divine se soit adressée directement. — La plupart des mss. portent: ולים יכון דׄלך אלפלוני ולא אתאה, et c’est cette leçon que nous avons adoptée. Au lieu de אלפלוני, le ms. de Leyde, n° 18, porte לפלוני, leçon qu’a aussi la version d’Ibn-Tibbon. Le ms. de la Biblioth. imp. (anc. fonds hébr., n° 237) porte: ולים יכון דׄלך אלפלוני אתאה, en supprimant le mot ולא, qu’ont tous les autres mss. arabes, ainsi que les deux versions hébraïques. Le ms. de Leyde, n° 221, porte: ולם יכן דׄלך אלפלוני נביא, «sans que ce tel fût prophète.» Ai-’Harîzi traduit: ולא ידבר עם פלוני ולא באה נבואה אליו מעולם. Ces différentes variantes ne proviennent que de ce que la leçon primitive offre de singulier au premier coup d’œil; car les mots ולים יכון דׄלך אלפלוני peuvent se traduire: sans que ce tel fût (ou existât)., et sans qu’il ait jamais eu de révélation, mais où la communication s’est faite par l’intermédiaire d’un prophète. Ainsi, par exemple, au sujet de ce passage: Et elle alla interroger l’Éternel (ibid., XXV, 22), on a dit expressément (qu’elle s’adressa) «à l’école d’Eber(1)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 63 (fol. 55, col. 2). Au lieu de עבר, les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont, comme les éditions du Midrasch, שם ועבר,»; ce fut celui-ci qui lui répondit, de sorte que c’est de lui qu’on a parlé en disant: Et l’ÉTERNEL lui dit (ibid., V. 23)(2)C’est-à-dire: que ce fut Éber qui répondit à Rébecca au nom de l’Éternel.. S’il est vrai qu’on a dit aussi: «Et l’ÉTERNEL lui dit, par l’intermédiaire d’un MALAKH (ange ou messager)(3)Voy. ci-dessus, p. 314, note 2.,» on peut interpréter cela (dans ce sens) que c’est Eber qui est le MALAKH; car le prophète aussi est appelé MALAKH, comme nous l’exposerons(4)Voy. le chap. suivant.. Il se peut aussi qu’on ait voulu indiquer l’ange qui apporta cette prophétie à Eber; ou bien, (il se peut) qu’on ait voulu déclarer par là que, partout où l’on trouve un discours simplement attribué à Dieu, il faut admettre l’intermédiaire d’un ange, (et cela) pour tous(5)Le mot סאיר est ici employé dans le sens de כל ou גׄמיע, totalité, tous, et c’est dans le même sens qu’il faut aussi prendre quelquefois, dans les versions hébraïques, le mot שאר. — Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ici בשאד (avec câph); il faut lire בשאד (avec beth). les prophètes (en général), comme nous l’avons exposé." ], [ "Nous avons déjà exposé que, partout où on a parlé de l’apparition d’un ange, ou d’une allocution faite par lui, il ne peut être question que d’une vision prophétique, ou d’un songe(1)C’est-à-dire, d’un état où la faculté imaginative prend le dessus sur la perception des sens., n’importe qu’on l’ait ou non déclaré expressément, comme cela a été dit précédemment. Il faut savoir cela et t’en bien pénétrer. Peu importe qu’on dise tout d’abord de quelqu’un qu’il a vu l’ange, ou qu’on semble dire qu’il le prenait d’abord pour un individu humain, et qu’à la fin il devint manifeste pour lui que c’était un ange(2)Comme, par exemple, les trois hommes que vit Abraham (Genèse, 18, 2), et l’homme que vit Josué (Jos., 5, 13).; dès que tu trouves dans le dénoûment que celui qui a été vu et qui a parlé était un ange, tu sauras et tu seras certain que dès le commencement c’était une vision prophétique, ou un songe prophétique. En effet, dans la vision prophétique ou dans le songe prophétique, tantôt le prophète voit Dieu qui lui parle, comme nous l’exposerons, tantôt il voit un ange qui lui parle, tantôt il entend quelqu’un qui lui parle, sans voir la personne qui parle, tantôt enfin il voit un individu humain qui lui adresse la parole, et ensuite il lui devient manifeste que celui qui parlait était un ange(3)Sur ces différents degrés de prophétie, voy. ci-après, ch. XLV.. Dans la prophétie de cette dernière espèce, il raconte qu’il a vu un homme agir ou parler, et qu’ensuite il a su que c’était un ange.", "C’est ce principe important(4)C’est-à-dire, ce principe que, dans toutes les apparitions relatées de l’une des quatre manières dont il vient d’être parlé, il s’agit d’une vision ou d’un songe. qu’a professé un des docteurs, et même un des plus grands d’entre eux, à savoir R. ’Hayya le Grand, au sujet de ce passage du Pentateuque: Et l’Éternel lui apparut aux Chènes de Mamré, etc. (Genèse, 18, 1); car, après avoir d’abord dit sommairement que Dieu lui apparut, on commence par expliquer sous quelle forme eut lieu cette apparition, et on dit qu’il vit d’abord trois hommes, qu’il courut (au devant d’eux), qu’ils parlèrent et qu’il leur fut parlé(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent ואמרו מאמר אליהם; le mot מאמר n’est qu’une faute d’impression, pour ונאמר. Al-’Harîzi traduit: ודברו עמו והשיב להם.. Celui-là donc qui donne cette interprétation dit que ces paroles d’Abraham: Seigneur! si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe pas ainsi devant ton serviteur (ibid., v. 3) sont aussi une relation de ce que, dans la vision prophétique, il dit à l’un d’entre eux: «Ce fut, dit-il, au plus grand d’entre eux qu’il adressa la parole(2)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 48 (fol. 42, col. 4). — Ce passage est très obscur; car on ne comprend pas comment l’auteur a trouvé tout ce qu’il dit ici dans les quelques paroles de R. ’Hayya, qui ne paraissent avoir d’autre but que d’expliquer l’emploi du singulier dans le verset 3, tandis que dans les versets suivants Abraham s’adresse aux trois anges à la fois et parle toujours au pluriel. R. ’Hayya dit donc qu’Abraham adressa la parole au principal d’entre eux, qui était Micaël. Pour résoudre la difficulté, Abravanel (Comment. sur le Moré, II, fol. 40 a) pense qu’il faut se reporter aux deux opinions émises par les docteurs sur le mot אדני, Seigneur, employé dans le verset 3; selon les uns, ce mot remplace le nom tétragramme du verset 1 et désigne Dieu lui-même; selon les autres, il désigne l’un des trois hommes dont parle le verset 2. Selon la première opinion, la vision, dans laquelle Abraham se représentait dans son esprit Dieu lui-même, ou la cause suprême, aurait été interrompue par l’apparition des trois hommes, et Abraham, distrait par cette apparition, aurait prié Dieu de ne pas s’éloigner de lui, c’est-à-dire, qu’il aurait fait des efforts pour ne pas se laisser interrompre dans sa contemplation de la Divinité. Selon la seconde opinion, l’apparition des trois hommes serait identique avec celle de Dieu, dont parle le verset 1; de sorte que le verset 2 et les suivants ne feraient qu’expliquer en détail la nature de la manifestation divine du verset 1. Or, R. ’Hayya, professant évidemment la seconde opinion, il s’ensuit que, selon lui, tous les détails racontés à partir du verset 2 sont une vision prophétique, au même titre que l’apparition de Dieu au verset 1, qui ne ferait que résumer l’ensemble des détails qui suivent. — Sans doute, c’est expliquer avec trop de subtilité les simples paroles de R. ’Hayya; mais c’est conforme à la manière dont Maïmonide, en général, interprète les paroles souvent si naïves des anciens docteurs..» Il faut aussi te bien pénétrer de ce sujet, car il renferme un profond mystère(1)Littéralement: car il est un mystère d’entre les mystères. La version d’Ibn-Tibbon porte: בםוד מן הםודות; au lieu de בםוד (mss. כםור), il faut lire בי הוא םוד, comme a la version d’Al-’Harîzi. — Le mystère dont l’auteur veut parler, c’est que tous les détails racontés au ch. XVIII de la Genèse, le repas que firent les trois hommes, les paroles qu’ils adressèrent à Sara, etc., n’arrivèrent pas réellement et ne se passèrent que dans l’imagination d’Abraham, c.-à-d. dans une vision prophétique. Il en est de même, comme l’auteur va le dire, de la lutte de l’ange avec Jacob, de ce qui arriva à Bileam avec son ânesse, de l’ange qui apparut à Josué devant Jéricho, et de beaucoup d’autres récits bibliques, qui doivent être considérés comme des visions prophétiques. Cette opinion, comme on le pense bien, a trouvé, parmi les théologiens juifs, de nombreux contradicteurs. Voy. notamment la polémique de R. Moïse ben-Na’hman, dans son commentaire sur la Genèse, au ch. XVIII.. ", "Je dis de même que, dans l’histoire de Jacob, quand on dit: Et un homme lutta avec lui (ibid., XXXII, 25), il s’agit d’une révélation prophétique, puisqu’on dit clairement à la fin (versets 29 et suiv.) que c’était un ange. Il en est exactement comme de l’histoire d’Abraham, où l’on raconte d’abord sommairement que Dieu lui apparut etc., et ensuite on commence à expliquer comment cela se passa. De même, au sujet de Jacob, on dit (d’abord): Des anges de Dieu le rencontrèrent (ibid., V. 2); ensuite on commence à exposer ce qui se passa jusqu’au moment où ils le rencontrèrent, et on dit qu’il envoya des messagers (à Esaü), et qu’après avoir agi et avoir fait (telle et telle chose), Jacob resta seul etc. (ibid., V. 25); car ici il s’agit de ces mêmes anges de Dieu dont on a dit d’abord des anges de Dieu le rencontrèrent(2)L’auteur veut dire qu’au verset 25, où l’on dit: Jacob étant resté seul, un homme lutta avec lui, il faut voir, dans l’homme qui lutta, l’un des anges de Dieu dont parle le verset 2., et cette lutte, ainsi que tout le dialogue (qui suit), eut lieu dans une vision prophétique. De même, tout ce qui se passa avec Bileam sur le chemin (Nombres, 22, 22 et suiv.), ainsi que le discours de l’ânesse, (tout cela, dis-je,) eut lieu dans une vision prophétique(1)Il faut rappeler ici que, selon les anciens docteurs juifs, le don de prophétie était accordé aussi à certains sages païens, qui avaient pour mission de prédire la fortune du peuple d’Israël. Voy. ce qui est dit, au sujet de Bileam, dans le Midrasch du Lévitique ou Wayyikra rabbà, sect. 1 (fol. 147, col. 1), et dans le Midrasch du Cantique, ou Schîr ha-schîrîm rabbâ, au ch. II, V. 3 (fol. 9, col. 4)., puisqu’on dit expressément à la fin (verset 32) que l’ange de l’Éternel lui parla(2)Ce qui, comme le dit l’auteur au commencement de ce chapitre, indique un songe, ou une vision prophétique.. De même encore, au sujet de ces paroles (du livre) de Josué (5, 13), il leva ses yeux et vit qu’un HOMME se tenait en face de lui, je dis que cela eut lieu dans la vision prophétique, puisqu’il est clairement dit ensuite (V. 14 et 15) que c’était un prince de l’armée de l’Eternel. — [Quant à ce passage Et un MALAKH (messager) de l’Eternel monta de Guilgal etc. Et lorsque le MALAKH de l’Eternel dit ces paroles à tout Israël (Juges, 2, 1 et 4), les docteurs ont écrit que le MALAKH de l’Eternel dont on parle ici est Pinehas; ils s’expriment ainsi: «c’est Pinehas, qui, au moment où la majesté divine reposait sur lui, ressemblait à un malakh (ange) de l’Éternel(3)Cette citation n’est pas textuelle; car l’auteur paraît avoir en vue le passage suivant du Wayyikra rabbâ, sect. 1 (fol. 146, col. 1): וכי מלאך היה והלא פינחס היה ולמה קורא אותו מלאך אלא אמר ר׳ סימון פינחס בשעה שהיתה רוח הקדש שורה עליו פניו בוערות כלפידים..» ", "Nous avons déjà exposé que le nom de malakh est homonyme, et que le prophète aussi est appelé malakh(4)Voy. ci-dessus, ch. VI, p. 68, et cf. Wayyikra rabbâ (l. c.)., comme, par exemple, dans les passages suivants: Il envoya un MALAKH et nous fit sortir d’Egypte (Nomb., 20, 16); Et ’Haggaï, le MALAKH de l’Eternel, dit, suivant un message de l’Eternel (Hag., I, 13); Et ils se raillaient des MALAKHIM (messagers) de Dieu (Il Chron., XXXVI, 16).] — Quand Daniel dit: Et Gabriel, ce personnage que j’avais vu d’abord dans une vision, arriva à moi d’un vol rapide, vers le temps de l’oblation du soir (Dan., IX, 21), tout cela aussi eut lieu dans une vision prophétique; et il ne doit point te venir à l’idée qu’on ait pu voir un ange, ou entendre les paroles d’un ange, autrement que dans une vision prophétique ou dans un songe prophétique, comme il a été posé en principe (dans ce passage): Je me fais connaître à lui dans une vision, je lui parle dans un songe (Nomb., 12, 6). De ce que j’ai cité, tu tireras la preuve pour d’autres passages que je n’ai pas cités.", "Par ce que nous avons dit précédemment de la nécessité d’une préparation pour la prophétie(1)Voy. ci-dessus, ch. XXXII, troisième opinion., et par ce que nous avons dit de l’homonymie du nom de malakh, tu sauras que l’Égyptienne Hagar n’était pas une prophétesse, et que Manoah et sa femme n’étaient pas non plus prophètes(2)L’auteur veut expliquer ici ce qu’il faut entendre par l’ange qui apparut à Hagar (Genèse, 16, 7 et suiv.; XXI, 17), et par celui que virent Manoah et sa femme (Juges, 22, 3 et 11).; car la parole qu’ils entendirent, ou qui frappa leur esprit, était quelque chose de semblable à ce son de voix dont les docteurs parlent constamment et qui désigne une certaine situation dans laquelle peut se trouver une personne non préparée(3)L’auteur veut indiquer ici que la voix céleste dont il est souvent question dans les écrits des anciens rabbins (cf. Évangile de Matthieu, III, 17), et qu’ils appellent בת קול, fille de voix, son de voix, écho, n’est autre chose que le produit d’une imagination exaltée, par laquelle certaines personnes, qui ne possèdent aucune des qualités nécessaires pour les visions prophétiques, croient entendre des paroles qui leur sont adressées du ciel. Souvent même ces personnes croient voir des apparitions célestes, mais ce ne sont là que des fantômes de leur imagination; et c’est ce qui arriva à Hagar, ainsi qu’à Manoah et à sa femme.. Ce qui a donné lieu à se tromper là-dessus, c’est uniquement l’homonymie(1)C’est-à-dire: l’homonymie du mot malakh, qui est employé dans des acceptions diverses, a donné lieu à croire que, dans ce qui est dit de Hagar, ainsi que de Manoah et de sa femme, il s’agit réellement de l’apparition d’un ange.; mais c’est là (précisément) le principe qui lève(2)Au lieu de ירפע (avec rêsch), plusieurs mss. ont ידפע (avec daleth); de même Ibn-Tibbon, העקר הדוחה, et Al-’Harîzi,העקר אשר ידחה, le principe qui repousse (ou réfute). L’auteur veut dire que c’est justement l’homonymie du mot MALAKH, posée en principe, qui sert à lever les difficultés et à éclaircir les passages douteux. la plupart des difficultés du Pentateuque. ", "— Remarque bien que l’expression: Et l’ange la trouva (וימצאה) près de la source d’eau etc. (Genèse, 16, 7) ressemble à celle employée au sujet de Joseph: Et un homme le trouva (וימצאהו) errant dans la campagne (ibid., XXXVII, 15), où tous les Midraschîm disent que c’était un ange(3)L’auteur fait observer en terminant qu’on emploie, au sujet de Hagar, la même expression qu’au sujet de Joseph. Selon les Midraschîm, ou interprétations allégoriques, l’homme qui rencontra Joseph était un ange; mais on n’a pu vouloir attribuer à ce jeune enfant les perceptions sublimes des prophètes, et il est clair qu’on n’a parlé que d’une apparition que lui présentait son imagination surexcitée. Il en serait donc de même pour Hagar, au sujet de laquelle le texte de l’Écriture emploie les mêmes termes.." ], [ "Nous avons déjà exposé, dans nos ouvrages, que les prophètes présentent quelquefois leurs prophéties sous forme de paraboles(4)Littéralement: que les prophètes prophétisent quelquefois par des paraboles. Voy. Abrégé du Talmud, traité Yesôdé ha-Tôrâ, ch.VII, § 3.—Les mss. arabes ont généralement תואליפנא, au pluriel, nos ouvrages; les versions hébraïques ont, l’une בחבורנו, l’autre בספרנו, au sing.; c’est que parfois (le prophète) voit une chose par parabole, et ensuite le sens de la parabole lui est expliqué dans cette même vision prophétique. Il en est comme(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut effacer le mot כי, et lire seulement כמו, comme ont les mss., et aussi Al-’Harîzi. d’un homme qui a un songe, et qui, dans ce songe même, s’imagine qu’il s’est éveillé, qu’il a raconté le songe à un autre, et que celui-ci lui en a expliqué le sens, tandis que le tout n’était qu’un songe. C’est là ce qu’on appelle: «un songe qui a été interprété dans un songe(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 55 b.,» tandis qu’il y a aussi des songes dont on connaît le sens après s’être éveillé. De même, le sens des paraboles prophétiques est parfois expliqué dans la vision prophétique, comme cela est évident à l’égard de Zacharie, qui dit, après avoir d’abord présenté certaines paraboles: Et l’ange qui m’avait parlé revint, et m’éveilla comme un homme qu’on éveille de son sommeil; et il me dit: que vois-tu? etc. (Zach., IV, 1 et 2); ensuite il (l’ange) lui explique la (nouvelle) parabole(3)Zacharie, après avoir présenté, dans les ch. I-III, plusieurs paraboles, raconte au ch. IV une nouvelle vision qu’il a eue et qui est présentée par la parabole du chandelier à sept branches; puis le sens de cette parabole lui est expliqué par l’ange dans cette même vision, d’abord le sens général et ensuite les détails (ch. IV, V. 6-14).. ", "Et cela est de même évident à l’égard de Daniel; car il est dit d’abord: Daniel vit un songe, et sur sa couche (il eut) des visions dans sa tête (Dan., VIII, 1); et après avoir rapporté toutes les paraboles et avoir exprimé combien il était affligé de ne pas en connaître l’explication, il interroge enfin l’ange, et celui-ci lui en fait connaître l’explication, dans cette même vision: Je m’approchai, dit-il, de l’un des assistants, et je lui demandai la vérité sur tout cela; il me parla et me fit connaître l’interprétation de ces choses (ibid., V. 16). Après avoir dit qu’il vit un songe, il appelle tout l’événement ’HAZÔN (une vision), parce que, comme il le dit, ce fut un ange qui le lui expliqua dans un songe prophétique. Il dit donc, après cela: Une vision (’HAZÔN) m’apparut, à moi Daniel, après celle qui m’était apparue d’abord (ibid., VIII, 1). Cela est clair(1)C’est-à-dire: il est clair qu’il s’agit ici d’une vision, désignée par le mot ’HAZÔN.; car ’HAZÔN est dérivé du verbe ’HAZA, comme MAREA (vision) est dérivé de RAA, et les deux verbes ont le même sens (celui de voir), de sorte qu’il n’y a pas de différence entre les mots MAREA, MAHAZÉ et ’HAZÔN. Il n’y a pas de troisième voie (de prophétie) outre ces deux voies dont parle le Pentateuque: Je me fais connaître à lui dans une VISION, je lui parle dans un SONGE (Nombres, 12, 6)(2)L’auteur veut dire que le mot ’HAZÔN (חזון) ne saurait indiquer une troisième voie d’inspiration prophétique, et il est nécessairement synonyme de MAREA (מראה) et de MAHAZÉ (מחזה).; mais il y a en cela des gradations, comme on l’exposera(3)Voir ci-après, ch. XLV..", "— Cependant, parmi les paraboles prophétiques, il y en a aussi beaucoup dont le sens n’est point expliqué dans la vision prophétique, mais dont le prophète connaît l’intention après s’être réveillé, comme il en est, par exemple, des houlettes que prit Zacharie dans une vision prophétique(4)Voy. Zacharie, ch. 11, V. 7 et suiv. Le sens de cette parabole ne fut point expliqué au prophète dans sa vision, comme le fut celle du chandelier, mentionnée plus haut. Notre auteur essaye lui-même plus loin d’en indiquer le sens..", "Il faut savoir que, de même que les prophètes voient des choses qui ont un sens parabolique, — comme, par exemple, les lampes de Zacharie (Zach., 4, 2), les chevaux et les montagnes (ibid., VI, 1-7), le rouleau d’Ezéchiel (II, 9), le mur fait au niveau que vit(5)Presque tous les mss. portent: אלדׄי ראה; le mot ראה doit se prononcer ; il eût été plus correct de dire אלתי ראהא, le mot חומה étant du féminin; mais peut-être l’auteur a-t-il pensé au mot masculin אנך, ou à un mot arabe masculin tel que ou , mur. Le ms. du suppl. hébreu de la Bibliothèque impériale, n° 63, écrit de la main de R. Saadia Ibn Danan, porte אלתי ראה. Amos (7, 7), les animaux que vit Daniel (ch. 7 et VIII), la marmite bouillante que vit Jérémie (1, 13), et d’autres paraboles semblables, par lesquelles on a pour but de retracer certaines idées, — de même ils voient aussi des choses par lesquelles on veut (indiquer) ce que le nom de la chose vue rappelle par son étymologie ou par son homonymie, de manière que l’action de la faculté imaginative consiste en quelque sorte à faire voir une chose portant un nom homonyme, par l’une des acceptions duquel on est guidé vers une autre, ce qui aussi est une des espèces de l’allégorie(1)En d’autres termes: Les prophètes voient quelquefois des choses qui ne représentent pas par elles-mêmes un sujet allégorique, mais dont le nom seulement rappelle, par son étymologie, une certaine idée qui s’exprime par un nom semblable, de sorte que toute la vision ne se fonde que sur un jeu de mots, comme l’auteur va l’expliquer par quelques exemples.. Quand, par exemple, Jérémie dit: (qu’il voyait) MAKKEL SCHAKED, un bâton de bois d’amandier, son intention est de déduire (quelque chose) de l’homonymie du mot SCHAKED(2)C’est-à-dire, de jouer sur le double sens de la racine שקד, de laquelle dérivent à la fois le mot qui signifie amandier, et celui qui signifie vigilant, attentif, de sorte que la vision de l’amandier indique ces paroles de Dieu: car je suis vigilant pour accomplir ma parole. Cf. ci-dessus, ch. XXIX, p. 229, et ibid., note 2., et il dit ensuite: Car je suis SCHÔKED, vigilant, etc. (Jér., I, 11 et 12); car il ne s’agit ni de l’idée du bâton, ni de celle de l’amandier. De même, quand Amos voit KELOUB KAÏÇ, un panier de fruits d’été, c’est pour en déduire l’accomplissement du temps; et il dit: Car le KÈÇ (ou le terme) est venu (Amos, 8, 2). ", "— Ce qui est encore plus étonnant, c’est quand on éveille l’attention au moyen d’un certain nom dont les lettres sont aussi celles d’un autre nom, dans un ordre interverti(3)C’est-à-dire, quand le prophète, pour faire allusion à un certain sujet, se sert d’un nom qui, par lui-même, a un tout autre sens, mais dont les lettres transposées donnent le nom du sujet en question., quoi-qu’il n’y ait entre ces deux noms aucun rapport étymologique, ni aucune communauté de sens, comme on le trouve (par exemple) dans les paraboles de Zacharie, quand, dans une vision prophétique, il prend les deux houlettes(1)Plusieurs mss. ont les formes incorrectes אלעציאן et אלעצאיין; d’autres ont le pluriel , et de même Ibn-Tibbon, בלקחו המקלות, tandis qu’Al-’Harîzi a בקחתו שני מקלות. pour faire paître le troupeau et qu’il donne à l’une le nom de NOAM (grâce, faveur) et à l’autre, celui de ’HÔBELÎM (destructeurs)(2)Voy. Zacharie, ch. 11, V. 7; comme on va le voir, l’auteur, en citant cet exemple, a en vue le mot ’HÔBELÎM.. Dans cette parabole, on a pour but (d’indiquer): que la nation, dans son état primitif, jouissait de la faveur de l’Éternel qui l’a guidé et l’a dirigé, qu’elle était joyeuse d’obéir à Dieu et en éprouvait du plaisir(3)Au lieu de , le ms. de Leyde, n° 18, a מסרורה̈, qui a le même sens. Ce dernier mot a pu être changé en מסדדה̈, ce qui explique pourquoi la version d’Ibn-Tibbon a מיושרת; Al-’Harîzi traduit מאושרת בה., et que Dieu lui était propice et l’aimait — [comme il est dit: Tu as aujourd’hui exalté l’Eternel etc. et l’Eternel t’a exalté etc. (Deut. XXVI, 17 et 18)(4)Nous supposons que Maïmonide adopte pour le verbe האמיר le sens que lui attribue Ibn-Djana’h, dans son dictionnaire: ומענאה ענדי אלעלא ואלתרפיע ולדׄלך קיל ללגצן אלעאלי אמיר פמעני האמירך רפער ואעלאך «Il a, selon moi, le sens d’élévation et d’exaltation; c’est pourquoi on appelle la branche supérieure אָמִיר (Isaïe, 17, 6). Le sens de האמירך est donc: il t’a exalté et élevé.» Cf. le Dictionnaire de David Kim’hi.] —, lorsqu’elle était guidée et dirigée par Moïse et par les Prophètes qui lui succédèrent; mais qu’ensuite elle changea tellement de disposition qu’elle eut en aversion l’obéissance à Dieu, de sorte que Dieu l’eut en aversion et qu’il fit de ses chefs des destructeurs, comme Jeroboam et Manassé. Voilà (quel est le sens) selon l’étymologie; car ’HOBELÎM (חובלים) est de (la même racine que) MEHABBELÎM, מחבלים כרמים (qui DÉTRUISENT les vignes, Cantique, II, 15). Ensuite, il en déduit également, — je veux dire du nom de ’HOBELIM, — qu’ils avaient en aversion la Loi et que Dieu les avait en aversion. Mais ce sens ne peut être dérivé de ’HOBELÎM qu’au moyen de la transposition des lettres ’H, B, L; il dit donc, à l’égard de l’idée d’aversion et d’abomination que renferme cette parabole: Mon âme s’est retirée d’eux(1)Nous traduisons l’expression ותקצר נפשי dans le sens que l’auteur indique lui-même, au ch. XLI de la Ire partie (p. 147). et leur âme aussi a eu de l’aversion (BAHALA) pour moi (Zach., XI, 8), et il transpose les lettres ’H B L (חבל) pour en faire B ’H L (בחל).", "Selon cette méthode(2)C’est-à-dire, selon la méthode des allusions faites par l’étymologie ou l’homonymie des noms que portent les sujets représentés dans les paraboles., on trouve des choses extraordinaires, qui sont également des mystères, dans les mots NE-’HOSCHETH (נחשת), KALAL (קלל), RÉGHEL (רגל), ’ÉGHEL (עגל), et ’HASCHMAL (חשמל) employés dans la Mercabâ(3)C’est-à-dire, dans la vision d’Ézéchiel. Tous les mss. ar. ont וקלל et ועגל avec le ו copulatif, ce qui prouve que l’observation de l’auteur ne s’applique pas aux expressions נחשת קלל et רגל עגל (Ézéch., 1, 7), comme pourrait le faire croire la version d’Ibn-Tibbon, mais à chacun des quatre mots à part. Cf. ci-dessus, p. 229, et ibid., note 4.. Dans divers passages, (on trouve) d’autres mots qui, après cette observation, te deviendront clairs par l’ensemble du discours, si tu les examines bien dans chaque passage(4)Nous avons dû, pour la clarté, intervertir l’ordre des mots dans cette dernière phrase, dont voici la traduction littérale: Et dans (certains) endroits, il y a d’autres (mots) que ceux-là, qui, si tu les poursuis par ton esprit dans chaque endroit, te deviendront clairs par l’intention du discours, après cette observation. L’auteur veut dire, qu’outre les mots d’Ézéchiel qui viennent d’être cités, on en trouve çà et là d’autres, dont le sens, après l’observation faite ci-dessus, pourra être facilement deviné par l’ensemble de chaque passage, si on y applique bien son esprit. — Il faut ajouter, après בדׄהנך, les mots פי כל מוצׄע, qui se trouvent dans la plupart des mss. et que les deux versions hébraïques rendent par בבל מקום; ces mots manquent dans quelques mss. et ont été omis dans notre texte arabe.." ], [ "La prophétie n’a lieu qu’au moyen d’une vision ou d’un songe, comme nous l’avons exposé plusieurs fois, de sorte que nous n’avons plus à le répéter. Nous dirons maintenant que, lorsque le prophète est inspiré, il voit parfois une parabole, comme nous l’avons exposé à plusieurs reprises. Parfois il croit voir(1)Le texte dit simplement: ירי, il voit; mais le sens est nécessairement: il croit voir, ou il lui semble voir, et encore cela ne peut-il arriver dans une vision proprement dite, mais seulement dans un songe. Voy. ci-dessus, p. 314, et ci-après, chap. XLV, septième degré, et ibid., XIe degré, p. 344, note 3. Dieu qui lui parle dans une vision prophétique, comme a dit Isaïe (6, 8): Et j’ entendis la voix de l’Éternel qui disait: Qui enverrai-je et qui ira pour nous? D’autres fois il entend un ange qui lui parle et qu’il voit, ce qui est très fréquent, comme dans ces passages: Et l’ange de Dieu me dit etc. (Genèse, 31, 11)(2)Ce passage a été omis dans la version d’Ibn-Tibbon; mais il se trouve dans tous les mss. du texte arabe et dans la version d’Al-’Harîzi.; Et il me dit: Ne sais-tu pas ce que signifient ces choses ? Et l’ange qui me parlait répondit etc. (Zach., IV, 5)(3)Dans cette citation, le passage biblique a été transposé, sans doute par une erreur de mémoire. Nous avons reproduit la citation telle qu’elle se trouve dans tous les mss. arabes et dans les deux versions hébraïques.; Et j’entendis un saint qui parlait (Daniel, 8, 13); cela est trop fréquent pour qu’on puisse énumérer (tous les exemples). D’autres fois le prophète voit un personnage humain qui lui parle, comme il est dit dans Ézéchiel (XL, 3 et 4): Et voici un personnage dont l’aspect était comme celui de l’airain etc.; Et ce personnage me dit: Fils de l’homme etc., après qu’on avait dit d’abord (v. 1): La main de l’Éternel fut sur moi(1)L’expression יד י״י, la main de l’Éternel, prouve qu’il s’agit d’une vision prophétique. Voy. ci-dessus, au commencement du ch. XLI.. D’autres fois enfin, le prophète, dans la vision prophétique, ne voit aucune figure, mais entend seulement des paroles qui s’adressent à lui, comme a dit Daniel: Et j’entendis la voix d’un homme du milieu du (fleuve) Oulaï (Dan., VIII, 16), et comme a dit Éliphaz: Il y avait du silence, et j’entendis une voix (Job, 4, 16), et comme a dit aussi Ézéchiel: Et j’entendis quelqu’un qui me parlait (Ézéch., 2, 2); car ce qui lui parlait, ce n’était pas cette chose qu’il avait perçue dans la vision prophétique; mais, après avoir raconté en détail cette chose étonnante et extraordinaire qu’il déclare avoir perçue, il commence (à exposer) le sujet et la forme de la révélation, et il dit: J’entendis quelqu’un qui me parlait(2)L’auteur veut justifier la citation qu’il fait du passage d’Ézéchiel à l’appui de cette 5e catégorie, où le prophète entend une voix sans voir aucune figure. Il dit donc qu’il ne faut pas croire que ce qui parlait à Ézéchiel, c’était cette sublime apparition dont il parle au ch. I, v. 26, et dont il décrit l’entourage avec tant de détails; ce fut, au contraire, un être invisible qui lui parlait pour lui donner la mission exposée au ch. II, v. 3 et suiv..", "Après avoir d’abord parlé de cette division (des révélations prophétiques), qui est justifiée par les textes, je dirai que ces paroles que le prophète entend dans la vision prophétique, son imagination les lui présente quelquefois extrêmement fortes, comme quand un homme rêve qu’il entend un fort tonnerre, ou qu’il voit un tremblement de terre ou un feu du ciel(3)Le mot désigne le feu du ciel, ou la foudre; dans deux passages du t. Ier, p. 220 et p. 369, ce mot a été inexactement traduit par orage; Ibn-Tibbon l’a rendu dans les trois passages par זועה, ce qui n’est pas exact; au chap. XII de la IIIe partie, il a plus exactement: הברקים העצומים. Selon la définition d’Al-Kazwîni, le mot désigne un météore igné: c’est un feu qui tombe du ciel, qui brûle tous les corps qu’il rencontre, et qui pénètre dans la terre et dans les rochers les plus durs. Voy. Al-Kazwîni, ’Adjâyib al-makhloukât, publié par M. Wüstenfeld (Gœtting, 1849, in-4°), p. 91.; car souvent on a de ces rêves. ", "D’autres fois, les paroles qu’il entend dans la vision prophétique sont semblables au langage habituel et familier, de sorte qu’il n’y trouve rien d’étrange. C’est ce qui te deviendra clair par l’histoire du prophète Samuel, qui, lorsque Dieu l’appela dans un moment d’inspiration, croyait que c’était le prêtre Éli qui l’avait appelé trois fois successivement; ensuite l’Écriture en explique la cause, et on dit que ce qui lui produisait cet effet, de sorte qu’il croyait que c’était Éli, c’est qu’il ne savait pas alors que la parole de Dieu s’adressait aux prophètes sous cette forme, ce mystère ne lui ayant pas encore été révélé. On dit donc, pour en donner la raison(1)Ibn-Tibbon, peut-être pour éviter une répétition inutile, amis simplement והוא אמרו; Al-’Harîzi traduit plus littéralement: ואמר בטעם זה.: Samuel ne connaissait pas encore l’Éternel, et la parole de l’Éternel ne lui avait pas encore été révélée (I Sam., 3, 7), ce qui veut dire qu’il ne savait pas encore et qu’il ne lui avait pas encore été révélé que c’était ainsi (que se manifestait) la parole de l’Éternel. Quand on dit(2)La version d’Ibn-Tibbon porte: או יהיה אמרו; celle d’Al-’Harîzi a plus exactement ומה שאמר. qu’il ne connaissait pas encore l’Éternel, cela signifie qu’il n’avait eu auparavant aucune inspiration prophétique; car il a été dit de celui qui prophétise: Je me fais connaître à lui dans une vision (Nomb., 12, 6). La traduction du verset, si on a égard (seulement) au sens, serait donc celle-ci: «Samuel n’avait pas prophétisé auparavant, et il ne savait même pas(3)La traduction d’Ibn-Tibbon, ולזה לא ידע, est inexacte; il faudrait traduire ולא ירע גם כן. que ce fût là la forme de l’inspiration prophétique.» Il faut te pénétrer de cela." ], [ "Après avoir exposé préalablement le vrai sens de la prophétie, selon ce qu’exige la spéculation (combinée) avec ce qui a été exposé dans notre Loi, il faut que je t’énumère les degrés(1)Abravanel (Commentaire sur le Moré, II, fol. 42 b) subtilise sur le mot מעלות qu’ont ici plusieurs mss. de la version d’Ibn-Tibbon, et qui, selon lui, aurait été employé ici avec intention, parce que les degrés sont énumérés par l’auteur dans une progression ascendante; mais l’observation d’Abravanel ne peut s’adapter ni au mot מראתב, qu’a le texte arabe, ni au mot מדרגות qu’ont les éditions de la version d’Ibn-Tibbon. de la prophétie selon ces deux bases(2)C’est-à-dire, selon la spéculation philosophique et la loi religieuse.. Si je les appelle degrés de la prophétie, ce n’est pas que celui qui en occupe un degré quelconque soit prophète; car, au contraire, le premier et le deuxième degrés ne sont que des marches (pour arriver) à la prophétie, et celui qui est arrivé à l’une de ces marches n’est pas compté au nombre des prophètes dont on a parlé précédemment. Si parfois il est appelé prophète, ce n’est que par une espèce de généralisation, parce qu’il est très près des prophètes.", "Il ne faut pas te laisser induire en erreur au sujet de ces degrés, si tu trouves dans les livres prophétiques qu’un prophète(3)Dans la version d’Ibn-Tibbon il faut lire בספרי הנבואה נביא, comme l’ont les mss.; le mot הנבואה manque dans toutes les éditions. a été inspiré sous la forme de l’un de ces degrés, et qu’ensuite on déclare de ce même prophète qu’il a eu une révélation sous la forme d’un autre degré; car il se peut que tel prophète, après avoir eu une révélation sous la forme de l’un des degrés que je vais énumérer(1)Mot à mot: car, quant à ces degrés que je vais énumérer, il se peut que la révélation de tel prophète lui arrive en partie sous une certaine forme d’entre eux; c’est-à-dire, sous la forme de l’un de ces degrés. Ibn-Tibbon supplée le mot אחת, en rendant les mots בחסב צורה̈ מנהא, qu’ont tous les mss. ar., par לפי צורת אחת מהם., ait ensuite, dans un autre moment, une autre révélation, à un degré inférieur à celui de la première révélation(2)Selon Abravanel (l. c.), l’auteur ferait allusion à Samuel et à Jérémie, qui, l’un et l’autre, après avoir parlé et écrit sous l’inspiration prophétique, ont aussi laissé des écrits qui ont été classés parmi les Hagiographes, auxquels on n’attribue qu’un degré inférieur d’inspiration, appelée esprit saint (רוח הקדש). Ce fut sous cette inspiration que Samuel écrivit le livre de Ruth et Jérémie ses Lamentations.. En effet, de même que le prophète ne prophétise pas pendant toute sa vie, sans interruption, et qu’au contraire, après avoir prophétisé dans un moment, l’inspiration prophétique l’abandonne dans d’autres moments, de même il se peut(3)Ce membre de phrase se trouve sous l’influence de la particule קד, quelquefois, souvent, placé après בל, et qu’il aurait été plus logique de placer après כדׄלך. La version d’Ibn-Tibbon ne rend pas cette nuance. qu’il prophétise dans un certain moment sous la forme d’un degré supérieur, et qu’ensuite, dans un autre moment, il prophétise sous la forme d’un degré inférieur au premier. Il se peut donc qu’il n’atteigne ce degré supérieur qu’une seule fois dans sa vie, et qu’ensuite il en soit privé (pour toujours)(4)L’auteur ne s’est pas exprimé ici avec toute la précision désirable; car il veut dire évidemment: et qu’ensuite il soit privé, pour toujours, du don de prophétie., comme il se peut aussi qu’il conserve un degré inférieur (d’inspiration), jusqu’au moment où son inspiration prophétique cesse complètement; car l’inspiration prophétique abandonne nécessairement tous les prophètes(5)Le mot סאיר a ici le sens de tous; cf. ci-dessus, p. 318, note 5. plus ou moins de temps avant leur mort, comme on l’a déclaré à l’égard de Jérémie, en disant: Quand la parole de l’Éternel eut cessé (de sortir) de la bouche de Jérémie (Ezra, 1, 1)(1)L’auteur a détourné ces mots de leur vrai sens, qui est celui-ci: pour accomplir la parole de l’Éternel (annoncée) par la bouche de Jérémie., et comme on l’a déclaré à l’égard de David, en disant: Voici les dernières paroles de David (II Sam., 23, 1). Et de là on peut conclure pour tous (les autres).", "Après avoir fait l’observation préliminaire qui précède(2)Littéralement: Après avoir fait précéder cette observation préliminaire et l’avoir donnée comme préparation., je commence à énumérer les degrés en question(3)L’auteur va énumérer onze degrés, dont les deux premiers ne sont qu’un acheminement vers la prophétie et caractérisent l’esprit saint; les cinq degrés suivants appartiennent au songe prophétique, et les quatre derniers à la vision prophétique., et je dis:", "I. PREMIER DEGRÉ: Le premier pas vers la prophétie, c’est quand un secours divin accompagne l’individu, lequel il met en mouvement et qu’il encourage pour une action vertueuse, grande et d’une haute importance(4)Les mots דׄי קדר, qui se trouvent dans tous les mss. du texte arabe, ont été omis dans les deux versions hébraïques., comme, par exemple, de délivrer une société d’hommes vertueux d’une société de méchants, ou de sauver un grand homme vertueux, ou de répandre le bien sur une multitude de gens, de sorte que (cet individu) trouve en lui-même quelque chose qui le pousse et qui l’invite à agir. C’est là ce qu’on appelle l’esprit de l’Éternel, et on dit de l’individu qui se trouve dans cet état: que l’esprit de l’Eternel a pénétré dans lui(5)Voy. Juges, ch. 14, v. 6 et 19; I Samuel, ch. X, v. 6; ch. XVI, v. 13, et passim. L’expression צלח על signifie proprement fondre sur, envahir, survenir., ou que l’esprit de l’Eternel l’a revêtu(6)Voy. Juges, ch. 6, v. 34; I Chron., ch. 12, v. 18; II Chron., ch. 24, v. 20., ou que l’esprit de l’Eternel repose sur lui(7)Voy. Nombres, ch. 11, v. 25 et 26; Isaïe, ch. 11, v. 2., ou l’Eternel est avec lui(8)Voy. Juges, ch. 2, v. 18; I Samuel, ch. III, v. 19; ch. XVIII, v. 12., et d’autres expressions(1)Le texte dit: et d’autres NOMS; ainsi que nous l’avons déjà fait observer (t. I, p. 6, note 1), l’auteur entend par nom, non-seulement les substantifs et les adjectifs, mais aussi les infinitifs des verbes. semblables. Tel fut le degré de tous les juges d’Israël, dont il a été dit en général: Et quand l’Eternel leur établissait des juges, l’Eternel était avec le juge, et les délivrait etc. (Juges, 2, 18); et tel fut aussi le degré de tous les rois(2)Tous les mss. du texte arabe ont ici le mot hébreu משיחי, oints, c.-à-d. rois; la version d’Ibn-Tibbon a substitué le mot יועצי, conseillers, et celle d’Al-’Harîzi, le mot שרי, princes. vertueux d’Israël. Cela a été déclaré particulièrement à l’égard de plusieurs juges et rois, p. ex.: Et l’esprit de l’Eternel fut sur Jephté (ibid., XI, 29); de Samson on dit: L’esprit de l’Eternel pénétra dans lui (ibid., XIV, 19); on a dit encore: Et l’esprit de Dieu pénétra dans Saül lorsqu’il entendit ces paroles (I Sam., 11, 6); de même enfin on a dit d’Amasa, mû par l’esprit saint pour aller au secours de David: Et l’esprit revêtit Amasaï, le principal des capitaines; à toi (dit-il), ô David! et avec toi, fils d’Isaï, la paix! etc. (I Chron., 12, 18)(3)Amasa, quoiqu’il ne fût ni juge, ni roi, a été cité ici parce qu’il sauva un grand homme vertueux, le roi David..— Sache que ce genre de force restait inséparable de Moïse, depuis le moment où il avait atteint l’âge viril(4)Littéralement: la limite des hommes.; c’est pourquoi il se sentit porté à tuer l’Égyptien et à repousser celui des deux querelleurs qui avait tort(5)Voy. Exode, ch. 2, v. 11 à 13.. Cette force était tellement violente en lui que(6)Au lieu de חתי אנה בעד, quelques mss. portent חתי בעד, en omettant le mot אנה; c’est cette leçon que paraît exprimer la version d’Al-’Harîzi, qui porte :ומרוב זה הכח אשר בו אפילו בשעת פחדו וברחו, «cette force étant encore restée grande en lui, même au moment de sa peur et de sa fuite.», même après avoir eu peur et avoir pris la fuite, lorsque, arrivé(7)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on lit והגיעו, ce qui est une faute; il faut lire בהגיעו, comme l’ont quelques mss., et comme l’a aussi la version d’Al-’Harîzi. Tous nos mss. ar. portent ענד וצולה. à Midian étranger et craintif, il vit quelquo injustice, il ne put gagner sur lui-même de ne pas la faire cesser et n’eut pas la force de la supporter, comme il est dit: Et Moïse se leva et les secourut (Exode, 2, 17). De même encore, une force semblable s’était attachée à David depuis qu’il avait été oint de l’huile d’onction, comme dit l’Écriture: Et l’esprit de l’Éternel pénétra David, depuis ce jour-là (I Sam., 16, 13); c’est pourquoi il aborda courageusement le lion, l’ours et le Philistin. Mais un semblable esprit de l’Eternel n’inspira jamais, à aucun de ceux-là, une parole (prophétique) quelconque; cette force, au contraire, n’aboutit qu’à pousser l’homme fortifié à une certaine action, non pas à quelque action que ce soit, mais à secourir un opprimé, soit un grand individu, soit une société, ou du moins (elle pousse) à ce qui conduit à cela. Car, de même que tous ceux qui font un songe vrai ne sont pas pour cela prophètes, de même on ne saurait dire de chacun de ceux qu’un secours (divin) assiste pour une chose quelconque, comme, par exemple, pour acquérir une fortune, ou pour atteindre un but personnel, que l’esprit de l’Eternel l’accompagne, ou que l’Éternel est avec lui, et que c’est par l’esprit saint qu’il a fait ce qu’il a fait. Nous ne disons cela, au contraire, que de celui qui a accompli une œuvre noble, d’une haute importance(1)Au lieu de לה קדר עטׄים, quelques mss. ont לה עטם. Ibn-Tibbon traduit succinctement: במי שעשה טוב גדול מאד; Al-’Harîzi: במי שיעשה טובה אשר יש לה מעלה גדולה., ou du moins (qui a fait) ce qui peut y conduire, comme, par exemple, l’action prospère(2)L’auteur se sert ici du nom d’action hébreu הצלחה, par allusion au verbe הצליח, prospérer, dont se sert l’Écriture en parlant des services de Joseph dans la maison de Putiphar. Voy. Genèse, ch. 39, v. 2. de Joseph dans la maison de l’Égyptien, laquelle fut la première cause des événements importants qui arrivèrent ensuite, comme cela est évident.", "II. Le DEUXIÈME DEGRÉ, c’est quand il semble à un individu que quelque chose a pénétré dans lui et qu’il lui est survenu une force nouvelle qui le fait parler, de sorte qu’il prononce des maximes de sagesse, ou une louange (de Dieu)(1)Tous les mss. ar. ont בתסביח au singulier; Ibn-Tibbon a le mot בתשבחות, qui, dans l’hébreu rabbinique, ne s’emploie guère qu’au pluriel., ou des avertissements salutaires, ou des discours relatifs au régime politique ou à la métaphysique, et tout cela dans l’état de veille, lorsque les sens fonctionnent selon leur coutume. C’est d’un tel homme qu’on dit qu’il parle par l’esprit saint. Ce fut par celte sorte d’esprit saint que David composa les Psaumes et que Salomon composa les Proverbes, l’Ecclésiaste et le Cantique des Cantiques. De même, ce fut par cette sorte d’esprit saint que furent composés Daniel, Job, les Chroniques et les autres Hagiographes; c’est pourquoi on les appelle KETHOUBÎM (Hagiographes), voulant dire qu’ils sont écrits au moyen de l’esprit saint. On a dit expressément: «Le livre d’Esther a été dicté par l’esprit saint(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Meghillâ, fol. 7 a. L’auteur veut dire que ce qui est dit expressément du livre d’Esther s’applique aussi à tous les autres hagiographes..» C’est en parlant de cette sorte d’esprit saint que David a dit: L’esprit de l’Eternel a parlé dans moi, et sa parole est sur ma langue (II Sam., 23, 2), ce qui veut dire que c’est lui qui lui a fait prononcer ces paroles. De cette classe furent aussi les soixante-dix anciens, dont il est dit: Et quand l’esprit reposa sur eux, ils prophétisèrent, mais ils ne continuèrent point (Nombres, 11, 25); et de même Eldad et Médad (Ibid., v. 26). De même, tout grand prêtre, interrogé au moyen des Ourîm et Tummîm(3)On sait que tel est le nom du sort sacré que consultait le grand prêtre et qui était placé dans le pectoral. Voy., sur cet oracle des anciens Hébreux, mon Histoire de la Palestine, p. 176., appartient à cette classe, c’est-à-dire — comme s’expriment les docteurs —: «la majesté divine repose sur lui, et il parle par l’esprit saint(4)Voy. Talmud de Babylone, traité Yôma, fol. 73 b : כל כהן שאינו מדבר ברוח הקדש ושכינה שורה עליו אין שואלין בו..» De cette classe est aussi Jahaziel, fils de Zacharie, dont il est dit dans les Chroniques: L’esprit de l’Eternel fut sur lui, au milieu de l’assemblée. Et il dit: soyez attentifs, vous tous (hommes) de Juda et habitants de Jérusalem et toi, roi Josaphat! Ainsi vous parle l’Éternel, etc. (II Chron., 20, 14 et 15). De même, Zacharie, fils de Jehoïada, le prêtre, appartient à cette classe; car il est dit de lui: Et l’esprit de Dieu revêtit Zacharie, fils de Jehoïada le prêtre, et il se tint debout au-dessus du peuple, et leur dit: Ainsi a dit Dieu etc. (Ibid., 24, 20). De même, Azaria, fils d’Oded, dont il est dit: «L’esprit de Dieu fut sur Azaria, fils d’Oded; et il sortit au-devant d’Asa, etc. (Ibid., 15, 1-2). Il eu est de même de tous ceux sur lesquels on s’exprime de la même manière. Il faut savoir que Bileam aussi, tant qu’il était pieux, appartenait à cette catégorie. C’est ce qu’on a voulu indiquer par ces mots: Et l’Éternel mit une parole dans la bouche de Bileam (Nombres, 23, 5), car c’est comme si on avait dit qu’il parlait par l’esprit de l’Eternel; et c’est dans ce sens qu’il dit de lui-même: celui qui entend les paroles de Dieu (Ibid., 24, 4). ", "— Ce que nous devons faire observer, c’est que David, Salomon et Daniel sont aussi de cette classe et qu’ils n’appartiennent pas à la classe d’Isaïe, de Jérémie, du prophète Nathan, d’Ahia le Silonite(1)Ahia, ou A’hiyya, était un prophète contemporain de Salomon. Voy. I Rois, ch. 11, v. 29., et de leurs semblables; car ceux-là, je veux dire David, Salomon et Daniel, ne parlaient et ne disaient tout ce qu’ils disaient que par l’esprit saint(2)C’est-à-dire: ils n’étaient inspirés que par l’esprit saint et n’avaient pas de véritable inspiration prophétique.. Quant à ces paroles de David: le Dieu d’Israël a dit, le rocher d’Israël m’a parlé (II Sam., 23, 3), il faut les entendre dans ce sens qu’il lui avait fait des promesses par un prophète, soit par Nathan, soit par un autre; il en est comme de ce passage: Et l’Éternel lui dit (Genèse, 25, 26(3)Voy. ci-dessus, ch. XLI, p. 318.), et comme de cet autre passage: Et l’Éternel dit à Salomon: puisque tu pensais ainsi et que tu n’as pas observé mon alliance (I Rois, 11, 11), ce qui indubitablement est une menace qui lui fut adressée par l’intermédiaire d’Ahia le Silonite, ou d’un autre prophète. De même, quand il est dit au sujet de Salomon: A Gabaon, l’Eternel apparut à Salomon dans un songe de la nuit, et Dieu dit, etc. (Ibid., 3, 5), il ne s’agit pas là d’une vraie prophétie. Il n’en est point comme de ce passage: La parole de l’Eternel fut à Abrâm dans une vision (Genèse, 15, 1), ni comme de cet autre: Et Dieu dit à Israël dans les visions de la nuit (Ibid., 46, 2), ni comme des prophéties d’Isaïe et de Jérémie; car, bien que ce fût par un songe que chacun de ceux-là(1)L’auteur veut parler d’Abraham et d’Israël, ou Jacob. eût sa révélation, cette révélation elle-même lui fit savoir qu’il s’agissait d’une prophétie et qu’il lui était venu une révélation (de Dieu). Mais, dans ce récit sur Salomon, on dit (expressément) à la fin: Salomon s’éveilla, et c’était un songe (I Rois, 3, 15); et de même, on dit dans le second récit: Et l’Eternel apparut à Salomon une seconde fois, comme il lui était apparu à Gabaon (Ibid., 9, 2), où on avait dit expressément que c’était un songe. C’est là un degré inférieur à celui dont il est dit: Je lui parle dans un songe (Nombres, 12, 6); car ceux qui ont une (véritable) inspiration prophétique dans un songe n’appellent nullement un songe celui dans lequel la prophétie leur est arrivée, mais déclarent positivement que c’était une révélation (divine). C’est dans ce sens que s’est exprimé notre père Jacob; car, après s’être éveillé de son songe prophétique, il ne dit point que c’était un songe, mais déclara positivement: Vraiment, l’Eternel est dans ce lieu etc. (Genèse, 28, 16), et (plus loin) il dit: Le Dieu tout-puissant m’est apparu à Luz, dans le pays de Chanaan (Ibid., 48, 3), déclarant ainsi que c’était une révélation, tandis qu’à l’égard de Salomon, on dit: Salomon s’éveilla, et c’etait un songe. Et de même, tu vois Daniel déclarer simplement(2)Littéralement: solvere, dimittere sermonem, c’est-à-dire parler dans un sens absolu. Ibn-Tibbon traduit trop littéralement les mots יטלק אלקול par מתיר המאמר, au lieu de dire אומר במוחלט. qu’il a eu des songes; et, bien qu’il y eût vu un ange dont il avait entendu les paroles, il les appelait des songes, même après y avoir puisé les (hautes) instructions qu’il avait reçues: Alors, dit-il, le secret fut révélé à Daniel dans une vision de la nuit (Dan., II, 19). Plus loin il dit: Alors il écrivit le songe, etc. J’ai vu dans ma vision pendant la nuit etc. (Ibid., 7, 1,2); Et ces visions de ma tête me troublèrent (Ibid., v. 15); et il dit encore: J’étais étonné de la vision, que personne ne comprenait (Ibid., 8, 27). C’est là indubitablement un degré inférieur aux degrés de ceux dont il est dit: Je lui parle dans un songe (Nombres, 12, 6). C’est pourquoi on s’est accordé(1)Presque tous les mss. ont ici le nom d’action אגׄמאע; littéral, la convention de la nation (a été) de ranger etc. Ibn-Tibbon a le prétérit הסכימה. L’un des mss. de Leyde (n° 221) porte: אגׄמע אלעלמא, les savants sont convenus., dans notre communion, à ranger le livre de Daniel parmi les Hagiographes, et non parmi les Prophètes. J’ai donc dû te faire observer que, bien que dans cette sorte de vision prophétique qu’eurent Daniel et Salomon ils vissent(2)Les mss. arabes ont ראי, verbe qu’il faut considérer comme prétérit passif et prononcer ou mieux ; c’est-à-dire: bien que…. il ait été vu un ange etc. Ibn-Tibbon a substitué le pluriel du prétérit actif: א״ע״פ שראו. Al-’Harîzi a שראה, au singulier actif, ce qui est inexact. un ange dans un songe, ils ne la prirent pas cependant eux-mêmes pour une vraie prophétie, mais pour un songe qui devait faire connaître la vérité de certaines choses, ce qui rentre dans la catégorie de ceux qui parlent par l’esprit saint, et forme le deuxième degré. C’est ainsi que, dans le classement des Hagiographes, on ne fait pas de différence entre les Proverbes, l’Ecclésiaste, Daniel, les Psaumes, et les livres de Ruth et d’Esther, qui tous ont été écrits au moyen de l’esprit saint et (dont les auteurs) s’appellent tous prophètes par un terme général.", "III. Le TROISIÈME DEGRÉ [qui est le premier degré de ceux qui disent: La parole de l’Éternel me fut adressée, ou qui se servent d’autres expressions ayant un sens analogue], c’est lorsque le prophète voit une parabole dans un songe, avec toutes les conditions qui ont été posées précédemment pour la véritable prophétie, et que dans ce même songe prophétique on lui explique le sens qu’on a voulu indiquer par la parabole, comme cela a lieu pour la plupart des paraboles de Zacharie(1)Voy. ci-dessus, ch. XLIII, p. 325..", "IV. Le QUATRIÈME DEGRÉ, c’est quand il entend, dans un songe prophétique, des paroles claires et distinctes, sans voir celui qui les prononce; ce qui arriva à Samuel lorsqu’il eut sa première révélation, comme nous l’avons exposé à son sujet(2)Voy. ci-dessus, ch. XLIV, p. 332..", "V. Le CINQUIÈME DEGRÉ, c’est quand un personnage lui parle dans un songe, comme il est dit dans l’une des prophéties d’Ézéchiel: Et ce personnage me dit: Fils de l’homme, etc. (Ézéch., 40, 4)(3)Voy. ci-dessus, ch. XLIV, p. 330..", "VI. Le SIXIÈME DEGRÉ, c’est quand un ange lui parle dans un songe; et telle est la condition de la plupart des prophètes, comme il est dit: Et l’ange de Dieu me dit dans un songe, etc. (Genèse, 31, 11)(4)Voy. ibid., p. 330..", "VII. Le SEPTIÈME DEGRÉ, c’est quand il lui semble, dans un songe prophétique, que Dieu lui parle(5)Voy. ci-dessus, chap. XLI, p. 314 et 315, chap. XLII, p. 320, chap. XLIV, p. 330, et ibid., note 1., comme lorsqu’Isaïe dit: Je vis l’Éternel etc., et il dit: Qui enverrai-je? etc. (Isaïe, 6, 1 et 8)(6)Nous avons reproduit la leçon qu’on trouve dans presque tous les mss., où ces deux versets sont cités inexactement; c’est l’auteur lui-même, à ce qu’il paraît, qui a fait ici une erreur de mémoire, en écrivant ראיתי, au lieu de ואראה, et ויאמר, au lieu de ואשמע את קול אדני אמר., et comme lorsque Michaïahou, fils de Yimla, dit: J’ai vu l’Eternel etc. (I Rois, 22, 19; II Chron., 18, 18).", "VIII. Le HUITIÈME DEGRÉ, c’est lorsqu’il a une révélation dans une vision prophétique et qu’il voit des paraboles, comme, par exemple, Abraham dans la vision entre les morceaux (des animaux dépecés)(1)Voy. Genèse, ch. 15, v. 9 et 10.; car ces visions paraboliques eurent lieu pendant le jour(2)Littéralement: car ces paraboles furent dans une vision (qui eut lieu) pendant le jour. Le mot במראה manque dans quelques mss. arabes, ainsi que dans la version d’Al-’Harîzi., comme on l’a déclaré(3)C’est-à-dire, comme l’a déclaré le texte biblique lui-même, en disant: le soleil était près de se coucher (Genèse, 15, 12), d’où il s’ensuit qu’il faisait encore jour. Si, dans un passage antérieur (v. 5), Dieu dit à Abraham de compter les étoiles, il ne faut pas en conclure qu’il faisait nuit; car il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit point ici de la réalité, mais d’une vision, dans laquelle il pouvait sembler à Abraham qu’il faisait nuit et qu’on voyait les étoiles. Cette vision se compose de deux actes, dont le second, signalé par le profond sommeil du voyant, constitue une vision parabolique qui forme le huitième degré, et dont le premier, comme on va le voir, constitue un degré supérieur, sans parabole, qui est le neuvième. Voy. ci-dessus, ch. XLI, p. 314, et cf. le Commentaire d’Abravanel sur la Genèse, ch. 15, au commencement..", "IX. Le NEUVIÈME DEGRÉ, c’est quand il entend des paroles dans une vision, comme on a dit au sujet d’Abraham: Et voilà que lui arriva la parole de l’Éternel en disant: Celui-ci n’héritera pas de toi (Genèse, 15, 4).", "X. Le DIXIÈME DEGRÉ, c’est quand, dans une vision prophétique, il voit un personnage qui lui parle, comme, par exemple, Abraham aux Chênes de Mamré, et Josué à Jéricho(4)Voy. ci-dessus, ch. XLII, p. 320-322..", "XI. Le ONZIÈME DEGRÉ, c’est quand, dans une vision, il voit un ange qui lui parle, comme, par exemple, Abraham au moment du sacrifice d’Isaac. C’est ici, selon moi, le plus haut degré qu’aient atteint les prophètes proclamés par les livres (saints)(5)Littéralement: le plus haut des degrés des prophètes, dont les livres (saints) attestent l’état., pourvu qu’on pose en fait, comme on l’a établi, la perfection des qualités rationnelles de l’individu obtenue par la spéculation, et qu’on excepte de la règle commune Moïse, notre maître(1)Littéralement: après avoir établi ce qui a été établi de la perfection des qualités rationnelles de l’individu selon ce qu’a pour résultat la spéculation, et après avoir statué une exception pour Moïse, notre maître. L’auteur veut dire que ce onzième degré est le degré le plus élevé auquel le prophète puisse parvenir, mais que pour ce degré, comme pour tous les autres, il faut avant tout supposer dans la personne du prophète des dispositions naturelles cultivées par la spéculation et par l’exercice des qualités morales, comme cela a été établi plus haut (voir ch. XXXII, troisième opinion); en outre, ajoute l’auteur, il faut qu’on sache bien qu’en disant que c’est ici le degré le plus élevé qu’aient atteint les prophètes, il entend établir une exception pour Moïse qui n’est compris dans aucune des catégories qu’on vient d’énumérer et qui forme une catégorie à part (voir ci-dessus, ch. XXXV). Pour les mots תקריר מא תקרר, le ms. de Leyde, n° 221, porte en marge la variante הקדים מא תקדם; c’est cette dernière leçon que paraît exprimer la version d’Al-’Harîzi, qui porte אהר הצעת מה שראוי להציע. Les mots ובעד אלאסתתׄנא, qui signifient et après avoir excepté ou établi une exception, sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par ואחר ההתנות, et après avoir posé une condition. Al-’Harîzi traduit plus exactement: ואחרי שנוציא מן התנאי משה רבנו.. Quant à (la question de savoir) s’il est possible que, dans la vision prophétique aussi, le prophète croie entendre la parole de Dieu(2)Littéralement: le prophète croie que Dieu lui parle. L’auteur se demande s’il ne faudrait pas établir, pour la vision, encore un degré supérieur, qui serait analogue au septième degré, relatif au songe; et il répond d’une manière négative., (j’avoue que) selon moi, c’est là quelque chose d’invraisemblable, et la force d’action de la faculté imaginative(3)Tous les mss. portent קוה̈ פעל אלמתכׄילה̈, ce qu’Ibn-Tibbon rend par פעל הכח המדמה, et Al-’Harîzi, par יכולת הכח המחשבית; il y a dans ces versions une légère inexactitude, et il aurait fallu dire: כח פעל המדמה. — L’auteur veut dire que la faculté imaginative, telle qu’elle agit dans la vision, ne va pas jusqu’à faire croire au prophète que la Divinité elle-même lui adresse la parole, tandis que dans le songe, où l’imagination est troublée par toute sorte de fantômes, le prophète peut croire que c’est Dieu lui-même qui lui parle. ne va pas jusque-là; en effet, nous n’avons point rencontré cet état de choses chez les prophètes ordinaires(1)Littéralement: chez les autres prophètes. L’auteur veut dire: chez les prophètes autres que Moïse car ce dernier voyait Dieu face à face et Dieu lui parlait bouche à bouche, ce qui veut dire que Dieu se manifestait clairement à son intelligence, sans l’intermédiaire de l’imagination.. C’est pourquoi on a dit expressément dans le Pentateuque: Je me FAIS CONNAITRE à lui dans une vision, je lui PARLE dans un songe (Nombres, 12, 6); on a donc placé la parole dans le songe seulement, tandis qu’on a placé dans la vision l’union(2)Sur le sens du mot , union, cf. le t. I, p. 37, note 1. et l’épanchement de l’intellect (actif), ce qu’on a exprimé par אתודע, je me fais connaître, qui est un verbe réfléchi(3)Le texte arabe dit אפתעאל, terme qui désigne la VIIIe forme des verbes arabes, et que les rabbins arabes emploient improprement pour désigner le hithpa’el des verbes hébreux. Voy. mon édition du Commentaire de R. Tan’houm de Jérusalem, sur le livre de ’Habakkouk (dans le t. XII de la Bible de M. S. Cahen), p. 94, note 3. (dérivé) de ידע, connaître, savoir(4)L’auteur veut dire que ce verbe indique qu’il s’agit ici d’une perception intellectuelle qui, bien que sous l’action de la faculté imaginative, conserve cependant assez de clarté et n’est point dominée par les fantômes d’une imagination confuse.. Mais on n’a point dit clairement que, dans la vision, on puisse entendre(5)Littéralement: il y ait audition d’un discours de la part de Dieu. Ibn-Tibbon a traduit les mots סמאע כלאם littéralement par שֵׁמע דבר; les éditeurs ont substitué au substantif שמע le verbe ישמע. des paroles venant de Dieu.", "Ayant trouvé des textes qui rendent, témoignage des paroles que le prophète aurait entendues et où (néanmoins) il est clair qu’il s’agit d’une vision, j’ai dit, par simple conjecture(6)Le mot חדס désigne une opinion fondée sur une simple conjecture, et c’est avec raison qu’Ibn-Falaquéra a critiqué ici la version d’Ibn-Tibbon, qui porte על צד המחשבה. Selon Ibn-Falaquéra, il faudrait traduire על צד האומד. Voy. Appendice du Moré ha-Moré, p. 156, et cf. ci-dessus, p. 296, note 1., que peut-être, là où on dit que des paroles peuvent être entendues (seulement) dans un songe et qu’il ne saurait en être de même dans une vision, c’est (dans l’hypothèse) que ce soit Dieu lui-même qu’il (le prophète) s’imagine lui adresser la parole(1)En d’autres termes: c’est dans l’hypothèse que le prophète s’imagine que c’est Dieu lui-même qui lui adresse la parole. — Ce passage, qui est assez obscur, notamment dans la version hébraïque, a embarrassé les commentateurs. Voici quel en est évidemment le sens: L’auteur, après avoir déclaré invraisemblable que le prophète, dans une vision, puisse croire entendre la parole de Dieu, va au-devant d’une objection qu’on pourrait lui faire, en se fondant sur certains passages bibliques, où évidemment il est question de la parole divine adressée au prophète dans une vision, comme par exemple Genèse, ch. 15, v. 1 et 4. Il répond que, selon son opinion purement conjecturale, il ne s’agit dans ces passages que de la parole divine adressée au prophète par l’intermédiaire d’une voix inconnue, d’un personnage ou d’un ange (ce qui constitue les IXe, Xe et XIe degrés), tandis que dans le passage des Nombres, 12, 6, il s’agit de la parole immédiate de Dieu que le prophète croit entendre, ce qui ne peut avoir lieu que dans le songe. Cependant, continue l’auteur ensuite, il serait permis aussi de prêter au passage des Nombres un sens plus général; car il se peut que ce passage veuille dire que dans la vision on n’entend jamais aucune parole de quelque nature qu’elle soit, et qu’on y voit seulement des paraboles; de sorte qu’il faudrait admettre que, partout où il est question de paroles dans une vision, il s’agit d’une révélation qui, après avoir commencé par une vision, finit par un songe. Dans ce cas, dit l’auteur en terminant, il n’y aurait que huit degrés de prophétie; car les différents degrés de la vision se réduiraient à un seul, à savoir le huitième, où l’intellect divin agit sur le prophète, dans l’état de veille, par des visions paraboliques.; et tout cela (je l’ai dit) en m’attachant au sens littéral(2)L’auteur veut dire que le sens littéral (אלטׄאהר) du passage des Nombres favorise l’interprétation qu’il en a donnée, à savoir qu’on n’y exclut de la vision que la parole immédiate de Dieu que le prophète peut croire entendre dans le songe.. Cependant, on pourrait dire que toute vision où il est question de paroles entendues était en effet, de prime abord, une vision, mais qu’ensuite elle aboutissait à un profond assoupissement et devenait un songe, comme nous l’avons exposé au sujet de ces mots: Et un profond assoupissement pesa sur Abrâm (Genèse, 15, 12)(3)Voy. ci-dessus, ch. XLI, p. 314.,dontils (les docteurs) ont dit: «C’est l’assoupissement de la prophétie(1)Voy. Beréschîth rabbâ, sect. 17 (fol. 14, col. 4), et sect. 44 (fol. 39, col. 2 et 3)..» Toutes les fois donc qu’on entendait des paroles, n’importe de quelle manière, c’était dans un songe, comme dit le texte: Je lui parle dans un songe (Nombres, 12, 6), tandis que dans la vision prophétique, on ne percevait que des paraboles, ou des communications de l’intellect(2)Mot à mot: ou des unions intelligibles, c’est-à-dire des révélations provenant de l’union de l’intellect actif universel avec l’intelligence du prophète. — Ibn-Tibbon rend ici le mot , unions, par השגות, perceptions, ce qui est inexact. faisant connaître des choses scientifiques semblables à celles qu’on obtient au moyen de la spéculation, comme nous l’avons exposé, et c’est là ce qu’on aurait voulu dire (par les mots) je me fais connaître à lui dans une vision (ibid.). Selon cette dernière interprétation donc, les degrés de la prophétie seraient au nombre de huit(3)Tous les mss. ont תׄמאן; mais, à l’état construit, il est plus correct d’écrire תׄמאני., dont le plus élevé et le plus parfait serait celui, en général, où le prophète est inspiré par une vision, quand même ce ne serait qu’un personnage qui lui parlerait(4)C’est-à-dire: lors même que, dans la relation de la vision, il serait question d’un personnage qui aurait parlé au prophète, ce qui, selon ce qui a été dit auparavant, ne constituerait pas encore le degré le plus élevé de la prophétie, mais seulement l’avant-dernier degré (le Xe). L’auteur veut dire que, selon cette dernière interprétation, la vision ne formerait qu’un seul degré général, celui de la révélation parabolique, dans lequel on n’aurait plus d’autres gradations à établir, comme on l’a fait pour le songe; car, si dans la vision parabolique on parle aussi quelquefois de paroles adressées au prophète par un personnage ou un ange, ce ne peut être que par une simple allégorie, ou pour indiquer que la vision a fini par devenir un songe., comme il a été dit.", "Tu me feras peut-être une objection en me disant: «Tu as compté, parmi les degrés de la prophétie, celui où le prophète entendrait des paroles qui lui seraient adressées (directement) par Dieu, comme, par exemple, Isaïe et Michaïahou. Mais, comment cela peut-il être, puisque nous avons pour principe que tout prophète n’entend la parole (de Dieu) que par l’intermédiaire d’un ange, à l’exception de Moïse, notre maître, dont il a été dit: Je lui parle bouche à bouche (Nombres, 12, 8)?» Sache donc qu’il en est ainsi en effet, et que ce qui sert ici d’intermédiaire, c’est la faculté imaginative; car ce n’est que dans le songe prophétique que le prophète entend Dieu qui lui parle(1)Toute cette observation nous paraît superflue; car il nous semble que l’auteur s’est déjà suffisamment expliqué plus haut, en disant que c’est dans le songe seul que le prophète peut croire entendre directement la parole de Dieu. Cf. p. 344, note 3., tandis que Moïse, notre maître, l’entendait de dessus le propitiatoire, d’entre les deux chérubins (Exode, 25, 22)(2)C’est-à-dire, par l’influence directe de l’intellect actif universel, qui se communiquait à l’intelligence de Moïse, sans que l’imagination y eût aucune part., sans se servir de la faculté imaginative. Nous avons déjà exposé dans le Mischné Tôrâ les différences de cette prophétie (de Moïse), et nous avons expliqué le sens des mots bouche à bouche (Nombres, 12, 8), des mots comme un homme parle à son prochain (Exode, 33, 11), et d’autres expressions(3)Voy. Mischné Torâ, ou Abrégé du Talmud, traité Yésôdé ha-Torâ, ch. VII, § 6, et cf. ci-dessus, ch. XXXV (p. 277, note 2).. C’est donc là que tu peux en puiser l’intelligence, et il n’est pas nécessaire de répéter ce qui déjà a été dit." ], [ "D’un seul individu on peut conclure sur tous les individus de la même espèce et apprendre que chacun de ses individus a telle forme(4)En d’autres termes: En examinant un seul individu d’une espèce quelconque, et en reconnaissant ce qui en fait la forme essentielle ou la quiddité, on en conclut, par induction, que tous les individus de la même espèce ont la même quiddité. — Le mot צורה̈ désigne ici une forme spécifique, et c’est à tort qu’Ibn-Tibbon l’a rendu par תכונה, constitution. La version d’Al-’Harîzi porte: ויוָּדע בי זאת צורת בל איש ממנו.. En disant cela, j’ai pour but (d’établir) que, de la forme de l’une des relations des prophètes(1)Mot à mot: d’une seule forme d’entre les formes des relations des prophètes. L’auteur veut dire, ce me semble, qu’il suffit d’avoir reconnu la forme d’une certaine partie de la relation du prophète pour en conclure sur toutes les parties de cette relation; si l’une des parties de la vision relatée par le prophète se fait reconnaître comme parabole, tout le reste aura également un sens parabolique. Le sens que j’attribue à notre passage me semble ressortir de l’exemple suivant d’un songe dans lequel on croit faire un voyage et où l’on voit toute sorte de détails imaginaires. Chacun des exemples que l’auteur va citer d’Ézéchiel et d’autres prophètes se fait reconnaître comme vision par une des expressions qui désignent la vision prophétique, et dès lors tous les détails rapportés par le prophète font partie de cette même vision., tu peux conclure sur toutes les autres relations de la même espèce.", "Après cette observation préliminaire, il faut savoir que, de même qu’un homme croit voir, dans un songe, qu’il a fait un voyage dans tel pays, qu’il s’y est marié, et qu’après y être resté un certain temps, il lui est né un fils à qui il a donné tel nom et qui se trouvait dans tel état et dans telle circonstance(2)Littéralement: et il en était de son état et de sa chose (ou condition) de telle et telle manière. Les mots כית וכית ne se trouvent que dans un seul des mss. que j’ai pu consulter, et où ils ont été ajoutés par une main plus récente. Cependant le sens de la phrase demande ces mots, ou une autre expression semblable. La version d’Al-’Harîzi paraît exprimer les mots כית וכית; elle porte: והיה עניינו כך וכך. Ibn-Tibbon traduit: והיה מעניינו מה שהיה, ce qui ferait supposer que son exemplaire arabe avait מא כאן. Les deux traducteurs ont rendu ces deux mots חאל et אמר, à peu près synonymes, par le seul mot עניין. Maïmonide avait peut-être écrit: וכאן מן האלה ומן אמרה כדׄלך; les copistes ont pu omettre le mot כדׄלך, parce que ce mot était répété immédiatement après …. כדׄלך הדׄה אלאמתׄאל., de même ces paraboles prophétiques qui apparaissent (au prophète), ou qui, dans la vision prophétique, se traduisent en action(1)Littéralement: qui sont vues, ou qui sont faites, dans la vision prophétique, etc. [quand la parabole exige(2)La version d’Ibn-Tibbon porte: במה שיורה, ce qui est inexact. Al-’Harîzi traduit: וכל מה שיחייב המשל ההוא ממעשה וכו׳; ici le verbe arabe אקתצׄי est rendu exactement par שיחייב; mais les mots וכל מה sont une traduction inexacte des mots arabes פי מא. un acte quelconque], ainsi que certaines choses que le prophète exécute, les intervalles de temps qu’on mentionne paraboliquement entre les différentes actions et les translations d’un endroit à un autre, tout cela (dis-je) n’existe que dans la vision prophétique, et ce ne sont pas des actions réelles (existant) pour les sens extérieurs(3)L’auteur veut dire que tous les détails racontés dans une vision prophétique, ainsi que tous les actes qu’on y attribue au prophète, font partie de la vision et ne doivent pas être considérés comme des faits réels.. Quelques-unes (de ces choses) sont rapportées, dans les livres prophétiques, d’une manière absolue(4)C’est-à-dire: quelques-uns de ces détails sont racontés simplement et d’une manière absolue, sans qu’on dise expressément qu’ils appartiennent à la vision, de sorte que le vulgaire les prend pour des faits réels. — Au lieu de בעצׄהא, le ms. de Leyde, n° 18, a בעדה, leçon peu plausible, mais qui a été reproduite par Al-’Harîzi: ובא זכרון זה בספרי הנבואה אחר זה במאמר מוחלט. Au lieu de l’adverbe (mss. מטלק), plusieurs mss. ont מטלקה̈, adjectif qui se rapporte à בעצׄהא; de même Ibn-Tibbon: קצתם מוחלטים.; car, dès qu’on sait que tout l’ensemble était une vision prophétique, il était inutile de répéter à chaque détail de la parabole qu’il avait eu lieu dans la vision prophétique. ", "Ainsi, le prophète ayant dit: Et l’Éternel me dit, n’a pas besoin de déclarer que c’était dans un songe(5)Car, comme l’auteur l’a dit plus haut (chap. XLI, p. 314): «Toutes les fois qu’un passage (de l’Écriture) dit de quelqu’un qu’un ange lui parla, ou que la parole de Dieu lui fut adressée, cela n’a pu avoir lieu autrement que dans un songe ou dans une vision prophétique.» L’auteur fait ici allusion à plusieurs passages où l’on trouve la formule ויאמר י״י אלי, et l’Éternel me dit, et où l’on attribue au prophète soit des actions, soit des déplacements, soit des entretiens avec Dieu. Voy. p. ex.: Jérémie, chap. 1, v. 7, 9, 12 et 14; chap. XIII, v. 6 et suiv.; Ézéchiel, chap. XLIV. v. 1 et suiv.; Zacharie, chap. 11, v. 13 et suiv.; mais le vulgaire s’imagine que ces actions, ces déplacements, ces questions et réponses, que tout cela (dis-je) a eu lieu dans l’état de la perception des sens(1)C’est-à-dire, que ce sont des faits réels, accomplis par le prophète pendant que ses sens fonctionnaient et manifestaient toute leur activité., et non pas dans la vision prophétique.", "Je vais t’en citer un exemple sur lequel personne n’a pu se tromper, et j’y rattacherai quelques autres exemples de la même espèce; de ces quelques exemples, tu pourras conclure sur ce que je n’aurai pas cité. Ce qui est clair et sur quoi personne ne peut se tromper, c’est quand Ézéchiel dit: J’étais assis dans ma maison, et les anciens de Juda étaient assis devant moi, etc. Un vent me porta entre la terre et le ciel et me fit entrer à Jérusalem, dans les VISIONS DE DIEU (Ézéch., 8, 1 et 3). De même quand il dit: Je me levai et je sortis vers la vallée (Ibid., 3, 23), ce n’était également que dans les visions de Dieu, comme il est dit aussi au sujet d’Abraham: Et il le fit sortir dehors (Genèse, 15, 5), ce qui eut lieu dans une vision (Ibid., v. 1). De même quand il dit: Et il me déposa au milieu de la vallée (Ézéchiel, XXXVII, 1), ce fut encore dans les visions de Dieu. Ézéchiel, dans cette vision où il fut introduit dans Jérusalem, s’exprime(2)Le verbe קאל est un pléonasme qui répète inutilement le verbe ודׄכר. Ibn-Tibbon n’a pas traduit le verbe קאל. en ces termes: Je vis, et il y avait une ouverture dans le mur. Et il me dit: Fils de l’homme! creuse donc dans le mur, et je creusai dans le mur, et il se trouva là une porte (Ibid., 8, 7-8). De même donc qu’il lui avait semblé dans les visions de Dieu qu’on lui ordonnait de creuser le mur afin d’y entrer et de voir ce qui se faisait là, et qu’ensuite il creusa, comme il le dit, dans ces mêmes visions de Dieu, entra par l’ouverture et vit ce qu’il vit, tout cela dans une vision prophétique, de même, quand Dieu lui dit: Prends une brique etc., couche-toi sur le côté gauche etc. Prends du froment, de l’orge etc. (Ibid. 4, 1, 4 et 9), et de même encore, quand il lui dit: Et passe (le rasoir) sur ta tête et sur ta barbe, etc. (Ibid., 5, 1), tout cela (signifie que), dans une vision prophétique, il lui semblait qu’il faisait les actions qu’il lui avait été ordonné de faire. Loin de Dieu de rendre ses prophètes une risée pour les sots et un objet de plaisanterie(1)La plupart de nos mss. portent: צׄחכה̈ ללספהא וסכׄריה̈, et c’est cette leçon qu’exprime la version d’Al-’Harîzi, qui porte: לעג לרקים והתול. Au lieu de צׄחכּה̈, risée, quelques mss. ont , un point de mire, leçon qu’avait aussi Ibn-Falaquéra, qui critique Ibn-Tibbon pour avoir mis dans sa version: דומים לשוטים ולשכורים (voy. Appendice du Moré ha-Moré, p. 156). On ne comprend pas d’où Ibn-Tibbon a pris le mot דומים, semblables. Quant au mot ולשכורים, Ibn-Falaquéra fait observer qu’au lieu de סכׄריה̈ ou סכׄרה̈ , qui signifie risée (לעג וקלם), Ibn-Tibbon a lu סכרה̈, avec un כ sans point, c’est-à-dire , pluriel de , homme ivre; mais, dans ce cas, la construction demandait וללסכרה̈ ou ואלסכרה̈, avec l’article., et de leur ordonner de faire des actes de démence(2)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, ces derniers mots sont traduits deux fois: ויצום לעשות מעשה השוטים ויצום לעשות מעשה השגעון. Le mot אלכׄרק est considéré une fois comme pluriel ( , pluriel de ) et une fois comme singulier dans le sens de stupidité, démence; les mss. ont seulement la 2e version, מעשה השגעון, et de même Al-’Harîzi.! Ajoutons à cela qu’on lui aurait ordonné de désobéir (à la Loi); car, comme il était prêtre, il se serait rendu coupable de deux transgressions pour chaque coin de barbe ou de chevelure (qu’il aurait coupé)(3)L’auteur veut parler du dernier passage d’Ézéchiel qu’il vient de citer (chap. V, vers. 1), et où il est ordonné au prophète de passer le rasoir sur sa tête et sur sa barbe. En faisant cela, Ézéchiel, qui était prêtre (ibid., chap. I, v. 3), aurait deux fois violé la loi de Moïse; car, non-seulement il est défendu à tout israélite de se couper les coins de la chevelure et de raser les coins de la barbe (Lévitique, XIX, 27), mais cette défense est encore particulièrement répétée pour les prêtres (ibid., XXI, 5). — Tous les mss. ar. du Guide, ainsi que ceux de la veision d’Ibn-Tibbon, ont: או פאת ראש, et c’est à tort que, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon et dans le ms. d’Al-’Harîzi, on a mis ופאת ראש.. Mais tout cela n’eut lieu que dans une vision prophétique. De même, quand on dit: Comme mon serviteur Isaïe a marché nu et déchaussé (Isaïe, 20, 3), cela n’a eu lieu que dans les visions de Dieu. Il n’y a que les hommes faibles en raisonnement qui croient que dans tous ces passages le prophète raconte qu’il lui avait été (réellement) ordonné de faire telle chose, et qu’il l’a faite; c’est ainsi qu’il raconterait qu’il lui avait été ordonné de creuser le mur qui était sur la montagne du temple (à Jérusalem), quoiqu’il fût alors à Babylone, et il ajouterait qu’il le creusa (réellement), comme il le dit: Et je creusai dans le mur (Ézéch., 8, 8). Cependant, il dit expressément que cela eut lieu dans les visions de Dieu. ", "C’est comme on lit au sujet d’Abraham: La parole de l’Éternel fut à Abrâm dans une vision, en disant (Genèse, 15, 1), et on dit dans cette même vision prophétique: Et il le fit sortir dehors et dit: Regarde donc vers le ciel, et compte les étoiles (Ibid., v. 5); il est donc clair que ce fut dans la vision prophétique(1)Dans la version d’Ibn-Tibbon, au lieu de מראה נבואה, il faut lire, d’après le texte arabe, במראה הנבואה. qu’il lui semblait être emmené hors du lieu où il se trouvait, de sorte qu’il vit le ciel, et qu’ensuite on lui dit · Compte les étoiles. Tel est le récit, ainsi que tu le vois. J’en dirai autant de l’ordre qui fut donné à Jérémie de cacher la ceinture dans l’Euphrate; l’ayant cachée, il alla la chercher après un long espace de temps et la trouva pourrie et corrompue(2)Voy. Jérémie, chap. 13, v. 4-7.. Tout cela, ce sont des paraboles de la vision prophétique(3)Littéralement: Toutes ces paraboles (furent) dans la vision prophétique.; car Jérémie n’était pas parti du pays d’Israel pour Babylone et n’avait pas vu l’Euphrate. De même, ces paroles adressées à Hosée: Prends une femme prostituée et (aie d’elle) des enfants (nés) de prostitution (Hos., I, 2), et tout ce récit de la naissance des enfants et des noms tel et tel qui leur furent donnés, tout cela eut lieu dans une vision prophétique. En effet, dès qu’on a déclaré que ce ne sont là que des paraboles, il n’y a plus lieu de soupçonner qu’un détail quelconque y ait eu de la réalité(1)Littéralement: la chose ne reste plus enveloppée, de manière (à faire supposer) que quelque chose de cela ait eu de la réalité. Cette phrase ne se rapporte pas seulement à l’exemple tiré d’Hosée, mais aussi aux exemples précédents. L’auteur veut dire: dès qu’il est clair que l’ensemble de ces visions a un sens parabolique et qu’il ne s’y agit point de faits réels, il n’y a plus lieu d’avoir des doutes sur aucun détail et de supposer qu’un seul de ces faits particuliers ait eu lieu en réalité; à moins, continue l’auteur, que nous ne soyons complètement incapables de comprendre les visions prophétiques, de manière qu’elles soient pour nous un livre scellé, comme dit Isaïe., à moins qu’on ne nous applique ce qui a été dit(2)Littéralement: si ce n’est lorsqu’il aurait été dit de nous; c’est-à-dire nous ne pourrions tomber dans de semblables erreurs, à moins que ce ne soit à nous que s’appliquent ces paroles d’Isaïe: Et toute vision etc.—Nous avons adopté la leçon de la grande majorité des mss., qui portent: אלא ענד מא קיל פינא; Ibn-Tibbona: אלא כשנאמר בהם; il a donc lu פיהם au lieu de פינא. Le ms. de Leyde, n° 18, a פיה au singulier; mais cette leçon, comme celle d’Ibn-Tibbon, nous paraît offrir plus de difficultés que la nôtre. Le ms. du supplément hébreu de la Bibliothèque impériale, n° 63, écrit de la main de R. Saadia ibn-Danan, porte: אלא ענד מן קיל פיה, si ce n’est pour celui dont il a été dit; c’est-à-dire, il ne peut y avoir doute à cet égard que pour ceux dont a parlé Isaïe dans le passage cité. Cette leçon, à la vérité, offre un sens plus simple; mais c’est précisément à cause de cela qu’elle nous paraît suspecte, et que nous ne pouvons y voir qu’une correction arbitraire du texte primitif. Dans le ms. de la version d’Al-’Harîzi toute cette phrase manque.: El toute vision est pour vous comme les paroles d’un livre scellé (Isaïe, 29, 11). — De même, il me semble que ce qu’on raconte, au sujet de Gédéon, de la toison et d’autre chose (miraculeuse)(3)Voy. Juges, chap. 6, v. 21, 37 et suiv., n’eut lieu que dans une vision. Cependant, je n’appellerai pas cela une vision prophétique, dans le sens absolu; car Gédéon n’était pas parvenu au rang des prophètes, et comment donc serait-il allé jusqu’à faire des miracles(1)Littéralement: et comment donc (serait-il parvenu) au rang des miracles?? Son plus grand mérite fut d’être compris parmi les juges d’Israel(2)La version trop littérale d’Ibn-Tibbon, שישיג בשופטי ישראל, n’est pas assez claire, et les éditeurs ont complètement altéré le sens, en écrivant כשופטי au lieu de בשופטי. Al-’Harîzi a mieux traduit: ותכלית מעלתו שהיה נמנה בשופטי ישראל. [car ils (les docteurs) l’ont même mis au nombre des hommes les moins considérables du monde(3)Voy. Talmud de Babylone, traité Rôsch ha-Schanâ, fol. 25 a, b, où il est dit que, dans un verset du premier livre de Samuel, chap. XII, vers. 11, on a opposé trois hommes des moins importants du monde (קלי עולם), Jérubbaal (Gédéon), Bedân (Samson) et Jephté, aux troi hommes les plus importants du monde (חמורי עולם), qui sont Moïse, Aaron et Samuel, mentionnés ensemble au Psaume XCIX, v. 6.], comme nous l’avons exposé(4)L’auteur fait allusion probablement à ce qu’il a dit, dans le chapitre précédent (1er degré), au sujet des juges d’Israel, qu’il place dans un rang de beaucoup inférieur à celui des véritables prophètes.. Mais tout cela n’eut lieu que dans un songe, semblable au songe de Laban et (à celui) d’Abimélech, dont nous avons parlé(5)Voy. ci-dessus, chap. XLI, p. 317..", "— De même encore(6)L’exemple de Zacharie que l’auteur va citer fait suite à ce que l’auteur a dit au sujet des détails rapportés dans certaines visions des prophètes Ézéchiel, Isaïe, Jérémie et Hosée; car le passage relatif à Gédéon n’est qu’une observation que l’auteur a intercalée ici en passant, parce que Gédéon aussi, dans une espèce de vision ou de songe, croyait voir certains faits particuliers qui n’eurent lieu que dans son imagination., ce que dit Zacharie: Je fis paître les brebis destinées au carnage, certes, les plus pauvres des brebis, et je pris deux houlettes (Zach., XI, 7)(7)Selon l’auteur, ce n’est pas Dieu qui est présenté ici sous l’image du pasteur, comme le croient la plupart des commentateurs, mais c’est le prophète Zacharie, qui, dans une vision prophétique, prend les deux houlettes et fait les actions symboliques dont on parle dans la suite., ainsi que la suite du récit, à savoir: le salaire demandé avec douceur, l’acceptation du salaire, l’argent compté qui est jeté dans le trésor (Ibid., v. 12 et 13), tout cela, il lui semblait, dans une vision prophétique, qu’on lui ordonnait de le faire, et il le fit dans la vision prophétique ou dans le songe prophétique.", "C’est là une chose dont on ne saurait douter, et qui ne peut être ignorée que par celui qui confond ensemble le possible et l’impossible.", "De ce que j’ai cité, tu pourras conclure sur ce que je n’ai pas cité; tout est d’une même espèce et d’une même méthode, tout est vision prophétique. Toutes les fois donc qu’on dit que, dans telle vision, il agit(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont: שהוא עשה כן; il faut lire, selon les mss., שהוא עשה בו., ou il entendit, ou il sortit, ou il entra, ou il dit, ou il lui fut dit, ou il se leva, ou il s’assit, ou il monta, ou il descendit, ou il voyagea, ou il interrogea, ou il fut interrogé, le tout (a eu lieu) dans la vision prophétique. Quand même les actions désignées auraient duré longtemps et se rattacheraient à certaines époques, à tels individus indiqués et à de certains lieux, dès qu’il sera clair pour toi que telle action est une parabole(2)C’est-à-dire, qu’elle fait partie de l’ensemble d’un récit qui a un sens parabolique., tu sauras d’une manière certaine qu’elle a eu lieu dans la vision prophétique." ], [ "Il est indubitablement clair et manifeste que les prophètes, le plus souvent, prophétisent par des paraboles(3)Mot à mot: que la plupart de la prophétie des prophètes (se fait) par des paraboles. Ibn-Tibbon a: שרוב נבואות, «que la plupart des prophéties». Al-’Harîzi a plus exactement נבואת au singulier.; car ce qui sert d’instrument pour cela, je veux dire la faculté imaginative, produit cet effet. Il faut, de même, qu’on sache quelque chose des métaphores et des hyperboles(1)Sur le mot אגיא , nom d’action de la IVe forme de la racine , voy. ci-dessus, pag. 217, note 1. La version d’Ibn-Tibbon a, pour le mot ואלאגיאאת, les deux mots וההפלגות והגוזמות; son ms. arabe avait peut-être en plus le mot ואלמבאלגאת, de même qu’on lit plus loin: אגיא ומבאלגה̈.; car il s’en trouve parfois dans les textes des livres prophétiques. Si l’on y prenait (telle expression) au pied de la lettre(2)Les mots עלי תחריר signifient proprement d’une manière exacte; c’est-à-dire: si on s’attachait au sens exact des termes, sans y voir rien d’hyperbolique. Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots כמשמעם מדוקדקים sont une double traduction des mots arabes עלי תחריר. Al-’Harîzi traduit: וכשיובן על השיעור, comme s’il avait lu dans son texte arabe עלי תקדיר; cette leçon se trouve en effet dans un de nos mss., mais elle n’offre pas de sens plausible., sans savoir que c’est une hyperbole et une exagération, ou si l’on prenait (telle autre expression) dans le sens qu’indiquent les mots selon leur acception primitive, sans savoir que c’est une métaphore, il en naîtrait des absurdités. Ils (les docteurs) ont dit clairement: «L’Écriture emploie le langage exagéré», c’est-à-dire l’hyperbole, et ils ont cité pour preuve ces mots: des villes grandes et fortes, jusqu’au ciel (Deutér., 1, 28)(3)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Hullîn, fol. 90 b; traité Tamîd, chap. II, § 1., ce qui est juste. De la catégorie de l’hyperbole sont aussi ces mots: car l’oiseau du ciel emportera la voix (Ecclésiaste, 10, 20). De la même manière on a dit: … dont la hauteur était comme celle des cèdres, etc. (Amos, 2, 9). Cette manière (de s’exprimer) se rencontre fréquemment dans les paroles de tous les prophètes, je veux parler des expressions employées par manière d’hyperbole et d’exagération, et non (pour parler) avec précision et exactitude.", "De cette catégorie n’est point ce que le Pentateuque dit de ’Og: הנה ערשו ערשׂ ברזל וגו׳, son lit, un lit de fer etc. (Deutéronome, III, 11); car ערש est le lit, comme אף ערשנו רעננה, notre LIT est verdoyant Cant., I, 16). Or, le lit d’un homme n’a pas exactement la mesure de celui-ci; car ce n’est pas un vêtement dont il se revête. Au contraire, le lit est toujours plus grand que la personne qui y couche, et il est d’usage, comme on sait, qu’il dépasse d’environ un tiers la longueur de la personne. Si donc la longueur de ce lit est de neuf coudées, la longueur de celui qui y couche sera, selon la proportion habituelle des lits, de six coudées, ou un peu plus. Les mots באמת איש, selon la coudée d’un homme (Deutéron, l. c.), signifient: selon la coudée d’une personne d’entre nous, je veux dire, d’entre le reste des hommes, et non pas selon la coudée de ’Og; car tout individu a ordinairement les membres proportionnés(1)Et, par conséquent, la coudée de ’Og était plus grande qu’une coudée ordinaire.. On voulait donc dire que la taille de ’Og était deux fois(2)Au lieu du duel , plusieurs mss. ont מתׁל au singulier; de même Al-’Harîzi: כמו אורך איש, COMME la longueur d’une personne etc. Mais c’est là une faute très grave, et la version d’Ibn-Tibbon, qui a כפל, le double, confirme la leçon (pour laquelle quelques mss. ont incorrectement ). L’auteur veut dire que le texte du Deutéronome, en donnant au lit de ’Og une longueur de neuf coudées, fixe la taille de ’Og à six coudées, ce qui fait le double de la taille d’un homme ordinaire. — L’ancienne coudée hébraïque était d’environ 525 millimètres (voy. mon Histoire de la Palestine, p. 397), et la longueur que l’auteur attribue ici à la taille ordinaire ferait 1 mètre 575 millimètres; par conséquent, la taille de ’Og aurait été de mètres 3,15. celle d’une personne d’entre les autres hommes, ou un peu plus(3)Tous les mss. arabes ont אכתׁר, et de même Al-’Harîzi, או יותר מעט. Ibn-Tibbon a, par erreur: או פחות מעט, ou un peu moins. Dans un ms. on lit: או פחות או יותר מעט, un peu plus ou moins.. Sans doute, c’est là une anomalie pour les individus de l’espèce; mais ce n’est nullement impossible.", "Quant à ce que le Pentateuque rapporte en fait du chiffre(4)Au lieu de תחריר, qui signifie ici indication exacte, en toutes lettres, quelques mss. ont תחדיד (avec daleth), fixation, détermination. Ibn-Tibbon a traduit dans ce sens: ממדת ימי האנשים ההם; Al-’Harîzi: מעניין אורך ימי האנשים הקדמונים. des âges de certaines personnes, je dis, moi, que la personne (chaque fois) désignée atteignit seule cet âge (qu’on lui attribue), tandis que les autres hommes n’atteignaient que les âges naturels et habituels. L’anomalie, dans tel individu, ou bien provenait de plusieurs causes (existant) dans sa manière de se nourrir et dans son régime, ou bien il faut y voir l’effet d’un miracle(1)Littéralement: ou bien par la voic du miracle et procédant à la guise de celui-ci.. Il n’y a pas moyen de raisonner là-dessus d’une autre manière.", "De même encore, il faut porter une grande attention aux choses qui ont été dites par métaphore. Il y en a qui sont claires et évidentes et qui n’ont d’obscurité pour personne, comme, par exemple, quand on dit: Les montagnes et les collines éclateront de joie devant vous, et tous les arbres des champs frapperont des mains (Isaïe, 55, 12), ce qui évidemment est une métaphore. Il en est de même, quand on dit: Même les cyprès se sont réjouis à cause de toi etc. (Ibid., 14, 8), ce que Jonathan ben-Uziel a paraphrasé ainsi: «même les souverains se sont réjouis à cause de toi, ceux qui sont riches en biens», y voyant une allégorie comme (dans ce passage): la crème des vaches et le lait des brebis etc. (Deutéron., 32, 14)(2)L’auteur veut dire que la paraphrase chaldaïque de Jonathan, au passage d’Isaïe, est semblable à celle que donne Onkelos au passage du Deutéronome (XXXII, 14): יהב להון בזת מלכיהון ושליטיהון וכו׳, Il leur a donné le butin de leurs rois et de leurs souverains, etc.. ", "Ces métaphores sont extrêmement nombreuses dans les livres prophétiques; il y en a dans lesquelles le vulgaire même reconnaît des métaphores, mais il y en a d’autres qu’il ne prend pas pour telles. En effet, personne ne saurait douter que ces paroles: l’Éternel t’ouvrira son bon trésor etc. (Deutéron., 28, 12) ne soient une métaphore, Dieu n’ayant pas de trésor qui renferme la pluie. De même, quand on dit: Il a ouvert les battants du ciel et leur a fait pleuvoir la manne (Ps. 78, 23-24), personne ne croira qu’il y ait dans le ciel une porte et des battants; mais cela (est dit) selon la manière de la similitude, qui est une espèce de la métaphore. C’est ainsi qu’il faut entendre ces expressions: Les cieux s’ouvrirent (Ézéch., 1, 1); sinon, efface-moi de ton livre que tu as écrit (Exode, 32, 32); je l’effacerai de mon livre (Ibid., v. 33); qu’ils soient effacés du livre des vivants (Ps. 69, 29). Tout cela (est dit) selon la manière de la similitude; non pas que Dieu ait un livre, dans lequel il écrive et efface, comme le croit le vulgaire, ne s’apercevant pas qu’il y a ici une métaphore.", "Tout (ce que j’ai dit) est de la même catégorie. Tout ce que je n’ai pas cité, tu le compareras à ce que j’ai cité dans ce chapitre; sépare et distingue les choses par ton intelligence, et tu comprendras ce qui a été dit par allégorie, ce qui a été dit par métaphore, ce qui a été dit par hyperbole, et ce qui a été dit exactement selon ce qu’indique l’acception primitive (des termes). Et alors toutes les prophéties te deviendront claires et évidentes; tu auras des croyances raisonnables, bien ordonnées et agréables à Dieu, car la vérité seule est agréable à Dieu, et le mensonge seul lui est odieux. Que tes idées et tes pensées ne s’embrouillent pas, de manière que tu admettes des opinions peu saines, très éloignées de la vérité, et que tu les prennes pour de la religion! Les préceptes religieux ne sont que la vérité pure, si on les comprend comme on doit; il est dit: Tes préceptes sont éternellement justes etc. (Ps. 119, 144), et il est dit encore: Moi, l’Eternel, je profère ce qui est juste (Isaïe, 45, 19). Par ces réflexions, tu échapperas aussi à l’imagination d’un monde que Dieu n’a pas créé(1)Littéralement: par cette considération aussi, tu seras sauvé de l’imagination d’un être que Dieu n’a pas produit; c’est-à-dire: en te pénétrant bien de tout ce qui vient d’être dit, tu ne seras plus exposé à t’imaginer l’existence de ces êtres extraordinaires qui n’ont jamais existé dans le monde réel. et à ces idées corrompues dont quelques-unes peuvent conduire à l’irréligion et à faire admettre dans Dieu une défectuosité, comme les circonstances de la corporéité, des attributs et des passions, ainsi que nous l’avons exposé(1)Voy. la Ire partie, chap LV, et passim., à moins que tu ne croies que ces discours prophétiques soient un mensonge(2)Cette phrase est elliptique; voici quel en est le sens: si tu ne voulais pas admettre ce que j’ai dit, alors tu n’aurais pas d’autre moyen, pour échapper à ces idées fausses dont je viens de parler, que de croire que les paroles des prophètes sont mensongères.—Dans la version d’Ibn-Tibbon, au lieu de או יחשוב (ou יחָשב), il faut lire או החשוב, comme l’a Al-’Harîzi; tous les mss. ar. ont תטׄן, à la seconde personne.. Tout le mal qui conduit à cela, c’est qu’on néglige(3)Ibn-Tibbon a העלם, ce qui est inexact. Al-’Harîzi traduit plus exactement: כשתתרשל במה שעוררנוך. les choses sur lesquelles nous avons appelé l’attention; mais ce sont là aussi des sujets (qui font partie) des secrets de la Loi, et, quoique nous n’ayons parlé là-dessus que d’une manière sommaire, il sera facile, par ce qui précède, d’en connaître les détails." ], [ "Il est très évident que toute chose née a nécessairement une cause prochaine qui l’a fait naître; cette cause (à son tour) a une cause, jusqu’à ce qu’on arrive à la cause première de toute chose, c’est-à-dire à la libre volonté de Dieu(4)Littéralement: la volonté de Dieu et son choix ou libre arbitre. Cf. la Irc partie, chap. LXIX.. C’est pourquoi on omet quelquefois, dans les discours des prophètes(5)Les mots פי אקאויל manquent dans quelques mss., où on lit תחדׄף אלאנביא. D’après cette leçon, אלאנביא serait le sujet du verbe תחדׄף, qui serait à la forme active , de sorte qu’il faudrait traduire: les prophètes omettent quelquefois; mais cela ne cadrerait point avec les deux verbes passifs suivants: et ויקאל. Cependant cette leçon a été adoptée par Al-’Harîzi et par Ibn-Falaquéra; le premier traduit: כן ידחו הנביאים לפעמים הסבות ההם האמצעיות ומיחסים זה הפעל לבורא ויאמרו וגו׳; le second (Moré ha-Moré, p. 117): ומפני זה יחסרו הנביאים אותן הסבות האמצעיות וייוחס לאלוה ית׳ אותו הפעל האישי ויאָמר וכו׳. La version d’Ibn-Tibbon exprime les mots פי אקאויל; mais la construction de la phrase y est un peu modifiée., toutes ces causes intermédiaires, et on attribue directement à Dieu tel acte individuel qui se produit, en disant que c’est Dieu qui l’a fait. Tout cela est connu; nous en avons déjà parlé nous-mêmes, ainsi que d’autres d’entre les vrais philosophes(1)Par אלמחקקין, ceux qui établissent la vérité, l’auteur paraît désigner ici les vrais philosophes, par opposition aux Motécallemîn, qui voient dans Dieu la cause immédiate de chaque fait particulier., et c’est l’opinion de tous nos théologiens(2)Sur l’expression אהל שריעה̈, cf. le t. I, p. 68, note 3..", "Après cette observation préliminaire, écoute ce que je vais exposer dans ce chapitre, et portes-y une attention toute particulière, en sus de l’attention que tu dois porter à tous les chapitres de ce traité. La chose que je veux t’exposer, la voici: ", "Sache que toutes les causes prochaines, desquelles naît ce qui naît, n’importe que ces causes soient essentielles et naturelles, ou arbitraires, ou accidentelles et dues au hasard(3)L’auteur a ici en vue l’exposé des causes, donné par Aristote, Phys., liv. II, chap. 3-6. Par , l’auteur entend ce qui est cause en soi-même (ϰαθ’ ἁυτό), ou essentiellement et par sa nature; par , arbitraires, il entend les causes situées dans un choix moral (προαιρεσις), dans une intention réfléchie (διάνοια); le mot désigne les causes accidentelles (ϰατὰ συμβεβηϰός), et le mot , les causes dues au hasard (ἀπὸ τύχης). Cf. Métaphysique, liv. V, chap. 30; liv. XI, chap. 8. — Le mot n’est pas rendu dans la version d’Ibn-Tibbon; Ibn-Falaquéra (l. c.) traduit: או מקריות הזדמניות. [par arbitraires, je veux dire que la cause de ce qui naît soit le libre arbitre d’un homme], et dût même la cause n’être que la volonté d’un animal quelconque(4)L’auteur paraît faire allusion à ce qu’Aristote appelle τὸ αὐτόματον, ce qui se fait de soi-même, le spontané, et qu’il semble réduire aux actes des animaux et aux phénomènes des choses inanimées, qui ne sont pas le produit d’une volonté douée de libre arbitre: τὸ δ’ αὐτόματον ϰαί τοῖς ἂλλοις ζώοις ϰαί πολλοῖς τῶν ἀψύχων, ϰ. τ. λ. Phys., liv. II, chap. 6. Ailleurs Aristote dit qu’on peut attribuer aux enfants et aux animaux la spontanéitè, mais non le choix moral ou l’intention: τοῦ μὲν γὰρ ἑϰουσίου ϰαί παῖδες ϰαί τἂλλα ζῷα ϰοινωνεῖ, προαιρέσεως δ’οὔ. Éthique à Nicomaque, liv. III, chap. 4., — toutes ces causes (dis-je) sont, dans les livres des prophètes, attribuées à Dieu; et, dans leurs manières de s’exprimer, on dit simplement, de tel fait, que Dieu l’a fait, ou l’a ordonné, ou l’a dit. Pour toutes ces choses, on emploie les verbes dire, parler, ordonner, appeler, envoyer, et c’est là le sujet sur lequel j’ai voulu appeler l’attention dans ce chapitre. En effet, comme c’est Dieu [ainsi qu’il a été établi(1)Ibn-Tibbon a ici deux verbes: כפי מה שהונח והתישב, et de même Ibn-Falaquéra (l. c.); les mss. ar. n’ont que le verbe .] qui a excité telle volonté dans tel animal irraisonnable, comme c’est lui qui a fait que l’animal raisonnable eût le libre arbitre, et comme c’est lui enfin qui a déterminé le cours des choses naturelles [car le hasard n’est qu’un excédant du naturel, comme il a été exposé, et le plus souvent il participe de la nature, du libre arbitre et de la volonté(2)L’auteur, après avoir parlé de l’intervention de Dieu dans la volonté de l’animal irraisonnable, dans le libre arbitre et dans le cours des choses naturelles ou dans les causes essentielles, ajoute cette parenthèse, pour faire comprendre qu’il s’ensuit nécessairement de ce qui vient d’être dit que le hasard aussi est une cause qui doit être ramenée à Dieu; car le hasard (τὑχη), selon la définition d’Aristote, sans être lui-même le but, est toujours en rapport avec un but de la nature ou avec l’intention et le libre choix (προαίρεσις) d’un être raisonnable (voy. Phys., liv. II, chap. 5: ἒστι δ’ἓνεϰά του ὃσα τε ἀπὸ διανοίας ἂν πραχθείη ϰαί ὃσα ἀπὸ φύσεως · τὰ δὴ τοιαῦτα ὃταν ϰατὰ συμβεβηϰὸς γένηται, ἀπὸ τύχης φάμεν εἶναι, ϰ. τ. λ. Cf. Métaphys., liv. XI, chap. 8, vers la fin). On peut donc dire que le hasard est un excédant, ou un accessoire, du but auquel vise soit la nature, soit l’intention d’un être raisonnable (le libre arbitre); le plus souvent, le hasard participe de ce but, comme il se peut aussi qu’il participe de la volonté animale, cette volonté pouvant accidentellement devenir la cause d’un effet qu’elle n’aurait pas eu pour but.], on doit, en raison de tout cela, dire de ce qui résulte de ces causes, que Dieu a ordonné de faire telle chose, ou qu’il a dit: «Que telle chose soit».", "Je vais te citer de tout cela des exemples auxquels tu pourras comparer tout ce que je n’aurai pas mentionné (expressément). En parlant des choses naturelles qui suivent toujours leur cours, comme (par exemple) de la neige qui fond quand l’air est chaud, et de l’eau de la mer qui est agitée quand le vent souffle, on s’exprime ainsi: Il ENVOIE sa parole et les fait fondre (Ps. 147, 18); il PARLE et fait lever un vent de tempête qui élève les vagues (Ps. 107, 25); de la pluie qui tombe, il est dit: Et J’ORDONNERAI aux nuages de ne pas faire tomber de pluie etc. (Isaïe, 5, 6).", "En parlant de ce qui a pour cause le libre arbitre de l’homme, comme (par exemple) de la guerre qu’un peuple puissant fait à un autre peuple(1)Littéralement: comme de la guerre d’un peuple qui domine sur un (autre) peuple. Au lieu de סלטוא, un de nos mss. porte טׄלטוא., ou d’un individu qui se met en mouvement pour faire du mal à un autre individu, et lors même qu’il n’aurait fait que l’injurier, on s’exprime ainsi: J’ai COMMANDÉ à ceux qui me sont consacrés, et j’ai APPELÉ mes héros pour (exécuter) ma colère (Isaïe, 13, 3), — où il est question de la tyrannie de l’impie Nebouchadneçar et de ses armées(2)Ceci est inexact, comme le fait observer Ibn-Caspi dans son commentaire ’Ammoudé Keseph; car les paroles citées s’appliquent à l’armée des Mèdes et des Perses, appelée à détruire l’empire babylonien.; — et ailleurs: Je L’ENVERRAI contre un peuple hypocrite (Ibid., X, 6). Dans l’affaire de Siméï, fils de Guéra, on dit: Car l’Éternel lui a DIT: Maudis David (II Sam., 16, 10). Au sujet du pieux Joseph délivré du cachot, on dit: Il ENVOYA un roi qui le fit relâcher (Ps. 105, 20). Au sujet de la victoire des Perses et des Mèdes sur les Chaldéens, il est dit: Et J’ENVERRAI contre Babylone des barbares qui la disperseront (Jér., LI, 2). Dans l’histoire d’Élie, lorsque Dieu charge une femme de le nourrir(3)La version d’Ibn-Tibbon porte: כאשר סבכ השם לו פרנסתו, lorsque Dieu lui occasionna son alimentation; on voit qu’Ibn-Tibbon n’avait pas, dans son texte arabe, le mot אמראה̈, une femme, et qu’au lieu de , il prononçait ., il lui dit: J’ai COMMANDÉ là à une femme veuve de te nourrir (I Rois, 17, 9). Le pieux Joseph dit: Ce n’est pas vous qui m’avez ENVOYÉ ici, mais Dieu (Genèse, 45, 8)(1)Il semblerait que ce passage serait mieux placé parmi les exemples du hasard; car le résultat de la vente de Joseph fut tout autre que celui que ses frères avaient eu l’intention d’obtenir; et en effet, l’auteur cite plus loin, parmi les exemples du hasard, le verset 7, qui se rapporte au même fait. Quelques commentateurs ont cherché à expliquer cette espèce de contradiction, en faisant une distinction subtile entre le verset 7 et le verset 8 (voir les commentaires d’Ibn-Caspi et d’Éphôdi). Il paraît que l’auteur veut faire entendre que Joseph, après avoir attribué à Dieu, au vers. 7, le résultat accidentel de l’acte émané du libre arbitre de ses frères, se reprend au vers. 8, en disant qu’un résultat d’une si haute importance ne saurait être purement accidentel, et que c’est nécessairement Dieu lui-même qui a dirigé le libre arbitre des fils de Jacob, de manière à leur faire accomplir, à leur insu, un grand acte qui était dans le plan de sa divine providence. Cf. le commentaire d’Abravanel sur la Genèse, chap. 45, aux deux versets en question..", "En parlant de ce qui a pour cause la volonté d’un animal, qui est mis en mouvement par ses besoins animaux (on dit, par exemple): Et l’Éternel PARLA au poisson (Jonas, 2, 11); car (on veut dire que) ce fut Dieu qui excita en lui cette volonté, et non pas qu’il l’ait rendu prophète et qu’il se soit révélé à lui. De même, il est dit au sujet des sauterelles qui arrivèrent aux jours de Joel, fils de Pethouel: Car l’exécuteur de sa PAROLE est puissant (Joel, II, 11). De même encore, il est dit au sujet des bêtes sauvages qui s’emparèrent de la terre d’Édom, lorsqu’elle fut dévastée aux jours de San’hérib: Et il leur a jeté le sort, et sa main la leur a distribuée au cordeau (Isaïe, 34, 17). Quoi-qu’on n’ait employé ici aucune des expressions dire, ordonner, envoyer, le sens est évidemment analogue; et tu jugeras de même de toutes les phrases qui ont une tournure semblable(2)Dans quelques mss., cette phrase offre de légères variantes qui la rendent assez obscure: . Al-’Harîzi a adopté cette rédaction, qu’il a rendue d’une manière peu intelligible: אך ענין זה הסברא גלויה לו לזה הבנין מן המאמר בלבד (lisez על מה שיזדמן (?שידמה. Quelques mss. de la version d’Ibn-Tibbon reproduisent la même leçon: אלא ענינו היקש מבואר על מה שדומה לזאת המדה עוד מן האמירה לבד. D’autres mss. de cette version, ainsi que les éditions, confirment la leçon que nous avons adoptée; mais il faut effacer, dans les éditions, le mot הבאים, qui est de trop et qui ne se trouve pas dans les mss..", "Au sujet des choses accidentelles, de pur hasard, on dit, par exemple, dans l’histoire de Rebecca: Et qu’elle soit (donnée) pour femme au fils de ton maître, comme l’Éternel a PARLÉ (Genèse, 24, 51 )(1)La mission d’Éliézer avait pour but d’aller chercher une femme pour Isaac dans le pays natal d’Abraham, sans qu’il fût directement question de Rebecca; ce fut par hasard que celle-ci se présenta la première au choix d’Éliézer.. Dans l’histoire de David et de Jonathan, on dit: Va-t’en; car l’Éternel te RENVOIE (I Sam., 20, 22)(2)Encore ici, on attribue à Dieu un enchaînement de circonstances fortuites, qui nécessitèrent le départ de David.. Dans l’histoire de Joseph (il est dit): Et Dieu m’a ENVOYÉ devant vous (Genèse, 45, 7). Tu vois donc clairement que, pour (désigner) la disposition des causes, — n’importe de quelle manière elles soient disposées, que ce soient des causes par essence(3)C’est-à-dire: des causes naturelles, procédant des lois de la nature., ou par accident, ou par libre arbitre, ou par volonté (animale), — on emploie ces cinq expressions, à savoir: ordonner, dire, parler, envoyer et appeler. Sache bien cela, et réfléchis-y(4)La version d’Ibn-Tibbon porte: והנהיגהו; celle d’Al-’Harîzi a: והבינהו, ce qui est préférable; cf. ci-dessus, p. 250, note 3. Au lieu de ותדברה, quelques mss. ont ותדׄכרה, et souviens-t’en. dans chaque passage (pour l’expliquer) comme il lui convient; alors beaucoup d’absurdités disparaîtront, et tu reconnaîtras le vrai sens de tel passage qu’on pourrait croire éloigné de la vérité(5)Mot à mot: et la réalité de la chose se manifestera à toi dans tel passage qui pourrait faire soupçonner un éloignement de la vérité..", "Me voici arrivé au terme de ce que j’avais à dire(1)Littéralement: c’est ici le terme de ce à quoi le discours m’a fait aboutir ou arriver. —Au lieu de אנתהי בי אלקול, quelques mss. ont אנתהי באלקול; quelques autres ont בה au lieu de בי. — Dans plusieurs éditions de la version d’Ibn-Tibbbon on lit, par une faute typographique: אל המאמר או; au lieu de או, il faut lire בן, comme l’a l’édition princeps. au sujet de la prophétie, de ses paraboles et de ses expressions. C’est là tout ce que je te dirai sur ce sujet dans le présent traité(2)Les mots פי הדׄה אלמקאלה̈, dans ce traité, qui se trouvent dans tous les mss. arabes, n’ont pas été rendus dans la version d’Ibn-Tibbon. L’auteur voulait peut-être faire entendre par ces mots qu’il se proposait de revenir ailleurs sur cette matière; nous savons en effet qu’il avait commencé la rédaction d’un ouvrage particulier sur la Prophétie. Voy. le t. I de cet ouvrage, p. 15.; nous allons donc aborder d’autres sujets avec l’aide du Tout-Puissant.", "FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE
DU GUIDE DES ÉGARÉS." ] ] }, "Part 3": { "Introduction": [ "DIEU DE L’UNIVERS
OBSERVATION PRÉLIMINAIRE.(1)Le mot מקדמה̈ ne peut se traduire ici ni par Introduction, ni par Préface; car le morceau qui va suivre ne sert point d’Introduction à cette troisième partie du Guide, mais renferme seulement quelques observations dont l’auteur a cru devoir faire précéder les sept premiers chapitres, contenant l’explication du Ma’asé mercabâ ou de la vision d’Ézéchiel.
Nous avons déjà exposé plusieurs fois que le but principal (que nous avions) dans ce traité, c’était d’expliquer ce qu’il est possible d’expliquer du Ma’asé beréschith (récit de la création) et du Ma’asé mercabâ (récit du char céleste)(2)Cf. t. I, p. 9, note 2, et t. II, p. 50., eu égard à ceux pour qui ce traité a été composé(3)C’est-à-dire: en m’adressant aux lecteurs intelligents pour lesquels j’ai composé cet ouvrage et qui seront capables de comprendre les explications à demi-mot. La version d’Ibn-Tibbon porte: כפי מה שחובר לו זה המאמר, ce qui n’est pas bien clair. Au lieu de מה, il faudrait écrire מי, comme on le trouve en effet dans quelques manuscrits..", "Nous avons aussi exposé que ces sujets font partie des secrets de la Loi; et tu sais combien les docteurs blâment celui qui révèle ces secrets, disant même clairement que celui qui cache les secrets de la Loi, clairs et manifestes pour les esprits spéculatifs, aura une très-grande récompense. A la fin du traité Pesa’him, en interprétant ces mots: Car son trafic sera pour ceux qui sont assis devant l’Éternel, afin qu’ils aient de quoi se nourrir et se rassasier, WE-LIMEKHASSÉ ATHÎK (Isaïe, 23, 18), ils disent: «Et pour celui qui couvre (limekhassé) les choses qu’a révélées le vieux (’attik) des jours, à savoir les secrets de la Loi(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Pesa’hîm, fol. 119 a. Les mots ולמכםה עתיק signifient probablement: et afin d’avoir des vêtements de luxe; le Talmud, comme on vient de le voir, détourne ces mots de leur sens naturel, afin d’y voir une allusion à ceux qui voilent les profonds mystères du Ma’asé mercabâ, révélés par Dieu à ses élus. Les mots le vieux des jours désignent Dieu, par allusion aux paroles de Daniel, chap. 8, versets 9 et 13. — Au lieu de שגלן, qu’a révélées, nos éditions du Talmud portent שכםה, qu’a couvertes; cette variante ne change rien au fond de l’interprétation et à l’usage qu’en fait Maïmonide..» Il faut donc comprendre, si tu as de l’intelligence, quel enseignement ils ont voulu nous donner par là. Ils ont exposé ailleurs(2)Quelques mss. ont , à la première personne; de même Al-’Harîzi et les mss. de la version d’Ibn-Tibbon: בארנו. Il faudrait traduire d’après cela: Nous avons déjà exposé. combien le Ma’asé mercabâ est profond et combien il est inaccessible aux esprits vulgaires; et il a été déclaré que même ce qui en est clair pour celui qui a été admis à le comprendre(3)Selon la version d’Ibn-Tibbon, il faudrait traduire: «Même ce qu’en comprend celui que Dieu a doué d’intelligence.» Al-’Harîzi traduit plus littéralement: אפילו השיעור אשר התבאר ממנו למי שנפתח לו השער מדעתו., il est interdit par la religion de l’enseigner et de le faire comprendre (aux autres), à moins que ce ne soit de vive voix et en s’adressant à un seul individu ayant certaines qualités, et encore ne lui en apprendra-t-on que les premiers éléments(4)Voy. ce que l’auteur a dit à ce sujet dans la première partie de cet ouvrage, chap. XXXIV (t. I, p. 127 et suiv.).. C’est là la raison pourquoi cette science s’est entièrement éteinte dans notre communion, de sorte qu’on n’en trouve plus la moindre trace(5)Mot à mot: ni peu, ni beaucoup.. Et il devait en effet en être ainsi, car elle n’a été transmise que par tradition d’un docteur à un autre(1)Littéralement: car elle n’avait cessé d’être transmise d’un chef (d’école) à un autre. Le mot צדר a ici le sens de principal, chef. La version d’Ibn-Tibbon, לא נעדר מקבל מפי מקבל, est à la fois obscure et incomplète. Al-’Harîzi, prenant ici le mot צדר dans le sens de poitrine, cœur, traduit ainsi: כי מאז ועד עתה לא חדל להיות מקובל מפה אל פה וחקוק מלב אל לב., et elle n’a jamais été mise par écrit.", "S’il en est ainsi, comment m’y prendrai-je pour éveiller l’attention sur ce qui m’a paru à peu près clair, ou sur ce qui est pour moi d’une évidence indubitable, selon ce que j’en ai compris(2)L’auteur distingue ici évidemment deux parties du Ma’asé mercabâ, dont il a compris l’une à peu près (עםאה) et dont l’autre lui a paru d’une clarté indubitable. Cette distinction ne ressort pas assez de la version d’Ibn-Tibbon, qui porte: להעירך על מה שאפשר שנודע לי והתבאר אלי בלי םפק במה שהבינותיו מזה. Al-’Harîzi a bien rendu tous les verbes de cette phrase; mais la nuance si essentielle du mot עםאה, à peu près, a disparu dans sa version, qui porte: להעיר אותך על מה שנראה לי והתבאר לי ונודע לי בלי םפק ממה שהבינותי ממנו.? Cependant, j’aurais cru commettre une grande lâcheté envers toi et envers tout homme perplexe, en m’abstenant de rien écrire de ce qui est clair pour moi, de sorte que ma mort inévitable en eût entraîné la perte; c’eût été en quelque sorte dérober la vérité à celui qui en est digne, ou jalouser l’héritier pour son héritage(3)Ibn-Tibbon ajoute, pour la clarté, le mot המוריש; il traduit: או קנאת המוריש ביורש על ירושתו, ou jalousie du testateur contre l’héritier pour son héritage., deux choses qui dénotent un caractère blâmable.", "D’un autre côté, nous avons déjà dit que la religion nous interdit d’exposer clairement ce sujet, sans parler de ce que le simple jugement nous impose(4)Littéralement: joint à ce qu’exige l’opinion; c’est-à-dire, sans parler de la réserve qui m’est imposée par mon propre jugement.. Ajoutons à cela que ce que j’en crois posséder moi-même n’est que simple conjecture et une opinion (personnelle)(1)Les mots דׄא חדם ותכׄמין sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par בעל םברא; Ibn-Falaquéra fait observer qu’il serait plus exact de traduire: בעל עומד ומשער. Voy. l’Appendice du Moré ha-Moré, p. 156, la note relative au chap. XLV de la IIe partie; et cf. le tome II, p. 296, note 1, et p. 345, note 6.. Je n’ai point eu là-dessus de révélation divine qui m’ait fait savoir que ce soit là réellement ce qu’on a voulu dire, et je n’ai pas non plus appris(2)Au lieu de תלקנת, quelques mss. ont , ce qui a à peu près le même sens. d’un maître ce que j’en pense; mais ce sont les textes des livres prophétiques et des discours des docteurs, ainsi que ces propositions spéculatives que je possède, qui m’ont induit à croire que la chose est indubitablement ainsi. Cependant, il est possible qu’il en soit autrement et qu’on ait voulu dire tout autre chose.", "Dirigé par une pensée droite et par le secours divin, j’ai pris à cet égard le parti dont je vais parler: je te donnerai sur les paroles d’Ézéchiel une explication qui, entendue par le premier venu, pourra lui paraître ne rien ajouter à ce qu’exprime le texte, comme si je ne faisais que traduire des mots d’une langue dans une autre, ou résumer le sens littéral du discours; mais si elle est examinée avec un soin parfait par celui pour qui ce traité a été composé et qui en a bien compris chaque chapitre, toute la chose sera claire pour lui, comme elle est claire et manifeste pour moi, de sorte que rien n’y sera plus un mystère pour lui. C’est là tout ce qu’il a été possible de faire pour être utile à chacun, tout en s’abstenant d’enseigner clairement, et comme il le faudrait, quoi que ce soit de ce sujet.", "Après cette observation préliminaire, applique bien ton esprit aux chapitres qui vont traiter de ce sujet noble, sublime et grand, qui est un pieu auquel tout est suspendu et une colonne sur laquelle tout est appuyé(3)C’est-à-dire: ce sujet important est comme le grand pieu d’une tente auquel est suspendue toute la tenture, ou comme une colonne qui supporte toute la toiture d’un édifice. — Dans le texte arabe, les mots un pieu etc. sont écrits en hébreu, ce qui pourrait faire croire qu’ils sont tirés d’un passage talmudique relatif au Ma’asé mercabâ; mais j’ai vainement cherché un pareil passage, et il faut croire que l’auteur a simplement employé ici une locution rabbinique très-usitée de son temps et qui lui servait à caractériser la haute importance de la vision d’Ézéchiel. C’est aussi l’avis de M. le grand rabbin Klein, que j’ai consulté à cet égard et qui m’a indiqué un passage du Talmud de Jérusalem, traité Berakhôth, chap. IV (fol. 19 a), où, au sujet de l’élévation de R. Éliézer ben-Azaria à la dignité de nâsi, il est dit: אשרי אדם שיש לו יתד להתלות בה. Les mots ועמוד שהכל נשען עליו sont analogues à ces mots du livre des Juges (16, 26): העמדים אשר הבית נכון עליהם.." ], "": [ [ "On sait qu’il y a des individus humains dont les visages ont des formes semblables à celle appartenant à l’un des autres animaux, de sorte que tu vois tel individu dont le visage ressemble en quelque sorte à la face du lion, tel autre qui a pour ainsi dire une face de bœuf, et ainsi de suite(1)Maïmonide, en abordant son explication à demi-mot de la vision d’Ézéchiel, dans laquelle il semble retrouver les principales doctrines cosmologiques des péripaléticiens arabes, croit devoir indiquer en premier lieu ce qu’il faut entendre par les quatre visages attribués à chacune des quatre ’hayyôth, ou figures d’animaux (Ézéchiel, I, 10), dans lesquelles il voit les sphères célestes, ramenées à quatre, celle de la lune, celle du soleil, celle des cinq autres planètes et celle des étoiles fixes. Voy. la IIe partie de cet ouvrage à la fin du chap. IX, et chap. X, p. 82 et suiv. Le prophète prête aux ’hayyôth un visage d’homme, un visage de lion, un visage de bœuf et un visage d’aigle, et en fait ainsi les représentants de ce qu’il y a de plus noble parmi les différentes espèces d’animaux. Selon notre auteur, les trois visages d’animaux irraisonnables sont également des visages d’homme; mais il ne nous dit pas pourquoi il insiste là-dessus, et il nous laisse à deviner ce qu’il entend par le symbole des quatre visages. Nous croyons que l’auteur fait allusion aux quatre causes du mouvement des sphères, indiquées selon lui par les quatre ailes (v. 6), et dont il a parlé aux chap. IV et X de la IIe partie; ce sont: la figure de la sphère, c’est-à-dire sa sphéricité, son âme, son intellect par lequel elle conçoit, et l’Intelligence séparée, objet de son désir (voy. t. II, p. 88). Dans le monde sublunaire, l’homme est le seul être dans lequel se retracent ces quatre causes du mouvement; l’homme seul possède une âme douée de conception et un intellect, qui sont mis en mouvement par le désir de s’unir avec l’intelligence séparée, c’est-à-dire avec l’intellect actif universel; et à ce point de vue, le mouvement de l’homme n’a rien de commun avec celui des animaux irraisonnables et ne peut être comparé qu’au mouvement circulaire des sphères. Cf. t. II, chap. IV, p. 52. L’explication que nous venons de donner est indiquée par Samuel ibn-Tibbon dans son traité Yikkawou ha-maïm, chap. XI, p. 47: וענין הנפש והשכל רמז אליו בשרמז שכלם יש להם פני אדם וכל הפנים פני אדם. Nous laissons de côté d’autres explications données par Moïse de Narbonne et Éphôdi, et qui se rapportent à ce que l’auteur a dit sur les quatre forces émanées des quatre sphères et agissant sur les quatre éléments (t. II, chap. X, p. 89); ces explications n’offrent aucun intérêt ni pour la science, ni pour son histoire, et nous nous bornerons à ce qui est strictement nécessaire pour l’intelligence des paroles obscures de Maïmonide. — Au reste, toute l’interprétation que Maïmonide donne ici, à mots couverts, de la vision d’Ézéchiel, est basée, comme nous l’avons dit, sur la cosmologie péripatéticienne; mais si le prophète, comme il est probable, s’est servi de symboles astronomiques, il n’a pu les emprunter qu’à l’astronomie de son temps, et il faudrait s’adresser à la science chaldéenne pour en trouver l’explication. Isaac Abravanel a renversé de fond en comble l’interprétation de Maïmonide en faisant observer avec raison que, si c’était là le sens de la vision d’Ézéchiel, il n’y aurait pas lieu d’en faire tant de mystère, puisqu’il ne s’agirait que d’une science qui est enseignée dans toutes les écoles de philosophie et qui est familière aux savants de toutes les communions. Voy. la seconde Préface d’Abravanel au livre d’Ézéchiel et son commentaire sur le chap. I de ce même livre; cf. aussi le commentaire d’Abravanel sur diverses parties du Moré Neboukhîm, IIe liv., fol. 48 et suiv.; c’est d’après ces figures approchant de celles des faces des animaux que les hommes reçoivent des surnoms(1)C’est ainsi, comme le fait observer Abravanel (l. c., fol. 53 b), que Juda est appelé un jeune lionceau (Genèse, 49, 9), et Joseph un taureau (Deutéronome, XXXIII, 17; Genèse, 49, 6).. C’est ainsi que les mots face de bœuf, face de lion, face d’aigle (Ézéchiel, I, 10), ne désignent autre chose qu’une face d’homme, inclinant vers les figures de ces espèces. Deux preuves viennent à l’appui de cela: la première, c’est qu’après avoir dit des ’hayyôth (figures d’animaux) en général: Et voici leur aspect, elles avaient une figure humaine (ibid., v. 5), il dit de chacune des ’hayyôth qu’elle avait une face d’homme, une face d’aigle, une face de lion, une face de bœuf. La seconde preuve, c’est l’explication qu’il donne dans la seconde mercabâ, ayant pour but d’expliquer certaines choses qui étaient restées obscures(1)Le verbe arabe אבהמת est inexactement rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par שלא נזכרו, qui n’avaient pas été mentionnées. Ibn-Falaquéra fait observer avec raison qu’il fallait dire: דברים שנעלמו. Voy. Append. du Moré ha-Moré, p. 156. dans la première, car dans la seconde mercabâ, il dit: ils avaient chacun(2)C’est-à-dire: chacun des chérubins, car les êtres qui dans la première vision sont appelés ’hayyôth (animaux) s’appellent dans la seconde vision chérubins. Cependant, c’est évidemment à tort que Maïmonide rapporte le verset 14 du chap. X aux chérubins, ou, ce qui est la même chose, aux ’hayyôth; car il ressort de l’ensemble du discours que dans le verset en question les quatre faces sont attribuées aux roues (ophannîm), et non pas aux chérubins. Voy. le commentaire d’Abravanel sur Ézéchiel, chap. I, v. 5, et chap. X, v. 14. quatre faces, 1° une face de chérubin, 2° une face d’homme, 3° une face de lion, 4° une face d’aigle (Ezéchiel, X, 14). Il a donc dit clairement que ce qu’il avait appelé d’abord face de bœuf, c’est la face de chérubin; mais le mot כרוב (chérubin) désigne un homme d’un âge tendre(3)L’auteur paraît faire allusion à un passage du Talmud, traité ’Haghigâ, fol. 13 b: מאי כרוב אמר ר׳ אבהו כרביא שכן בבבל קורין לינוקא רביא. «Que signifie Keroub? Rabbi Abahou dit comme un enfant (KE-RABYA), car en Babylonie on appelle l’enfant RABYA. De là on peut conclure aussi sur les deux autres faces(4)C’est-à-dire: puisque les deux premières sont des faces humaines, les deux dernières le sont également.. S’il a ici omis(5)Tous les mss. portent: ואנמא חדׄף פני שור; l’auteur parle de l’omission faite, dans la seconde vision, de la face de bœuf et de son remplacement par la face de chérubin. Au lieu de חדׄף, Ibn-Tibbon paraît avoir lu חרף, car il traduit (mss. et édit. princeps): ואמנס מלת פני שור; les éditeurs, ayant trouvé cette version un peu obscure, ont ajouté avant מלת le verbe אמר. Cependant le mot arabe חרף ne s’emploie que dans le sens de lettre ou particule, et n’aurait pu être employé ici pour désigner l’expression פני שור. Al-’Harîzi traduit plus exactement: ואולם עזב לזכור פני שור. la face de bœuf, c’est aussi pour appeler l’attention sur une certaine étymologie, chose à laquelle nous avons déjà fait allusion(1)Voy. t. II, chap. XLIII, p. 327, où l’auteur dit que les prophètes en nommant un objet qui leur a apparu dans une vision font quelquefois allusion à un autre objet qui porte un nom analogue. L’auteur ne dit pas de quelle étymologie il veut parler ici. Peut-être veut-il dire que le mot שור (bœuf) a été remplacé par chérubin, désignant un jeune homme, pour indiquer l’idée de contemplation que renferme la racine hébraïque שור et qui ne peut s’appliquer qu’à un être humain. Cf. le commentaire d’Éphôdi.. Il ne serait pas permis de dire qu’il s’agit peut-être ici de la perception d’autres figures, car, à la fin de cette seconde description, il dit: C’était laHAYYA (l’animal) que j’avais vue sous le Dieu d’Israël, près du fleuve de Chaboras (Ibid., 10, 20). — Voilà donc éclairci ce que nous avons cru devoir expliquer en premier lieu(2)Littéralement: ce par quoi nous avons commencé l’explication; c’est-à-dire, ce que nous avons cru devoir expliquer préalablement avant d’entrer dans les détails de la vision d’Ézéchiel. La version d’Ibn-Tibbon, מה שהחלונו לבארן, n’est pas exacte; il faudrait traduire: מה שהחלונו בביאורו.." ], [ "Il (le prophète) raconte avoir vu quatre ’HAYYÔTH (figures d’animaux) dont chacune avait quatre faces, quatre ailes, et deux mains; l’ensemble de la configuration de chaque ’hayyâ était une figure d’homme, comme il dit: elles avaient une ressemblance humaine (Ézéchiel, I, 5)(1)Les quatre ’hayyôth représentent, selon Maïmonide, les quatre sphères, comme nous l’avons dit plus haut, p. 7, note 1. On a vu ce que signifie leur figure humaine; le symbole des quatre ailes a été expliqué ailleurs, et on a vu que, selon notre auteur, elles représentent les quatre causes du mouvement des sphères. Voy. t. I, p. 179, et ibid., note 2; t. II, p. 88, et ibid., note 1.. Il dit également que les mains étaient des mains d’homme (v. 8), car on sait que les mains de l’homme sont formées de manière à pouvoir faire des ouvrages d’art, ce dont on ne saurait douter(2)Les deux mains représentent la double action des forces émanées des sphères célestes et dont l’auteur a parlé au chap. X de la IIe partie (t. II, p. 89); cette double action consiste à donner naissance à toute chose, et à conserver ce qui est né. A l’endroit que nous venons d’indiquer, l’auteur compare également cette action à celle de l’art ou de la faculté artistique de l’homme .. Ensuite, il dit que leurs pieds étaient droits, ce qui veut dire qu’ils n’avaient pas d’articulations; tel est le sens littéral des mots pieds droits (v. 7)(3)Les pieds ou les jambes sans articulations indiquent, selon l’auteur, le mouvement perpétuel des sphères, car celui qui veut s’asseoir pour se reposer de sa marche a besoin d’articulations.. Les docteurs disent également: «Leurs pieds étaient des pieds droits; cela veut dire que les êtres supérieurs ne s’asseyent pas(4)Voy. Beréschîth rabbâ. sect. 65 (fol. 58, col. 3): אמר ר׳ שמואל אין ישיבה למעלה שנאמר ורגליהם רגל ישרה אין להם קפיציי..» Il faut aussi te bien pénétrer de cela. — Il dit encore que les plantes des pieds, organes de la marche, n’étaient pas comme (celles) d’un pied d’homme; les mains seules ressemblaient aux mains de l’homme, mais les pieds étaient arrondis comme la plante d’un pied de veau (v. 7)(5)L’auteur voit dans ces mots une allusion au mouvement circulaire des sphères; le mot עגל, veau, rappelle le mot עגול, rond. Cf. t. II, à la fin des chap. XXIX et XLIII.. Puis il dit qu’entre chaque couple(6)La plupart des mss. portent בינהמא, au duel, ce qui veut dire: entre les ’hayyôth, prises deux à deux. de ces quatre ’hayyôth il n’y avait ni interstice, ni espace, et qu’au contraire elles étaient appliquées les unes sur les autres, comme il est dit: attachées l’une à l’autre (v. 9)(1)Il faut se rappeler ce que l’auteur dit ailleurs des sphères célestes, étroitement emboîtées les unes dans les autres, sans laisser aucun vide. Voy. t. I, chap. LXXII, p. 357.. Mais, ajoute-t-il, quoiqu’elles fussent appliquées les unes sur les autres(2)Tous les mss. portent מע כונהם מתלאזקין, ce qui est incorrect, car les règles grammaticales demandaient מע כונהא מתלאזקה̈. Je crois qu’il faut prononcer , au duel masculin, et que l’auteur, oubliant les ’hayyôth, a pensé aux sphères qu’elles représentent, car le mot , sphère, est du genre masculin; il considère ici les sphères deux à deux, attachées l’une à l’autre. J’ai donc cru, pour obtenir une leçon entièrement correcte, devoir écrire כונהמא, avec le suffixe duel, au lieu de כונהם qu’ont les mss., leurs faces et leurs ailes étaient séparées en haut, comme il est dit: leurs faces et leurs ailes étaient séparées par en haut (v. 11). Remarque bien l’expression par en haut; car les corps seuls étaient appliqués les uns sur les autres, tandis que leurs faces et leurs ailes étaient séparées, mais seulement par en haut(3)On a déjà vu que les faces et les ailes représentent, selon l’auteur, les causes du mouvement des sphères. Parmi ces causes, trois sont inhérentes à chaque sphère, à savoir: sa sphéricité, son âme et son intellect; la quatrième est l’Intelligence supérieure, objet du désir de chaque sphère. Cette quatrième cause est une Intelligence séparée de la sphère, et les différentes Intelligences séparées sont aussi distinctes entre elles, en ce qu’elles sont les causes et les effets les unes des autres. (Voy. t. II, Introduction, seizième proposition, et ibid., p. 31, note 2.) C’est pourquoi le prophète dit que les faces et les ailes étaient séparées par en haut, ce qui veut dire que les causes supérieures du mouvement sont séparées de leurs sphères respectives et distinctes entre elles. Tel paraît être le sens des paroles obscures de Maïmonide; mais il ne nous donne aucune indication sur la manière dont il entend la suite du verset 11: לאיש שתים חוברות איש ושתים מכסות את גויתיהנה. Peut-être faut-il, d’après Maïmonide, traduire ainsi ces mots: deux (ailes) étaient attachées à chacune (des ’hayyôth) et deux couvraient leurs corps, c’est-à-dire deux des causes motrices, à savoir la sphéricité et l’âme, sont inhérentes à chaque sphère, tandis que les deux autres planent en quelque sorte au-dessus d’elle; car l’Intelligence séparée, objet du désir de la sphère, se trouve en dehors d’elle, et l’intellect qui conçoit cet objet désiré est dans un intime rapport avec lui.. C’est pourquoi il dit: ופניהם וכנפיהם פרדות מלמעלה(1)Cette dernière phrase, qui se trouve dans plusieurs mss. arabes, a été supprimée dans les deux versions hébraïques, comme répétition inutile.. Il dit encore qu’elles étaient brillantes comme la surface de l’airain poli (v. 7), et enfin qu’elles étaient aussi lumineuses, comme il est dit: leur aspect était comme des charbons de feu (v. 13)(2)L’auteur fait allusion d’une part aux sphères elles-mêmes, et d’autre part aux astres qu’elles renferment; celles-là ont une matière pure et transparente, mais qui ne donne pas de lumière; ceux-ci, au contraire, sont lumineux sans être transparents. Voy. t. II, chap. XIX, p. 159-160.. C’est là en somme ce qu’il dit de la configuration des ’hayyôth, à savoir, de leur figure, de leur substance(3)Au lieu de וגׄוהרהא, Ibn-Tibbon paraît avoir lu ווגׄוההא, car sa version porte ופניהם, de leurs faces; Al-’Harîzi a ועצמם, de leur substance., de leur forme, de leurs ailes, de leurs mains et de leurs pieds.", "Commençant ensuite à décrire de quelle manière sont les mouvements de ces ’hayyôth, il s’exprime à cet égard de la manière suivante: Dans les mouvements des ’hayyôth, dit-il, il n’y avait ni détour, ni déviation, ni courbure; c’était, au contraire, un mouvement uniforme, comme il dit: Elles ne se détournaient pas dans leur marche (v. 12)(4)Voy. t. I, chap. LXXII, p. 357, où l’auteur dit en parlant des sphères: «Elles ont toutes un mouvement circulaire égal, et dans aucune d’elles il n’y a ni précipitation, ni ralentissement; je veux dire qu’aucune de ces sphères ne se meut tantôt rapidement, tantôt lentement, mais que chacune, pour sa vitesse et sa manière de se mouvoir, reste soumise à sa loi naturelle.». — Il dit ensuite que chacune des ’hayyôth suivait la direction de sa face, ce qu’il exprime par ces mots: chacune marchait du côté de sa face (v. 9). Ainsi, il dit clairement que chaque ’hayyâ ne marchait que (du côté) où était dirigée sa face(1)L’auteur fait allusion au désir qu’a chaque sphère de s’approcher de sa cause prochaine, ou de l’Intelligence séparée qui lui préside, et qui détermine son mouvement.; mais puissé-je savoir de quelle face il s’agit, puisque chaque ’hayyâ avait plusieurs faces(2)L’auteur veut indiquer, ce me semble, qu’il peut rester quelques doutes sur le sens qu’il attribue au mot face, et qu’il n’est pas prouvé d’une manière indubitable qu’il s’agisse du désir qui entraîne chaque sphère vers son Intelligence séparée. En effet, le mot face est équivoque, puisque le prophète attribue à chaque ’hayyâ quatre faces. Selon Schem-Tob, l’auteur ferait ici allusion à l’objection qu’il a faite aux philosophes, au chap. XIX de la IIe partie (p. 162), en disant qu’on ne saurait attribuer aux Intelligences séparées une position de lieu et qu’on ne peut dire qu’elles soient à l’orient ou à l’occident.! Quoi qu’il en soit, les quatre ne marchaient pas du même côté, car sans cela il n’aurait pas attribué à chacune un mouvement particulier en disant: chacune marchait du côté de sa face(3)En tous cas, dit l’auteur, il est certain qu’il s’agit ici du mouvement des sphères, qui s’effectue en divers sens, car les unes se dirigent d’occident en orient et les autres d’orient en occident. Voy. t. I, p. 357, et t. II, p. 151 et p. 158. L’auteur n’a pu ici vouloir faire allusion à la sphère supérieure appelée la sphère diurne, et qui se meut d’orient en occident; car, d’après lui, la sphère diurne est sans étoiles et ne compte pas au nombre des quatre sphères représentées par les quatre ’hayyôth. Ces dernières, comme on l’a déjà vu, p. 7, note 1, sont: la sphère de la lune, celle du soleil, celle qui embrasse les sphères des cinq planètes, et enfin celle des étoiles fixes. Le mouvement propre de toutes ces sphères se fait de l’occident à l’orient; si donc l’auteur fait allusion ici à un mouvement opposé d’orient en occident, il n’a pu avoir en vue que les sphères des nœuds des planètes, ainsi que nous l’avons fait observer au chap. XIX de la IIe partie, p. 158, note 2.. — Il dit encore que la manière de se mouvoir de ces ’hayyôth était une course (rapide), et que c’était également par une course qu’elles revenaient sur leurs pas(4)Je crois que l’auteur veut encore parler ici des deux mouvements opposés des sphères, à savoir de leur mouvement périodique de l’occident à l’orient et du mouvement diurne de l’orient à l’occident qui leur est imprimé par la sphère supérieure, ou la sphère diurne. Voy. t. II, p. 151, note 3. — Moïse de Narbonne et Schem-Tob, trompés par la traduction d’Ibn-Tibbon, qui porte: והן חוזרות חלילה, et elles tournaient circulairement, ont pensé qu’il s’agit ici du mouvement circulaire, par lequel les sphères reviennent toujours à leur point de départ; mais si tel était le sens, la comparaison avec le mouvement de l’éclair serait mal choisie. Les mots arabes והי ראגׄעה̈ עלי אעקאבהא signifient: et elles revenaient sur leurs pas, et c’est dans ce sens que traduit Al-’Harîzi: והם חוזרות על עקבותיהם במרוצה.. C’est là ce qu’il exprime par les mots: Et les ’hayyôth couraient et revenaient, רצוא ושוב (v. 14); car רצוא est l’infinitif du verbe רָץ, il courut, et שוב, est l’infinitif du verbe שָׁב, il revint. Il n’emploie pas les verbes הלוך ובוא, aller et venir, mais il dit que leur mouvement était une course et un retour sur leurs pas, ce qu’il explique par une image en disant: comme l’aspect de l’éclair, BAZAK (ibid.), car bazak a le même sens que barak (éclair). Il dit donc: semblables à l’éclair, dont le mouvement semble le plus rapide qu’il y ait et qui s’étend avec rapidité en s’élançant d’un certain endroit, et ensuite coup sur coup se relire et retourne avec la même rapidité à son point de départ. Jonathan ben Uziel explique les mots couraient et revenaient en ces termes: «Elles faisaient le tour du monde, et revenaient (sur leurs pas), comme une seule créature(1)Au lieu de בריא חדא, nos éditions du Targoum portent: בריָתא כחדא, de sorte qu’il faudrait traduire: et les créatures (les ’hayyôth) revenaient ensemble, etc. Quelques mss. du Targoum ont בריְתא חדא, et d’autres ברית חדא; dans le commentaire d’Abravanel sur ce verset, la citation du Targoum est conforme à celle de Maïmonide. Les éditions du Targoum ajoutent encore après ומקפן le mot ומכסן, qui ne se trouve pas dans les mss., rapides comme l’aspect de l’éclair.» Il (le prophète) ajoute ensuite que, si la ’hayyâ accomplit ce mouvement de course (en avant) et en arrière vers un certain côté, c’est là un mouvement(2)Au lieu de ליסת חרכה̈, le ms. de Leyde, n° 18, porte ליסת תחרכהא (c’est-à-dire: ), et c’est peut-être cette leçon qu’avait Ibn-Tibbon, qui traduit אין תנועתה מעצמה. D’autres mss. portent ליסת תחרכה, ce qui est encore moins correct. La version d’Al-’Harîzi, איננה תנועה מעצמה, est conforme à la leçon que nous avons adoptée. qui ne vient pas d’elle-même, mais d’autre chose, je veux dire de l’intention divine. Il dit donc que le côté vers lequel, selon l’intention divine, la ’hayyâ devait se mouvoir, était celui(1)Littéralement: que le côté vers lequel c’était l’intention divine que la ’hayyâ se mût, vers ce même côté elle accomplissait etc. Les mots אלי תלך אלגׄהה̈, vers ce même côté, ne sont pas rendus dans la version d’Ibn-Tibbon. Celle d’Al-’Harîzi porte: אל הפאה ההיא התנועע בתנועה קלה שהיא רצוא ושוב. Au lieu de התנועע qu’ont ici nos éditions de la version d’Ibn-Tibbon et celle d’Al-’Harîzi, il faut écrire תתנועע, comme l’ont en effet les mss. d’Ibn-Tibbon et l’édition princeps. vers lequel elle accomplissait ce mouvement rapide désigné par les mots couraient et revenaient. C’est là ce qu’il dit en parlant des ’hayyôth: Là où c’etait l’intention (divine), HA-ROUA’H, qu’elles allassent, elles allaient, sans se détourner de leur marche (v. 12). Le mot ROUA’H (רוח) ne signifie pas ici le vent, mais a le sens d’intention, comme nous l’avons exposé au sujet du mot ROUA’H(2)Voy. t. I, chap. XL, p. 144.. Ainsi, il veut dire que la ’hayyâ suivait dans sa course la direction que lui donnait l’intention divine(3)Littéralement: Il dit donc: le côté vers lequel c’était l’intention divine que la ’hayyâ marchât, vers ce côté même courait la ’hayyâ. L’auteur se serait exprimé d’une manière à la fois plus simple et plus correcte si, au lieu de פפי תלך אלגׄהה̈ תגׄרי אלחיה אליהא, il avait dit פאלי תלך אלגׄהה̈ תגׄרי אלחיה. Ibn-Tibbon a reproduit cette espèce de pléonasme, en disant: בצד ההוא תרוץ החיה אליו. Al-’Harîzi a: כי הפיאה אשר ירצה החפץ האלוהי ללכת החיה אליה שם הוא חפץ החיה ללכת. — Selon les commentateurs, l’auteur veut parler ici du désir, qui attire chaque sphère vers son Intelligence respective, cause prochaine de son mouvement. C’est aussi dans ce sens qu’Abravanel entend les paroles de Maïmonide, et il objecte que l’Intelligence séparée n’a pas de lieu déterminé pour qu’on puisse dire qu’elle fait mouvoir les sphères vers elle. Voy. Abravanel, commentaire sur Ézéchiel, chap. I, v. 12: וגם אמרו אל אשר יהיה שמה הרוח ללכת ילכו שהרב מפרש אותו על הגלגל שיתנועע לצד מניעו יקשה לו מאד שהנבדל אין לו מקום מיוחד ויחסו לכל המקומות הוא אחד ולמה אם כן התחלפו תנועות הגלגלים. Mais c’est là précisément l’objection que Maïmonide a faite lui-même à l’hypothèse des philosophes, afin de montrer que les divers mouvements des sphères célestes ne sont déterminés que par la volonté libre du créateur agissant avec intention. Voy. t. II, chap. XIX, p. 162. Évidemment, c’est cette même intention divine que, selon Maïmonide, Ézéchiel aurait désignée ici par le mot רוח, esprit, intention.. C’est dans le même sens que Jonathan ben Uziel a expliqué ce passage: «Là où c’était la volonté (רעוא) qu’elles allassent, elles allaient, elles ne se détournaient pas dans leur marche.» Mais comme les mots אל אשר יהיה שמה הרוח וגו׳, là où c’était l’intention etc. pourraient s’entendre dans ce sens que, dans l’avenir, tantôt Dieu voudra que la ’hayyâ prenne telle direction, tantôt il voudra qu’elle marche dans telle autre direction, opposée à la première(1)Plus littéralement: Mais comme les mots etc. pourraient avoir ce sens littéral que tantôt Dieu voudra dans l’avenir qu’elle marche vers un certain côté, et la ’hayyâ ira de ce côté, et tantôt il voudra qu’elle marche vers un autre côté, opposé à celui-là, et elle marchera… Au commencement de cette phrase Ibn-Tibbon a un peu modifié la construction. Al-’Harîzi traduit littéralement: ומפני שהיה מה שאמר אל אשר יהיה שמה הרוח ללכת ילכו שילכו לפאה אחת (lis. בעתיד) יורה פשט זה המאמר כי פעם ירצה בעת ותלך החיה לפאה ההיא וגו׳., il (Ezéchiel) revient expliquer ce qu’il y a là d’obscur, et il nous fait savoir qu’il n’en est point ainsi, et que (l’aoriste) יהיה, c’est, ce sera, a ici le sens de היה, c’était, ce fut, ce qui arrive fréquemment en hébreu. La direction, dit-il, dans laquelle Dieu voulut que la ’hayyâ marchât était déterminée, la ’hayyâ marchait dans la direction où Dieu avait voulu qu’elle marchât, et la volonté (divine) était stable à l’égard de cette direction. Pour expliquer cette idée et pour compléter son discours, il dit dans un autre verset: Là où c’était l’intention qu’elles allassent, elles allaient, ET L’INTENTION ÉTAIT (TOUJOURS) QU’ELLES Y ALLASSENT (v. 20). Il faut te bien pénétrer de cette explication remarquable. — Voilà donc comment il décrit la manière de se mouvoir des quatre ’hayyôth, après avoir décrit leurs figures.", "Il aborde ensuite une autre description, et il dit qu’il a vu, au-dessous des ’hayyôth, un (autre) corps qui était attaché à celles-ci. Ce corps se joignait à la terre et formait également quatre corps ayant aussi quatre faces(1)L’auteur veut parler de la matière première sublunaire ou du corps élémentaire qui forme les quatre éléments, dont chacun a une forme spécifique particulière. Cf. t. I, chap. LXXII, p. 358-359; t. II, chap. XIX, p. 148, et ibid., notes 1 et 2.. Il ne lui attribue aucune figure, ni figure d’homme, ni figure d’aucun autre animal(2)Car les éléments sont des corps inertes qui n’ont pas de mouvement par eux-mêmes, comme en ont les animaux, et qui sont mus par la sphère céleste. Voy. ci-après, p. 21, note 4.; mais il dit seulement que ce sont des corps grands, formidables et effrayants, ne leur attribuant aucune figure et disant que leurs corps sont pleins d’yeux(3)Voy. Ézéchiel, chap. I, v. 18; l’auteur va dire tout à l’heure ce qu’il entend par les yeux.. Ce sont eux qu’il nomme OPHANNÎM, roues: Je vis les ’hayyôth, dit-il, et voici il y avait un OPHAN (une roue), sur la terre, près des ’HAYYÔTH, avec ses quatre faces (v. 15). Il dit donc clairement que c’était un seul corps dont une extrémité était près des ’hayyôth et dont l’autre extrémité était sur la terre, et que cet ophan avait quatre faces. Il continue: L’aspect des OPHANNÎM et leur façon étaient comme la couleur du TARSCHISCH(4)Nom d’une pierre précieuse par laquelle, selon l’auteur, Ézéchiel indique la matière première. Voy. plus loin, chap. IV, vers la fin., et tous les quatre avaient une même ressemblance (v. 16). Ainsi, après avoir parlé d’un ophan, il parle ensuite de quatre, indiquant clairement par là que les quatre faces qu’avait l’ophan sont les quatre ophannîm(5)C’est-à-dire, que les quatre faces attribuées à la matière première sublunaire représentent les quatre éléments. S’il les appelle OPHANNÎM, ou roues, il faut se rappeler que les éléments forment également des sphères placées les unes dans les autres. Voy. t. I, chap. XXXVI, p. 134, note 2, et ci-après, chap. III, où l’auteur explique ce verset: les OPHANNÎM, je les entendis appeler GALGAL (Ézéchiel, X, 13).; et il dit ensuite que les quatre ophannîm avaient une seule et même figure, ce qu’il exprime par les mots: et tous les quatre avaient une même ressemblance(6)C’est-à-dire, la forme corporelle, commune aux quatre éléments.. Il déclare ensuite à l’égard de ces ophannîm qu’ils étaient composés les uns avec les autres(1)L’auteur fait allusion au mélange des éléments, qui, comme il le dit ailleurs, agissent les uns sur les autres et reçoivent les impressions les uns des autres. Voy. t. I, chap. LXXII, p. 360., ce qu’il exprime par ces mots: leur aspect et leur façon étalent comme si un OPHAN se trouvait dans l’intérieur d’un autre OPHAN (v. 16). C’est là une expression qui n’est point employée à l’égard des ’hayyôth; car il ne se sert pas, en parlant des ’hayyôth, du mot תוך (à l’intérieur), mais (il dit que) celles-ci étaient appliquées(2)Voy. ci-dessus, p. 12, note 1. — Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ici le mot מורכב et un peu après שקצתם מחובר בקצתם, ce qui donne un contre-sens. Il faut mettre à la première place מחובר et à la seconde מורכב, comme l’ont en effet les mss. les unes aux autres, en se servant de l’expression attachées l’une à l’autre (v. 9); tandis qu’il dit des ophannîm qu’ils étaient composés les uns avec les autres, comme si un OPHAN se trouvait à l’intérieur d’un autre OPHAN. Quant à ce qu’il dit que le corps tout entier des ophannîm était plein d’yeux, il se peut qu’il veuille dire (réellement) qu’ils étaient remplis d’yeux(3)Dans la phrase arabe, le suffixe de אנהא ne peut se rapporter qu’aux ophannîm, et la version d’Ibn-Tibbon שהוא מלא עינים est inexacte. Celle d’Al-’Harîzi porte: כי הם מלאות עינים. Quant au sens, les commentateurs pensent que Maïmonide fait allusion aux nombreuses créatures vivantes composées des éléments et qui toutes ont des yeux. En effet, il serait difficile de trouver un autre sens dans les paroles de Maïmonide, et c’est avec raison qu’Abravanel s’élève contre une interprétation si peu probable des paroles du prophète (commentaire sur Ézéchiel, I, 18):. Mais il se peut aussi (que cela signifie) qu’ils ont de nombreuses couleurs, (comme dans ce passage) et sa couleur, ועינו, était comme la couleur du Bdellion (Nombres, 11, 7); ou bien il se peut que (par yeux) il ait voulu dire similitude(1)C’est-à-dire, que les éléments renferment une foule d’images de toutes sortes de créatures. Les commentateurs, trompés par le mot דמיונות qu’emploie ici la version d’Ibn-Tibbon, l’ont expliqué dans le sens d’imagination, «car (dit Schem-Tob) des éléments il naît des animaux qui ont de l’imagination» כי מהיסודות יתחדשו בעלי חיים שיש להם דמיון. Cette explication est non-seulement trop recherchée, mais elle ne peut nullement s’appliquer au mot arabe אמתׄלה̈ (pluriel de מתׄאל), qui n’a jamais le sens d’imagination; et d’ailleurs, elle ne cadre pas non plus avec l’exemple que Maïmonide va citer du Talmud., selon l’expression que nous trouvons dans le langage des anciens docteurs(2)Littéralement: comme nous trouvons que les anciens de la langue s’expriment. Ibn-Tibbon a simplement: קדמונינו; Al-’Harîzi traduit plus exactement: כמו שיאמרו זקני הלשון. — Les expressions citées ici par Maïmonide se trouvent dans le Talmud de Babylone, traité Baba Kamma, fol. 65 et 66, où il est question de la restitution des choses volées, dont le principal doit être restitué semblable à ce qu’on a volé, c’est-à-dire selon la valeur qu’il avait au moment du vol, mais dont l’amende, c’est-à-dire le double (Exode, 22, 3, 6), le quadruple ou le quintuple (Ibid., XXI, 37), se paye selon la valeur qu’ont les choses volées au moment du jugement. כעין שגזל ,כעין שגנב, voulant dire semblable à ce qu’on a volé, semblable à ce qu’on a ravi; ou bien enfin cela signifie des circonstances et des qualités variées(3)C’est-à-dire, que le mot yeux a ici le sens de circonstance ou de qualité, car les éléments renferment beaucoup de choses de qualités différentes., comme dans ce passage: Peut-être Dieu regardera-t-il בעיני, c’est-à-dire: mon état(4)Ce passage est tiré du IIe livre de Samuel, chap. XVI, verset 12, où le kethib porte בעוני (pour בְעָנְיִי), mon affliction, et le keri בעיני, mon œil, ce que Maïmonide explique par mon état. Cf. le commentaire de David Kim’hi sur ce verset:. Voilà donc la description qu’il donne de la forme des ophannîm.", "Quant au mouvement des ophannîm, il dit que là aussi il n’y avait ni courbure, ni détour, ni déviation, mais que c’étaient des mouvements droits qui ne variaient pas(1)L’auteur fait allusion aux mouvements que font les éléments pour retourner à leur lieu naturel, lorsqu’une cause quelconque les en a fait sortir; ce mouvement se fait en ligne droite. Voy. t. I, chap. LXXII, p. 358-359.. C’est là ce qu’il dit: En marchant ils se dirigeaient vers leurs quatre côtés(2)C’est-à-dire, les ophannîm ou les quatre éléments se dirigeaient chacun vers son lieu naturel, la terre vers le centre du monde, le feu vers la circonférence, l’eau et l’air vers des lieux intermédiaires entre le centre et la circonférence., sans se détourner dans leur marche (v. 17). Il dit ensuite que ces quatre ophannîm ne se mouvaient pas par eux-mêmes, comme les ’hayyôth, et qu’au contraire(3)La particule בל, mais, au contraire, n’a pas été rendue par Ibn-Tibbon, qui a simplement: ואין תנועה להם וגו׳., ils n’avaient en eux aucun autre mouvement que celui qui leur était donné par une impulsion du dehors(4)Il faut se rappeler ce que l’auteur dit ailleurs en décrivant les éléments (t. I, p. 358): «Ce sont des corps inanimés qui n’ont ni vie ni perception, et qui ne se meuvent pas par eux-mêmes, mais qui restent en repos dans leurs lieux naturels.» Le mouvement que font les éléments pour sortir de leur lieu naturel n’est jamais spontané, mais est purement accidentel, et leur est imprimé par une force extérieure, comme par exemple le mouvement de la terre et de l’eau vers le haut, et celui du feu et de l’air vers le bas. De même, le mouvement circulaire que font les sphères des éléments, et qui produit le mélange des éléments, a pour cause le mouvement de la sphère céleste. Cf. t. II, chap. XIX, p. 148.. Il insiste sur la répétition de cette idée et la fait ressortir plusieurs fois. Il déclare que ce qui mettait en mouvement les ophannîm, ce n’était autre chose que les ’hayyôth(5)Car à tout mouvement dans le monde sublunaire on peut donner pour cause le mouvement de la sphère céleste. Voy. t. I, p. 361 et suiv.; t. II, p. 30., de sorte que, pour me servir d’une image, il en était du rapport de l’ophan à la ’hayyâ comme quand on attache un corps mort aux pieds de devant ou de derrière d’un animal; toutes les fois que cet animal sera en mouvement, ce bois ou cette pierre qu’on a attachés au membre de cet animal sera également en mouvement. Il dit donc: Quand les ’HAYYÔTH marchaient, les ophannîm marchaient auprès d’elles, et quand les ’HAYYÔTH s’élevaient de dessus la terre, les OPHANNÎM aussi s’éle vaient (v. 19); et il dit encore: Et les OPHANNÎM s’élevaient vis-à-vis d’elles (v. 20), ce dont il explique la cause en disant: car l’esprit (ROUA’H) de laHAYYA était dans les OPHANNÎM. Il répète encore cette idée pour la confirmer et pour la mieux faire comprendre, et il dit: Quand elles marchaient, ceux-ci marchaient aussi, et quand elles s’arrêtaient ils s’arrêtaient(1)Nous ne saurions dire comment Maïmonide, dans son système, a entendu les mots et quand elles s’arrêtaient ils s’arrêtaient, car le mouvement des ’hayyôth, ou des sphères célestes, ne s’arrête jamais. Selon quelques commentateurs, Maïmonide aurait entendu ici le verbe עמד dans le sens de durer, subsister (cf. t. I, chap. XIII, p. 63), c’est-à-dire que les ophannîm ne subsistent que par la durée des ’hayyôth. Selon d’autres, il aurait pensé à la station apparente des planètes (voy. t. II, chap. X, p. 86, note 2), pendant laquelle les forces des astres cesseraient d’agir sur les éléments. Cf. Samuel ibn-Tibbon, Yikkawou ha-maïm, chap. X, p. 53., et quand elles s’élevaient de dessus la terre, les ophannîm aussi s’élevaient vis-à-vis d’elles, car l’esprit de la ’hayyâ était dans les OPHANNÎM (v. 21). L’ordre de ces mouvements est donc celui-ci: Les ’hayyôth se mouvaient dans la direction vers laquelle, selon l’intention divine, elles devaient se mouvoir; et par le mouvement des ’hayyôth, les ophannîm aussi étaient mis en mouvement, en les suivant parce qu’ils y étaient attachés, car les ophannîm ne se mouvaient pas spontanément vers les ’hayyôth. Cet ordre, il le décrit en disant: Là où c’était l’intention qu’elles allassent, elles allaient, et l’intention était (toujours) qu’elles y allassent; et les OPHANNÎM s’élevaient vis-à-vis d’elles, car l’esprit (ROUA’H) de la ’hayyâ était dans les ophannîm (v. 20). Je t’ai déjà fait connaître la paraphrase de Jonathan ben Uziel, qui dit: «Là où c’était la volonté (רעוא) qu’elles allassent etc.»", "Après avoir achevé la description des ’hayyôth, de leurs figures et de leurs mouvements, et après avoir parlé des ophannîm qui sont au-dessous des ’hayyôth auxquelles ils sont attachés et dont ils suivent le mouvement, il aborde une troisième perception et revient à une autre description(1)C’est-à-dire: le prophète reprend la description de ce qu’il n’avait fait qu’indiquer rapidement au verset 4., à savoir de ce qui est au-dessus des ’hayyôth. Au-dessus des quatre ’hayyôth, dit-il, il y avait un firmament (v. 22); sur ce firmament il y avait la ressemblance d’un trône, et sur le trône quelque chose qui ressemblait à l’aspect d’un homme (v. 26)(2)L’auteur nous laisse à deviner ce qu’il entend par ces différentes images. Selon Éphôdi et Schem-Tob, le firmament représenterait la neuvième sphère dénuée d’étoiles, ou celle du mouvement diurne, ce qui cadre très-bien avec les idées de Maïmonide. Le trône représenterait la convexité ou la surface de cette même sphère (cf. Samuel ibn-Tibbon, l. c., p. 48), et la figure humaine qui plane au-dessus représenterait l’intelligence de cette sphère, qui est la première des Intelligences séparées. Plus loin, l’auteur déclare qu’il faut se garder de voir dans la figure humaine Dieu lui-même et qu’elle ne saurait représenter qu’un être créé, à savoir la première des Intelligences. Il est vrai qu’au chap. LXX de la Ire partie, l’auteur représente la Divinité elle-même comme trônant sur le ciel ’Arabôth. Mais cette contradiction n’est qu’apparente, comme nous l’avons déjà fait observer ailleurs. Voy. t. I, p. 28, note 1. — Selon Moïse de Narbonne, il faut voir dans le trône une sphère supérieure, au-dessus de la sphère diurne, et qui porte le nom de שמי ההצלחה, ciel de la béatitude; mais c’est là une idée des kabbalistes, qu’on ne saurait attribuer à Maïnionide..", "Tel est l’ensemble de la description qu’il donne de la vision qu’il eut d’abord près du fleuve de Chaboras." ], [ "Ézéchiel, après avoir donné la description de la Mercabâ, telle qu’il la donne au commencement du livre, eut une seconde fois la même perception, lorsque, dans une vision prophétique, il fut transporté à Jérusalem; et ici il nous explique des choses qui n’avaient pas été expliquées la première fois. Il substitue par exemple au mot ’hayyôth (animaux) le mot kheroubîm (chérubins), et nous fait ainsi savoir que les ’hayyôth dont il a parlé d’abord sont aussi des anges, à savoir les chérubins(1)C’est-à-dire: que les sphères sont les êtres chargés par le créateur d’exercer une certaine action sur le monde sublunaire. Voy. la définition que l’auteur donne du mot ange au chap. VI de la IIe partie de cet ouvrage.. Il dit donc: Quand les chérubins marchaient, les OPHANNÎM marchaient près d’eux, et quand les chérubins levaient leurs ailes pour se soulever au-dessus de la terre, les ophannîm aussi ne se détournaient pas d’auprès d’eux (Ézéchiel, X, 16); et il confirme ainsi la liaison des deux mouvements, comme nous l’avons dit(2)Les chérubins représentent, comme les ’hayyôth, les sphères célestes. Ce verset, selon Maïmonide, indique, comme les versets 19-21 du chapitre I, que le mouvement des éléments dépend de celui des sphères. Voy. ci-dessus, p. 21, et ibid., notes 4 et 5.. Ensuite il dit: C’était la ’HAYYA que j’avais vue sous le Dieu d’Israël, près du fleuve de Chaboras, et je sus que c’étaient des chérubins (v. 20), de sorte que, après avoir décrit de nouveau les mêmes figures et les mêmes mouvements, il déclare que les ’hayyôth sont les chérubins et que les chérubins sont les ’hayyôth. Il expose, dans cette seconde description, encore une autre idée, à savoir, que les ophannîm sont des galgallîm (sphères)(3)Voy ci-dessus, p. 18, note 5.: Les OPHANNÎM, dit-il, je les entendis appeler GALGAL (v. 13). Puis il expose à l’égard des ophannîm une troisième idée, en disant d’eux: car ils marchaient vers l’endroit vers lequel était tournée la tête, ne se détournant pas dans leur marche (v. 11); il dit donc clairement que le mouvement forcé des ophannîm se faisait vers l’endroit vers lequel était tournée la tête, c’est-à-dire, comme il l’a exposé: là où c’était l’intention (divine) qu’elles allassent(1)C’est-à-dire, les ’hayyôth, ou les sphères célestes. Selon l’auteur, Ézéchiel ferait allusion, dans le passage cité, au mouvement circulaire que les éléments font forcément en suivant le mouvement de la sphère céleste, désignée ici par le mot tête, chose que le prophète n’avait pas suffisamment expliquée dans la première vision. Voy. ci-dessus, p. 21, note 4.. Il ajoute ensuite une quatrième idée au sujet des ophannîm en disant: les OPHANNÎM étaient pleins d’yeux tout autour, leurs quatre OPHANNÎM (v. 12), ce qu’il n’avait pas dit d’abord(2)Dans la première vision (chap. I, vers. 18), le prophète avait dit: וגבותם מלאות עינים, leurs dos, ou, selon notre auteur, leurs CORPS, étaient pleins d’yeux, tandis qu’ici il attribue les yeux à toutes les parties des ophannîm, à leur chair, à leurs mains, à leurs ailes, voulant dire que non-seulement les corps des éléments, mais toutes les parties de ces corps, leurs mélanges et leurs transformations, sont pleins d’yeux. Sur le sens du mot yeux, l’auteur s’est expliqué au chapitre précédent. Voy. p. 19 et les notes 3 et suivantes.. Il dit encore dans cette seconde vision, en parlant des ophannîm: leur chair, leur corps, leurs mains et leurs ailes (ibid.); ainsi, après n’avoir d’abord parlé ni d’une chair des ophannîm, ni de mains, ni d’ailes, mais simplement de leurs corps, il finit par dire qu’ils avaient de la chair, des mains et des ailes(3)L’auteur paraît vouloir dire que dans la première vision le prophète ne parle que du corps élémentaire en général, tandis qu’ici il fait allusion au mélange des éléments et à leurs différentes transformations., sans pourtant leur attribuer une figure quelconque(4)Voy. ci-dessus, p. 18, note 2.. En outre, il expose dans cette seconde vision que chaque ophan est en rapport avec un chérubin(5)C’est-à-dire: que chacun des quatre éléments se trouve sous l’influence spéciale de l’une des quatres sphères. Voy. le t. II, chap. X, p. 86-87., et il dit: un ophan auprès de chaque chérubin (v. 9). Enfin, il expose encore ici que les quatre ’hayyôth n’en forment qu’une seule, étant attachées les unes aux autres(6)Toutes les sphères ensemble ne forment qu’une seule substance, appelée cinquième corps. Voy. t. I, chap. LXXII, p. 356-357, et cf. ci-dessus, p. 18, note 6.: C’était, dit-il, la ’HAYYA que j’avais vue sous le Dieu d’Israël, près du fleuve de Chaboras (v. 20). C’est ainsi qu’il désigne les ophannîm par ces mots: et voici il y avait un OPHAN sur la terre (I, 15), quoiqu’il y eût, comme il le dit(1)Je lis , à la forme active, dont le sujet est Ézéchiel, comme dans . Ibn-Tibbon a כמר שנזכר, au passif., quatre OPHANNÎM (I, 16; X, 9); (et cela) parce qu’ils étaient attachés les uns aux autres, et que tous les quatre avaient une même ressemblance (I, 16)(2)C’est-à-dire: parce que les éléments forment également des sphères attachées les unes aux autres, et qu’ils ont tous la forme corporelle. Voy. t. I, p. 134, note 2, et ci-dessus, p. 18, note 2.. Telles sont les explications qu’il ajoute, dans cette seconde vision au sujet de la forme des ’hayyôth et des ophannîm." ], [ "Je dois appeler ton attention sur une opinion adoptée par Jonathan ben Uziel. Ayant vu qu’il est dit clairement(3)Tous les mss. arabes ont אלתצריח בקולה, et de même la version d’Al-’Harîzi: מה שהודיע באמרו. La version d’Ibn-Tibbon poite dans nos éditions: עניין מאמר הנביא מבואר; il faut effacer le mot עניין, qui ne se trouve pas dans les mss. (Ézéchiel, X, 13): Les OPHANNÎM, je les entendis appeler GALGAL (roue ou sphère), il affirma que les ophannîm sont les cieux; il traduisit donc chaque fois ophan par גלגלא, la sphère, et OPHANNÎM par גלגליא, les sphères. Ce qui sans doute lui semblait confirmer cette interprétation, c’est qu’Ézéchiel (I, 16) dit au sujet des ophannîm qu’ils étaient comme la couleur du tarschisch, couleur qui, comme on sait, est attribuée au ciel. Mais ayant trouvé ce passage: Je vis les ’HAYYÔTH, et voici il y avait un OPHAN sur la terre, qui indique indubitalement que les ophannîm sont sur la terre, il y voyait une difficulté pour cette interprétation. Persistant néanmoins dans son interprétation, il explique ici le mot terre comme désignant la surface du ciel, qui est un sol par rapport à ce qui est au-dessus de cette surface, et il traduit (les mots) un OPHAN sur la TERRE par מלרע לרום שמיא, au-dessous de l’élévation du ciel; il faut comprendre quelle est son interprétation (de l’ensemble)(1)Selon l’auteur, Jonathan aurait voulu dire par cette traduction que les ophannîm, qu’il considère comme les sphères célestes, sont audessous de la partie la plus élevée du ciel, ou de la demeure des ’hayyôth, lesquelles représenteraient les Intelligences séparées. Abravanel, qui professe la même opinion, explique ainsi les mots un ophan sur la terre: רוצה לומר שראה עוד מעניני החיות שהם השכלים הנבדלים שהיה אופן אחד בארץ כלומר למטה מן החיות וכמו שתרגם יונתן בזה מלרע לרום שמיא והאופן האחד ההוא הוא רמז לכדור השמימי הכולל .שהיה אצל החיות מתנועע מרוחם וכחם. Il me semble que ce qui a provoqué cette interprétation, c’est que Jonathan croyait que GALGAL était un nom qui désigne primitivement le ciel. Mais voici, à mon avis, ce qu’il en est(2)Littéralement: Mais il me semble que la chose n’est qu’ainsi qu’il suit. La plupart des mss. ont אלא הכדׄא, et de même Ibn-Tibbon: אלא כך. Dans quelques mss. arabes אלא est omis, et de même dans la version d’Al-’Harîzi, qui porte וכמדומה לי כי אין הדבר כך, mais il me semble qu’il n’en est point ainsi. Mais si le mot ainsi se rapportait à l’opinion de Jonathan, il aurait fallu dire en arabe כדׄלך, et non pas הכדׄא.: le mot GALGAL (גלגל) exprime l’idée de rouler; par exemple: Et je te roulerai (וגלגלתיך) du haut des rochers (Jérémie, 51, 25); et il roula (ויּגל) la pierre (Genèse, 29, 10). C’est pourquoi on a dit: Et comme un tourbillon de poussière (וכגלגל) devant la tempête (Isaïe, 17, 13), parce qu’il est roulé, et c’est pour cela aussi que le crâne est appelé GULGOLETH (גלגלת), parce qu’il est à peu près rond(3)Les mots לכונהא ללתדויר signifient: parce qu’il incline vers la forme ronde. לכונהא a ici le sens de למילהא, ou bien il faut sous-entendre מאילה̈. C’est dans ce sens que traduit Al-’Harîzi: מפני שהוא נוטה לעגול. Ibn-Tibbon a להיותה עגולה, comme si, au lieu de ללתדויר, il avait lu . Quelques mss. ont ללדור.. Or, comme toute sphère roule rapidement, toute chose sphérique a été appelée GALGAL(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont: …מפני שכל כדור ונקרא וגו׳; il faut lire ומפנינקרא, comme l’ont les mss. et comme l’exigent le texte arabe et le sens.; c’est pour cela que les cieux ont été appelés GALGALLÎM, parce qu’ils sont ronds, je veux dire parce qu’ils sont sphériques; et (au figuré) les docteurs disent (du sort): «C’est un galgal (une sphère), qui tourne(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Schabbâth, fol. 151 b..» C’est pour cette même raison que la poulie est appelée GALGAL(3)Pour le mot arabe אלבכרה̈, la poulie, Ibn-Tibbon a mis הגלגלים הקטנים של עץ והגדולים, les petites et les grandes roues de bois, ce qui n’offre pas un sens bien clair; mieux Al-’Harîzi: העגול אשר יסוב עלין חבל הדלי הנקרא בלשון ערב בכרה̈, la roue sur laquelle tourne la corde du seau, et qui est appelée en arabe BACRA. C’est dans ce sens que le mot גלגל est employé dans l’Ecclésiaste, chap. 12, verset 6: ונרץ הגלגל אל הבור, et que la roue se brise sur le puits; de même, dans le Midrasch Wayyikra rabba, section 34 (fol. 174, col. 2): אהן עלמא מדמי לגלגל דאנטילא וגו׳, ce monde est semblable à la roue du seau, etc.. Ainsi donc, quand Ézéchiel dit: Les OPHANNÎM, je les entendis appeler GALGAL, c’est pour nous faire connaître leur figure (sphérique), car on ne leur attribue aucune autre figure ni forme, (et on dit) seulement que ce sont des GALGALLÎM (sphères)(4)Selon Maïmonide, le passage d’Ézéchiel ne veut dire autre chose si ce n’est que les ophannîm ou les éléments forment également des sphères (voy. ci-dessus, p. 18, note 5, et chap. III), et il ne faut pas, avec Jonathan ben Uziel, voir dans les ophannîm les sphères célestes.— Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ici לא שהם השמים; les mss. de cette version portent, conformément au texte arabe, אלא שהם גלגלים. — Immédiatement après, l’abréviation א״כ, pour אס כן, est également une faute; il faut lire אבל, comme l’ont les mss.. Quant à ce qu’il dit qu’ils étaient comme le Tarschisch (I, 16), il l’explique également dans la seconde description en disant des ophannîm: Et l’aspect des OPHANNÎM était comme la couleur d’une pierre de TARSCHISCH (X, 9), ce que Jonathan ben Uziel traduit: כעין אבן טבא, semblable à une pierre précieuse. Or, tu sais que c’est par cette même expression qu’Onkelos traduit les mots: comme un ouvrage de la blancheur du saphir (Exode, 24, 10), et il dit: כעובד אבן טבא, comme l’ouvrage d’une pierre précieuse; il n’y a donc pas de différence entre les mots comme la couleur d’une pierre de TARSCHISCH et les mots comme un ouvrage de la blancheur du saphir(1)Pour comprendre ce passage, il faut se rappeler ce que l’auteur a dit ailleurs sur l’expression במעשה לבנת הספיר, comme un ouvrage de la blancheur du saphir, dans laquelle il voit une allusion à la matière première sublunaire. Voy. t. I, chap. XXVIII, p. 94 et suiv.; t. II, chap. XXVI, p. 202. Il trouve cette même allusion dans les mots כעין אבן תרשיש, comme la couleur d’une pierre de tarschisch, qui, selon lui, désignent également la matière sublunaire ou celle des éléments, et il lui paraît évident que les ophannîm désignent les éléments. Pour corroborer cette explication, il fait observer que Jonathan, dans sa paraphrase d’Ézéchiel (I, 16, et X, 9), emploie les mots אבן טבא, pierre précieuse, les mêmes qu’Onkelos emploie dans sa paraphrase du Pentateuque (Exode, 24, 10), et qui, selon notre auteur, désignent la matière sublunaire. On sent facilement tout ce que ce raisonnement a de vicieux, puisque, selon Maïmonide, Jonathan voit dans les ophannîm les sphères célestes, et que, par conséquent, il n’a pu par les mots pierre précieuse vouloir désigner la matière sublunaire. Cette observation de Maïmonide ne donne que trop de prise à la critique, et Abravanel n’a pas manqué d’en faire ressortir la faiblesse. Voy. le commentaire d’Abravanel sur Ézéchiel, chap. I, verset 16, et son Commentaire sur diverses parties du Moré Neboukhîm, IIe livraison, fol. 50 a, quatorzième objection.. Il faut te bien pénétrer de cela.", "Tu ne trouveras pas mauvais que je cite l’interprétation de Jonathan ben Uziel, tandis que j’ai donné une interprétation tout opposée. Car tu trouveras que beaucoup d’entre les docteurs, et même d’entre les commentateurs (modernes), contredisent son interprétation à l’égard de certaines expressions et de sujets nombreux traités par les prophètes. Et comment n’en serait-il pas ainsi dans ces choses profondes? D’ailleurs, je ne te dis pas de préférer mon interprétation(2)Au lieu de תאוילי, quelques mss. ont תאויל (pour l’accus. ). La même variante existe dans les mss. de la version d’Ibn-Tibbon, qui ont, les uns פירוש, les autres פירושי. Al-’Harîzi a ובכל זאת איני מכריע הדין.; cherche à comprendre son interprétation par les observations que je t’ai faites, et à comprendre aussi la mienne. Dieu seul sait laquelle des deux interprétations a touché le vrai(1)Littéralement: dans laquelle des deux interprétations existe ce qu est conforme à ce qu’on a voulu dire.." ], [ "Ce qui mérite encore de fixer ton attention, c’est que le prophète dit des visions de Dieu (Ézéchiel, I, 1); il ne dit pas une vision, au singulier, mais des visions(2)Le texte arabe, dans tous les mss., a les mots אלא מראות, qui ont été omis dans les deux versions hébraïques., parce que c’étaient plusieurs perceptions de différentes espèces, à savoir trois perceptions celle des ophannîm, celle des ’hayyôth, et celle de l’homme qui était au-dessus des ’hayyôth. Pour chacune de ces perceptions il dit: Je vis(3)C’est-à-dire: il commence la relation de chacune de ces trois perceptions par le mot וארא, et je vis, afin de les séparer les unes des autres.. Il dit pour celle des ’hayyôth: Je vis, et voici un vent de tempête etc. (ibid., v. 4); pour celle des ophannîm, il dit: Je vis les ’hayyôth, et voici il y avait un ophan sur la terre (v. 15); enfin pour la perception de l’homme(4)La version d’Ibn-Tibbon porte העניין, du sujet; au lieu de אלאדם, Ibn-Tibbon avait la leçon אלאמר, que nous trouvons dans un de nos mss. arabes., qui était au-dessus des ’hayyôth en rang, il dit: Je vis comme la couleur du HASCHMAL etc.(5)L’auteur citera plus loin, chap. VII, plusieurs explications du mot ’haschmal.— On pourrait objecter que l’observation de l’auteur n’est pas exacte à l’égard de la troisième perception qui serait introduite par le mot וארא, je vis, du verset 27; car l’auteur a dit lui-même à la fin du chap. II que la troisième perception est déjà indiquée dans les versets 22 et 26. Abravanel, dans son commentaire sur Ézéchiel (I, 4), critique sous d’autres rapports l’observation de Maïmonide., depuis la vue de ses reins etc. (v. 27). Excepté ces trois fois, il ne répète point dans la description de la Mercabâ l’expression je vis. Les docteurs de la Mischnâ ont déjà exposé ce sujet et ce sont eux qui y ont appelé mon attention. Les deux premières perceptions, disent-ils, c’est-à-dire celle des ’hayyôth et des ophannîm seulement, il est permis de les enseigner; mais la troisième perception, à savoir le ’haschmal et ce qui s’y rattache, on ne doit en enseigner que les premiers éléments. Cependant, notre saint docteur(1)C’est-à-dire, rabbi Juda le saint, que l’on considère comme l’auteur de la Mischnâ. pense que ce sont toutes les trois perceptions ensemble qu’on appelle Ma’asé mercabâ et dont on ne doit enseigner que les premiers éléments. Voici comment ils s’expriment à cet égard(2)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghigâ, fol. 13 a.: «Jusqu’où (peuton enseigner)(3)Il résulte de l’ensemble de cette beraïtha, qui se rattache aux paroles de la Mischnâ אין דורשין וגו׳ (’Haghigâ, II, 1), qu’il faut sous-entendre dans cette phrase le mot דורשין ou un autre mot semblable. le ma’asé mercabâ? Rabbi Méir dit(4)Nos éditions du Talmud, ainsi que la version d’Ibn-Tibbon, portent simplement רבי, c’est-à-dire le rabbi par excellence, ce qui désigne rabbi Juda le saint; mais tous nos mss. arabes, ainsi que la version d’Al-’Harîzi, portent ר׳ מאיר. Cette dernière leçon, qui, selon le commentateur Schem-Tob, se trouvait aussi dans certains mss. du Talmud, est sans doute la vraie, et, en l’adoptant, on fait disparaître les difficultés signalées par Schem-Tob.: Jusqu’au dernier וארא, je vis (v. 27). Rabbi Isaac dit: Jusqu’au mot ’haschmal: depuis (le premier) וארא, je vis, (v. 4), jusqu’au mot ’haschmal(5)Au lieu de מן וארא ועד חשמל (c’est-à-dire: depuis le mot וארא du verset 4 jusqu’au mot חשמל du verset 27), nos éditions du Talmud ont simplement עד וארא. D’après cette leçon, il s’agit du mot וארא du verset 27, ce qui ne change rien au sens., il est permis d’enseigner (au disciple); à partir de là, on lui transmet les premiers éléments. Il y en a qui disent: depuis (le premier) וארא jusqu’au mot ’haschmal, on transmet les premiers éléments; à partir de là, si c’est un sage comprenant par sa propre intelligence, il peut (l’étudier), sinon, non(1)Voici quel paraît être, d’après Maïmonide, le sens général de ce passage: Selon rabbi Méir, il est permis d’expliquer tout le premier chapitre d’Ézéchiel jusqu’au mot וארא du verset 27, c’est-à-dire jusqu’au verset 26 inclusivement; selon rabbi Isaac, on peut aussi expliquer les premiers mots du verset 27, c’est-à-dire le sens du mot ’haschmal. A partir de là jusqu’à la fin du chap. I, il n’est permis d’enseigner au disciple que les premiers éléments. Selon d’autres, la défense de donner une explication claire s’étend à tout le premier chapitre, même aux versets 4 à 26, dont on ne peut enseigner que les premiers éléments. Quant aux versets 27 et 28, il n’y a que le sage d’une intelligence supérieure qui puisse les étudier. C’est évidemment cette opinion que Maïmonide attribue à rabbi Juda le saint, probablement parce qu’on reproduit dans ce passage les paroles de la Mischnâ: אלא א״כ היה חכם ומבין מדעתו, «à moins que ce ne soit un sage, comprenant par sa propre intelligence.».» Il est donc clair par leurs expressions qu’il s’agit de perceptions diverses, indiquées par le mot וארא, je vis, trois fois répété, que ce sont différents degrés de perception, et que la dernière perception, dont il est dit: je vis comme la couleur du ’HASCHMAL (v. 27), — je veux dire la figure de l’homme partagée en deux(2)Ainsi qu’on l’a vu plus haut, p. 23, note 2, la figure humaine représente, selon les commentateurs, la première des Intelligences séparées ou celle de la neuvième sphère; cette Intelligence, quoique émanée de l’être absolument simple, est pourtant composée en ce qu’elle perçoit à la fois la cause première, ou Dieu, et soi-même. Ce serait donc cette double perception que le prophète aurait indiquée par la figure humaine partagée. La théorie à laquelle, selon les commentateurs, Maïmonide ferait allusion, appartient à Ibn-Siná. Voy. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 360., dont il est dit: depuis la vue de ses reins et au-dessus, et depuis la vue de ses reins et au-dessous (ibid.), — est la fin des perceptions et la plus élevée d’entre elles. Les docteurs sont partagés aussi (sur la question de savoir) s’il est permis de l’enseigner par une allusion quelconque, je veux dire en transmettant les premiers éléments, ou s’il est absolument interdit d’indiquer, même par les premiers éléments, l’enseignement de cette troisième perception, qui ne pourra être abordée que par le sage comprenant par sa propre intelligence. De même, les docteurs sont partagés, comme tu le vois, au sujet des deux premières perceptions, celles des ’hayyôth et des ophannîm, (à savoir) s’il est permis d’en enseigner le sens en termes clairs, ou s’il n’est permis d’en enseigner que les premiers éléments, par allusion et d’une manière énigmatique.", "Il faut aussi fixer ton attention sur l’ordre de ces trois perceptions. S’il a placé en tête la perception des ’hayyôth, c’est parce que celles-ci prennent la première place par leur noblesse, par la causalité(1)C’est-à-dire, parce que les ’hayyôth sont la cause du mouvement des ophannîm, et, comme telle, leur sont antérieures. Cf. ci-dessus, p. 21, et ibid., notes 4 et 5. [comme il a dit: car l’esprit de la ’HAYYA était dans les OPHANNÎM (I, 20)], et par autre chose encore(2)Selon les commentateurs, Maïmonide aurait indiqué par ces derniers mots que la perception des ’hayyôth, ou l’étude relative aux sphères célestes et aux astres, étant du domaine des sciences mathématiques, doit dans l’ordre des études précéder la perception des ophannîm (éléments), ou l’étude de la physique. Voy. t. I, chap. XXXIV, p. 123: «Il faut donc nécessairement que celui qui veut obtenir la perception humaine s’instruise dans la logique, ensuite graduellement dans les mathématiques, ensuite dans les sciences physiques, et après cela dans la métaphysique.» Cf. ibidem, p. 13, note 2, et Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 357. — Abravanel fait observer avec raison qu’en admettant l’explication que Maïmonide donne de l’ensemble de la vision d’Ézéchiel, il eût été bien plus rationnel de commencer par les ophannîm ou éléments, et de remonter de là aux ’hayyôth ou sphères célestes pour arriver ensuite aux Intelligences des sphères, ou bien de suivre l’ordre inverse. Voy. la seconde préface d’Abravanel sur le livre d’Ézéchiel, deuxième méthode, quatrième objection.. Après les ophannîm vient la troisième perception, qui occupe un rang plus élevé que les ’hayyôth, ainsi qu’on l’a exposé. La cause (de cet ordre), c’est que les deux perceptions(3)C’est-à-dire, celle des ’hayyôth et des ophannîm, ou les études de l’astronomie et de la physique. précèdent nécessairement, dans l’étude, la troisième perception, qui tire ses arguments de celles-là." ], [ "Sache que ce sujet grave et important qu’Ézéchiel a entrepris de nous enseigner en décrivant la Mercabâ (ou le char céleste), l’inspiration prophétique l’ayant poussé à nous l’enseigner, ce même sujet Isaïe aussi nous l’a enseigné sommairement, sans croire nécessaire d’entrer dans les mêmes détails. Je vis le Seigneur, dit-il, assis sur un trône haut et élevé, dont les bords remplissaient le temple; des séraphins se tenaient au-dessus de lui (Isaïe, 6, 1, 2). Déjà les docteurs nous ont exposé tout cela, et nous ont fait la même remarque en disant que la perception qu’eut Ézéchiel était absolument la même que celle qu’eut Isaïe. Ils ont comparé la chose à deux hommes, l’un citadin et l’autre campagnard, qui ont vu(1)Tous nos mss. ont ראוא, au pluriel; nous avons écrit plus correctement ראיא , au duel. le souverain monté à cheval: le citadin, sachant que les habitants de la cité connaissent la manière dont le souverain monte à cheval, se dispense de la décrire, et dit seulement: J’ai vu le souverain; l’autre, voulant en faire la description aux gens de la campagne, qui ne connaissent absolument rien de son équipage, leur expose en détail la manière dont il monte à cheval, l’état de ses troupes(2)Pour le mot אגׄנאדה, la version d’Ibn-Tibbon a les deux mots רגליו וחיילותיו, ses fantassins et ses troupes. Mais au lieu de רגליו, quelques mss. ont דגליו (avec daleth), ses drapeaux, et cette leçon est préférable., de ses serviteurs et de ceux(3)Presque tous les mss. ont ואלדׄין, avec le ו copulatif; un seul (ms. de la Biblioth. imp., ancien fonds hébreu, n° 230) a אלדׄין, sans ו, et cette leçon est aussi celle d’Ibn-Tibbon, qui a עושי דברו ומצותיו. qui font exécuter ses ordres. C’est là une observation extrêmement utile. Voici comment ils s’expriment dans ’Haghigâ(1)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghigâ, fol. 13 b.: «Tout ce qu’Ézéchiel a vu, Isaïe aussi l’a vu; mais Isaïe ressemble à un citadin qui a vu le roi, tandis qu’Ézéchiel ressemble à un villageois qui a vu le roi.» L’auteur de ce texte l’a peut-être entendu(2)Tous nos mss. ont: והדׄא אלנץ ימכן אן יתאול לקאילה, littéralement: il se peut que ce texte soit interprété par celui qui l’a dit, etc. Dans la version d’Ibn-Tibbon, le mot לקאילה n’est pas exprimé. comme je l’ai dit au commencement (du chapitre), c’est-à-dire, que les contemporains d’Isaïe n’avaient pas besoin qu’on leur exposât tous ces détails, et qu’il lui suffisait de leur dire: Je vis le Seigneur etc., tandis que les gens de l’exil avaient besoin de ces détails. Mais il se peut aussi que l’auteur ait voulu dire qu’Isaïe était plus parfait qu’Ézéchiel, et que cette perception, qui troublait Ézéchiel et qui lui paraissait si effrayante, était pour Isaïe une chose si connue, qu’elle ne demandait pas à être racontée d’une manière extraordinaire, étant une chose que les hommes parfaits connaissent bien(3)L’auteur donne deux interprétations du passage talmudique. Selon l’une, les deux prophètes étaient également parfaits; mais les contemporains d’Ézéchiel, vivant dans l’exil de Babylone, étaient moins capables de comprendre les choses divines que les contemporains d’Isaïe. Selon la seconde interprétation, la différence était dans les prophètes mêmes; Isaïe, plus cultivé et plus parfait, n’était point troublé de tout ce qu’il voyait et le racontait brièvement et avec simplicité, tandis que les paroles d’Ézéchiel révèlent tout l’étonnement et tout le trouble que lui causait sa vision.." ], [ "Un des points qui méritent d’être examinés, c’est qu’on précise la perception de la Mercabâ, par l’année, le mois et le jour, et qu’on précise aussi le lieu(4)Voy. Ézéchiel, chap. I, versets 1 à 3, où l’on fixe avec la plus grande précision la date et le lieu de la vision. Le verbe קיד signifie lier étroitement, enchaîner, fixer par les voyelles la lecture d’un mot, préciser. Ibn-Tibbon paraît avoir pris le mot תקייד dans le sens de rattacher; les mots וקשרה במקום signifient et qu’on la rattache à un lieu, tandis que les mots arabes ותקייד אלמוצׄע signifient: et la détermination ou précision du lieu. Les suffixes dans קשרו et וקשרה ont été ajoutés par Ibn-Tibbon et ne se trouvent pas dans l’arabe. Al-’Harîzi traduit: .טעם כתיבת עניין המרכבה בשנה אשר נראתה בה ובחדש וביום ובמקום. Il faut donc en chercher la raison, et il ne faut pas croire que ce soit là une chose qui ne renferme aucune idée(1)Les éditions d’Ibn-Tibbon ont אין עניין לו, qui n’a pas de sens; les mss. ont, conformément à l’arabe: אין עניין בו, dans laquelle il n’y a pas d’idée. — Maïmonide nous laisse à deviner quelle est l’idée que renferme, selon lui, cette fixation de date et de lieu. Les commentateurs, laissant un libre cours à leur imagination, ont suppléé tant bien que mal au silence de l’auteur, et c’est avec raison qu’Abravanel (Commentaire sur Ézéchiel, I, 1-3) ne voit dans leurs interprétations que de vaines futilités (כולם הבל המה מעשה תעתועים). Nous nous contentons d’indiquer l’explication de Moïse de Narbonne, qui, s’il n’a pas deviné la pensée de Maïmonide, a du moins donné une raison assez plausible. Selon lui, le prophète aurait voulu indiquer qu’il ne s’agit point, dans son récit, de certains phénomènes qui auraient été réellement visibles au ciel, mais de choses qui se sont passées dans son âme, c’est à-dire d’une vision prophétique, fruit d’une imagination exaltée. La précision du jour et du lieu devait montrer à chacun que tout le récit n’est qu’imaginaire, aucun autre qu’Ézéchiel n’ayant vu ces phénomènes célestes au jour et au lieu indiqués par lui. En somme, nous ne saurions dire quel est le mystère que Maïmonide cherchait dans les indications précises du prophète, qui n’avait probablement d’autre but que de consigner le lieu et l’époque où il se sentit appelé à sa mission divine..", "Ce qu’il convient encore de considérer, et ce qui est la clef de tout, ce sont les mots: les cieux s’ouvrirent (Ézéchiel, I, 1)(2)Les mots les cieux s’ouvrirent, dit l’auteur, sont la clef de tout le récit d’Ézéchiel; car ces mots, évidemment métaphoriques (cf. t. II, p. 359-360), et indiquant l’émanation de l’esprit divin, montrent que, dans tout ce récit, il s’agit d’une vision prophétique, et non pas de choses perceptibles pour les sens.; c’est une chose qui se rencontre fréquemment dans les prophètes, je veux dire d’employer au figuré les expressions d’ouvrir et d’ouvrir les portes; par exemple: Ouvrez les portes (Isaïe, 26, 2), Et il ouvrit les battants du ciel (Ps., 78, 23), Élevez-vous, portes éternelles (Ps., 24, 9), Ouvrez-moi les portes de la justice (Ps., 118, 19), et beaucoup d’autres passages.", "Une autre chose sur laquelle il faut fixer ton attention, c’est que, bien que toute cette description soit une vision prophétique, — comme il est dit: Et là fut sur lui la main de l’Éternel (Ézéchiel, I, 3)(1)Cf. t. II, au commencement du chap. XLI., — la manière de s’exprimer, dans les diverses parties de cette relation, présente pourtant une différence très-importante. En effet, en parlant des ’hayyôth, il dit une RESSEMBLANCE (דמות) de quatre ’hayyôth (ibid., v. 5), et il ne dit pas simplement quatre ’hayyôth; de même, il dit et au-dessus de la ’hayya il y avait la RESSEMBLANCE d’un firmament (v. 22); de même, il y avait comme l’aspect d’une pierre de saphir, la RESSEMBLANCE d’un trône (v. 26), et de même encore, quelque chose qui RESSEMBLAIT à l’aspect d’un homme (ibid.). Dans tous ces passages donc il emploie le mot ressemblance (דמות); mais, en parlant des ophannîm, il ne dit point «la ressemblance d’un ophan,» ni «la ressemblance d’OPHANNÎM,» et au contraire il énonce nettement une forme réellement existante(2)Littéralement: mais (il s’exprime), par une énonciation simple, sur une forme d’une existence réelle telle qu’elle est. — Par cette fine observation l’auteur veut indiquer que le prophète, en parlant des sphères célestes et de ce qui est au-dessus (voy. ci-dessus, p. 23, note 2), emploie le mot ressemblance, pour faire entendre que ce sont des choses que l’intelligence humaine ne saisit pas dans toute leur réalité, tandis qu’elle peut avoir une connaissance nette et certaine des ophannîm, ou des éléments, et de toutes les choses sublunaires. Cf. t. II, chap. XXII, p. 179, et chap. XXIV, p. 194, où l’auteur insiste sur l’incertitude des connaissances humaines relatives au monde supérieur, dont la parfaite intelligence n’appartient qu’à Dieu seul.. Ne te laisse pas induire en erreur par les mots: Tous les quatre avaient une même RESSEMBLANCE (v. 16); car ce passage n’a pas la même construction et ne renferme pas le sens auquel nous avons fait allusion(1)L’auteur veut dire que ce passage, où l’on parle des ophannîm, n’est pas construit comme les passages cités plus haut. Là, le mot דמות, ressemblance, étroitement lié au mot qui désigne l’objet de la vision, indique qu’il ne s’agit que d’une apparence ayant plus ou moins de probabilité; ici, le mot ressemblance est employé dans le sens de forme et désigne une forme réellement perceptible, c’est-à-dire la forme corporelle. Cf. ci-dessus, p. 18, note 6.. Dans la dernière vision, il vient confirmer cette idée et l’expliquer(2)C’est-à-dire: dans la seconde vision, au chap. X, le prophète s’exprime de manière à confirmer l’observation que l’auteur a faite sur l’emploi du mot דמות, ressemblance.. En commençant par le firmament, dont il énumère les détails, il en parle d’une manière absolue(3)L’auteur veut dire qu’au chap. X, où le prophète commence par parler du ciel, ou de la sphère supérieure, pour énumérer ensuite en détail tout ce qu’il renferme en fait de sphères et d’éléments, il parle de ce ciel d’une manière absolue et sans se servir du mot ressemblance. Comme on va le voir, l’auteur conclut de là que le prophète emploie le mot ressemblance lorsqu’il veut parler de choses dont la connaissance est incertaine et sur lesquelles il y a des doutes.. Je vis, dit-il, et voici, dans le firmament qui était au-dessus des chérubins, parut au-dessus d’eux comme une pierre de saphir, comme l’aspect de la RESSEMBLANCE d’un trône (X, 1). Ici donc il parle du firmament d’une manière absolue, et il ne dit pas: «ressemblance d’un firmament,» comme il l’avait fait en lui assignant sa place au-dessus de la ressemblance des ’HAYYÔTH(4)C’est-à-dire, au chap. I, v. 22, où il dit: ודמות על ראשי החיה רקיע, et au-dessus de la ’hayyâ il y avait la ressemblance d’un firmament.. Mais pour ce qui est du trône, il dit que la RESSEMBLANCE d’un trône parut au-dessus d’eux (des chérubins), ce qui indique qu’il avait d’abord perçu le firmament, et qu’après cela se montra à lui, au dessus, la ressemblance d’un trône(5)C’est-à-dire: la manière dont le prophète s’exprime ici sur le firmament et sur le trône indique qu’il était parvenu à avoir du firmament, ou de la sphère diurne, une connaissance nette qui ne lui laissait plus aucun doute; mais ce qui est au-dessus de cette sphère restait toujours pour lui enveloppé de nuages. C’est pourquoi il n’emploie plus ici le mot ressemblance, en parlant du firmament; mais il continue à l’employer en parlant du trône, terme par lequel il résume ici tout ce qui est au-dessus des sphères célestes, comme les Intelligences et Dieu.. Il faut te bien pénétrer de cela.", "Ce qui doit encore fixer ton attention, c’est que dans la première vision il rapporte que les ’hayyôth avaient à la fois des ailes et des mains d’homme, tandis que dans cette seconde vision, où il expose que les ’hayyôth étaient des chérubins, il ne perçut d’abord que leurs ailes, et ensuite, dans sa vision, leur survinrent des mains d’homme: Il se montra, dit-il, sur les chérubins la figure d’une main d’homme sous leurs ailes (Ézéchiel, X, 8), où le mot figure (תבנית) est pris dans le même sens que le mot ressemblance (דמות). La place qu’il leur assigne(1)C’est-à-dire, aux mains. Les mss. ont les uns ורתבה̈ דׄלך, le rang ou la place de cela (c’est-à-dire des mains), les autres ורתבת דׄלך, ce qui signifie mot à mot: et cela a été classé ou placé; cette dernière leçon est moins correcte, car le verbe demanderait un sujet féminin . Un de nos mss. porte ורתבה תחת כנפיהם, sans le pronom דׄלך. Selon cette leçon, le mot ורתבה serait un verbe actif avec suffixe; mais le suffixe ne peut se rapporter qu’aux mains, et il faudrait ורתבהא. C’est peut-être cette leçon qu’avait Ibn-Tibbon, qui traduit: וסדרם תחת כנפיהם. Un autre ms. (celui du suppl. hébr., n° 63) a simplement ואן דׄלך תחת כנפיהם, leçon reproduite par Al-’Harîzi, qui traduit: וכי זה היה תחת כנפיהם. est sous leurs ailes. Il faut te bien pénétrer de cela(2)Le mystère auquel Maïmonide fait allusion, dans ce paragraphe, paraît être celui-ci: dans la première vision, le prophète voit à la fois les ailes et les mains, c’est-à-dire les causes du mouvement des sphères et les effets produits par ce mouvement sur le monde sublunaire (voy. ci-dessus, p. 11, notes 1 et 2); dans la seconde vision, où le prophète nous fait savoir que les ’hayyôth sont des chérubins ou anges, c’est-à-dire des êtres qui agissent par leurs forces sur le monde sublunaire (cf. ci-dessus, p. 24, note 1), il voit lui-même naître les mains sous les ailes, indiquant par là, plus clairement qu’il ne l’avait fait d’abord, que les ailes représentent allégoriquement les causes du mouvement, tandis que les mains représentent les forces émanées des sphères, et qui se répandent sur le monde sublunaire pour faire naître tout ce qui naît et pour le conserver.. ", "— Remarque bien aussi comment, en parlant des ophannîm(1)Au lieu de בקולה אופנים, plusieurs mss. ont בקול האופנים, leçon adoptée par les deux traducteurs hébreux; Ibn-Tibbon a איך באר במאמר האופנים לעמתם. Al-’Harîzi a איך באר האופנים לעמתם. La leçon que nous avons adoptée, d’après deux des meilleurs mss., fait mieux ressortir le mot לעמתם, sur lequel l’auteur insiste particulièrement., il dit clairement vis-à-vis d’eux (X, 19), quoiqu’il ne leur ait attribué aucune figure(2)L’auteur, à ce qu’il paraît, veut appeler l’attention sur le mot לעמתם, vis-à-vis d’eux (des chérubins), employé dans la seconde vision, chapitre X, verset 19. Le prophète, dit-il, répète cette idée que les ophannîm se mouvaient vis-à-vis des chérubins ou des ’hayyôth, quoiqu’il n’attribue ici aux ophannîm, pas plus que dans la première vision, aucune figure d’un être vivant ayant en lui-même le principe de son mouvement (cf. ci-dessus, p. 18, et ibid., note 2), et il indique encore clairement par là que le mouvement des éléments n’est dû qu’à celui des sphères. Voy. ci-dessus, p. 21, et ibid., notes 4 et 5..", "Il dit encore: Comme l’aspect de l’arc qui se fait dans la nuée en un jour de pluie, ainsi était l’aspect de la splendeur tout autour; telle se montrait la RESSEMBLANCE de la gloire de l’Éternel (I, 28). On connaît la matière de l’arc-en-ciel désigné et son être véritable(3)Littéralement: sa réalité et sa quiddité. Ibn-Tibbon a omis dans sa version le mot ומאהיתהא, et sa quiddité, comme l’a déjà fait observer Ibn-Falaquéra (Append. du Moré ha-Moré, p. 157), qui croit que ce mot est nécessaire pour comprendre l’intention de Maïmonide. La version d’Al-’Harîzi porte מהות הקשת ואמתתה ידועה; ici, le mot quiddité est exprimé, mais non le mot matière.. C’est là ce qu’il y a de plus extraordinaire en fait de comparaison et d’allégorie, et on doit indubitablement l’attribuer à une force prophétique(4)Ce passage obscur a été expliqué par Moïse de Narbonne, et, d’après lui, par Éphôdi et Schem-Tob, d’une manière beaucoup trop recherchée, et je ne crois pas que ces commentateurs aient deviné la pensée de Maïmonide. Selon eux, l’auteur aurait voulu dire qu’Ézéchiel compare ici la disposition de l’âme du prophète pour recevoir l’inspiration émanant de la gloire de l’Éternel, ou de l’Intelligence séparée, à la disposition d’un nuage gros de pluie pour recevoir l’impression des rayons du soleil, qui produisent l’arc-en-ciel. C’est là ce que l’auteur aurait voulu indiquer en parlant d’une allégorie extraordinaire ou très-remarquable et en ajoutant les mots: והוא בלא ספק בכח נבואה, comme s’exprime la version d’Ibn-Tibbon. Mais évidemment l’auteur veut dire par ces mots que la comparaison dont il s’agit n’a pu sortir que de l’imagination d’un prophète, fortifiée par l’inspiration. En outre, comme le fait observer Abravanel (Commentaire sur Ézéchiel, I, 28), Ézéchiel n’a pour but que de retracer la vision qu’il a eue, et cette allégorie sur l’inspiration prophétique serait ici un hors-d’œuvre entièrement déplacé. D’ailleurs, la gloire de l’Éternel indique ici quelque chose d’objectif que le prophète a cru voir, et ne saurait être une image pour désigner l’inspiration prophétique. Enfin on ne verrait pas, d’après cette explication, ce que l’auteur a voulu dire par ces mots: on connaît la matière de l’arc-en-ciel, sa réalité et sa quiddité; ces mots, certes, doivent avoir leur portée. —Nous ne prétendons pas avoir deviné le véritable sens de ce passage; mais nous proposerons l’explication suivante, qui nous paraît du moins plus simple que celle des commentateurs. Selon Maïmonide, la splendeur qui entourait la figure humaine (voy. ci-dessus, p. 23, note 2) parut au prophète comme l’arc-en-ciel, dans lequel nous ne voyons que la réverbération de la lumière, brisée et troublée par l’humidité. Nous connaissons la matière ou le substratum de l’arc-en-ciel, c’est le nuage de pluie. Nous en connaissons également la quiddité ou la forme, c’est la lumière. Mais nous ne nous rendons pas compte de l’arc-en-ciel tel qu’il nous apparaît, c’est-à-dire des couleurs dont il se compose; car, selon Ibn-Sinâ, nous n’en connaissons pas les causes (voy. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 317, et Schahrestâni, p. 413). De même, nous ne pouvons apercevoir qu’un pâle reflet de la splendeur qui environne la première des Intelligences, représentée par la figure humaine, et c’est ce reflet que le prophète représente comme la ressemblance de la gloire de l’Éternel (c’est-à-dire, suivant l’explication que l’auteur a donnée plus haut du mot ressemblance, comme quelque chose de vague et de douteux). Cette comparaison paraît à Maïmonide tellement extraordinaire qu’il ne peut y voir que le produit de l’inspiration prophétique.. Il faut te bien pénétrer de cela.", "Ce qui mérite aussi de fixer ton attention, c’est que la figure humaine qui(1)Le mot שעל (pour אשר על) se trouve dans tous les mss. de l’original arabe. L’auteur, reproduisant, avant et après le pronom relatif ש, les paroles textuelles d’Ézéchiel, a laissé se glisser dans son discours le pronom hébreu ש au lieu du pronom arabe אלדׄי. est au-dessus du trône, il la divise en deux parties, dont la supérieure était comme la couleur du ’haschmal, et dont la partie inférieure était comme l’aspect du feu(2)Voy. Ézéchiel, chap. I, v. 27, et chap. VIII, v. 2. Nous avons déjà dit plus haut, p. 32, note 2, quel est, selon les commentateurs, le sens que Maïmonide donne à l’allégorie de la figure humaine divisée en deux parties.. Quant au mot ’haschmal, ils (les docteurs) l’ont expliqué comme un mot composé renfermant deux idées, ’HASCH (חש) et MAL (מל), c’est-à-dire l’idée de rapidité, indiquée par ’hasch, et celle de couper, indiquée par mal(3)Cette explication et la suivante sont tirées du Talmud de Babylone, traité ’Haghigâ, fol. 13 a et b. La première explication manque dans nos éditions du Talmud; mais dans le Dictionnaire de David Kimchi, au mot חשמל, où tout le passage talmudique est reproduit, la citation commence par ces mots: מאי חשמל חש מל. — Maïmonide n’a pas ici pour but de rechercher le vrai sens du mot חשמל, qui est douteux, mais de montrer seulement que les anciens rabbins y ont vu un mot composé, renfermant deux idées différentes; car au chap. I, v. 27, tout l’ensemble de la figure, le haut et le bas, paraît être désigné par le mot ’haschmal. Cf. t. II, chap. XXIX, p. 229, et ibid., note 4.; on avait pour but de réunir deux idées différentes, en faisant allusion, d’une manière allégorique, à deux côtés, le haut et le bas. Ils nous donnent une deuxième indication, en disant qu’il est dérivé de (deux mots signifiant) parler et se taire; «ils (les ’haschmallîm), disent-ils, tantôt se taisent, tantôt parlent» — où ils font venir l’idée de se taire (’hasch) de החשיתי מעולם, je me suis tû depuis longtemps (Isaïe, 42, 14), — faisant allusion aux deux idées en leur prêtant une parole sans son. En disant: «tantôt ils se taisent, tantôt ils parlent,» ils n’ont eu indubitablement en vue qu’une chose créée. Tu reconnaîtras par conséquent qu’ils nous ont déclaré par là que cette figure humaine au dessus du trône, qui est partagée en deux, n’est pas l’image de Dieu, qui est au-dessus de toute composition(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on lit: יתעלה מכל המרכבה, ce qui n’est qu’une faute typographique; les mss. ont correctement הרכבה., mais l’image d’une chose créée. C’est ainsi que le prophète lui-même dit: telle se montrait la ressemblance de la gloire de l’Éternel (I, 28); mais la gloire de l’Éternel n’est pas l’Éternel (lui-même), comme nous l’avons exposé plusieurs fois(2)Voy., par exemple, t. I, chap. LIV (p. 216 et suiv.), et chap. LXIV (p. 286), où l’auteur expose que l’homme ne saurait percevoir l’essence divine, et que par la gloire de Dieu manifestée il faut entendre une lumière créée, ou la manifestation de Dieu par ses œuvres.. Par conséquent, tout ce qu’il présente allégoriquement dans toutes ces perceptions n’est autre chose que la gloire de l’Éternel, c’est-à-dire le char (mercabâ), et non pas celui qui le monte(3)Sur le sens du verbe רכב, monter, chevaucher, appliqué à Dieu, ainsi que du mot מרכבה, monture, char, voy. le t. I, chap. LXX. L’auteur veut dire que toutes les perceptions des prophètes se bornaient à la gloire de Dieu se manifestant dans l’univers, dont il est le premier moteur.; car Dieu ne saurait être représenté. Il faut te bien pénétrer de cela.", "Nous t’avons donc donné aussi, dans ce chapitre, quelques premiers éléments; et si tu rassembles(4)Les mss. ont, les uns צׄממת, les autres תממת; nous avons adopté la première de ces deux leçons, confirmée par Al-’Harîzi et Ibn-Falaquéra (Append. du Moré ha-Moré, p. 157), qui, l’un et l’autre, traduisent: כשתקבץ, si tu ressembles. L’autre leçon est celle d’Ibn-Tibbon, qui traduit: שאם תשלים, si tu complètes. Pour le verbe גׄאת, Ibn-Tibbon a יבא לך, et Al-’Harîzi יתקבץ לד; le mot לד ne se trouve dans aucun de nos mss. arabes. ces éléments, ils formeront un ensemble utile pour ce sujet. Si tu lis attentivement tout ce que nous avons dit dans les chapitres de ce traité jusqu’au présent chapitre, tu comprendras la plus grande partie de ce sujet, ou même le sujet tout entier, à l’exception d’un petit nombre de détails et de certaines répétitions, dont le sens est obscur; mais il se peut qu’une étude plus approfondie y porte la lumière, et que rien n’en reste obscur. ", "N’espère point, après ce chapitre, entendre de moi un seul mot sur ce sujet, ni clairement, ni par allusion; car tout ce qu’il était possible de dire là-dessus a été dit, et je m’y suis même engagé trop témérairement(1)Le verbe , à la Ire et à la Ve forme, signifie: se précipiter, s’engager témérairement dans une affaire. Les mots בל קד תקחמת בתׄירא ne me paraissent pas avoir été exactement rendus par les deux traducteurs hébreux; la version d’Ibn-Tibbon porte: וגם לחצתי מאד ודחקתי; celle d’Al-’Harîzi: ודחקתי נפשי מאד.. ", "Abordons maintenant d’autres sujets de ceux que j’espère exposer dans ce traité." ], [ "Tous les corps qui naissent et périssent ne sont sujets à la corruption que du côté de leur matière seule; du côté de la forme et en considérant la forme en elle-même(2)C’est-à-dire, la forme entièrement abstraite de la matière qui lui sert de substratum. L’auteur, comme on va le voir, veut parler surtout de la forme spécifique, qui constitue la véritable quiddité de tout ce que la nature produit. Cette forme, considérée en elle-même, est impérissable; car les genres et les espèces restent, et les individus seuls périssent. — A la fin de la phrase, Al’-Harîzi a rapporté le suffixe dans ילחקהא, ainsi que le pronom הי, à la forme; il traduit: ולא ישיגנה הפסד אבל היא קיימת. Cette traduction peut s’accorder avec la pensée de l’auteur; mais elle est contraire à la construction de la phrase arabe. Ibn-Tibbon traduit plus exactement: אבל מצד הצורה ובבחינת עצם הצורה לא ישיגם הפסד רק הם עומדים. —Après avoir terminé l’explication de la vision d’Ézéchiel, sujet qui se rattache encore à la IIe partie de cet ouvrage, l’auteur va exposer sa théorie du mal et de la Providence, à laquelle les questions traitées dans ce chapitre et dans le suivant servent de préliminaires., ils ne sont point sujets à la corruption, mais sont permanents. Tu vois, en effet, que toutes les formes spécifiques sont perpétuelles et permanentes; la corruption n’atteint la forme qu’accidentellement, je veux dire en tant qu’elle est jointe à la matière. Il est dans la véritable nature de la matière que celle ci ne cesse jamais d’être associée à la privation; c’est pourquoi elle ne conserve aucune forme (individuelle), et elle ne discontinue pas de se dépouiller d’une forme pour en revêtir une autre(1)Pour l’intelligence de ce chapitre, voy. le t. I de cet ouvrage, chap. XVII, p. 69..", "Salomon donc, dans sa sagesse, s’est exprimé d’une manière bien remarquable en comparant la matière à une femme adultère(2)Cf. ibid., Introduction, p. 20 et suiv.; car la matière, ne pouvant, en aucune façon, exister sans forme, est toujours comme une femme mariée, qui n’est jamais dégagée des liens du mari et qui ne se trouve jamais libre(3)Cf. ibid., p. 68, et la note 4.. Mais la femme infidèle, quoique mariée, cherche sans cesse un autre homme pour le prendre à la place de son mari, et elle emploie toutes sortes de ruses pour l’attirer, jusqu’à ce qu’il obtienne d’elle ce qu’obtenait son mari. Et c’est là aussi la condition de la matière; car, quelle que soit la forme qu’elle possède, celle-ci ne fait que la préparer pour la réception d’une autre forme, et elle (la matière) ne cesse de se mouvoir pour se dépouiller de la forme qu’elle possède et pour en obtenir une autre. Quand elle l’a obtenue, c’est encore la même chose.", "Il est évident que toute destruction, corruption ou imperfection, n’a pour cause que la matière. Ainsi, par exemple, la difformité d’un homme, ses membres conformés contre nature, l’affaiblissement, l’interruption ou le dérangement de ses fonctions (corporelles), — n’importe que tout cela lui soit inné ou que ce soit l’effet d’un accident, — tout cela (dis-je) est un effet de sa matière corruptible, non de sa forme. De même, tout animal n’est sujet à la mort ou à la maladie qu’à cause de sa matière, non à cause de sa forme. Toutes les fautes, tous les péchés de l’homme, ont uniquement pour cause sa matière, et non sa forme, tandis que toutes ses vertus viennent de sa forme. Si, par exemple, l’homme perçoit son créateur, s’il a la conception des choses intelligibles, s’il sait modérer sa passion et sa colère, s’il réfléchit sur ce qu’il faut faire(1)Au lieu de יותי (aoriste passif de la IVe forme du verbe , amener, faire venir), le ms. du suppl. hébr., n° 63, a יותׁר; de même Ibn-Tibbon: במה שצריך לבחור בו «ce qu’il faut préférer.» La version d’Al-’Harîzi, במה שראוי להגביר בו, paraît exprimer la même leçon. et sur ce qu’il faut éviter, tout cela est l’effet de sa forme. Mais la passion de manger, de boire, de se livrer à l’amour, et de même la colère et tous les vices moraux de l’homme, tout cela est l’effet de sa matière. Or, comme il est clair qu’il en est ainsi, comme la sagesse divine a voulu qu’il ne pût exister de matière sans forme, et qu’aucune de ces formes(2)C’est-à-dire, des formes variées que la matière reçoit. ne pût exister sans matière, et comme cette forme humaine très-noble [qui, ainsi que nous l’avons déjà exposé, est l’image de Dieu et sa ressemblance(3)Voy. la Ire partie de cet ouvrage, chap. Ier.] est nécessairement liée à cette matière terrestre, trouble(4)Le mot אלכדרה̈ n’est pas rendu dans la version d’Ibn-Tibbon; la version d’Al-’Harîzi porte: בזה החמר אשר מן העפר העכור האפל. et ténébreuse, qui cause à l’homme tout ce qu’il a d’imparfait et de corruptible, il a été donné à cette forme humaine d’exercer un pouvoir sur la matière, de s’en rendre maître, de la gouverner(5)Ibn-Tibbon n’a pas rendu le mot וחכמא; Al-’Harîzi porte: וממשלה ודין ושלטו. et de la dominer, de manière à la subjuguer, à réprimer ses exigences et à la rendre parfaite et égale autant que possible.", "Sous ce rapport, les hommes se divisent en plusieurs classes. Il y a certains hommes qui s’efforcent toujours de choisir ce qu’il y a de plus noble, et de chercher l’immortalité, comme le demande leur noble forme, et qui par conséquent ne pensent qu’à la conception des choses intelligibles, à avoir une opinion vraie sur toutes choses et à s’unir avec l’intellect divin(1)C’est-à-dire, avec l’intellect actif, source de toutes les formes. Voy. le t. II, chap. IV, p. 57 et suiv., qui s’épanche sur eux et dont cette forme tire son existence. Toutes les fois que les exigences de la matière(2)Ibn-Tibbon ajoute le mot ותאוותיו, et ses concupiscences; ce mot n’est exprimé dans aucun de nos mss. arabes, ni dans la version d’Al-’Harîzi, qui porte:וכשימשכו אותם מעוררי החמר לטנופם וחרפתם הגלויה. Dans cette dernière version, le suffixe pluriel dans לטנופם וחרפתם est inexact; car le suffixe, dans לקדׄארתהא ועארהא, se rapporte à la matière. les invitent à ce que celleci a d’immonde et de notoirement honteux, ils éprouvent de la douleur et de la honte de s’y être abandonnés, rougissent d’avoir été ainsi flétris et font tous leurs efforts pour diminuer cette honte et pour s’en préserver de toutes les manières. Il en est comme d’un homme à qui le souverain, dans sa colère, a ordonné, afin de l’avilir, de transporter du fumier d’un endroit à un autre; cet homme fera tous ses efforts pour se cacher au moment de cet avilissement, et tâchera de transporter peu de chose à une courte distance, afin de ne pas souiller ses mains et ses vêtements et afin qu’aucun autre ne le voie. C’est ainsi qu’agiront les hommes libres. Mais l’esclave en éprouvera du contentement et ne pensera pas qu’on lui ait imposé par là une grande peine; il se jettera de tout son corps dans le fumier et les ordures, se salira le visage et les mains et portera publiquemeni (son fardeau) en riant, en se réjouissant et en battant des mains. Telles sont aussi les (différentes) conditions des hommes. Ainsi que nous l’avons dit, il y a des hommes aux yeux desquels toutes les exigences de la matière sont une honte, une laideur, et des imperfections dont il faut subir la nécessité, et particulièrement le sens du toucher, qui, comme l’a dit Aristote, est une honte pour nous(3)Voy. le t. II, p. 283, note 3., et en vertu duquel nous désirons manger, boire et nous livrer à l’amour. Il faut donc(4)La version d’Ibn-Tibbon porte כי צריך למשכיל, et de même la version d’Al-’Haiîzi ויצטרך המשכיל, il faut donc que l’homme intelligent restreigne etc.; deux de nos mss. arabes ont également ינבגי ללעאקל; mais le mot ללעאקל manque dans la plupart des mss. restreindre ces choses autant que possible, s’en cacher(1)Ibn-Tibbon traduit ולהשמר מהם, s’en garder; Al-’Harîzi a plus exactement: ולהסתר., les faire avec douleur, ne pas en faire un sujet de conversation(2)Littéralement: qu’on n’y fasse pas tomber le discours et qu’on n’étende pas la parole là-dessus. et ne pas former des réunions pour ces choses-là; bien plus, l’homme doit dominer toutes ces exigences (de la matière), les réduire autant qu’il peut et n’en admettre que ce qui est indispensable. Il doit prendre pour but ce qui est le (véritable) but de l’homme, en tant qu’homme, à savoir, la seule conception des choses intelligibles, dont l’objet le plus important et le plus noble est de comprendre, autant que cela est possible, Dieu, ses anges et ses autres œuvres. De tels hommes ne cessent d’être avec Dieu, et c’est d’eux qu’il a été dit: Vous êtes tous des êtres divins et des fils du Très-Haut (Ps., 82, 6). C’est là ce qui est exigé de l’homme, je veux dire que c’est là sa cause finale. Pour les autres, qu’un voile sépare de Dieu(3)Ibn-Tibbon traduit simplement הנבדלים מהשם; mais le mot arabe אלמוגׄובון signifie: qui sont voilés, c’est-à-dire, qui ont comme un voile sur les yeux de manière à ne pas voir Dieu. Al-’Harîzi traduit librement: אשר לא יראו פני האל., c’est-à-dire pour la foule des ignorants, c’est le contraire: ils s’abstiennent de toute pensée et de toute réflexion sur les choses intelligibles, et considèrent comme leur but final (de satisfaire) ce sens qui est notre plus grande honte, je veux dire le sens du toucher, de sorte que leurs pensées, leurs réflexions, ont pour unique objet la bonne chère et l’amour. C’est ainsi qu’on a dit clairement de ces misérables adonnés à la bonne chère, à la boisson et à l’amour: Ceux-là aussi se sont oubliés par le vin, se sont égarés par la boisson enivrante (Isaïe, 28, 7); car toutes les tables sont pleines d’excrétions immondes sans qu’il reste une place (ibid., v. 8); et des femmes les dominent (ibid., III, 12), à l’inverse de ce qui était dans l’intention divine(1)Littéralement: à l’inverse de ce qu’on a voulu avec eux; c’est-à-dire de l’intention que Dieu a eue à l’égard des hommes en les créant. dès la création: Ton désir (t’entraînera) vers ton mari, et lui te dominera (Genèse, 3, 16). Le prophète dépeint aussi leur violente passion en disant: Chacun hennit après la femme de son prochain (Jérémie, 5, 8); car ils sont tous des adultères (ibid., IX, 1). C’est pourquoi Salomon a consacré tout le livre des Proverbes aux avertissements concernant l’impudicité et la boisson enivrante; car c’est dans ces deux vices que sont plongés ceux qui sont l’objet de la colère divine et éloignés de Dieu, et dont il a été dit: Car ils n’appartiennent pas à l’Éternel (ibid., V, 10); renvoie-les de devant ma face, qu’ils s’en aillent (ibid., XV, 1).", "Quant à ce passage: La femme vertueuse, qui la trouvera etc. (Proverbes, XXXI, 10), toute cette allégorie est bien claire. Si quelqu’un possède une matière bonne et convenable, qui ne prend point le dessus et ne dérange pas l’équilibre dans lui, c’est là un don divin. En général, il est facile de gouverner la matière convenable, comme nous l’avons dit(2)Cf. le t. II, chap. XXXVI, p. 281-282.; mais, si elle n’est pas convenable, il n’est pourtant pas impossible de la dompter à force d’exercice. C’est à cela que s’appliquent toutes les sentences morales de Salomon et d’autres(3)Plus littéralement: c’est pour cela (ou dans ce but) que Salomon a prêché toutes ces sentences morales, lui et d’autres.—Al-’Harîzi traduit littéralement: ועל כן ייםר שלמה בכל אלה המוםרים הוא וזולתו. Ibn-Tibbon a המוםרים ההם כלם, sans le ב préfixe; dans plusieurs mss. arabes on lit תלך au lieu de בתלך.; de même, les prescriptions de la Loi et ses défenses(4)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: ומזאת התורה והזהרה, leçon incorrecte et peu intelligible; les mss. ont, conformément au texte arabe, ומצות התורה והזהרותיה. Al-’Harîzi: וצוויי התורה ואיסוריה. n’ont d’autre but que de réformer toutes ces exigences de la matière. Il faut donc que celui qui veut être un homme véritable, et non pas une bête ayant la figure et les linéaments d’un homme, fasse tous ses efforts pour diminuer toutes les exigences de la matière concernant la bonne chère, l’amour physique, la colère et tous les vices résultant de la concupiscence et de la colère; il faut qu’il en rougisse et qu’il leur impose des limites(1)Littéralement: et qu’il leur place des degrés dans son âme; c’est-à-dire, qu’il ne laisse arriver en lui ces exigences de la matière que jusqu’à certains degrés. Dans la version d’Ibn-Tibbon, le mot לנפשו (pour פי נפםה) est inexact. Al-’Harîzi traduit: וישים להם מעלות בנפשו.. Quant à ce qui est indispensable, comme de manger et de boire, il doit se borner à ce qui est le plus utile et avoir en vue le seul besoin de se nourrir, mais non la jouissance. Il doit aussi éviter d’en faire un objet de conversation et de réunion. Tu sais combien nos docteurs avaient en aversion «les festins non consacrés à un acte religieux(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Pesa’hîm, fol. 49 a, où il est dit qu’il n’est pas permis aux disciples des sages de jouir d’un festin non consacré à un acte religieux (סעודה שאינה של מצוה); que celui qui jouit d’un festin profane finit, selon le prophète Amos (6, 4 à 7), par aller en exil, et que celui qui multiplie les festins en tous lieux détruit sa maison, rend sa femme veuve et ses enfants orphelins, oublie ce qu’il a appris, s’attire beaucoup de querelles, se fait désobéir, profane le nom de Dieu, celui de son précepteur et celui de son père, et se fait à lui-même, à ses enfants et à ses petits-enfants, une mauvaise réputation à perpétuité.,» et que les hommes vertueux, comme Pine’has ben Iaïr, ne mangeaient jamais chez personne(3)Voy. ibid., traité ’Hullîn, fol. 7 b: «On rapporte de rabbi Pine’has ben Iaïr qu’il ne rompit jamais le pain qui ne fût pas à lui, et qu’à partir du jour où il arriva à la raison, il ne jouit plus du repas de son père.»: notre saint docteur(4)C’est-à-dire, rabbi Juda le saint. Selon le récit du Talmud, l. c., rabbi Pine’has accepta d’abord l’invitation du saint docteur, mais il chercha ensuite divers prétextes pour s’y soustraire. ayant désiré que ce dernier acceptât un repas chez lui, il refusa. Il en est de la boisson comme de la nourriture, (l’une et l’autre) ayant le même but(5)C’est-à-dire, dans la boisson, comme dans la nourriture, il faut se borner à l’indispensable et s’abstenir du superflu. — Pour le mot אלשראב, la boisson, Ibn-Tibbon a mis היין, le vin; dans quelques dialectes arabes on emploie en effet le mot , dans le sens de vin; mais ici ce mot a évidemment un sens plus général. Pour le mot אלקצד, le but, qui se trouve dans tous nos mss, Al-’Harîzi paraît avoir lu אלקדר, la mesure; car il traduit: ודין המשקה כדין המאכל צריך להיות בשיעור, la boisson, comme la nourriture, doit être prise avec mesure.. Former une réunion pour prendre des boissons enivrantes doit être à tes yeux une chose plus honteuse qu’une réunion de gens nus qui, montrant toute leur nudité, satisferaient leurs besoins en plein jour et dans un même lieu. En effet, satisfaire son besoin est une chose nécessaire que l’homme n’a aucun moyen d’éviter, tandis que s’enivrer est un acte que l’homme vicieux commet de son plein gré. S’il est réputé laid de découvrir les parties honteuses, ce n’est là qu’une chose de pure convention, qui n’est pas du domaine de la raison(1)Littéralement: c’est une chose PROBABLE (ἔνδοξον), et non INTELLIGIBLE (νοητόν). Voy. le t. I, p. 39, et ibid., note 1.; mais, corrompre l’intelligence et le corps est une chose réprouvée(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont: מיוחס לשכל, ce qui n’offre aucun sens; il faut lire: מרוחק לשכל, comme l’ont les mss. par la raison, c’est pourquoi celui qui veut être (réellement) un homme doit avoir en aversion pareille chose et ne pas même y amener la conversation.", "Quant à l’amour physique, je n’ai besoin de rien ajouter à ce que j’en ai dit dans le Commentaire sur Abôth(3)Voy. ce commentaire, chap. I, § 5, et passim; et les Huit Chapitres qui lui servent d’Introduction, chap. IV, vers la fin., (où j’ai montré) combien notre Loi sage et pure l’a en aversion, combien elle défend d’en parler, ou d’en faire, en aucune façon et sous quelque prétexte que ce soit, un sujet de conversation. Tu sais que les docteurs disent qu’Elisée fut appelé saint(4)Voy. Wayyikra rabba, section 24 (fol. 165, col. 3); Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 10 b. parce qu’il s’abstenait de penser à cette chose, de sorte qu’il ne lui arriva jamais d’accident impur; et tu sais de même ce qu’ils disent de Jacob, à savoir, «qu’il ne fut jamais souillé d’un accident impur avant d’engendrer Ruben(1)Littéralement: non effluxisse ab eo semen ante Ruben. Voy. Beréschîth rabba, sect. 98 (fol. 84, col. 4), et sect. 99 (fol. 87, col. 2). Cf. Yalkout, tome I, n° 157..» Ce sont là des traditions répandues parmi nos coreligionnaires, afin de leur faire acquérir des mœurs humaines. Tu connais cette sentence des docteurs: «Les pensées du péché sont pires que le péché(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Yômâ, fol. 29 a. Le Talmud veut dire simplement que les pensées voluptueuses nous excitent plus que la jouissance même; il compare cette excitation à celle qu’amène l’odeur de la viande rôtie. Maïmonide, selon son habitude, détourne le passage talmudique de son sens propre, et lui donne, par une interprétation ingénieuse, un sens purement moral.,» et j’ai là-dessus une explication très-remarquable. C’est que l’homme qui commet un péché ne pèche que par suite des accidents qui s’attachent à sa matière, comme nous l’avons exposé, je veux dire qu’il pèche par son animalité; mais la pensée est une des propriétés de l’homme qui appartiennent à sa forme. Si donc il porte sa pensée sur le péché, il pèche par la plus noble de ses deux parties. Or, celui qui, par injustice, fait travailler un esclave ignorant n’est pas aussi coupable que celui qui exige le service d’un homme libre et distingué; car cette forme humaine et toutes les propriétés qui lui appartiennent(3)Au lieu des mots אלתאבעה̈ להא, qui lui appartiennent, la version d’Ibn-Tibbon porte וכל כחותיה, et toutes ses forces; la version d’Al-’Harîzi est conforme au texte arabe: כי זאת הצורה האנושית וכל כחותיה הבאים ממנה אין ראוי להשתמש וגו׳. ne doivent être employées que pour ce qui est digne d’elles, c’est-à-dire pour s’attacher à ce qu’il y a de plus élevé, et non pour descendre au degré le plus bas(4)Les deux versions hébraïques portent: לרדת להשיג השפל. Cette traduction est inexacte; les deux traducteurs se sont trompés sur le sens du mot . Voy. le tome I, p. 188, note 5..", "Tu sais aussi avec quelle sévérité on défend chez nous l’obscénité du langage(1)Voy. entre autres Talmud de Babylone, traité Kéthubôth, fol. 8 b: כל המנבל פיו ומוציא דבר נבל מפיו אפילו נחתם לו גזר דינו של שבעים שנה לטוכה נהפך עליו לרעה, «quiconque tient un langage obscène ou prononce seulement une parole impure, lors même que sa destinée aurait été décrétée et scellée (par Dieu) pour soixante-dix ans de bonheur, elle est changée en malheur.» Cf. traité Schabbâth, fol. 33 a., et cela doit être; car le langage est une des propriétés de l’homme et un bienfait qui lui a été accordé et par lequel il se distingue(2)Tous les mss. arabes ont בהא, et par laquelle il a été distingué. Ibn-Tibbon complète le sens, en traduisant: להבדילו משאר בעלי חיים, pour le distinguer des autres animaux., comme il est dit: Qui a donné une bouche à l’homme (Exode, 4, 11)? et le prophète a dit: Le Seigneur Dieu m’a donné une langue exercée (Isaïe, 50, 4). Il ne faut donc pas que ce bienfait qui nous a été accordé pour notre perfectionnement, pour apprendre et enseigner, soit employé au plus grand vice et à la chose la plus honteuse, de manière que nous disions tout ce que les gentils ignorants et impies disent dans leurs poésies et dans leurs narrations(3)La version d’Ibn-Tibbon porte ודבריהם, et celle d’Al-’Harîzi: ועניניהם; l’une et l’autre sont inexactes, car le mot אכׄבאר a ici évidemment le sens de narrations ou de contes., qui leur conviennent bien à eux, mais non pas à ceux à l’égard desquels il a été dit: Vous serez pour moi un royaume de prêtres et un peuple saint (Exode, 19, 6). Et si quelqu’un applique sa pensée et sa parole à une chose relative à ce sens qui est une honte pour nous, de manière à penser, plus qu’il n’est nécessaire, à la boisson ou à l’amour physique, ou à réciter des vers là-dessus, il abuse du bienfait qui lui a été accordé et s’en sert pour se révolter contre le bienfaiteur et pour désobéir à ses commandements, de sorte qu’il ressemble à ceux dont il a été dit: L’argent et l’or que j’ai donnés à elle en abondance, ils l’ont employé pour Baal (Hosée, II, 10).", "Je crois aussi pouvoir indiquer la raison pourquoi notre langue (hébraïque) est appelée la langue sainte; car il ne faut pas croire que ce soit là de notre part un vain mot(1)Sur six mss. que nous avons consultés, deux seulement ont la leçon לגו, que nous avons cru devoir adopter. Le mot signifie une parole inconsidérée, un mot dit au hasard, un vain mot, et c’est ce sens qui paraît le mieux s’adapter à notre passage. Trois mss. portent גׄלו , mot qui signifie lustre, poli, splendeur; et c’est peut-être cette leçon qu’exprime Al-’Harîzi par le mot גאוה, orgueil; il traduit: ואל תחשוב כי זה היה לרב גאותנו או טעותנו. Un seul ms. porte גלו, ce qu’on peut prononcer , exagération, hyperbole; c’est cette leçon qu’exprime Ibn-Tibbon, qui traduit: ולא תחשוב שהוא הפלגה ממנו וגו׳. ou une erreur, mais c’est une vérité. C’est que, dans cette langue sacrée, il n’a été créé aucun mot pour (désigner) l’organe sexuel des hommes ou des femmes, ni pour l’acte même qui amène la génération, ni pour le sperme, ni pour l’urine(2)Les mss. de la version d’Ibn-Tibbon portent, conformément au texte arabe: ולא לזרע ולא לשתן ולא לצואה. Dans les éditions, les mots ולא לשתן ont été omis, et pour לצואה, on a mis ליציאה. Cette variante a induit en erreur Buxtorf, qui traduit: «neque seminis, vel ejaculationis illius», traduction qui a été suivie par M. Scheyer., ni pour les excréments. Pour toutes ces choses, il n’a point été créé de terme primitif dans la langue hébraïque, mais on les désigne par des mots pris au figuré et par des allusions. On a voulu indiquer par là qu’il ne faut point parler de ces choses, ni par conséquent leur donner des noms, que ce sont, au contraire, des choses sur lesquelles il faut se taire, et que, lorsqu’il y a nécessité d’en parler, il faut s’en tirer par l’emploi d’autres expressions, de même que, lorsqu’il y a nécessité de les faire, on doit s’entourer du plus grand secret. Quant à l’organe de l’homme, on l’a appelé גיד, nerf(3)L’auteur parle ici du langage talmudique, où le mot גיד, nerf, est employé pour désigner le membre viril; dans les livres bibliques le mot גיד n’est jamais employé dans ce sens., nom employé par similitude, comme on a dit: Ton cou est (raide) comme un nerf de fer (Isaïe, 48, 4). On l’a appelé aussi שָׁפְכָה(1)Le mot שפכה, qui se trouve dans le Deutéronome, chap. XXIII, v. 2, vient du verbe שפך, verser, et signifie: «Membrum per quod urina aut semen effunditur.», instrument pour verser (effusorium), à cause de son action. Pour l’organe de la femme, (on trouve) קֳבָתָהּ, son ventre ou son estomac, קֵבָה étant le nom de l’estomac(2)L’auteur met en rapport le mot קבָה, avec suffixe קֳבָתָהּ (Nombres, 25, 8), anus, vulva, avec קֵבָה, estomac (Deutéronome, XVIII, 3); les deux mots paraissent venir du verbe נקב, perforer, faire une excavation.. Quant à רֶחֶם (employé pour vulva), c’est le nom de la partie des entrailles dans laquelle se forme le fœtus. Le nom des excréments est צוֹאָה, mot dérivé de יצא, sortir; celui de l’urine est מימי רגלים, eaux des pieds(3)L’auteur néglige les termes propres qui servent à désigner les excréments et l’urine et que la Bible nous a conservés dans le kethîb, ou la leçon écrite; on y désigne les excréments par le mot חראים, et l’urine par le mot שינים, et c’est par décence que dans le keri, ou la lecture, on substitue à ces mots ceux que l’auteur indique. S’il était vrai qu’il ne fallût tenir aucun compte du kethîb, on pourrait demander pourquoi l’auteur, immédiatement après, croit devoir justifier l’emploi du verbe שגל, désignant l’acte de la cohabitation, puisque ce verbe aussi ne se trouve que dans le kethîb, et que dans le keri on lui substitue le verbe שכב. En général, les observations que fait l’auteur sur la dénomination de langue sainte peuvent donner lieu à la critique, et déjà rabbi Moïse ben Na’hmân les a critiquées à juste titre dans le commentaire sur l’Exode, chap. 30, verset 13., et celui du sperme, שכבת זרע, couche de semence. L’acte même qui amène la génération n’a aucun nom, et on se sert, pour le désigner, des verbes ישכב, il couche, יבעל, il épouse, יקח, il prend (une femme), ou יגלה ערוה, il découvre la nudité; on n’emploie pas d’autre expression. Ne te laisse pas induire en erreur par le verbe ישגל, que tu pourrais prendre pour le terme propre de l’acte; il n’en est point ainsi, car SCHÉGHAL (שֵׁגָל) est seulement le nom de la jeune femme prête à se livrer à l’amour, — par exemple: l’épouse (SCHÉGAL) est placée à ta droite (Ps., 45, 10), — et le verbe ישגלנה (Deutér., 28, 30), selon le Kethîb(1)Les mots עלי אלמכתוב signifient selon ce qui est écrit, c’est-à-dire, selon la leçon écrite, que les masorèthes appellent kethîb; car dans la lecture on prononce ישכבנה. Ibn-Tibbon aurait mieux fait d’employer ici le terme chaldaïque כתיב, consacré par la Masora, la forme hébraïque הכתוב pouvant donner lieu à un malentendu; en effet, M. Scheyer traduit les mots לפי הכתוב par in der Schrift (dans l’Écriture sainte). Al-’Harîzi traduit: על פי שנכתב., signifie: il la prendra comme femme pour la chose en question.", "Dans la plus grande partie de ce chapitre(2)La version d’Ibn-Tibbon, בכלל הפרק, n’est pas tout à fait exacte; Al-’Harîzi traduit plus exactement: ברוב זה הפרק., nous nous sommes écarté du but de ce traité, pour parler de choses morales et religieuses; mais, quoique ces choses n’entrent pas complètement dans le plan de cet ouvrage, nous y avons été amené par une suite naturelle du discours." ], [ "La matière est un grand voile(3)Le mot חגׄאב signifie ce qui intercepte (la vue), obstacle, voile. Ibn-Tibbon le rend par deux termes: מחיצה גדולה ומסך מונע (Cf. Huit Chapitres, ou Introduction au traité Abôth, chap. VII, où Ibn-Tibbon rend le mot arabe חגׄאב par מחיצה); l’idée d’empêchement, מונע, est exprimée dans l’original arabe par la préposition ען; Al-’Harîzi traduit: החמר הוא מסן גדול לבל נשיג השכל הנבדל. qui empêche de percevoir l’Intelligence séparée(4)Le texte arabe a seulement le mot אלמפארק, ce qui est séparé, τò ϰεχωρισμένον, terme qui désigne Dieu et les autres substances spirituelles. Voy. le tome II, p. 31, note 2., telle qu’elle est, fût-ce même la matière la plus noble et la plus pure, je veux dire la matière des sphères(5)C’est-à-dire, celle qu’on a appelée éther ou le cinquième corps. Voy. le tome II, page 25, note 1. L’auteur veut dire que même les sphères et les astres, qui ont une matière très-subtile, sont empêchés par celle-ci de percevoir les Intelligences séparées dans toute leur réalité., et à plus forte raison cette matière obscure et trouble qui est la nôtre. C’est pourquoi, toutes les fois que notre intelligence désire percevoir Dieu, ou l’une des Intelligences (séparées)(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: אחת מן הדעות; il faut écrire: אחד מן השכלים, comme l’ont généralement les mss. de cette version., ce grand voile vient s’y interposer. C’est à cela qu’on fait allusion dans tous les livres des prophètes, (quand on dit) qu’un voile nous sépare de la Divinité et qu’elle nous est dérobée par une nuée, par des ténèbres, par un brouillard, ou par des nuages, et d’autres expressions semblables, faisant allusion à ce que, à cause de la matière, nous sommes incapables de percevoir Dieu. C’est là ce qu’on a eu en vue en disant: Une nuée et un brouillard sont autour de lui (Ps., 97, 2), où l’on fait entendre que l’obstacle est dans l’opacité de notre substance, et on ne veut pas dire que Dieu soit un corps entouré de brouillard et de nuages qui empêchent de le voir, comme le porte le sens littéral des mots de l’allégorie. La même allégorie est encore répétée dans les mots: Il fait des ténèbres son enveloppe (Ps., 18, 12). De même, quand (on dit que) Dieu se manifesta dans une nuée épaisse, dans les ténèbres, la nuée et le brouillard(2)L’auteur, par ces mots, fait allusion à la révélation de Dieu sur le mont Sinaï. Voy. Exode, chap. 19, v. 9; Deutéronome, chap. IV, v. 11., on doit également y voir une indication de cette idée; car tout ce qui est perçu dans une vision prophétique n’est qu’une allégorie pour indiquer une certaine idée. Bien que cette scène grandiose (du Sinaï) fût plus grande que toute autre vision prophétique et en dehors de toute analogie(3)Voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. XXXIII., elle n’est pas cependant sans indiquer une idée, notamment quand Dieu se manifeste dans une nuée épaisse (Exode, 19, 9); mais on veut faire remarquer que la perception de son véritable être nous est impossible, à cause de la matière ténébreuse qui entoure notre être, et non le sien; car lui, le Très-Haut, n’est pas un corps. On sait d’ailleurs, et c’est une chose très-connue dans notre communion, que le jour de la scène du mont Sinaï fut un jour de nuage, de brouillard et de pluie fine, comme il est dit: Éternel! lorsque tu sortis de Séir, lorsque tu t’avanças de la campagne d’Édom, la terre trembla, les cieux dégouttèrent et les nuages distillèrent de l’eau (Juges, 5, 4). Il se peut donc que ce soit là ce qu’on ait voulu dire par les mots ténèbres, nuée et brouillard (Deutér., 4, 11), et non pas que les ténèbres entouraient la Divinité; car auprès de Dieu il n’y a pas de ténèbres, mais au contraire la lumière resplendissante(1)Pour le mot אלבאהר, resplendissante, Ibn-Tibbon a les deux mots הגדול החזק, grande et forte; Al-’Harîzi traduit plus exactement אור בהיר. et permanente, dont l’épanchement éclaire toutes les ténèbres(2)Littéralement: par l’épanchement de laquelle devient lumineux tout ce qui est ténébreux. Au lieu de ces derniers mots, on lit dans quelques mss.: אלדׄי פיצׄה איצׄא מניר, dont l’épanchement aussi est lumineux ou resplendissant. La version d’Ibn-Tibbon confirme la leçon que nous avons adoptée. Dans celle d’Al-’Harîzi ces mots sont omis., comme il est dit dans les allégories prophétiques: Et la terre était éclairée par sa gloire (Ézéch., 43, 2)." ], [ "Les Motécallemîn, comme je te l’ai fait savoir, ne se figurent en fait de non-être (ou de privation) que le non-être absolu; mais toutes les privations des capacités(3)C’est-à-dire, la négation ou l’absence des qualités positives.Voy. le tome I, chap. LXXIII, septième proposition des Motécallemîn (p. 395 et suiv.). Sur le sens du mot מלכה̈, capacité, voy. ibidem, p. 195, notes 1 et 2., ils ne les considèrent pas comme des privations, et ils croient, au contraire, que la privation et la capacité, comme par exemple la cécité et la vue, la mort et la vie, doivent être considérées comme deux choses opposées(1)C’est-à-dire, comme deux qualités positives, opposées entre elles, et dont l’une n’est pas simplement la négation de l’autre.; car il en est de cela, selon eux, comme de la chaleur et du froid(2)Voy. tome I, p. 396, et ibid., note 2.. C’est pourquoi ils disent, dans un sens absolu, que le non-être n’a pas besoin d’agent, car il n’y a que l’acte seul qui appelle nécessairement un agent(3)C’est-à-dire: Comme les privations sont pour eux des qualités positives et qu’ils ne reconnaissent d’autre non-être que le non-être absolu, ils ont pu dire, dans un sens absolu, que le non-être n’a pas besoin d’agent; car le non-être, tel qu’ils l’entendent, c’est le néant, ou ce qui n’a jamais existé et n’existera jamais, et il n’y a que l’acte créateur qui ait besoin d’un agent.; ce qui est vrai à un certain point de vue(4)L’auteur veut dire que, selon les philosophes aussi, on peut dire que les privations en général n’ont pas besoin d’agent, quoique d’un autre côté, ce qui fait cesser une certaine capacité, ou qualité positive, peut être considéré comme le véritable agent de la privation, comme il va être exposé plus loin.. Mais, bien qu’ils disent que le non-être n’a pas besoin d’agent, ils disent cependant, conformément à leur principe, que Dieu rend aveugle et sourd, et remet en repos ce qui est en mouvement(5)C’est-à-dire: leur proposition qui énonce que le non-être, ou la privation, n’a pas besoin d’agent, ne les empêche pas de dire que c’est Dieu qui rend aveugle ou sourd; car, selon leur principe, la cécité et la surdité ne sont pas les privations ou négations de la vue ou de l’ouïe, mais des qualités positives que Dieu crée dans l’homme.; car ces privations sont, selon eux, des choses qui existent (positivement).", "Il faut maintenant que nous te fassions connaître quelle est à cet égard notre opinion à nous, selon ce qu’exige la spéculation philosophique. Tu sais déjà que celui qui enlève l’obstacle (du mouvement) est en quelque sorte le moteur(6)Voy. t. II, Introduction, fin de la 18e proposition.; si quelqu’un, par exemple, enlève une colonne de dessous une poutre, de sorte que celle-ci tombe par sa pesanteur naturelle, nous disons que celui-là qui a enlevé la colonne a mis en mouvement la poutre, comme cela a été dit dans l’Acroasis(1)Voy. la Physique d’Aristote, liv. VIII, fin du chap. 4 (traduction de M. Barth. Saint-Hilaire, t. II, p. 489): «Mettre en mouvement «l’obstacle qui s’oppose à l’acte et l’empêche, c’est encore mouvoir, du moins d’une certaine manière, et dans un autre sens ce n’est pas précisément mouvoir. Par exemple, si l’on retire la colonne qui soutient quelque chose, ou si l’on ôte une pierre qui est sur une outre dans l’eau, c’est encore mouvoir indirectement (ou accidentellement, ϰατὰ συμϐεϐηϰός), de même que la balle qui est renvoyée est mise en mouvement, non par le mur, mais par le joueur qui l’a lancée.». De cette manière aussi, nous disons de celui qui a fait cesser une certaine capacité(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ici le mot עניין, chose; il faut écrire קניין, capacité, comme l’ont les mss., qu’il est l’auteur de telle privation, bien que la privation ne soit pas une chose existante. Ainsi nous disons de celui qui a éteint la lampe pendant la nuit, qu’il a fait naître les ténèbres, et de celui qui a détruit la vue, qu’il a fait la cécité, quoique les ténèbres et la cécité soient des privations et n’aient pas besoin d’agent. C’est conformément à cet exposé qu’on doit expliquer les paroles d’Isaïe: Moi qui forme la lumière et crée les ténèbres, qui fais la paix et crée le mal (Isaïe, 45, 7); car les ténèbres et le mal sont des privations. Remarque bien qu’il ne dit pas: עושה חשך, «qui fais les ténèbres,» ni עושה רע, «qui fais le mal»; car ce ne sont pas des choses d’une existence positive, auxquelles on puisse appliquer le verbe עשה, faire; mais il emploie pour ces deux choses le mot בורא, créant, mot qui dans la langue hébraïque se rattache au non-être, comme il est dit: Au commencement Dieu créa (ברא) etc., ce qui veut dire: (il fit sortir) du néant. Toutes les fois donc que le non-être est mis en rapport avec l’action d’un agent, c’est de la manière que nous avons exposée. C’est de cette manière aussi qu’il faut comprendre ces mots: Qui est-ce qui a donné une bouche à l’homme, qui a fait le muet, le sourd, le clairvoyant ou l’aveugle (Exode, 4, 11)(1)L’auteur veut dire que, si l’on semble ici attribuer à l’action divine les privations, tels que le mutisme, la surdité et la cécité, il faut n’y voir qu’une expression figurée, qui signifie que Dieu, par une action indirecte, fait cesser les capacités de parler, d’entendre ou de voir.? Mais on peut aussi interpréter ce passage d’une autre manière, à savoir: «Qui est-ce qui a créé l’homme parlant ou qui l’a créé privé de la parole?» Et il s’agirait alors de la production d’une matière non propre à recevoir telle ou telle capacité; car, si quelqu’un produit une matière incapable de recevoir telle capacité (déterminée), on pourra dire de lui qu’il a fait telle privation(2)On pourrait aussi, dit l’auteur, interpréter ce passage dans le sens d’une action directe, en entendant par cette action la création d’une matière qui ne serait pas apte à servir de substratum aux capacités de la parole, de l’ouïe ou de la vue; car, si quelqu’un produit une matière non susceptible d’une certaine capacité, on peut dire de lui qu’il a fait la privation de cette même capacité.; de même que, si quelqu’un avait été capable de sauver une personne de la mort, mais qu’il se fût abstenu et ne l’eût pas sauvée, on pourrait dire de lui qu’il l’a tuée. Quoi qu’il en soit, il est clair pour toi que, d’aucune façon, l’action d’un agent ne peut se rattacher à une privation, et que faire une privation ne peut se dire que dans le sens d’une action indirecte(3)Littéralement: Et on peut dire seulement qu’il a fait la privation par accident ou indirectement., comme nous l’avons exposé. Mais ce qu’un agent fait directement(4)Le mot באלדׄאת, par essence ou essentiellement, est opposé au mot באלערץׄ, accidentellement, de la phrase précédente, et qui correspond au terme d’Aristote (ϰατὰ συμϐεϐηϰός). Pour plus de clarté, nous avons employé les mots directement et indirectement. est nécessairement une chose d’une existence positive; car, quelle que soit l’action, elle ne peut se rattacher qu’à quelque chose d’existant(5)Nous avons un peu modifié la construction de cette phrase; le texte dit: «… est nécessairement une chose existante, quelque action que ce soit; car son action (c’est-à-dire celle de l’agent) ne peut se rattacher qu’à quelque chose d’existant.».", "Après ce préambule, rappelle-toi qu’il a été démontré que les maux ne sont des maux que relativement à une certaine chose(1)C’est-à-dire, que le mal n’a pas d’existence réelle en dehors des choses. Voy. Métaphysique, liv. IX, chap. 9, où Aristote, parlant de la puissance et de l’acte, dit que ce dernier vaut mieux que la meilleure puissance. La puissance renferme en même temps les opposés, car une seule et même chose peut avoir en puissance la santé et la maladie, le repos et le mouvement; mais les actes opposés ne peuvent pas exister en même temps, car on ne peut pas à la fois posséder la santé et être malade, et par conséquent, l’un des deux est le bien. Pour ce qui concerne les maux, la fin (τελος) et l’acte sont nécessairement pires que la puissance, puisque celle-ci renferme en même temps l’opposé ou le bien. «D’où il s’ensuit, dit Aristote, que le mal n’existe pas en dehors des choses, car le mal est par sa nature postérieur à la puissance. Ainsi donc, dans les choses primitives et éternelles, il n’y a ni mal, ni défaut, ni rien de corrompu, car la corruption aussi fait partie des maux.» Δῆλον ἄρα ὄτι οὐϰ ἔστι τò ϰαϰòν παρὰ τἀ πράγματα · ὔστερον γἁρ τῇ φύσει τὸ ϰαϰὸν τῆς δυνάμεως · οὐϰ ἄρα οὐδ’ ἐν τοῖς ἐξ ἀρχῆς ϰαὶ τοῖς ἀίδίοις οὐθέν ἐστιν οὔτε ϰαϰòν οὔτε ἁμάρτημα οὔτε διεφθαρμένον · ϰαὶ γἁρ ἡ διαφθορὰ τῶν ϰαϰῶν ἐστίν., et que tout mal, par rapport à un être quelconque, consiste dans le non-être de cette chose ou dans la privation d’une de ses conditions de bien. C’est pourquoi on a dit, en thèse générale, que tous les maux sont des privations. Dans l’homme, par exemple, la mort est un mal, et c’est sa non-existence; de même, sa maladie, sa pauvreté, son ignorance, sont des maux par rapport à lui, et toutes elles sont des privations de capacité. Si tu poursuis tous les cas particuliers de cette thèse générale, tu trouveras qu’elle n’est jamais en défaut(2)Mot à mot: qu’elle ne ment jamais. Ibn-Tibbon a rapporté le suffixe de וגׄדתהא au mot גׄזאיאת, détails; il traduit: תמצאם שלא יחסר מהם לאחד, tu trouveras que pas un seul d’entre eux ne fait défaut. Al-’Harîzi traduit dans le même sens, quoique plus librement: תמצא כי לא ישקרו, tu trouveras qu’ils ne mentent pas. Il nous semble plus rationnel et plus conforme à la tournure de la phrase de rapporter le suffixe au mot אלקצׄיה̈, la thèse., si ce n’est pour celui qui ne sait pas distinguer entre la privation et la capacité, ni entre les deux contraires, ou qui ignore totalement la nature des choses, comme, par exemple, celui qui ne sait pas que la santé en général est une espèce de symétrie(1)C’est-à-dire, un certain équilibre dans les humeurs et dans toute la constitution du corps, équilibre qui est quelquefois dérangé par les excès. Voy. Galien, Comment. ad Hippocratis aphorismos, II, 4: τῆς γὰρ ὑγίεὶας συμμετρίας οὔσης, ϰ. τ. λ. Comment. II in Hippocratis l. I Epidemiorum (édition de Kühn, t. XVII, 1re part., p. 97): τῆς γὰρ ὑγιείας ἐϰ συμμετρίας γινομένης τῶν τεττάρων στοιχείων. De Humoribus, vers la fin (t. XIX, p. 491): ἔοιϰε δἐ τὴν ὑγίειαν χαραϰτηριζεσθαι τῇ τούτων ἰσότητι τε ϰαὶ συμμετρότητι. Cf. Aristote, Problemata, I, 3: ἡ δε ὑγίεία ἰσότης., que celle-ci est de la catégorie de la relation et que l’absence de cette proportion est en général la maladie(2)C’est-à-dire, que symétrie est un terme qui indique une relation; car ce qui est dit être symétrique, ou en équilibre, ne l’est que par rapport à autre chose. Par conséquent la maladie, qui n’est autre chose que le manque de symétrie ou de proportion dans la constitution, n’est pas quelque chose de positif, directement créé par Dieu.. La mort est, par rapport à tout être vivant, la privation de la forme; et de même, pour tout ce qui périt d’entre les autres êtres, la destruction n’est autre chose que la privation de sa forme.", "Après ces prémisses, on reconnaîtra avec certitude qu’on ne saurait aucunement affirmer de Dieu qu’il fasse le mal directement, je veux dire que Dieu ait primitivement l’intention de faire le mal. Cela ne saurait être; toutes ses actions, au contraire, sont le pur bien; car il ne fait que l’être, et tout être est le bien. Tous les maux sont des privations, auxquelles ne se rattache aucune action, si ce n’est de la manière que nous avons exposée, (c’est-à-dire) en tant que Dieu produit la matière avec la nature qui lui est propre, à savoir, d’être toujours associée à la privation, comme on le sait déjà(3)Voy. t. I, chap. XVII, p. 69, et ci-dessus, au commencement du chap. VIII., ce qui la rend la cause de toute corruption et de tout mal. C’est pourquoi toute chose, à laquelle Dieu n’a pas donné cette matière(1)C’est-à-dire, la matière sublunaire, qui est le siège de la naissance et de la corruption. Dans les corps célestes, qui ont une autre matière, il n’y a rien de périssable. ne périt point et n’est sujette à aucun des (différents) maux. Ainsi, la véritable action de Dieu, c’est le bien, car c’est l’être. C’est pourquoi, le livre qui a éclairé les ténèbres du monde a dit textuellement: Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et c’était très-bien (Genèse, 1, 31); car, même l’être de cette matière inférieure, qui pourtant par sa nature est associée à la privation, source de la mort et de tous les maux, est malgré cela un bien, vu la perpétuité de la naissance et la reproduction continuelle et successive de l’être(2)Ainsi que l’auteur l’a dit dans plusieurs endroits, la matière ne cesse de se dépouiller d’une forme pour en revêtir une autre. Il y a donc dans la matière une naissance (γένεσις) perpétuelle, les formes individuelles s’y succédant sans interruption.. C’est pourquoi rabbi Méir interprète les mots: Et c’était très-bien, par ceux-ci: Et la mort est un bien(3)Voy. Beréschith rabbâ, sect. 9 (fol. 7, col. 3). Rabbi Méir, voulant probablement rattacher à ce passage une réflexion morale sur la mort, qui conduit l’homme à la vie future, paraît jouer sur l’assonnance des mots מאד, MEOD (beaucoup, très), et מות, MAWETH ou MÔTH (mort). Il était sans doute bien loin de la pensée que lui prête ici Maïmonide., selon l’idée que nous avons indiquée.", "Rappelle-toi bien ce que je t’ai dit dans ce chapitre et cherche à le comprendre. Alors tu trouveras clair tout ce qu’ont dit (à ce sujet) les prophètes et les docteurs, à savoir que tout bien (seul) vient de l’action directe de Dieu. On lit dans Beréschith Rabbâ: «Rien de mal ne descend d’en haut(4)Voy. Beréchîth rabbâ, sect. 51 (fol. 45, col. 4): אמר ר׳ חנינא אין דבר רע יורד מלמעלה..»" ], [ "Ces grands(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot grands (אלעטׄימה̈) manque; les mss. de cette version ont אלו הרעות הגדולות. maux que les hommes s’infligent les uns aux autres, à cause des tendances, des passions, des opinions et des croyances, découlent tous d’une privation; car tous ils résultent de l’ignorance, c’est-à-dire de la privation de la science. De même que l’aveugle, à cause de l’absence de la vue, ne cesse de se heurter, de se blesser et de blesser aussi les autres, quand il n’a personne pour le conduire dans le chemin, de même les partis d’entre les hommes, chacun(2)Le texte porte: «chaque individu.… fait à lui-même et aux autres des maux etc.» On voit que la construction est irrégulière et qu’il y a ici une espèce d’anacoluthe; car le sujet, les partis, reste sans verbe. Pour rendre la phrase plus régulière, il faudrait dire: «de même, en ce qui concerne les partis d’entre les hommes, chaque individu, selon la mesure de son ignorance, fait à lui-même etc.» Nous avons un peu modifié la construction de la phrase, en faisant des mots les partis le sujet du verbe s’infligent. selon la mesure de son ignorance, s’infligent à eux-mêmes et aux autres des maux qui pèsent durement sur les individus de l’espèce (humaine)(3)Littéralement: des maux (qui sont) graves par rapport aux individus de l’espèce.. S’ils possédaient la science, qui est à la forme humaine ce que la faculté visuelle est à l’œil(4)C’est-à-dire, à laquelle la forme spécifique de l’homme sert de substratum, comme l’œil sert de substratum à la faculté visuelle., ils seraient empêchés de se faire aucun mal à eux-mêmes et aux autres; car la connaissance de la vérité fait cesser l’inimitié et la haine, et empêche que les hommes se fassent du mal les uns aux autres, comme l’a annoncé (le prophète), en disant: Le loup demeurera avec l’agneau et le léopard se couchera avec la chèvre etc.; la vache et l’ours iront paître ensemble etc., et le nourrisson jouera etc. (Isaïe, 11, 6-8). Il en indique ensuite la cause, en disant que ce qui fera cesser ces inimitiés, ces discordes, ces tyrannies, c’est que les hommes posséderont alors la vraie connaissance de Dieu. Il dit donc: Ils ne feront aucun mal, aucun ravage, sur toute ma montagne sainte; car la terre sera remplie de la connaissance de Dieu, comme les eaux couvrent le fond de la mer (ibid., v. 9). Sache bien cela." ], [ "Souvent le vulgaire est porté à s’imaginer qu’il y a, dans le monde, plus de maux que de biens; de sorte que toutes les nations expriment cette idée dans beaucoup de leurs discours(1)Ibn-Tibbon a ici le mot חידות, qui signifie énigmes ou èpigrammes; mais le mot arabe doit être rendu en hébreu par מליצות. et de leurs poésies, disant qu’il est rare de trouver le bien dans ce monde(2)Littéralement: dans le temps ou le siècle. Les orateurs et les poëtes arabes auxquels l’auteur fait ici allusion emploient souvent le mot , temps, pour désigner le temps limité que l’homme passe sur la terre, la vie terrestre, les vicissitudes et la fortune, et ils parlent souvent de la perfidie et des illusions du temps. Les poëtes hébreux du moyen âge emploient dans le même sens le mot זמן; je ne rappellerai que ce vers connu d’Ibn-Gebirol: זמן בוגד אסרני בפידו «Le temps (ou la fortune) perfide m’a enchaîné par son malheur, tandis que ses maux sont nombreux et perpétuels. Cette erreur n’existe pas seulement chez le vulgaire, mais aussi chez tel qui croit posséder quelque science.", "On a d’Al-Râzi(3)Il s’agit ici du célèbre médecin connu au moyen âge sous le nom de Rhasès; son nom arabe était: Abou-Becr Mo’hammed ben-Zacariyya al-Râzi; il fut un des principaux médecins du khalife Abbaside Al-Moktadir, se fit connaître par un nombre prodigieux d’écrits de médecine, de mathématiques et de philosophie, et mourut en 320 de l’hégire (932) ou, selon d’autres, en 311 (923). Sur sa vie et ses écrits, voy. d’Herbelot, Bibliothèque orientale, édit. in-fol., p. 713; Casiri, Biblioth. arab. hisp., t. I, p. 262 et suiv.; Wüstenfeld, Geschichte der Arabischen Ærzte, p. 40 et suiv. Sa valeur comme philosophe ne fut pas bien grande, et ses écrits philosophiques ne sont presque jamais cités comme autorité. On voit, par notre passage, que Maïmonide faisait bien peu de cas de l’ouvrage de théologie ou de métaphysique composé par Al-Râzi. Dans sa lettre à rabbi Samuel Ibn-Tibbon, notre auteur parle également avec beaucoup de dédain de cet ouvrage: וספר חכמה אלהית שחבר אלראזי אין בו תועלת לפי שאלראזי היה רופא בלבד «Le livre de métaphysique composé par Al-Râzi n’a pas d’utilité, car Al-Râzi était seulement médecin.» Voy. Lettres de Maïmonide, édit. d’Amsterdam, fol. 14 b. — Un auteur espagnol musulman, le Kadhi Çâ’id, cité par Ibn-Abi-Océibi’a, porte d’Al-Râzi le même jugement que Maïmonide. Voici comment il s’exprime sur ce médecin: un livre célèbre, qu’il a intitulé Al-Ilâhiyyât (choses divines ou métaphysiques), et où, au milieu d’une quantité de folies et de sottises, il a débité cette thèse: que le mal dans le monde est plus fréquent que le bien, et que, si le bien-être de l’homme et les plaisirs que ce bien-être (lui) procure se comparent avec les douleurs, les dures souffrances, les infirmités, les paralysies(1)Le mot signifie: l’absence totale ou la paralysie d’un membre. Voy. le commentaire arabe de Silv. de Sacy sur les séances de Hariri, p. 273, en bas: . Ibn-Tibbon a bien rendu ce mot par בטול האבריס; Al-’Harîzi le traduit plus vaguement par החלייס., les adversités, les chagrins et les calamités qui lui surviennent, on trouvera que son existence, je veux dire celle de l’homme, est un châtiment et un grand mal qui lui a été infligé. Il cherche à avérer cette opinion en passant en revue toutes ces infortunes, afin de combattre tout ce que les amis de la vérité croient de la bienveillance de Dieu et de sa bonté(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: מגמילות חסדי י״י למציאותו וטובתו המבוארת; mais plusieurs mss. que nous avons consultés n’ont pas le mot וטובתו. Il est évident qu’Ibn-Tibbon s’était d’abord trompé sur le sens du mot וגׄודה, qu’il prononçait . S’étant ensuite aperçu que le ו initial de ce mot était copulatif et qu’il fallait prononcer , il remplaça le mot למציאותו par וטובתו. Les copistes, comme nous l’avons déjà vu dans beaucoup d’autres passages, reproduisirent à la fois la faute et la correction. Al-’Harîzi traduit: …כי הבורא טוב ומטיב וטובתו ידועה על בני אדם manifeste, (affirmant) qu’il est le bien absolu, et que tout ce qui émane de lui est indubitablement le pur bien.", "Ce qui est la cause de toute cette erreur, c’est que cet ignorant, ainsi que ses semblables d’entre la foule, ne jugeaient de l’univers que par le seul individu humain. Tout ignorant s’imagine que l’univers entier n’existe que pour sa personne, comme s’il n’y avait d’autre être que lui seul. Si donc ce qui lui arrive est contraire à ses désirs, il juge décidément que l’être tout entier est le mal; mais si l’homme considérait et concevait l’univers, et s’il savait quelle petite place il y occupe, la vérité lui deviendrait claire et manifeste. En effet, cette insigne folie que proclament les hommes touchant la multitude des maux qu’il y aurait dans l’univers, ils ne la professent, ni à l’égard des anges, ni à l’égard des sphères et des astres ni à l’égard des éléments et des minéraux ou plantes qui en sont composés, ni à l’égard des différentes espèces d’animaux; mais leurs pensées ne se portent que sur quelques individus de l’espèce humaine. Si quelqu’un, par exemple, s’étant nourri de mauvais aliments, devient lépreux, ils s’étonnent qu’il ait été frappé de ce grand malheur, et (ils se demandent) comment ce mal existe; de même, ils s’étonnent si quelqu’un, à force de débauches, est devenu aveugle, et ils trouvent cruel que cet homme ait été frappé de cécité. Je pourrais citer encore d’autres exemples. Mais ce qui est la vraie manière d’envisager la chose, c’est que tous les individus de l’espèce humaine qui existent, et à plus forte raison ceux des autres espèces d’animaux, sont une chose sans aucune valeur par rapport à l’ensemble immuable de l’univers(1)C’est-à-dire, par rapport aux Intelligences, aux sphères célestes, aux éléments et aux espèces d’animaux, lesquelles choses sont seules immuables et ne sont pas exposées à ce que le vulgaire appelle le mal., comme il est dit clairement: L’homme est semblable au néant etc. (Ps., 144, 4); le mortel qui n’est qu’un ver, et le fils de l’homme qui n’est qu’un vermisseau (Job, 25, 6); qu’en sera-t-il de ceux qui demeurent dans des maisons d’argile etc. (ibid., IV, 19); Voici, les peuples sont comme la goutte (qui tombe) d’un seau etc. (Isaïe, 40, 15); et encore beaucoup d’autres passages des livres prophétiques parlent de ce sujet important, d’une grande utilité(2)Les mots וכל מא גׄא ··· קדרה (littéralement: et tout ce qui dans les textes des livres prophétiques se trouve de ce sujet important, d’une grande utilité etc.) se rattachent aux citations bibliques qui précèdent. Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots גדול התועלת peuvent être considérés comme attribut du sujet וכל מה שבא, de sorte qu’on pourrait traduire: «est d’une grande utilité», quoique dans ce cas il eût mieux valu dire: הוא גדול התועלת; mais dans le texte arabe, qui porte אלעטׄים אלפאידה̈, avec l’article, ces mots se font reconnaître comme simple appositif. Al-’Harîzi a évité toute équivoque en traduisant: אשר תועלתו גדולה. Les mots ולא יגלט commencent une nouvelle phrase, et c’est mal à propos qu’Ibn-Tibbon les a rattachés à ce qui précède en traduisant: ושלא יטעה; il fallait dire ולא יטעה. pour faire connaître à l’homme son peu de valeur. Celui-ci ne doit point se tromper et croire que l’univers n’existe que pour sa personne; selon nous, au contraire, l’univers existe à cause de la volonté de son créateur, et l’espèce humaine y est bien peu de chose par rapport au monde supérieur, je veux dire, aux sphères et aux astres. Quant aux anges, il n’existe point de véritable rapport entre eux et l’homme(1)C’est-à-dire: les Intelligences des sphères, ou les anges, sont d’une essence tellement différente de celle de l’homme, qu’on ne saurait établir aucune proportion entre ces deux espèces d’êtres.— Au lieu des mots איך יהיה ערך על דרך האמת, qu’on lit dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, les mss. portent: אין ערך על האמת.. L’homme n’est que le plus noble d’entre les êtres soumis à la contingence(2)Littéralement: le plus noble de ce qui est DEVENU ou . La version d’Ibn-Tibbon a négligé le verbe , qui indique la naissance ou la contingence (γένεσις); la traduction exacte serait: ואמנם האדם הוא נכבד מבל מה שנתהוה וזה בעולמינו התחתון. Dans la même version, il faut répéter après ר״ל le mot נכבד, qui se trouve dans les mss. et a été omis dans les éditions., c’est-à-dire d’entre ceux de notre bas monde; je veux dire qu’il est plus noble que tout ce qui a été composé des éléments. Avec cela, son existence est un grand bien pour lui et un bienfait de la part de Dieu, en raison des propriétés et des perfections qu’il lui a accordées. La plupart des maux qui frappent les individus viennent d’eux-mêmes, je veux dire des individus humains qui sont imparfaits. Ce sont nos propres vices qui nous donnent lieu de nous lamenter et d’appeler au secours. Si nous souffrons, c’est par des maux que nous nous infligeons nous-mêmes de notre plein gré, mais que nous attribuons à Dieu; — loin de lui une pareille chose! — C’est ce que Dieu a déclaré dans son livre, en disant: S’il détruit, est-ce à lui (qu’il faut l’attribuer)? Non, à ses enfants, à leurs propres fautes (Deutéron., 32, 5)(3)Nous avons traduit ce verset difficile dans le sens que paraît lui attribuer Maïmonide et qui répond à l’idée qu’il vient d’exprimer sur les maux qui frappent les individus humains.. Salomon a exprimé la même idée en disant: La sottise de l’homme pervertit sa voie, et c’est contre l’Éternel que s’irrite son cœur (Proverbes, XIX, 3).", "Pour m’expliquer plus clairement, (je dirai que) tous les maux qui frappent l’homme peuvent être ramenés à l’une des trois espèces suivantes:", "Les maux de la première espèce sont ceux qui arrivent à l’homme par la nature même de ce qui est sujet à la naissance et à la corruption, je veux dire parce qu’il est un être matériel. C’est à cause de cela que certains individus sont affligés d’infirmités et de paralysies, qui leur sont innées(1)Le texte porte: פי אצל אלגׄבלה̈, dans la formation primitive, ce que ’Harîzi a exactement rendu par בעיקר הבריאה. La version d’Ibn-Tibbon (même dans les mss.) porte בכלל היצירה, ce qui ne peut être qu’un simple lapsus; car ailleurs Ibn-Tibbon rend les mots en question par בעקר הבריאה. Voy., par exemple, IIe partie, chapitre XXXVI: כי כשיהיה איש מן האנשים עצם מוחו בעקר בריאתו על תכלית שוויו. ou qui leur surviennent par des altérations arrivées dans les éléments, telles que la corruption de l’air(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont מאויר הנפםד; il faut écrire, selon les mss., כהפםד האויר, comme le porte aussi la version d’Al-’Harîzi., les feux du ciel(3)Sur le sens du mot , plur. de , voy. le t. II, p. 331, note 3., les croulements du sol(4)Sur le sens du mot , plur. de , voy. le t. I, p. 369, note 1. — Al-’Harîzi, confondant כׄםוף (écrit par un כׄ ponctué) avec כםוף , a maladroitement traduit: לקות המאורות, les éclipses.. Ainsi que nous l’avons déjà exposé, la sagesse divine a voulu que la naissance n’eût lieu que par suite de la corruption(5)C’est-à-dire, que les formes particulières se succédassent dans la matière, de sorte que celle-ci, pour revêtir une forme, se dépouillât d’une autre; car c’est en cela que consistent la naissance et la corruption des choses. Voy. le t. I, chap. XVII, p. 60, et passim, et ci-dessus au commencement du chap. VIII, et à la fin du chap. x.; et, sans la corruption individuelle, il n’y aurait pas de naissance(6)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut effacer le mot הווה qui précède נמשכת et qui ne se trouve pas dans les mss. spécifique permanente. Il est clair par là que tout est pure bonté et bienveillance, et qu’il n’émane (de Dieu) que le bien. Celui qui, tout en étant de chair et d’os, veut en même temps être à l’abri de toute impression et n’être sujet à aucun des accidents de la matière, ne veut autre chose, sans qu’il s’en aperçoive, que réunir ensemble les deux contraires; car il veut à la fois être sujet aux impressions et ne pas l’être. En effet, s’il était quelque chose qui ne fût point susceptible d’impression, il ne serait pas le produit de la naissance, et ce qui existe de lui serait un (seul) individu, et non pas des individus d’une espèce(1)Ce passage assez obscur n’a pas été, je crois, entièrement compris par Éphôdi, le seul commentateur qui s’en occupe, ni par Buxtorf, qui a reproduit son explication. La traduction de M. Scheyer laisse également à désirer. Voici quel me paraît être le sens le plus simple de ce passage: Celui qui, tout en étant de chair et d’os, c’est-à-dire un simple mortel, veut néanmoins être à l’abri des impressions du dehors qui produisent les maux, celui-là, dis-je, veut réunir en lui deux choses opposées; car il veut à la fois être un mortel, sujet aux impressions, et un être non impressionnable, comme les corps célestes. Évidemment, s’il était comme ces derniers à l’abri de toute impression du dehors, il ne serait pas un être soumis à la contingence; au contraire il serait, comme ces corps célestes, qui ne sont ni nés ni périssables, et comme ceux-ci il serait seul de son espèce et ne serait pas simplement un des individus d’une même espèce.. Combien est vrai ce qu’a dit Galien dans le troisième livre des Utilités(2)L’auteur veut parler de l’ouvrage de Galien qui porte dans la version arabe le titre de , Livre des utilités des membres. C’est le traité qui dans l’original grec est intitulé: Πεpὶ χρείας τῶν ἐν ἀνθρώπου σώματι μορίων (De usu partium humani corporis). Au livre III, chap 10 (édit. de Kühn, t. III, p. 238), on lit le passage suivant: Σϰόπει γάρ μοι τὴν ὕλην, ἐξ ἧς ἕϰαστον ἐγένετο, ϰαὶ μὴ μάτην ἐλπίσῃς, ἐϰ ϰαταμηνίου ϰαὶ σπέρματος ἀθάνατον δύνασθαι συστῆναι ζῶον, ἢ ἀπαθὲς, ἢ ἀειϰίνητον, ἢ λαμπρòν οὕτω ϰαὶ ϰαλòν ὡς ἥλιον.! «Ne te laisse pas aller à cette vaine illusion, dit-il, qu’il puisse se former, du sang des menstrues et du sperme, un animal qui ne meure pas, ou ne souffre pas, ou qui ait un mouvement perpétuel, ou qui soit resplendissant comme le soleil.» Ce passage de Galien appelle l’attention sur un cas partiel d’une proposition générale qui est celle-ci: «Tout ce qui peut se former d’une matière quelconque se forme de la manière la plus parfaite possible que comporte cette matière spécifique, et l’imperfection dont les individus de l’espèce sont entachés est en raison de l’imperfection de la matière (particulière) de l’individu.» Or, la chose la plus éminemment parfaite qui puisse se former du sang et du sperme, c’est l’espèce humaine avec sa nature bien connue d’être vivant, raisonnable et mortel; par conséquent, cette dernière espèce de mal doit nécessairement exister(1)C’est-à-dire, le mal de la mortalité. Ibn-Tibbon, je crois, ne s’est pas bien rendu compte du sens de ce passage. Il traduit: ואי אפשר לזה המין מבלתי רע שימצא לו, «il est donc impossible que cette espèce (c’est-à-dire l’espèce humaine) ne soit pas sujette au mal.» Le texte arabe n’admet pas ce sens, car il aurait fallu dire: פלא בד להדׄא אלנוע מן שר יוגׄד לה. Al-’Harîzi paraît avoir mieux saisi le sens; il traduit: אם כן אי אפשר שלא ימצא זה המין ממיני ההזק.. Malgré cela, tu trouveras que les maux de cette espèce qui surviennent aux hommes sont en très-petit nombre et n’arrivent que rarement(2)L’auteur veut parler des maux qui frappent l’homme en tant qu’être mortel, et qui l’empêchent d’arriver au terme naturel de son existence; et il fait observer que les causes de mort accidentelle sont relativement très-rares.. En effet, tu trouveras des villes qui depuis des milliers d’années n’ont été ni submergées, ni incendiées; de même des milliers d’hommes naissent parfaitement valides, et un homme né infirme est une anomalie(3)Mot à mot: il ne naît d’infirme que par anomalie. Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots paraissent être une double traduction de l’adverbe arabe שאדׄא., ou du moins — si l’on me chicanait sur le mot anomalie — (un tel homme) est une exception très-rare, et il ne forme pas la centième ni même la millième partie de ceux qui naissent dans un état valide.", "Les maux de la deuxième espèce sont ceux que les hommes s’infligent mutuellement, comme par exemple la tyrannie qu’ils exercent les uns sur les autres. Ces maux sont plus nombreux que ceux de la première espèce, et les causes en sont nombreuses et bien connues; ils viennent également de nous, mais celui qui en souffre(1)Tous les mss. arabes portent ללמטׄלום, celui qui est opprimé; il est évident que le mot לעשות, dans la version d’Ibn-Tibbon, est une ancienne faute des copistes, et qu’il faut écrire לעשׁוּק. Al-’Harîzi traduit: אבל אין לאיש העשוק יכולת לדחותם. ne peut rien contre eux. Cependant, dans aucune ville, n’importe laquelle du monde entier, les maux de cette sorte ne sont répandus, ni fréquents(2)Sur le sens du mot , voy. t. I, p. 300, note 2. Ibn-Tibbon le rend ici par l’adverbe מאד, ce qui n’est pas exact; peut-être faut-il lire מאדי, adjectif formé par Ibn-Tibbon pour rendre le mot אכתׄרי. Voy., par exemple, IIe partie, au commencement du chap. XX: אינם תמידיים ולא מאודיים. parmi les individus; au contraire, ils se rencontrent rarement, comme, par exemple, quand un individu surprend pendant la nuit un autre individu pour le tuer ou le voler. Ce n’est que dans les grandes guerres que les maux de cette espèce embrassent une foule de gens; mais cela même n’est pas fréquent par rapport à la terre tout entière.", "Les maux de la troisième espèce sont ceux qui arrivent à chacun de nous par son propre fait, ce qui a lieu fréquemment(3)Ibn-Tibbon, qui traduit וזהו הרוב, a peut-être lu אלאכתׄר, comme le portent en effet quelques mss.; mais la plupart portent אלאכתׄרי, forme dont nous avons parlé dans la note précédente.. Ces maux sont beaucoup plus nombreux que ceux de la deuxième espèce. Tous les hommes se lamentent des maux de cette espèce, et on n’en trouvera que fort peu qui ne s’en rendent pas coupables envers eux-mêmes. Ceux qui en sont frappés méritent en vérité d’être blâmés(4)Au lieu de ילאם אלמצאב עליה באלחקיקה̈, un ms. de la Bibliothèque impériale, supplément n° 63, porte ילאם אלמצאב עלי מא יגׄתניה; d’après cette leçon il faudrait traduire: ceux qui en sont frappés méritent d’être blâmés pour le péché qu’ils ont commis. C’est cette leçon que paraît rendre Al-’Harîzi, qui traduit: והוא שראוי להאשים מי שבאתהו התלאה מפני שגרם אותה לעצמו., et on peut leur adresser ces paroles (du prophète): Cela vous est venu de votre propre main (Malach., 1, 9). C’est à ce sujet qu’il a été dit: Celui qui le fait est son propre destructeur (Proverbes, VI, 32), et c’est encore des maux de cette espèce que Salomon a dit: La sottise de l’homme pervertit sa voie (ibid., XIX, 3). Ailleurs il a dit clairement, en parlant des maux de cette espèce, que l’homme se les attire lui-même: en outre, j’ai trouvé ceci, que Dieu a créé les hommes justes, et que ce sont eux qui ont cherché beaucoup de pensées (coupables) (Ecclésiaste, 7, 29)(1)Nous avons traduit les derniers mots du verset selon le sens que leur attribue Maïmonide, et qu’il fait connaître en se servant du mot אלאפכאר, pensées.; ce sont ces pensées qui leur ont attiré ces maux. C’est aussi à l’égard de cette espèce (de maux) qu’il a été dit: Certes, le malheur ne sort pas de la poussière et la souffrance ne germe pas du sol (Job, 5, 6). Ensuite, on déclare immédiatement après que c’est l’homme qui fait naître cette sorte de maux, et on dit: Car l’homme est né pour la souffrance (ibid., v. 7)(2)Maïmonide détourne ces mots de leur véritable signification, et les entend dans ce sens que l’homme est, par sa nature, le créateur de ses souffrances..—Cette espèce (de maux) vient à la suite de tous les vices, je parle notamment de la passion pour la bonne chère, la boisson, et l’amour physique, quand on jouit de ces choses avec excès ou sans régularité, ou quand les aliments sont de mauvaise qualité; car c’est là la cause de toutes les maladies pernicieuses du corps et de l’âme(3)Mot à mot: de toutes les maladies et lésions corporelles et psychiques.. Pour les maladies du corps, c’est évident. Les maladies de l’âme (qui résultent) de ce mauvais régime ont deux raisons. La première, c’est que l’altération que subit le corps influe nécessairement sur l’âme, en tant que celle-ci est une force corporelle(4)Il faut se rappeler que non-seulement l’âme vitale, mais encore la faculté rationnelle et l’intellect hylique, sont considérés par notre auteur comme des formes inhérentes au corps et périssables. Voy. le tome I, p. 146, et p. 328, note 1., et c’est dans ce sens qu’il a été dit que les mœurs de l’âme suivent la complexion du corps(1)Voy. le tome II, chap. XXXVI, p. 281-282, et p. 284; Huit Chapitres, au commencement du chap. VIII. Cf. Aristote, Traité de l’âme, livre I, chap. Ier (§ 11): Ἔοιϰε δὲ ϰαὶ τὰ τῆς ψυχῆς πάθη πάντα εἶναι μετὰ σώματος, ϰ. τ. λ.. La seconde raison, c’est que l’âme se familiarise avec les choses non nécessaires et s’y habitue, de sorte qu’elle prend l’habitude(2)Le mot , qui correspond au mot ἕξις d’Aristote, désigne, comme nous l’avons dit ailleurs, une disposition devenue durable et solide, et peut se traduire tantôt par capacité et tantôt par habitude.Voy. le tome I, p. 195, notes 1 et 2. Ibn-Tibbon, qui le traduit ordinairement par קניין, le rend ici par טבע חזק, une solide disposition naturelle. La version d’Al-’Harîzi porte: ותשיג קניה בתשוקתה למה שאין לו צורך בן, traduction qu’on ne comprend guère sans l’intelligence du texte arabe. de désirer ce qui n’est nécessaire ni pour la conservation de l’individu, ni pour celle de l’espèce. Or, ce désir est une chose qui n’a pas de terme; car, si les choses nécessaires sont toutes restreintes et limitées, le superflu au contraire est illimité. Désires-tu par exemple posséder des vases d’argent, il est plus beau d’en avoir en or; il y en a même qui en ont de cristal, et peut-être en fait-on aussi d’émeraude et de rubis, autant que ces matières sont accessibles(3)D’après la version d’Ibn-Tibbon, il faudrait traduire: ou de tout ce qu’il est possible de trouver; mais les mots או מכל que portent les éditions sont évidemment fautifs. Les mss. portent ומכל מה ou מכל מה, et la version d’Al-’Harîzi בכל מה; mais la plupart des mss. arabes ont כל מא. Le suffixe dans וגׄודה se rapporte à chacun des deux mots אלזמרד ואליאקות; il eût été plus régulier d’écrire וגׄודהמא.. Ainsi, tout homme ignorant et d’un faux raisonnement est constamment dans la douleur et dans la tristesse parce qu’il ne peut pas se livrer au luxe, comme l’a fait tel autre; et souvent il se jette dans de grands périls, comme par exemple le voyage par mer et le service des rois, ayant pour but de se procurer ce luxe inutile. Mais lorsque, étant entré dans ces voies, il est frappé de malheurs, il se plaint du décret divin et de la destinée, murmure contre la fortune et s’étonne de son peu de justice, parce qu’elle ne l’a pas aidé à obtenir de grandes richesses, au moyen desquelles il puisse se procurer du vin en abondance pour s’enivrer et un grand nombre de concubines parées d’or et de pierres précieuses pour l’exciter à jouir de l’amour plus qu’il n’en est capable, comme si le plaisir de cet homme vil était seul le but de l’univers. Voilà à quel point est arrivée l’erreur des gens vulgaires; ils sont allés jusqu’à accuser d’impuissance le Créateur, pour avoir créé l’univers avec cette nature qui, comme ils se l’imaginent, produit nécessairement ces maux, parce qu’elle n’aide pas chaque homme vicieux à assouvir son ignoble passion et à faire arriver son âme perverse au terme de ses désirs, qui, comme nous l’avons exposé, sont sans fin. Mais les hommes vertueux et instruits connaissent la sagesse qui préside à l’univers et la comprennent, comme l’a déclaré David en disant: Tous les sentiers de l’Éternel sont bonté et vérité pour ceux qui gardent son alliance et ses lois (Ps., XXV. 10), ce qui veut dire que ceux qui ont égard à la nature de l’être et aux préceptes de la Loi, et qui en connaissent le but, comprennent la bonté et la vérité qui président à tout; c’est pourquoi ils se proposent pour but la chose à laquelle ils ont été destinés comme hommes, c’est-à-dire la perception. Forcés par les besoins du corps, ils cherchent ce qui lui est nécessaire: du pain pour manger et un vêtement pour se couvrir(1)Allusion aux paroles de Jacob, Genèse, chap. XXVIII, verset 20., sans viser au superflu. Si l’on se borne au nécessaire, la chose est très-facile et s’obtient avec peu de peine. Toutes les fois que tu y vois de la difficulté et de la peine, c’est qu’en nous efforçant de chercher ce qui n’est pas nécessaire, il nous devient difficile de trouver même le nécessaire; car, à mesure que nos désirs se portent trop sur le superflu, la chose devient plus pénible, nous dépensons nos forces et nos biens(2)Le mot , plur. de , signifie ce qu’on a obtenu ou gagné, ce qu’on possède (Ibn-Tibbon: הקניניס). Au lieu de ואלחואצל, quelques mss. portent ואלאחואל; cette variante, qui n’offre pas de sens bien précis, a été reproduite dans la version d’Al-’Harîzi: ויכלו הכחות ויאבדו הענינים. pour ce qui n’est pas nécessaire et nous ne trouvons même plus le nécessaire.", "Il faut considérer dans quelles conditions nous sommes à l’égard de ce qui est à trouver(1)Mot à mot: il faut considérer nos conditions à l’égard du trouver; c’est-à-dire: il faut considérer le plus ou moins de facilité ou de difficulté que nous avons à trouver les choses que nous désirons posséder. Il est évident, par ce qui suit, que le mot אלוגׄוד n’est pas employé ici dans son sens philosophique d’être ou d’univers, mais dans son sens primitif de trouver; c’est sans doute dans le même sens qu’il faut prendre ici le mot מציאות dans la version d’Ibn-Tibbon, où il faut lire ענינינו au lieu de ענינו, quoique cette dernière leçon se trouve aussi dans les mss. Le ms. de Saadia ibn-Danan (Suppl. hébr., n° 63) a ici une variante qui mérite d’être notée, parce qu’elle a été reproduite par Al-’Harîzi; on y lit: פי אלוגׄוד (lis. ) וינבגי אן יעתבר אעתבאר תׄאני; la version d’Al-’Harîzi porte: וצדיך שנתבונן התבוננות שניה במציאות.. En effet, à mesure qu’une chose est plus nécessaire à l’animal, on la trouve plus fréquemment et elle est à plus vil prix; et à mesure qu’une chose est moins nécessaire, on la trouve moins et elle est très-chère(2)On trouve ces mêmes réflexions, presque dans les mêmes termes, dans un passage de Ba’hya, Devoirs des cœurs, liv. II, à la fin du chap. 5, que Maïmonide paraît avoir eu sous les yeux.. Ce qui par exemple est nécessaire à l’homme, c’est l’air, l’eau et la nourriture. Toutefois, ce qu’il y a de plus nécessaire, c’est l’air, car on ne peut en manquer un seul moment sans mourir, tandis qu’on peut se passer d’eau un jour ou deux(3)Tous les mss. portent: אמא אלמא פקד יבקי אליום ואליומין, quant à l’eau, il (l’homme) peut rester un jour ou deux. Il faut nécessairement sous-entendre sans elle, ou sans en boire, et Ibn-Tibbon a suppléé cette ellipse en ajoutant le mot בלעדיו; de même Al-’Harîzi: יתכן לעמוד בלתו.; aussi l’air est-il indubitablement ce qu’il y a de plus facile à trouver et de plus gratuit. Mais l’eau est d’une nécessité plus urgente que ne l’est la nourriture; car certains hommes, pourvu qu’ils boivent(4)Nous avons dû supprimer, dans la traduction, les mots ולא יגתדׄי, pour éviter le pléonasme: דון גדׄא., peuvent rester quatre ou cinq jours sans nourriture. Aussi trouve-t on l’eau, dans chaque ville, plus abondamment et à plus vil prix que la nourriture. Il en est de même des divers aliments; ceux qui sont plus nécessaires se trouvent plus facilement et à plus vil prix, dans un même lieu, que ceux qui sont moins nécessaires. Mais pour ce qui est du musc, de l’ambre, du rubis, de l’émeraude, je ne pense pas qu’un homme de bon sens puisse les croire très-nécessaires à l’homme, à moins que ce ne soit pour un traitement médical(1)Nos mss. portent généralement ללתטבב ou ללטבב, et cette leçon est confirmée par la version d’Ibn-Tibbon, qui a לרפואה. Ibn-Falaquéra lisait ליטיב, ce qu’il traduit par להתבשם, pour se parfumer. Voy. Appendice du Moré ha-Moré, p. 157. Al-’Harîzi paraît avoir eu la même leçon; mais il prend ici le verbe dans le sens de jouir, s’amuser, et il traduit: להנאה ולתענוג, pour le plaisir et la jouissance. Mais la leçon de nos mss., confirmée par Ibn-Tibbon, ne présente aucune difficulté; car les quatre substances dont il s’agit étaient en effet employées comme remèdes, vrais ou imaginaires, contre certaines maladies. Voy., dans le Dictionnaire des médicaments simples par Ibn-Béitar, traduit en allemand par M. Jos. de Sontheimer (Stuttgart, 1840, 2 vol. gr. in-8°), les articles Moschus, tome II, p. 515; Ambra, tome II, p. 210; Smaragdus, tome I, p. 537, et Hyacinthus, tome II, p. 591-592. Maïmonide lui-même, dans un traité composé, par ordre du Kâdhi al-Fadhel, sur le traitement des morsures venimeuses et de ceux qui ont pris du poison (liv. I, chap. 3), mentionne la poudre d’émeraude comme un des antidotes les plus efficaces. Voy. le ms. n° 411 de l’anc. fonds de la Biblioth. imp., fol. 130 b. Ce ms. renferme l’origine arabe en caractères hébraïques.; et encore peut-on les remplacer, ainsi que d’autres choses semblables, par plusieurs espèces d’herbes et de terres.", "C’est en cela que se manifestent la générosité et la bonté(2)Ibn-Tibbon traduit: זהו פרסום גמילות חסדי הש״י למציאותו. On voit que le mot וגׄודה, que nous croyons devoir prononcer , Ibn-Tibbon le prononçait ; mais, si l’auteur avait voulu parler de la bonté de Dieu pour l’univers, il aurait dit ; car le verbe demande la préposition . Cf. ci-dessus, p. 68, note 1. — Nous ferons remarquer encore que le mot תבייו ou , qu’Ibn-Tibbon traduit par פרסום, manque dans plusieurs mss., où il est remplacé par la préposition מן; de même Al-’Harîzi: וזהו מחסדי הבורא וטובתו. que Dieu exerce même à l’égard de ce faible animal. Mais ce qui surtout est très-évident, c’est son éclatante justice et l’égalité qu’il établit entre les animaux(1)Tous les mss. ar. portent בינהם, et de même les versions d’Ibn-Tibbon et d’Al-’Harîzi, ביניהם, entre eux; le suffixe pluriel se rapporte irrégulièrement au mot חיואן qui précède et qui est souvent employé comme collectif, quoique ici ce soit évidemment un singulier.. En effet, les lois de la nature(2)Littéralement: la naissance et la corruption naturelles; c’est-à-dire, les lois naturelles qui gouvernent les êtres soumis à la naissance et à la corruption. ne permettent pas qu’un individu d’une espèce quelconque d’animaux(3)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: מכל שאר; les mss. ont plus correctement: משאר. Le mot שאר, ainsi que le mot arabe סאיר, a ici le sens de כל. Cf. le tome II de cet ouvrage, p. 318, note 5, et p. 334, note 5. se distingue des autres individus de la même espèce par une faculté qui lui soit particulière, ou par un membre qu’il aurait en plus. Au contraire, toutes les facultés physiques, animales (ou psychiques) et vitales(4)L’auteur fait allusion aux trois espèces de facultés admises par les anciens médecins. Voy. le tome I, p. 355, note 1., ainsi que les membres que possède tel individu, sont essentiellement les mêmes que possède tel autre individu; et s’il existe quelque part une défectuosité, c’est accidentellement et à cause d’une chose survenue qui n’est pas dans la nature, ce qui est rare, comme nous l’avons exposé. Entre les individus qui suivent le cours de la nature, il n’y a absolument aucune différence du plus au moins, si ce n’est celle qui résulte de la disposition diverse des matières (individuelles)(5)Pour l’intelligence de ce passage, voy. le t. I, chap. LXXII, p. 364-365. Sur le sens du mot תפאצׄל, voy. ibid., p. 365, note 3.; et cela est une conséquence nécessaire de la nature propre à la matière de l’espèce, chose qui ne concerne pas un individu plutôt qu’un autre(1)C’est-à-dire: Ce qui est cause qu’il n’y a pas de différence essentielle entre les individus, c’est la nature inhérente à la matière générale de l’espèce et à laquelle participent d’une manière égale tous les individus d’une même espèce. Dans , le mot בה a un sens neutre; on comprendrait mieux בהא, au féminin, se rapportant à טביעה̈, la nature; mais tous les mss. ont בה. Pour le premier שכׄץ, la plupart des mss. ont שכׄצא, à l’accusatif; mais קצד est évidemment un verbe passif dont שכׄץ est le sujet. Quant au mot מא, Ibn-Tibbon le prend avec raison dans le sens négatif en traduisant: ל א כוון בו איש מבלתי איש. Al-’Harîzi, négligeant le mot דון, traduit: ממה שהיתה הכוונה בו לאיש ואיש.. Mais, que l’un possède beaucoup de vessies de musc(2)Le mot (plur. ), dérivé du persan , désigne l’espèce de vessie ou bourse que l’animal du musc porte près du nombril et dans laquelle se filtre la liqueur du musc. et de vêtements ornés d’or, tandis que l’autre manque de ces superfluités de la vie, il n’y a là ni injustice ni violence. Celui qui a obtenu ce superflu, n’a conquis par là aucune prérogative dans sa substance et ne possède qu’une illusion mensongère ou un jouet; et celui qui manque des superfluités de la vie n’en est pas nécessairement amoindri(3)C’est-à-dire, sa personne ne perd rien en valeur. Ibn-Tibbon traduit inexactement: ולא זה ··· חסר דבר מחויב, «et celui qui etc. ne manque point d’une chose nécessaire: Celui qui en avait pris beaucoup n’en avait pas de reste, et celui qui en avait pris peu n’en manquait pas, chacun recueillait selon ce qu’il en pouvait manger (Exode, 16, 18). C’est là ce qui arrive le plus fréquemment en tout temps et en tout lieu, et il ne faut pas avoir égard à l’exception, comme nous l’avons exposé.", "Tu reconnaîtras donc, par les deux réflexions qui précèdent, la bonté que Dieu exerce envers ses créatures, (d’une part) en leur faisant trouver le nécessaire selon son importance relative(1)Littéralement: selon sa gradation, c’est-à-dire, en rendant les choses plus ou moins accessibles pour chacun, selon qu’elles sont plus ou moins nécessaires., et (d’autre part) en établissant l’égalité, dès leur création, entre les individus d’une même espèce C’est à ce point de vue vrai que le prince des savants(2)C’est ainsi que l’auteur désigne quelquefois Moïse, lorsque celui-ci proclame non pas un fait qui lui a été révélé, mais une haute vérité philosophique. Cf. le t. I, au commencement du chapitre LIV, p. 216, note 2. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ici אדון הנביאים; mais les mss. ont אדון החכמים. a dit: Car toutes ses voies sont justice (Deutér., 32, 4), et que David a dit: Tous les sentiers de l’Èternel sont bonté et vérité (Ps. 25, 10), comme nous l’avons déjà exposé. David a encore dit expressément: L’Èternel est bon pour tous et sa miséricorde s’étend sur toutes ses œuvres (Ps. 145, 9); car le grand bien dans le sens absolu, c’est qu’il nous ait fait exister, et en créant la faculté directrice(3)Voy. le tome I, p. 363, note 5. dans l’animal, il lui a témoigné sa miséricorde, comme nous l’avons exposé." ], [ "Souvent les esprits(4)Ibn-Tibbon a négligé le mot אדׄהאן, les esprits, et il traduit: הרבה נבוכו השלמים; les éditeurs, prenant הרבה, souvent, dans le sens de beaucoup, ont cru devoir ajouter la préposition מן, qui ne se trouve pas dans les mss. La version d’Al-’Harîzi a, conformément au texte arabe: דעות השלמים; de même Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 119): הרבה נבוכו שכלי השלמים. — L’auteur aborde dans ce chapitre la question du but final de l’univers, pour montrer combien est grave l’erreur de ceux qui considèrent l’homme comme le but de la création, et attribuent à ce dernier une importance qu’il est loin d’avoir. des hommes parfaits ont été embarrassés par la question de savoir quel est le but final de cet univers; mais je vais montrer que, selon tous les systèmes, c’est une question oiseuse(1)Mot à mot: cette question tombe; c’est-à-dire, que la question du but final de l’univers est insoluble pour les philosophes, partisans de l’éternité du monde, comme pour les croyants qui admettent la création ex nihilo. Comme l’auteur le dira plus loin, la vraie cause finale est dans Dieu; selon les philosophes, c’est la sagesse divine, et selon les croyants, c’est la volonté divine.. ", "Toutes les fois, dis-je, qu’un agent agit avec intention, la chose faite par lui doit nécessairement avoir un but final pour lequel il l’ait faite; cela est clair au point de vue de la spéculation philosophique et n’a pas besoin d’être démontré. De même, il est clair que la chose ainsi faite avec intention est née après ne pas avoir existé(2)Cf. tome II, chap. XX, p. 167: «L’idée du dessein et celle de la détermination ne s’appliquent qu’à une chose qui n’existe pas encore, et qui peut exister ou ne pas exister telle qu’on l’a projetée ou déterminée.». Enfin, ce qui est également clair et admis d’un commun accord, c’est que l’être nécessaire, qui n’a jamais été non existant et qui ne le sera jamais, n’a pas besoin d’efficient, ce que nous avons déjà exposé(3)Voy. l’Introduction de la IIe partie, XXe proposition.. Or, comme il n’a pas été fait, on ne saurait en chercher le but final(4)Cette troisième proposition découle nécessairement des deux premières, qui lui servent de prémisses. La cause finale suppose un agent agissant avec intention; ce qui est fait avec intention n’a pas existé auparavant. Par conséquent, ce qui a toujours existé n’est point une chose faite avec intention et n’a point de cause finale. Ainsi, comme l’auteur va l’exposer, on ne saurait demander quelle est la cause finale de l’existence de Dieu, et selon les péripatéticiens, qui admettent l’éternité du monde, on ne saurait indiquer pour celui-ci d’autre cause finale que la sagesse divine. Comme il a été exposé ailleurs (Ire partie, chap. LXIX), Dieu est à la fois la cause efficiente, la cause formelle et la cause finale de l’univers.. C’est pourquoi on ne saurait demander «quel est le but final de l’existence du Créateur?» car il n’est point une chose créée. Il est donc clair, selon ces propositions, qu’on ne saurait chercher un but final que pour une chose née, qui a été faite avec intention par un être doué d’intelligence(1)Le texte arabe porte, dans la plupart des mss., (lis. דׄי) בקצד דׄו עקל. Mais la version d’Ibn-Tibbon et le Moré ha-Moré, p. 119, portent: בכוונת התחלת שכל, par l’intention d’un principe intelligent. Al-’Harîzi a à peu près les mêmes termes, que nous ne trouvons que dans un seul ms. arabe (Suppl. hébr. n° 63), qui porte: בקצד מבדא עקלי.; je veux dire que, pour tout ce qui a pris son origine dans une intelligence, il faut nécessairement rechercher quelle en est la cause finale; mais quand ce n’est pas une chose née, on ne saurait lui chercher une cause finale, comme nous l’avons dit.", "Après cet exposé, tu comprendras qu’on ne saurait chercher un but final pour l’ensemble de l’univers, ni selon nous qui professons la nouvauté du monde, ni selon l’opinion d’Aristote qui le croit éternel. En effet, selon son opinion concernant l’éternité du monde, on ne saurait chercher une dernière cause finale pour aucune des (principales) parties de l’univers; car, selon cette opinion, il n’est pas permis de demander quel est le but final de l’existence des cieux, ni pourquoi ils ont telle mesure et tel nombre, ni pourquoi la matière première est de telle nature, ni quel est le but final de telle espèce d’animaux ou de plantes, toutes choses émanant, selon lui, d’une nécessité éternelle, à jamais immuable(2)Selon l’opinion d’Aristote, dit l’auteur, tout émane en dernier lieu de lois éternelles et immuables, faites par la sagesse divine. Dieu, comme il est dit ailleurs, est la fin dernière, la fin des fins, et par conséquent on ne saurait chercher une autre fin dernière de l’univers. Voy. t. I, chap. LXIX, p. 321-322. C’est de cette fin dernière qu’il s’agit ici, et non pas du but final particulier que nous cherchons dans les différents êtres, comme il va être dit.. Quoique la science physique recherche le but final de chaque être dans la nature, ce n’est pas là la fin dernière dont nous parlons dans ce chapitre. En effet, il a été exposé dans la science physique que chaque être dans la nature doit nécessairement avoir une certaine fin(3)Voy., par exemple, Phys., liv. II, ch. VIII, où Aristote démontre, par la régularité des phénomènes naturels, que tout dans la nature a une certaine fin, et que la nature obéissant à des lois éternelles n’est pas l’effet du hasard: Ἕστιν ἀρα τὸ ἕνεϰά του ἐν τοῖς φύσει γινομένοις ϰαὶ οὖσιν, ϰ. τ. λ. Fin du chapitre: Ὅτι μὲν οὖν αἰτία, ἡ φύσις, ϰαὶ οὕτως ως ἕνεϰά του, φανερόν., mais que cette cause finale, qui est la plus noble des quatre causes, se dérobe dans la plupart des espèces(1)Le pourquoi, ou la cause finale, est le bien, et doit être regardé comme ce qu’il y a de meilleur dans les choses: Τὸ γὰρ οὗ ἕνεϰα βέλτιστου ϰαὶ τέλος τῶν ἄλλων ἐθέλει εἶναι. Physique, liv. II, chap. III. Cf. Métaphysique, liv. V, chap. II. — Il résulte de la manière dont cette phrase est rédigée dans notre texte que, selon Maïmonide, Aristote lui-même aurait dit que la cause finale est inconnue dans la plupart des espèces. Mais nous ne voyons pas qu’Aristote se soit prononcé nulle part dans ce sens, et d’ailleurs l’auteur dit lui-même plus loin que, selon Aristote, la fin des espèces est dans la naissance et la corruption. Cette difficulté disparaît si, au lieu de ואן הדׄא, on lit והדׄא, comme l’ont en effet plusieurs mss.; cette variante a aussi été adoptée par Ibn-Tibbon, qui traduit: וזאת הםבה התכליית … תעלם ברוב המינים. D’après cela, il faudra retrancher dans notre traduction la conjonction que et traduire: «mais cette cause finale etc.», de sorte que Maïmonide exprimerait ici sa propre opinion, ou celle d’Ibn-Sînâ, et non pas celle d’Aristote.. Aristote déclare constamment que la nature ne fait rien en vain(2)Voir le t. II de cet ouvrage, p. 119, note 4.; ce qui veut dire que toute œuvre de la nature a nécessairement une certaine fin. Il dit expressément que les plantes ont été créées en faveur des animaux(3)Voy. Politique, liv. I, chap. VIII: Ὥστε ὁμοίως δῆλον ὅτι ϰαὶ γενομένοις οἰητέον τὰ τε φυτὰ τῶν ζώων ἕνεϰεν εἶναι, ϰαὶ τὰ ἄλλα ζῶα τῶν ἀνθρώπων χάριν. Traité des Plantes, liv. I, chap. II: Καὶ τὸ φὺτον οὐϰ ἐδημιουργἠθη εἰ μὴ διὰ τὸ ζῴον.. De même, il a exposé, au sujet de certaines autres choses, qu’elles existent en faveur les unes des autres, ce qui s’applique particulièrement aux membres des animaux(4)Voy. des Parties des animaux, liv. I, chap. 5: Ἐπεὶ δὲ τὸ μὲν ὄργανον πᾶν ἕνεϰά του, τῶν δὲ τοῦ σώματος μορίων ἕϰαστον ἕνεϰά του, ϰ. τ. λ. En général, le traité des Parties des animaux renferme des détails sur le but et la destination de chacun des organes du corps animal..", "Sache que l’existence de cette fin dans les choses physiques a nécessairement conduit les philosophes à admettre un principe autre que la nature, qu’Aristote appelle le principe intelligent ou divin, et c’est celui qui fait telle chose en faveur de telle autre(1)Les philosophes, reconnaissant dans toute chose physique une cause finale, ont dû nécessairement remonter la série des causes et arriver ainsi à une fin dernière qui est le principe intelligent ou divin, cause absolue de toutes ces causes intermédiaires, qui existent chacune en faveur d’une autre. Voy. Métaphys., liv. II, ch. 2, et liv. XII, ch. 7.. Il faut aussi savoir qu’aux yeux de l’homme impartial, une des plus fortes preuves pour la nouveauté du monde, c’est qu’il a été démontré, au sujet des choses physiques, que chacune d’elles a une certaine fin, et que telle chose existe en faveur de telle autre, ce qui prouve le dessein d’un être agissant avec intention; mais on ne saurait se figurer le dessein, sans qu’il s’agisse d’une production nouvelle(2)C’est-à-dire, pour qu’il y ait dessein, il faut qu’il s’agisse d’une chose appelée à l’existence après ne pas avoir existé. Cf. le tome II, au commencement du chap. XIX, p. 145..", "Je reviens maintenant au sujet de ce chapitre, qui traite de la cause finale. Je dis donc: Aristote a exposé que, dans les choses physiques, l’efficient, la forme et la fin ne font qu’une seule chose, je veux dire qu’ils sont spécifiquement un. En effet, c’est la forme de Zeid, par exemple, qui fait la forme de l’individu ’Amr son fils; ce qu’elle fait, c’est de donner une forme de son espèce à la matière de ’Amr, et le but final de ’Amr, c’est d’avoir une forme humaine. Il en est de même, selon lui, de chacun des individus des espèces physiques qui ont besoin de se propager(3)Voy. Physique, liv. II, chap. VII: Ἔρχεται δὲ τὰ τρία εὶς τὸ ἓν πολλἁϰις • τὸ μὲν γὰρ τί ἐστι ϰαι̂ τὸ οὗ ἕνεϰα ἕν ἐστι, τὸ δ’ὅθεν ἡ ϰίνησις πρῶτον τῷ εἴδει ταὐτὸ τούτοις • ἄνθρωπος γὰρ ἄνθρωπον γεννᾷ. «Souvent trois de ces causes se réduisent à une seule. Ainsi l’essence et la fin se réunissent; et de plus la cause d’où vient le mouvement initial se confond spécifiquement avec ces deux-là: comme, par exemple, l’homme engendre l’homme.» (Trad. de M. Saint-Hilaire.); car les trois causes, dans celles-ci, ne forment qu’une seule. Mais tout cela n’est que la fin première(1)C’est-à-dire: il ne s’agit, dans ce qu’on vient de dire, que de la cause finale prochaine.. Cependant tous les naturalistes pensent qu’il existe nécessairement, pour chaque espèce, une fin dernière, quoiqu’il soit très-difficile de la connaître; et à plus forte raison (de connaître) la cause finale de l’univers entier. Ce qui semble ressortir des paroles d’Aristote, c’est que, selon lui, la fin dernière de ces espèces consiste dans la permanence de la naissance et de la corruption, qui est indispensable(2)Tous les mss. du texte arabe portent: אלדׄי לא בד מנה. Le pronom אלדׄי et le suffixe dans מנה se rapportent nécessairement au mot דואם, permanence. Selon la version d’Ibn-Tibbon, qui porte: אשר אי אפשר מבלעדיהם, il faudrait traduire: qui sont indispensables, c’est-à-dire: la naissance et la corruption. Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 120) reproduit la version d’Ibn-Tibbon, qui n’est point conforme au texte arabe. pour perpétuer le devenir dans cette matière (inférieure), dont il ne peut sortir aucun individu permanent, et dont cependant il doit naître, en dernier lieu, tout ce qu’il est possible qu’il en naisse, je veux dire la chose la plus parfaite possible; car le but dernier est d’arriver à la perfection(3)Le texte de ce passage est un peu obscur. L’auteur veut dire que, selon Aristote, le but final de chacune des espèces d’êtres est d’arriver à la production de ce qu’il y a de plus parfait dans l’espèce; et ce but final est atteint au moyen de la naissance et de la corruption qui se perpétuent, les formes individuelles se succédant continuellement, jusqu’à ce que la matière soit revêtue de la forme la plus parfaite. On va voir que le raisonnement de l’auteur a pour but de prouver ceci: le but final des espèces étant d’arriver par une série de naissances et de corruptions à ce qu’il y a de plus parfait dans chaque espèce, et par suite à l’espèce la plus parfaite, qui est l’espèce humaine, il n’y a plus lieu, dès qu’on est arrivé à cette espèce, de chercher un autre but final dans le monde, et par conséquent on ne saurait chercher le but final de l’ensemble de l’univers. Ce dernier but final ne saurait être cherché que dans un principe qui est en dehors de l’univers; ce principe, c’est Dieu (ὅ τε γἀρ θεὸϛ δοϰεῖ τῶν αἰτίοιν πᾶσιν εἶναι ϰαὶ ἀρχή τιϛ.’ Métaph., I, 2). Selon le philosophe, c’est la sagesse divine; selon le croyant, c’est la volonté divine.. Il est clair que la chose la plus parfaite possible qui puisse naître de cette matière, c’est l’homme, et qu’il est le dernier et le plus parfait de ces êtres composés. Si donc on disait que tous les êtres sublunaires existent à cause de lui, ce serait vrai à ce point de vue, je veux dire (en admettant) que le mouvement des choses variables a lieu en vue de la naissance (perpétuelle), afin d’arriver au degré le plus parfait. Mais on ne saurait demander à Aristote, vu sa doctrine de l’éternité (du monde), quelle est la cause finale de l’existence de l’homme. En effet, la fin première de chaque individu étant, selon lui, le perfectionnement de la forme spécifique, tout individu, dans lequel les actions résultant de cette forme sont parfaites, a parfaitement et complétement atteint son but final; et la fin dernière de l’espèce est de perpétuer cette forme au moyen d’une suite continuelle de naissances et de corruptions, de sorte qu’il arrive toujours une nouvelle naissance ayant pour but(1)Les mots יטלב בה, littéralement: par laquelle on cherche, ont été rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par שיקוה להמצא בה; Al-’Harîzi traduit plus exactement: אשר יבוקש בה מה שיתכן מן השלימות. un plus grand perfectionnement. Il est donc clair que, selon la doctrine de l’éternité, il n’y a pas lieu de chercher la fin dernière de l’ensemble de l’univers.", "Mais il y en a qui pensent que, selon notre opinion à nous, qui professons que l’univers entier a été créé après ne pas avoir existé, il convient de poser cette question, c’est-à-dire de chercher la cause finale de tout cet univers. En conséquence, on croit que l’univers tout entier n’a pour fin que l’existence de l’espèce humaine destinée à adorer Dieu, et que tout ce qui a été fait ne l’a été que pour elle, de sorte que les sphères célestes elles-mêmes n’accompliraient leur mouvement circulaire que pour lui être utiles à elle et pour produire tout ce dont elle a besoin(1)L’auteur fait allusion à l’influence qu’auraient les astres sur toutes les parties du monde sublunaire, dont l’homme, selon cette opinion, est l’être le plus parfait et la cause finale. Cf. la IIe partie de cet ouvrage, chap. X.. Certains passages des livres prophétiques, pris dans le sens littéral, servent d’un grand appui à cette opinion: Il l’a formée (la terre) pour être habitée (Isaïe, 45, 18); si ce n’était pour mon alliance (subsistant) le jour et la nuit, je n’aurais pas posé des lois au ciel et à la terre (Jérémie, 33, 25)(2)C’est-à-dire: je n’ai créé le ciel et la terre, avec les lois qui les gouvernent, qu’en faveur de mon alliance avec Israël et de la loi que j’ai donnée à ce peuple. Nous avons traduit ce verset dans le sens qu’y attache évidemment notre auteur et qui est indiqué dans un passage du Talmud de Babylone, traité Pesa’hîm, fol. 68 b: אילמלא תורה לא נתקיימו שמים וארץ; Raschi, dans son commentaire sur Jérémie, mentionne cette explication talmudique, en faisant observer avec raison qu’elle ne cadre pas avec la suite du discours de Jérémie.; il les a étendus comme une tente pour y habiter (Isaïe, 40, 22). Or, si les sphères célestes existent en faveur de l’homme, à plus forte raison toutes(3)Le mot סאיר a encore ici le sens de כל. Cf. le tome II, p. 318, note 5, et p. 334, note 5. les espèces d’animaux et de plantes. Mais, en examinant cette opinion comme il convient à des hommes intelligents, on reconnaîtra combien elle est sujette au doute. En effet, on pourrait demander à celui qui professe cette opinion: Puisque le but final est l’existence de l’homme(4)Les mots הדׄה אלגאיה̈ אלתי הי וגׄוד אלאנסאן me paraissent commencer la phrase interrogative et former avec ce qui suit une espèce d’anacolouthe. L’auteur se serait exprimé plus régulièrement en disant: אדׄא כאנת הדׄה אלגאיה̈ וגׁוד אלאנסאן, et c’est dans ce sens que nous avons traduit. Ibn-Tibbon, joignant ces mots à ce qui précède, a ajouté quelques mots explicatifs; il traduit: והוא שיאמר למי שיאמין זה שהכל מפני זאת התכלית כלומר מציאות האדם. Al-’Harîzi a supprimé après הדׄא le mot הדׄה qu’il croyait superflu; il traduit: למי שמאמין בזאת התכלית שהיא מציאות האדם. La difficulté que nous avons signalée a été la cause de quelques variantes. Dans quelques mss. on lit: למעתקד הדׄא להדׄה אלגאיה̈ וגו׳; le ms. de Leyde, n° 221, porte: למעתקד הדׄה גאיתה אלגאיה̈ אלתי הי ובו׳, leçon entièrement corrompue. La plupart des mss. et les meilleurs ont la leçon que nous avons adoptée., le Créateur aurait-il pu produire l’homme sans tous ces préparatifs, ou bien celui-ci ne pouvait-il être créé qu’à leur suite? Si l’on répondait que la chose était possible(1)C’est-à-dire, qu’il était possible que l’homme fût créé immédiatement et directement sans qu’aucune autre création le précédât. et que Dieu, par exemple, aurait pu produire l’homme sans qu’il y eût un ciel, on pourrait demander: à quoi lui servaient(2)Tous les mss. arabes ont פאידתה avec suffixe, son utilité, et de même les mss. de la version d’Ibn-Tibbon: תועלתו; le suffixe se rapporte à Dieu, et le sens est: quelle était l’utilité que Dieu cherchait dans toutes ces choses-là? C’est donc à tort qu’on a supprimé dans les éditions le ן suffixe; ce qu’a fait aussi Al-’Harîzi, qui traduit: אס כן מה התועלת באלה הנבראים וגו׳, quelle utilité y avait-il donc dans toutes ces choses créées? toutes ces choses qui n’étaient pas elles-mêmes le but final, et (qui n’ont été créées) qu’en faveur d’une chose qui pouvait exister sans elles? Mais, en admettant même que le tout soit né à cause de l’homme, et que le but final de l’homme, comme on l’a dit, soit d’adorer Dieu, on pourrait encore demander: A quelle fin Dieu doit-il être adoré, puisque sa perfection ne peut s’augmenter, dussent même toutes les créatures l’adorer et le percevoir de la manière la plus parfaite, et que lors même qu’il n’existerait absolument rien en dehors de lui, il ne serait pas par là entaché d’imperfection? Que si l’on répondait qu’il ne s’agit pas de son perfectionnement à lui, mais du nôtre [car c’est notre perfection qui forme notre plus grand bien], on en viendrait encore à poser cette question: A quelle fin devons-nous exister avec cette perfection? — Cette question de la cause finale nous conduira donc nécessairement à (répondre en dernier lieu): «Dieu l’a voulu ainsi(1)C’est-à-dire: toute chose a été créée par la volonté impénétrable de Dieu, qui n’est déterminée que par elle-même et qui n’agit point en vue de ce qui est en dehors d’elle. Cf. le tome I, chap. LXIX, p. 321-322; tome II, chap. XVIII, 2e méthode, p. 141.,» ou «sa sagesse l’a exigé ainsi»; et cela est la vérité. Tu trouves, en effet, que les sages d’Israël, dans leurs rituels de prières, se sont exprimés ainsi: «Tu as distingué l’homme dès le principe (de la création) et tu l’as destiné à se présenter devant toi. Qui pourrait te demander dans quel but tu agis? Si l’homme est vertueux, quel profit t’en revient-il(2)Ces paroles sont tirées du rituel pour le jour des expiations, prière de Ne’îla ou de Clôture.?» Ils ont donc déclaré par là qu’il n’y a pas d’autre cause finale de l’univers que la seule volonté. — Mais, s’il en est ainsi(3)C’est-à-dire: s’il est vrai que tout n’existe qu’en faveur de l’homme, et que, pour l’existence de ce dernier, on ne peut indiquer d’autre cause finale que la volonté de Dieu. L’auteur veut montrer que ceux qui professent cette opinion se trouvent dans un cercle vicieux; car la croyance à la nouveauté du monde les obligeant de nier que tout soit né successivement par un enchaînement de lois immuables, on pourrait toujours leur adresser cette question déjà posée plus haut: A quoi servait la création de toutes ces choses qui n’étaient pas elles-mêmes le but final et qui n’auraient été créées qu’en faveur de l’homme, qui pouvait exister sans elles?, alors la croyance à la nouveauté du monde nous forçant d’admettre que cet univers aurait pu être créé différemment en ce qui concerne ses causes et ses effets (respectifs)(4)Littéralement: qu’il eût été possible qu’il (Dieu) créât l’inverse de cet être (ou univers), en ses causes et ses effets. L’auteur veut dire que, selon la croyance qui admet la création ex nihilo, rien n’étant produit par une loi nécessaire et immuable, Dieu aurait pu faire tout l’univers autrement qu’il n’est; dans les différentes parties de la création, qui sont les causes et les effets les unes des autres, les causes auraient pu être les effets, et les effets les causes., il s’ensuivrait(5)C’est par le verbe תלזס que commence le complément de la phrase, et c’est par erreur que les éditeurs de la version d’Ibn-Tibbon ont mis ותתחייב avec un ו copulatif, pour תתחייב. Au lieu de תלזם, quelques mss. ont תלזמה avec le suffixe ה, qui, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, est rendu par לן. Al-’Harîzi, qui lisait également תלזמה et qui ne savait que faire du suffixe ה, a eu la singulière idée de sous-entendre Aristote; il traduit: יתחייב ארסטו דבה גדולה, ce qui est un grave contre-sens. cette absurdité que tous les êtres, excepté l’homme, existeraient sans aucun but, puisque la seule fin que l’on ait eu en vue, et qui est l’homme, pourrait exister sans tous ces êtres.", "C’est pourquoi la seule opinion vraie selon moi, celle qui est conforme aux croyances religieuses et d’accord avec les opinions spéculatives, est celle ci: Il ne faut point croire que tous les êtres existent en faveur de l’homme, et au contraire, tous les autres êtres (ont été créés) également en vue d’eux-mêmes, et non pas en faveur d’autre chose. Ainsi, même selon notre opinion qui admet la création du monde, on ne saurait chercher la cause finale de toutes les espèces des êtres; car nous disons que c’est par sa volonté que Dieu a créé toutes les parties de l’univers, et que les unes ont leur but en elles-mêmes, tandis que les autres existent en faveur d’une autre chose qui a son but en elle-même. De même donc qu’il a voulu que l’espèce humaine existât, de même il a voulu que les sphères célestes et leurs astres existassent, et de même encore il a voulu que les anges(1)On se rappelle que par les anges, l’auteur entend les Intelligences des sphères. existassent. Dans tout être, il a eu pour but cet être lui-même, et toutes les fois que l’existence d’une chose était impossible sans qu’elle fût précédée d’une autre chose, il produisit celle-ci d’abord, comme par exemple la sensibilité qui précède la raison. Cette opinion a été exprimée aussi dans les livres prophétiques, par exemple: l’Éternel a fait tout pour soi-même, למענהו (Proverbes, XVI, 4), où le pronom soi peut se rapporter au complément (tout). Si cependant le sufixe הו se rapportait au sujet (l’Éternel), le sens (de למענהו) serait: à cause de l’essence de Dieu, c’est-à-dire, à cause de sa volonté, qui est son essence, comme il a été exposé dans ce traité(1)Voy. la Ire partie de cet ouvrage, chap. LIII et suiv.. Nous avons exposé que l’essence de Dieu s’appelle aussi gloire, comme dans ce passage: Montre-moi donc ta gloire (Exode, 33, 18)(2)Voy. Ibid., chap. LXIV, p. 287-288.. D’après cela, le passage «Dieu a tout fait pour soi-même (ou à cause de son essence)» ressemblerait à cet autre passage: Tout ce qui est appelé par mon nom et ce que pour ma GLOIRE j’ai créé, j’ai formé et j’ai fait (Isaïe, 43, 7); ce qui veut dire que, tout ce dont la création m’est attribuée(3)Au lieu de , quelques mss. portent: אלי פעלי; d’après cela il faudra traduire: tout ce qui est attribué à mon action; et c’est dans ce sens que traduit Ibn-Tibbon: כל מה שיוחס לפעלתי. Al-’Harîzi traduit conformément à notre leçon: כל מה שנסמך אלי פעולתו., je ne l’ai fait qu’à cause de ma seule volonté. Les mots j’ai formé et j’ai fait se rapportent à ce que j’ai exposé, (à savoir) qu’il y a des êtres dont l’existence n’est possible qu’après celle d’autre chose; il dirait donc ceci: J’ai créé cette première chose qui devait nécessairement précéder, comme par exemple la matière (qui devait précéder) tout être matériel; ensuite j’ai fait, dans cette chose antérieure, ou après elle, tout ce que j’avais pour but de faire exister, sans pourtant qu’il y eût là autre chose (qui me guidât) que la simple volonté.", "Si tu examines le livre qui est un guide infaillible pour ceux qui veulent être guidés, et qui pour cela a été appelé Tôrâ(4)Le mot תורה, qu’on traduit ordinairement par doctrine ou Loi, vient du verbe הורה, indiquer (le chemin), guider., tu y reconnaîtras, depuis le commencement du récit de la création jusqu’à la fin, l’idée que nous avons en vue. En effet, on n’y déclare en aucune façon qu’une chose quelconque(5)Le mot מנהא, d’entre elles, se rapporte aux œuvres de la création indiquées par les מעשה בראשית. ait été faite en vue d’une autre chose, mais on dit de chacune des parties de l’univers que Dieu l’ayant produite, son existence répondait au but. Tel est le sens de ces mots: Et Dieu vit que c’était bien; car tu sais ce que nous avons exposé au sujet de cette sentence: «L’Écriture s’est exprimée selon le langage des hommes(1)Voy. au commencement du chap. XXVI de la Ire partie (p. 88, note 1), et passim.», et טוב, bien, est une expression par laquelle nous désignons ce qui est conforme à notre but(2)Cf. tome II, chap. XXX, p. 243.. De l’ensemble on dit: Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait et c’était TRÈS-BIEN (Genèse, 1, 31); car tout ce qui était l’était conformément au but (qu’on s’était proposé), sans que rien y fût défectueux(3)Les mots sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par ולא יפסק ולא יפסר בלל; Al-’Harîzi traduit: ולא ישהת בשום פנים. Sur le sens du verbe arabe , voy. t. I, p. 77, n. 5., et c’est là ce qu’on exprime par le mot מאד, très. En effet, il se peut qu’une chose soit bien et réponde momentanément à notre but, mais qu’ensuite le but soit manqué. On nous apprend donc que toutes ces œuvres répondaient à l’intention et au but du Créateur et ne cessaient pas de rester conformes à ce qu’il avait eu en vue. — Ne te laisse pas induire en erreur par ce qu’on dit des astres: pour luire sur la terre, et pour régner le jour et la nuit (Genèse, 1, 17 et 18), et ne crois pas que cela signifie: pour qu’ils (les astres) accomplissent cette action(4)C’est-à-dire: il ne faut pas croire que l’on ait voulu dire par ces paroles que les astres ont été créés dans le but de luire sur la terre. Comme l’auteur l’a dit ailleurs, il serait absurde d’admettre que ce qui est plus élevé, plus parfait et plus noble, existe en faveur de ce qui lui est inférieur. Voy. le tome II, chap. XI, p. 95.; on n’a voulu, au contraire, que faire connaître leur nature telle qu’il a plu au Créateur de la leur donner, je veux dire d’être lumineux et de gouverner (ce bas monde). C’est ainsi qu’on dit en parlant de l’homme: Et dominez sur les poissons de la mer etc. (ibid., v. 28), ce qui ne veut pas dire que l’homme ait été créé pour cela, mais indique seulement la nature que Dieu lui a imprimée. Si l’on dit des plantes que Dieu les a données aux hommes et aux autres animaux (ibid., v. 29), c’est là ce qu’ont déclaré aussi Aristote et d’autres(1)Voy. ci-dessus, p. 85, note 3., et il est évident que les plantes n’ont été créées qu’en faveur des animaux, qui ne peuvent se passer de nourriture. Mais il n’en est pas ainsi des astres, je veux dire qu’ils n’existent pas en notre faveur, et afin qu’il nous en arrive des bienfaits; car, comme nous l’avons exposé, les mots pour luire, pour régner, ne font qu’énoncer l’utilité qui en ressort et qui se répand sur ce bas-monde, conformément à ce que je t’ai déjà exposé de la nature des bienfaits qui se communiquent continuellement d’une chose à une autre(2)Voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. X.. Si ce bien qui arrive perpétuellement est considéré par rapport à la chose à laquelle il arrive, il pourrait sembler que cette chose, objet du bienfait, soit la cause finale de celle qui lui a communiqué ce qu’elle renferme de bon et d’excellent. C’est ainsi qu’un citoyen quelconque pourrait s’imaginer que le but final du souverain soit de préserver sa maison des voleurs pendant la nuit, ce qui est vrai jusqu’à un certain point; car, sa maison étant gardée et ce bienfait lui venant de la part du souverain, il pourrait sembler que le but final du souverain soit de garder la maison de celui-là. C’est dans ce sens que nous devons expliquer chaque texte dont le sens littéral indiquerait qu’une chose élevée ait été faite en faveur de ce qui lui est inférieur, ce qui veut dire seulement que cette dernière chose est une suite nécessaire de la nature de l’autre.", "Ainsi, nous devons croire que la création de tout cet univers n’a été déterminée que par la volonté divine; il ne faut lui chercher aucune autre cause, ni aucune autre fin. De même que nous ne saurions chercher la cause finale de l’existence de Dieu, de même nous ne saurions chercher la cause finale de sa volonté, en vertu de laquelle tout ce qui est né et naîtra est tel qu’il est. ", "Il ne faut donc pas avoir cette opinion erronée que les sphères célestes et les anges n’existent qu’à cause de nous. Déjà (le prophète) nous a déclaré de quelle valeur nous sommes(1)C’est-à-dire, de combien peu de valeur. Ibn-Tibbon rend le mot קדרנא par מדרגתינו (ou, selon les mss., par מעלתינו). Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, p. 121, le traduit plus exactement par שעורנו et Al-’Harîzi par ערד.: Certes les peuples sont comme la goutte d’un seau (Isaïe, 40, 15); et en effet, si tu considères ta substance et celle des sphères célestes, des astres et des Intelligences séparées, tu reconnaîtras la vérité et tu sauras que l’homme est bien l’être le plus parfait et le plus noble qui soit né de cette matière (inférieure), mais que, si l’on compare son être à celui des sphères, et à plus forte raison à celui des Intelligences séparées, il est bien peu de chose, comme il est dit: Certes il n’a pas confiance en ses serviteurs, il trouve des défauts même dans ses anges; qu’en sera-t-il de ceux qui habitent dans des maisons d’argile, qui ont leur fondement dans la poussière (Job, 4, 18 et 19)? Il faut savoir que les serviteurs (עבריו) dont on parle dans ce verset ne sont point de l’espèce humaine. Ce qui le prouve, c’est qu’on dit après: Qu’en sera-t-il de ceux qui habitent dans des maisons d’argile, qui ont leur fondement dans la poussière? Mais les serviteurs mentionnés dans ce verset sont les anges; et de même les anges qu’on a en vue dans ce verset sont indubitablement les sphères célestes. Eliphaz expose lui-même cette idée dans un autre discours, en d’autres termes: Certes, dit-il, il n’a pas confiance en ses saints, et les cieux ne sont pas purs à ses yeux; combien moins l’homme (איש), abominable, corrompu, buvant l’iniquité (עַוְלׇה) comme l’eau (ibid., XV, 15 et 16)! Il est donc clair que ses saints sont les mêmes que ses serviteurs et qu’ils ne sont pas de l’espèce humaine; ses anges, dont on parle dans l’autre verset, sont les cieux, et le mot תׇּהלה (défaut) a le même sens que les mots: ne sont pas purs à ses yeux, je veux dire qu’ils sont des êtres matériels Mais, quoiqu’ils soient de la matière la plus pure et la plus brillante, ils sont cependant, relativement aux Intelligences séparées, troubles, ténébreux et sans clarté. Si l’on dit, en parlant des anges: Certes, il n’a pas confiance en ses serviteurs, cela veut dire qu’ils n’ont pas d’existence solide; car, selon notre opinion, ils sont créés, et même, selon l’opinion de ceux qui admettent l’éternité du monde, ils sont les effets d’une cause, et leur rôle dans l’univers n’a ni solidité ni fixité, relativement à Dieu, l’être nécessaire dans le sens absolu(1)Voy. le tome II, p. 18, XIXe proposition, et ibid., note 3.. Les mots combien moins (cet être) abominable et corrompu correspondent aux mots qu’en sera-t-il de ceux qui habitent dans des maisons d’argile; c’est comme si l’on disait: Combien moins cet être abominable et corrompu, l’homme, qu’infecte l’iniquité(2)Le mot arabe אעוגׄאגׄ (qu’Ibn-Tibbon rend ici par les deux mots עולה ועוות) signifie proprement courbure, état de ce qui est tortueux, et c’est le sens que l’auteur attribue au mot עַוְלׇה, qui au figuré signifie iniquité. répandue dans tous ses membres, c’est-à-dire qui est associé à la privation(3)Nous avons à peine besoin de faire observer que le mot privation est employé ici dans le sens aristotélique du mot στέρησιϛ. On dit de ce qui est matériel, qu’il est associé à la privation, car la matière abstraite est nécessairement privée de toute forme. Cf. le tome I, chap. XVII, p. 69, et ci-dessus, vers la fin du chap. X. — La version d’Ibn-Tibbon, qui porte התפשטות ההעדר, a été blâmée avec raison par Ibn-Falaquéra (Append. du Moré ha-Moré, p. 157), qui traduit: התחבר ההעדר, et c’est dans ce sens qu’Ibn-Tibbon lui-même a rendu le mot arabe מקארנה̈ dans les deux passages que nous venons de citer. Mais nous croyons que l’un et l’autre se sont trompés en lisant ici מקארנה̈, avec le ה̈ féminin, comme nom d’action; car, bien que plusieurs mss. aient le ה̈ ponctué, nous croyons qu’il faut prononcer , comme participe, accompagné du suffixe masculin, qui se rapporte au précédent אלדׄי, de sorte que est parallèle à . C’est ainsi que l’a entendu Al-’Harîzi, qui traduit: ד״ל שהוא דבק באפיסה.. Le mot עולה signifie courbure (ou iniquité), comme dans בארץ נכחות יעול, dans le pays de la droiture il agit avec iniquité (Isaïe, 26, 10). Le mot איש, vir, a ici le sens du mot אדם, homo; car on désigne quelquefois l’espèce humaine par le mot איש, vir; par exemple מכה איש ומת, celui qui frappe un homme (virum) de sorte que celui-ci en meure (Exode, 21, 10).", "Voilà donc ce qu’il faut croire; car, dès que l’homme se connaît, qu’il ne se trompe pas(1)Quelques mss. ont לם au lieu de ולם, de sorte que le complément de la phrase commencerait par les mots לם יגלט; mais dans ce cas il fallait dire לא יגלט et écrire un peu plus loin ואסתראח avec ן copulatif. La leçon ולס יגלט est donc plus correcte, et en effet les deux versions hébraïques ont ולא יטעה בה (dans les éditions בו est une faute d’impression). sur son propre compte et qu’il comprend chaque être tel qu’il est (réellement), il se tranquillise et ses pensées ne sont pas troublées en cherchant telle fin pour une chose qui n’a pas cette fin(2)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il manque ici quelques mots; dans les mss. on lit: לבקש תכלית למה שאין לו התכלית ההיא., ou (en général) en cherchant une fin pour ce qui n’a d’autre fin que son existence dépendant de la volonté divine, ou, si tu aimes mieux, de la sagesse divine." ], [ "Ce que l’homme doit également considérer, pour connaître ce qu’il vaut lui-même et ne pas se laisser induire en erreur, c’est ce qui a été exposé des dimensions des sphères et des astres, et des immenses distances qui nous en séparent. En effet, puisqu’on a exposé la manière de mesurer toutes les distances relativement au demi-diamètre de la terre(3)Voy. le tome II de cet ouvrage, p. 187, note 1. Nous ajouterons que déjà Ptolémée avait mesuré les distances de la lune et du soleil à la terre en prenant pour unité le rayon de la terre. Voy. Almageste, liv. V, chap. XIII et XV. Les astronomes arabes ont mesuré de la même manière les distances de toutes les planètes et de la sphère des étoiles fixes. Voy. Mahometis Albatenii, De Scientia stellarum, cap. L, et Al-Farghàni, Elementa astronomica, cap. XXI (Edition de Golius), p. 81-82., (il en résulte que), la mesure de la circonférence de la terre, et par conséquent celle de son demi-diamètre, étant connues, toutes les distances seront également connues. Il a donc été démontré que la distance entre le centre de la terre et le sommet de la sphère de Saturne, est un chemin d’environ huit mille sept cents années, de trois cent soixante-cinq jours chacune, en comptant pour chaque journée de chemin quarante de nos milles légaux, dont chacun a deux mille coudées ordinaires(1)En comptant l’année à 365 jours 1/4 et la journée de marche à 40 milles, on trouve pour 8.700 années 127.107.000 milles. Ces milles, comme le dit l’auteur, sont ceux de la Loi, c’est-à-dire de la tradition talmudique, et ont chacun 2.000 coudées vulgaires, ou comme s’exprime le texte: selon la coudée d’emploi. Selon les Arabes, qui donnent au mille 4.000 coudées ou environ le double du mille légal des Juifs, la distance indiquée ici par Maïmonide sera de 63.553.500 milles. D’après Al-Farghâni (l. c., chap. XXI, p. 82), la distance de la terre au sommet de Saturne ou à la sphère des étoiles fixes serait de 20.110 rayons de la terre (le rayon à 3.250 milles, ibid., chap. VIII, p. 31), ou de 65.357.500 milles. La différence, relativement peu considérable, entre le chiffre de Maïmonide et celui d’Al-Farghâni, n’étonnera personne, quand il s’agit d’un calcul aussi vague, sans parler de la variation des coudées et des milles dans les différents pays et aux différentes époques.. Considère cette grande et effrayante distance; c’est d’elle que l’Écriture dit: Dieu n’est-il pas au plus haut des cieux? et regarde combien le sommet des étoiles est élevé (Job, 22, 12). Cela veut dire: Ne vois-tu pas que l’élévation du ciel prouve combien nous sommes loin de concevoir la Divinité? Car, comme nous nous trouvons à cette immense distance de ce corps dont nous sépare un si grand espace, de sorte que sa substance et la plupart des effets qu’il produit nous sont inconnus, qu’en sera-t-il de la perception de son auteur, qui n’est point un corps? ", "— Cette grande distance qui a été démontrée n’est prise qu’au minimum; car entre le centre de la terre et la concavité(2)Le mot arabe est ici rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par le mot קבוב, que je crois être une faute d’impression pour נבוב, mot biblique qui signifie creux, concave; les mss. ont ici le synonyme חלל qu’Ibn-Tibbon emploie également au chap. XXIV de la IIe partie. Plus loin, les mss. de la version d’Ibn-Tibbon ont קרקעית שבתי, là où les éditions ont קבוב שבתי (en arabe הצׄיץׄ זחל). de la sphère des étoiles fixes, la distance ne peut nullement être moindre, mais il est possible qu’elle soit plusieurs fois autant. En effet, l’épaisseur des corps des sphères n’a été déterminée par démonstration qu’à son minimum, comme il résulte des traités des distances(1)Tous les mss. arabes ont ici le mot רסאיל au pluriel; Ibn-Tibbon a אגרת au singulier. Au chap. XXIV de la IIe partie (tome II, p. 191), l’auteur cite un traité des Distances composé par Al-Kabici; ici, il fait peut-être allusion à plusieurs ouvrages traitant du même sujet.; et de même on ne saurait déterminer exactement l’épaisseur des corps (intermédiaires) que, suivant Thabit(2)Voy. sur cette hypothèse le tome II de cet ouvrage, p. 189-190., le raisonnement nous force d’admettre entre chaque couple de sphères, ces corps n’ayant pas d’étoiles au moyen desquelles on puisse en faire la démonstration. Quant à la sphère des étoiles fixes, son épaisseur formerait un chemin d’au moins quatre ans de marche, comme on peut le conclure de la mesure de quelques-unes(3)Au lieu de בעצׄ, quelques mss. ont בעד, distance, de sorte qu’il faudrait traduire: «comme on peut le conclure de la mesure de la distance de ses étoiles.» Bien que cette leçon ait été adoptée par Ibn-Tibbon, Al-’Harîzi et Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 121), nous croyons que le sens scientifique de ce passage la rend inadmissible. de ses étoiles, qui ont chacune un volume dépassant quatre-vingt-dix fois et plus celui du globe terrestre(4)Selon le calcul établi par Al-Batâni ou Albategnius, les plus grandes des étoiles fixes auraient un volume qui contiendrait environ cent deux fois celui de la terre. Voy. De Scientia stellarum, chap. L, p. 199. Selon Al-Farghâni, le volume de chaque étoile de première grandeur contiendrait cent sept fois celui de la terre. Voy. Elementa astronomica, cap. XXII (édition de Golius), p. 84. Ibn-Gebirol dit de même dans le Kéther Malkhouth, en parlant des étoiles de la huitième sphère: וגוף כל ככב מהם מאה ושבע פעמים כגוף הארץ.; mais il se peut que l’épaisseur de cette sphère soit encore plus forte. Pour ce qui est de la neuvième sphère qui fait accomplir à tout l’ensemble (des sphères) le mouvement diurne(1)Voy. tome I, p. 357, note 3, et tome II, p. 151, note 3. — Ibn-Tibbon traduit: המקיף בכּׂל התנועה היומית. Ibn-Falaquéra, l. c., traduit plus exactement et avec plus de clarté: המסובב הכל, qui fait mouvoir le tout. De même Al-’Harîzi: המגלגל את כלם בתנועת יום אחד., on n’en connaît point la mesure; car, comme elle n’a pas d’étoiles, nous n’avons aucun moyen d’en connaître la grandeur.", "Il faut donc considérer combien sont immenses les dimensions de ces êtres corporels, et combien ils sont nombreux! Or, si la terre tout entière n’est qu’un point imperceptible(2)Le texte arabe porte , n’a pas de partie; c’est-à-dire: si la terre est tellement petite relativement à la sphère des étoiles fixes dont elle forme le centre, qu’on ne saurait indiquer dans quelle proportion elle est à cette sphère. Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 122) traduit littéralement אין חלק לה. Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi traduisent d’après le sens אין שיעור לה. relativement à la sphère des étoiles (fixes), quel sera le rapport de l’espèce humaine à l’ensemble des choses créées? Et comment alors quelqu’un d’entre nous pourrait-il s’imaginer qu’elles existent en sa faveur et à cause de lui, et qu’elles doivent lui servir d’instruments? Mais ceci n’est encore qu’une comparaison entre les corps; et que sera-ce si lu considères l’être des Intelligences (séparées)?", "Cependant, on pourrait à cet égard faire une objection à l’opinion des philosophes. Si nous prétendions, pourrait-on dire, que le but final de ces sphères soit, par exemple, de gouverner un individu humain ou plusieurs individus, ce serait absurde au point de vue de la spéculation philosophique; mais, comme nous croyons qu’elles ont pour but final le gouvernement de l’espèce humaine, il n’y a point d’absurdité (à supposer) que ces grands corps individuels soient destinés à faire exister des individus appartenant à des espèces, et dont le nombre, selon la doctrine des philosophes, est infini. On pourrait comparer ceci aux instruments de fer du poids d’un quintal que l’ouvrier fait pour fabriquer une petite aiguille pesant un grain. Or, s’il s’agissait d’une seule aiguille, ce serait, en effet, à un certain point de vue(1)Tous les mss. arabes portent: בחסב נטׄר מא, selon une certaine spéculation ou manière de voir. La version d’Ibn-Tibbon a: לפי עיוננו, «selon notre manière de voir»; celle d’Al-’Harîzi: לפי עיונו, ce qui n’est peut-être qu’une faute du copiste. — L’auteur veut dire probablement qu’à un certain point de vue, c’est-à-dire, si l’on considère le peu de valeur d’une aiguille, il pourrait paraître absurde et d’une mauvaise économie de faire des instruments coûteux pour fabriquer une aiguille; mais que cependant ce n’est pas une absurdité dans le sens absolu, car les grands instruments peuvent quelquefois servir à fabriquer un petit outil d’une grande nécessité., d’une mauvaise économie, quoique ce ne le soit pas dans un sens absolu; mais si l’on considère qu’il fabrique, au moyen de ces instruments pesants, une grande quantité d’ai-guilles du poids de plusieurs quintaux, la fabrication de ces instruments est, en tous cas, un acte de sagesse et de bonne économie. De même, le but final des sphères est de perpétuer la naissance et la corruption, et le but final de ces dernières est, comme on l’a déjà dit, l’existence de l’espèce humaine. Nous trouvons des textes bibliques et des traditions qui peuvent servir d’appui à cette idée. Toutefois le philosophe pourra répondre à cette objection en disant: Si la différence entre les corps célestes et les individus des espèces soumis à la naissance et à la corruption ne consistait que dans la grandeur et la petitesse, l’objection serait fondée; mais comme les uns se distinguent des autres par la noblesse de la substance, il serait fort absurde (de supposer) que le plus noble serve d’instrument à l’existence de ce qu’il y a de plus bas et de plus vil.", "En somme pourtant, cette objection peut offrir un secours à notre croyance de la nouveauté du monde(2)L’auteur veut dire que la difficulté soulevée par cette objection peut servir d’argument en faveur de la nouveauté du monde; car elle disparaît, comme tant d’autres difficultés qu’on rencontre dans le système de l’éternité du monde (voir les chap. XIX et XXII de la IIe partie), dès qu’on admet un Dieu créateur produisant tout par sa libre volonté, dont les mystères nous sont inaccessibles., et c’est là le sujet que j’ai eu principalement pour but dans ce chapitre. En outre(1)L’auteur s’exprime ici d’une manière elliptique; il veut dire qu’outre le but qu’il vient d’indiquer, il en avait encore un autre, celui de justifier les docteurs contre les critiques dont ils sont l’objet de la part de certains hommes qui n’ont que des connaissances superficielles en astronomie., c’est que j’ai toujours entendu ceux qui se sont occupés un peu d’astronomie taxer d’exagération(2)Au lieu de אסתגיא, taxer d’exagération, plusieurs mss. ont אסתבעאד, déclarer invraisemblable; nous avons préféré la première leçon, qui est celle qu’exprime Ibn-Tibbon: שהיה חושב לגוזמא. ce que les docteurs ont dit à l’égard des distances; car ils disent clairement que l’épaisseur de chaque sphère forme un chemin de cinq cents ans, et qu’entre chaque couple de sphères il y a également cinq cents ans de chemin(3)Voy. Talmud de Jérusalem, traité Berakhôth, chap. I, § 1: וכשם שבין הארץ לרקיע מהלך ת״ק שנה כך בין רקיע לרקיע מהלך ת״ק שנה ועוביו מהלך ת״ק שנה.. Or, comme il y a sept sphères(4)C’est-à-dire, comme les docteurs comptent sept sphères, qui sont celles des planètes., la distance entre la septième sphère — je veux parler de sa partie convexe — et le centre de la terre, formera un chemin de sept mille ans. Quiconque entendra cela s’imaginera qu’il y a dans ces paroles une grande exagération et que la distance n’atteint pas cette mesure. Mais par la démonstration qui a été faite sur les distances, tu reconnaîtras que la distance entre le centre de la terre et la partie inférieure de la sphère de Saturne, qui est la septième, forme un chemin d’environ sept mille vingt-quatre ans. Quant à la distance dont nous avons parlé (plus haut) et qui formerait un chemin de huit mille sept cents ans, elle va jusqu’à la concavité de la huitième sphère. Si les docteurs disent qu’entre chaque couple de sphères il y a telle distance, il faut entendre cela de l’épaisseur des corps qui existent entre les sphères(5)C’est-à-dire: des corps sphériques sans astre, qui, selon l’hypothèse de Thabit, existent entre chaque couple de sphères., et non pas qu’il y ait là un vide.", "Il ne faut pas exiger que tout ce qu’ils ont dit relativement à l’astronomie soit d’accord avec la réalité; car les sciences mathématiques étaient imparfaites dans ces temps-là, et s’ils ont parlé de ces choses, ce n’est pas qu’ils aient reçu là-dessus une tradition venant des prophètes, mais plutôt parce qu’ils étaient les savants de ces temps-là pour ces matières, ou parce qu’ils les avaient entendues des savants de l’époque. C’est pourquoi, si nous trouvons chez eux des paroles conformes à la vérité, je ne dirai ni qu’elles ne sont pas vraies, ni qu’elles sont dues au hasard; au contraire, l’homme d’un caractère noble et qui aime à être juste doit toujours tenir, autant que possible, à interpréter les paroles des autres de manière à les mettre d’accord avec ce qui a été démontré des hautes vérités de l’être(1)Littéralement: au contraire, chaque fois qu’il est possible d’interpréter les paroles d’une personne de manière à les mettre d’accord avec l’être dont la réalité a été démontrée, c’est ce qu’il y a de plus digne et de plus convenable pour celui qui a un caractère noble et qui aime à être juste. — Les deux superlatifs sont rendus, dans la version d’Ibn-Tibbon, par un seul, יותר ראוי, auquel se joint le mot לעשותו, qui est à la fin de la phrase et qui n’a pas d’équivalent dans le texte arabe. Pour אלפאצׄל אלטבאע, celui qui a un caractère noble, Ibn-Tibbon a באדם המעולה; Al-’Harîzi traduit plus exactement: לתמימי הטבע.." ], [ "L’impossible a une nature stable et constante qui n’est pas l’œuvre d’un agent et qui n’est variable à aucune condition; c’est pourquoi on ne saurait attribuer à Dieu aucun pouvoir à cet égard(1)C’est-à-dire, il y a des choses qui, par leur nature même, sont d’une impossibilité absolue, et dont il serait absurde d’admettre la possibilité; c’est pourquoi on ne saurait attribuer à la toute-puissance divine elle-même, qui les a faites ainsi, le pouvoir de les changer. Tous les exemples que l’auteur va citer peuvent être ramenés au principe de contradiction, placé par Aristote en tête de sa logique. Voy. le traité de l’Herméneia ou de l’Interprétation, chap. VII et suivants; Métaphysique, liv. IV(Γ), chap. III. Le livre quatrième de la métaphysique est consacré en grande partie au développement de ce grand principe. — L’auteur cherche dans ce chapitre à bien déterminer la nature du possible et de l’impossible; cette détermination, comme on le verra, lui est nécessaire pour développer ses idées sur l’omniscience divine et sur la Providence. Il montre que, si certaines choses sont d’une impossibilité évidente pour tout le monde, il y en a d’autres où le critérium du possible et de l’impossible nous échappe, de même que certaines impossibilités démontrées par les sciences mathématiques ne sauraient être comprises par ceux qui ne sont pas versés dans ces sciences.. C’est ce qu’aucun des penseurs(2)Sur l’expression אהל אלנטׄר, voy. le t. I, p. 184, note 3. ne conteste nullement, et cela n’est ignoré que par ceux qui ne comprennent pas les notions intelligibles. S’il y a dissentiment entre les penseurs, ce n’est que par rapport à certaines choses imaginables qui, selon certains penseurs, sont dans la catégorie de l’impossible que Dieu lui-même n’a pas le pouvoir de changer(3)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut substituer au mot עליו le mot לשנותו, comme l’ont les mss., et qui, selon d’autres, sont dans le domaine du possible, qu’il dépend de la toute-puissance divine de faire exister à volonté. Ainsi, par exemple, la réunion des contraires au même instant et dans le même sujet, la transformation des principaux(4)Le mot , qui signifie les chefs ou les principaux, est ici évidemment employé par Maïmonide pour désigner les deux choses principales qui constituent le corps, à savoir la substance et les accidents. Cependant, selon le Kitâb al-Ta’rifât, ce mot désignerait particulièrement les substances à l’exclusion des accidents. Voici ce qu’on y lit, selon la traduction de Silvestre de Sacy (Notices et Extraits des mss., t. X, p. 64-65): «A’yân, c’est-à-dire les substances. Ce sont les choses qui se soutiennent par elles-mêmes. Quand nous disons qui se soutiennent par elles-mêmes, cela veut dire qu’elles occupent un espace par elles-mêmes, sans que leur existence dans un espace dépende de l’existence concomitante d’une autre chose. C’est le contraire des accidents, dont l’existence dans un espace dépend de l’existence concomitante de la substance qui leur sert de support, c’est-à-dire qui est le lien par lequel ils sont soutenus.» Cette définition est en substance la même que celle que donne, avec plus de développement, le grand dictionnaire arabe des termes techniques publié à Calcutta. Voy. BIBLIOTHECA INDICA, A Dictionary of the technical terms used in the sciences of the Musulmans, p. 1073., je veux dire le changement de la substance en accident et de l’accident en substance, ou l’existence d’une substance corporelle sans accident, tout cela est, pour chaque penseur, de la catégorie de l’impossible. De même, il est impossible que Dieu appelle à l’existence son semblable, ou qu’il se rende lui-même non existant, ou qu’il se corporifie, ou qu’il se change, et on ne saurait lui attribuer le pouvoir de faire rien de tout cela. Quant à la question de savoir s’il peut produire un accident seul qui ne soit pas dans une substance, une secte de penseurs, à savoir les Motazales, ont imaginé cela et l’ont cru du domaine du possible(1)Voy. le tome I de cet ouvrage, chap. LXXIII, p. 391, et ibid., note 1. Quelques docteurs juifs de la secte des Karaïtes ont également professé cette doctrine de l’accident sans substratum. Voy. Ahron ben-Élie, עץ חיים, édition de Leipzig, chap. IV (p. 16), et chap. XI (p. 32)., tandis que d’autres l’ont jugé impossible. Il est vrai que ceux qui ont professé l’existence d’un accident sans substratum n’y ont pas été amenés par la simple spéculation, mais par leurs égards pour certaines doctrines religieuses que la spéculation repousse violemment, de sorte qu’ils ont eu recours à cette hypothèse(2)Considérant la fin future du monde comme un dogme religieux, ils imaginèrent cette hypothèse de l’accident de la destruction, dont l’auteur parle à l’endroit cité dans la note précédente.. De même, produire une chose corporelle sans se servir pour cela d’aucune matière préexistante, est, selon nous, dans la catégorie du possible; mais, selon les philosophes, c’est impossible(1)Il est évident que l’auteur fait ici allusion à la création du monde ex nihilo admise par les croyants et niée par les philosophes.. De même, les philosophes diront qu’il est du domaine de l’impossible de produire un carré dont la diagonale soit égale au côté, ou un angle solide qui soit environné de quatre angles droits plans(2)Il est démontré que tout angle solide est compris sous des angles plans qui sont plus petits que quatre angles droits. Voy. les Éléments d’Euclide, liv. XI, proposition 21., ou d’autres choses semblables. Mais, maint homme qui ignore les mathématiques et qui ne connaît de ces choses que les simples mots, sans en concevoir l’idée, les croira possibles.
Puissé-je savoir(3)L’auteur exprime ici l’incertitude qu’il y a dans beaucoup de cas sur ce qui est possible ou absolument impossible, et il se demande si le critérium est uniquement dans l’intelligence, ou s’il réside aussi dans l’imagination. —Les mots פיא לית שערי sont toujours rendus inexactement dans la version d’Ibn-Tibbon par ואני תמה, je m’étonne. Al-’Harîzi traduit plus exactement: מי יתן ידעתי; de même Ibn-Falaquéra: ומי יתן אדע. Voir Moré ha-Moré, p. 125, et cf. Appendice, p. 153. si c’est ici une porte ouverte au gré de tout le monde, de sorte qu’il soit permis à chacun de soutenir, de toute chose qui lui viendrait à l’idée, qu’elle est possible, tandis qu’un autre soutiendrait que, par sa nature même, la chose est impossible! Ou bien, y a-t-il quelque chose qui ferme cette porte et qui en défend l’entrée, de sorte que l’homme soit obligé de déclarer décidément que telle chose est impossible par sa nature(4)C’est-à-dire: y a-t-il quelque chose qui puisse faire cesser le vague et l’indécision, et chaque homme possède-t-il le critérium du possible et de l’impossible?? La pierre de touche par laquelle on doit examiner cela, est-ce la faculté imaginative ou l’intelligence? et comment distinguera-t-on entre les choses de l’imagination et l’intelligible? En effet, l’homme est souvent en désaccord avec un autre ou avec lui-même sur une chose qui lui semble être possible, et qu’il soutient être possible(1)Ibn-Tibbon a omis dans sa version les mots: פיקול אנה ימכן. La version d’Al-’Harîzi est ici plus exacte: בדבר אשר מציאותו אפשרית לדעתו ויאמר שהוא אפשרי בטבעו. Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, p. 125, traduit de même: בדבר מה מציאותו אפשרי אצלו ויאמר שהוא אפשרי בטבעו. par sa nature même, tandis qu’on peut objecter(2)Mot à mot: tandis que l’adversaire dit. Cet adversaire qui lui fait des objections est, ou une autre personne (ינאזע אלשכץ גירה), ou sa propre âme (או תנאזעה נפסה), c’est-à-dire lui-même. que c’est l’imagination, et non l’intelligence, qui fait que cette chose paraît possible. Y a-t-il par conséquent quelque chose qui puisse servir de critérium entre la faculté imaginative et l’intelligence? et ce quelque chose est-il en dehors de l’une et de l’autre, ou bien est-ce par l’intelligence elle-même qu’on distingue entre l’intelligence et ce qui est du domaine de l’imagination? Tout cela peut donner lieu à des recherches qui mériteraient d’être bien approfondies(3)La version d’Ibn-Tibbon est encore ici un peu abrégée. Al-’Harîzi traduit: אלו מקומות חקירה ידקדקו עליהם. Le verbe signifie: aller loin, pénétrer bien avant dans une chose, approfondir une question.; mais ce n’est pas là le but de notre chapitre.", "Toutefois, il est clair que, selon toutes les opinions et tous les systèmes, il y a des choses impossibles dont l’existence est inadmissible et à l’égard desquelles on ne peut attribuer de pouvoir à Dieu; mais, s’il est vrai que Dieu ne saurait les changer, il n’y a là de sa part ni faiblesse, ni manque de puissance, et par conséquent elles sont nécessaires(4)Ibn-Tibbon a ici, nous ne savons pourquoi, rendu le mot לאזמה̈ par הם שוקדות על טבעם; Al-’Harîzi et Ibn-Falaquéra, l. c., ont: מתחייבים. (en elles-mêmes) et ne sont pas l’œuvre d’un agent. Il est clair aussi qu’il ne peut y avoir divergence qu’à l’égard des choses qu’on pourrait, par hypothèse, placer dans chacune des deux catégories(1)Plus littéralement: qu’on pourrait supposer être de n’importe laquelle des deux catégories. Le verbe signifie poser, supposer, et indique quelque chose d’hypothétique. Le mot שיונחו, qu’ont Ibn-Tibbon et Ibn-Falaquéra, renferme la même idée. — Au lieu de תפרץׄ , quelques mss. ont תערץׄ, leçon qui n’offre pas de sens bien plausible., soit dans celle de l’impossible, soit dans celle du possible. Il faut te bien pénétrer de cela." ], [ "Les philosophes ont professé sur Dieu une très-grande hérésie(2)Le verbe , VIIIe forme de , signifie se mettre au-dessus de quelque chose, insister sur sa propre opinion, professer des opinions para-doxales ou des hérésies. Cf. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 269, note 3., au sujet de la connaissance qu’il peut avoir de ce qui est en dehors de lui, et ils ont fait une chute dont ni eux ni ceux qui ont adopté leur opinion ne sauraient se relever(3)Sur le sens du mot , voy. le tome II, p. 215, note 1.. Je vais te faire entendre les doutes qui les ont jetés dans cette hérésie, ainsi que la doctrine que notre religion professe à cet égard, et ce que nous opposons aux opinions mauvaises et absurdes qu’ils professent au sujet de l’omniscience divine. ", "Ce qui surtout les y a fait tomber et ce qui les y a conduits tout d’abord, c’est le manque de bon ordre qu’on croit remarquer de prime abord dans les conditions des individus humains; car, tandis que certains hommes vertueux ont une vie pleine de maux et de douleurs, il y a des hommes méchants qui mènent une vie heureuse et douce. Ils ont donc été amenés à poser le dilemme que tu vas entendre. Il faut nécessairement, disaient-ils, admettre de deux choses l’une: ou bien, que Dieu ne connaît rien de ces conditions individuelles et qu’il ne les perçoit pas; ou bien, qu’il les perçoit et les connaît. C’est là un dilemme rigoureux. Si, disaient-ils ensuite, il les perçoit et les connaît, il faut nécessairement admettre l’un de ces trois cas: ou bien, qu’il les règle et qu’il y établit l’ordre le meilleur, le plus parfait et le plus achevé; ou bien, qu’il est incapable de les régler et qu’il n’y peut rien; ou bien enfin que, tout en les connaissant et en pouvant y introduire la règle et le bon ordre, il néglige cela, soit parce qu’il les dédaigne et les méprise, soit parce qu’il en est jaloux. C’est ainsi que nous trouvons tel d’entre les hommes qui est capable de faire du bien à un autre et qui connaît le besoin qu’a ce dernier de recevoir son bienfait; mais cependant, par un mauvais caractère, par passion ou par jalousie, il lui envie ce bien et ne le lui fait pas. On est évidemment forcé d’admettre l’un de ces différents cas(1)Littéralement: cette division est également nécessaire et vraie.. En effet, tout homme qui connaît une certaine chose, ou bien a soin du régime de cette chose dont il a connaissance, ou bien la néglige, comme on néglige par exemple dans sa maison le régime des chats, ou des choses encore plus viles; mais celui-là même qui se préoccupe d’une chose est quelquefois incapable de la gouverner, quand même il le voudrait. Après avoir énuméré ces différents cas, ils ont jugé pé-remptoirement que, sur les trois hypothèses, admissibles à l’égard de celui qui a connaissance d’une chose, deux sont impossibles(2)Le texte arabe a ici irrégulièrement dans tous nos mss. ממתנע, au singulier, au lieu du duel ממתנעאו. La version d’Ibn-Tibbon a le pluriel נמנעים. à l’égard de Dieu, à savoir (d’admettre) qu’il soit impuissant, ou que, tout puissant qu’il est, il ne se préoccupe pas (des choses qu’il connaît); car ce serait là lui supposer le vice ou l’impuissance. Loin de lui l’un et l’autre! De tous les cas énumérés, il n’en reste donc que deux (qui soient admissibles par rapport à Dieu): ou bien il ne connaît absolument rien de ces conditions des hommes, ou bien il les connaît et il les règle de la meilleure manière. Mais, puisque nous les trouvons sans ordre, sans règle et sans une suite rigoureuse, cela prouve qu’il ne les connaît en aucune façon. Voilà donc ce qui les a fait tomber tout d’abord dans cette grande hérésie.—Tout ce que je viens de résumer de leurs différentes hypothèses, en faisant ressortir(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: והערתם ותראה שזה מקום טעותם; les mss. ont, conformément au texte arabe: והערתי שזה מקום טעותם. ce qui a donné lieu à leur erreur, tu le trouveras exposé et commenté dans le traité d’Alexandre d’Aphrodisias (intitulé) Du Régime(2)Le texte arabe porte: פי אלתדביר, et les deux versions hébraïques בהנהגה, ce qui signifie du Gouvernement ou du Régime (divin). Selon M. Scheyer (p. 88, note 2), il serait ici question du traité d’Alexandre connu sous le titre de περὶ ἑιμαρμένης, du Destin ou de la Fatalité; mais nous ne trouvons pas dans ce traité les considérations auxquelles il est fait allusion, et qui, selon Maïmonide, auraient été longuement développées par Alexandre. Au § XXX, où Alexandre parle de la prescience divine, il n’a en vue autre chose que de combattre l’erreur de ceux qui croient que cette prescience enchaîne notre liberté d’action; mais il n’entre dans aucune des considérations dont parle ici Maïmonide. Dans les listes arabes des ouvrages d’Alexandre données par Al-Kifti (Casiri, t. I, p. 243 et suiv.) et par Ibn-Abi-Océibi’a, nous ne trouvons aucun écrit intitulé . Peut-être ce titre désigne-t-il le même ouvrage qui dans les listes arabes est mentionné sous le titre de , livre de la Providence, probablement le même qui en grec était intitulé περἰ προνοίας (cf. Wenrich, De auctorum grœcorum etc., p. 277). — En général, il est difficile, sinon impossible, de vérifier les citations que Maïmonide fait d’Alexandre, dont les ouvrages sont en grande partie perdus ou inédits..", "Tu seras étonné de voir comment ils sont tombés dans quelque chose de pire que ce qu’ils ont cherché à éviter, et comment ils ignoraient eux-mêmes une chose sur laquelle ils appelaient constamment notre attention et qu’ils prétendaient sans cesse nous expliquer. Si je dis qu’ils sont tombés dans quelque chose de pire que ce qu’ils ont cherché à éviter, c’est qu’en voulant éviter d’attribuer à Dieu l’insouciance (des choses humaines), ils ont déclaré qu’il ignore (ces choses) et que tout ce qui se passe dans ce monde est pour lui un mystère qu’il ne perçoit pas. Si ensuite je dis qu’ils ignoraient eux-mêmes la chose sur laquelle ils appelaient constamment notre attention, c’est qu’ils ont considéré l’être au point de vue des conditions des individus humains, qui causent eux-mêmes les maux dont ils sont affligés ou les reçoivent de la nature fatale de la matière, comme (ces philosophes) ne cessent de le dire et de le développer(1)L’auteur veut dire que les philosophes, tout en répétant sans cesse que les maux qui affligent les individus sont leur propre œuvre, ou doivent être attribués à la condition particulière de la matière individuelle, paraissent oublier cette même théorie, lorsqu’ils jugent l’être en général au point de vue de la condition individuelle des hommes, et qu’ils arguent de cette condition individuelle pour nier la Providence divine.. Nous avons déjà exposé à cet égard ce qui était nécessaire(2)Voy. ci-dessus, chap. XII.. Après s’être fondés sur une base qui détruit tous les bons principes et qui défigure la beauté de toute opinion vraie(3)La base dont l’auteur veut parler, c’est la condition individuelle des hommes, prise pour point de départ lorsqu’il s’agit de raisonner sur la Providence divine., ils ont essayé d’écarter ce qu’elle présente d’absurde(4)C’est-à-dire: ils ont essayé de faire disparaître la grande difficulté que présentent souvent les conditions individuelles des hommes, en ce que nous voyons l’homme vertueux affligé de grands maux, tandis que le méchant se trouve dans un état heureux. Pour faire disparaître ce qu’il y a là d’incompatible avec la justice divine, ils ne voyaient d’autre moyen que de nier la Providence, ou l’intervention directe de la Divinité dans les choses humaines., en prétendant qu’il est impossible, par plusieurs raisons, d’attribuer à Dieu la connaissance de ces choses individuelles. D’abord (disent-ils), les choses partielles sont perçues seulement par les sens et non par l’intelligence; mais Dieu ne perçoit pas au moyen d’un sens. Ensuite, les choses partielles sont infinies, tandis que la science consiste à embrasser; mais ce qui est infini ne saurait être embrassé par la science. Enfin la connaissance des choses qui surviennent, et qui sans contredit sont partielles, ferait subir à Dieu une espèce de changement; car ce serait un renouvellement successif de connaissances. Quant à ce que nous soutenons, nous autres croyants, que Dieu connaît ces choses avant qu’elles naissent, ils disent que nous professons là deux absurdités: d’abord, que la science peut avoir pour objet le pur non-être; ensuite, que la connaissance de ce qui est en puissance et la connaissance de ce qui est en acte sont une seule et même chose(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut effacer après הדבר בכח les mots דבר אחד, et écrire à la fin de la phrase אחד (avec ד) au lieu de אחר (avec ר). Les mss. portent: והשנית חיות ידיעת הדבר בכח וידיעת היותו בפעל דבר אחד. — Les choses, avant d’exister en acte, ont existé en puissance; si donc, disent les adversaires, Dieu connaissait les choses avant qu’elles existassent en acte, la puissance et l’acte se confondraient dans la connaissance divine.. Il y a eu entre eux un conflit d’opinions(2)Plus littéralement: les opinions se sont entre-choquées dans eux; c’est-à-dire: ils ont tour à tour repoussé les opinions les uns des autres. (Le verbe signifie primitivement: se lancer mutuellement des pierres). Au lieu de תראגׄמת , le ms. de Saadia ibn-Danan (Suppl. hébr. n° 63) a תזאחמת , elles se sont serrées refoulées les unes les autres; les deux verbes se ressemblent dans l’écriture arabe, mais ne peuvent se confondre dans l’écriture hébraïque. La même expression et la même variante se trouvent aussi plus loin, au chap. XXII (fol. 45 b, ligne 6, du texte arabe). Ibn-Tibbon traduit dans ces deux passages: הפליגו לחשוב רע, ils sont allés bien loin dans leurs mauvaises opinions; la version d’Al-’Harîzi porte ici: המחשבות בזה (l. וכבר נרסקו (?נדחקו והתרוצצו, et plus loin: אשר התלכדו בהס המחשבות בזה הענין.: les uns ont dit que Dieu connaît seulement les espèces et non les individus, tandis que les autres ont soutenu qu’il ne connaît absolument rien en dehors de son essence, de sorte que, selon cette dernière opinion, il n’y aurait point en lui une multiplicité de connaissances(1)Voir sur ces questions le chapitre suivant, et cf. Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 319 et p. 362.. ", "Enfin, il y a eu des philosophes qui croyaient comme nous que Dieu connaît toute chose et que rien absolument ne lui est caché. Ce sont certains grands hommes antérieurs à Aristote, et qu’Alexandre mentionne aussi dans ledit traité, mais dont il repousse l’opinion, en disant que ce qui la réfute surtout, c’est que nous voyons les hommes vertueux frappés de maux, tandis que les méchants jouissent de toutes sortes de bonheur.", "En somme, il est clair que tous (les philosophes), s’ils avaient trouvé les conditions des individus humains tellement ordonnées que le vulgaire même y reconnût le bon ordre, se seraient gardés de se lancer dans toute cette spéculation(2)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon le mot הענין est une faute typographique; les mss. ont העיון, ce qui est conforme au texte arabe.—Il faut de même effacer dans les éditions, après ולא היו הורסים, le mot אליו., et ne se seraient pas réfutés les uns les autres. Mais ce qui a donné la première occasion à cette spéculation, c’était la considération des conditions respectives des hommes vertueux et des méchants, conditions qui dans leur opinion n’étaient pas bien réglées, comme disaient les ignorants d’entre nous: La voie de l’Éternel n’est pas bien réglée (Ézéch., 33, 17).", "Après avoir montré que la théorie de l’omniscience (divine) et celle de la providence sont liées l’une à l’autre, je vais exposer les opinions des penseurs concernant la Providence, et ensuite je tâcherai de résoudre(3)La version d’Ibn-Tibbon a omis les mots ; Al-’Harîzi traduit: ואחר כן אתיר הספיקות. les difficultés élevées contre la connaissance que Dieu aurait des choses partielles." ], [ "Les opinions des hommes sur la Providence sont au nombre de cinq. Elles sont toutes anciennes; je veux dire que ce sont des opinions qu’on entendait exprimer au temps des prophètes, dès l’apparition de la loi vraie, qui éclaire toutes ces ténèbres.", "I. La première opinion est celle qui prétend qu’il n’existe point de Providence qui s’occupe de quoi que ce soit dans tout cet univers; que tout ce qui y existe, tant le ciel que les autres choses(1)Mot à mot: depuis le ciel jusqu’à ce qui est hors de lui. A ces derniers mots, Ibn-Tibbon a substitué ומה שבתוכס, et ce qui est dans eux (les cieux); Al-’Harîzi a עד תחתית הארץ, jusqu’au fond de la terre., est dû au hasard et à certaines dispositions(2)Littéralement: est arrivé par hasard et selon qu’il a été disposé, c’est-à-dire, selon les dispositions naturelles par suite desquelles les choses se produisent les unes les autres. Ibn-Tibbon traduit inexactement: וכאשר יזדמן, et comme cela se rencontrait., et qu’il n’y a aucun être qui règle, gouverne ou soigne quoi que ce soit. Telle est l’opinion d’Épicure, qui professe aussi la doctrine des atomes, croyant que ceux-ci s’entremêlent selon le hasard, et que ce qui en naît est l’œuvre du hasard(3)Cf. tome I, chap. LXXIII, 1re proposition, p. 377.. Les incrédules dans Israël ont également professé cette opinion, et c’est d’eux qu’il a été dit: Ils ont nié l’Éternel, disant qu’il n’existe pas (Jérémie, 5, 12). Aristote a démontré que cette opinion est inadmissible, que l’existence des choses ne saurait être due au hasard, et qu’au contraire, il y a un être qui les ordonne et les gouverne(4)Voy. Physique, liv. II, chap. V et VI; Métaphys., liv. XI, chap. VIII. Cf. tome II, p. 363, note 2.. Nous avons déjà touché cette question dans ce qui précède(5)Voy. le tome II, chap. XX (p. 164 et suiv.)..", "II. La deuxième opinion appartient à ceux qui croient que certaines choses relèvent d’une Providence et se trouvent sous le gouvernement d’un être qui les régit et les ordonne, tandis que d’autres sont livrées au hasard. Telle est l’opinion d’Aristote; je vais t’exposer ici en résumé ce qu’il pense de la Providence. Il croit que la Providence divine s’étend sur les sphères et sur ce qu’elles renferment, et qu’à cause de cela leurs corps individuels (les astres) restent toujours tels qu’ils sont(1)Dans le sens de la doctrine d’Aristote, il ne peut être question d’une Providence telle que nous l’entendons. Ce que Maïmonide appelle ici Providence, en parlant d’Aristote, ne saurait être autre chose que la loi éternelle de l’univers, dont Dieu est la cause première. Cette loi est absolue et immuable pour tout ce qui concerne les sphères célestes, où rien ne se produit au hasard et irrégulièrement, tandis que dans les choses sublunaires il y a beaucoup d’effets du hasard, et il n’y a de stabilité que pour ce qui est sous l’influence directe des sphères célestes, comme les éléments et les espèces des plantes et des animaux. C’est pourquoi Alexandre d’Aphrodise a dit avec raison que, selon Aristote, la Providence divine (πρόνοια) s’arrête à la sphère de la lune. Si, dans le petit traité du Monde (chap. 6), on exprime sur l’action de la Providence divine dans la nature des opinions presque identiques avec celles que Maïmonide proclame plus loin au nom de la religion, il faut se rappeler que le traité en question est généralement considéré comme apocryphe. Les Arabes ne le connaissaient pas, et les opinions que Maïmonide attribue à Aristote sont entièrement conformes à celles qui résultent de l’esprit général de la philosophie aristotélique et qui sont exposées notamment dans la Physique (liv. II, chap. III à VI). Cependant, dans un passage de l’Éthique, Aristote paraît admettre que les hommes vertueux jouissent de la protection particulière de la Divinité. Voy. ci-après, p. 135, note 1.. Alexandre dit expressément que, selon l’opinion d’Aristote, la Providence divine s’arrête à la sphère de la lune(2)Déjà le platonicien Atticus, du IIe siècle, avait reproché à Aristote de nier la Providence divine à l’égard des choses sublunaires et de l’homme. Voy. Eusèbe, Prœparat. evangel., liv. XV, chap. 5 et 12., et c’est là une branche qui se rattache à la doctrine fondamentale de l’éternité du monde. En effet, il croit que la Providence correspond à la nature des êtres; par conséquent, les sphères célestes et les corps qu’elles renferment étant permanents, ce qui constitue la Providence à leur égard, c’est de rester toujours invariablement dans le même état; mais, de même que ces êtres donnent l’existence à d’autres êtres dont les espèces seules, mais non les individus, existent perpétuellement(1)Sur l’influence que les sphères célestes exercent sur les choses sublunaires, voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. X., de même il émane de la Providence en question quelque chose qui a pour effet de conserver et de perpétuer les espèces, tandis que la permanence des individus est impossible. Cependant, les individus de chaque espèce ne sont pas voués à un abandon absolu; au contraire, dès que cette matière (sublunaire) est assez pure pour recevoir la forme de la croissance(2)C’est-à-dire, pour recevoir la faculté de végéter, ou l’âme végétative. Sur la théorie d’Aristote relative aux facultés de l’âme et à leur gradation, cf. le t. I, p. 304, note. Sur les transformations successives de la matière première, voy. ibid., p. 360., elle est aussi douée de forces qui la conservent un certain temps, en attirant à elle ce qui lui convient et en expulsant ce qui ne peut lui être d’aucune utilité(3)Cf. tome I, p. 367, et ibid., note 5.. Si elle est plus pure, de manière à recevoir la forme de la sensibilité, elle est douée d’autres forces qui la conservent et la gardent, et d’une autre faculté qui lui donne le mouvement pour se diriger vers ce qui lui convient, et pour fuir ce qui lui est contraire; en outre, chaque individu est doué selon les besoins de l’espèce. Si enfin elle a une pureté plus grande encore, de manière à recevoir la forme de l’Intelligence, alors elle est douée d’une autre force, au moyen de laquelle chaque homme, selon son degré de perfection, gouverne, pense, et réfléchit sur ce qui peut servir à prolonger la durée de l’individu et à conserver l’espèce(4)Le suffixe, dans les mots שכׄצה et נועה, se rapporte grammaticalement au mot ומא, qui commence la phrase. Voici quelle serait la traduction littérale de cette phrase: ce qui en est plus pur encore (c.-à-d. la portion de la matière qui est plus pure), de manière à recevoir la forme de l’intelligence, est doué d’une autre force, par laquelle il gouverne, pense, et réfléchit sur ce par quoi deviendrait possible la durée de SON individu et la conservation de SON espèce (c.-à-d. de l’individu et de l’espèce formés de cette portion de la matière), en raison de la perfection de cet individu.. Quant aux autres mouvements qui surviennent à tous les individus(1)Tous les mss. arabes portent פי סאיר אשכׄאץ; le mot סאיר, qui a ici le sens de tous (cf. t. II, p. 318, note 5), a été omis dans la version d’Ibn-Tibbon. Al-’Harîzi traduit: אבל שאר התנועות שיש בשאר אישי המין. d’une espèce, ils sont, selon Aristote, l’effet du hasard, et non pas l’œuvre d’un être qui gouverne et ordonne. Ainsi, par exemple, s’il souffle un vent plus ou moins violent, il fera indubitablement tomber des feuilles de tel arbre, brisera des branches de tel autre arbre, précipitera des pierres de tel mur(2)Ibn-Tibbon rend inexactement le mot arabe par תל של אבנים, un tas de pierres; ce mot, comme l’hébreu גדר, signifie: haie, mur. La version d’Al-’Harîzi porte: ותפיל אבן מקיר., couvrira de poussière telle plante de manière à la détruire, et agitera telle eau(3)Dans notre édition, on a imprimé par inadvertance אלמא, avec l’article; les mss. portent généralement מא, c’est-à-dire . Les mss. de la version d’Ibn-Tibbon portent également ויסער מים; dans les éditions on a changé מים en הים. L’un des mss. de Leyde (n° 18) porte: ותמוגׄ מא בחר; de même Al-’Harîzi: ותמוגג מימי הים. de sorte qu’un vaisseau qui se trouvera là périra et que tout l’équipage, ou une partie, se noiera. Selon lui (Aristote), il n’y a point de différence entre la chute de la feuille ou de la pierre et la submersion de ces hommes vertueux et distingués qui étaient dans le vaisseau; de même, il ne fait pas de différence entre un bœuf qui cause la mort d’une troupe de fourmis en y déposant ses excréments, et un édifice dont les fondements se disjoignent et qui, en s’écroulant, cause la mort de tous ceux qui y prient. Il n’y a pas non plus de différence, selon lui, entre un chat qui rencontre une souris et la déchire, une araignée qui dévore une mouche et un lion affamé qui rencontre un prophète et le déchire(1)Allusion à un événement raconté au Ier livre des Rois, chap. XIII, v. 24. — La théorie aristotélique du hasard, que l’auteur résume ici, est exposée dans la Physique, liv. II, chap. 5 et 6. L’auteur a particulièrement eu en vue ce qu’Aristote appelle le spontané ou le fortuit (τὸ αὐτόματον, chap. 6) et qu’il distingue du hasard (τύχη) proprement dit, lequel est toujours en rapport avec un but de la nature ou avec l’intention et le libre choix d’un être raisonnable. Cf. le t. II, p. 362, note 4, et p. 363, note 2.. En somme, voici le fond de son opinion: Tout ce qu’il voyait se continuer avec suite, sans interruption et sans que sa marche subît aucun changement, comme les conditions des sphères célestes, ou ce qui suit une certaine règle et n’y fait défaut que par exception(2)Les mots פי אלשאדׄ, qui signifient: dans un cas isolé ou rare, ont été paraphrasés dans la version d’Ibn-Tibbon par les mots לעתים רחוקים ועל דרך זרות. Al-’Harîzi traduit: ולא יצא מגבולו אלא בחידוש גדול., comme les choses physiques, il l’attribuait à un régime, c’est-à-dire (il croyait) que la Providence divine l’accompagnait; mais, ce qu’il voyait ne pas suivre de règles et ne pas être soumis à une certaine loi, comme les conditions des individus de chaque espèce, soit plante, soit animal, soit homme(3)Tous les mss. arabes portent: ואלחיואן ואלאנסאן; la version d’Ibn-Tibbon substitue: ובעלי חיים מדברים ושאינם מדברים, soit animaux raisonnables ou irraisonnables., il disait que c’était l’effet du hasard et non d’un régime, c’est-à dire que la Providence divine ne l’accompagnait pas. Il croyait même impossible que ces conditions dépendissent de la Providence, ce qui se rattache à son opinion concernant l’éternité du monde, et selon laquelle il est impossible que tout ce qui est soit autrement qu’il n’est. Parmi nous aussi, il y avait des hérétiques qui admettaient cette opinion, et ce sont ceux qui disaient: L’Éternel a abandonné la terre (Ézéch., 9, 9).", "III. La troisième opinion est le contraire de la deuxième. C’est l’opinion de ceux qui croient qu’il n’y a dans l’univers absolument rien, ni dans les détails, ni dans le tout(1)Mot à mot: ni de partiel, ni d’universel., qui arrive fortuitement, et que tout, au contraire, est l’effet d’une volonté, d’une intention et d’un régime. Or, il est clair que tout ce qui est gouverné est l’objet d’une connaissance(2)C’est-à-dire: que ce qui est soumis à un régime ou à un gouvernement est nécessairement connu de celui qui le gouverne. — Tous les mss. arabes portent כל מא, tout ce qui, et nous croyons que les verbes et עלם doivent être prononcés au passif. Ibn-Tibbon rend les mots כל מא par כל מי, quiconque, en considérant ces deux verbes comme des formes actives; de même Al-’Harîzi: כל המנהיג דבר הוא יודע אותו, quiconque gouverne une chose la connaît.. C’est là ce que professe la secte musulmane des Ascharites(3)Sur les Asch’ariyya, ou Ascharites, voy. le t. I, p. 338, note 1.; et de cette opinion il résulte de grandes absurdités dont ils ont accepté le fardeau et subi la nécessité. En effet, ils sont d’accord avec Aristote, quand celui-ci prétend qu’il y a égalité entre la chute d’une feuille et la mort d’un individu humain: il en est ainsi, disent-ils; cependant ce n’est pas fortuitement que le vent a soufflé, c’est Dieu, au contraire, qui l’a mis en mouvement. Ce n’est pas non plus le vent qui a fait tomber les feuilles; mais chaque feuille est tombée par suite d’un jugement et d’un décret de Dieu, et c’est lui qui l’a fait tomber en ce moment et en ce lieu, de sorte que le temps de sa chute n’a pu être ni avancé ni retardé, et qu’elle n’a pu tomber en un autre endroit, tout cela ayant été décrété de toute éternité. Selon cette opinion, ils ont été obligés d’admettre que tout mouvement et repos des animaux est prédestiné, et que l’homme n’a absolument aucun pouvoir de faire ou de ne pas faire une chose. Il s’ensuit également de cette opinion que la nature du possible manque aux choses de cette sorte, et qu’elles sont toutes ou nécessaires ou impossibles; et en effet, ils ont été forcés d’admettre cela, et ils ont dit que ce que nous appelons possible, comme, par exemple, que Zeid soit debout et qu’Amr arrive, n’est possible que par rapport à nous, mais que, par rapport à Dieu, il n’y a absolument rien de possible, et tout est ou nécessaire ou impossible. Il s’ensuit encore de cette opinion que les lois religieuses n’ont aucune utilité, puisque l’homme pour qui toute loi religieuse a été faite n’a pas le pouvoir de faire quoi que ce soit, et qu’il ne peut ni accomplir ce qui lui a été ordonné, ni s’abstenir de ce qui lui a été défendu. Les gens de cette secte prétendent qu’il a plu à Dieu d’envoyer (des prophètes), d’ordonner, de défendre, d’inspirer la terreur(1)Le verbe n’est pas exprimé dans la version d’Ibn-Tibbon, ni dans celle d’Al-’Harîzi, qui porte: כי כי רצה ית׳ לשלוח שלוחים ולצוות ולהזהיר ולהפחיד ולהבטיח., de faire espérer ou craindre, quoique nous n’ayons aucun pouvoir d’agir; il peut donc nous imposer même des choses impossibles, et il se peut que, tout en obéissant au commandement, nous soyons punis, ou que, tout en désobéissant, nous soyons récompensés. Enfin, il s’ensuit de cette opinion que les actions de Dieu n’ont pas de but final. Ils supportent le fardeau de toutes ces absurdités pour sauvegarder cette opinion, et ils vont jusqu’à soutenir que, si nous voyons un individu né aveugle ou lépreux, à qui nous ne pouvons attribuer aucun péché antérieur par lequel il ait pu mériter cela, nous devons dire: Dieu l’a voulu ainsi. Et si nous voyons l’homme vertueux et religieux subir la mort dans les tortures, nous devons dire: «Dieu l’a voulu ainsi», et il n’y a en cela aucune injustice; car, selon eux, il est permis à Dieu d’infliger des peines à celui qui n’a point péché et de faire du bien au pécheur. Leurs discours concernant ces choses sont connus(2)Pour cet exposé de la doctrine des Ascharites, cf. Pococke, Specimen hist. arab., p. 245 et suiv., et le t. I, p. 338, note 1, et p. 186, note 1; voy. aussi Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 324 et suiv..", "IV. La quatrième opinion est l’opinion de ceux qui croient que l’homme a le pouvoir (d’agir); c’est pourquoi, selon eux, les commandements et les défenses, les récompenses et les peines, dont parle la Loi, sont tout à fait en règle(1)Cette opinion est celle de la secte des Kadrites, qui professaient de la manière la plus absolue la doctrine du libre arbitre. Voy. Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 310, et ibid., note 1.. Ils croient que toutes les actions de Dieu dérivent d’une sagesse, qu’on ne saurait lui attribuer l’injustice et qu’il ne punit point l’homme de bien. Les Mo’tazales aussi admettent cette opinion, quoique, selon eux, le pouvoir de l’homme ne soit pas absolu(2)Les Mo’tazales adoptèrent la doctrine du libre arbitre professée par les Kadrites. Voy. sur cette secte, Pococke, Specimen hist. arab., p. 211 et suiv., p. 240 et suiv.; Schahrestâni, p. 29 et suiv. (trad. all., t. I, p. 41 et suiv.); Mélanges etc., p. 311.—Comme le fait observer ici l’auteur, le pouvoir de l’homme, selon les Mo’tazales, n’est pas absolu, c’est-à-dire, il ne possède pas dans un sens absolu la liberté d’agir conformément à sa volonté; car il faut qu’au moment d’agir, Dieu crée en lui la faculté d’agir. Voy. le tome I de cet ouvrage, chap. LXXIII, p. 394, et ibid., note 2.. Eux aussi admettent que Dieu a connaissance de la chute de cette feuille et du mouvement de cette fourmi, et que la Providence s’étend sur tous les êtres. Cette opinion aussi renferme des absurdités et des contradictions. Quant à l’absurde, le voici: Si un homme est infirme de naissance, quoiqu’il n’ait pas encore péché, ils disent que cela est l’effet de la sagesse divine et qu’il vaut mieux pour cet individu d’être ainsi fait plutôt que d’être bien constitué. Nous ignorons (en quoi consiste) ce bienfait, quoique cela lui soit arrivé, non pas pour le punir, mais pour lui faire le bien. Ils répondent de même(3)Le mot יענוש, qu’ont ici presque toutes les éditions d’Ibn-Tibbon, est une faute; il faut lire יענו, comme l’ont les mss. et l’édition princeps. Al-’Harîzi traduit plus littéralement: והיתה תשובתם., lorsque l’homme vertueux périt, que c’est afin que sa récompense soit d’autant plus grande dans l’autre monde. Ils sont même allés plus loin: quand on leur a demandé pourquoi Dieu est juste envers l’homme sans l’être aussi envers d’autres créatures, et pour quel péché tel animal est égorgé, ils ont eu recours à cette réponse absurde(4)Mot à mot: ils se sont chargés (du fardeau) de l’absurdité en disant etc., que cela vaut mieux pour lui (l’animal), afin que Dieu le récompense dans une autre vie(1)Certains Mo’tazales soutenaient en effet que les animaux, et jusqu’aux plus vils insectes, s’ils ont souffert, ont droit à une compensation; et Dieu, qui est la justice absolue, leur accordera cette compensation, en les faisant naître de nouveau et en les faisant jouir de ces bienfaits. Voy. Ahron ben-Élie, עץ חיים, édition de Leipzig, chap. LXXXIX, p. 135: ואמרו שעתיד השם ית׳ שימציאם כמו שהיו וינהלם אל מקום דשאים ומעינות.. Oui (disent-ils), même la puce et le pou qui ont été tués doivent trouver pour cela une récompense auprès de Dieu; et de même, si cette souris, qui est innocente, a été déchirée par un chat ou par un milan, c’est la sagesse divine, disent-ils, qui a exigé qu’il en fût ainsi de cette souris, et Dieu la récompensera dans une autre vie pour ce qui lui est arrivé.", "Je ne crois devoir blâmer aucun des partisans de ces trois opinions sur la Providence, car chacun d’eux a été amené par une grave nécessité à l’opinion qu’il a professée. Aristote s’en est tenu à ce qui semble manifeste par la nature de l’être. Les Ascharites ont voulu éviter d’attribuer à Dieu de l’ignorance en quoi que ce soit, car il ne convient pas de dire qu’il connaît telle particularité et qu’il ignore telle autre. Ils ont donc eu recours à ces absurdités (dont nous avons parlé) et les ont acceptées. Les Mo’tazales, de leur côté, ont voulu éviter d’attribuer à Dieu l’iniquité et l’injustice; mais ils ne croyaient pas convenable de se mettre en opposition avec le bon sens, de manière à soutenir qu’il n’y a pas d’iniquité à infliger des douleurs à celui qui n’a pas péché. Ils ne croyaient pas non plus pouvoir admettre que la mission de tous les prophètes et la révélation de la Loi n’aient pas eu de raison compréhensible; ils ont donc également supporté le fardeau de ces absurdités (dont nous avons parlé), et ils ont été engagés dans des contradictions; car ils admettent à la fois que Dieu sait toutes choses et que l’homme a la faculté (d’agir librement), ce qui, on le comprend facilement, conduit a une contradiction manifeste.", "V. La cinquième opinion est la nôtre, je veux dire celle de notre Loi. Je vais te faire savoir ce qu’en disent les livres de nos prophètes, et c’est aussi ce qu’ont admis en général nos docteurs. Je te ferai connaître aussi ce qu’ont pensé quelques-uns de nos (savants) modernes, et enfin je te ferai savoir ce que j’en pense moi même. Je dis donc que c’est un principe fondamental de la Loi de Moïse, notre maître, admis par tous ceux qui la suivent, que l’homme possède la faculté d’agir absolue, c’est-à-dire que, par sa nature, par son choix et par sa volonté, il fait tout ce que l’homme peut faire et sans qu’il intervienne aucune chose nouvellement créée(1)Il faut se rappeler que, selon les Ascharites, qui nient toute causalité, chaque action de l’homme est un accident nouveau créé par Dieu, et que, selon les Mo’tazales eux-mêmes, il faut au moins qu’au moment d’agir, Dieu crée dans l’homme la faculté d’agir, bien que l’action émane de sa libre volonté. Voy. le tome I, p. 394.. De même (selon cette opinion), toutes les espèces des animaux se meuvent par leur seule volonté; car Dieu l’a voulu ainsi, je veux dire que c’est par l’effet de sa volonté éternelle et primitive que tous les animaux se meuvent selon leur libre arbitre, et que l’homme a le pouvoir de faire tout ce qu’il veut, ou tout ce qu’il préfère d’entre les actions dont il est capable. C’est là un principe fondamental, qui, Dieu merci, n’a jamais été, dans le sein de notre communion(2)Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots ובאנשי תורתינו sont une addition du traducteur, qui en revanche a supprimé les mots בחמד אללה, Dieu merci, qu’ont tous les mss. arabes., l’objet d’aucune contradiction. ", "De même, c’est un des principes fondamentaux de la loi de Moïse, notre maître, qu’on ne saurait, en aucune façon, attribuer à Dieu l’injustice, et que tous les malheurs qui fondent sur les hommes ou les bienfaits qui leur arrivent, soit individuellement, soit à plusieurs en commun, sont, selon ce que ceux-ci ont mérité, l’effet d’un jugement équitable, dans lequel il n’y a absolument aucune injustice. Si donc un individu avait la main blessée d’une épine qu’il enlèverait immédiatement, ce serait l’effet d’un châtiment, et s’il lui arrivait la plus petite jouissance, ce serait l’effet d’une récompense. Tout cela serait bien mérité, comme dit l’Écriture, car toutes ses voies sont justice (Deutér., 32, 4), bien que nous ignorions de quelle manière cela a été mérité.", "Voici donc le résumé succinct de ces différentes opinions: Toutes les conditions variées dans lesquelles nous voyons les individus humains, Aristote n’y reconnaît que le pur hasard; les Ascharites y voient l’effet de la seule volonté (divine); les Mo’tazales, l’effet de la sagesse (divine), et nous autres (Israélites), nous y voyons l’effet de ce que l’individu a mérité selon ses œuvres. C’est pourquoi il se pourrait, selon les Ascharites, que Dieu fît souffrir l’homme bon et vertueux dans ce bas monde et le condamnât pour toujours à ce feu qu’on dit être dans l’autre monde; car, dirait-on, Dieu l’a voulu ainsi(1)C’est à peu près dans les mêmes termes que Schahrestâni s’exprime sur l’opinion des Ascharites: «Dieu est le maître absolu dans sa création, où il fait ce qu’il veut et où il domine selon son bon plaisir; s’il faisait entrer toutes les créatures dans le paradis, ce ne serait point une injustice, et s’il les faisait entrer dans le feu de l’enfer, il n’y aurait pas là d’iniquité; car l’injustice consiste à disposer arbitrairement de ce dont on n’a pas le droit de disposer, ou à placer une chose là où elle ne doit pas être. Mais Dieu est le maître absolu, et on ne saurait se figurer de sa part aucune injustice, ni lui attribuer aucune iniquité.» Voy. Schahrestâni, p. 73 (trad. all., tome I, p. 110), et cf. Pococke, Specimen hist. arab., p. 252.. Mais les Mo’tazales pensent que ce serait là une injustice, et que l’être qui a souffert(2)C’est-à-dire, l’être qui sans l’avoir mérité a souffert dans ce monde; quelques mss. ont ici les mots פי אלדניא, dans ce monde, qui sont nécessairement sous-entendus; de même Al-’Harîzi: וכי זה אשר נענש בזה העולם., fût-ce même une fourmi, comme je l’ai dit, aura une compensation; car c’est la sagesse divine qui a fait qu’il souffrît, afin qu’il eût une compensation. Nous autres enfin, nous admettons que tout ce qui arrive à l’homme est l’effet de ce qu’il a mérité(1)Littéralement: que toutes ces circonstances humaines sont selon le mérite., que Dieu est au-dessus de l’injustice et qu’il ne châtie que celui d’entre nous qui a mérité le châtiment. C’est là ce que dit textuellement la Loi de Moïse, notre maître, (à savoir) que tout dépend du mérite; et c’est aussi conformément à cette opinion que s’expriment généralement nos docteurs. Ceux-ci, en effet, disent expressément: «Pas de mort sans péché, pas de châtiment sans crime(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Schabbath, fol. 55 a, où l’on cite aussi des passages bibliques à l’appui, et cf. ci-après au commencement du chap. XXIV.—Le commentateur Schem-Tob fait observer avec raison que cette opinion est réfutée au même endroit par le Talmud lui-même, et qu’il s’agit ici d’une doctrine populaire enseignée au vulgaire, mais que les talmudistes ne prétendaient pas donner pour une vérité incontestable. En effet, ni l’Écriture sainte, ni les docteurs, ne se prononcent à cet égard d’une manière absolue. Beaucoup de passages bibliques tendent à établir que, s’il est vrai que la justice absolue de Dieu ne saurait en aucune façon être mise en doute, elle présente souvent des problèmes insolubles pour notre intelligence. Nous devons être convaincus de cette vérité, lors même que les faits sembleraient la contredire; nous ne devons pas voir dans le bonheur d’un homme une preuve de sa piété, ni dans son malheur une preuve de son impiété. C’est là surtout ce que le livre de Job tend à établir.»; et ils disent encore: «On mesure à l’homme selon la mesure qu’il a employée lui-même», ce qui est le texte de la Mischnâ(3)Voy. Mischnâ, IIIe partie, traité Sôtâ, chap. I, § 5.. Partout ils disent clairement que, pour Dieu, la justice est une chose absolument nécessaire, c’est-à-dire qu’il récompense l’homme pieux pour tous ses actes de piété(4)La version d’Ibn-Tibbon porte וממעשה הכבוד והיושר, leçon qui se trouve aussi dans les mss. de cette version; ce n’est là sans doute qu’une faute des copistes, et il est probable qu’Ibn-Tibbon a rendu le mot arabe par le mot hébreu analogue בּרׁ, qui a le même sens (p. ex. כברׁ ידי, Ps. 18, 21 et 25), et qu’il a écrit ממעשה הברׁ. Al-’Harîzi a passé ce mot, et il a seulement ממעשה היושר. et de droiture, quand même ils ne lui auraient pas été commandés par un prophète, et qu’il punit chaque mauvaise action qu’un individu a commise, quand même elle ne lui aurait pas été défendue par un prophète; car elle lui est interdite par le sentiment naturel qui défend l’injustice et l’iniquité(1)L’auteur veut dire que le sentiment moral prescrit les bonnes actions et repousse les mauvaises, et que l’homme est récompensé pour les unes et puni pour les autres, lors même qu’elles n’auraient pas été l’objet d’une recommandation spéciale de la part d’un prophète. — Le mot אלפטרה̈, que j’ai rendu ici par sentiment naturel, désigne en général ce qui est inné à l’homme, son naturel, son caractère. Ibn-Tibbon l’a improprement rendu par שכל, intelligence; Al-’Harîzi traduit plus exactement: כי הוא מוזהר בבריאתו וטבעו.. «Le Très-Saint, disent-ils, n’enlève à aucune créature ce qu’elle a mérité(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Bâba Kamma, fol. 38 b; traité Pesa’hîm, fol. 118 a. Cf. Yalkout, tome I, n° 187. — Tous les mss. ar. et hébr. du Guide portent: זכות כל בריה; les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent, comme les éditions du Talmud שכר כל בריה..» Ils disent encore: «Quiconque dit que Dieu est prodigue (dans le pardon) mérite d’avoir les entrailles déchirées; il est vrai que Dieu use de longanimité, mais il réclame ce qui lui est dû(3)Voy. Beréschîth rabba, sect. 67 (fol. 59, col. 3), et cf. Talmud, traité Bâba Kamma, fol. 50 a..» Ailleurs il est dit: «Celui qui accomplit un devoir qui lui est prescrit (par la religion) n’est pas comparable à celui qui l’accomplit sans qu’il lui ait été prescrit(4)C’est-à-dire, l’israélite qui pratique les devoirs moraux qui lui sont prescrits par la Loi n’est pas comparable au gentil qui pratique ces mêmes devoirs sans qu’ils lui aient été prescrits. Voy. Talmud de Babylone, traités Kiddouschîn, fol. 31 a; Bâba Kamma, fol. 87 a; et ’Abôdâ Zara, fol. 3 a. Les termes dans lesquels Maïmonide cite cette sentence talmudique paraîtraient indiquer que le gentil qui accomplit un devoir moral est au-dessus de l’israélite à qui ce devoir est prescrit par la Loi. Cependant le texte du Talmud dit: גדול מצווה ועושה ממי שאינו מצווה ועושה «Celui qui accomplit un devoir qui lui est prescrit est plus grand que celui qui l’accomplit sans qu’il lui ait été prescrit»; c’est-à-dire, l’israélite, qui en pratiquant la vertu accomplit par là un devoir religieux, reçoit une plus grande récompense que celui qui n’accomplit qu’un simple devoir moral.;» ils disent donc clairement que celui-là même à qui la chose n’est pas imposée (par la religion) en est récompensé. Ce principe se reproduit constamment dans leurs paroles; mais on trouve dans les paroles des docteurs quelque chose de plus qui ne se trouve pas dans le texte de la Loi, à savoir les châtiments d’amour(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 5 a, où Raschi explique les mots יסורין של אהבה, châtiments d’amour, dans ce sens que Dieu châtie quelquefois l’homme dans ce monde sans qu’il ait commis aucun péché, afin de lui accorder dans le monde futur une récompense au-dessus de ses mérites., dont parlent quelques-uns. Selon cette opinion, l’homme serait quelquefois frappé de malheurs, non pas pour avoir péché auparavant, mais afin que sa récompense (future) soit d’autant plus grande. C’est là aussi l’opinion des Mo’tazales; mais aucun texte de la Loi n’exprime cette idée(2)Le Talmud cependant (l. c.) la rattache à ce verset des Proverbes (III, 12): «L’Éternel châtie celui qu’il aime.». Il ne faut pas te laisser induire en erreur par l’idée de l’épreuve, lorsqu’il est dit: Dieu éprouva Abraham (Genèse, 22, 1); il t’affligea et te fit souffrir la faim, etc. (Deutér., 8, 3). Tu entendras plus loin ce que nous avons à dire à ce sujet(3)Voy. ci-après, chap. XXIV, où l’auteur exposera dans quel sens il faut entendre les passages qui semblent dire que Dieu éprouve l’homme. Il y répondra aussi à une objection qu’on pourrait tirer du Deutéronome, chap. VIII, v. 16, où il est dit que Dieu éprouva le peuple hébreu dans le désert, afin de lui faire du bien plus tard.. Notre loi ne s’occupe que des conditions des individus humains; mais jamais, dans les temps anciens, on n’avait entendu parler dans notre communion de cette compensation (qui serait réservée) aux animaux. Jamais aucun des docteurs n’en a fait mention; mais quelques modernes d’entre les Guéônim, ayant entendu cela des Mo’tazales, l’ont approuvé et en ont fait une croyance(4)Parmi le petit nombre de Guéônim dont les écrits nous sont parvenus, nous n’en connaissons aucun qui ait professé cette doctrine étrange; dans les écrits de Saadia, nous n’en trouvons aucune trace. Mais elle était assez répandue, à ce qu’il paraît, parmi les docteurs de la secte des Karaïtes, qui suivirent sous tous les rapports les doctrines des Mo’tazales. Joseph ha-Roëh, appelé en arabe Abou-Ya’koub al-Bacîr, a exposé la doctrine de la compensation dans son traité de dogmatique intitulé ספר נעימות (cf. sur cet ouvrage, Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 476-477). Le chapitre XXIII de cet ouvrage est intitulé: בתמור ואשר ידבק בו; le mot תמור est le terme consacré par lequel les traducteurs karaïtes ont rendu le terme , compensation. Nous citons le commencement de ce chapitre: דע כי בארנו כי הקדמון ית׳ לא יבחר הרע וכי הוא לא ימנע החוב ואם יכאיב החיות והבהמות והטפים והם אינם מחוייבים כאשר נבאר בלא ספק מלתת להם תמור שיוציא עמו הכאב מלהיותו חמס. «Il faut savoir, comme nous l’avons exposé (chap. 22), que Dieu ne se complaît pas au mal et qu’il ne refuse point ce qui est dû. S’il fait souffrir les bêtes sauvages; les animaux domestiques et les enfants, sans que ceux-ci soient coupables, comme nous l’exposerons, il doit indubitablement leur accorder une compensation, par laquelle il fait que la souffrance ne soit pas une injustice.» Le même sujet est traité au chap. XXVII du מחכימת פתי, extrait de l’ouvrage précédent. Ces deux ouvrages se trouvent maintenant à la Bibliothèque impériale, ms. du suppl. hébreu, n° 127. Ahron ben Élie (עץ חיים, p. 127) dit également que de grands docteurs en Israël ont adopté cette doctrine que la raison réprouve: ואלו דברים לא ישוערו בשכל וגדולי חכמי ישראל נטו בזה. Ici, comme ailleurs, quelques docteurs rabbanites parmi les Guéônim ont suivi l’exemple des Karaïtes. Cf. t. I, chap. LXXI, p. 336-337..", "Je vais maintenant t’exposer ce que je pense moi-même sur ce principe fondamental, à savoir sur la Providence divine. Dans cette croyance dont je vais parler, je ne m’appuie pas sur des preuves démonstratives, mais plutôt sur ce qui m’a paru être l’intention évidente du livre de Dieu et des écrits de nos prophètes. Mais l’opinion que j’admets offre moins d’invraisemblance que les opinions précédentes et s’approche davantage du raisonnement de l’Intelligence. C’est que je crois que dans ce bas monde, je veux dire au-dessous de la sphère de la lune, la Providence divine n’a pour objet, en fait d’individus, que ceux de la seule espèce humaine, et que c’est dans cette espèce seule que toutes les conditions des individus, ainsi que le bien et le mal qui leur arrivent, sont conformes au mérite, comme il est dit: car toutes ses voies sont justice (Deutér., 32, 4). En ce qui concerne les autres animaux et, à plus forte raison, les plantes, je partage l’opinion d’Aristote. Je ne crois nullement que telle feuille soit tombée par l’effet d’une Providence, ni que telle araignée ait dévoré telle mouche par suite d’un décret de Dieu et par sa volonté momentanée et particulière, ni que ce crachat lancé par Zeid soit allé tomber sur tel moucheron, dans un lieu particulier, et l’ait tué par suite d’un jugement et d’un décret (de Dieu), ni que ce soit par une volonté divine particulière que tel poisson ait enlevé tel ver de la surface de l’eau; au contraire, tout cela est, selon moi, l’effet d’un pur hasard, comme le pense Aristote. Mais, selon ma manière de voir, la Providence divine suit l’épanchement divin(1)C’est-à-dire, la Providence divine n’existe que pour les êtres qui sont le plus directement sous l’influence du souffle divin. Sur ce qu’on entend par le mot êpanchement, voy. le tome II, chap. XII, p. 101-102.; et l’espèce à laquelle s’attache cet épanchement de l’Intelligence (divine), de manière à en faire un être doué d’Intelligence et auquel se manifeste tout ce qui se manifeste à un être intelligent, (cette espèce, dis-je) est accompagnée de la Providence divine, qui en mesure toutes les actions, de manière à les récompenser ou à les punir. Certes(2)La plupart de nos mss. portent ואמא אן גרק, de sorte qu’il faudrait considérer le mot גרק comme un prétérit et prononcer , et c’est en effet dans ce sens qu’a traduit Ibn-Tibbon: אמנם אם טבעה הספינה, si le navire a été submergé. Cependant le nom d’action , qui vient immédiatement après, prouve qu’il faut également prononcer , comme nom d’action. Nous croyons donc devoir adopter la leçon אן גרק (sans ואמא) qu’ont quelques mss., et considérer אן comme un adverbe dans le sens de certes: . Al-’Harîzi traduit exactement: אד טביעות הספינה וכל מה שיש בה ונפילה הקיר על אנשי הבית., s’il est vrai, comme il (Aristote) le dit, que la submersion du navire avec son équipage et l’écroulement du toit sur les gens de la maison ont été l’effet du pur hasard, ce n’était pourtant pas, selon notre opinion, par l’effet du hasard que les uns sont entrés dans le navire et que les autres se sont assis dans la maison; au contraire, (cela est arrivé) par l’effet de la volonté divine, conformément à ce que ces gens avaient mérité selon les jugements de Dieu, dont les règles sont inaccessibles à nos intelligences(1)Comme on voit, Maïmonide ne reconnaît la Providence particulière qu’à l’égard des individus de l’espèce humaine, et encore y porte-t-il une restriction, en disant plus loin «que celui-là seul auquel il s’attache quelque chose de l’épanchement (de l’intelligence divine), participera de la Providence suivant la mesure selon laquelle il participe de l’intelligence.» Voir aussi plus loin, chap. LI, et cf. Lévi ben-Gerson, Guerres du Seigneur, liv. IV, chap. 7. Cette doctrine devait nécessairement déplaire aux rabbins orthodoxes; les théologiens chrétiens s’en émurent également, et saint Thomas a cru devoir la réfuter dans sa Somme de théologie, Ire partie, quest. XXII, art. 2: «Quidam vero posuerunt incorruptibilia tantum providentiæ subjacere, corruptibilia vero non secundum individua, sed secundum species; sic enim incorruptibilia sunt..… A corruptibilium autem generalitate excepit Rabbi Moyses homines, propter splendorem intellectus quem participant. In aliis autem individuis corruptibilibus aliorum opinionem est secutus; sed necesse est omnia divinæ providentiæ subjacere, non in universali tantum, sed etiam in singulari. Quod sic patet, etc.» Cependant S. Jérôme avait déjà professé sur la Providence une opinion semblable à celle de Maïmonide. Voy. son commentaire sur Habacuc, 1, 14 (S. Hieronymi opera, éd. Martianay, t. III, col. 1600): «Cæterum absurdum est ad hoc Dei deducere majestatem ut sciat per momenta singula quot nascantur culices, quotve moriantur, quæ cimicium et pulicum et muscarum sit in terra multitudo, quanti pisces in aqua natent, et qui de minoribus majorum prædæ cedere debeant. Non simus tam fatui adulatores Dei, ut dum potentiam ejus etiam ad ima detrahimus, in nos ipsos injuriosi simus, eamdem rationabilium quam irrationabilium providentiam esse dicentes.».", "Ce qui m’a amené à cette croyance, c’est que je n’ai trouvé aucun texte des livres prophétiques qui parle de la Providence divine s’étendant sur un individu animal quelconque, autre que l’individu humain. Les prophètes s’étonnent même que la Providence s’étende sur les individus humains; car l’homme, et à plus forte raison tout autre animal, est trop insignifiant pour que Dieu s’occupe de lui: Qu’est-ce que l’homme pour que tu aies soin de lui? etc. (Ps. 144, 3); qu’est-ce qu’est le mortel pour que tu te souviennes de lui? etc. (Ps. 8, 5). Cependant, il se trouve des textes qui proclament manifestement que la Providence s’étend sur tous les individus humains et surveille toutes leurs actions; par exemple: celui qui forme leurs cœurs à tous, qui est attentif à toutes leurs actions (Ps. 33, 15); toi qui as les yeux ouverts sur la conduite de tous les hommes pour rendre à chacun selon sa conduite (Jérémie, 32, 19); il a les yeux sur la conduite de chacun et il voit tous ses pas (Job, 34, 21). Le Pentateuque aussi parle de la Providence à l’égard des individus humains et de l’examen dont leurs actions sont l’objet; par exemple: au jour de rappel, je leur demanderai compte de leurs péchés (Exode, 32, 34); celui qui a péché envers moi, je l’effacerai de mon livre (ibid., v. 33); je ferai périr cette personne-là (Lévit., 23, 30); je mettrai mon regard (ma colère) contre cette personne (ibid., XX, 6)(1)La plupart des mss. arabes et hébr. citent ce dernier verset d’une manière inexacte; l’auteur lui-même, par une erreur de mémoire, paraît avoir confondu ensemble plusieurs versets du Lévitique (ch. XX, versets 3, 5, 6). Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ונתתי פני באיש ההוא. Al-’Harîzi: ונתתי את פני באיש ההוא. La citation, telle que nous l’avons écrite, est conforme au verset 6 et se trouve dans l’un des mss. de Leyde (n° 18)., et beaucoup d’autres passages. Tous les événements qu’on raconte d’Abraham, d’Isaac et de Jacob sont une preuve évidente de la Providence individuelle(2)C’est-à-dire, que la Providence divine s’étend sur chaque individu humain.Tous les mss. du texte arabe ont seulement . Ces mots ont été paraphrasés par Ibn-Tibbon: שההשגחה האישית נמצאת בבני אדם. Al-’Harîzi s’exprime de même: כי השמירה דבקה בכל איש מבני אדם.. Quant aux individus des animaux (irraisonnables), il en est indubitablement comme le pense Aristote; c’est pourquoi il est permis, et même ordonné, de les égorger et de les employer à notre usage comme il nous plaît. Ce qui prouve que les soins de la Providence ne s’étendent sur les animaux que dans le sens indiqué par Aristote(1)C’est-à-dire, que la Providence n’a pour objet que l’espèce, mais non les individus., c’est que le prophète, ayant vu la tyrannie de Nebouchadneçar et le grand carnage qu’il faisait des hommes: «Seigneur, dit-il, on dirait que les hommes sont négligés et laissés à l’abandon comme les poissons et les reptiles de la terre,» indiquant par ces paroles que ces espèces sont abandonnées. Voici comment il s’exprime: Tu rends l’homme semblable aux poissons de la mer, au reptile qui est sans maître; il les fait tous monter avec l’hameçon, etc. (Habac., 1, 14, 15). Cependant le prophète déclare qu’il n’en est point ainsi (des hommes); ce n’est pas qu’ils aient été abandonnés et que la Providence se soit retirée d’eux, mais c’est qu’ils devaient être punis, ayant mérité ce qui leur est arrivé: O Éternel, ditil, tu l’as chargé de faire justice, ô mon rocher, tu l’as établi pour punir (ibid., v. 12).", "Il ne faut pas croire que cette opinion(2)C’est-à-dire, l’opinion d’après laquelle les individus d’entre les animaux irraisonnables sont privés des soins de la Providence. soit réfutée par des passages comme ceux ci: Il donne à la bête sa nourriture, etc. (Ps. 147, 9); les lionceaux rugissent après leur proie, etc. (Ps. 103, 21); tu ouvres ta main et tu rassasies avec bienveillance tout ce qui vit (Ps. 145, 16); et de même par ce passage des docteurs: «Assis (sur son trône), il nourrit tout, depuis les cornes des buffles jusqu’aux œufs des insectes(3)Voy. Talmud de Babylone, Schabbath, f. 107 b, et Abôdâ Zara, f. 3 b..» Tu trouveras beaucoup de passages semblables, mais il n’y a là rien qui réfute mon opinion; car, dans tous ces passages, il s’agit d’une Providence veillant sur les espèces et non sur les individus, et on y décrit pour ainsi dire la bonté divine(4)Les mss. arabes ont généralement אפצׄאלה; la version d’Ibn-Tibbon porte פעולותיו, ses actions. Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, Appendice, p. 157) a déjà fait remarquer qu’il faudrait dire הטבתו au lieu de פעולותיו, et il ajoute qu’Ibn-Tibbon avait peut-être dans son texte arabe אפעאלה, leçon que nous trouvons en effet dans un ms. de la Bibliothèque impériale (ancien fonds hébreu, n° 229)., qui prépare pour chaque espèce la nourriture qui lui est nécessaire et les moyens de subsistance. Cela est clair et évident, et Aristote pense de même que cette espèce de Providence existe nécessairement. C’est du moins ce que rapporte Alexandre au nom d’Aristote, à savoir que les aliments de chaque espèce se trouvent à la disposition des individus; car, sans cela, l’espèce périrait indubitablement, ce qui est clair pour peu qu’on y réfléchisse. — Si les docteurs disent que «tourmenter les animaux est une chose défendue par la Loi(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Bâba Mezî’a, fol. 32 b. Cf. Schabbath, fol. 154 b. L’auteur veut dire qu’il paraîtrait résulter de ce passage que Dieu a soin, non-seulement des espèces des animaux, mais aussi de chaque individu, puisqu’on ne peut pas tourmenter l’espèce, mais seulement l’individu.,» — ce qu’ils rattachent à ce passage: pourquoi as tu frappé ton ânesse (Nombres, 22, 32)(2)Nous ne saurions dire où l’auteur a vu que les anciens docteurs, en déclarant qu’il est défendu par la Loi de tourmenter les animaux, s’appuient sur le passage des Nombres. Dans les passages talmudiques que nous avons indiqués, les docteurs qui professent cette opinion invoquent un verset de l’Exode, chap. XXIII, v. 5, et un autre du Deutéronome, chap. XXII, v. 4, dans lesquels il est ordonné de soulager les animaux, même ceux d’un ennemi, qui succombent sous leur charge., — c’est en vue de notre perfectionnement moral, afin que nous ne contractions pas des mœurs dures, que nous ne fassions pas souffrir (les animaux) en vain et sans aucune utilité, et qu’au contraire nous nous appliquions à la pitié et à la miséricorde pour n’importe quel individu animal, excepté en cas de nécessité, quand ton âme désirera manger de la chair (Deutér., 12, 20); mais nous ne devons pas égorger par dureté ou par plaisir. On ne saurait pas non plus opposer à mon opinion cette autre question: «pourquoi Dieu prend il soin des individus humains, sans prendre le même soin de tout autre individu animal?» car celui qui ferait cette question pourrait aussi bien se demander: «pourquoi Dieu a-t-il accordé l’Intelligence à l’homme et ne l’a-t-il pas également accordée à toutes les autres espèces d’animaux?» Certes, on répondrait à cette dernière question, conformément à l’une des trois opinions précédentes: «Dieu l’a voulu ainsi,» ou «sa sagesse l’a exigé ainsi,» ou «la nature l’a exigé ainsi.» Mais les mêmes réponses, on pourra les faire à la première question.", "Il faut que tu comprennes mon opinion à fond. Certes, je suis loin de croire qu’une chose quelconque puisse être inconnue à Dieu, ou de lui attribuer l’impuissance; mais je crois que la Providence dépend de l’Intelligence à laquelle elle est intimement liée. En effet, la Providence ne peut émaner que d’un être intelligent et particulièrement de celui qui est une Intelligence parfaite au suprême degré de perfection; d’où il s’ensuit que celui-là seul auquel il s’attache quelque chose de cet épanchement (de l’Intelligence divine) participera de la Providence suivant la mesure selon laquelle il participe de l’Intelligence(1)C’est-à-dire, l’homme seul, qui participe plus ou moins de l’intelligence divine, sera aussi plus ou moins l’objet de la Providence divine.—Aristote lui-même n’est pas éloigné d’admettre la Providence dans le sens exposé par Maïmonide. Dans un passage de l’Éthique, Aristote s’exprime en ces termes: «Celui qui agit selon l’intelligence et se met au service de celle-ci paraît être dans la meilleure situation et très-aimé de la Divinité; car s’il est vrai, comme cela semble, que les dieux ont quelque soin des choses humaines, il est rationnel qu’ils se réjouissent de la chose qui est la meilleure et la plus analogue à leur nature, c’est-à-dire de l’intelligence, et qu’ils récompensent ceux qui aiment et honorent cette chose et qui, ayant soin de ce qu’ils possèdent de plus cher, font ce qui est juste et honnête… Le sage par conséquent sera le plus heureux.» Voy. Éthique à Nicomaque, liv. X, fin du chap. IX: Ὁ δὲ ϰατὰ νοῦν ἐνεργῶν ϰαὶ τουτον θεραπεύων ϰαὶ διαϰείμενος ἄριστα ϰαὶ θεοφιλέστατος ἔοιϰεν εἶναι, ϰ. τ. λ.. Telle est, selon moi, l’opinion qui s’accorde avec la raison(2)Le mot אלמעקול, que nous avons rendu ici par raison, signifie proprement l’intelligible (τò νοητóν) ou ce qui est conçu par l’intelligence. et avec les textes de la Loi. Quant aux opinions précédentes, elles admettent trop ou trop peu: c’est tantôt une exagération qui aboutit à une véritable confusion(1)Ibn-Tibbon ajoute le mot ושגעון, et à la démence; le texte arabe a seulement le mot אלאכׄתלאט, confusion, et de même Al-’Harîzi: והתוספת הביא ערבוב גמור., à nier l’intelligible et à contester le sensible(2)Sur le sens du mot , voy. tome I, p. 352, note 2. — L’auteur veut parler ici des Ascharites et des Mo’tazales qui sont allés trop loin en soutenant, contre le témoignage évident de la raison et des sens, que la Providence divine s’étend sur chaque être en particulier, fût-ce même l’insecte le plus infime.; tantôt c’est une trop grande réserve(3)La racine a à la IVe forme le sens de dépasser la mesure, exagérer, faire trop. La IIe forme a le sens contraire: faire trop peu, user de trop de circonspection ou de négligence. Ibn-Tibbon rend ici le nom d’action par קצור וחסרון. Cf. le tome II, texte ar., fol. 84 b; trad. franç., p. 303. — L’auteur veut parler d’Aristote, qui accorde trop peu à la Providence divine et la renferme dans des limites trop étroites. qui produit des croyances très-pernicieuses concernant la Divinité, détruit le bon ordre dans l’existence humaine(4)C’est-à-dire, l’opinion d’Aristote renverse tout ordre moral dans la société humaine, en plaçant l’individu humain, comme la bête, en dehors des soins de la Providence.—Ibn-Tibbon a omis dans sa traduction le mot וגׄוד; Al-’Harîzi traduit plus exactement: והפסד סדר מציאות האדם., et efface toutes les qualités morales et intellectuelles de l’homme, et ici je veux parler de l’opinion de ceux qui refusent d’admettre la Providence pour les individus humains et qui mettent ceux-ci au niveau des individus des autres espèces d’animaux." ], [ "Après avoir établi qu’entre toutes les espèces d’animaux l’espèce humaine est seule l’objet des soins particuliers de la Providence, voici ce que j’ai à ajouter: C’est une chose connue qu’il n’existe pas d’espèce en dehors de l’esprit, qu’au contraire l’espèce et les autres universaux sont des choses appartenant à l’entendement, et que tout ce qui existe en dehors de l’esprit est un être individuel, ou un ensemble d’individus(1)Nous avons déjà fait observer ailleurs que la question qui s’agitait entre les nominalistes et les réalistes occupait aussi les penseurs arabes, et que Maïmonide, en vrai péripatéticien, se prononce sans réserve en faveur du nominalisme. Voy. le tome I, p. 185, note 2. — Maïmonide a pour but de montrer dans ce chapitre que l’espèce humaine n’ayant d’existence réelle que par les individus qui la composent, la Providence, qui dépend de l’intelligence divine épanchée sur les hommes, doit nécessairement s’étendre sur tous les individus humains.. Cela étant connu, on saura aussi que l’épanchement divin que nous trouvons uni à l’espèce humaine, je veux dire l’intellect humain, est une chose qui n’a son existence que par les Intelligences individuelles, à savoir par ce qui s’est épanché (de l’Intelligence divine) sur Zeid, sur ’Amr, sur Khâled et sur Becr.", "Cela étant ainsi, il s’ensuit, selon ce que j’ai dit dans le chapitre précédent, que plus un individu humain participe de cet épanchement en raison de sa matière (plus ou moins bien) prédisposée et de son exercice(2)C’est-à-dire, plus un individu sera apte à recevoir l’émanation de l’intelligence divine, soit que la matière sera mieux disposée pour cela, soit parce qu’il s’y sera préparé par des études et des pratiques pieuses. Cf. le tome II, chap. XXXII, 2e et 3e opinion sur la prophétie; chap. XXXVI, p. 284-286., et plus il sera protégé par la Providence, s’il est vrai, comme je l’ai dit, que la Providence dépend de l’Intelligence. La Providence divine ne veillera donc pas d’une manière égale sur tous les individus de l’espèce humaine; au contraire, elle les protégera plus les uns que les autres, à mesure que leur perfection humaine sera plus ou moins grande. De cette réflexion, il s’ensuit nécessairement que la Providence veillera avec un très-grand soin sur les prophètes et variera selon le rang que ceux-ci occupent dans la prophétie(3)Littéralement: que la Providence de Dieu sera très-grande à l’égard des prophètes et conforme à leurs degrés dans la prophétie. Sur ces degrés, voy. le tome II, chap. XLV.; et de même, elle veillera sur les hommes supérieurs et les vertueux, selon leur degré de supériorité et de leur vertu; car c’est tel degré de l’épanchement de l’Intelligence divine qui a fait parler les prophètes, qui a dirigé les actions des hommes vertueux, ou qui a perfectionné par la science les connaissances des hommes supérieurs. Quant aux hommes ignorants et pécheurs, étant privés de cet épanchement, ils se trouvent dans un état méprisable et sont mis au rang des autres espèces d’animaux: Il est semblable aux bêtes privées de la parole (Ps., 49, 13 et 21)(1)Nous ne saurions dire dans quel sens Maïmonide entend le mot נדמו qu’on traduit généralement: qui périssent. Nous adoptons l’opinion de Raschi, qui dit que le verbe doit être pris dans le sens de דממה, silence.; c’est pourquoi il a été considéré comme une chose légère de les tuer, et cela a été même ordonné pour le bien public(2)Voy. ce que l’auteur dit sur la sévérité recommandée à l’égard de certaines villes idolâtres, tome I, chap. LIV, p. 221-222.. Ce qui vient d’être dit est une des bases de la religion, je veux dire que celle-ci est basée sur ce principe(3)Littéralement: et son édifice (repose) là-dessus, je veux dire sur ce que la Providence etc. Tous les mss. arabes ont ועליה, avec le suffixe masculin, qui se rapporte au mot אלגרץׄ. La version d’Ibn-Tibbon porte ועליה, avec le suffixe féminin, se rapportant à פנה., que la Providence veille sur chaque individu humain en particulier, selon son mérite.", "Fixe ton attention sur la manière dont on s’exprime à l’égard de la Providence protégeant les situations des patriarches jusqu’aux moindres détails de leurs occupations et même de leurs biens, ainsi que sur les promesses qui leur furent faites au sujet de cette protection de la Providence. A Abraham il fut dit: Je suis un bouclier pour toi (Genèse, 15, 1); à Isaac: Je serai avec toi et je te bénirai (ibid., XXVI, 3); à Jacob: Je serai avec toi et je te garderai partout où tu iras (ibid., XXVIII, 15); au prince des prophètes: C’est que je serai avec toi (Exode, 3, 12); à Josué: Comme j’ai été avec Moïse, ainsi je serai avec toi (Josué, 1, 5). Par toutes ces expressions on déclare que la Providence veillait sur eux selon la mesure de leur perfection. — Au sujet de la Providence veillant sur les hommes supérieurs et négligeant les ignorants, il est dit: Il préserve les pas des hommes pieux, mais les impies périssent dans les ténèbres; car ce n’est pas par la force que l’homme est puissant (1 Samuel, II, 8). Cela veut dire que, si certains individus sont préservés des malheurs, tandis que certains autres y tombent, ce n’est pas en raison de leurs forces corporelles et de leurs dispositions physiques: car ce n’est pas par la force que l’homme est puissant; mais c’est, au contraire, en raison de la perfection et de l’imperfection (morale), c’est-à-dire selon qu’ils s’approchent ou s’éloignent de Dieu. C’est pourquoi ceux qui sont près de lui jouissent d’une parfaite protection: Il préserve les pas des hommes pieux, tandis que ceux qui sont éloignés de lui se trouvent exposés à tous les coups du hasard, rien ne les protégeant contre les accidents, comme il arrive à celui qui marche dans les ténèbres et dont la perte est assurée. Il est dit encore au sujet de la Providence veillant sur les hommes supérieurs: Il préserve tous ses membres (Ps. 34, 21); les yeux de l’ Éternel sont fixés sur les justes (ibid., v. 16); lorsqu’il m’invoque, je l’exauce (Ps. 91, 15). Les textes qui traitent de ce sujet, je veux dire de la Providence veillant sur les individus humains, selon la mesure de leur perfection et de leur supériorité, sont trop nombreux pour pouvoir être énumérés. Les philosophes également ont parlé dans ce sens. Abou-Naçr (Al-Farâbi), dans l’introduction de son commentaire sur l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, s’exprime en ces termes: «Ceux qui possèdent la faculté de faire passer leurs âmes d’une qualité morale à une autre(1)C’est-à-dire, ceux qui savent faire successivement passer leurs âmes par tous les degrés des qualités morales ou des vertus, pour atteindre la vertu suprême. sont, comme l’a dit Platon, ceux que la Providence divine protège le plus(2)Schem-Tob s’étonne que Maïmonide cite ici Al-Farâbi au lieu de citer Aristote lui-même, qui, dans un passage de l’Éthique à Nicomaque (voy. ci-dessus, p. 135, note 1), dit à peu près la môme chose. La même remarque avait déjà été faite par Joseph, le père de Schem-Tob, qui, dans son commentaire sur l’Éthique, dit expressément à ce passage que la négation absolue de la Providence a été professée par Alexandre, mais non par Aristote, et que ce dernier au contraire professe à peu près la même opinion que Maïmonide: ובכלל הדעה החמישי אשר יחסו ר״מ ז״ל לעצמו בפרק י״ח ח״ג עם מה שביאר בפרק נ״א ח״ג מסכים עם מה שאמרו ארסטו הנה. Voy. ms. hébreu de la Bibl. impér., fonds de l’Oratoire, n° 121, fol. 366 a et b. — Cf. ci-dessus, p. 116, note 1..»", "Tu vois maintenant comment cette manière de raisonner nous a conduit à reconnaître la vérité de ce que tous les prophètes ont dit à cet égard, à savoir, que la Providence protège chaque individu en particulier, suivant la mesure de sa perfection, et comment cela est nécessaire au point de vue de la spéculation, s’il est vrai, comme nous l’avons dit, que la Providence dépend de I’Intelligence. Il ne conviendrait donc pas de professer l’opinion émise par quelques sectes philosophiques, à savoir, que la Providence existe pour l’espèce (humaine) et non pour les individus; car les individus seuls ayant une existence réelle en dehors de l’entendement(1)Voy. ci-dessus, p. 137, p. 1., c’est à ces individus que s’attache l’intellect divin, et par conséquent la Providence aussi existe pour ces individus. ", "Examine ce chapitre avec le plus grand soin; alors tous les principes fondamentaux de la religion te paraîtront parfaits et conformes(2)Le verbe ותטאבק se rapporte, comme תסלם, au sujet קואעד. Mot à mot, cette phrase doit se traduire ainsi: Et par lui (par ce chapitre) tous les principes fondamentaux de la Loi seront pour toi sains et saufs, et ils seront conformes pour toi à des opinions spéculatives et philosophiques; le mot ארא est le régime du verbe תטאבק, et on devrait écrire plus correctement , à l’accusatif. C’est dans ce sens qu’a traduit Ibn-Tibbon ויאותו לך לדעות עיוניות פילוסופיות, le verbe ויאותו se rapporte à פנות התורה. Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, p. 130, considérant le mot ארא comme sujet du verbe ותטאבק, traduit: ויהיו נאותות לך דעות עיוניות פילוסופיות, «et les opinons spéculatives et philosophiques te paraîtront convenables.» Au lieu de ותטאבק, quelques mss. ont ויטאבק, au masculin, se rapportant à אלפצל; selon cette leçon, il faudrait traduire: et il (ce chapitre) te paraîtra conforme aux opinions etc. aux opinions spéculatives et philosophiques, les invraisemblances disparaîtront, et tu auras une idée claire et vraie de la Providence.", "Après avoir rapporté l’opinion des penseurs sur la Providence et sur la manière dont Dieu gouverne l’univers, je vais le résumer aussi l’opinion de notre communion sur l’omniscience, et ce que j’ai à dire moi-même à cet égard." ], [ "C’est indubitablement une notion première(1)Voy. le t. I, p. 128, note 3. que Dieu doit réunir en lui toutes les perfections, et que toutes les imperfections doivent être écartées de lui. C’est aussi à peu près une notion première que l’ignorance de quoi que ce soit est une imperfection, et que Dieu ne peut ignorer aucune chose. Mais ce qui a amené certains penseurs, comme je l’ai dit, à soutenir hardiment qu’il sait telle chose et ne sait pas telle autre, c’est qu’ils se sont imaginé que les conditions des individus humains manquent de bon ordre; et pourtant ces conditions, pour la plupart, ne sont pas seulement des conditions naturelles, mais dépendent en même temps de l’homme qui possède le libre arbitre et la réflexion(2)Certains penseurs, dit l’auteur, ont conclu du manque de régularité, de bon ordre et de justice que nous remarquons souvent dans les conditions des hommes, que Dieu ne veille pas sur les destinées humaines (voy. ci-dessus, chap. XVI). Mais ils n’ont pas réfléchi que ces conditions ne naissent pas toujours naturellement et spontanément, et qu’elles sont le plus souvent l’œuvre de l’homme, doué du libre arbitre et de la réflexion; on ne peut donc pas y voir une preuve contre la justice absolue et l’omniscience de Dieu..", "Déjà les prophètes ont dit que les ignorants, pour prouver que Dieu n’a point connaissance de nos actions, se fondent sur le bien-être et la tranquillité dont nous voyons jouir les méchants, ce qui peut faire croire à l’homme pieux que c’est sans aucune utilité qu’il s’applique au bien et qu’il supporte les peines que lui suscite l’opposition d’autrui(1)C’est-à-dire, l’opposition des méchants qui cherchent à contrarier les efforts qu’il fait pour le bien. — Au lieu de אלגיר , d’autrui, un de nos mss. porte: אלגׄור , de la tyrannie. Quoique cette dernière leçon soit peut-être préférable, nous avons cru devoir écrire אלגיר, comme l’ont presque tous les mss. et comme l’avait aussi le ms. d’Ibn-Tibbon, qui traduit: להתקומם זולתו לו. Al-’Harîzi a omis les mots למקאומה̈ אלגיר לה; sa version porte: כי כוונתו לעשות טוב ומה שיסבל בו מן היגיעה אינו מועיל.. Mais un prophète (Asaph) nous dit qu’après avoir longtemps réfléchi sur ce sujet, il a compris qu’il faut envisager les choses par leur issue finale, et non par leur commencement. Voici comment il dépeint la série de ses réflexions: Ils disent: Comment Dieu le saurait-il? Comment le Très-Haut en aurait il connaissance? Voici ces méchants toujours heureux qui ont acquis de la fortune. C’est donc en vain que j’ai purifié mon cœur, que j’ai lavé mes mains avec pureté (Ps. 73, 11-13). Ensuite il dit: Je méditais pour comprendre cela; ce fut à mes yeux une peine inutile, jusqu’à ce que j’eusse pénétré dans les sanctuaires de l’Éternel, que j’eusse contemplé la fin de ceux-là. Tu les as placés sur des voies glissantes, etc. Comme dans un instant ils ont été livrés à la dévastation! etc. (ibid., v. 16-19). Malachi fait précisément les mêmes réflexions: Vous prononcez contre moi des paroles hardies, etc. C’est en vain, dites-vous, que l’on adore Dieu; quel est notre avantage d’avoir observé ce qu’il a prescrit, et d’avoir marché avec contrition devant l’Éternel? Et maintenant nous estimons heureux les impies, etc. Mais alors ceux qui craignent Dieu se parlent les uns aux autres, etc. Vous verrez à votre tour, etc. (Malachi, III, 13-18). David aussi parle de cette opinion(1)C’est-à-dire, de l’opinion pernicieuse qui conclut du bonheur des impies que Dieu ignore les choses humaines. répandue de son temps et qui avait nécessairement pour résultat l’injustice et la violence réciproque des hommes(2)Littéralement: et de ce qu’elle avait nécessairement produit en fait d’injustice et de violence des hommes les uns contre les autres. La version d’Ibn-Tibbon, ומה שחייב והביא בני אדם לחטוא וגו׳, manque à la fois de clarté et d’exactitude.. Il cherche à produire des arguments pour détruire cette opinion et pour établir que Dieu a connaissance de tout cela: Ils tuent, dit-il, la veuve et l’étranger; ils assassinent les orphelins; et ils disent: l’Éternel ne le voit pas, le Dieu de Jacob n’y fait pas attention. Mais, ô vous les plus stupides du peuple, soyez donc attentifs ! Insensés, quand deviendrez-vous intelligents? Celui qui a planté l’oreille n’entendrait-il pas? Celui qui a formé l’œil ne verrait-il pas? (Ps. 94, 6-9).", "Je vais t’expliquer le sens de cette dernière argumentation, après t’avoir d’abord montré combien ceux qui poursuivent de leurs attaques les paroles des prophètes ont peu compris ces paroles (de David). Il y a des années que quelques médecins, hommes d’esprit, de notre communion, m’exprimèrent leur étonnement de ces paroles de David. De son raisonnement, disaient-ils, il s’ensuivrait que celui qui a créé la bouche mange, que celui qui a créé les poumons pousse des cris, et il en serait de même des autres organes. Mais tu vas voir, ô lecteur de ce traité, combien ces personnes étaient loin de comprendre la portée de cette argumentation; écoute quel en est le sens: Il est clair que celui qui fabrique un instrument quelconque, s’il ne possédait pas l’idée de l’ouvrage que cet instrument doit servir à faire, se trouverait dans l’impossibilité de fabriquer un instrument à cet usage. Si, par exemple, le forgeron ne se formait pas une juste idée de la coulure, il ne pourrait pas fabriquer l’aiguille sous une forme qui seule peut la faire servir à coudre, et il en est de même des autres instruments; car, comme certains philosophes croyaient que Dieu ne perçoit pas les choses individuelles, qui sont des choses qu’on perçoit par les sens, tandis que Dieu ne perçoit pas par un sens, mais par une perception intelligible, il (David) argumente contre eux de l’existence des sens. Si, dit-il, la manière dont l’œil perçoit était pour Dieu un mystère qu’il fût incapable de connaître, comment aurait-il pu produire cet organe, destiné à la perception visuelle ? Serait-ce le pur hasard qui aurait fait qu’il naquît une humeur limpide, et ensuite une autre humeur semblable, puis une membrane que le seul hasard aussi aurait perforée, et qu’enfin devant l’ouverture vînt se placer une membrane transparente et dure(1)Les deux humeurs dont il est ici question sont l’humeur vitrée et l’humeur aqueuse; par les deux membranes, l’auteur paraît désigner la choroïde et la cornée transparente. Il est à peine besoin d’ajouter que, par l’ouverture, l’auteur entend la pupille. Le mot ודונהא, qu’Ibn-Tibbon traduit par ותחתיה, ne signifie pas ici au-dessous d’elle, mais en dehors d’elle, ou en outre.? En somme, un homme intelligent peut-il s’imaginer que les humeurs, les membranes et les nerfs de l’œil, qui sont si sagement organisés(2)Mot à mot: qui ont la bonne organisation qu’on connaît. et dont l’ensemble a pour but cette action visuelle, soient un simple effet du hasard? Certes, non, et il y a là nécessairement une intention de la nature, comme l’ont déclaré tous les médecins et tous les philosophes. Or, la nature n’a ni intelligence, ni (par conséquent) faculté organisatrice(3)Le mot , que nous croyons devoir traduire ici par faculté organisatrice, signifie proprement gouvernement, régime, direction. Cf. ce qui est dit ailleurs sur la faculté directrice (tome I, p. 363, et ibid., note 5)., sur quoi les philosophes sont d’accord; mais cette organisation artistique(4)Les mots אלתדביר אלמהני sont,rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par ההנהגה הדומה למלאכת מחשבת. Cette paraphrase est critiquée par Ibn-Falaquéra, qui traduit: ההנהגה האומנית (Moré ha-Moré, Append., p. 157). Sur le sens du mot , cf. le tome II, p. 89, note 2. émane, selon l’opinion des philosophes, d’un principe intellectuel, et, selon nous, elle est l’œuvre d’un être intelligent qui a imprimé telles facultés à tout ce qui possède une faculté naturelle. Si donc cette Intelligence ne percevait pas l’objet en question et ne le connaissait pas, comment, dans ce cas, aurait-elle pu produire ou faire émaner d’elle une nature tendant vers un but qu’elle ne connaîtrait pas? C’est donc avec raison qu’il (David) appelle ces hommes stupides et insensés. Ensuite il expose que c’est là un défaut de notre perception. Dieu (dit-il), qui nous a donné cette Intelligence par laquelle nous percevons, tandis que notre incapacité de saisir son véritable être fait naître en nous ces doutes graves, Dieu connaît ce défaut qui existe en nous, et il ne faut pas tenir compte des attaques qui sont le résultat de la faiblesse de notre réflexion(1)C’est-à-dire, des attaques présomptueuses dirigées contre l’omniscience divine, comme le dit David: Et ils disent: l’Éternel ne le voit pas; le Dieu de Jacob n’y fait pas attention. L’auteur a pour but, dans cette phrase un peu compliquée et assez obscure, de commenter les paroles du psalmiste qui vont suivre. Selon lui, le poëte sacré veut dire que l’arrogance des impies, qui expriment des doutes si graves sur l’omniscience divine, n’a d’autre source que la défectuosité de notre perception, et que Dieu, qui nous a donné l’intelligence, connaît cette défectuosité contre laquelle elle aura à lutter; il ne faut donc tenir aucun compte de ces attaques arrogantes qui n’ont point pour base un raisonnement sérieux et qui émanent uniquement de notre incapacité de bien comprendre les choses divines. — L’obscurité de cette phrase a donné lieu à plusieurs variantes; nous donnons ici la leçon du ms. n° 63 du Supplément hébreu de la Bibliothèque impériale, d’accord avec le ms. n° 18 de Leyde, sauf quelques légères différences que nous mettons entre parenthèses: ואן אללה עז וגׄל אלדׄי והבנא הדׄא אלעקל אלדׄי בה נדרך ומן אגׄל קצורה ען אדראך חקיקתה תעאלי חדתׄת לה הדׄה עלם תעאלי הדׄה (L. אלעטׄימה̈ וקד (קד (L. אלשבהח̈ (אלשבהאת אלקצור מנא ואן פכרתהם הדׄה אלמקצרח̈ לא תלתפת אלי מא אוגׄבתה מן אלתהאפת. La version d’Al-’Harîzi retrace cette même leçon:וכי הבורא ית׳ אשר נתן לנו השכל להשיג בו כל דבר ומפני זה השבוש הגדול (sic) קיצורו להשיג אמתת האל ית׳ אירע לנו וכבר ידע זה הבורא קיצור יכלתנו וכי מחשבתם זאת הקצרה לא תשית לב אל הסרה אשר דברה על הבורא. La leçon que nous avons adoptée est entièrement d’accord avec la version d’Ibn-Tibbon. Dans notre traduction, nous avons supprimé les deux ואן, pour rendre la phrase un peu moins embarrassée.: Celui, dit-il, qui enseigne à l’homme la science, l’Éternel, sait que les pensées de l’homme ne sont que vanité (ibid., v. 10-11).", "Tout ce que j’avais pour but dans ce chapitre, c’était de monlrer que c’est là une manière de voir très-ancienne, je veux parler de cette erreur des ignorants qui nient que Dieu ait connaissance (des choses humaines), parce que les conditions des individus humains, qui par leur nature sont dans la catégorie du possible, manquent de bon ordre: Et les enfants d’Israël, est-il dit, imaginèrent contre l’Éternel des choses qui n’étaient pas convenables (Il Rois, XVII, 9). Dans le Midrasch (on dit à ce sujet): «Que disaient-ils? Cette colonne, disaient-ils, ne voit, ni n’entend, ni ne parle(1)C’est-à-dire, ils comparaient Dieu à une statue privée de sentiment. Nous avons vainement cherché ce passage dans les Midraschîm qui sont à notre disposition. Peut-être est-il tiré d’un Midrasch qui n’existe plus. Il est aussi cité par David Kimchi dans son commentaire sur le IIe livre des Rois et dans son Dictionnaire, à la racine חפה.,» c’est-à-dire: ils s’imaginaient que Dieu ne connaît pas ces conditions (humaines) et qu’il n’adresse aux prophètes ni ordre, ni défense. La cause de tout cela, et ce qui, selon eux, en est une preuve, c’est que les conditions des individus humains ne sont pas comme chacun de nous croit qu’elles devraient être. Voyant donc que les choses ne se passaient pas à leur gré, ils disaient: L’Éternel ne nous voit pas (Ézéch., 8, 12), et Sephania dit en parlant d’eux: Ceux qui disent dans leur cœur, l’Éternel ne fait ni bien ni mal (Seph., I, 12).", "Quant à ce qu’il faut (réellement) penser de l’omniscience de Dieu, je te dirai mon opinion là-dessus, après t’avoir fait connaître les principes sur lesquels on est généralement d’accord, et qu’un homme intelligent ne peut contester en aucune façon." ], [ "Une chose sur laquelle on est d’accord, c’est qu’il ne peut survenir à Dieu aucune science nouvelle, de manière qu’il sache maintenant ce qu’il n’ait pas su auparavant(1)Supposer que Dieu puisse savoir maintenant ce qu’il ignorait auparavant, ce serait lui attribuer, non la perfection absolue, mais la perfectibilité, et croire qu’il puisse passer de la puissance à l’acte; c’est pourquoi il faut admettre que la science de Dieu est absolument parfaite, et qu’il ne saurait y survenir aucun changement. Voy. tome I, chap. LV, p. 225.. Il ne peut pas non plus, même selon l’opinion de ceux qui admettent les attributs, posséder des sciences multiples et nombreuses(2)La science de Dieu, étant identique avec son essence, doit être une comme cette dernière et ne saurait être multiple; c’est ce que ne sauraient contester ceux-là même qui admettent dans Dieu, outre la science, divers autres attributs essentiels. Voy. le tome I, chap. L et LIII.. Ceci étant démontré, nous disons, nous autres sectateurs de la Loi(3)C’est-à-dire, nous autres croyants qui paraissons contredire ces deux propositions en admettant que Dieu connaît les choses individuelles, qui sont et multiples et accidentelles., que, par une science unique, il connaît les choses multiples et nombreuses, et que, par rapport à Dieu, la variété des choses sues n’implique point la variété de sciences, comme cela a lieu par rapport à nous. De même, nous disons que toutes ces choses nouvellement survenues. Dieu les savait avant qu’elles existassent, et il les a sues de toute éternité. Par conséquent, il ne lui est survenu aucune science nouvelle; car, quand il sait qu’un tel, qui n’existe pas maintenant,existera à telle époque et rentrera dans le néant après avoir existé un certain temps, sa science ne reçoit aucun accroissement lorsque cette personne arrive à l’existence ainsi qu’il le savait d’avance. Il n’est donc alors rien né qui lui fût inconnu; mais il est né quelque chose dont la naissance future lui était connue de toute éternité, telle qu’elle s’est réalisée.", "Mais, de cette croyance (peut-on objecter), il s’ensuivrait que la science (divine) a pour objet même les choses qui n’existent pas, et qu’elle embrasse l’infini(1)L’auteur fait ici aux croyants l’objection suivante: De ce que nous venons de dire, il s’ensuivrait deux thèses repoussées par les philosophes: 1° que la science divine a pour objet le non-être, puisqu’elle connaît ce qui n’existe pas encore; 2° qu’elle embrasse l’infini, puisque les individus qui n’existent pas encore, mais qui existeront dans l’avenir, sont infinis. — Tous les mss. arabes ont אלאעדאם, au pluriel, les non-êtres, les choses non-existantes. Ibn-Tibbon a ההעדר, au singulier, ce qui est inexact.. Et c’est là ce que nous croyons en effet. Nous soutenons qu’il n’est point impossible que la science de Dieu ait pour objet les choses qui n’existent pas encore, mais dont il sait d’avance la future existence et qu’il est capable de faire naître; seulement ce qui n’existe jamais, c’est là ce qui est à l’égard de la science de Dieu le non-être absolu que cette science ne peut avoir pour objet, de même que notre science à nous ne peut avoir pour objet ce qui pour nous n’a pas d’existence(2)En d’autres termes: ce que la science divine ne peut avoir pour objet, c’est le non-être absolu qui n’existe jamais, de même que notre science humaine ne peut avoir pour objet ce qui présentement n’a pas d’existence.. Mais ce qui est une difficulté (réelle), c’est d’admettre qu’elle (la science divine) embrasse l’infini. Certains penseurs ont eu recours à cette assertion: que, dans un certain sens, la science divine s’attache à l’espèce et s’étend par là sur tous les individus de l’espèce(3)C’est-à-dire, certains penseurs, pour échapper à la difficulté qui vient d’être signalée, ont prétendu que la science divine n’a réellement pour objet direct que les espèces, qui sont finies, mais qu’en connaissant les espèces, elle connaît indirectement par là tous les individus, passés, présents et futurs, renfermés dans chaque espèce. — Les mots במעני מא, dans un certain sens, se rapportent, selon moi, à tout l’ensemble de la phrase, et non pas seulement, comme on pourrait le croire, au verbe ויסתרסל; je crois que l’auteur fait allusion à ceux des Motécallemin qui, dans un certain sens, reconnaissaient à l’espèce, comme à tous les universaux, une existence réelle en dehors de l’entendement. Voy. le t. I, p. 185, et ibid., note 2.; telle est l’opinion à laquelle tous les théologiens ont été forcément amenés par la spéculation(1)Le mot מתשרע, que nous traduisons par théologiens, désigne, comme אהל אלשריעה̈, les docteurs des trois religions monothéistes. Cf. tome I, p. 68, note 3.. Cependant, les philosophes ont soutenu d’une manière absolue que la science divine ne peut avoir pour objet le non-être, et qu’aucune science ne peut embrasser l’infini; or (disaient-ils), comme il ne peut survenir à Dieu aucune science nouvelle, il est inadmissible qu’il apprenne aucune des choses nouvellement survenues, et, par conséquent, il ne sait que les choses stables et invariables(2)C’est-à-dire, il ne connaît que ce qui est relatif au monde supérieur, et, dans le monde sublunaire, sa science embrasse les genres et les espèces, mais non les individus. Cf. Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 319.. A quelques-uns d’entre eux, il a surgi un autre doute: lors même, disaient-ils, qu’il ne connaîtrait que les choses stables, sa science serait multiple; car la multitude des choses sues implique la multiplicité des sciences, chaque chose sue supposant une science spéciale. Par conséquent (concluaient-ils), il ne connaît que sa propre essence(3)L’auteur montre comment l’on est arrivé successivement à résumer toute la science de Dieu dans la science qu’il a de son essence. En somme, l’auteur distingue trois opinions sur la science divine: 1° celle qui admet que Dieu embrasse par une science unique les choses variées et les choses qui surviennent chaque jour, de sorte qu’il n’y a dans sa science ni multiplicité, ni changement; mais d’après cette opinion, qui est celle des croyants, la science de Dieu embrasserait l’infini et le nonêtre. Pour éviter cette difficulté, on a soutenu 2° que la science divine ne s’étend directement que sur les choses stables, c’est-à-dire sur les individus du monde supérieur et sur les genres et les espèces du monde sublunaire. Mais d’autres ont objecté avec raison que cette opinion n’exclurait pas la multiplicité de la science divine, et ils sont arrivés forcément à soutenir 3° que Dieu ne connaît que sa propre essence, et que c’est dans la contemplation de lui-même qu’il contemple les choses dont il est la cause première. On trouve de plus amples détails sur ces différentes opinions dans la Destruction de la Destruction d’Averrhoès, disputât. XIII..", "Pour ma part, je pense que la cause de tous ces embarras, c’est qu’on a établi un rapport entre notre science et celle de Dieu, de sorte que chaque parti, considérant tout ce qui est impossible pour notre science à nous, s’est imaginé qu’il en est nécessairement de même(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il y a ici une faute grave; au lieu de מיוחד il faut écrire מחויב, comme l’ont les mss. de cette version. pour la science divine, ou du moins a trouvé là des difficultés. En somme, il faut sur ce point blâmer les philosophes bien plus encore que tout autre parti; car ce sont eux qui ont démontré que, dans l’essence de Dieu, il n’y a point de multiplicité, que Dieu n’a pas d’attribut en dehors de son essence, et qu’au contraire sa science et son essence sont une seule et même chose. Ce sont eux aussi qui ont démontré que nos intelligences sont incapables de saisir son essence dans toute sa réalité, comme nous l’avons exposé; comment donc alors peuvent-ils avoir la prétention de comprendre sa science, puisque celle-ci n’est point une chose en dehors de son essence? Quand nous disons que nos intelligences sont incapables de comprendre son essence, ne disons-nous pas par là même qu’elles sont incapables de comprendre comment il a connaissance des choses(2)Littéralement: Au contraire, cette même incapacité qu’ont nos intelligences de comprendre son essence est aussi l’incapacité de comprendre la connaissance des choses telles qu’elles sont. — Tous nos mss. arabes portent כיף הי, et le pronom הי ne peut se rapporter qu’à אלאשיא, les choses; de sorte qu’il faudrait dire en hébreu איך הם. Cependant, les éditions et les mss. de la version d’Ibn-Tibbon ont איך היא, et ici le pronom היא ne peut se rapporter qu’à ידיעתו, sa connaissance. C’est probablement le pronom arabe הי qui a fait commettre au traducteur une faute d’inadvertance. C’est par une semblable inadvertance qu’un peu plus loin Ibn-Tibbon a mis au féminin tous les pronoms et verbes se rapportant au mot masculin עצם, traduction du mot féminin , essence. En effet, cette connaissance n’est pas de la même espèce que la nôtre, pour que nous puissions en juger par analogie. C’est au contraire une chose totalement différente; et de même qu’il y a là une essence, d’une existence nécessaire, essence dont, selon l’opinion des philosophes, tous les êtres sont émanés par nécessité, ou qui, selon notre opinion, a produit du néant tout ce qui est en dehors d’elle, de même, nous disons que cette essence perçoit tout ce qui est en dehors d’elle, et que rien de ce qui existe(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont שהמציאה, et les mss. שהמציא. Al-’Harîzi traduit plus exactement מכל מה שיִּמָּצא, car le verbe arabe doit se prononcer à l’aoriste passif. ne lui est inconnu, mais qu’il n’y a rien de commun entre notre science et la sienne, comme il n’y a non plus rien de commun entre notre essence et la sienne. Ce n’est que l’homonymie du mot science qui a donné lieu à l’erreur; car il n’y a là que communauté de noms, tandis que pour le sens réel il y a complète divergence. C’est donc là ce qui a conduit à l’absurde, parce qu’on s’est imaginé que tout ce qui compète à notre science, compète aussi à celle de Dieu(2)C’est-à-dire, comme on s’est imaginé que la science de Dieu et la nôtre, ayant le même nom, ont aussi le même caractère, il en est résulté qu’on n’a pu mettre d’accord la multiplicité et la variabilité des objets de la science avec l’unité absolue et l’immutabilité de Dieu..", "Ce qui, pour moi, résulte également des textes de la Loi, c’est que, lorsque Dieu sait qu’un être possible quelconque arrivera à l’existence, cela ne fait nullement sortir cet être possible de la nature du possible; au contraire, il conserve cette nature, et la connaissance (anticipée) de ce qui naîtra des choses possibles n’exige pas nécessairement qu’elles se réalisent ensuite de l’une des deux manières possibles(3)Ainsi, par exemple, l’homme ayant le libre arbitre peut choisir la bonne voie ou la mauvaise; Dieu sait d’avance laquelle des deux voies il choisira, mais cela ne l’empêche nullement de conserver sa liberté de choisir.. C’est là aussi un des principes fondamentaux de la loi de Moïse, sur lequel il n’y a ni doute ni division d’opinions(1)Le mot paraît être une contraction de , ce qui semble, opinion, chose douteuse. Ibn-Tibbon n’a pas rendu ce mot à cause de sa synonymie avec , et il l’a remplacé par כלל, point du tout.. S’il n’en était pas ainsi, on n’aurait pas dit(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: ולזה אמר; les mss. ont conformément au texte arabe: ולולי זה לא אמר. — Les deux passages du Deutéronome qui sont cités ici prouvent que la Loi fait parler Dieu d’une manière dubitative et que la prescience divine n’exclut pas l’idée du possible.: Tu feras une balustrade autour de ton toit, etc. (Deutér., 22, 8), et de même: De peur qu’il ne meure à la guerre et qu’un autre ne l’épouse (ibid., XX, 7). Toute la législation sacrée, ce qu’elle ordonne et ce qu’elle défend, suppose ce principe, à savoir, que la prescience divine ne fait pas sortir le possible de sa nature; mais pour nos faibles intelligences, c’est très-difficile à comprendre.", "Regarde maintenant en combien de points., selon les sectateurs de la Loi, la science de Dieu diffère de la nôtre: 1° En ce que cette science, qui est une, embrasse une multitude d’objets de différentes espèces. 2° En ce qu’elle s’attache à ce qui n’existe pas encore. 3° En ce qu’elle s’attache à ce qui est infini. 4° En ce qu’elle ne subit pas de changement par la perception des choses nouvellement survenues; et pourtant il pourrait sembler que savoir qu’une chose existera n’est pas la même chose que de savoir qu’elle est déjà arrivée à l’existence, car il y aurait dans ce dernier cas cette circonstance en plus, que ce qui n’était qu’en puissance aurait passé à l’acte(3)Il pourrait sembler, dit l’auteur, que la science des choses à venir ne soit qu’une science de ce qui est en puissance, tandis que celle des choses passées ou présentes est une science de ce qui est en acte, et que, par conséquent, cette dernière soit quelque chose de plus que la première, de sorte qu’il y aurait ici un changement de science.. 5° En ce que, selon l’opinion de notre Loi, la prescience divine n’opte(4)Le verbe , qui signifie proprement rendre pur, paraît avoir ici le sens de rendre une chose indépendante d’une autre, opter, décider d’une chose. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le verbe תתברר est une faute d’impression; il faut lire תברר, à la forme active, comme l’ont les mss. pas pour l’un des deux cas possibles, bien que Dieu sache d’une manière précise lequel des deux cas arrivera(1)Ainsi que l’auteur l’a déjà dit plus haut, quoique Dieu sache d’avance laquelle de deux choses, toutes deux possibles, arrivera à l’existence, cela n’empêche pas les deux choses de conserver la nature du possible. Mais dès que nous autres nous savons avec certitude que telle chose arrivera, cette chose ne peut plus être dans la catégorie du possible; car il faut qu’elle soit nécessaire pour que nous puissions être sûrs d’avance qu’elle se réalisera. Il y a donc là encore une différence entre la science de Dieu et la nôtre.. — Je voudrais savoir en quoi, même d’après l’opinion de ceux qui considèrent la science (divine) comme un attribut ajouté (à l’essence de Dieu), notre science ressemble à la sienne ! Y a-t-il ici autre chose qu’une simple communauté de noms? Mais certainement, d’après notre opinion à nous, qui disons que sa science n’est point une chose ajoutée à son essence, il faut qu’il y ait entre sa science et la nôtre une différence substantielle, comme celle qui existe entre la substance du ciel et celle de la terre. C’est aussi ce que les prophètes ont dit clairement: Mes pensées ne sont pas les vôtres, vos voies ne sont pas les miennes, dit l’Éternel; car, comme les cieux sont élevés au-dessus de la terre, ainsi mes voies sont élevées au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées (Isaïe, 55, 8-9).", "En somme, voici comment je résume ma pensée: De même que, sans comprendre la véritable essence de Dieu, nous savons pourtant que son être est l’être le plus parfait, qu’il n’est affecté, en aucune façon, d’imperfection, ni de changement, ni de passion, de même, sans comprendre ce que sa science est en réalité, puisqu’elle est son essence, nous savons pourtant qu’il ne peut pas tantôt savoir et tantôt ignorer; je veux dire qu’il ne peut lui survenir aucune science nouvelle, que sa science ne peut avoir ni multiplicité ni fin, qu’aucune des choses qui existent ne peut lui être inconnue, et que la connaissance qu’il a de ces choses laisse intacte leur nature, le possible conservant la nature de possibilité. Si dans l’ensemble de ces propositions il y en a qui paraissent impliquer contradiction, c’est parce que nous en jugeons par notre science à nous, qui n’a rien de commun avec la science de Dieu, si ce n’est le nom. De même, le mot intention s’applique, par simple homonymie, à ce que nous avons en vue, nous autres, et à ce que Dieu est dit avoir en vue. De même, enfin, le mot providence(1)Il faut se rappeler que le mot vient de la racine , qui, à la Ire et à la VIIIe forme , signifie avoir soin ou souci d’une chose, se préoccuper; le substantif s’applique donc, comme le mot grec πρόνοια, et le mot latin providentia, aussi bien à la Providence divine qu’à la prévoyance humaine, et c’est dans ce sens plus étendu que nous employons ici le mot français providence, faute de trouver un autre mot qui rende exactement le terme arabe. se dit par homonymie de ce dont nous nous préoccupons, nous autres, et de ce dont Dieu est dit se préoccuper. La vérité est, par conséquent, que la science, l’intention et la providence, attribuées à nous, n’ont pas le même sens que lorsqu’elles sont attribuées à Dieu. C’est donc lorsqu’on prend dans un seul et même sens les deux providences, les deux sciences ou les deux intentions, qu’arrivent les difficultés et que naissent les doutes dont nous avons parlé(2)Tous les mss. arabes ont: גׄאת אלאשכאלאת וחדתׁת אלשכוך אלמדׄכורה̈; Al-’Harîzi traduit: יבואו השיבושים וירבו הספיקות הנזכרות. Ibn-Tibbon, qui prend ordinairement le mot comme synonyme de שך, doute, a seulement: יבואו הספיקות הנזכרות.; mais lorsqu’on sait que tout ce qui est attribué à nous diffère de ce qui est attribué à Dieu, la vérité devient manifeste. La différence qu’il y a entre ces choses attribuées à Dieu et les mêmes choses attribuées à nous a été clairement énoncée par ces paroles: Vos voies ne sont pas les miennes, comme nous l’avons dit précédemment." ], [ "Il y a une grande différence entre la connaissance que l’artiste possède de l’œuvre qu’il a produite et celle qu’un autre possède de cette même œuvre. En effet, si l’œuvre a été exécutée conformément à la science de l’artiste(1)C’est-à-dire, si elle a été exécutée telle que la science de l’artiste l’avait conçue d’avance. — Au lieu de אן צנע, trois mss. de la Bibliothèque bodléienne portent: אנצנע, de sorte qu’il faudrait traduire: en effet, l’œuvre a été exécutée conformément à la science de l’artiste; celui-ci donc etc. Nous avons suivi la leçon de la plupart des mss., qui est aussi celle des deux traducteurs; Ibn-Tibbon a: והוא שהדבר העשוי אם נעשה נאות לידיעת עושהו. Al-’Harîzi: כי הדבר העשוי כשיֵעָשה על כוונת דעת עושהו., alors celui-ci, en exécutant son œuvre, n’a fait que suivre sa science(2)C’est-à-dire, il n’a fait que réaliser une œuvre qui existait dans son idée et dont il avait d’avance une connaissance parfaite. Les mss. arabes offrent dans cette phrase plusieurs variantes. La leçon que nous avons adoptée est celle de la plupart des mss., sauf le mot qui est écrit תאבע; cette leçon signifie mot à mot: alors son artiste n’a fait la chose qu’il a faite qu’en suivant sa science. Le ms. de Leyde (n° 221) porte: אנמא צנעה מא צנעה תאבעה לעלמה (c.-à-d. ). C’est cette leçon que paraissent exprimer les deux traducteurs; la version d’Ibn-Tibbon porte (dans les mss.): יהיה מעשה עושהו אם כן למה שעשה נמשך לידיעתו, le mot נמשך est l’adjectif de מעשה; Al-’Harîzi traduit: (l. לא עשהו אלא במעשה נמשך אחרי מדע (מדעו.; mais pour tout autre qui contemple cette œuvre et en acquiert une connaissance parfaite, la science suit l’œuvre(3)C’est-à-dire, il a puisé dans l’œuvre même la science qu’il en possède; l’œuvre agit donc sur lui et produit la science, tandis que chez l’artiste la science produit l’œuvre. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, וידיעתו est une faute; il faut lire, selon les mss., וידעוהו.. Ainsi, par exemple, l’artiste qui a fait cette boîte, dans laquelle, par l’écoulement de l’eau, se meuvent des poids, de manière à indiquer les heures qui sont passées du jour ou de la nuit, connaît et comprend parfaitement toute la quantité d’eau qui doit s’écouler, le changement de position de cet écoulement, chaque fil qui est tiré et chaque boule(1)Le mot בנדקה̈ signifie globule ou noisette. Ce mot désigne probablement ici de petites boules de la grosseur d’une noisette; c’est dans le même sens qu’Ibn-Tibbon a employé ici le mot לוזה. Al-’Harîzi a: ובל אבן נופלת, chaque pierre qui tombe. — J’ai traduit littéralement ce que l’auteur dit de celle machine, évidemment une clepsydre perfectionnée, comme en avaient les Arabes du moyen âge; mais j’avoue ne pouvoir donner de détails exacts sur cette machine, qui d’ailleurs aurait besoin d’être expliquée par un dessin. Les boules qui descendaient en entraînant des fils auxquels elles étaient attachées sonnaient probablement les heures en tombant sur une plaque de métal. On nous assure du moins qu’un pareil mécanisme existait dans la clepsydre que le khalife Haroun-al-Raschid envoya à Charlemagne avec d’autres objets précieux: «… nec non et horologium ex aurichalco arte mechanica mirifice compositum: in quo XII horarum cursus ad clepsydram vertebatur, cum totidem æreis pilulis, quæ ad completionem horarum decidebant et casu suo subjectum sibi cymbalum tinnire faciebant.» Voy. Annales Francorum, ad an. 806 (ap. Bouquet, Recueil des Historiens des Gaules, Paris, in-fol., 1744, t. V, p. 56). qui descend. S’il connaît tous ces mouvements, ce n’est pas parce qu’il considère les mouvements qui arrivent en ce moment; c’est le contraire qui a lieu, car les mouvements qui ont lieu en ce moment n’arrivent que conformément à sa science. Mais il n’en est pas de même pour celui qui contemple cette machine; car celui-ci, à chaque mouvement qu’il voit, acquiert une connaissance nouvelle, et ses connaissances ne cessent de s’accroître et de se renouveler successivement par l’observation, jusqu’à ce qu’il acquière par là la connaissance de toute la machine. Si tu supposais les mouvements de cette machine infinis, l’observateur ne pourrait jamais en acquérir une connaissance parfaite. Il est impossible aussi que l’observateur connaisse aucun de ces mouvements avant qu’il ait lieu; car ce qu’il sait, il ne le sait que par suite de ce qui survient.", "Il en est de même de l’ensemble de l’univers et de son rapport à notre science et à celle de Dieu. En effet, ce que nous savons, nous autres, nous ne le savons que par suite de la contemplation des êtres; c’est pourquoi notre science ne s’étend ni sur les choses futures, ni sur ce qui est infini; mais nos connaissances se renouvellent et se multiplient selon les choses dont nous acquérons la connaissance. Il n’en est pas de même de Dieu, je veux dire que ce n’est pas des choses que lui vient la connaissance qu’il en a, de sorte qu’il y aurait là multiplicité et renouvellement (de sciences); au contraire, ces choses dépendent de sa science, qui les a précédées et les a établies telles qu’elles sont, soit êtres séparés, soit individus matériels et permanents, soit êtres matériels, individuellement variables, mais qui (dans leur ensemble) suivent un ordre impérissable et inaltérable(1)Ce sont là les trois espèces d’êtres, dont, selon l’auteur, se compose l’univers (voy. tome II, chap. X, p. 91): les êtres séparés sont les Intelligences des sphères (cf. ibid., p. 31, note 2); les individus matériels et permanents sont les sphères et les astres, qui ont une matière éthérée; enfin les êtres matériels individuellement variables sont les êtres sublunaires dont les individus périssent, mais dont les genres et les espèces sont immuables.. Pour Dieu donc, il n’y a pas de science multiple, et il ne peut survenir rien de nouveau dans sa science, qui est inaltérable(2)Littéralement: c’est pourquoi il n’y a pour Dieu ni multiplicité de sciences, ni renouvellement ou changement de science.; car, en connaissant toute la réalité de son essence inaltérable, il connaît par là même tout ce qui doit nécessairement résulter de ses actions(3)C’est de la même manière que s’exprime Ibn-Roschd sur la différence qu’il y a entre la science divine et la science humaine. Voy. Destruction de la Destruction, à la fin de la disputat. XIII; nous citons la version hébraïque: וזה שקר אצל הפילוסופים שיהיה מדעו על הקש מדענו לפי שמדענו עלול מהנמצאות ומדעו עלה להם ···· ובכלל הנה כבר קדם שהענין במדע הראשון מקביל הענין במדע האדם ר״ל שמדעו הוא הפועל לנמצאות לא שתהיינה הנמצאות פועלות מדעו ית׳ «Il est faux, selon les philosophes, que la science de Dieu soit analogue à notre science, car notre science est causée par les êtres, tandis que la science divine est leur cause…. En somme, comme nous l’avons déjà dit, la science de l’être premier a un sens directement opposé à celui de la science de l’homme; je veux dire que c’est la science divine qui est la cause efficiente des êtres, et que ce ne sont pas les êtres qui sont les causes efficientes de la science divine.» — Mais, au point de vue des philosophes, il reste là une difficulté en ce que la science divine, étant l’unité absolue, ne saurait être mise en rapport avec le multiple. Ibn-Sînâ a prétendu résoudre cette difficulté par diverses hypothèses, rejetées par Ibn-Roschd, qui, de son côté, refuse d’admettre que la science divine s’étende sur les choses particulières et accidentelles. (Voy. mes Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 360-362). Maïmonide s’arrête sagement devant ce problème insoluble, et se borne à établir que nous sommes incapables de nous former une idée de la science divine, identique avec l’essence même de Dieu, qui est inaccessible à nos intelligences.. Faire des efforts pour comprendre comment cela se fait, ce serait comme si nous faisions des efforts pour que nous soyons lui (Dieu) et pour que notre perception soit la sienne(1)C’est-à-dire, pour que notre essence soit l’essence divine et notre perception la perception divine.—Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot השתכלנו est une faute d’impression; il faut lire השתדלנו.. Ainsi donc, celui qui cherche sincèrement la vérité, doit croire que rien absolument n’est inconnu à Dieu, et qu’au contraire, tout est manifeste pour sa science, qui est son essence, mais qu’il nous est absolument impossible de connaître ce genre de perception(2)C’est-à-dire, de comprendre de quelle manière Dieu perçoit les choses.. Si nous savions nous en rendre compte, nous posséderions nous-mêmes l’intelligence qui donne ce genre de perception(3)Littéralement: par laquelle on peut avoir cette perception. Le sens est: Si nous pouvions comprendre de quelle manière Dieu perçoit les choses, alors nous posséderions nous-mêmes cette intelligence divine par laquelle Dieu a ce genre de perception.; mais c’est là une chose qu’aucun être, hormis Dieu, ne possède, et qui est elle-même l’essence divine. Il faut te bien pénétrer de cela; car j’affirme que c’est là une pensée très-profonde et une opinion vraie, dans laquelle, si on l’approfondit, on ne trouvera ni erreur ni fausse apparence, (opinion) qui n’offre aucune invraisemblance, et par laquelle on n’attribue à Dieu aucune imperfection. Certes, ces questions sublimes et graves ne sauraient aucunement être l’objet d’une démonstration, ni selon l’opinion que nous professons, nous autres sectateurs de la Loi, ni selon l’opinion des philosophes, quelque divisés qu’ils soient d’ailleurs sur le problème (qui nous occupe). Pour tous les sujets donc qui ne sont pas susceptibles d’être démontrés, il faut suivre la méthode que nous avons suivie pour le problème dont il s’agit, je veux parler du problème de l’omniscience de Dieu(1)Mot à mot: du problème de la connaissance que Dieu a de ce qui est en dehors de lui.. Comprends bien cela." ], [ "L’histoire de Job, si étrange et si étonnante(2)L’auteur appelle cette histoire étrange et étonnante, parce qu’elle nous présente un homme pieux condamné, sans aucune raison apparente, aux plus affreuses souffrances, et qu’elle paraît incompréhensible au lecteur superficiel qui n’en pénètre pas le mystère. — Les deux versions hébraïques n’ont pour les deux adjectifs que le seul mot הנפלא., se rapporte au sujet dont nous nous occupons; je veux dire qu’elle est une parabole qui a pour but d’exposer les opinions des hommes sur la Providence. Tu sais que certains docteurs disent expressément: «Job n’a jamais existé, et ce n’est là qu’une parabole(3)Voy. Talmud de Babylone, Baba Bathra, fol. 15 a, où se trouvent aussi les différentes opinions sur les diverses époques que d’autres docteurs assignent à Job..» Ceux-là même qui croient qu’il a existé et que c’est une histoire qui est (réellement) arrivée, ne savent lui(4)Le mot לה, à lui, qu’ont tous les mss. arabes, ne peut se rapporter grammaticalement qu’à Job. assigner ni temps ni lieu. Quelques docteurs disent qu’il exista du temps des patriarches; d’autres disent, du temps de Moïse; d’autres encore, du temps de David; d’autres enfin disent qu’il fut de ceux qui revinrent de Babylone. Mais tout cela ne fait que confirmer l’opinion de ceux qui disent qu’il n’a jamais existé. En somme, qu’il ait existé ou non, toujours est-il que tous les lecteurs ont été jetés dans la perplexité par son histoire telle qu’elle nous est racontée(1)Les mots signifient mot à mot: de tali ejus casu qui existit; l’auteur veut dire que son histoire vraie ou fausse, qui dans tous les cas existe devant nous, a troublé l’esprit des lecteurs. Au lieu de קצׄיתה, son aventure (casus, eventus), plusieurs mss. ont קצתה, son histoire.; de sorte qu’on a objecté contre la science et la Providence de Dieu ce que j’ai déjà mentionné(2)L’auteur veut parler des doutes que, par la raison qu’il va dire, on a exprimés sur l’omniscience de Dieu et sur la Providence. Voy. ci-dessus, chap. XVI., à savoir, que l’homme vertueux et parfait, plein de probité dans ses actions, et qui a le plus grand soin d’éviter les péchés, est pourtant frappé, coup sur coup, de grands malheurs, dans sa fortune, dans ses enfants et dans sa personne, sans l’avoir mérité par un péché quelconque. Selon les deux opinions encore, que Job ait existé ou non, le prologue du livre, je veux dire le discours de Satan, les paroles que Dieu adresse à Satan, Job livré au pouvoir de ce dernier, tout cela (dis-je), pour tout homme intelligent, est indubitablement une parabole. Cependant ce n’est pas là une parabole comme il y en a tant, mais une parabole à laquelle se rattachent des pensées profondes, des choses qui forment le mystère de l’univers(3)Ces derniers mots sont empruntés au Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, fol. 13 a, où ils se rapportent à la vision d’Ézéchiel., et qui sert à éclaircir de grandes obscurités et à manifester les plus hautes vérités(4)Mot à mot: des vérités qui n’ont pas de terme après elles, c’est-à-dire qui sont elles-mêmes le dernier terme de la vérité. Dans la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire selon les mss. אמתות, vérités, au lieu du mot תעלומות, mystères, qu’ont les éditions; Al-’Harîzi traduit littéralement: ונודע מהם אמתות שאין תכלית אחריהם.. Je vais t’en dire tout ce qui peut se dire(1)C’est-à-dire, selon le commentateur Schem-Tob: ce que je pourrai en dire sans me prononcer clairement sur des mystères qu’il n’est pas permis de révéler., et je rapporterai les paroles des docteurs qui ont éveillé mon attention sur tout ce que j’ai pu comprendre de cette importante parabole.", "La première chose qui doit fixer ton attention, ce sont les mots: Il y avait dans le pays de ’O (Hus) un homme (Job, I. 1), où l’on se sert d’un homonyme, qui est Ouç (עוץ); car c’est à la fois un nom d’homme: son premier né Ouç (Genèse, 22, 21), et l’impératif d’un verbe (exprimant l’idée de) réfléchir, méditer, par exemple עוצו עצה, prenez conseil (Isaïe, 8, 10). C’est donc comme si l’on disait: Médite sur cette parabole(2)Sur le sens du verbe , voy. le tome II, p. 250, note 3. Dans la version d’Ibn-Tibbon, au lieu de בזאת העצה, les mss. ont, conformément au texte arabe: בזה המשל; de même Al-’Harîzi: השב לבך לזה המשל., réfléchis-y, cherche à en pénétrer le sens, et vois quelle est l’opinion vraie(3)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont le pluriel, quelles sont les opinions vraies; les mss. ont conformément à l’arabe: וראה הדעת האמיתית מה היא. Sur l’impératif ארי, forme incorrecte, voy. tome I, p. 19, note 2.. Ensuite on raconte que les fils de Dieu (les anges) vinrent se présenter devant l’Éternel, et que Satan se présenta au milieu d’eux(4)Mot à mot: dans leur foule et dans leurs troupes. Au lieu de גׄמארהם , in universitate eorum, plusieurs mss. ont גמארהם ; sur ce dernier mot, qui est peut-être préférable, voy. tome I, p. 223, note 3.. On ne dit pas «les fils de Dieu et Satan vinrent se présenter devant l’Éternel,» de sorte que tous se seraient trouvés là au même titre(5)La version d’Ibn-Tibbon s’écarte un peu du texte; elle porte: שמציאות הכל על יתם אחד ועל ערך אחד (mss. שאז היה נראה (דומה. Le mot פכאן, Ibn-Tibbon paraît l’avoir prononcé . Al-’Harîzi traduit plus littéralement: כי אז יהיה מציאות הכל על דרך אחד.; mais on s’exprime ainsi: Les fils de Dieu vinrent se présenter devant l’Éternel, et Satan aussi vint au milieu d’eux (Job, 1, 6; II, 1). Par celle manière de s’exprimer, on désigne quelqu’un qui est venu, sans que ce fût lui qu’on ait eu en vue et sans que sa présence ait été recherchée, mais qui plutôt, à l’occasion de l’arrivée de ceux dont on avait eu en vue la présence, s’est présenté au milieu des arrivants(1)L’auteur s’exprime ici à mots couverts, comme il l’a fait dans son explication du Ma’asé Beréschith et du Ma’asé Mercâbâ. Il fait allusion à l’idée qu’il a développée plus haut (chap. x), à savoir, que tout ce qui est émané directement de la volonté du créateur est le bien, et que Dieu n’est jamais l’auteur direct du mal. Ce n’est qu’accidentellement et indirectement que le mal peut être attribué à l’action divine; la matière en elle-même créée par Dieu n’est point un mal, mais elle devient la source du mal par la privation qui lui est inhérente et qui est la cause de la corruption (φθορά). Dans le prologue du livre de Job, il faut entendre, par les fils de Dieu, le bien que Dieu a eu directement en vue dans la création, c’est-à-dire les Intelligences et les sphères, ainsi que les formes émanées d’elles et qui sont les causes de la naissance (γένοσις) et de la conservation des êtres. Satan, au contraire, représente la privation, source accidentelle du mal.. — Ensuite on dit que ce Satan errait sur la terre et la parcourait; il n’y a donc aucun rapport entre lui et le monde supérieur, auquel il n’a point accès. Tel est le sens des mots: (Je viens) d’errer sur la terre et de la parcourir (ibid., I, 7; II, 2); car il n’erre et ne se promène que sur la terre(2)C’est-à-dire, le mal, qui naît de la privation, n’existe que sur la terre, ou dans le monde sublunaire (cf. tome II, chap. XXX, p. 235); car la matière supérieure n’est pas accompagnée de la privation, et rien dans le monde supérieur n’est corruptible.. — Ensuite on rapporte que cet homme intègre et parfait fut livré entre les mains de Satan, et que celui-ci fut la cause de tous les malheurs qui le frappèrent dans sa fortune, dans ses enfants et dans sa personne(3)C’est-à-dire, que la matière sublunaire et la privation qui l’accompagne furent la cause des malheurs accidentels qui frappèrent Job, et dans lesquels Job et ses amis crurent voir un mal venant directement de Dieu.. ", "Après avoir ainsi indiqué l’idée sous-enten-due(1)Mot à mot: après avoir fait sous-entendre cette sous-entente; c’est-à-dire, après avoir indiqué, par l’allégorie de Satan, la véritable idée du mal. Ibn-Tibbon, qui traduit ces mots par וכאשר יִשׁב זה הענין (c.-à-d. après avoir établi ce sujet), paraît avoir lu avec ר, au lieu de avec ד, comme l’ont tous les mss.; Al-’Harîzi traduit littéralement: וכאשר שיער זה השיעור., on commence à exposer ce que les penseurs(2)Au lieu de אהל אלנטׄר, les penseurs, Ibn-Tibbon a simplement העיון; il faudrait בעלי העיון. Le mot אלקצׄיה̈, qui veut dire proposition, jugement, est ici employé dans le sens de récit, sujet, comme le mot אלקצה̈; aussi les mss. ont-ils dans ce chapitre tantôt l’un, tantôt l’autre de ces deux mots (v. ci-dessus, p. 160, note 1). Ibn-Tibbon (dans les mss.) a ici בזאת הגזירה. Les éditions ont substitué à ces deux mots le mot בן, se rapportant à זה הענין. ont dit sur ce sujet; on rapporte d’abord une opinion qu’on attribue à Job, puis d’autres opinions (sont attribuées) à ses amis. Je t’exposerai clairement ces différentes opinions, qui causèrent chez eux un si grand conflit d’idées(3)Cf. ci-dessus, p. 113, note 2. sur cet événement dont Satan seul était la cause, tandis qu’ils croyaient tous, tant Job que ses amis, que Dieu avait agi lui-même, sans l’intermédiaire de Satan. Ce qu’il y a de plus étonnant et de plus remarquable dans ce récit, c’est qu’on n’attribue point à Job la science et qu’on ne l’appelle pas un homme sage, ou intelligent, ou savant; car, au contraire, on ne lui attribue que d’excellentes mœurs et la droiture dans les actions. En effet, s’il avait été un sage, sa situation n’aurait eu pour lui rien d’obscur, comme on l’exposera plus loin.", "Je ferai remarquer encore que les malheurs de Job sont présentés dans une certaine gradation, selon les différents caractères des hommes(4)Littéralement: Ensuite (il faut remarquer) qu’on a gradué ses malheurs, etc. Au lieu du verbe דרגׄ, graduer, un de nos mss. (suppl. hébreu, n° 63) a דׄבר; de même les deux versions hébraïques: celle d’Ibn-Tibbon a ועוד שנזכרו מקריו; celle d’Al-’Harîzi: ואחר כן זכר תלאותיו.. En effet, il y a des hommes qui ne s’effrayent pas(1)Au lieu de ירהאע, quelques mss. ont ירהדע. Nos éditions de la version d’Ibn-Tibbon paraissent rendre les deux verbes à la fois: מי שלא יבהל ולא יסוב לבבו. Dans quelques mss. de cette version et dans le commentaire de Schem-Tob, on lit מי שלא יִתּר לבבך (cf. Job, 37, 1). La version d’Al-’Harîzi porte: מי שלא יחרד לאיבוד ממונו. de la perle de leur fortune, dont ils font peu de cas, mais qui sont saisis de terreur par la mort de leurs enfants et en meurent de tristesse. Il y en a d’autres qui supportent avec résignation(2)Littéralement: sans désespérer. La version d’Ibn-Tibbon rend le mot יהלע par deux verbes: ולא יבהל ולא ילאה; celle d’Al-’Harîzi a ולא יקוץ ולא יחרד. même la perte des enfants; mais aucun être qui a la sensation(3)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, l’infinitif להרגיש est une faute d’impression; il faut lire למרגיש, au participe, comme l’ont les mss. ne peut supporter les douleurs. Tous les hommes, je veux parler du vulgaire, glorifient Dieu de leur langue, et le disent juste et bienfaisant quand ils sont heureux et à l’aise, ou même dans un état de souffrance supportable. Mais quand arrivent ces malheurs qu’on rapporte de Job, alors il y en a qui, en perdant seulement leur fortune, blasphèment et croient que l’univers entier manque de bon ordre; d’autres, quoique affligés de la perte de la fortune, continuent à croire à la justice (divine) et au bon ordre (de l’univers), mais s’ils sont éprouvés par la perte des enfants, ils ne peuvent se résigner; d’autres enfin se résignent et ne sont pas troublés dans leur foi, même lorsqu’ils perdent leurs enfants, mais aucun d’eux ne supporte les douleurs du corps sans se plaindre et sans blasphémer, soit avec sa langue, soit dans sa pensée.", "En parlant des fils de Dieu, on dit les deux fois qu’ils vinrent se présenter devant l’Éternel (ibid., I, 6; II, 1). Mais pour ce qui est de Satan, bien qu’il vînt au milieu d’eux la première et la seconde fois, on ne se sert pas à son égard la première fois de l’expression להתיצב, se présenter, tandis que la seconde fois on dit (II, 1): «Et Satan aussi vint au milieu d’eux se présenter devant l’Éternel.» Il faut en bien comprendre l’idée, et tu reconnaîtras combien elle est remarquable(1)L’auteur veut dire qu’il faut bien comprendre l’idée profonde cachée sous ce mot להתיצב, se présenter, et la raison pourquoi cette expression a été omise la première fois. Ainsi que Maïmonide le fait entendre lui-même dans ce qui suit, Satan, qui représente la privation (στέρησις), peut être considéré, jusqu’à un certain point, comme un but direct de la création, puisque la naissance et la corruption, que le créateur avait pour but dans le monde sublunaire, n’ont lieu que par suite de la privation, qui est inhérente à la matière et qui par conséquent joue un rôle important dans les choses de ce bas-monde (cf. le t. I, chap. XVII, p. 69). Satan, ou la privation dont dépend le mal, a donc aussi en quelque sorte le droit de se présenter devant l’Éternel; mais il l’a moins que les êtres supérieurs qui sont le pur bien. Voy. ci-dessus, p. 162, notes 1, 2, 3). C’est pourquoi, pour les fils de Dieu, on emploie deux fois l’expression להתיצב, se présenter, tandis que pour Satan on ne l’emploie qu’une seule fois.; tu te convaincras alors que c’est en quelque sorte par une inspiration divine que j’ai trouvé toutes ces idées(2)C’est-à-dire, toutes les idées que l’auteur trouve cachées dans les différents passages qu’il a cités.. En effet, les mots se présenter devaut l’Éternel signifient qu’ils se tenaient là assujettis à l’ordre émané de sa volonté(3)Mot à mot: assujettis à son ordre en ce qu’il voulait; c’est-à-dire, que les êtres désignés ici par les mots fils de Dieu et Satan obéissaient forcément aux lois éternelles émanées de la volonté divine. Le verbe signifie soumettre quelqu’un à un service forcé; le mot מוכרחים, employé par Ibn-Tibbon pour le mot arabe , exprime peut-être plus énergiquement cette idée que le mot משועבדים, que veut Ibn-Falaquéra (Append. du Moré ha-Moré, p. 157), et qui est ici employé par Al-’Harîzi.. C’est ainsi que Zacharie(4)Le texte arabe porte simplement: מן קול זכריה, du discours de Zacharie, ou, selon les paroles de Zacharie. Ibn-Tibbon a ajouté pour plus de clarté les mots תבין זה; de même Al-’Harîzi: ותדע זה ממאמר זכריה., en parlant des quatre chariots sortant etc., dit: L’ange me répondit et dit: Ce sont les quatre vents qui sortent de là où ils se présentaient מהתיצב devant le maître de toute la terre (Zacharie, 6, 5)(5)Dans le verset de Zacharie, les quatre vents représentent également les êtres supérieurs, désignés dans le livre de Job par les mots fils de Dieu. Voy. le tome II, chap. X, p. 91, et ibid., note 1.. — Il est donc clair que les fils de Dieu et Satan n’occupent pas le même rang dans l’univers; au contraire, les fils de Dieu sont plus stables et plus durables, mais lui aussi (Satan) occupe dans l’univers un certain rang au-dessous du leur(1)C’est-à-dire: les êtres supérieurs, seuls représentants du bien absolu, sont stables et durables, n’étant pas soumis à la naissance et à la corruption; mais Satan aussi occupe un certain rang dans le monde sublunaire, comme nous l’avons fait observer ci-dessus, p. 165, n. 1.—Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut effacer après אבל le mot יחם qui ne se trouve pas dans les mss. et qui a été ajouté par les éditeurs pour justifier les adjectifs קיים et מתמיד qui sont au singulier; mais ce n’est que par inadvertance qu’Ibn-Tibbon a employé le singulier, en imitant les formes arabes אתׄבת ואדום, qui peuvent aussi s’employer pour le pluriel. Il s’excuse dans sa préface des nombreuses fautes de cette nature. La version d’Al-’Harîzi a ici plus exactement: אבל בני האלהים הם קיימים ועומדים. Les mots ont été rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par חלק אחד: «lui aussi a une certaine part»; cette traduction a été justement critiquée par Ibn-Falaquéra. Voy. Append. du Moré ha-Moré, p. 149: וידוע כי אין לשטן חלק אחד במציאות אלא שיש לו מעלה מה במציאות כי יש לו ממשלת הארעיות והוא משוטט בארץ. Cf. aussi le tome I, p. 52, note 2..", "Ce qu’il y a encore de remarquable dans cette parabole, c’est que, après avoir dit que Satan errait particulièrement sur la terre et avoir parlé des actes auxquels il se livrait, on déclare qu’il lui est interdit de s’emparer de l’âme, que toutes ces choses terrestres sont mises en son pouvoir, mais qu’il y a une barrière entre lui et l’âme humaine(2)Le verbe חיל est le passif de חאל (rad. ), qui signifie entre autres établir une séparation. Ibn-Tibbon ajoute ces mots explicatifs: כלומר שלא נִתּן לו רשות עליה.; tel est le sens de ces mots: אך את נפשו שמור, seulement prends garde à son âme (Job, 2, 6). Je t’ai déjà exposé que, dans notre langue, le mot נפש, âme, est un homonyme, et qu’il s’applique à la chose qui reste de l’homme après la mort(3)Voy. le tome I, chap. XLI, p. 146, note 2.; c’est sur cette chose que Satan n’a pas de pouvoir(4)Car l’intellect acquis, qui est toujours en acte et qui seul est immortel, n’a plus rien qui soit en puissance, et par conséquent Satan, qui représente la privation, lui est complètement étranger et n’a aucune prise sur lui. Voy. le tome I, l. c., et cf. ibid., chap. LXX, page 328, note 4..", "Après ces observations, écoute cette parole si instructive émanée des sages, auxquels on peut à juste titre appliquer le nom de sages, (parole) qui a éclairci tout ce qui est obscur, mis à découvert tout ce qui était voilé, et révélé la plupart des mystères de la Loi; je veux parler de ce qu’ils disent dans le Talmud(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Bâbâ bathra, fol. 16 a. C’est à ce passage que l’auteur a fait allusion plus haut en disant: «Je rapporterai les paroles des docteurs qui ont éveillé mon attention sur tout ce que j’ai pu comprendre de cette importante parabole.» — Sur l’expression יצר הרע, le mauvais penchant, cf. tome II, p. 103, note 2.: «Rabbi Siméon, fils de Lakisch, dit: Satan, le mauvais penchant et l’ange de la mort sont une seule et même chose.» Tout ce que nous avons dit, ce passage le révèle d’une manière qui n’aura rien d’obscur pour celui qui sait comprendre(2)Selon tout ce qui a été dit plus haut, ce passage talmudique signifierait que la matière accompagnée de la privation, principe de mal, produit les mauvais penchants qui conduisent l’homme à sa perte.. Il est donc clair que ces trois noms désignent une seule et même idée, et que toutes les actions attribuées à chacune de ces trois choses sont l’action d’une seule et même chose. C’est là aussi ce qu’ont exprimé les anciens docteurs de la Mischna: «On a enseigné ce qui suit: il descend et séduit, puis il monte et accuse, et enfin ayant obtenu la permission, il ôte la vie(3)Voy. la Baraïtha, rapportée dans Bâba bathra, l. c.: תנא יורד ומתעה וגו׳..» Tu comprendras maintenant que ce que David vit dans une vision prophétique au moment de la peste,—l’ange tenant dans sa main un glaive nu tendu vers Jérusalem (I Chron., 21, 16), — ne lui apparut que pour lui indiquer une certaine idée, laquelle idée est la même(1)Mot à mot: il (Dieu) ne lui montra que pour lui indiquer une idée etc. Le mot manque dans quelques mss., et il est aussi omis dans la version d’Al-’Harîzi, qui porte: כי הראהו זה להורות על זה הענין בעצמו וגו׳. Dans la version d’Ibn-Tibbon, au lieu de והענין, quelques mss. ont plus exactement הענין sans le ו copulatif. Quant au verbe אוראה, c’est une forme incorrecte pour אראה. Cf. t. I, p. 97, note 4. que celle dont on parle aussi dans une vision prophétique, au sujet du péché commis par les fils du grand prêtre Josué: Et Satan se tenait à sa droite pour l’accuser (Zacharie, 3, 1)(2)Selon le Talmud, traité Synhédrin, fol. 91 a, on ferait ici allusion au péché que commirent les descendants de Josué en épousant des femmes étrangères. Voy. Ezra, chap. X, v. 18, et cf. la version chaldaïque au livre de Zacharie, 3, 3, où les mots «Josué portait des vêtements souillés» sont ainsi paraphrasés: ויהושע הוו ליה בנין דנסבין להון נשין דלא כשרן לכהונתא, Josué avait des fils qui prirent des femmes impropres au sacerdoce.. A la suite (de ce dernier passage), on déclare combien Satan est éloigné de Dieu(3)Car, comme on l’a vu, Satan n’est en rapport qu’avec le monde sublunaire.: L’Éternel te réprouve, ô Satan! l’Éternel, lui qui a élu Jérusalem, teréprouve (ibid., v. 2). C’est lui aussi que Bileam, dans une vision prophétique, vit sur son chemin, et qui lui dit: Voici, je suis sorti pour être un adversaire (Nombres, 22, 52). ", "[Il faut savoir que le mot SATAN (שׂטן) est dérivé du verbe SATÁ (שׂטה, se détourner), par exemple détourne-toi (שְׂטֵה) de lui et passe (Prov., 4, 15), je veux dire que ce mot renferme le sens de se détourner, s’écarter; car Satan est indubitablement celui qui détourne des voies de la vérité et qui fait qu’on se perd dans les voies de l’erreur(4)La version d’Ibn-Tibbon porte: ויורנו בדרך הטעות והשניגה, «et qui nous mène dans la voie de l’erreur et de l’égarement.» Ibn-Tibbon a commis ici une grave erreur; car tous les mss. ar. portent ויובק , IVe forme de , qui signifie périr, se perdre. Al-’Harîzi traduit plus exactement: ויכשיל בדרכי הטעות.]. — Cette même idée(5)C’est-à-dire, l’idée que l’auteur rattache à l’être symbolique appelé Satan. est exprimée aussi par ces mots: car le penchant du cœur de l’homme est mauvais dès son enfance (Genèse, 8, 21). Tu sais combien est répandue dans notre religion l’idée du bon et du mauvais penchant, et tu connais cette parole des docteurs: «par tes deux penchants(1)Voy. Mischnâ, Ire partie, traité Berakhôth, chap. IX, § 5, où les mots בכל לבבך, de TOUT ton cœur (Deutéronome, VI, 5), sont expliqués par בשני יצריך, de tes deux penchants, ce que les docteurs entendent dans ce sens qu’il faut remercier Dieu même pour le mal qui nous arrive et dont notre mauvais naturel est souvent la seule cause, et qu’il faut le louer même dans les moments de tristesse et d’irritation: חייב אדם לברך על הרעה כשם שמברך על הטובה שנאמר ואהבת את י״י אלהיך בכל לבבך וגו׳ בכל לבבך בשני יצריך ביצר הטוב וביצר הרע. cf. Talmud de Babylone, même traité, fol. 61 a: שני יצרים ברא הקב״ה וגו׳.». Ailleurs ils disent que le mauvais penchant surgit dans l’individu humain dès la naissance: le péché guette à la porte (Genèse, 4, 7), et comme dit l’Écriture: dès son enfance (ibid., VIII, 21), tandis que le bon penchant ne lui arrive qu’après le perfectionnement de son intelligence(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Synhédrin, fol. 91 b, où I’on rapporte une conversation entre Rabbi Iehouda ha-Nasi et Antonin sur la question de savoir si le mauvais penchant (יצר הרע) naît au moment de la formation du fœtus, ou au moment où l’enfant est mis au jour; Antonin se prononce dans le dernier sens, et Rabbi ajoute qu’en effet on peut citer à l’appui de cette opinion le verset de la Genèse (4, 7): אמר רבי דבר זה למדני אנטונינוס ומקרא מסייעו שנאמר לפתח חטאת רובץ. Cf. Beréschith rabba, section XXXIV (fol. 30, col. 1). Le bon penchant (יצר טוב), selon les rabbins, ne se développe qu’à l’âge de treize ans. Voy. le Midrasch Kohéleth, au chap. IX, v. 14: ולמה הוא קורא ליצר הרע גדול שהוא גדול מיצר טוב שלש עשרה שנה.. C’est pourquoi, disent–ils, dans la parabole sur le corps humain et ses différentes facultés, contenue dans ce passage: une petite ville renfermant peu d’hommes etc. (Ecclés., IX, 14), le mauvais penchant est appelé un grand roi et le bon penchant est appelé un homme pauvre et sage(3)Voy. l’interprétation de ce verset de l’Ecclésiaste dans le Talmud de Babylone, traité Nedarîm, fol. 32 b, et cf. la paraphrase chaldaïque du même verset.—Les mss. arabes et ceux de la version d’Ibn-Tibbon, ainsi que les éditions, ont ici généralement ילד מסכן, au lieu de איש מסכן, et c’est sans doute l’auteur lui-même qui a écrit ילד par inadvertance, en pensant à un autre verset de l’Ecclésiaste: טוב ילד מסכן וחכם (chap. IV, v. 12).. Toutes ces choses se trouvent dans des textes bien connus, émanés des docteurs. — Or, comme ils nous ont déclaré que le mauvais penchant est Satan, qui indubitablement est un ange, — et qui en effet est désigné comme ange, puisqu’il se trouve au nombre des fils de Dieu, — le bon penchant aussi est en réalité un ang(1)L’auteur veut dire que le bon penchant et le mauvais penchant, dérivant l’un et l’autre des facultés de l’âme, peuvent être appelés anges; car ce mot désigne entre autres toutes les forces physiques et toutes les facultés de l’âme. Voy. le t. II, chap. VI, p. 70 et suiv.. Ainsi donc, quand les docteurs disent, comme tout le monde sai(2)Mot à mot: cette chose si généralement connue dans les paroles des docteurs, à savoir que chaque homme etc. Voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghigâ, fol. 16 a: שני מלאכי השרה מלוין אותו וגוי. Cf. traité Berakhôth, fol. 60 b: הנכנס לבית הכסא וגו׳, et ibid. le commentaire de Raschi., que chaque homme est accompagné par deux anges, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche, il s’agit du bon penchant et du mauvais penchant; et en effet ils disent expressément dans la Guemara de Schabbâth: «l’un bon, l’autre mauvai(3)Voy. traité Schabbâth, fol. 119 b: ב׳ מלאכי השרת מלוין לו לאדם בע״ש מבית הכנסת לביתו אחד טוב ואחד רע..» — Tu vois donc combien de choses merveilleuses nous sont révélées par cette parole(4)C’est-à-dire, par la parole de R. Siméon, fils de Lakisch, citée plus haut., et combien de fausses idées elle fait disparaître.", "Je crois maintenant avoir exposé et éclairci à fond l’histoire de Job(5)Littéralement: Je ne pense pas autrement, si ce n’est que j’ai expliqué et éclairci l’histoire de Job jusqu’à son terme et sa fin. La version d’Ibn-Tibbon, qui reproduit trop servilement la tournure de la phrase arabe, peut ne pas paraître assez claire; Al-’Harîzi a rendu cette phrase avec plus de clarté: וכמדומה לי כי כבר פרשתי בזה מה שיש בידי וביארתי עניין איוב עד תכליתו וסופו. L’auteur veut dire qu’il croit avoir fait tout ce qu’il est possible de faire pour expliquer l’allégorie contenue dans le prologue historique du livre de Job.. Mais je veux aussi t’exposer quelle est l’opinion attribuée à Job et quelle est celle qu’on attribue à chacun de ses amis, en alléguant des preuves que je recueillerai dans leurs discours respectifs. Il ne faut pas faire attention aux autres paroles(1)Littéralement: aux paroles en dehors de cela; c’est-à-dire, à ce que chacun d’eux a dit en dehors des passages qui seront cités comme preuves de leurs opinions., nécessitées par l’ensemble du discours(2)L’auteur veut dire que, dans les discours de Job et de ses amis, il y a des passages caractéristiques dans lesquels se dessinent leurs opinions respectives et qui forment le fond de l’allégorie qu’ils ont en vue; le reste n’a pas d’importance pour l’allégorie en elle-même et pour l’idée philosophique qu’elle renferme, et ne sert qu’à achever la peinture au point de vue de l’art poétique. C’est là ce que l’auteur veut dire par les mots nécessitées par l’ordre (ou l’ensemble) du discours. Il renvoie à l’Introduction de son ouvrage, où il a dit que parfois l’ensemble de l’allégorie révèle l’ensemble du sujet représenté, mais qu’à côté il se trouve des passages qui n’ajoutent rien au sujet représenté, et qui servent seulement à l’embellissement de l’allégorie et à la symétrie du discours. Voy. t. I, p. 19 et suiv., comme je te l’ai exposé au commencement de ce traité." ], [ "Cette histoire de Job admise (comme vraie), la chose sur laquelle de prime abord(3)Mot à mot: dès qu’elle arriva; c’est-à-dire, l’histoire. Le verbe féminin גׄרת qu’ont tous les mss. ne peut se rapporter qu’au mot קצה̈, histoire. les cinq personnages, c’est-à-dire Job et ses amis, furent d’accord, c’était que Dieu avait connaissance de tout ce qui était arrivé à Job, et que c’était Dieu qui l’avait frappé de tous ces malheurs. Tous aussi s’accordaient à reconnaître que Dieu ne saurait être taxé d’injustice et qu’on ne saurait lui attribuer d’iniquité. Ce sont là des idées qu’on trouve souvent répétées même dans les paroles de Job(1)C’est-à-dire, Job lui-même, dans ses plaintes, ne va pas jusqu’à dire que Dieu n’avait aucune connaissance de ce qui lui était arrivé, ni que Dieu était injuste à son égard; il se borne à protester de son innocence, et à soutenir qu’il n’avait pas mérité ce grave châtiment.. Si l’on considère les paroles que les cinq hommes échangent dans leur dialogue, on serait tenté de croire que ce que dit l’un, tous les autres le disent également, et que les mêmes idées se répètent et se croisent. Du côté de Job, elles ne sont interrompues que par la description qu’il fait des violentes douleurs et souffrances qu’il subit malgré sa droiture, par la peinture de sa justice, de son noble caractère et de la bonté de ses actions. De leur côté, ses amis mêlent, dans les discours qu’ils lui adressent, des exhortations à la patience, des consolations et de douces paroles, disant qu’il devait se taire et ne pas lâcher la bride à ses paroles, comme quelqu’un qui se dispute avec son semblable, mais plutôt se soumettre en silence(2)Au lieu de יצׄען, que je crois être le futur énergique , de dans le sens de s’humilier, plusieurs mss. ont ידען , de , se soumettre, obéir. Cette dernière leçon est peut-être préférable. aux décrets de la Divinité. A quoi il répond que les violentes douleurs empêchent d’être patient et ferme, et de s’exprimer comme il convient. Tous ses amis s’accordent à soutenir que ceux qui font le bien en sont récompensés, et que ceux qui font le mal en sont punis. Si, disent-ils, on voit un pécheur dans le bonheur, on peut être certain que le contraire aura lieu dans l’avenir; il périra, et des malheurs fondront sur lui, sur ses enfants(3)Au lieu de ובבניה , quelques mss. ont ובביתה, variante qui s’explique par une copie en caractères arabes; de même Ibn-Tibbon: ובביתו. Al-’Harîzi: ויחולו עליו ועל בני ביתו וזרעו. et sur sa race. Si, au contraire, on voit un homme pieux dans l’adversité, celui-ci ne pourra manquer d’obtenir une réparation(4)Littéralement: sa fracture sera nécessairement jointe ou remise. Sur la locution גׄבר צדעה, cf. le texte arabe plus loin, ch. XXXVI (fol. 77 b, av. der. l.), chap. XL (fol. 87 b, l. 4), chap. XLI (fol. 91 a, l. 19), chap. XLIX (fol. 114 a, l. 14), chap. LIII (fol. 131 a, dernière ligne).. Cette idée, tu la trouveras répétée dans les discours d’Éliphaz, de Bildad et de Sophar, et les trois sont d’accord sur cette opinion. Mais ce n’est pas là le but de toute cette histoire, où l’on a eu plutôt en vue de faire connaître ce que chacun d’eux professait en particulier et l’opinion qu’il avait sur un événement où nous voyons l’homme le plus intègre et de la plus parfaite droiture frappé des calamités les plus grandes et les plus violentes.", "Selon l’opinion de Job, cet événement prouvait que l’homme vertueux et l’impie sont égaux devant Dieu, qui méprise l’espèce humaine et l’abandonne(1)Mot à mot: par dédain pour l’espèce humaine et par mépris pour elle. Ibn-Tibbon a omis dans sa version les mots . Al-’Harîzi traduit: לרוב קלות ערך האדם והיותו כאין בעיני הבורא.. C’est ainsi qu’il dit entre autres: C’est la même chose; c’est pourquoi je dis: il détruit l’homme intègre et l’impie; si le flot tue subitement, il se rit de la calamité des innocents (Job, 9, 22 23); c’est-à-dire, si le torrent(2)On voit que le mot שוׄט, qui signifie fléau, est ici pris par Maïmonide dans le sens de flot, torrent, ce qui ne ressort pas de la version d’Ibn-Tibbon, qui reprodui le mot שוט du texte de Job. Al-’Harîzi traduit mieux: אם יבא גשם שוטף. arrive subitement, fait périr et enlève tous ceux qu’il rencontre, il (Dieu) se rit de la calamité des innocents. Il confirme ensuite cette opinion en disant: L’un meurt dans la plénitude de sa force, tout tranquille et paisible; ses vases sont pleins de lait etc. L’autre meurt l’âme affligée, sans avoir joui du bonheur. Ensemble ils seront couchés dans la poussière, et les vers les couvriront (XXI, 23-26). Il allègue encore pour preuve l’état prospère des méchants et leur bonheur, et il s’étend beaucoup là-dessus: Quand j’y pense, dit-il, je suis effrayé et ma chair est saisie de tremblement. Pourquoi les impies vivent-ils, vieillissant et augmentant de force? Leur postérité est debout devant eux etc. (ibid., v. 6-8). Après avoir décrit ce bonheur parfait, il dit à ses interlocuteurs: Admettons qu’il en soit comme vous le prétendez, que les enfants de ce mécréant heureux périssent quand il n’est plus et que leur trace disparaisse, quel dommage résulte-t-il pour cet homme heureux de ce qui arrivera à sa famille quand il ne sera plus? Que lui importe sa famille (qu’il laisse) après lui, quand le nombre de ses mois est accompli (ibid., v. 21)? Ailleurs il déclare qu’il ne faut rien espérer après la mort, de sorte qu’il ne reste pas autre chose à dire, si ce n’est qu’il y a abandon(1)La phrase arabe est très-concise; en voici le sens: Job déclare qu’il ne faut espérer aucune compensation après la mort, et que par conséquent, si nous voyons l’homme vertueux accablé de souffrances, tandis que l’impie jouit d’un bonheur parfait, nous ne pouvons donner aucune solution de ce problème; et il ne nous reste autre chose à dire, si ce n’est qu’il y a abandon de la part de Dieu, c’est-à-dire que Dieu ne s’occupe pas des individus humains et les abandonne à leur sort.—Ibn-Tibbon, n’ayant pas bien saisi le sens de cette phrase, l’a ainsi paraphrasée: אם כן לא נשארה תוחלת אלא שזה עזיבה ושכחה «il ne reste donc pas d’espérance, mais il y a là abandon et oubli.» Al-’Harîzi traduit plus exactement: ויצא מדברו כי זה התרשלות מהבורא, «il résulte donc de ses paroles qu’il y a là insouciance de la part du créateur.». Il exprime donc son étonnement de ce que Dieu, n’ayant pas négligé, dans le principe, la création de l’individu humain, néglige pourtant de le gouverner(2)Littéralement: comment il n’a pas négligé l’œuvre primitivede la formation ( , γένεσις) de l’individu humain et sa création, et a pourtant négligé de le gouverner. Les mots אצל צנע כון doivent être prononcés , le principe de l’œuvre de la formation, c est-a-dire l’œuvre primitive de la formation. Par ces mots, l’auteur fait allusion à la description que donne Job de la formation du fœtus (X, 10 et suiv.). Le mot וכׄלקה a été considéré par Ibn-Tibbon comme un verbe , et il traduit: וברא אותו; mais dans ce cas il eût été plus correct de dire . Je considère ce mot comme un nom d’action , à l’accusatif, comme . C’est dans le même sens qu’Al-’Harîzi traduit ce mot, quoique sa traduction soit d’ailleurs très-confuse: והחל לתמוה איך יתכן להתרשל האומן אשר כיון נוף הארס וברייתו ויתרשל בשמירתו., et il dit: Ne m’as-tu pas coulé comme du lait, coagulé comme le fromage etc. (X, 10)? — C’est là une des opinions professées sur la Providence(1)Tous nos mss. ar. ont seulement: אלמעתקדה̈ פי אלענאיה̈, crues ou admises sur la Providence. La version d’Ibn-Tibbon porte: אחת מן הדעות הנאמרות בהשגחה ואשר האמינוה קצת המעיינים, «une des opinions énoncées sur la Providence et que certains penseurs ont admises.» Al-’Harîzi a: זאת היא אחת מן הדעות והאמונות אשר להאמינם בשמירת הבורא. On voit qu’il avait la même leçon que nous; mais sa traduction manque d’exactitude. L’auteur fait allusion à l’opinion professée par Aristote et d’autres philosophes. Voy. ci-dessus, chap. XVII, 2e opinion.. Les docteurs, tu le sais, déclarent cette opinion de Job extrêmement blâmable(2)Proprement: maladive; les deux traducteurs hébreux ont: בתכלית הרע., en se servant d’expressions comme les suivantes(3)Voy. Talmud de Babylone, traité Bâba bathra, fol. 16 a.: «Poussière sur la bouche de Job(4)עפרא בפומיה, poussière sur sa bouche, est une locution proverbiale qui signifie: sa bouche mérite qu’on y lance de la poussière pour la fermer, ou pour la salir.. — Job voulait renverser le plat sur son bord(5)Autre locution proverbiale, qui signifie: mettre tout sens dessus dessous, professer des opinions subversives.. —Job niait la résurrection des morts. — Job s’était mis à prononcer des blasphèmes.» Si cependant Dieu dit à Éliphaz(6)Ibn-Tibbon ajoute ורעיו, et à ses amis, ce qui ne se trouve ni dans le texte arabe, ni dans la version d’Al-’Harîzi; et en effet, dans le texte du livre de Job, XLII, 7, les paroles de Dieu ne s’adressent qu’à Éliphaz seul.: car vous n’avez pas parlé convenablement de moi comme mon serviteur Job (42, 7), les docteurs, pour justifier cela(7)C’est-à-dire, pour justifier cette allocution que Dieu adresse à Éliphaz. Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots על זה מן הדברים ההם sont une double traduction des mots arabes ען דׄלך; les mss. n’ont pas על זה. La version d’Al-’Harîzi porte: כדי לנקותו מזה החטא, ce qui est un pur contre-sens, car l’auteur ne veut pas parler de la justification de Job., disent: «L’homme n’est pas responsable quand il souffre(1)Talmud, ibidem, fol. 16 b. Selon le Talmud, les paroles que Dieu adresse à Éliphaz auraient ce sens que Job, accablé de douleur, ne pouvait être rendu responsable des plaintes qu’il proférait, tandis que ses amis étaient coupables pour avoir prétendu justifier Dieu. Job du moins laissait la question intacte; tandis que ses amis prétendaient la résoudre par des argumentations erronées.», c’est-à-dire qu’il (Job) était excusable à cause de ses violentes souffrances. Mais de telles paroles ne cadrent pas avec toute cette parabole(2)C’est-à-dire, ce que les docteurs disent pour expliquer les paroles adressées par Dieu à Éliphaz, ne s’adapte pas bien à l’ensemble de la parabole du livre de Job. En effet, selon Maïmonide, le personnage de Job a dans cette parabole un rôle philosophique bien déterminé; il ne se borne pas à proférer des plaintes que lui arrache la douleur, mais il professe sur la Providence une opinion bien réfléchie et qui est condamnable au point de vue de la religion. L’auteur cherche donc à expliquer autrement que les docteurs le sens de ces mots: «car vous n’avez pas parlé convenablement de moi comme mon serviteur Job.». La cause (du discours en question) n’est autre que celle que je vais t’exposer(3)Mot à mot: la cause de cela; c’est-à-dire, la cause du discours adressé par Dieu à Éliphaz.: C’est que Job était revenu de cette opinion extrêmement erronée et en avait lui-même démontré la fausseté. Ce n’était là qu’une opinion qui surgit de prime abord, surtout chez un homme frappé de malheurs et intimement convaincu de son innocence, et c’est ce que personne ne contestera; c’est pourquoi cette opinion est attribuée à Job. Cependant celui-ci ne proférait tous ces discours que tant qu’il était dans l’ignorance et qu’il ne connaissait Dieu que par tradition, comme le connaît la foule des hommes religieux; mais dès qu’il eut de Dieu une connaissance certaine, il reconnut que la vraie félicité, qui consiste dans la connaissance de Dieu, est réservée à tous ceux qui le connaissent(4)Le suffixe dans ערפה se rapporte à אלאלאה, Dieu. Quelques mss. ont incorrectement ערפהא avec le suffixe féminin, et de même les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont שידעה, tandis que les mss. de cette version ont שידעהו. Ibn-Tibbon ajoute dans cette phrase les mots בלא ספק, sans doute, dont nous ne trouvons l’équivalent dans aucun des mss. arabes. Le mot ממנו, à la fin de la phrase, est une simple faute d’impression, et ne se trouve pas dans les mss. Al-’Harîzi traduit exactement: שהיא מזומנת לכל מי שידעהו., et qu’aucune de toutes ces calamités ne saurait la troubler chez l’homme. Ces félicités imaginaires, comme la santé, la richesse, les enfants, Job les avait considérées comme but, tant qu’il ne connaissait Dieu que par tradition et non par la réflexion; c’est pourquoi il tomba dans tous ces égarements et proféra ces discours (blâmables). Tel est le sens de ces paroles: Je n’avais fait qu’entendre parler de toi, mais maintenant mon œil t’a vu; c’est pourquoi je rejette (tout cela) et je me repens de la poussière et de la cendre (XLII, 5, 6). Ces mots doivent se compléter ainsi suivant le sens: «C’est pourquoi je méprise tout ce que j’avais désiré autrefois, et je me repens d’avoir été dans la poussière et la cendre(1)C’est-à-dire, de m’être attaché aux choses matérielles de la vie humaine et d’avoir formé là-dessus mon jugement. Moïse de Narbonne et les autres commentateurs pensent avec raison que Maïmonide entend ces paroles de Job dans un sens moral, et que les mots poussière et cendre signifient ici la nature; il en est de même de ce passage du prologue: et il était assis sur la cendre. Cette explication s’accorde parfaitement avec le sens allégorique que Maïmonide, dans le chapitre précédent, prête à tout le prologue. Cf. Samuel ibn-Tibbon, traité Yikkawou ha-maïm, chap. 25, p. 101.;» car c’est cette situation qu’on lui attribue (en disant): Et il était assis dans la cendre (II, 8). C’est donc à cause de ce discours final, qui indique la perception vraie, qu’il est dit de lui immédiatement après: car vous n’avez pas parlé convenablement de moi comme mon serviteur Job.", "L’opinion d’Éliphaz sur cet événement est également une des opinions professées sur la Providence. Selon lui, en effet, tous les malheurs qui avaient frappé Job, il les avait mérités; car il avait commis des péchés qui lui avaient mérité ce sort(2)Cette opinion est celle que l’auteur a présentée plus haut comme l’opinion orthodoxe généralement admise par les prophètes et les docteurs d’Israël. Voy. ch. XVII, 5e opinion.. C’est là ce qu’il dit à Job: Ton impiété n’est-elle pas grande, tes iniquités ne sont-elles pas sans fin (XXII, 5)? Ailleurs il dit à Job: «Les bonnes actions et la conduite vertueuse sur lesquelles tu le fies(1)Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots שאתה חושב אותו ונשען עלין sont une double traduction du verbe תעתמרה; Al-’Harîzi traduit: כי זה אשר היית סומך עליו. ne font pas que tu sois nécessairement un homme parfait devant Dieu, de manière que tu ne puisses être puni: Certes, il n’a pas confiance en ses serviteurs, il trouve des défauts même dans ses anges. Qu’en sera-t-il de ceux qui habitent dans des maisons d’argile, qui ont leur fondement dans la poussière (IV, 18-19)?» Éliphaz ne cesse de répéter cette pensée(2)Mot à mot: de tourner en cercle vers ce but, expression qu’Ibn-Tibbon a affaiblie en traduisant מלכת בזה הדרך. Al-’Harîzi traduit plus exactement: ולא חדל אליפז לסבב סביב זה הענין.; je veux dire qu’il croit que tout ce qui arrive à l’homme, il a dû le mériter, mais que les fautes par lesquelles nous méritons le châtiment échappent à notre perception, et (que nous ignorons) de quelle manière elles nous ont valu le châtiment.", "L’opinion de Bildad le Schouhite sur cette question est celle qui admet la compensation(3)Cette opinion, comme on l’a vu au chap. XVII, p. 128 et ib., n. 4, est celle des Mo’tazales et de certains docteurs juifs d’entre les Karaïtes et les gueônim.. En effet, il dit à Job: «Ces grands malheurs, si toutefois tu es pur et que tu n’aies pas commis de péché, ont pour raison de te faire mériter une récompense d’autant plus grande; et certes tu auras la plus belle compensation(4)La forme verbale סתעוץׄ a ici évidemment le sens passif ou neutre, et il aurait été plus régulier de dire ; peut-être faut-il prononcer , pour .. Tout cela est donc un bien pour toi, c’est afin que le bonheur dont tu jouiras à l’avenir soit d’autant plus grand.» Tel est le sens de ces paroles qu’il adresse à Job: Si tu es pur et juste, certes il veillera sur toi et fera prospérer ta demeure de justice; et si ton commencement a été chétif, ton avenir sera très-prospère (VIII, 6 et 7). Tu sais que cette opinion sur la Providence est très-répandue, et nous l’avons déjà exposée.", "L’opinion de Sophar le Naamathite est celle qui admet que tout dépend de la seule volonté de Dieu, qu’il ne faut chercher aucune raison dans les actions divines, et qu’il ne faut point demander pourquoi il a fait telle chose ou telle autre chose(1)Dans tous les mss. arabes on lit ולא למא פעל הדׄא, ni pourquoi il a fait telle (autre) chose. Ibn-Tibbon traduit inexactement: ולמה לא עשה זה; la version d’Al-’Harîzi renferme la même inexactitude.. C’est pourquoi, dans tout ce que fait Dieu, il ne faut chercher ni une raison de justice, ni une exigence de sa sagesse, car il est de sa grandeur(2)Ibn-Tibbon rend inexactement le mot עטׄמתה par עצמותו. Al-’Harîzi traduit plus exactement: כי תעצומו ואמתתו יחייבו וגו׳. et de sa véritable essence de faire ce qu’il veut, mais nous sommes incapables de pénétrer dans les secrets de sa sagesse, qui exige qu’il agisse selon sa volonté et sans aucune autre raison(3)On reconnaît dans cette opinion celle des Ascharites. Voir chap. XVII, 3e opinion.. C’est là ce qu’il dit à Job: Puisse Dieu parler et ouvrir ses lèvres pour toi! Il t’annoncerait les secrets de la sagesse; car il y a là doublement de quoi t’instruire(4)Il est difficile de dire dans quel sens Maïmonide interprète les mots כי כפלים לתושיה, qui ont été si diversement expliqués par les commentateurs anciens et modernes, et dont le sens le plus naturel paraît être celui-ci: car elle est infiniment plus grande que ta sagesse et ton raisonnement vulgaire. Les anciens commentateurs juifs prennent généralement le mot תושיה dans le sens de Tora, doctrine ou instruction, et c’est dans ce sens que nous l’avons traduit.. Peux-tu trouver l’impénétrable (secret) de la Divinité? Peux-tu pénétrer la perfection du Tout-Puissant (XI, 5, 6, 7)?", "Tu vois, par conséquent, si tu y réfléchis, comme cette histoire, qui a tant troublé les hommes, a été (sagement) disposée, de manière à amener les différentes opinions sur la Providence que nous avons précédemment exposées(1)Littéralement: vois et réfléchis comment a été établie cette histoire qui a troublé les hommes et les a conduits aux opinions que nous avons précédemment exposées sur la Providence de Dieu à l’égard des créatures.. On y présente chacune de ces opinions à part(2)Mot à mot: on mentionne tout ce qu’exigeait la division ou la classification; c’est-à-dire, on parcourt les différentes opinions qui peuvent exister sur cette question de la Providence. — Le mot ודׄכר qu’Ibn-Tibbon a considéré comme un nom d’action et qu’il a traduit par וזכרון, doit être prononcé comme prétérit passif ., et on l’attribue à un des hommes de l’antiquité, célèbres par la vertu et la science(3)Ibn-Tibbon a supprimé dans sa version le mot ואלעלם, et la science; selon Ibn-Falaquéra, il l’aurait fait avec intention, parce qu’il est dit au chap. précédent (p. 163) que Job n’était pas un homme de science. Voy. Append. du Moré ha-Moré, p. 157: ויש מקשים ממה שנאמר בחשיבות ובחכמה כי למעלה שלל ממנו (lis. בזה הפרק (בפרק כ״ג החכמה והסיר מלת חכמה מההעתקה והיא מצואה בערבי אלפצׄל ואלעלם. Ibn-Falaquéra cherche à justifier Maïmonide de cette contradiction apparente, en disant qu’au chap. précédent on veut parler de la science spéculative que Job ne possédait point, tandis qu’ici il s’agit seulement de la sagesse pratique et de la morale. Cette distinction subtile nous paraît superflue; car dans notre passage il s’agit, non-seulement de Job, mais aussi et surtout de ses amis et interlocuteurs, que l’on présente comme des hommes possédant une science réelle. Al-’Harîzi ne s’est point arrêté à la difficulté signalée par Ibn-Falaquéra; il traduit: וסמכו הכל לאחד מגדולי הדור חכם וחסיד., si toutefois c’est une parabole; ou bien même ils ont pu réellement parler ainsi, si c’est une histoire vraie. Ainsi, l’opinion attribuée à Job est conforme à celle d’Aristote; l’opinion d’Eliphaz, à celle de notre religion; l’opinion de Bildad correspond à la doctrine des Motazales; enfin l’opinion de Sophar correspond à la doctrine des Ascharites. Ce sont là les opinions anciennes sur la Providence. ", "Tu vois ensuite une nouvelle opinion qui est celle attribuée à Elihou. C’est pourquoi(1)C’est-à-dire, pour justifier l’intervention de ce nouvel interlocuteur, quand le débat est tellement épuisé que Bildad ne sait plus que répéter quelques lieux communs (ch. xxv) et que Sophar est entièrement réduit au silence. ce dernier est réputé supérieur à ceux-là(2)C’est-à-dire, à Job et à ses trois amis. Les mss. ont généralement: פצׄל ענדהם; de même Ibn-Tibbon: שובח אצלם, et Al-’Harîzi: נכבד בעיניהם. Le ms. de Leyde, n° 221, a פצׄל עליהם, et c’est dans ce sens que nous avons traduit. Un des mss. de la Biblioth. imp. (ancien fonds, n° 230) porte: פצל ענהם; suivant cette leçon, qui est peut-être préférable, il faudrait traduire: c’est pourquoi il est séparé ou distingué d’eux., et on déclare que, bien qu’il fût le plus jeune parmi eux, il les surpassait en science. Il commence par réprimander(3)Le verbe arabe est rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par les deux verbes לכהות ולגעור; le premier de ces deux verbes, qu’il faut prononcer לכַהוׄת, vient de כִהָה, I Sam., 3, 13. Job, qu’il taxe de sottise pour avoir montré de l’orgueil et pour s’être étonné des malheurs qui l’ont frappé, quoiqu’il n’eût fait que le bien; car il s’était longuement vanté de ses actions. Ensuite il taxe également de radotage(4)Le verbe signifie avoir l’esprit affaibli par la vieillesse ( Comment. sur Hariri, p. 133), et à la IIe forme dire que quelqu’un divague par la vieillesse. C’est pourquoi Ibn-Tibbon traduit: וכן אמר על שלשת רעיו שנפסד דעתם על רוב זקנתם. Au lieu de פנד , Ibn-Falaquéra lisait קיד , et il traduit: קבץ דעות חכיריו. Voy. Append. du Moré ha-Moré, p. 157. Cette variante s’explique par une copie écrite en caractères arabes. Al-’Harîzi avait peut-être la même variante; il traduit: וכן זכר סברות שלשת רעיו. Les mots פי אלענאיה̈, sur la Providence, manquent dans quelques mss., et n’ont été exprimés ni par Ibn-Tibbon, ni par Al-’Harîzi. l’opinion des trois amis de Job sur la Providence, et il se sert d’expressions si singulièrement énigmatiques, que le lecteur, en considérant ses paroles, s’étonne d’abord, croyant qu’il n’ajoute absolument rien à ce qu’avaient dit Eliphaz, Bildad et Sophar, et qu’au contraire il ne fait que répéter leurs idées par d’autres termes et avec plus de développement. En effet, il ne fait autre chose que réprimander(1)Au lieu de תוניב, quelques mss. ont תוביךׄ, qui a le même sens; Ibn-Tibbon a encore ici deux mots: הכהוי והגערה. Cf. p. 181, n. 3. Job, décrire la justice divine et les merveilles de l’univers et (proclamer) que Dieu n’est affecté ni par la vertu de l’homme pieux, ni par le péché de l’impie(2)C’est-à-dire, que Dieu ne tire aucun avantage de la vertu des hommes, et que leurs péchés ne l’atteignent point. Voy. Job, chap. XXXV, v. 6 et 7: Si tu pèches, quel mal fais-tu à lui? Si tes crimes sont nombreux, quel mal en reçoit-il? Si tu es vertueux, que lui donnes-tu, ou que reçoit-il de ta main? Les mots לא יבאלי signifient proprement: il ne fait pas attention ou il ne se préoccupe pas; mais ce n’est pas là ce que l’auteur veut dire, car Élihou admettait au contraire que Dieu se préoccupe des actions humaines, qu’il récompense l’homme pieux et punit le pécheur. C’est donc avec intention, je crois, qu’Ibn-Tibbon traduit ces mots par לא ירגיש, il ne sent pas ou il ne s’aperçoit pas, c’est-à-dire que le bien ou le mal que fait l’homme n’agissent pas sur l’essence divine. Ibn-Falaquéra, trouvant cette expression trop matérielle (וליחס לו יה׳ הרגשה אינו נכון, l. c.), préfère traduire: לא ישית לב; mais ces mots ont l’inconvénient de ne pas rendre exactement la pensée de l’auteur, pas plus que les mots לא יחוש qu’emploie Al-’Harîzi.; mais toutes ces choses, les amis de Job les avaient déjà dites. Cependant, en y réfléchissant, tu comprendras l’idée nouvelle qu’il y a apportée et qui était son but, idée qu’aucun d’eux n’avait exprimée auparavant. Avec cette idée pourtant il a répété tout ce que ceux–là avaient dit, de même qu’eux tous, Job et ses trois amis, répètent chacun l’idée exprimée par les autres, comme je te l’ai déjà dit; et cela a pour but de cacher ce que l’opinion personnelle de chacun a de particulier, de manière qu’il semble au vulgaire qu’ils se rencontrent tous dans une seule et même opinion, quoiqu’il n’en soit pas ainsi. L’idée qu’ajoute Elihou et qu’aucun d’eux n’avait exprimée, c’est celle qu’il présente allégoriquement par l’intercession d’un ange. C’est, dit-il, une chose attestée et bien connue, que lorsqu’un homme est malade à la mort et qu’on désespère de lui, s’il a un ange, n’importe lequel, qui intercède pour lui(1)C’est-à-dire, si, par l’effet de la Providence divine, une force quelconque de la nature lui vient en aide. On a déjà vu que le mot ange désigne souvent les forces émanant des sphères célestes et toutes les forces physiques. Voy. tome II, chap. VI, p. 70 et suiv., l’intercession de ce dernier sera agréée, le malade se rétablira(2)Littéralement: sa chute sera relevée, ou mieux il sera relevé de sa chute. Sur cette expression, voy. le tome II, p. 215, note 1., sera sauvé et reviendra au meilleur état possible. Cependant, cela ne peut pas se continuer toujours, et il ne peut y avoir d’intercession continuelle, à tout jamais, mais seulement deux ou trois fois(3)C’est-à-dire, la nature peut vaincre la maladie et sauver l’homme deux ou trois fois; mais il est mortel et finira par succomber.. C’est là ce qu’il dit: S’il a un ange qui intercède pour lui etc. (XXXIII, 23); et, après avoir décrit l’état progressif du convalescent et la joie que lui cause son retour à la parfaite santé(4)Au lieu de כמאל, quelques mss. ont חאל, et de même Ibn-Tibbon אל ענין הבריאות, à l’état de santé., il ajoute: Tout cela, Dieu le fait deux ou trois fois pour l’homme (ibid., v. 29).— C’est là une idée qui n’est exposée que par Elihou seul; mais ce qu’il ajoute en outre, avant (d’exprimer) cette idée, c’est qu’il commence par décrire(5)Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots כונה אפתתח sont inexactement rendus par מה שאמר. Al-’Harîzi traduit: והוסיף כי החל קודם זה הענין לספר איכות הנבואה.—En faisant ressortir, dans les discours d’Élihou, les deux points dont il vient d’être parlé, à savoir la manière dont Dieu sauve souvent l’homme d’un mal imminent et la manière dont arrive à l’homme l’inspiration prophétique, l’auteur paraît vouloir indiquer que l’opinion d’Élihou est conforme à la sienne propre, d’après laquelle l’individu humain est seul l’objet de la providence particulière de la Divinité. Voy. ci-dessus, chap. XVII, p. 129 et suiv., où l’auteur établit que l’homme seul, qui participe plus ou moins de l’épanchement de l’intelligence divine, participe dans la même mesure de la Providence divine. comment arrive l’inspiration prophétique, en disant: Car Dieu parle une fois, deux fois, sans que l’on y fasse attention. Dans un songe, une vision nocturne, lorsqu’un profond sommeil pèse sur les hommes etc. (ibid., v. 14 et 15). Ensuite il confirme cette opinion(1)C’est-à-dire, son opinion concernant la Providence divine, et qui, selon l’auteur, résulte des passages qu’il vient de citer., et pour montrer de quelle manière il faut l’entendre, il décrit une série de phénomènes physiques, tels que le tonnerre, la foudre, la pluie, le souffle des vents. Il y mêle aussi beaucoup de choses concernant les êtres vivants, en parlant par exemple de l’irruption de la peste; en un instant ils meurent au milieu de la nuit etc. (XXXIV, 20), de grandes guerres qui éclatent: Il brise des puissants sans nombre, et il met d’autres à leur place (ibid., v. 24), et de beaucoup d’autres choses semblables(2)On ne voit pas bien la liaison de ces derniers passages avec ce qui précède, et, en général, l’auteur s’exprime sur l’opinion qu’il attribue à Élihou d’une manière très-obscure. Ici, ce me semble, il attribue à Élihou l’opinion qu’il a développée plus haut (chap. XII) sur les différents maux qui frappent les hommes, et qui semblerait contredire ce qui a été dit sur la Providence veillant sur les individus humains; il montre qu’Élihou pense, comme lui-même, que ces maux, inhérents à la matière ou à la nature humaine, n’arrivent à l’individu que d’une manière exceptionnelle et sont un bien pour l’ensemble de l’humanité. Par les exemples de la peste et de la guerre, l’auteur fait allusion, je crois, à la première et à la deuxième espèce de maux dont il a parlé au chap. XII. Comme solution finale du problème, ainsi qu’on va le voir, l’auteur établit que nous ne saurions nous former une idée juste de la Providence divine, du régime divin et de la science divine; car nous en jugeons par le régime humain, tandis que ce n’est que par simple homonymie que régime, science, et beaucoup d’autres choses se disent à la fois de Dieu et de nous, bien que les deux choses soient totalement et essentiellement différentes..", "Tu trouveras de même que, dans la révélation qu’eut Job(3)C’est-à-dire, dans la théophanie qui termine le livre de Job (chap. XXXVIII à XLI)., et par laquelle il devint clair pour lui qu’il s’était trompé dans tout ce qu’il s’était imaginé, on ne fait constamment que décrire les choses physiques, soit les éléments, soit les météores, soit la nature de différentes espèces d’animaux, pas autre chose. Si on y parle aussi des régions éthérées, des cieux, de l’Orion, des Pléiades, c’est à cause de leur influence sur notre atmosphère; car tous les objets sur lesquels Dieu appelle l’attention de Job n’appartiennent qu’au monde sublunaire. C’est ainsi qu’Elihou aussi tire ses avertissements des différentes espèces d’animaux: Il nous instruit, dit-il, par les animaux de la terre, il nous rend sages par les oiseaux du ciel (XXXV, 11). Dans ce discours (de Dieu), on s’étend principalement sur la description du Leviathan, qui est un assemblage de propriétés corporelles diverses, appartenant aux animaux qui marchent, qui nagent ou qui volent(1)Selon l’auteur, le mot לויתן, venant de la racine לוה, joindre, unir, désignerait un monstre imaginaire, réunissant les formes animales les plus diverses. — Par toutes ces choses on veut dire que nos intelligences n’arrivent pas à comprendre comment sont nées ces choses physiques existant dans le monde de naissance et de corruption(2)C’est-à-dire, dans le monde sublunaire, où tout naît et périt tour à tour.,ni à concevoir quelle est l’origine de la force physique existant dans elles. Ce ne sont pas là des choses qui ressemblent à ce que nous faisons, nous autres; et comment pourrions-nous vouloir établir une comparaison entre la manière dont Dieu les gouverne et en a soin, et la manière dont nous gouvernons et soignons ce qui est confié à notre gouvernement et à nos soins? En effet, il convient de nous arrêter à ce peu (que nous en savons) et de croire que rien ne saurait être caché à Dieu, comme dit Elihou: Car il a les yeux sur les voies de l’homme et il voit tous ses pas. Il n’y a pas de ténèbres, pas d’obscurité, où les artisans d’iniquité puissent se cacher (XXXIV, 21-22). Mais l’idée de la Providence de Dieu n’est pas la même que celle de la nôtre(3)C’est-à-dire, le mot providence, providentia, appliqué à Dieu, n’a pas le même sens que lorsqu’il s’applique à notre prévoyance et aux soins que nous prenons d’une chose. Voy. ci-dessus, p. 154, note 1., et l’idée du régime dont les créatures sont l’objet de la part de Dieu n’est pas la même que celle du régime que nous exerçons; ces deux (choses respectives) ne rentrent pas sous une même définition, comme on le croit par égarement, et n’ont rien de commun que le seul nom, de même que notre action et celle de Dieu ne se ressemblent point et ne rentrent pas sous une même définition. De même que les œuvres de la nature diffèrent des œuvres de l’art, de même le régime divin, la Providence divine, l’intention divine, dont ces choses physiques sont l’objet, diffèrent de notre régime humain, de notre prévoyance et de notre intention à l’égard des choses qui en sont l’objet.", "Le livre de Job tout entier a pour but d’établir cet article de foi et d’appeler l’attention sur les preuves qu’on peut déduire des choses physiques, afin que tu ne te trompes pas et que tu ne veuilles pas, dans ton imagination, établir une comparaison entre la science de Dieu et la nôtre, ou (croire) que l’intention, la Providence et le régime de Dieu, ressemblent à notre intention, à notre prévoyance, à notre régime. L’homme qui se sera pénétré de cela supportera facilement toute calamité. Les malheurs ne le feront plus douter de Dieu, et (il ne se demandera plus) si Dieu en a connaissance ou non, s’il a soin (de l’homme) ou s’il l’abandonne; au contraire, ils lui inspireront plus d’amour, comme il est dit à la fin de cette révélation: C’est pourquoi je rejette tout cela et je me repens de la poussière et de la cendre(1)Sur la manière dont l’auteur interprète ce passage, voy ci-dessus, p. 177, et ibid., note 1., et comme s’expriment les docteurs: «Ceux qui pratiquent (les devoirs) par amour de Dieu et supportent les souffrances avec joie, etc.(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Schabbath, fol. 88 b.» ", "Si tu considères tout ce que je viens de dire avec l’attention qu’exige la lecture de ce traité, et si ensuite tu examines le livre de Job, tu en comprendras le sens, et tu trouveras que j’en ai résumé toutes les idées, ne laissant de côté que ce qui est un simple ornement du style et ne sert qu’à achever l’allégorie(1)Littéralement: Et il n’en est excepté que ce qui arrive dans l’ordre ou l’ensemble du discours et dans la suite de l’allégorie. Voy. à la fin du chap. précédent, p. 171, note 2., comme je te l’ai exposé plusieurs fois dans ce Traité." ], [ "L’idée de l’épreuve(2)L’auteur explique dans ce chapitre les passages bibliques qui semblent dire que Dieu, par les maux qu’il inflige à l’homme, a quelquefois pour but de le mettre à l’épreuve. est également très-obscure et forme une des plus grandes difficultés de la religion. La Loi en parle dans six passages, comme je te l’exposerai dans ce chapitre(3)Les six passages, comme on le verra, sont: Genèse, chap. XXII, v. 1; Exode, chap. XVI, v. 4; chap. XX, v. 17; Deutéronome, chap. VIII, v. 2 et 16; chap. XIII, v. 4.. ", "Quant à la manière dont le vulgaire entend généralement l’idée de l’épreuve, — à savoir, que Dieu envoie des calamités à un homme, sans que celui-ci ait commis aucun péché et afin de lui accorder une récompense d’autant plus grande, — c’est là un principe qui n’est mentionné expressément par aucun texte de la Loi, et, parmi les six passages du Pentateuque, il n’y en a qu’un seul qui, pris à la lettre, puisse faire croire une pareille chose(4)Les mots מא יוהם טׄאהרה signifient dont le sens littéral puisse faire croire ou soupçonner. La version d’Ibn-Tibbon, מה שיַראה פשוטו, manque d’exactitude; la version d’Al-’Harîzi est ici peu intelligible, elle porte: פשט שיספק לנו זה הענין. — Le passage auquel l’auteur fait allusion et qu’il expliquera plus loin est celui du Deutéronome, ch. VIII, v. 16, où on lit les mots להיטיבך באחריתך, pour te faire du bien dans l’avenir.; j’en expliquerai plus loin le sens. Cette opinion se trouve même en opposition avec celle que la Loi pose en principe; car il est dit: un Dieu de vérité et sans iniquité (Deutér., 32, 4). ", "Cette opinion vulgaire n’est pas non plus admise par tous les docteurs; car il y en a qui disent: «pas de mort sans péché, pas de châtiment sans crime(1)Voy. ci-dessus, chap. XVII, p. 126-128, où l’auteur, après avoir cité ce passage et quelques autres analogues, parle aussi de ceux qui admettent les châtiments d’amour, ou des peines qui sont infligées à l’homme, non pour avoir péché auparavant, mais afin que sa récompense future soit d’autant plus grande..» C’est, en effet, cette dernière opinion que doit admettre tout homme religieux doué d’intelligence, et il ne doit pas attribuer à Dieu l’injustice, de manière à croire que Zeid est pur de tout péché, qu’il est un homme parfait et qu’il n’a point mérité ce qui lui est arrivé. ", "Quant aux épreuves, que le Pentateuque mentionne dans les passages en question, elles ont pour objet, en apparence, de faire une expérience et une enquête, afin de connaître le degré(2)Ibn-Tibbon a omis ici le mot קדר, mesure, valeur, degré; immédiatement après, il rend le même mot par יכולת, tandis qu’il faudrait le traduire par שיעור. Al-’Harîzi traduit très-inexactement: כדי שתחזק אמונת האיש ההוא או האומה ותכלית צדקתו. Quant au verbe יעלם, il faut le prononcer au passif . Ibn-Tibbon le traduit à l’actif, en ajoutant le sujet עד שידע השם ית׳. de foi de tel homme ou de telle nation, ou le degré de sa piété. Mais c’est là précisément la grande difficulté(3)C’est-à-dire, il est bien difficile d’interpréter les six passages dans le sens qui vient d’être indiqué; car cela supposerait que Dieu a besoin d’une enquête pour connaître la vérité, et que sa science peut subir un changement., et particulièrement dans l’histoire du sacrifice d’Isaac qui n’était connu que de Dieu et des deux personnages(4)Mot à mot: et d’eux deux, c’est-à-dire d’Abraham et d’Isaac. Ici l’expérience et l’enquête ne pouvaient évidemment servir qu’à Dieu seul., à l’un desquels il fut dit(5)Le texte porte: et il fut dit à lui, c’est-à-dire à Abraham. Les mss. de la version d’Ibn-Tibbon ont de même ונאמר לו, tandis que les éditions portent inexactement ונאמר להם.: car maintenant j’ai reconnu que tu crains Dieu (Genèse, 22, 12). Il en est de même de ce passage: car l’Éternel votre Dieu vous éprouve pour savoir si vous aimez etc. (Deutér., 13, 4), et de cet autre passage: pour connaître ce qui était dans ton cœur (ibid., VIII, 2). Je vais maintenant te résoudre toutes ces difficultés.", "Sache que toutes les fois que, dans le Pentateuque, il est question d’une épreuve, celle-ci n’a d’autre but et d’autre objet que de faire connaître aux hommes ce qu’ils doivent faire ou ce qu’ils doivent croire. Par conséquent, l’épreuve consiste, pour ainsi dire, dans l’accomplissement d’un certain acte où l’on n’a pas en vue cet acte en lui-même, lequel au contraire n’est proposé que comme exemple que l’on doit suivre et prendre pour modèle. Ainsi donc, quand il est dit: pour savoir si vous aimez etc. (Deutér., 13, 4), cela ne signifie pas: pour que Dieu le sache, car lui il le savait déjà; mais cela ressemble(1)C’est-à-dire, l’expression לדעת, pour savoir, ne signifie pas «pour que Dieu le sache», mais «pour que l’on sache», comme dans le verset de l’Exode, XXXI, 13. — Au lieu de בל דׄלך, plusieurs mss. ont בדׄלך, et de même Ibn-Tibbon (mss.): בי זה הוא כבר ידעו כאמרו וגו׳; mais le sens exige ici évidemment la conjonction בל, mais. à cet autre passage: pour savoir que je suis l’Éternel qui vous sanctifie (Exode, 31, 13). Là(2)C’est-à-dire, dans le passage de l’Exode., le sens est: pour que les nations sachent; et de même il dit ici: «S’il s’élève un homme qui s’arroge la prophétie et que vous voyiez ses prestiges(3)Le mot (nom d’action de la IVe forme de ) désigne une manière de parler ou d’agir, qui a pour but de faire admettre comme vrai ce qui n’est qu’une insinuation. Ibn-Tibbon met simplement אותותיו, ses signes, se reportant au passage du Deutéronome: ונתן אליך אות או מופת. qui font croire qu’il dit vrai, vous saurez que c’est là une chose par laquelle Dieu aura voulu faire connaître aux nations à quel point vous êtes pénétrés de sa Loi, combien vous êtes capables de comprendre le véritable être de Dieu, que vous ne vous laissez pas tromper par la fourberie d’un imposteur, et que votre foi en Dieu n’est pas ébranlée; et cela servira de point d’appui à tous ceux qui aspirent à la vérité, de manière qu’ils chercheront des croyances qui soient assez solides pour qu’en leur présence on n’ait plus aucun égard au faiseur de miracles(1)C’est-à-dire: les gentils, voyant la foi inébranlable des Hébreux, la prendront pour modèle et auront des convictions solides contre lesquelles échoueront tous les prétendus miracles produits par les faux prophètes. — Les mots , que nous avons traduits: au faiseur de miracles, signifient proprement: à celui qui lutte par le miracle, c’est-à-dire qui s’efforce de convaincre par le miracle. מתחד est le participe de la Ve forme du verbe , que les Dictionnaires expliquent par pugnavit, certavit in aliqua re peragenda. Ibn-Tibbon traduit: ל עשיית מופת, et Al-’Harîzi: למפתה במעשה נס; Ibn-Falaquéra (Append. du Moré ha-Moré, p. 157) blâme avec raison ces deux traductions, et propose de traduire: ל מתגבר במופת, à celui qui cherche à vaincre par le miracle.. En effet, celui-ci inviterait à croire ce qui est impossible(2)Mot à mot: c’est un appel ou une invitation aux choses impossibles; c’est-à-dire: le faux prophète, en proclamant l’existence de plusieurs dieux, inviterait à croire des choses dont l’impossibilité est démontrée; tous ses miracles ne peuvent faire que le mensonge soit la vérité, car le miracle ne peut servir qu’à confirmer une chose possible. — Le mot דעא, qu’Ibn-Tibbon prend pour un nom d’action et qu’il traduit par קריאה, a été traduit par Al-’Harîzi dans le sens du prétérit : כי הוא קורא להאמין בנמנע. Peut-être Al-’Harîzi avait-il ידעו, à l’aoriste, comme l’a en effet un de nos mss. Le mot , que nous avons traduit par s’appuyer, signifie proprement vaincre, l’emporter. Voir la note précédente.; mais il ne peut être utile d’avoir recours au miracle que lorsqu’on proclame quelque chose de possible, comme nous l’avons exposé dans le Mischné Tôrâ(3)Voy. traité Yesodé ha-Tôrâ, chap. VIII.. ", "— Puis donc qu’il est évident que l’expression לדעת, pour savoir, signifie ici: afin que les hommes sachent, il en sera de même de ce qui est dit au sujet de la manne: afin de t’humilier et de t’éprouver, pour connaître ce qui était dans ton cœur, si tu observerais ses commandements ou non (Deutér., 8, 2), c’est-à-dire pour que les peuples le sachent et qu’il soit publié dans le monde entier que ceux qui se consacrent au culte de Dieu reçoivent leur nourriture d’une manière inattendue. C’est exactement dans le même sens que, là où on parle pour la première fois de la chute de la manne, il est dit: afin que je l’éprouve pour savoir s’il se conduira d’après ma loi ou non (Exode, 16, 4); ce qui veut dire, afin que chacun y puise une leçon et qu’il voie s’il est utile de se consacrer au culte de Dieu et si cela est suffisant, ou non. Quant à ce qui est dit au sujet de la manne une troisième fois: Celui qui te nourrit, dans le désert, de la manne que tes pères n’avaient point connue, afin de t’humilier et de t’éprouver, pour te faire du bien dans l’avenir (Deutér.,8, 16), ce passage pourrait faire croire que Dieu afflige quelquefois l’homme pour que celui-ci obtienne ensuite une récompense d’autant plus grande; mais, en réalité, il n’en est point ainsi. Ce passage exprime plutôt l’une des deux idées suivantes: 1° l’idée répétée au sujet de la manne dans le premier et dans le second passage, c’est-à-dire afin qu’on sache s’il suffit, ou non, de se consacrer à Dieu pour avoir la nourriture et pour être à l’abri des fatigues et des peines; ou bien 2° le mot נסותך signifierait ici t’accoutumer, sens que le même verbe a dans ce passage: Qui n’a point été accoutumée (נׅסְּתָה) à placer la plante de son pied etc. (ibid., XXVIII, 56), de sorte qu’on aurait dit ici: Dieu vous a d’abord accoutumés à la peine dans le désert afin que vous jouissiez d’un bien-être plus grand quand vous serez entrés dans le pays (de Canaan); et cela est vrai, car il est plus doux de passer de la peine au repos que d’être toujours dans le repos. On sait aussi que, s’ils n’avaient pas subi la misère et la peine dans le désert, ils n’auraient pas pu conquérir le pays, ni combattre; ce que le Pentateuque dit expressément: car Dieu disait: le peuple pourrait se repentir en voyant la guerre et retourner en Égypte. Dieu fit donc dévier le peuple du côté du désert, vers la mer Rouge (Exode, 13, 17 et 18). En effet, le bien-être fait disparaître la vaillance, tandis que les privations et les fatigues l’engendrent, et c’est là le bien que le passage en question leur promet dans l’avenir. ", "Quant à ce passage: car Dieu est venu pour vous éprouver (Exode, 20, 17), il a le même sens que celui du Deutéronome, où l’on dit, au sujet de celui qui prophétise au nom d’un faux dieu: car l’Éternel votre Dieu vous éprouve (Deutér., 13, 4), ce dont nous avons déjà expliqué le sens. Ici donc, dans la scène du mont Sinaï, il leur dit: Ne craignez rien, car ce grand spectacle que vous avez vu a eu lieu uniquement pour que vous pussiez, par votre propre vue, acquérir une conviction certaine, et afin que, si l’Éternel votre Dieu, pour publier votre grande foi, vous éprouvait par un faux prophète qui vous invitât à renverser ce que vous avez entendu, vous restassiez fermes, sans broncher(1)Mot à mot: et que vos pieds ne glissassent pas.; car si je m’étais présenté à vous comme prophète, ainsi que vous le vouliez(2)Les mots כמא זעמתם, qu’Ibn-Tibbon n’a pas rendus, semblent se rapporter à ce passage de l’Exode (20, 10): Parle, toi, avec nous, et nous écouterons, et que Dieu ne parle point avec nous, de peur que nous ne mourions., et si je vous eusse rapporté ce qui m’aurait été dit, sans que vous l’eussiez entendu vous-mêmes, il se pourrait que vous réputassiez vrai ce qui vous serait rapporté par un autre, quand même il viendrait renverser ce que j’aurais annoncé, puisque vous ne l’auriez pas entendu vous-mêmes dans ce spectacle.", "Quant à l’histoire d’Abraham relative au sacrifice d’Isaac, elle renferme deux grandes idées qui sont fondamentales dans la religion. La première, c’est de nous faire savoir jusqu’à quelle limite doivent s’étendre l’amour et la crainte de Dieu. Il fut ordonné (à Abraham) de faire une chose à laquelle on ne saurait comparer ni sacrifice d’argent, ni même le sacrifice de la vie; c’était bien la chose la plus extraordinaire(3)Sur le sens du mot , voy. tome I, p. 159, note 3, et tome II, p. 217, note 1. qui puisse arriver dans le monde, une de ces choses que la nature humaine ne peut être crue capable d’accepter. Figurez-vous un homme stérile(4)Mot à mot: à savoir qu’un homme soit stérile. Tous les mss. ont רגׄלא עקימא, les deux mots à l’accusatif; je crois qu’il faut prononcer , en considérant le premier de ces deux mots comme sujet du verbe et le second comme énonciatif ou prédicat., animé d’un désir extrême d’avoir des enfants, possédant une grande fortune et de la considération, et désirant que sa race devienne une nation: s’il a un fils, après avoir désespéré d’en avoir, quel amour, quelle passion il aura pour ce fils! Cependant, craignant Dieu et désirant obéir à son ordre, il fait peu de cas(1)Dans la version d’Ibn-Tibbon, le mot בו doit être changé en בזה; Al-’Harîzi traduit ויבז בעיניו זה הבן החמוד. de ce fils chéri, renonce à tout ce qu’il avait espéré de lui et consent à l’immoler après quelques jours de voyage. Et, en effet, s’il s’était empressé de le faire à l’instant même où il en reçut l’ordre, c’eût été un acte d’étourderie et de précipitation, sans trop de réflexion; mais faire une pareille chose plusieurs jours après en avoir reçu l’ordre était un acte qui supposait la pensée et une mûre réflexion, le respect que méritait l’ordre de Dieu, ainsi que l’amour et la crainte de Dieu. Certes, il ne faut point présumer d’autres circonstances, ni supposer (chez Abraham) une impression quelconque(2)C’est-à-dire: il ne faut pas expliquer l’action d’Abraham par une autre circonstance quelconque qui ait pu le guider, ni croire qu’il ait été sous le coup d’une impression quelconque, comme, par exemple, la peur. — Le verbe תדעי qu’on peut prononcer ou (passif de la Ire ou de la VIIIe forme) signifie dans le premier cas invoquer, appeler, et dans le second cas prétendre, présumer; quelques mss. ont תרעי (avec ר) ou יראעי, et, d’après ces leçons, il faudrait traduire le verbe par considérer, avoir égard. Les mots ולא יותׄר אנפעאל בוגׄה signifient littéralement: ni préférer aucunement une impression, c’est-à-dire, ni préferer d’expliquer l’action d’Abraham par une impression qu’il aurait reçue, comme, par exemple, par un sentiment de peur. Ibn-Tibbon traduit: ולא לעורר הפעלות כלל, ce qui est inexact. Ibn-Falaquéra fait observer avec raison qu’Ibn-Tibbon paraît avoir confondu יותׄר avec , aoriste de אתׄאר (IVe forme de la racine ), exciter. Voy. Append. du Moré ha-Moré, p. 157.; car, si notre père Abraham s’empressa de sacrifier Isaac, ce ne fut pas dans la crainte que Dieu ne le fit mourir ou le rendìt pauvre, mais uniquement parce qu’il est du devoir(1)Le verbe תעין signifie ici être prescrit, incomber comme devoir. La traduction d’Ibn-Tibbon, כדי שיתפרסם לאדם מה ראוי לעשותו, ne me paraît pas exacte. Al-’Harîzi traduit: אלא לתורה פשוטה הראויה לבני אדם; il paraît avoir mieux saisi le sens, quoiqu’il s’exprime avec moins de clarté. des mortels d’aimer et de craindre Dieu, abstraction faite de tout espoir de récompense et de toute crainte de châtiment, comme nous l’avons exposé dans plusieurs endroits. Si donc l’ange lui dit: car maintenant j’ai reconnu que tu crains Dieu (Genèse, 22, 12), cela signifie: cet acte, par lequel tu mérites, dans le sens absolu, (l’épithète de) ירא אלהים, craignant Dieu, fera connaître à tous les mortels jusqu’où doit aller la crainte de Dieu. ", "Tu sauras que cette idée a été confirmée et exposée dans la Loi, où l’on dit que l’ensemble de toute la Loi, tout ce qu’elle renferme en faits d’ordres, de défenses, de promesses et de narrations, n’a pour but qu’une seule chose, qui est la crainte de Dieu. Voici les termes: Si tu ne prends garde d’observer toutes les paroles de cette loi qui sont écrites dans ce livre, en craignant ce nom glorieux et redoutable etc. (Deutér., 28, 58). — Telle est l’une des deux idées qu’on a eues en vue dans le (récit du) sacrifice d’Isaac.", "La seconde idée, c’est de nous faire savoir que les prophètes doivent prendre pour réel ce que la révélation leur apporte de la part de Dieu; car il ne faut pas s’imaginer que, cette révélation ayant lieu, comme nous l’avons exposé, dans un songe ou dans une vision, et au moyen de laf aculté imaginative, il s’ensuive que ce que les prophètes entendent ou ce qui leur est présenté dans une parabole puisse ne pas être certain, ou du moins qu’il s’y mêle quelque chose de douteux. On a donc voulu nous faire savoir que tout ce que le prophète voit dans la vision prophétique est pour lui réel et certain, qu’il ne doute de rien de tout cela et qu’il le considère à l’instar de toutes les choses réelles, perçues par les sens ou par l’intelligence. La preuve en est qu’Abraham s’empressa de sacrifier son fils unique qu’il aimait(1)Allusion au verset 2 du chap. XXII de la Genèse., ainsi qu’il lui avait été ordonné, bien que cet ordre lui fût parvenu dans un songe ou dans une vision. Mais si le songe prophétique avait été obscur pour les prophètes, s’il leur était resté quelques doutes ou incertitudes(2)Les mots או שבהה̈ n’ont pas été rendus par Ibn-Tibbon. sur ce qu’ils percevaient dans la vision prophétique, ils ne se seraient pas empressés de faire ce qui répugne à la nature humaine, et Abraham n’aurait pas consenti à accomplir, dans le doute, un acte d’une si haute gravité(3)Les mots אלעטׄים כׄטרה signifient littéralement: dont l’importance est grande; le mot כׄטרה n’a été rendu ni par Ibn-Tibbon, ni par Al-’Harîzi; ce dernier traduit:ולא היתה נמשכת נפשו לעשות זה המעשה הגדול על דבר מסופק. Le mot מספק est hébreu, ex dubio..", "En vérité, il convenait que cet événement, — je veux dire le sacrifice en question, — arrivât par l’intermédiaire d’Abraham et à un homme comme Isaac(4)Tous les mss. ont ופי מתׄל יצחק, et de même Al-’Harîzi a ובאיש כמו יצחק; Ibn-Tibbon traduit inexactement וביצחק. L’auteur veut dire qu’à côté d’Abraham, son unique fils légitime était le plus propre à figurer dans cette histoire.; car notre père Abraham fut le premier à faire connaître l’unité de Dieu et à établir le prophétisme(5)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: ולקיים האמונה; les mss. ont conformément au texte arabe ולקיים הנבואה., de manière à perpétuer cette croyance et à y attirer les hommes, comme il est dit: Car je l’ai distingué, pour qu’il prescrivit à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie de l’Éternel, en pratiquant la vertu et la justice (Genèse, 18, 19). De même donc qu’ils suivaient les opinions vraies et utiles qu’ils avaient entendues de lui, de même on doit suivre les opinions puisées dans ses actes(6)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot הנחלקות est une faute d’impression; il faut lire הנלקחות., et particulièrement dans cet acte par lequel il a affermi le principe fondamental de la vérité de la prophétie(1)C’est-à-dire, le sixième article de foi qui établit la vérité de la prophétie. La version d’Ibn-Tibbon porte: פנת אמונת הנבואה; Al-’Harîzi traduit plus exactement: עיקר אמתת הנבואה. Il est probable qu’Ibn-Tibbon a également écrit אמתת, qui a été changé en אמונת., et par lequel il nous a fait savoir jusqu’où doivent aller la crainte et l’amour de Dieu.", "Telles sont les idées que l’on doit se former des épreuves, et il ne faut pas croire que Dieu veuille éprouver et expérimenter une chose(2)Le mot אמרא, que nous prononçons (une chose), a été rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par אדם (un homme), c’est-à-dire . Al-’Harîzi traduit: ירצה לנסות דבר ולבחון אותו., afin de savoir ce qu’il n’a pas su auparavant. Qu’il est bien au-dessus de ce que s’imaginent, dans leurs pensées perverses, les hommes ignorants et stupides! Il faut te bien pénétrer de cela." ], [ "Les actions, eu égard à leur but, peuvent se diviser en quatre espèces: action oiseuse, action frivole, action vaine et action bonne et utile. L’action qu’on appelle vaine est celle qu’on accomplit dans un certain but, lequel pourtant n’est pas atteint, parce que certains empêchements s’y opposent. Souvent tu entendras dire à quelqu’un: «Je me suis fatigué en vain(3)Ibn-Tibbon a טרחת à la 2e personne; mais il faut prononcer le verbe arabe à la première personne . Al-’Harîzi traduit exactement יגעתי לשוא.», lorsqu’il s’est fatigué à chercher une personne qu’il n’a pas trouvée, ou lorsqu’il a entrepris un voyage fatigant sans avoir fait un commerce lucratif. On dit encore: «Notre peine pour ce malade a été vaine», lorsque celui-ci n’est pas revenu à la santé. Il en est de même de toutes les actions par lesquelles on cherche à atteindre un but; (on les appelle vaines) quand le but n’est pas atteint. — L’action oiseuse est celle par laquelle on ne vise absolument à aucun but(1)Dans le Kitâb al-Ta’rifât on dit: «’Abath signifie s’occuper d’une chose à laquelle on ne connaît pas d’utilité, ou qu’on fait sans avoir un vrai but.» Voir le Dictionnaire de Freytag à ce mot., comme certaines gens, en méditant, jouent avec leurs mains, et comme font les distraits et les étourdis. — L’action frivole est celle où l’on a en vue un but insignifiant, je veux dire, par laquelle on vise à une chose qui n’est pas nécessaire et qui n’a pas même une grande utilité; ainsi, par exemple, quand on danse sans avoir pour but de se donner de l’exercice, ou quand on fait des choses qui ont pour but de faire rire, ce sont indubitablement des choses qu’on appellera frivoles. Mais il y a ici à faire une différence, selon le but et la valeur de ceux qui agissent; car il y a beaucoup de choses qui, aux yeux de certaines gens, sont nécessaires ou très-utiles, tandis que, selon d’autres, on n’en a nul besoin. Ainsi, par exemple, aux yeux de ceux qui connaissent la médecine, les différentes espèces d’exercices du corps sont nécessaires pour bien conserver la santé; et, aux yeux des savants, l’écriture est une chose trèsutile. Celui-là donc qui, en vue de sa santé, se livre à des exercices, tels que le jeu de paume, la lutte, le pugilat, la retenue de la respiration, ou qui, en vue de l’écriture, taille le kalam (roseau) ou prépare le papier, fait aux yeux des ignorants un acte frivole, mais qui n’est pas frivole aux yeux des savants. — L’action bonne et utile est celle qu’on accomplit en vue d’un but noble, je veux dire nécessaire ou utile, et qui fait atteindre ce but. ", "— C’est là, il me semble, une classification contre laquelle on ne saurait élever aucune objection. En effet, celui qui accomplit un acte quelconque, tantôt vise à un certain but, tantôt n’a aucun but; et le but qu’on a en vue est tantôt noble, tantôt insignifiant, et tantôt il est atteint, tantôt il ne l’est pas. Cette classification est donc de toute nécessité.", "Après cet exposé, je dis: Un homme intelligent ne saurait soutenir qu’une action quelconque de Dieu puisse être vaine, ou oiseuse, ou frivole. Selon notre opinion à nous tous qui suivons(1)Au lieu de כל מן תבע, quelques mss. ont: בל כל מתבע; c’est cette leçon que paraît exprimer Ibn-Tibbon, qui traduit: וגם לפי דעת כל נמשך אחר תורת מרע״ה. Al-’Harîzi traduit dans le même sens: לפי דעתנו אנחנו וכל מאמין תורת מ״ר. la Loi de Moïse notre maître, toutes ses actions sont bonnes et utiles, comme il est dit: Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et crétait très-bien (Genèse, 1, 31). Par conséquent, tout ce que Dieu fait en vue de quelque chose est ou nécessaire ou très-utile pour l’existence de cette chose qu’il a en vue. Ainsi, par exemple, la nourriture est nécessaire à l’animal pour sa conservation, et les yeux lui sont très-utiles pour cela; aussi la nourriture n’a-t-elle d’autre but que de conserver l’animal pendant un certain temps, et les sens n’ont pour but que l’utilité que leurs perceptions procurent à l’animal. Telle est aussi l’opinion des philosophes, à savoir qu’il n’y a rien d’oiseux(2)Voy. t. II, p. 119, note 4, et ci-dessus, chap. XIII, p. 85. dans aucune des choses physiques, c’est-à-dire. que tout ce qui n’est pas artificiel suppose des actions ayant un certain but, peu importe que nous connaissions ce but, ou que nous l’ignorions. Mais, selon cette secte d’entre les penseurs(3)L’auteur fait ici allusion à certains Motécallemin, et notamment aux Ascharites, qui nient toute causalité et font tout dépendre de la seule volonté de Dieu. Voy. le t. I, chap. LXXIII, 6e proposition, p. 389-395; et Mélanges etc., p. 326 et p. 378-379., qui prétend que Dieu ne fait aucune chose en vue d’une autre chose, qu’il n’y a ni causes ni effets, qu’au contraire, toutes les actions de Dieu ne sont que le résultat de sa seule volonté, qu’il ne faut point leur chercher de but, ni demander pourquoi il a fait telle chose, qu’il fait ce qui lui plaît et que ce n’est pas le résultat d’une sagesse, selon ceux-là (dis-je), les actions de Dieu entreraient dans la catégorie des choses oiseuses, ou plutôt elles seraient au dessous de l’action oiseuse; car, s’il est vrai que l’auteur d’une telle action ne vise à aucun but, du moins il ne se soucie pas de ce qu’il fait; tandis que Dieu, selon ceux-là, sait bien ce qu’il fait, et pourtant il le fait sans aucun but, ni en vue d’aucune utilité.", "Mais, ce qui se montre inadmissible dès le premier abord, c’est qu’il y ait dans les actions de Dieu quoi que ce soit de frivole; et il ne faut point avoir égard à la folie de ceux qui ont prétendu que le singe a été créé pour amuser l’homme. Ce qui a fait naître de pareilles idées, c’est qu’on ignorait la nature de la naissance et de la corruption, et qu’on oubliait un principe fondamental, à savoir que c’est avec intention que Dieu a fait naître toutes les choses possibles telles que nous les voyons; sa sagesse n’a pas voulu qu’elles fussent autrement; et, par conséquent, cela serait impossible, les choses devant être telles que sa sagesse l’a exigé. ", "Quant à ceux qui ont dit que Dieu, dans tout ce qu’il a fait, n’a eu en vue aucun but, ils y ont été nécessairement amenés en considérant l’ensemble de l’être au point de vue de leur opinion(1)Encore ici, l’auteur fait allusion aux Ascharites, qui nient toute causalité, tant dans l’ensemble de l’univers que dans les moindres détails de la création.; car s’étant demandé quel serait le but de l’existence du monde dans son ensemble, ils ont nécessairement répondu, comme le font tous ceux qui soutiennent la nouveauté du monde: «C’est ainsi qu’il l’a voulu, sans avoir d’autre raison.» Ensuite ils ont continué ce raisonnement à l’égard de tous les détails de l’univers, de sorte que, par exemple, loin de convenir que la perforation de l’uvée et la transparence de la cornée avaient pour but de donner passage à l’esprit visuel(2)Voy. le t. I, p. 111, note 2. afin de produire la perception, ils niaient au contraire que ce fût là la cause de la vision. Ce n’est pas, disaient-ils, en vue de la vision que cette membrane a été perforée et que celle qui est au-dessus a été rendue transparente, mais c’est ainsi que Dieu l’a voulu, quoique la vision fût possible s’il en eût été autrement. Nous avons certains passages bibliques dont le sens littéral, de prime abord, pourrait donner lieu à une pareille idée. Il est dit par exemple: L’Éternel a fait tout ce qu’il a voulu (Ps., 135, 6); et ce que son âme a désiré, il l’a fait (Job, 23, 13); et ailleurs: et qui lui dira que fais-tu? (Eccles., VIII, 4.) Mais le sens de ces passages et d’autres semblables est celui-ci: Ce que Dieu veut se fait nécessairement, et il n’y a rien qui puisse empêcher l’accomplissement de sa volonté. [Cependant, Dieu ne veut que ce qui est possible; non pas tout ce qui est possible, mais seulement ce qui est demandé par sa sagesse(1)Littéralement: ce que sa sagesse exige qu’il soit de telle manière. Le sens est: Dieu ne veut pas tout ce qui est possible en soi-même et par la nature des choses, mais la sagesse divine préfère les choses possibles les unes aux autres, et veut que le possible se réalise de telle ou telle manière. Il faut se rappeler ce que l’auteur a dit plus haut, chap. XX, p. 152, à savoir que la prescience divine ne fait pas sortir le possible de sa nature de possible. Par conséquent, les choses qui par leur nature sont possibles et qui peuvent en réalité être ou ne pas être se réalisent d’une certaine manière, soit par ce qu’exige la sagesse divine, soit par le libre arbitre de l’homme.]. De même, l’œuvre absolument bonne que Dieu veut faire ne peut être arrêtée par aucun obstacle, et rien ne peut l’empêcher(2)Littéralement: quant à l’œuvre entièrement bonne que Dieu veut faire, il ne peut intervenir aucun obstacle entre elle et lui, et rien ne peut l’empêcher. Dans les mots בינה ובינה, le premier suffixe se rapporte à l’œuvre et le second à Dieu. Les mss. de la version d’Ibn-Tibbon portent, conformément au texte arabe: לא יבדיל בינו ובינו מונע; dans les éditions on a maladroitement changé לא en ולא, et pour plus de clarté, on a expliqué בינו ובינו par בינו ובין הפעל ההוא.. Telle est l’opinion de tout théologien et celle des philosophes, et telle est aussi la nôtre; car, bien que nous croyions que le monde a été créé, tous nos docteurs et tous nos savants admettent que ce fait n’a pas eu lieu par la seule volonté de Dieu; mais ils disent que la sagesse divine, que nous sommes incapables de comprendre, a nécessité l’existence de cet univers entier, au moment où il arriva à l’existence, et que cette même sagesse invariable avait nécessité le néant avant que le monde existât. Tu trouveras cette idée souvent répétée(3)Au lieu du mot מתכררא, un de nos mss. a מדׄכורא, et de même Ibn-Tibbon: נזכר. chez les docteurs, par exemple dans l’explication de ce passage: Il a tout bien fait en son temps (Ecclésiaste, 3, 11)(1)Voy. Beréschith rabbâ, sect. 9, au commencement; midrasch Kohéleth, fol. 67, col. 1: אמר ר׳ תנחומא בעונתו נברא העולם לא היה העולם ראוי להבראות קודם לכן. «Rabbi Tan’houma dit: le monde a été créé en son temps, c’est-à-dire il ne convenait pas que le monde fût créé auparavant.». Par tout cela, on voulait éviter ce qu’il convient en effet d’éviter, à savoir (d’admettre) que l’agent (c’est-à-dire Dieu) puisse accomplir un acte, sans avoir en vue un but quelconque. Telle est la croyance des docteurs de notre loi, et c’est là aussi ce qu’ont déclaré nos prophètes, à savoir que les actions de la nature, jusqu’aux moindres détails, sont sagement réglées et se lient les unes aux autres, qu’elles sont toutes des causes et des effets (les unes des autres), et qu’aucune d’elles n’est ni oiseuse, ni frivole, ni vaine, mais qu’au contraire ce sont des actions d’une parfaite sagesse, comme il est dit: Que tes œuvres sont nombreuses, ô Éternel! Tu les as toutes faites avec sagesse (Ps., 104, 24); et ailleurs: Et toutes ses œuvres sont solides (Ps., 33, 4); et ailleurs encore: L’Éternel a fondé la terre avec sagesse (Prov., 3, 19). De telles expressions sont fréquentes, et l’opinion contraire ne peut être admise. La spéculation philosophique décide de même que, dans toutes les œuvres de la nature, il n’y a rien d’oiseux, ni de frivole, ni de vain, et à plus forte raison dans la nature des sphères célestes; car celles-ci, en raison de leur noble matière, sont plus solides et plus régulières.", "Il faut savoir que la plupart des fausses opinions qui ont apporté tant de perplexité dans les recherches sur la cause finale, soit de l’ensemble de l’univers, soit de chacune de ses parties, n’ont d’autre source(2)Tous nos mss. ont אצלה avec le suffixe masc. sing., qui ne peut se rapporter qu’au mot מעטׄם. Nous avons préféré écrire אצלהא, avec le suffixe féminin se rapportant au collectif אלאוהאם. La version d’Ibn-Tibbon porte de même שרשם, avec le suffixe pluriel se rapportant à הספיקות; cependant quelques mss. ont שרשו, et de même Al-’Harîzi: ודע בי רוב השניאות ⋯ הוא מפני טעות ונוי. que, d’une part, l’erreur dans laquelle était l’homme à l’égard de lui-même, s’imaginant que l’univers entier n’existe que pour lui, et, d’autre part, son ignorance tant à l’égard de la nature de cette matière inférieure qu’à l’égard du premier but du Créateur, qui était de faire exister tout ce dont l’existence était possible, l’existence étant indubitablement le bien(1)Cf. ce que l’auteur a dit plus haut sur la cause finale de l’univers et de ses parties, chap. XIII, p. 92 et suiv.. C’est de cette erreur et de l’ignorance de ces deux choses que naissent les doutes et la perplexité, de sorte qu’on s’imagine que, parmi les actions de Dieu, il y en a de frivoles, ou d’oiseuses, ou de vaines. Sache que ceux qui se sont résignés à cette absurdité, de sorte que pour eux les actions divines ressemblent à des actions oiseuses qui n’ont absolument aucun but, ont voulu par là éviter seulement de les faire dépendre d’une sagesse, craignant que cela ne conduisît à professer l’éternité du monde(2)Si les œuvres de Dieu, disaient-ils, émanaient de la sagesse divine, le monde serait nécessairement éternel, comme l’est la sagesse divine elle-même.; ils ont donc fermé la porte à cette opinion. Mais je t’ai déjà fait savoir quelle est à cet égard l’opinion de notre loi, et que c’est cette opinion qu’il faut admettre; car nous ne disons rien d’absurde en soutenant que l’être et le non-être de tous ces actes dépendent de la sagesse divine, mais que nous ignorons souvent comment cette sagesse se manifeste dans les œuvres de Dieu. C’est sur cette opinion qu’est basée toute la Loi de Moïse, notre maître. Elle dit au commencement: Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait et c’était très-bien (Genèse, 1, 31), et elle dit vers la fin: Le rocher (le Créateur), son œuvre est parfaite (Deutér., 32, 4.) Il faut te bien pénétrer de cela. Si tu examines cette opinion, ainsi que l’opinion philosophique, en étudiant tous les chapitres précédents de ce traité qui se rattachent à ce sujet, tu trouveras que les deux opinions ne diffèrent à l’égard d’aucun des moindres détails de l’univers(3)C’est-à-dire que, selon les deux opinions, il faut reconnaître que l’ensemble de l’univers et tous ses détails ont un certain but, conforme à la sagesse divine, et que Dieu n’a rien fait en vain.. Tu ne trouveras que la seule différence que nous avons déjà exposée(1)Au lieu de בינאה, quelques mss. ont בינהא; quoique cette leçon n’offre pas de sens, elle a été reproduite par Ibn-Tibbon, qui traduit: אלא במה שביניהם., à savoir que, selon eux (les philosophes), le monde est éternel, tandis que, selon nous, il est créé. Comprends bien cela." ], [ "De même que les théologiens spéculatifs diffèrent sur la question de savoir si les actions de Dieu dépendent de sa sagesse ou si elles dépendent uniquement de sa volonté sans avoir absolument aucun but, de même ils diffèrent dans la manière de considérer les lois qu’il nous a prescrites. En effet, il y en a qui n’attribuent à ces dernières aucune raison et qui soutiennent que toutes les lois dépendent de la seule volonté (de Dieu), tandis que d’autres soutiennent que tout ce qui est prescrit ou défendu dépend de la sagesse divine et vise à un certain but, que toutes les lois ont une raison et qu’elles ont été prescrites en vue d’une utilité quelconque. Cependant, nous autres (Israélites), tous tant que nous sommes, hommes du vulgaire ou savants, nous croyons qu’elles ont toutes une raison, mais qu’en partie nous en ignorons les raisons, ne sachant pas en quoi elles sont conformes à la sagesse divine(2)Mot à mot: et nous n’y reconnaissons pas le mode de la sagesse. Tous nos mss. ont פיה avec le suffixe masculin singulier, qui ne peut se rapporter grammaticalement qu’au mot בעצׄהא. Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi ont בהם, comme s’ils avaient lu dans le texte arabe: פיהא.. Des passages de l’Écriture le disent clairement: des statuts et des ordonnances justes (Deut., IV, 8); les ordonnances de l’Éternel sont véritê, elles sont justes toutes ensemble (Ps., 19, 10). Les statuts ou règlements appelés חֻקּׅים, par exemple ceux relatifs aux tissus de matières hétérogènes, à la viande cuite dans du lait, au bouc émissaire(1)Voy. Deutéronome, XXII, 11; Exode, 23, 19; Lévitique, XVI, 10 et 21., et sur lesquels les docteurs s’expriment en ces termes: «Des choses que je t’ai prescrites, sur lesquelles il ne t’est pas permis de réfléchir, dont Satan fait l’objet de sa critique, et que les gentils réfutent(2)C’est-à-dire, Satan, ou l’esprit de doute et de contradiction, critique ces règlements comme inutiles, et les gentils en font un objet de plaisanterie et s’en servent pour attaquer la divinité de la Loi. L’auteur a en vue un passage du Talmud de Babylone, traité Yomâ, fol. 67 b, quoique les termes ne soient pas exactement les mêmes. Cf. les Huit Chapitres, servant d’introduction au commentaire sur le traité Aboth, à la fin du chap. 6.,» — (ces règlements, dis-je), les docteurs en général ne les considèrent point comme des choses qui soient absolument sans raison et auxquelles il ne faille pas chercher de but; car cela nous conduirait à (attribuer à Dieu) des actions oiseuses, comme nous l’avons dit. Tous les docteurs croient au contraire qu’elles ont nécessairement une raison, je veux dire un but d’utilité; mais cette raison nous échappe à cause de la faiblesse de notre intelligence ou de notre manque d’instruction. Selon eux donc, tous les commandements ont une raison, je veux dire que chaque prescription ou défense a un but d’utilité; tantôt l’utilité en est évidente pour nous, comme celle de la défense de tuer et de voler; tantôt l’utilité n’en est pas aussi évidente(3)Tous les mss. arabes ont מתׄל תלך, comme pour celles-là, c’est-à-dire, aussi évidente qu’elle l’est pour les défenses de tuer et de voler. Ibn-Tibbon a rendu les mots מתׄל תלך par במו שהתבאר בנזכרים., comme par exemple lorsqu’on interdit l’usage des premiers produits des arbres(4)Littéralement: le prépuce; on appelle ainsi les fruits que porte l’arbre pendant les trois premières années. Voy. Lévitique, chap. XIX, v. 23. ou le mélange de la vigne (avec d’autres plantes(5)C’est-à-dire, la plantation de plantes hétérogènes au milieu des vignes. Voy. Deutéronome, chap. XXII, v. 9, et plus loin chap. XXXVII.). Les commandements dont l’utilité est évidente pour tout le monde sont appelés משפטים, lois ou ordonnances, et ceux dont l’utilité n’est pas généralement évidente sont appelés חקים, statuts ou règlements. Ils disent souvent: «car ce n’est pas une chose vaine de votre part (Deut., XXXII, 47), et si elle est vaine, c’est de votre part(1)L’auteur veut dire que les docteurs expliquent le verset du Deutéronome par une ellipse, en sous-entendant, avant מכם, les mots ואם רק הוא; de sorte que le sens du verset serait celui-ci: la loi n’est pas une chose vaine, et si elle vous paraît vaine, cela vient de vous. Voy. Talmud de Jérusalem, traité Péâ, chap. I (Yephé mareh, ibid., § 2); traité Kethoubôth, chap. VIII, à la fin.;» ce qui veut dire: Cette législation n’est pas une chose vaine sans but utile, et s’il vous semble qu’il en est ainsi à l’égard de certains commandements, la faute en est à votre compréhension. Tu connais cette tradition si répandue parmi nous que Salomon connaissait la raison de tous les commandements, à l’exception de ceux relatifs à la vache rousse(2)Voy. le Midrasch de l’Ecclésiaste, au chap. VII, v. 23 (fol.76, col 4): אמר שלמה על בל אלה עמדתי ופשפשתי ופרשה של פרה אדומה חקרתי ביון שהייתי יגע בה ודורש וחוקר בה אמרתי אחכמה והיא רחוקה ממני «Salomon dit: Je me suis arrêté à rechercher tout cela; j’ai scruté le chapitre de la vache rousse. Mais après m’être fatigué à l’examiner et à le scruter, je me suis dit: Posséderais-je la sagesse? Elle est loin de moi.»; et de même cette opinion des docteurs, à savoir que Dieu a caché la raison des commandements, afin qu’on ne les négligeât pas, comme cela arriva à Salomon à l’égard des trois commandements dont la raison est expressément indiquée(3)Ces trois commandements concernent les rois; il leur est défendu 1° d’avoir beaucoup de chevaux, par la raison que l’amour des chevaux pourrait donner lieu à des relations avec l’Égypte; 2° d’avoir beaucoup de femmes, parce que l’amour des femmes pourrait les détourner de leurs devoirs; 3° de ramasser beaucoup d’or et d’argent, parce que la possession des grandes richesses pourrait les rendre orgueilleux. Voy. Deutéronome, chap. XVII, v. 16 et 17. Il est vrai que la raison de la 3e défense n’est pas indiquée au verset 17; mais l’auteur paraît la trouver au verset 20, où il est dit: afin que son cœur ne s’élève pas au-dessus de ses frères, etc. Voy. ce que l’auteur dit au sujet de ces trois commandements, à la fin de son Sépher Miçwoth. Dans le Talmud, traité Synhédrin, fol. 21 b, on ne parle que des deux premières défenses שתי מקראות que Salomon transgressa, disant qu’il saurait bien éviter les relations avec l’Égypte et la séduction des femmes. C’est sans doute ce texte talmudique qui a engagé les éditeurs de la version d’Ibn-Tibbon à changer le mot שלש en שתי (cf. le commentaire d’Éphôdi). Mais les mss. de cette version et l’édition princeps portent שלש מצות, trois commandements, conformément au texte arabe, et de même la version d’Al-’Harîzi..", "Ce principe, ils le proclament constamment dans tous leurs discours, et les textes des livres sacrés l’indiquent également. Cependant, j’ai trouvé un passage des docteurs dans Béréschith rabba qui paraît dire au premier abord que certains commandements n’avaient d’autre raison que celle de prescrire quelque chose(1)C’est-à-dire, que Dieu a voulu imposer à l’homme certains devoirs religieux uniquement pour lui prescrire des devoirs, et sans que la chose prescrite eût en elle-même un but quelconque., sans qu’on eût en vue aucun autre but, ni aucune utilité réelle. Voici ce qu’on y dit: «Qu’importe au Très-Saint qu’on égorge les animaux par le cou ou qu’on les égorge par la nuque? Tu peux donc inférer de là que les commandements n’ont d’autre but que celui de purifier les hommes(2)C’est-à-dire, de leur inspirer pour Dieu des sentiments de soumission et d’obéissance passive; ou, comme l’auteur paraît l’indiquer plus loin, de leur inspirer des sentiments de commisération pour les animaux, en leur prescrivant de les égorger de manière à les faire moins souffrir., comme il est dit: La parole de l’Éternel est purifiante (Ps., 18, 31)(3)Le texte des psaumes a purifiée, pure; mais on sait que des rabbins, quand il s’agit d’appuyer leurs paroles sur des textes bibliques, ne se piquent pas d’exactitude grammaticale. Le passage en question se trouve dans Béréschith rabbâ, sect. 44, au commencement (fol. 38, col. 3); cf. Midrasch Tan’houma, section שמיני (édit. de Vérone, fol. 53, col. 4): וכי מה אכפת לו להק״בה בין ששוחט הבהמה ואוכל או נוחר ואוכל וגו׳. La citation du passage du Beréchith rabbâ présente quelques légères variantes. Les éditions du Midrasch ont: וכי מה אכפת לו להק״בה למי ששוחט מן הצואר או מי ששוחט מן העורף. Tous nos mss. arabes portent … מי שהוא שוחט מן הצואר ומי שהוא. La leçon que nous avons adoptée (בין מי שהוא … למי שהוא …) est celle d’Ibn-Tibbon, qui a l’avantage d’être plus conforme à la manière dont l’auteur reproduit plus loin les mots en question..» Bien que ces paroles soient fort étranges, les docteurs ne se prononçant nulle part dans un sens semblable, je les ai interprétées, comme tu vas l’entendre, de manière à ne pas abandonner la doctrine qu’ils ont constamment proclamée(1)Plus littéralement: de manière que nous ne sortions pas de l’avis de leur parole en général; c’est-à-dire, du principe qu’ils ont proclamé partout ailleurs, à savoir que tous les commandements ont une raison. Au lieu du mot כלום, qu’ont ici la plupart des éditions de la version d’Ibn-Tibbon, les mss. et l’édition princeps portent בלם, conformément au texte arabe, qui a אגׄמע., et à ne pas nous écarter du principe sur lequel on est d’accord, à savoir que tous les commandements ont un but réellement utile: car ce n’est pas une chose vaine (Deut., XXXII, 47), et comme il est dit ailleurs: Je n’ai pas dit à la race de Jacob: Cherchezmoi en vain; je suis l’Éternel, proférant la justice, proclamant l’équité (Isaïe, 45, 19).", "Ce que tout homme d’une saine raison doit croire à cet égard, c’est ce que je vais dire: les dispositions générales des commandements(2)Les mots גׄמלה̈ אלמצות, la totalité ou l’ensemble des commandements, manquent de précision; mais on voit par les exemples que l’auteur va citer qu’il veut établir une distinction entre les commandements renfermant une disposition générale et ceux relatifs à certains détails. Ibn-Tibbon a cru mieux faire ressortir la pensée de l’auteur en mettant המצוה au sing., et d’après lui il faudrait traduire: la généralité du commandement. ont nécessairement une raison et ont été prescrites en vue d’une certaine utilité; mais les dispositions de détail, a-t-on dit, n’ont d’autre but que de prescrire quelque chose(3)Voy. ci-dessus la note 1 de la page précédente.. Ainsi, par exemple, le précepte de tuer les animaux pour le besoin d’une bonne nourriture est d’une utilité évidente, comme nous l’exposerons(4)Voy. plus loin, chap. XLVIII.. Mais, si l’on dit qu’il faut les égorger par le haut du cou, non par le bas(1)Voir les dispositions traditionnelles de la manière d’égorger les animaux, dans la Mischnâ, Ve partie, traité ’Hullin, chap. II. — Les casuistes arabes distinguent deux manières d’égorger les animaux; l’une est désignée par le verbe דׄבח, qui signifie couper la gorge dans la partie supérieure; l’autre par נחר, qui signifie percer le bas du cou, dans le creux, près du sternum. Voy. The Hedaya or Guide, a commentary on the musulmans laws, translated by Hamilton, t. IV, p. 72: «The must eligible method of slaying a camel is by na’hr , that is spearing it in the hollow of the throat, near the breast-bone, etc.» C’est sans doute dans le même sens qu’il faut entendre le verbe נחר, dans la Mischna, l. c., V, § 3, VI, § 2, et Talmud, ib. f. 17 a; du moins, on ne saurait admettre l’explication d’Obadia de Bertinoro, d’après laquelle נחר signifierait enfoncer le couteau dans les narines (הנוחר שתוחב הסכין בנחיריו וחותך)., et qu’il faut couper l’œsophage et la gorge dans un endroit déterminé, ces dispositions et d’autres semblables n’ont d’autre but que celui de purifier les hommes(2)Voir ci-dessus, p.206, note 2.. C’est là ce qui résulte de leur manière de s’exprimer: «Qu’on égorge par le cou ou qu’on égorge par la nuque.» En effet, je n’ai cité cet exemple que parce qu’on lit dans le passage des docteurs ces mots: «Qu’on égorge par le cou ou qu’on égorge par la nuque;» mais si l’on examine bien la chose, voici ce qu’il en est(3)L’auteur veut dire qu’il n’a cité cet exemple que parce qu’il résulte des termes dont se servent les docteurs que ceux-ci considéraient les règlements particuliers relatifs à la sche’hita ou à la manière d’égorger les animaux, comme des dispositions pour lesquelles on ne saurait indiquer aucune raison. Quant à lui, ajoute-t-il, il reconnaît à ces règlements un but moral; car le législateur voulait prescrire de faire mourir les animaux de manière à les faire souffrir le moins possible, et indiquer les moyens d’obtenir ce résultat.: Comme il y a nécessité de se nourrir de la chair des animaux, on a eu en vue de leur infliger la mort la plus légère et en même temps d’obtenir cela de la manière la plus facile [car, pour décapiter, il faudrait un glaive ou un autre instrument semblable, tandis qu’on peut égorger avec n’importe quoi], et pour amener plus facilement la mort, on a mis pour condition que le couteau soit bien tranchant. Un exemple plus exact des dispositions de détail se trouve dans le sacrifice. En effet, le précepte d’offrir des sacrifices a une utilité grande et manifeste, comme je l’exposerai(1)Voy. plus loin, chap. XLVI.. Mais, que la victime soit tantôt un agneau, tantôt un bélier, et que les victimes soient d’un nombre déterminé, ce sont là des choses dont on ne pourra jamais donner aucune raison. Selon moi, tous ceux qui se donnent la peine de chercher des raisons pour quelques-unes de ces dispositions de détail font preuve d’une grande folie; et loin d’écarter par là ce qu’elles peuvent avoir d’absurde, ils ne font qu’augmenter les absurdités. Celui qui s’imagine que ces détails peuvent se motiver est aussi loin de la vérité que celui qui croit que le précepte général n’a pas d’utilité réelle.", "Il faut savoir que c’est la sagesse divine qui a voulu, — ou, si tu aimes mieux, tu diras que c’est la nécessité qui a exigé, — qu’il y eût des dispositions de détail dont on ne pût indiquer la raison; et il était en quelque sorte impossible qu’il n’y eût pas dans la Loi des choses de cette nature. Je dis que cela était impossible; car, si tu demandais, par exemple, pourquoi (on devait offrir) un agneau et non pas un bélier, on pourrait faire exactement la même question si on avait dit bélier au lieu d’agneau, puisqu’il fallait une espèce quelconque. De même, si tu demandais pourquoi sept agneaux et non pas huit, on pourrait faire la même question si on avait dit huit, ou dix, ou vingt, puisqu’il fallait nécessairement un nombre quelconque. Cela ressemble en quelque sorte à la nature du possible(2)C’est-à-dire, à ce que l’homme, en vertu du libre arbitre, peut faire de telle manière ou de telle autre, et sans que son action soit déterminée par un but quelconque., où il faut nécessairement qu’il arrive une d’entre les choses possibles, ", "sans qu’on ait le droit de demander pourquoi telle d’entre ces choses a eu lieu et non pas telle autre d’entre les choses possibles; car on pourrait faire la même question si une autre chose possible s’était réalisée au lieu de celle-là. Il faut te bien pénétrer de cette idée. Si les docteurs disent souvent que tous les commandements ont leurs raisons, et de même (si l’on dit) que ces raisons étaient connues à Salomon, il s’agit de l’utilité de tel commandement considéré dans sa généralité, sans qu’on en poursuive tous les détails.", "Cela étant ainsi, j’ai cru devoir diviser les six cent treize commandements en plusieurs classes, dont chacune renferme un certain nombre de commandements de la même espèce, ou du moins analogues entre eux. Je te ferai connaître la raison de chacune de ces classes, en montrant qu’elle a une utilité indubitable et incontestable. Ensuite je reviendrai sur chacun des commandements que renferme cette classe, et je t’en expliquerai la raison, de sorte qu’il ne restera qu’un très-petit nombre de commandements(1)Le mot סבות, qu’ont ici les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, n’offre pas de sens; les mss. de cette version, comme ceux du texte arabe, portent מצות., dont jusqu’à ce moment j’ignore le motif. J’ai pu m’expliquer aussi les dispositions de détail et les conditions se rattachant à certains commandements, et dont il est possible de donner la raison. Tu entendras tout cela plus loin. ", "Mais tous ces motifs (des commandements), je ne pourrai te les exposer qu’après avoir d’abord donné plusieurs chapitres renfermant des préliminaires utiles pour servir de préparation au sujet que j’ai en vue; ce sont ces chapitres que je vais commencer maintenant." ], [ "L’ensemble de la Loi a pour but deux choses, à savoir le bien-être de l’âme et celui du corps. ", "Quant au bien-être de l’âme, il consiste en ce que tous les hommes aient des idées saines selon leurs facultés respectives(2)Cf. t. I, chap. XXXI, p. 105.. On s’exprime donc à cet égard dans l’Écriture, tantôt en termes clairs, tantôt par des allégories(1)Cf. ibid., chap. XXXIII.; car il n’est pas dans la nature des hommes vulgaires d’avoir la capacité qu’il faut pour comprendre un tel sujet dans toute sa réalité. ", "Quant au bien-être du corps, il s’obtient par l’amélioration de la manière de vivre des hommes les uns avec les autres. On arrive à ce résultat par deux choses: premièrement, en faisant disparaître la violence réciproque parmi les hommes, de manière que l’individu ne puisse se permettre d’agir selon son bon plaisir et selon le pouvoir qu’il possède(2)La version d’Ibn-Tibbon s’écarte un peu du texte arabe. Al-’Harîzi traduit plus exactement: והוא שלא יהיה כל איש מבני אדם מותר לעשות חפצו וכפי אשר תשיג יכלתו., mais qu’il soit forcé(3)Au lieu de יקסר, quelques mss. ont יקר, qu’il persiste à faire, qu’il fasse constamment. Ibn-Tibbon a simplement אבל יעשה; Al-’Harîzi traduit: (i. e. אבל ישתמש בה (ביכלתו. de faire ce qui est utile à tous; secondement, en faisant acquérir à chaque individu des mœurs utiles à la vie sociale(4)Au lieu de בהכרח, qu’on lit dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire בחברה, comme l’ont les mss. de cette version. Al-’Harîzi traduit: מדות טובות מועילות בחברתם., pour que les intérêts de la société soient bien réglés.", "Il faut savoir que, de ces deux buts (de la loi), l’un est indubitablement d’un ordre plus élevé, à savoir le bien-être de l’âme, ou l’acquisition des idées saines. Mais le second le précède dans l’ordre de la nature et du temps; c’est le bien-être du corps, qui consiste à ce que la société soit bien gouvernée et que l’état de tous les individus qui la composent s’améliore autant que possible. Le second but est le plus pressant, et on l’a exposé avec une extrême exactitude jusque dans ses moindres détails; car ce n’est qu’après avoir atteint ce second but que l’on peut parvenir au premier. En effet, il a été démontré que l’homme est susceptible d’une double perfection, à savoir d’une perfection première, qui est celle du corps, et d’une perfection dernière, qui est celle de l’âme. La première consiste en ce qu’il jouisse d’une parfaite santé dans toute l’économie du corps(1)Littéralement: qu’il soit sain et dans le meilleur de ses états corporels., ce qu’il ne peut obtenir qu’en trouvant toujours le nécessaire quand il le cherche, à savoir ses aliments ainsi que les autres choses qui appartiennent au régime du corps, comme le vêtement(2)Le mot signifie ce qui sert à couvrir, vêtement, abri, habitation. Ibn-Tibbon traduit ce mot par דירה, habitation; Al-’Harîzi par מחסה, abri., le bain, etc. L’homme seul et isolé ne saurait en venir à bout, et l’individu ne peut arriver jusqu’à ce point que par la réunion en société, car c’est une maxime connue que l’homme est naturellement un être sociable(3)Voy. le tome II, chap. XL, p. 306, et ibid., note 2.. ", "La seconde perfection, c’est de devenir rationnel en acte, c’est-à-dire de posséder l’intelligence en acte(4)Voy. le tome I, p. 306, 307, note. — Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on a omis les mots: ר״ל שיהיה לו שכל בפעל, qui se trouvent dans les mss. de cette version et dans celle d’Al-’Harîzi., de sorte que, par cette seconde perfection, il ait de tout ce qui existe la connaissance que l’homme peut avoir. Il est évident que dans cette seconde perfection il ne s’agit ni d’actions ni de mœurs, mais uniquement d’idées, auxquelles on est amené par la spéculation et qui sont le résultat de la réflexion. ", "Il est évident aussi qu’on ne peut parvenir à cette dernière perfection sublime qu’après avoir obtenu la première; car il est impossible que l’homme étant tourmenté par une douleur, par la faim, la soif, la chaleur ou le froid, saisisse même des idées qu’on voudrait lui faire comprendre(5)Littéralement: que l’homme reçoive quelque chose d’intelligible; c’est-à-dire, quelque chose qui est du domaine de l’intelligible, de pures pensées ou idées.; et comment, à plus forte raison, pourrait-il en former de son propre mouvement? Mais, après être arrivé à la première perfection, il est possible d’arriver à la seconde, qui est indubitablement la plus noble, car c’est par elle seule que l’homme est immortel.", "La Loi véritable, qui, comme nous l’avons dit, est unique(1)Voy. le tome II, chap. XXXIX, p. 301 et suiv., je veux dire la loi de Moïse, notre maître, ne nous est parvenue que pour nous apporter cette double perfection. Elle règle, d’une part, les relations mutuelles des hommes, en faisant cesser parmi eux la violence réciproque et en les polissant par des mœurs nobles et généreuses, afin que les populations puissent se perpétuer, qu’il puisse s’établir parmi elles un rapport stable, et que par là chaque individu puisse arriver à la première perfection; d’autre part, elle améliore les croyances et produit des idées saines, par lesquelles on puisse parvenir à la dernière perfection. La Tôrâ parle de l’une et de l’autre, et elle nous apprend que le but de toute la loi(2)Tous les mss. ar. ont אלשריעה̈ au singulier; la version d’Ibn-Tibbon porte אלו התורות בלם au pluriel, et de même celle d’Al-’Harîzi: אלה המצות. est de nous faire parvenir à ces deux perfections. Il y est dit: L’Éternel nous a ordonné de pratiquer toutes ces lois, de craindre l’Éternel, notre Dieu, afin que nous soyons toujours heureux et que nous vivions aujourd’hui (Deutér., 6, 24). Ici on parle d’abord de la dernière perfection, parce qu’elle est la plus noble; car, comme nous l’avons exposé, elle est le but final. Elle est indiquée par les mots: Afin que nous soyons toujours heureux; car tu sais que les docteurs expliquent ces paroles de l’Écriture: Afin que tu sois heureux et que tu vives longtemps (ibid., XXII, 7), ainsi qu’il suit: «Afin que tu sois heureux dans un monde de bonheur parfait, et que tu vives longtemps dans un monde de durée éternelle(3)Voy. Talmud de Babylone, traité Kiddouschin, fol. 39 b;Hullin, fol. 142 a. Dans nos éditions du Talmud, la leçon diffère un peu de la citation de Maïmonide; celle-ci est conforme à la leçon du Yalkout, tome I, n° 930, vers la fin..» De même, dans notre passage, les mots afin que nous soyons toujours heureux expriment absolument la même idée, c’est-à-dire que nous parvenions à un monde tout entier de bonheur et de durée, ce qui veut dire, à la permanence perpétuelle (l’immortalité); mais les mots et que nous vivions aujourd’hui se rapportent à l’existence première corporelle, qui se prolonge un certain temps, et dont l’ordre parfait ne peut être établi que par la réunion sociale, comme nous l’avons exposé." ], [ "Une chose sur laquelle il faut appeler ton attention, c’est que les vérités (métaphysiques) par lesquelles on arrive à la perfection dernière, la Loi ne nous en a communiqué que les points les plus importants, en nous invitant d’une manière générale à y croire. Ces points sont: l’existence de Dieu, son unité, sa science, sa puissance, sa volonté et son éternité. Toutes ces idées sont les fins dernières (de la science), qui ne peuvent être comprises en détail et d’une manière bien nette(1)Au lieu de ותחדיד, quelques mss. ont ותחריר (avec ר), ce qui ne fait pas de différence pour le sens. La première leçon est confirmée par les deux traducteurs. Ibn-Tibbon rend le nom d’action תחדיד par le participe מוגבלות; Al-’Harîzi traduit plus exactement: בהפרש והגבלה. qu’après la connaissance de beaucoup d’autres idées(2)Ainsi que l’auteur l’a exposé ailleurs, on ne peut aborder avec fruit la science métaphysique qu’après beaucoup d’autres études préparatoires. Voy. le t. I, chap. XXXIV, p. 121-124.. La Loi nous a invités de même à croire certaines choses dont la croyance est nécessaire pour la bonne organisation de l’état social, comme par exemple la croyance que Dieu est fort irrité contre ceux qui lui désobéissent, et qu’à cause de cela il faut le craindre, le respecter et se garder de lui désobéir(3)La traduction d’Ibn-Tibbon, ולזה ראוי שייראו ויפחדו ממרות בו, n’est pas tout à fait exacte; Al-’Harîzi traduit plus exactement: וע״כ יצטרך ליפחוד ממנו ולירוא ולהשמר מן הפשע.. Quant aux autres vérités relatives à tout ce qui est(4)L’auteur veut parler ici des vérités spéculatives, relatives aux choses créées et qui sont l’objet des sciences physiques., qui forment les nombreuses branches des sciences spéculatives et par lesquelles sont consolidées les idées qui sont la fin dernière, la Loi, sans les proclamer clairement comme elle a proclamé celles-là(1)Par celles-là, l’auteur entend: les idées qui sont la fin dernière., les a résumées dans ces mots: Pour aimer l’Éternel(2)Voy. Deutéronome, ch. XI, v. 13 et 22; ch. XIX, v. 9; ch. XXX, v. 6, 16, 20.. Tu sais avec quelle énergie on s’exprime sur cet amour: De tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes facultés (Deutér., 6, 5). Nous avons déjà exposé, dans le Mischné Tôrâ, que cet amour ne peut avoir lieu que par une profonde intelligence de tout l’être et par la contemplation de la sagesse divine qui s’y manifeste, et nous y avons dit aussi que les docteurs ont appelé l’attention sur ce sujet(3)C’est-à-dire: les docteurs ont également fait remarquer que c’est dans la contemplation de la création que l’homme puise le véritable amour de Dieu. Voy. ce que l’auteur dit (d’après le Siphri, au Deutéronome, chap. VI, v. 5) dans son Mischné Torâ ou Abrégé du Talmud, l. I, traité Yesodé ha-torâ, chap. II, § 2 et suiv..", "De tout ce que nous avons dit jusqu’ici sur cette matière, il résulte que, toutes les fois qu’un commandement, soit affirmatif, soit négatif, a pour objet de faire cesser la violence réciproque, ou d’inculquer de bonnes mœurs conduisant à de bonnes relations sociales, ou d’inspirer une idée vraie qu’il faut admettre, soit pour elle-même, soit parce qu’elle est nécessaire pour faire cesser la violence ou pour faire acquérir de bonnes mœurs, ce commandement a une raison évidente et une utilité manifeste, et il n’y a pas lieu de demander quel en est le but. En effet, jamais personne n’a été embarrassé au point de demander pourquoi il nous a été prescrit de croire(4)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon on a ajouté le mot להאמין, exigé par le sens; les mss. portent, conformément au texte arabe, למה נצטוינו שהשם אחד. que Dieu est un, ou pourquoi il nous a été défendu de tuer et de voler, ou pourquoi il nous a été défendu d’exercer la vengeance et le talion, ou pourquoi il nous a été ordonné de nous aimer les uns les autres. Mais les commandements qui ont embarrassé les hommes et sur lesquels ils ont professé des opinions diverses [de sorte que les uns ont dit qu’ils n’avaient absolument d’autre utilité que celle de prescrire quelque chose(1)Voy. p. 206, note 1., tandis que d’autres ont soutenu qu’ils avaient une utilité qui nous est inconnue], ce sont ceux qui, pris à la lettre, ne paraissent être utiles pour aucune des trois choses dont nous avons parlé, je veux dire ceux qui n’inspirent pas une idée quelconque, ni n’ennoblissent les mœurs, ni ne font cesser la violence. Il semblerait, en effet, que ces commandements n’ont aucun rapport ni avec le bonheur de l’âme, puisqu’ils n’inculquent aucune croyance, ni avec le bien-être du corps, puisqu’ils ne donnent pas de règles utiles pour la politique ou l’économique; tels sont les préceptes qui défendent les tissus de matières diverses, les semences hétérogènes, la viande cuite dans du lait(2)Voy. Deutér., XXII. 11; Lévitique, XIX, 19; Exode, XXIII, 19., et ceux qui ordonnent de couvrir le sang, de briser la nuque à une génisse, de racheter le premierné de l’âne(3)Voy. Lévitique, XVII, 13; Deutér., XXI, 1 à 9; Exode, XIII, 13., et d’autres semblables. ", "Mais tu entendras plus loin mon explication de tous ces préceptes, dont je donnerai les raisons véritables et bien démontrées, sauf quelques préceptes de détail, comme je l’ai dit. Je montrerai que tous ces préceptes et d’autres semblables doivent nécessairement être en rapport avec l’une des trois choses dont nous avons parlé, et qu’ils doivent ou bien rectifier une croyance, ou bien améliorer les conditions de la société, ce qui s’obtient par deux choses: faire cesser la violence réciproque et faire acquérir de bonnes mœurs.", "—Il faut le pénétrer de ce que nous avons dit sur les croyances: tantôt le commandement inculque une croyance vraie qui en est elle-même le seul but, comme par exemple la croyance à l’unité, à l’éternité et à l’incorporalité de Dieu; tantôt c’est une croyance nécessaire pour faire cesser la violence réciproque, ou pour faire acquérir de bonnes mœurs, comme par exemple la croyance que Dieu est fort irrité contre celui qui a commis la violence, comme il est dit: Ma colère s’enflammera et je vous tuerai etc. (Exode, 22, 24), et la croyance que Dieu exauce à l’instant la prière de celui qui a subi la violence ou qui a été frustré: Or, s’il m’invoque, je l’écouterai, car je suis miséricor-dieux (ibid., v. 26)." ], [ "On sait que notre père Abraham [la paix sur lui!] fut élevé dans la religion des Sabiens(1)Ainsi que je l’ai déjà fait observer dans mes Réflexions sur le culte des anciens Hébreux, p. 2 (publiées dans le t. IV de la Bible de M. Cahen), Maïmonide, comme beaucoup d’autres auteurs arabes de son temps, entend par le mot צאבה̈ ou Sabiens tous les peuples païens en général. Les livres dans lesquels il avait puisé sa connaissance des cultes païens et dont il parlera plus loin lui donnèrent lieu de croire que ces cultes étaient en général basés sur l’astrolâtrie. Par conséquent, dans le langage de Maïmonide, religion des Sabiens signifie la même chose que paganisme. Dans le Coran (II, 59; v, 73; XXII, 17), les Sabiens sont mentionnés à côté des juifs et des chrétiens, comme une communauté religieuse possédant des livres révélés et ayant part à la vie future. On est généralement d’accord que les Sabiens du Coran sont les Mendaïtes ou chrétiens de Saint-Jean, qui, à cause de leurs fréquentes ablutions, sont appelés en syriaque צביעין (ou צביין, selon la prononciation des Mendaïtes, qui suppriment le ע), c’est-à-dire les Baptistes. Voy. E. Castelli Lexicon-syriacum seorsim typis describi curavit atque sua adnotata adjecit, J. D. Michaëlis, p. 749. Les auteurs arabes, à partir de l’époque du khalife Al-Mamoun, donnent aussi le nom de Sabiens aux païens de ’Harran et de quelques autres villes de la Mésopotamie, totalement différents des Sabiens du Coran, ce qui a donné lieu à une grande confusion. On a fait de vains efforts pour trouver l’étymologie du nom de Sabiens appliqué aux païens. La conjecture qui a eu le plus de succès est celle de Pococke (Specimen hist. ar., p. 139), qui fait venir ce nom du mot hébreu צבא, armée, et qui y voit une allusion au culte des astres appelés צבא השמים, armée du ciel; mais cette étymologie n’est pas plus plausible que toutes les autres. Nous savons maintenant qu’il n’y a en réalité qu’une seule espèce de Sabiens, à savoir les Mendaïtes, mais que les païens de ’Harran, menacés d’être exterminés par le khalife Al-Mamoun, usurpèrent vers l’an 830 de l’ère chrétienne, sur le conseil d’un docteur musulman, le nom de Sabiens, et prétendirent être la secte mentionnée sous ce nom dans le Coran et recommandée par le prophète à la protection des musulmans. Ce fait est rapporté dans le Kitab Al-Fihrist par Mohammed ben Is’hak al-Nedîm (voy. l’extrait de ce livre donné par M. de Hammer dans le Journal Asiatique, septembre-octobre 1841, p. 254 et suiv.). Il avait déjà été publié par Hottinger, Historia Orientalis, p. 169, et, d’après lui, par Spencer, De legibus Hebrœorum ritualibus, l. II, cap. I, sect. 2 (p. 241 de l’édition de Cambridge, 1685, in-fol.). C’est surtout dans l’ouvrage publié sur les Sabiens par M. Chwolson, que le fait en question a été mis en lumière et appuyé de preuves nombreuses. L’auteur montre comment le nom de Sabiens, appliqué dans le Coran aux seuls Mendaïtes et employé dans ce sens par les auteurs arabes, jusqu’à l’époque d’Al-Mamoun, servit ensuite à désigner également les Harraniens et finit, au VIe siècle de l’Hégire, par être employé dans le sens général de Païens. Voy. Die Ssabier und der Ssabismus (2 vol. gr. in-8°, St-Pétersbourg, 1856), t. I, ch. VI, p. 139 et suiv., et tout le chap. VIII. Cet excellent ouvrage renferme de nombreux détails sur la religion des Harraniens, qui peuvent éclaircir plusieurs faits rapportés par Maïmonide dans ce chapitre et dans les suivants, où notre auteur a pour but d’expliquer en grande partie les pratiques cérémonielles prescrites par Moïse, au moyen des usages superstitieux des Sabiens ou païens que les lois mosaïques tendaient à faire disparaître., qui croient qu’il n’y a pas d’autre Dieu que les astres(1)Cette manière de considérer le paganisme en général se fonde sur l’Écriture-Sainte, qui ne parle que des païens de l’Asie occidentale, qu’elle présente en général comme adonnés au culte des astres représentés symboliquement par les idoles. Cf. ce que dit notre auteur dans son commentaire sur la Mischna, traité, Aboda Zarâ, ch. IV, § 7, et passim, et dans son Mischné Torâ, Ire partie, traité de l’idolâtrie, chap. I. C’est dans le même sens que l’historien arabe chrétien Aboul-Faradj, dans plusieurs passages de son Histoire des Dynasties, se prononce sur le culte des Sabiens, nom par lequel, comme Maïmonide, il désigne tous les peuples païens. Voy. Chwolson, l. c., p. 254-55.. Lorsque, dans ce chapitre, je t’aurai donné connaissance de leurs livres qui, traduits en arabe, se trouvent maintenant entre nos mains, ainsi que de leurs antiques annales(1)L’auteur veut parler sans doute des récits prétendus historiques qui se trouvent dans l’Agriculture Nabatéenne, dont il parle ci-après, p. 231., et qu’à l’aide de ces documents je t’aurai révélé leur doctrine et leurs récits, tu reconnaîtras qu’ils y(2)Le mot מנהא (par eux, c.-à-d. par ces documents) manque dans plusieurs mss., et les deux versions hébraïques ne le reproduisent pas. déclarent expressément que les astres sont (ce qui constitue) la divinité(3)Tous nos mss. ont אלאלאה au singulier; de même Al-’Harîzi: אמונתם בכוכבים שהם אלוה. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le pluriel האלוהיות est une faute; les mss. ont האלוהוּת., et que le soleil est le dieu suprême(4)Cf. Schahrestani, p. 245 (trad. all., t. II, p. 68).. Toutes les sept planètes(5)Tous les mss. arabes ont: סאיר אלסבעה̈ כואכב; le mot םאיר a ici le sens de toutes (Cf. t. II, p. 318, note 5, et p. 334, note 5). Al-’Harîzi traduit exactement: שאר שבעת הכוכבים. Ibn-Tibbon, ne s’étant pas rendu compte du sens qu’a ici le mot סאיר, a traduit: ששאר הכוכבים החמשה «les autres cinq planètes»; mais peut-être n’est-ce là qu’une correction maladroite des copistes., disent-ils ailleurs, sont des dieux; mais les deux luminaires (le soleil et la lune) en sont les plus grands. Tu verras qu’ils disent clairement que c’est le soleil qui gouverne le monde supérieur et le monde inférieur; c’est là ce qu’ils disent textuellement.", "Dans leurs livres et annales, tu trouveras l’histoire de notre père Abraham qu’ils racontent en ces termes: Abraham, qui fut élevé à Coutha(6)Coutha est, selon les géographes arabes, une ville située dans l’Irak babylonien, au sud de Bagdad et près du canal Nahr-Malca, entre l’Euphrate et le Tigre. Quelques auteurs modernes identifient ce Coutha des géographes arabes avec le district du même nom mentionné dans la Bible (II Rois, XVII, 24). Voy. Rosenmüller, Biblische Alterthumskunde, t. I, 2e partie, p. 29 et 74; Winer, Bibl. Realwörterbuch, t. I, au mot Cutha. Le Talmud de Babylone (Baba bathra, fol. 91 a) paraît identifier כותא avec Ur-Kasdim, où, selon la Genèse, Abraham passa sa jeunesse, et que l’on considère comme le lieu de sa naissance., s’étant mis en opposition avec tout le monde en soutenant qu’il existe un efficient (de l’univers) autre que le soleil, on allégua contre lui divers arguments et on lui cita entre autres preuves l’action manifeste et évidente que le soleil exerce sur l’univers. «Vous avez raison, leur répondit Abraham: il est comme la cognée dans la main du charpentier.» On rapporte ensuite quelques-uns de ses arguments contre eux, et, à la fin du récit, on raconte que le roi fit emprisonner notre père Abraham, et que celui-ci, même dans la prison, persista longtemps à combattre leurs opinions. Enfin le roi, craignant qu’Abraham ne nuisît à son gouvernement et ne détournât les gens de leurs croyances religieuses, l’exila en Syrie(1)Tous les mss. arabes ont לטרף אלשאם, vers la contrée de Syrie, tandis que la version d’Ibn-Tibbon porte לקצה המזרח, à l’extrémité de l’orient; Al-’Harîzi traduit plus exactement ויגרש אותו לקצה ארץ כנען, il l’expulsa vers l’extrémité du pays de Canaan. — On reconnaît dans ce récit un écho des traditions juives qui motivent l’émigration d’Abraham (Genèse, XI, 31) par les persécutions qu’il eut à subir dans son pays. Josèphe se borne à dire que les Chaldéens et autres peuples de la Mésopotamie s’étant soulevés contre lui, il crut bon d’émigrer (Antiquités, I, 7, § 1). Selon les traditions rabbiniques, Nemrod le fit jeter dans une fournaise, dont il fut miraculeusement sauvé (voy. mon ouvrage Palestine, p. 102 b). Cette tradition a trouvé place aussi dans quelques Pères de l’Église et dans le Coran, et les auteurs musulmans l’ont environnée de beaucoup de détails de leur imagination. Sur ces diverses traditions, on peut voir B. Beer, Leben Abrahams, nach Auffassung der jüdischen Sage, chap. II. Sur les traditions musulmanes en particulier, voy. d’Herbelot, Bibliothèque orientale, à l’article Abraham; Hyde, De religione veterum Persarum, p. 27 et suiv. (2e édition); Reinaud, Monuments arabes, persans et turcs, t. I, p. 144 et suiv., après avoir confisqué tous ses biens. ", "Voilà ce qu’ils racontent(2)Les mots הכדׄא הכוא n’ont pas été rendus par Ibn-Tibbon., et tu trouveras ce récit avec des développements dans l’Agriculture nabatéenne(3)L’auteur donnera un peu plus loin de plus amples détails sur cet ouvrage célèbre. Voy. ci-après, p. 231, et ibid., note 2.. Ils ne font point mention de ce que rapportent (sur Abraham) nos traditions vraies(1)Le texte arabe porte: , nos monuments, ce qui peut se rapporter aussi bien à l’Écriture sainte qu’aux traditions rabbiniques; la version d’Ibn-Tibbon porte ספרינו. Al-’Harîzi paraît avoir lu ולם ידׄכרוא אתׄארה אלצאדקה̈; car il traduit: ולא זכרו אותותיו הנאמנות, ce qui n’offre pas de sens convenable., ni de la révélation qui lui arriva; car ils l’accusaient de mensonge parce qu’il combattait leur opinion pernicieuse. Comme il était en opposition avec la croyance de tout le monde, on ne peut douter, je pense, qu’il n’ait été pour ces hommes égarés un objet de malédiction, de réprobation et de mépris. Or, comme il supportait cela pour l’amour de Dieu, aimant mieux professer la vérité que d’être honoré(2)Littéralement: et qu’il préférait la vérité à son honneur. Ibn-Tibbon traduit inexactement וכן הדין לעשות לכבודו, et il est juste d’agir ainsi pour sa gloire, c’est-à-dire pour la gloire de Dieu; Al-’Harîzi a omis ce passage., il lui fut dit: Je bénirai ceux qui te bénissent, et ceux qui te maudissent, je les maudirai, et tous les peuples de la terre se béniront par toi (Genèse, 12, 3); et, en effet, nous voyons aujourd’hui(3)Mot à mot: et l’issue (ou le résultat) en a été ce que nous voyons aujourd’hui. la plupart des habitants de la terre le glorifier d’un commun accord et se bénir par sa mémoire, tellement que ceux-là même qui ne sont pas de sa race prétendent descendre de lui. Il n’a plus d’adversaires et personne n’ignore plus sa grandeur, à l’exception des derniers sectaires de cette religion éteinte(4)Littéralement: à l’exception des restes de cette secte évanouie ou perdue. L’auteur veut parler des partisans du sabisme, mot qui, pour lui, désigne le paganisme sous toutes ses formes variées. Sur le mot מלה̈, cf. t. I, p. 340, note 2. Le participe , ou, comme ont quelques mss., אלמדמרה̈ , signifie perdue, évanouie, éteinte, et c’est à tort qu’Ibn-Tibbon traduit: השפלה, vile. Un seul de nos mss. a אלמדׄכורה̈, et cette leçon est reproduite par Al-’Harîzi, qui traduit: אלא שארית האומה ההיא הנזכרת. qui restent encore aux extrémités de la terre, tels que les Turcs mécréants à l’extrême nord, et les Indous à l’extrême sud; car ceux-là restent attachés à la religion des Sabiens, religion qui embrassait toute la terre.", "Le degré le plus élevé(1)Sur le mot אגיא, voy. le t. II, p. 217, note 1. auquel soit arrivée la spéculation des philosophes dans ces temps, c’était de s’imaginer que Dieu est l’esprit de la sphère céleste, c’est-à-dire que la sphère céleste et les astres sont le corps dont Dieu est l’esprit(2)En d’autres termes: la spéculation des plus anciens philosophes païens n’a pu s’élever tout au plus qu’à une espèce de panthéisme, comme, par exemple, celui de l’école ionienne. Cf. tome I, chap. LXX, p. 325.. C’est ce que dit Abou-Becr Ben-al-Çayeg dans son commentaire sur l’Acroasis(3)Sur ce philosophe, connu aussi sous le nom d’Ibn-Badja, voy. mes Mélanges etc., p. 383 et suiv. Son commentaire sur l’Acroasis, ou Physique d’Aristote, qui est aussi cité par Ibn-Abi Océibi’a (voy. ibid., p. 386), n’est point parvenu jusqu’à nous.. ", "C’est pourquoi tous les Sabiens admettaient l’éternité du monde; car, selon eux, le ciel est Dieu.", "Ils soutiennent qu’Adam était une personne née d’un homme et d’une femme, comme les autres individus humains(4)Ce qui est une conséquence nécessaire de leur croyance à l’éternité du monde. Cf. Khozari, l. I, § 1.; mais ils le glorifient, disant qu’il était prophète, apôtre de la Lune, qu’il invita au culte de la Lune, et qu’il composa des livres sur l’agriculture(5)Selon l’Agriculture Nabatéenne, Adami ou Adam, disciple d’un ancien sage nommé Yanbouschâd (voir Khozari, l. I, § 61), aurait écrit mille feuillets dans lesquels il passait en revue les plantes qui viennent dans un pays et ne réussissent pas dans un autre, et détaillait leurs vertus et leurs propriétés utiles ou nuisibles; on lui attribuait aussi un grand ouvrage sur la nature des terres, leur différentes saveurs, leurs qualités, leurs productions. Voy. Quatremère, Mémoire sur les Nabatéens, dans le Journal Asiatique, mars 1835, p. 228. On lui attribue entre autres un ouvrage intitulé Livre des mystères de la Lune, et qui traitait de la génération artificielle des plantes. Voy. Chwolson, Ueber die Ueberreste der altbabylonischen Literatur in arabischen Uebersetzungen, dans le t. VIII des Mémoires présentés à l’Académie de St-Pétersbourg par divers savants (tirage à part; 1859, p. 166). Cf. ci-après, p. 233, et ibid., note 2.. Les Sabiens disent de même que Noé était agriculteur et qu’il n’approuvait pas le culte des idoles; c’est pourquoi tu trouveras que Noé était un objet de réprobation pour tous les Sabiens, qui disent qu’il n’adora jamais aucune idole(1)Voy. Quatremère, l. c., p. 229, où il est dit, d’après l’Agriculture Nabatéenne, que Noé passait pour auteur d’un grand ouvrage qui lui avait été inspiré par la lune, et où l’on mentionne aussi une lettre qu’il écrivit à un ancien sage cananéen pour l’engager à quitter le culte des planètes et à n’adorer que le seul Dieu éternel. Cf. les détails que M. Chwolson (l. c., p. 142 et 176) donne, d’après la même source, sur le sage nommé Anou’ha, qui n’est autre que Noé.. Ils disent aussi dans leurs livres qu’il fut frappé et incarcéré parce qu’il se vouait au culte de Dieu, et ils font encore d’autres contes semblables. Ils soutiennent que Seth combattit l’opinion de son père Adam au sujet du culte de la lune(2)Par le nom de Seth, l’auteur désigne sans doute le personnage qui, dans l’Agriculture Nabatéenne, est souvent mentionné sous le nom d’Ischîta, fils d’Adâmi, et qui passe pour le fondateur ou le propagateur de l’astrolâtrie et de toutes les superstitions qui s’y rattachent. Voy. Chwolson, l. c., p. 27. — M. Quatremère, à l’exemple de Maïmonide et de Juda Halévi, auteur du livre Khozari, reconnaît avec raison dans les noms d’Adâmi, d’Ischîta, d’Anou’ha et d’Ibrahim el-Kana’ani, les noms bibliques d’Adam, de Seth, de Noé et d’Abraham (voy. le Journal Asiatique, l. c., et le Journal des Savants, mars 1857, p. 147), et c’est en vain que M. Chwolson (l. c., p. 43-44), en faveur de son système insoutenable, combat cette identification., et ils débitent des mensonges extrêmement ridicules qui dénotent un grand défaut de raisonnement et montrent qu’ils étaient plus que tous les autres hommes éloignés de la philosophie; et certes(3)Le mot ואנהם (pour lequel plusieurs mss. ont והם), je crois devoir le prononcer , et certes. Les deux traducteurs hébreux lisaient , ce qu’Ibn-Tibbon traduit ושהיו, et Al-’Harîzi וכי היו. Mais cela ne se lie pas bien aux mots מורים על) תדל עלי). ils étaient d’une ignorance extrême. Ils racontent par exemple qu’Adam, sorti du climat du soleil(1)Au lieu de אלשמס, l’un des deux mss. de Leyde, n° 18, porte אלשאם; de même la version d’Ibn-Tibbon a השאם (dans les éditions תשאם), ce qui, comme on sait, est le nom de la Syrie, y compris la Palestine. Al-’Harîzi avait la même leçon, car il traduit le mot en question par ארץ הצבי, terre de la beauté, expression qui chez les rabbins désigne la Palestine. Mais il serait absurde de penser ici à la Palestine ou à la Syrie, puisqu’il est dit immédiatement après que le pays dont il s’agit est près de l’Inde. La leçon אקלים אלשמם, qu’ont presque tous les mss. ar., est d’ailleurs confirmée par d’autres passages de l’Agriculture Nabatéenne, où il est également question de plantes apportées par Adam des contrées méridionales à Babylone. Voy., par exemple, le passage cité par M. Chwolson dans son Mémoire sur Tammuz: Ueber Tammuz und die Menschenverehrung bei den alten Babyloniern, dans le Recueil russe intitulé «Actes de l’Université impériale de St-Pétersbourg» pour l’année 1859 (St-Pétersbourg, in-8°, 1860), p. 167. M. Chwolson traduit les mots אקלים אלשמם par Sonnenland ou «pays du soleil» (ibid., p. 175), et il dit dans la note 2 que ce pays, selon d’autres passages, était situé au midi de l’Inde proprement dite (c’est-à-dire du Pendjab), dont il était séparé par un désert. Le pays du soleil serait donc, selon M. Chwolson, le Dekhan. Il est vrai que le mot , climat, s’emploie souvent, chez les Arabes, dans le sens de région, contrée; mais aucun géographe ancien ou moderne ne connaît la dénomination de pays du soleil. Je crois donc que le mot אקלים a ici son sens ordinaire de climat, et qu’on veut parler du 2e climat, qui renferme une grande partie de l’Inde. On sait que Ptolémée et les géographes arabes divisent la partie habitée de la terre, du Midi au Nord, en sept zones appelées climats. Selon les Sabiens, comme on le verra plus loin, chaque climat se trouve sous l’influence et la direction d’une des sept planètes. Cf. l’ouvrage hébreu Schebilé Emounâ de R. Meir al-Dabi, II, 2 (édition d’Amsterdam, fol. 19 a): כשהבורא ברא העולם נתן כח בכוכבים למשול בארץ ולהנהיגה וחלק הארצות לשבעה כוכבי לכת וגו׳ «Lorsque le Créateur créa le monde, il mit dans les astres une force au moyen de laquelle ils devaient dominer la terre et la gouverner, et il distribua les pays entre les sept planètes, etc.» Yakout, dans l’Introduction de son grand Dictionnaire géographique intitulé , en parlant des sept climats, indique la planète respective qui domine sur chaque climat, selon l’opinion des Perses et des Grecs, et il dit que le 2e climat se trouve, selon les Perses, sous l’influence de Jupiter , et selon les Grecs , sous celle du soleil ; le 4e climat, au contraire, se trouve, selon les Perses, sous l’influence du soleil, et selon les Grecs, sous celle de Jupiter (mss. arabe de la Bibliothèque impériale, supplément, n° 886, au commencement). Je crois donc que les mots de notre passage למא כׄרגׄ מן אקלים אלשמס אלמגׄאור ללהנד doivent s’entendre ainsi: «lorsqu’il sortit de la région du climat du soleil (c’est-à-dire du 2e climat) qui est voisine de l’Inde.» On ne saurait penser ici au 4e climat, dont aucune région n’est voisine de l’Inde. Nous rappellerons que l’Inde est aussi, d’après la tradition musulmane, le lieu du premier séjour d’Adam après sa chute. Chassé du paradis, dit cette tradition, il tomba sur la montagne de Serandib, qui est l’île de Ceylan. Voy. d’Herbelot, Bibliothèque orientale, p. 55 b., près de l’Inde, et pénétrant dans la région de Babylone, apporta avec lui des choses merveilleuses; entre autres, un arbre d’or qui végétait et avait des feuilles et des branches, un semblable arbre de pierre et une feuille d’arbre verte que le feu ne pouvait brûler. Il (Adam) parla aussi d’un arbre qui pouvait abriter dix mille personnes, tout en n’ayant que la hauteur d’un homme(1)Tous les mss. ar. ont טולהא קאמה̈, dont la longueur était d’une stature d’homme. La traduction d’Ibn-Tibbon, כקומת אדם, est équivoque, et les traducteurs modernes, tels que Buxtorf et Scheier, ont cru qu’il s’agissait de la stature d’Adam. Al-’Harîzi traduit avec plus de précision: קומה אחת.; il en apporta avec lui deux feuilles, dont chacune pouvait envelopper deux personnes. Ils racontent encore une foule d’autres fables de ce genre; et il faut s’étonner que des gens qui croient que le monde est éternel admettent pourtant l’existence de ces choses reconnues naturellement impossibles par ceux qui se livrent aux études physiques(2)L’auteur veut dire qu’il faut s’étonner que les Sabiens, qui admettaient, comme les philosophes, l’éternité du monde, et qui, par conséquent, devaient croire que tout, dans la nature, était soumis à une loi éternelle et immuable, aient pu cependant croire tant de choses qui sont en opposition manifeste avec les lois de la nature.. Ce qu’ils disent d’Adam et tout ce qu’ils lui attribuent n’a d’autre but que de fortifier leur opinion concernant l’éternité du monde, afin d’en tirer la conclusion que les astres et la sphère céleste sont la divinité(1)Tous nos mss. ont: הו אלאלאה; le pronom masculin singulier s’accorde, par une espèce d’attraction, avec le mot suivant. Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi ont הם האלוה, comme s’ils avaient lu dans leur texte arabe הי, ce qui serait plus naturel.. ", "Mais lorsque grandit celui qui fut la colonne du monde(2)C’est-à-dire, lorsque Abraham sortit de l’enfance. Les mots עמודו של עולם, colonne du monde, forment une épithète souvent donnée à Abraham, qui le premier combattit l’idolâtrie et proclama l’existence du Créateur. L’auteur emploie cette épithète dans le Mischné Tora, traité de l’Idolâtrie, ch. I, § 2. Le verbe , qui signifie croître, grandir, a été inexactement rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par יצא et dans celle d’Al-’Harîzi par נולד., ayant reconnu qu’il existe un Dieu séparé(3)Sur le sens du mot , voy. t. II, p. 31, note 2., qui n’est ni un corps, ni une force dans un corps, et que tous ces astres et toutes ces sphères étaient ses œuvres, et ayant compris l’absurdité de tous ces contes avec lesquels il avait été élevé, il commença à réfuter leur doctrine et à montrer la fausseté de leurs opinions; il se déclara publiquement leur adversaire et proclama le nom de l’Éternel Dieu de l’univers(4)Voy. Genèse, XXI, 33, et t. I, p. 3, note 2., proclamation qui embrassait à la fois l’existence de Dieu et la création du monde par ce même Dieu.", "Conformément à ces opinions sabiennes, ils élevèrent des statues aux planètes, des statues d’or au soleil et des statues d’argent à la lune(5)Cf. la description des temples des Sabiens par Schems ed-Din Dimeschki, dans l’ouvrage Die Ssabier de M. Chwolson, t. II, p. 380 et suiv., et notamment celle des temples du soleil et de la lune, p. 390 et p. 396., et ils distribuèrent les métaux et les climats aux planètes(6)C’est-à-dire, ils assignèrent à chaque planète l’un des sept métaux et des sept climats, attribuant à chaque planète une influence sur l’un des climats, et, comme les alchimistes du moyen âge, une participation à la formation des métaux. Les écrivains orientaux comptent sept métaux, qui sont: l’or, l’argent, le cuivre, le plomb, le fer, l’étain et un 7e appelé le Khar-sîni (fer de Chine). Voy. Kazwini, dans la Chrestomathie arabe de M. Silvestre de Sacy, t. III, p. 390. Selon les Sabiens, l’or est attribué au soleil, l’argent à la lune, et ainsi de suite. Voy. Dimeschki, l. c., p. 411. Quant aux sept climats, nous avons déjà dit que Yakout en indique les rapports avec les planètes selon les Perses et les Grecs. Selon les Perses, l’ordre respectif des planètes présidant à chaque climat est conforme à l’ordre naturel des planètes en commençant par la dernière; ainsi Saturne préside au 1er climat, Jupiter au 2e, Mars au 3e, le soleil au 4e, Vénus au 5e, Mercure au 6e, la lune au 7e. Selon les Grecs, c’est l’ordre suivant: Saturne, soleil, Mercure, Jupiter, Vénus, lune, Mars. Dimeschki, dans sa description des temples consacrés aux planètes (l. c., p. 382 et suiv.), suit l’ordre adopté par les Perses; de même Ibn-Ezra, dans son ouvrage astrologique Réschith ’Hokhma, ch. IV, en parlant de l’influence exercée par chaque planète sur les choses sublunaires. Si notre explication des mots אקלים אלשמס (p. 224, note 1) est exacte, l’auteur de l’Agriculture Nabatéenne aurait suivi l’ordre adopté par les Grecs., disant que telle planète est le Dieu de tel climat. Ils bâtirent des temples dans lesquels ils placèrent des statues, et ils prétendirent que les forces des planètes s’épanchaient sur ces statues, de sorte que celles-ci parlaient(1)Il manque ici, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, les mots וידברו הצלמים ההם, qui se trouvent dans les mss. de cette version. Après les mots ותוחי ללנאם, inspiraient les hommes, Ibn-Tibbon a supprimé avec raison les mots אעני אלאצנאם, je veux parler de ces statues, qu’a le texte arabe, mais qui sont superflus., comprenaient, pensaient, inspiraient les hommes et leur faisaient connaître ce qui leur est utile. Ils parlent dans le même sens des arbres échus en partage à ces planètes: si (disent-ils), on consacre tel arbre à telle planète, en le plantant au nom de cette dernière, et en employant pour lui et avec lui(2)Les mots ופעל בהא se trouvent dans tous nos mss., à l’exception du ms. de Leyde,n° 221. Ils sont reproduits dans la version d’Ibn-Tibbon, qui porte: ויעשה לו ובו. Pococke, qui, dans son Specimen Hist. Ar., p. 142, a publié le texte arabe de tout ce paragraphe, a omis les deux mots en question. tel ou tel procédé, la force spirituelle(1)Sur le mot דוחאניה̈, voy. t. I, p. 281, note 2. Sur ce paragraphe en général, cf. Schahrestâni, p. 244 et suiv. (trad. all., t. II, p. 66 et suiv.), et Pococke, l. c., p. 139 et suiv. Ce dernier fait ressortir (p. 143) que, selon Schahrestâni, les Sabiens ne voyaient dans les forces spirituelles des astres que des êtres intermédiaires au-dessus desquels est le Seigneur des seigneurs ou le Dieu suprême, ce qui est contraire à l’idée que Maïmonide donne de la religion des Sabiens; mais nous croyons que Schahrestâni s’est laissé induire en erreur par les écrits de quelques Sabiens de Harran, qui avaient mêlé ensemble les croyances des anciens païens chaldéens avec les doctrines philosophiques des néoplatoniciens. de cette planète s’épanche sur cet arbre, inspire les hommes et leur parle dans le sommeil. Tu trouveras tout cela textuellement dans leurs écrits, sur lesquels j’appellerai ton attention. Tels furent les prophètes de Baal et les prophètes d’Aschérâ, dont il est parlé chez nous(2)C’est-à-dire, dont il est parlé dans nos livres sacrés. Voy. I Rois, chap. XVIII, v. 19. L’auteur en disant tels furent se reporte au mode d’inspiration dont il vient de parler, et le sens est: de cette manière furent inspirés les prophètes de Baal etc. et dans lesquels s’étaient fortifiées ces idées, de manière qu’ils abandonnèrent l’Éternel(3)Par les mots hébreux עזבו את י״י, qui se trouvent ici dans le texte arabe, il est fait allusion à un passage d’Isaïe, chap. 1, v. 4. et s’écrièrent: O Baal, exauce-nous! (I Rois, 18, 26.) Ce qui en fut la cause, c’est que ces opinions étaient très-communes, que l’ignorance était répandue, et que le monde était alors généralement plongé dans les folles imaginations de cette espèce; il se forma donc chez eux (les Hébreux) des idées qui donnèrent naissance aux pronostiqueurs, aux augures, aux sorciers, aux enchanteurs, aux évocateurs, aux magiciens et aux nécromanciens(4)L’auteur reproduit ici en hébreu les mots du Deutéronome, chap. XVIII, v. 10 et 11, qui désignent diverses espèces de devins, de magiciens et de nécromanciens. Ce n’est pas ici le lieu de citer les différentes opinions sur l’étymologie et le vrai sens de chacun de ces mots, et nous nous sommes contenté d’y substituer des mots français d’un sens approximatif..", "Nous avons déjà exposé, dans notre grand ouvrage Mischné Tôrâ(1)Voy. la Ire partie du Mischné Tora, traité Aboda Zara (de l’idolâtrie), chap. I, § 3., que notre père Abraham commença à réfuter ces opinions par des arguments et par une prédication pleine de douceur qui lui gagnait les hommes, et qu’il les attira au culte de Dieu en les traitant avec bienveillance. Lorsque ensuite le prince des prophètes parut(2)Littéralement: fut inspiré. Le mot נבי qu’ont tous les mss. doit être prononcé comme prétérit passif: ., il réalisa l’intention (d’Abraham), en ordonnant de tuer ces hommes (idolâtres), d’en faire disparaître les traces et d’en détruire la racine [Vous démolirez leurs autels, etc.(3)Voy. Exode, XXXIV, 13; Deutéronome, VII, 5. Les mots מזבחותיהם תתצון, tels qu’ils sont cités dans tous les mss. ar., ainsi que dans les versions d’Ibn-Tibbon et d’Al-’Harîzi, ne se trouvent que dans un passage du livre des Juges, chap. II, v. 2; dans le passage de l’Exode, on lit את מזבחתׄם, et dans celui du Deutéronome תתצו. L’auteur a confondu dans sa mémoire ces différents versets. Voy. ci-après, p. 243, note 1.], et en défendant de suivre en quoi que ce soit leurs coutumes: et vous ne suivrez pas les lois de la nation, etc. (Lév., XX, 23). Tu sais par de nombreux passages du Pentateuque que la Loi avait principalement pour but de faire cesser l’idolâtrie, d’en effacer la trace, (de faire disparaître) tout ce qui s’y rattache, jusqu’à son souvenir même, et tout ce qui peut conduire à une de ses pratiques [telles que l’évocation, la magie, le passage par le feu(4)On sait que les adorateurs du Moloch brûlaient leurs enfants ou les faisaient passer par le feu en l’honneur de ce Dieu. Voy; Palestine, p. 90 a et 91 b., la divination, l’art de pronostiquer et d’augurer, la sorcellerie, l’incantation et la nécromancie], et enfin d’avertir qu’on doit se garder de faire même le simulacre de ces pratiques, et à plus forte raison de les imiter elles-mêmes. On déclare expressément, dans le Pentateuque, que toutes les choses par lesquelles ils croyaient rendre un culte à leurs divinités et s’approcher d’elles étaient en haine et en abomination à Dieu; c’est ce que dit ce passage: car tout ce qui est en abomination à l’Éternel, tout ce qu’il hait, ils l’ont fait pour leurs dieux (Deut., XII, 31). On rapporte, comme tu le trouveras dans leurs livres que je te ferai connaître, que, dans certaines circonstances, ils offraient au soleil, leur dieu suprême, sept scarabées, sept souris et sept chauves souris. Certes, cela seul suffit pour inspirer du dégoût à la nature humaine. — Tous les commandements donc qui ont pour objet d’interdire l’idolâtrie et tout ce qui en dépend, qui peut y conduire, ou qui est en rapport avec elle, sont d’une utilité évidente; car tous ils ont pour but de nous préserver de ces opinions pernicieuses, qui nous détournent de tout ce qui est utile pour arriver aux deux perfections(1)Voy. ci-dessus, chap. XXVII., en nous donnant ces folles préoccupations dans lesquelles nos ancêtres ont été élevés, — Au delà du fleuve demeuraient jadis vos ancêtres, Taré, père d’ Abraham et de Nachor, et ils adoraient des faux dieux (Josué, 24, 2), — et dont les prophètes véridiques ont parlé en disant: Ils ont suivi des choses vaines qui ne sont d’aucun profit(2)Nous avons reproduit cette citation telle qu’elle se trouve dans tous les mss. du texte arabe, ainsi que dans les mss. et les éditions de la version d’Ibn-Tibbon. L’auteur a confondu ici deux passages bibliques: dans l’un, on lit: כי אחרי התהו אשר לא יועילו ולא יצילו (I Sam., XII, 21); dans l’autre: ואחרי לא יועילו הלכו (Jérémie, II, 8). Al-’Harîzi a corrigé la citation en rétablissant le passage de Jérémie.. Grande est donc l’utilité de tout commandement qui nous préserve de cette grave erreur et qui nous ramène à la vraie croyance, à savoir, qu’il y a un Dieu créateur de toutes ces choses, que c’est lui qu’il faut adorer, aimer et craindre, et non pas ces divinités imaginaires, et que, pour s’approcher du vrai Dieu et se concilier sa bienveillance, on n’a nul besoin de toutes ces pratiques pénibles, mais qu’il suffit de l’aimer et de le craindre, deux choses qui sont le véritable but du culte divin, comme nous l’exposerons: Et maintenant, ô Israël! que te demande l’Éternel ton Dieu, etc.? (Deutér., 10, 12.) Plus loin, je m’étendrai davantage sur cette idée. ", "— Revenant maintenant à mon sujet, je dis que ce qui m’a fait comprendre le sens d’un grand nombre de commandements et ce qui m’en a fait connaître la raison, c’est l’étude que j’ai faite des doctrines des Sabiens, de leurs opinions, de leurs pratiques et des cérémonies de leur culte. C’est ce que tu verras, quand j’exposerai ce qui a motivé ces commandements, qu’on croit être sans raison aucune. Je vais donc te parler des livres(1)Le mot ספורים, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, est une faute d’impression; les mss. de cette version ont הספרים. par lesquels tu peux apprendre tout ce que je sais moi-même des doctrines et des opinions des Sabiens, afin que tu acquières la certitude que tout ce que je dirai pour motiver ces commandements est la vérité.", "Le plus grand ouvrage sur ce sujet est l’Agriculture Nabatéenne, ouvrage traduit par Ibn-Wa’hschiyya(2)Abou-Bekr A’hmed ben ’Ali Ibn-Wa’hschiyya, issu d’une famille nabatéenne ou chaldéenne qui avait embrassé l’islamisme, fit paraître, en 291 de l’Hégire (904 de J. C.), un vaste ouvrage intitulé , l’Agriculture Nabatéenne, qu’il disait avoir traduit du chaldéen, et auquel il donnait pour auteur un ancien sage chaldéen nommé Kothâmi. Celui-ci cite beaucoup d’auteurs plus anciens, en tête desquels nous remarquons Dewanai, Çaghrith et Yanbouschad, ce dernier, précepteur d’Adâmi ou Adam (cf. le Khozari, l. I, § 61). L’ouvrage en question renferme, à côté de beaucoup de théories agronomiques rationnelles, une foule de fables absurdes et des renseignements prétendus historiques sur les Kananéens, les Chaldéens et les Assyriens. Cet ouvrage, qui n’était d’abord connu des savants d’Europe que par les citations de Maïmonide, a été, dans ces derniers temps, l’objet d’un examen plus sérieux. M. Étienne Quatremère, qui n’avait a sa disposition que la 2e et la 3e partie de l’ouvrage (ms. ar. de la Biblioth. impér., n° 913), fait remonter Kothâmi jusque vers le commencement du VIe siècle avant l’ère chrétienne. Voy. Mémoire sur les Nabatéens, dans le Journal Asiatique, mars 1835, p. 231 et suiv. M. Chwolson, qui avait sous les yeux les mss. de Leyde et de Saint-Pétersbourg, renfermant l’ouvrage entier divisé en neuf parties, est arrivé à un résultat bien autrement étonnant; selon lui, la composition de l’Agriculture Nabatéenne par Kothâmi remonterait au moins au XIVe siècle avant l’ère chrétienne. Voy. le mémoire cité ci-dessus, p. 222, note 5. Il n’a pas été difficile, pour des auteurs plus habitués que M. Chwolson à manier la critique historique, de démontrer tout ce que sa thèse a d’exorbitant. Déjà Spencer avait pensé que cet ouvrage et les écrits sabiens en général devaient appartenir à cette littérature pseudépigraphique qui prit un si grand développement dans les premiers siècles de l’ère chrétienne:. Je te ferai savoir, dans le chapitre suivant, pourquoi les Sabiens ont inscrit leurs doctrines religieuses dans les traités d’agriculture. Ainsi, le livre en question est rempli des folles idées des idolâtres et de ce qui peut attirer et captiver les esprits de la foule; on y parle des talismans, de la coopération des esprits (des astres)(1)Voy. tome I, p. 281, note 1., de la magie, des démons et des goules qui habitent les déserts. On y débite incidemment de grandes folies, qui font rire les hommes intelligents et par lesquelles on prétendait insulter aux miracles manifestes, qui faisaient savoir aux habitants de la terre qu’il y a un Dieu qui les gouverne tous, comme il est dit: Afin que tu saches qu’à l’Éternel appartient la terre (Exode, 9, 29), et dans un autre passage: Car, moi l’Éternel, je suis au milieu de la terre (ibid., VIII, 18). ", "On y raconte aussi qu’Adam, le premier homme(2)Par les mots אדם הראשון, Maïmonide désigne l’ancien sage qui, dans l’Agriculture Nabatéenne, est appelé tantôt Adam, tantôt Adami, et qu’il identifie à juste titre avec l’Adam de l’Écriture sainte. Ibn-Wa’hschiyya, imbu des traditions musulmanes et oubliant son rôle de traducteur d’anciens livres chaldéens, ajoute aussi quelquefois à Adam l’épithète de , notre père, ou de , père de l’humanité. Voy. le mémoire précité de M. Chwolson, p. 24, note 33, et p. 174. Selon l’Agriculture Nabatéenne, Adam est le père des Chaldéens, mais non celui des Assyriens (ibid., p. 44, note 81, et Gutschmidt, l. c., p. 33); s’il est appelé père de l’humanité, c’est, dit M. Chwolson (p. 174), que par ses doctrines et par ses écrits il était devenu le bienfaiteur de l’humanité., rapportait dans son livre qu’il y avait dans l’Inde un arbre dont les branches, si on les prend et qu’on les jette par terre, se meuvent chacune en rampant comme les serpents; qu’un autre arbre, dont la racine a une forme humaine, fait entendre un son rauque et laisse échapper des mots isolés; qu’un homme, en prenant les feuilles d’une certaine herbe [dont on donne la description], et en les mettant dans son sein, se rend invisible, de sorte qu’on ne voit pas où il entre ni d’où il sort; et qu’enfin si avec cette même herbe on fait des fumigations en plein air, on entend dans l’atmosphère, tant que la fumée monte, un bruit et des sons effrayants. Des fables pareilles s’y débitent en grand nombre dans le style(1)Sur le sens du mot , cf. le t. II, p. 127, note 4. d’un simple exposé(2)L’auteur veut dire qu’en débitant ces fables, on n’a pas du tout l’air de raconter quelque chose d’extraordinaire, et on semble exposer simplement ce qu’il y a de remarquable dans la nature des plantes. sur les qualités remarquables des plantes et sur les particularités de la nature, de sorte qu’on paraît insulter aux miracles et faire croire que ceux-ci s’accomplissaient par des artifices(3)C’est-à-dire, en employant des procédés puisés dans l’étude des sciences naturelles..", "Une des fables de ce livre (de l’Agriculture Nabatéenne) est celle relative à l’arbuste de l’Althœa, une de ces plantes qu’on employait comme Aschérôth(4)Le mot biblique אֲשֵרָה a été tantôt traduit par bois sacré, tantôt considéré comme synonyme d’Astarté; l’auteur l’applique en général à des plantations faites en l’honneur des divinités. Cf. Spencer, De legibus rit. Hebr., l. II, c. 16 (édit. Cambridge, p. 396 et suiv.).—La traduction littérale de ce passage est celle-ci: une des fables de ce livre, c’est que l’arbuste de l’althœa, qui est une des Aschéroth qu’ils faisaient, comme je te l’ai fait savoir, que cet arbuste était, dit-on, etc. Le mot ou est le nom d’une plante malvacée, l’althœa ou la guimauve. Dans la Mischnâ (Kilaïm, chap. I, § 8), elle est, selon quelques commentateurs, désignée par le mot חלמית., ainsi que je te l’ai fait savoir. On rapporte que cet arbuste, après avoir été placé douze mille ans à Ninive, eut une querelle avec la mandragore, qui voulait prendre sa place, et que le personnage que cet arbuste (l’Althœa) inspirait resta pendant quelque temps privé de ses révélations; ensuite, en l’inspirant de nouveau, il lui raconta qu’il avait été occupé à plaider avec la mandragore, et il lui ordonna d’écrire aux Chaldéens(1)Le mot chaldéen est ici employé dans le sens de magicien. Dans quelques mss. le mot ללכלדאניין est remplacé par ללרוחאניין, mot qui désigne les hommes inspirés par les esprits présidant aux astres, aux éléments, aux plantes, etc. La version d’Ibn-Tibbon porte לכלדיים, mot qui, dans les éditions, a été travesti en לכל הדיינים; la version d’Al-’Harîzi porte אל הרוחניים., pour que ceux-ci jugeassent leur cause et déclarassent laquelle des deux plantes, de l’Althœa ou de la mandragore, est préférable pour leur magie et d’un plus fréquent emploi. C’est toute une longue fable(2)M. Chwolson parle incidemment de cette fable qu’il a retrouvée dans le mss. de Leyde, n° 303 a, p. 102 et suiv. Voy. Ueber Tammuz, l. c., p. 165, note 3., et si tu la lis, tu pourras juger par là de l’intelligence des hommes de ces temps et de l’état de leurs sciences. Tels furent dans ces jours de ténèbres les sages de Babylone auxquels il est fait allusion(3)Voy. le livre de Daniel, chap. II, v. 12, 14, 18, 24, 48; chap. IV, v. 3; chap. V, v. 7.; car ce furent là les croyances religieuses dans lesquelles ils avaient été élevés. Si la croyance à l’existence de Dieu n’était pas si généralement reconnue dans les religions actuelles, il y aurait de nos jours des ténèbres plus épaisses encore que celles qui régnaient dans ces temps-là; cependant il y en a à d’autres égards(4)Selon Moïse de Narbonne, l’auteur ferait ici allusion aux nombreuses superstitions qui régnaient de son temps, telles que la croyance à l’efficacité des amulettes et des noms saints imaginaires, à l’existence des génies malfaisants, etc. Cf. le tome I, ch. LXI, p. 271, et ch. LXII, p. 278-79. — Le sens de notre phrase est celui-ci: si la croyance à l’existence de Dieu n’était pas maintenant si généralement répandue,— ce qui nous empêche de tomber dans le polythéisme et l’idolâtrie, nous ne serions peut-être pas plus éclairés que les anciens païens, à en juger par les nombreuses superstitions qui régnent encore parmi nous.. Mais revenons à notre sujet.", "Dans le livre en question, on raconte au sujet d’un personnage d’entre les prophètes de l’idolâtrie, qui s’appelait Tammouz, qu’il invita un certain roi à adorer les sept planètes et les douze signes du Zodiaque. Ce roi le fit mourir d’une manière cruelle(1)On raconte que le roi fit broyer ses os dans un moulin et qu’il en fit jeter la poudre au vent. Voy. le Kitâb al-Fihrist, ap. Chwolson, Die Ssabier, tome II, p. 27.; et on rapporte que, la nuit de sa mort, toutes les idoles des différentes contrées de la terre se réunirent dans le temple de Babylone, auprès de la grande statue d’or, qui est celle du soleil. Cette statue, qui était suspendue entre le ciel et la terre, vint se placer(2)Au lieu de פוקף, quelques mss. ont פוקע, tomba; de même Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi ונפל. au milieu du temple, et toutes les autres statues se placèrent autour d’elle. Elle se mit à faire l’oraison funèbre de Tammouz et à raconter ce qui lui était arrivé; toutes les idoles pleurèrent et gémirent pendant toute cette nuit, et au matin elles s’envolèrent et retournèrent à leurs temples dans les différentes contrées de la terre. De là vient cette coutume perpétuelle de gémir et de pleurer sur Tammouz, au premier jour du mois de Tammouz (juillet); ce sont les femmes(3)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut ajouter après ויספדו עליו le mot הנשים qui manque dans les éditions, mais qui se trouve dans les mss. A la fin de la phrase, les mots בני אדם qu’ont aussi les mss. doivent être effacés. qui le pleurent et qui récitent son éloge funèbre(4)La légende de Tammouz, que l’auteur rapporte ici en abrégé, est tirée de la deuxième partie de l’Agriculture Nabatéenne (ms. ar. de la Biblioth. imp., n° 913, fol. 8 et 9), où l’on trouve de longs détails sur la mort et le deuil de Tammouz, ainsi que sur Yanbouschad, qui eut une fin semblable. Tout ce passage a été publié récemment en arabe, avec une traduction allemande, par M. Chwolson, dans son Mémoire sur Tammouz (Ueber Tammouz, l. c., p. 129 et suiv.). On y lit entre autres que toutes les légendes relatives à Tammouz étaient réunies dans un recueil particulier, et que les Babyloniens les récitaient dans les temples avec des pleurs et des gémissements. Il y est dit encore que Tammouz a donné son nom à l’un des mois babyloniens (juillet) et que tous les autres mois tiraient également leur nom de certains sages de la haute antiquité (cf. Makrizi, ap. Chwolson, Die Ssabier, t. II, p. 606). Le prophète Ézéchiel (VIII, 14) fait allusion au deuil de Tammouz, célébré par des femmes. Il paraît résulter de ce passage que Tammouz est le nom d’un dieu, et ce n’est peut-être pas à tort que déjà S. Jérôme l’a identifié avec Adonis, pleuré par des femmes au jour anniversaire de sa mort cruelle. Le lexicographe syrien Bar-Bahloul, au mot Tammouz, raconte la légende d’Adonis, qu’il identifie par conséquent avec le dieu Tammouz, qui a donné son nom à l’un des mois des Syriens. Voy. le Dictionnaire syriaque de Castell, publié par J. D. Michaelis, p. 964. L’identité de Tammouz et d’Adonis a été généralement admise par les savants modernes, quoique la légende d’Adonis diffère d’une manière très-notable de celle que l’Agriculture Nabatéenne rapporte sur Tammouz. C’est surtout en s’appuyant sur l’autorité de ce dernier livre que M. Chwolson, dans son Mémoire sur Tammouz, a cru devoir contester l’identité de celui-ci avec l’Adonis des Phéniciens et des Grecs; mais on a déjà vu que cette autorité est peu imposante. Nous n’avons pas ici à entrer dans des détails sur ces sujets, et nous nous contentons de renvoyer aux observations critiques de M. Alfred de Gutschmidt, l. c., p. 52-53.. ", "— Applique ton attention à tout cela, et tu comprendras quelles furent les idées des hommes de ces temps là; car cette légende de Tammouz est d’une très-haute antiquité parmi les Sabiens. Par le livre en question, tu pourras connaître la plupart des folles idées des Sabiens, ainsi que leurs pratiques et leurs fêtes.", "Quant à ce qu’ils racontent de l’aventure d’Adam, du serpent, de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, où il est aussi fait allusion à une manière de se vêtir peu accoutumée(1)Nous ignorerons peut-être à jamais quelles étaient, sur ces différents points, les traditions rapportées par l’Agriculture Nabatéenne. M. Chwolson nous dit que dans le seul ms. complet de la Bibliothèque de Leyde, n° 303, il manque à la fin du 1er volume 40 feuillets, qui ont été égarés à Leyde et qui contenaient précisément les traditions dont il s’agit; dans le livre du Babylonien Tenkeluscha, dit le même auteur, il est question incidemment de l’arbre de la vie, gardé par deux anges. Voy. Ueber die Ueberreste der Altbabylonischen Literatur, p. 34, note 58, et p. 181. — Quoi qu’il en soit, il est évident, comme va le dire Maïmonide lui-même, que le prétendu traducteur de l’Agriculture Nabatéenne a reproduit ici les traditions bibliques, qu’il a amplifiées à sa manière, probablement à l’aide des traditions musulmanes. Cf. d’Herbelot, Bibliothèque orientale, à l’article Adam., il faut te bien garder de te laisser troubler l’esprit et de t’imaginer que ce qu’ils disent soit jamais arrivé à Adam ou à un autre. Ce n’est nullement une histoire réelle, et la plus légère réflexion te fera reconnaître que tout ce qu’ils ont rapporté dans cette fable n’est que mensonge. Tu reconnaîtras que c’est une histoire qu’ils ont copiée du Pentateuque. Lorsque ce livre se fut répandu parmi les sectes religieuses(1)L’auteur, en se servant du mot , les communions ou les sectes religieuses, paraît désigner les nations qui ont adopté l’Écriture sainte des Juifs, et insinuer par là que l’Agriculture Nabatéenne ne remonte pas au delà des temps du christianisme et peut-être même de ceux de l’islamisme. Les deux traducteurs hébreux rendent peu exactement le mot arabe מלל par אומות, qui correspond plutôt à ., et que celles-ci, ayant entendu le texte du récit de la création, le saisirent entièrement dans le sens littéral, ils (les Sabiens) forgèrent(2)Tous nos mss. ont עמלוא, sans le ו copulatif, et ce verbe doit être considéré comme complément des mots למא שהרת אלתורה. La version d’Ibn-Tibbon porte ועשו avec le ו conjonctif, et de même celle d’Al-’Harîzi וחברו, ce qui est inexact. cette histoire en question, afin que les hommes inexpérimentés qui l’entendraient fussent induits à croire que le monde est éternel et que cette histoire, rapportée dans le Pentateuque, était réellement arrivée telle qu’ils la racontaient(3)Au lieu de חכוא, un de nos mss. a חכמוא, et de même Ibn-Tibbon: כמו שגזרו, comme ils le jugent.. ", "Bien qu’un homme comme toi n’ait pas besoin de cette observation(1)L’auteur s’adresse ici, comme dans plusieurs autres passages, à son disciple Joseph ben-Iehouda, à qui il dédia cet ouvrage. Cf. tome I, à la fin du chap. LXVIII (p. 312, note 3); tome II, au commencement du chap. XXIV., — car tu possèdes assez de science pour empêcher ton esprit de s’attacher aux fables des Sabiens et aux folies des Casdéens et des Caldéens(2)Maïmonide, comme d’autres auteurs arabes, fait quelquefois des Casdéens et des Chaldéens deux peuplades différentes, quoique ces deux noms désignent un seul et même peuple. Cf. ci-après, au commencement du chap. XXXVII, et Dimeschki, ap. Chwolson, Die Ssabier, t. II, p. 414. — Dans la version d’Ibn-Tibbon, il y a ici une transposition; elle porte: שגעונות הכשדיים והכלדיים והבלי הצאבה. Le mot הבלי manque dans les éditions., dénués de toute science qui mérite véritablement ce nom, — j’ai pourtant cru devoir donner un avertissement pour préserver les autres; car le vulgaire n’est que trop disposé à ajouter foi aux fables.", "Du nombre de ces livres (païens) est aussi le livre Istimakhis(3)L’orthographe de ce mot varie beaucoup dans les mss. et l’étymologie en est incertaine. L’ouvrage existe dans la Bibliothèque bodléienne, et il est dit, après le titre, qu’Aristote composa cet ouvrage pour Alexandre, lorsque celui-ci voulut quitter la Grèce pour aller en Perse. Voy. le Catalogue d’Uri, ms. ar., p. 126, n° 515. Aboul-Kâsim Moslima al-Madjriti, auteur arabe-espagnol du Xe siècle, donne dans son ouvrage intitulé , le but final du savant (Casiri, t. I, p. 378), plusieurs extraits du livre Istimakhis. M. Steinschneider, dans sa Notice sur une version hébraïque du traité d’Al-Madjriti, nous apprend que l’Istimakhis est un livre de magie, et il suppose que ce mot est corrompu du grec στοιχειωματιϰος, astrologue, qui tire l’horoscope. Voy. Pseudepigraphische Literatur, p. 37, dans le Recueil intitulé Wissenschaftliche Blätter aus der Veitel-Heine-Ephraim’schen Anstalt, Berlin, 1862, gr. in-8°., qu’on attribue à Aristote, mais qui est bien loin de pouvoir lui appartenir; de même, les écrits relatifs aux talismans, tels que le livre de Tomtom(1)Tomtom est, selon les Arabes, un auteur indien dont on cite différents ouvrages de magie traduits en arabe. Voy. Hadji-Khalfa, tome I, p. 194 (n° 251); t. II, p. 288 (n° 2974); t. III, p. 54 (n° 4475); D’Herbelot, Bibliothèque orientale, p. 1031 a; Chwolson, Die Ssabier, t. I, p. 712. Le passage des Prolégomènes d’Ibn-Khaldoun cité par M. Chwolson se trouve dans la IIIe partie, p. 125, de l’édition de M. Quatremère. Plus loin, Maïmonide cite encore trois fois le livre de Tomtom: au ch. XXXVII, au sujet des vêtements de femmes que mettaient les hommes en se tenant devant la planète Vénus et des armures d’hommes que mettaient les femmes en se tenant devant la planète Mars; au chap. XLI, au sujet du sang que buvaient les païens dans certains rites idolâtres; et au chap. XLVI, au sujet des lions, des ours et autres bêtes féroces que les païens offraient en sacrifice à leurs dieux., le livre Al-Sarb(2)Je n’ai trouvé nulle part le moindre renseignement sur ce livre, et je suis même incertain de la prononciation du mot ; cependant la leçon אלסרב est garantie par sept mss. ar. et par autant de mss. de la version d’Ibn-Tibbon, qui ont ספר הסרב. Dans une citation de Saad ben-Mansour (ap. Steinschneider, l. c., p. 83, note 4), on lit également אלסרב. Un seul ms. de la version d’Ibn-Tibbon (fonds de l’Oratoire, n° 46) porte השרב, comme les éditions de cette version; cette variante est sans aucune importance. Dans deux mss. ar. (Suppl. hébr., n° 63, et ms. de Leyde, n° 18), on lit לאסרגׄ, mot qu’on doit prononcer (pl. de ), car Al-’Harîzi, qui avait la même leçon, la rend par םפר הנרות, livre des lampes. Nous trouvons aussi des traces de cette leçon dans deux mss. de la version d’Ibn-Tibbon, dont l’un (Suppl. hébr., n° 26) porte ספר הסרגי, et dont l’autre (Orat., n° 47) a ספר הנר. Cette dernière leçon est la seule qui corresponde à כתאב אלסראגׄ, titre d’un ouvrage d’alchimie et de magie, de Ya’hya al-Barmeki, cité par Hadji-Khalfa (t. III, p. 588, n° 7074), et dans lequel M. Chwolson croit reconnaître l’ouvrage désigné ici par Maïmonide (voy. Die Ssabier, tome I, p. 713-14); mais cette leçon isolée ne peut prévaloir contre celle de la plupart des mss. et que nous avons cru devoir adopter. Enfin, la leçon אלסרס, qui ne se trouve que dans un ms. peu correct de la Bibliothèque de Leyde (n° 221), est évidemment corrompue., le livre «des Degrés de la sphère céleste et des figures qui se montrent à chaque degré(3)Je crois, avec M. Chwolson (Die Ssabier, t. I, p. 715), que l’auteur veut parler du livre de genéthliaque attribué au Babylonien Tenkelouscha et qui a pour titre . Dans son mémoire sur l’ancienne littérature babylonienne (Ueber die Ueberreste etc., p. 150 et suiv.), M. Chwolson a donné une analyse du livre de Tenkelouscha, qu’il place au Ier siècle de l’ère chrétienne. Les Arabes citent, à côté de Tenkelouscha, un autre astrologue nommé Tinkérous, auteur d’un Livre de genéthliaque selon les degrés de la sphère céleste (voy. Flügel, dans la Zeitschrift der D. M. G., t. XIII, p. 628); les deux noms n’indiquent peut-être qu’une seule et même personne. Déjà Saumaise (de Annis climactericis et antiqua astrologia, préface, 3e feuillet) identifie Tenkelouscha avec Teucer ou Teukros le Babylonien (Τεῦϰρος βαϐυλώνιος), qui figure comme astrologue chez les Grecs de la basse époque et qui vécut avant le IIIe siècle de l’ère chrétienne. Voir Ewald, dans les Göttinger gelehrte Anzeigen, année 1859, p. 1141, et les détails donnés sur Tenkelouscha et Teukros le Babylonien par M. Gutschmidt, dans son mémoire sur l’Agriculture Nabatéenne (Zeitschrift der D. M. G., t. XV, p. 82 et suiv., et p. 104 et suiv.). Cf. aussi Renan, Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXIV, Ire partie, p. 186 et suiv.», un autre livre sur les talismans attribué à Aristote, un autre attribué à Hermès(1)Les Arabes parlent de trois anciens sages nommés Hermes, dont le premier, appelé Hermès al-Harâmisa (le Hermes des Hermes), est identifié avec le Henoch de la Bible, que les Arabes appellent ldrîs. C’est le Hermes trismégiste des Grecs, au nom duquel on forgea, dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, plusieurs ouvrages d’astrologie, de magie et d’alchimie. Les écrits pseudo-hermétiques furent traduits en arabe. L’ouvrage indiqué ici par Maïmonide est peut-être celui que Hadji-Khalfa (t. V, p. 247, n° 10877) cite sous le titre de , le Trésor des secrets. Sur les fables arabes relatives à Hermes et sur les livres qu’on lui attribue, voy. D’Herbelot, Bibliothèque orientale, art. Hermes, et Casiri, Biblioth. arab. hisp., t. I, p. 372, 374-76., enfin un livre du Sabien Is’hâk pour la défense de la religion des Sabiens(2)Nous manquons de renseignements précis sur Isaac le Sabien et sur ses ouvrages; cet auteur était sans doute de Harrân. Les Sabiens de Harrân comptent plusieurs auteurs du nom d’Ibrahim et dont le prénom était Abou-Is’hâk; mais parmi leurs ouvrages énumérés par Al-Kifti,dans le Tarîkh al-’hocamâ, on ne rencontre pas ceux dont parle ici Maïmonide. M. Chwolson suppose que Maïmonide a voulu parler de quelques ouvrages de Senân ben-Thabit ben-Korra, dédié à un certain Abou-Is’hâk Ibrahim ben-Helâl (voy. Die Ssabier, t. II, préface, p. v, note 17); mais une pareille erreur, de la part de Maïmonide, est peu probable., et son grand ouvrage sur les lois des Sabiens, sur différents détails de leur religion, de leurs fêtes, de leurs sacrifices, de leurs prières, et d’autres sujets religieux.", "Tous les livres que je viens d’énumérer sont des livres d’idolâtrie qui ont été traduits en arabe. Il est indubitable qu’ils ne forment qu’une petite portion (de cette littérature), relativement à ceux qui n’ont pas été traduits ou qui n’existent même plus, mais se sont perdus et ont péri dans le cours des années. Ceux qui existent encore aujourd’hui chez nous renferment la plupart des opinions des Sabiens, ainsi que leurs pratiques qui, en partie, sont encore aujourd’hui répandues dans le monde; je veux parler de la construction des temples, des statues de métal et de pierre qui y sont élevées, de la construction des autels, de ce qu’on y offre en fait de sacrifices ou de différentes espèces d’aliments, de l’institution des fêtes, des réunions pour les prières ou pour d’autres cérémonies qui se font dans ces temples, [où sont réservées des places qu’ils ont en grand honneur et qu’ils appellent les chapelles des formes intelligibles(1)Par formes intelligibles, on paraît entendre ici les hypostases des néoplatoniciens, autrement dit les substances simples ou intelligibles (Cf. Ibn-Gebirol, Source de Vie, III, 15 et passim); et je crois avec M. Chwolson (Die Ssabier, t. II, p. 727) que Maïmonide a ici en vue les Sabiens de Harrân, chez lesquels les idées néoplatoniciennes étaient répandues, et qui, comme nous le dit Massoudi (voy. ibid., p. 367), avaient des temples consacrés aux substances intelligibles, ou aux hypostases.], des images qu’ils placent sur les hautes montagnes (Deutér., 12, 2), des honneurs rendus aux Aschérôth(2)Voy. ci-dessus, p. 234, note 4., de l’érection des pierres monumentales(3)Selon l’auteur, on entend par le mot מצבות, des pierres qu’on érigeait en l’honneur de certaines divinités et près desquelles on s’assemblait pour leur rendre un culte. Voy. Maïmonide, traité de l’Idolâtrie, chap. VI, § 6; Sépher Miçwôth, préceptes négatifs, n° 11. Cf. Genèse, chap. XXVIII, v. 18. Sanchoniathon parle de ces pierres que les Phéniciens appelaient Bœtylia (בית אל). Voy. Eusèbe, Prœparat. evang., l. I, ch. 10., et enfin d’autres choses que tu pourras lire dans les livres sur lesquels j’ai appelé ton attention. ", "La connaissance de ces opinions et de ces pratiques est extrêmement importante pour se rendre raison des commandements (divins); car la base de toute notre loi et le pivot sur lequel elle tourne, c’est d’effacer des esprits ces opinions et d’en faire disparaître les monuments; «de les effacer des esprits», comme il est dit: De peur que votre cœur ne soit séduit (Deutér., 11, 16),… dont le cœur se détourne aujourd’hui etc. (ibid., XXIX, 17), «et d’en faire disparaître les monuments», comme il est dit: Vous démolirez leurs autels… et vous couperez leurs Aschéroth (Deutér., 7, 5)(1)Tous les mss. ont מזבחותיהם תתצון; mais dans aucun verset du Pentateuque ces deux mots ne sont combinés ensemble, et on ne les trouve qu’au livre des Juges, chap. 2, v. 2. Nous avons écrit תתצן, selon le verset du Deutéronome (VII, 5), que l’auteur a eu en vue et qu’il a confondu avec un verset de l’Exode (XXXIV, 13). Cf. ci-dessus, p. 229, note 3. Au lieu de תגדעון, quelques ms. ar., ainsi que les deux versions hébraïques, ont תשרפון באש, selon le Deutéronome, ch. XII, v. 3, qui est cité à la suite., et vous détruirez leur nom de ce lieu-là (ibid., XII, 3). Ces deux points se trouvent répétés dans plusieurs passages; car c’est là le but principal de tout l’ensemble de la Loi, comme les docteurs nous l’ont fait savoir par leur explication traditionnelle de ces mots: Tout ce que l’Éternel vous a ordonné par Moïse (Nombres, 15, 23); «De là tu peux apprendre, disent-ils(2)Voy. le Siphri, au passage indiqué du livre des Nombres, et cf. Talmud de Babylone, Horayôth, fol. 8 a, Kiddouschin, fol. 40 a; Maïmonide, traité de l’Idolâtrie, chap. II, § 4., que celui qui professe l’idolâtrie nie toute la loi, et que celui qui nie l’idolâtrie reconnaît toute la loi.» Il faut te bien pénétrer de cela." ], [ "En considérant ces opinions surannées et déraisonnables, tu reconnaîtras que c’était une idée généralement répandue parmi les hommes, que le culte des astres avait pour résultat la prospérité de la terre et la fertilité des pays. Les savants, ainsi que les hommes vertueux et pieux de ces temps, prêchaient dans ce sens et enseignaient que l’agriculture, par laquelle seule l’homme subsistait, ne pouvait s’accomplir et réussir à souhait qu’au moyen du culte(1)Littéralement: qu’à condition que vous adoriez le soleil et les planètes, et que si vous les irritiez etc. L’auteur introduit, à la fin de la phrase, le discours direct des orateurs. Cette espèce d’anacoluthe n’est pas rare en arabe. Cf. le tome I, p. 283, note 4.— Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi ont mis la 3e personne, כשיעבדו. du soleil et des (autres) planètes, et que, si on les irritait par la désobéissance, les pays deviendraient déserts et seraient dévastés. Ils (les Sabiens) rapportent dans leurs livres, que Jupiter(2)Tous nos mss. ar. portent אלמשתרי, Jupiter, et de même Al-’Harîzi: כוכב צדק, tandis qu’Ibn-Tibbon a מאדים, Mars. Peut-être est-ce avec intention qu’Ibn-Tibbon a substitué la planète Mars, à laquelle les astrologues attribuent toute mauvaise influence, tandis que Jupiter pronostique toujours du bonheur et est appelé la grande fortune. Cf. Reinaud, Monuments arabes, persans et turcs, t. II, p. 371 et suiv. avait frappé de sa colère les lieux déserts et incultes, qui, à cause de cela, sont privés d’eau et d’arbres et habités par des goules. Ils avaient en grand honneur les agriculteurs et les laboureurs, parce que ceux-ci s’occupent de la culture de la terre, qui répond à la volonté des astres et qui(3)Tous nos mss. ont והן au masculin; ce pronom est accordé avec le mot רצא qui suit, et il faut le considérer comme neutre: et c’est là leur plaisir. leur est agréable. La raison pourquoi les idolâtres estimaient tant les bœufs n’est autre que parce que ceux-ci sont utiles pour l’agriculture. Ils disaient même qu’il n’est pas permis de les égorger(4)Cf. Varron, De re rustica, II, 5: «Hic socius hominum in rustico opere et Cereris minister. Ab hoc antiqui manus ita abstineri voluerunt, ut capite sanxerint, si quis occidisset.» Columelle, l. VI, præfat.: «… Quod deinde laboriosissimus adhuc hominis socius in agricultura, cujus tanta fuit apud antiquos veneratio, ut tam capitale esset bovem necasse, quam-civem.» Voy. aussi plus loin, au commencement du chap. XLVI., parce que, tout en étant doués de force, ils se plient à l’homme pour l’agriculture(1)Littéralement: parce qu’ils réunissent ensemble la force et la bonne disposition pour l’homme dans l’agriculture. Dans la plupart des éditions de la version d’Ibn-Tibbon, ce passage est très-corrompu; l’édition princeps porte: רצון בני אדם (lis. אחר) מפני שקבצו הכח וטוב ההמשך ואחר בעבדה האדמה. Les mss. ont: מפני שקבצו הכח והמשכם לרצון בני אדם וגו׳.. S’ils agissent ainsi, s’ils se soumettent à l’homme malgré leur force, c’est uniquement (disent-ils) parce que leur service dans l’agriculture est agréable aux dieux. Comme ces opinions étaient très-répandues, ils rattachaient l’idolâtrie à l’agriculture, celle-ci étant une chose nécessaire pour la subsistance de l’homme et de la plupart des animaux; les prêtres idolâtres prêchaient aux hommes assemblés dans les temples et les confirmaient dans cette idée, qu’au moyen de ce culte (des astres), les pluies descendraient, les arbres porteraient des fruits et les terres seraient fertiles et populeuses. Il faut lire ce qu’on dit dans l’Agriculture Nabatéenne à l’endroit où on parle de la vigne; tu y trouveras ces paroles textuelles des Sabiens: «Tous les anciens sages et les prophètes ont prescrit comme un devoir de jouer des instruments de musique, aux jours de fête, devant les idoles; ils disaient avec raison que les dieux prennent plaisir à cela et accordent la plus belle récompense à ceux qui le font. Ils ont fait beaucoup de bonnes promesses pour cet acte, promettant entre autres la prolongation de la vie, l’éloignement des calamités, la disparition des infirmités, la fertilité des semences, et l’abondance des fruits(2)Ibn-Tibbon, pour reproduire les expressions d’un verset du Lévitique (chap. XXVI, v. 4), a ainsi paraphrasé ces derniers mots: ונתינת הארץ יבולה ועץ השדה פריו לשבע; Al-’Harîzi traduit littéralement: וירבו התבואות ויפרו האילנות..» Telles sont les paroles textuelles des Sabiens.", "Or, comme ces opinions étaient si généralement répandues qu’on les croyait vraies, et comme Dieu, par miséricorde pour nous, voulut effacer de nos esprits cette erreur et soulager nos corps de ces peines, en faisant cesser ces cérémonies fatigantes et inutiles et en nous donnant ses lois par Moïse, celui-ci nous annonça au nom de Dieu que, si l’on adorait ces astres et ces idoles(1)Au lieu de ואלאצנאם, quelques mss. portent: ואלאגׄסאם; cette leçon est reproduite dans les deux versions hébraïques, qui ont והגופות, et ces corps., leur culte aurait pour conséquence que la pluie manquerait, que le sol serait désolé et ne produirait rien, que les fruits des arbres tomberaient, que des calamités atteindraient les relations sociales(2)Ibn-Tibbon traduit: ויבאו המקרים הרעים לעתים, ce qui n’est pas bien clair. Le mot אחואל désigne ici les circonstances extérieures, les relations sociales. Cf. ci-dessus, chap. XXVII (p. 213): אחואל אלנאס בעצׄהם מע בעץׄ, les relations mutuelles des hommes. Al-’Harîzi traduit: ויַרבו ההזק בבני אדם., et des infirmités les personnes, et que la vie humaine serait abrégée. C’est là ce qu’ont pour objet les paroles de l’alliance que l’Éternel a conclue(3)Voy. Deutéronome, chap. XXVIII; ces derniers mots sont empruntés au v. 69, qui termine le chapitre.. Tu trouveras ce même sujet répété dans tout le Pentateuque, à savoir que le culte des astres amène la cessation de la pluie, la dévastation du sol, la destruction des relations sociales, les maladies du corps et la brièveté de la vie; tandis qu’en abandonnant leur culte et en embrassant le culte de Dieu, on obtient la descente de la pluie, la fertilité du sol, l’amélioration des relations sociales, la santé du corps et la prolongation de la vie. C’est le contraire de ce que prêchaient les adorateurs des faux dieux, afin d’en propager le culte(4)Littéralement: afin qu’on les adorât. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement: עד שיעזבום; les mss. et l’édition princeps ont correctement עד שיעבדום.; car, ce qui est le but principal de la Loi, c’est de faire cesser cette croyance et d’en effacer la trace, comme nous l’avons exposé." ], [ "Il y a des gens à qui il répugne de voir un motif dans une loi quelconque des lois (divines); ils aiment mieux ne trouver aucun sens rationnel dans les commandements et les défenses(1)Cf. ci-dessus, chap. XXVI.. Ce qui les porte à cela, c’est une certaine faiblesse qu’ils éprouvent dans leur âme, mais sur laquelle ils ne peuvent raisonner, et dont ils ne sauraient bien rendre compte. Voici ce qu’ils pensent: Si les lois devaient nous profiter dans cette existence (temporelle), et qu’elles nous eussent été données pour tel ou tel motif, il se pourrait bien qu’elles fussent le produit de la réflexion et de la pensée d’un homme de génie; si, au contraire, une chose n’a aucun sens compréhensible et qu’elle ne produise aucun avantage, elle émane de la Divinité, car la réflexion humaine ne conduirait pas à une pareille chose. On dirait que, selon ces esprits faibles, l’homme est plus parfait que son créateur; car l’homme (selon eux) parlerait et agirait en visant à un certain but, tandis que Dieu, loin d’agir de même, nous ordonnerait, au contraire, de faire ce qui n’est pour nous d’aucune utilité, et nous défendrait des actions qui ne peuvent nous porter aucun dommage. Loin de lui une semblable idée! C’est le contraire qui a lieu, et c’est toujours notre bien que la Divinité a en vue, comme nous l’avons montré par les paroles de l’Ecriture: Afin que nous soyons toujours heureux et que nous vivions aujourd’hui (Deutér., 6, 24)(2)Cf. ci-dessus, chap. XXVII, p. 213-214.. Ailleurs il est dit: Ceux qui entendront tous ces statuts diront: Certes, cette grande nation est un peuple sage et intelligent (Ibid., 4, 6). Ici on dit clairement que même tous les statuts (ou règlements)(3)Voy. ci-dessus, l. c., p. 203-204, ce que l’auteur dit des règlements appelés חקִּים. se montreront aux nations comme émanés d’une sagesse et d’une intelligence. Mais si une chose(1)Au lieu de אמר, plusieurs mss. ont אלאמר, avec l’article. Al-’Harîzi a pris ce mot dans le sens de précepte, commandement, et a traduit וכשתהיה המׂצוה. Ibn-Tibbon paraît avoir pris אמר pour un accusatif ; il traduit: ואם יהיה ענין שלא יודע וגו׳, mais si c’est une chose à laquelle on ne connaît pas de motif. n’a pas de motif appréciable, si elle ne produit aucun avantage, ni n’écarte aucun mal, pourquoi dirait-on de celui dont elle est l’objetde croyance ou la règle de conduite, qu’il est sage et intelligent et qu’il occupe un rang élevé? Qu’y aurait-il en cela qui pût étonner les peuples?", "Mais non; la chose est indubitablement comme nous l’avons dit, à savoir que chacun des six cent treize commandements doit, ou produire une opinion saine, ou détruire une opinion erronée, ou donner une règle de justice, ou faire cesser l’injustice, ou former l’homme aux bonnes mœurs, ou le préserver des mœurs dépravées. L’ensemble des commandements se rattache donc à trois choses: aux opinions, aux mœurs et à la pratique des devoirs sociaux. Si nous ne comptons pas ici les paroles, c’est que les paroles que l’Ecriture ordonne ou défend de prononcer(2)Les paroles que la Loi ordonne de prononcer sont, par exemple, celles prescrites pour l’offrande des prémisses et de la dîme (Deutéronome, chap. XXVI, v. 5-10 et 13-15); d’un autre côté, la Loi défend, par exemple, de prononcer en vain le nom de l’Éternel (Exode, ch. XX, v. 7), de prononcer les noms des faux dieux (ibid., chap. XXIII, v. 13), de prononcer un faux serment (Lévitique, chap. XIX, v. 12), de calomnier (ibid., v. 16), etc. — L’auteur fait oberver ici que les paroles, tout en formant de fait une quatrième classe de commandements (voy. le Sépher Miçwôth, Introduction, 9e principe), n’ont pas besoin d’être ici particulièrement motivées; car, sous le rapport de leurs motifs, les commandements relatifs aux paroles appartiennent à l’une des trois classes énumérées ici., tantôt entrent dans la classe des devoirs sociaux, tantôt font contracter certaines opinions ou certaines mœurs. C’est pourquoi ici, où il s’agit d’indiquer le motif de chaque commandement, nous nous bornons aux trois classes que nous venons d’indiquer." ], [ "Si tu considères les œuvres divines, je veux dire les œuvres de la nature, tu comprendras quelle prévoyance, quelle sagesse Dieu a manifestées dans la création desêtres vivants, dans la disposition des mouvements des membres et dans la position de ceux-ci les uns à l’égard des autres; de même, tu reconnaîtras la sagesse et la prévoyance de Dieu dans les différentes conditions qu’il fait successivement parcourir à l’ensemble de l’individu (animal)(1)Littéralement: dans le développement graduel des conditions de l’ensemble de chaque individu les unes après les autres. L’auteur, comme on le verra plus loin, veut parler ici des développements successifs du corps animal et de la manière dont il a été pourvu à son alimentation pour chacune des phases de son développement.. Quant à la disposition de ses mouvements et à la position relative des organes, je citerai l’exemple suivant: La partie antérieure du cerveau est extrêmement molle, tandis que la partie postérieure a plus de consistance; la moelle épinière est encore plus consistante, et, à mesure qu’elle s’étend, elle s’affermit davantage. Les nerfs sont les organes de la sensation et du mouvement; en conséquence, les nerfs qui servent à la simple perception des sens ou à un mouvement de peu de difficulté, comme celui de la paupière et de la mâchoire, proviennent du cerveau, tandis que ceux qui sont nécessaires pour le mouvement des membres sortent de la moelle épinière. Or, comme les nerfs, même ceux qui sortent de la moelle épinière, ne pourraient pas, à cause de leur mollesse, mettre en mouvement les articulations, il y a été habilement remédié de la manière suivante: les nerfs se sont ramifiés en fibres, lesquelles s’étant remplies de chair sont devenues des muscles; ensuite le nerf, ayant dépassé l’extrémité du muscle(1)Mot à mot: s’étant échappé de l’extrémité du muscle, c’est-à-dire s’étant prolongé au delà de l’extrémité du muscle. La leçon que nous avons adoptée est celle de tous les mss. arabes; la version d’Ibn-Tibbon porte: אחר כן יצא העורק מקצה העצב, le muscle étant sorti de l’extrémité du nerf, ce qui n’offre pas de sens convenable. La version d’Al-’Harîzi porte, conformément au texte arabe: אחר כן נברר ונתמלט הגיד העצבי מקצת הגיד הנקראת עצׄלה̈. et s’étant affermi par des fragments des ligaments qui s’y sont mêlés, est devenu tendon(2)Sur tout ce passage, cf. Galien, De usu partium etc., lib. 1, cap. 17, lib. II, cap. 3, et passim; De motu musculorum, lib. I, cap. 1 et suiv.; Canon d’Ibn-Sînâ, texte arabe, Ire partie, p. 19, lignes 8 et suiv.. Le tendon se joint à l’os(3)Au lieu de באלעטׄם, à l’os, quelques mss. ont באלעצׄו, au membre; de même Ibn-Tibbon: וידבק המיתר באיבר. et s’y attache: alors seulement le nerf peut, par suite de cette transformation graduelle, mettre en mouvement le membre. Je ne cite que ce seul exemple, parce qu’il est le plus manifeste parmi les merveilles exposées dans le traité de l’Utilité des membres(4)Cf. ci-dessus, chap. XII, p. 72, note 2., et qui toutes sont claires, manifestes et bien connues à celui qui les examine avec un esprit pénétrant. De même, Dieu a usé de prévoyance à l’égard des individus des mammifères; car, comme ceux-ci naissent avec une extrême délicatesse et ne peuvent se nourrir d’aliments secs, il leur a été préparé des mamelles qui leur donnent du lait, pour pouvoir se nourrir d’un aliment succulent, approprié à la constitution de leurs membres, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent peu à peu et graduellement fermes et solides.", "Beaucoup de choses dans notre loi ont été réglées d’une manière semblable par le suprême régulateur. En effet, comme il est impossible de passer subitement d’un extrême à l’autre, l’homme, selon sa nature, ne saurait quitter brusquement toutes ses habitudes. Lors donc que Dieu envoya Moïse, notre maître, afin de faire de nous, par la connaissance de Dieu, un royaume de prêtres et un peuple saint (Exode, 19, 6) [comme il l’a déclaré en disant: On t’a montré à connaître, etc. (Deutéron., 4, 35), tu sauras aujourd’hui et tu rappelleras à ton cœur, etc. (Ib., v. 39)], et afin de nous rendre dévoués à son culte, comme il est dit: et pour le servir de tout votre cœur (Ib., XI, 13), vous servirez l’Éternel votre Dieu (Exode, 23, 25), c’est lui que vous servirez (Deutéron., 13, 5), alors (dis-je)(1)Dans l’original, cette phrase et la suivante forment une parenthèse, et le complément de la période ne commence qu’aux mots: La sagesse divine … ne jugea pas convenable etc. c’était une coutume répandue, familière au monde entier,—et nous-mêmes nous avions été élevés dans ce culte universel,—d’offrir diverses espèces d’animaux dans ces temples où l’on plaçait les idoles, d’adorer ces dernières et de brûler de l’encens devant elles. Des religieux et des ascètes étaient les seuls hommes qui se dé-vouassent au service de ces temples consacrés aux astres(2)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, les mots לשמש ולירח sont de trop; ces mots ne se trouvent pas dans les mss. de cette version., comme nous l’avons exposé. En conséquence, la sagesse de Dieu, dont la prévoyance se manifeste dans toutes ses créatures, ne jugea pas convenable de nous ordonner le rejet de toutes ces espèces de cultes, leur abandon et leur suppression; car cela aurait paru alors inadmissible à la nature humaine, qui affectionne toujours ce qui lui est habituel. Demander alors une pareille chose, c’eût été comme si un prophète dans ces temps-ci, en exhortant au culte de Dieu, venait nous dire: «Dieu vous défend de lui adresser des prières, de jeûner, et d’invoquer son secours dans le malheur; mais votre culte sera une simple méditation, sans aucune pratique.»", "C’est pourquoi Dieu laissa subsister ces différentes espèces de cultes; mais, au lieu d’être rendues à des objets créés et à des choses imaginaires, sans réalité, il les a transférées à son nom et nous a ordonné de les exercer envers lui-même. Il nous ordonna donc de lui bâtir un temple: Qu’ils me fassent un sanctuaire (Exode, 25, 8), d’élever l’autel en son nom: Tu me feras un autel de terre (Ib., XX, 21), d’offrir les sacrifices à lui: Lorsqu’un homme d’entre vous offrira un sacrifice à l’Éternel (Lévitique, I, 2), de se prosterner devant lui et de brûler de l’encens devant lui. Il défendit de faire aucune de ces actions pour un autre que lui: Celui qui sacrifie aux dieux sera anathématisé (Exode, 22, 19); car tu ne dois pas te prosterner devant un autre Dieu (Ib., XXXIV, 14). Il destina des prêtres pour le service du sanctuaire, en disant: Ils serviront de prêtres à moi (Ib., XXVIII, 41); et, comme ils étaient occupés du temple et de ses sacrifices, il fallait nécessairement leur fixer des revenus qui pussent leur suffire et qu’on appelle les droits des lévites et des prêtres. Cette prévoyance divine eut pour résultat(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont incorrectement: והגיע התחבולה בזאת הערמה האלהית; il faut lire, selon les mss.: והגיע בזאת התחבולה האלהית. d’effacer le souvenir du culte idolâtre et de consolider le grand et vrai principe de notre croyance(2)Dans la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire באמונתנו, comme l’ont les mss.; le mot באומתנו des éditions est une simple faute d’impression., à savoir l’existence et l’unité de Dieu, sans que les esprits fussent rebutés et effarouchés par l’abolition des cérémonies qui leur étaient familières et hors desquelles on n’en connaissait point.", "Je sais que de prime abord ton esprit se refusera à admettre cette idée et que tu en éprouveras de la répugnance. Tu m’adresseras mentalement ces questions: Comment supposer des préceptes, des défenses(3)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il manque ici le mot אזהרות qui se trouve dans les mss., des actes importants, minutieusement exposés, prescrits pour des époques fixes, et qui pourtant n’auraient pas leur but dans eux-mêmes, mais dans autre chose, comme si ce n’était là qu’un expédient imaginé par Dieu pour arriver à son but principal? Qu’est-ce donc qui l’empêchait de nous révéler (directement) ce qui était son but principal et de nous rendre capables de concevoir ce but, sans avoir besoin de ces moyens que tu supposes n’être qu’un but secóndaire? Mais écoute la réponse que j’ai à te donner(1)Tous les mss. ar. ont גׄואבך, ta réponse, et de même Al-’Harîzi תשובתך; Ibn-Tibbon a תשובתי, ma réponse.; elle ôtera de ton cœur cette inquiétude et te manifestera la vérité de ce que je t’ai fait observer. En effet, le texte même du Pentateuque nous présente quelque chose d’analogue, en disant: Dieu ne les conduisit pas par le chemin du pays des Philistins, quoique celui-ci fût rapproché, etc. Et Dieu fit tourner le peuple du côté du désert, vers la mer de Souph (Exode, 13, 17 et 18). De même donc que Dieu, dans la crainte d’un obstacle que leur corps naturellement n’aurait pu vaincre, les fit dévier du chemin direct(2)Tous les mss. ar. ont אלגׄאדה̈; Ibn-Tibbon a הישרה, et Al-’Harîzi הנכונה. Je crois qu’il faut prononcer , de la racine , diligens fuit, intendit. qu’on avait eu d’abord en vue, vers un autre chemin, afin que le but principal fût atteint, de même, craignant (de leur révéler directement) ce que l’âme naturellement n’aurait pu concevoir, il leur prescrivit ces lois dont nous avons parlé, afin que le but principal fût atteint, à savoir, la conception du vrai Dieu et l’abolition de l’idolâtrie. En effet, de même qu’il n’est pas dans la nature de l’homme qu’après avoir été élevé dans un travail servile, celui de l’argile, des briques, etc., il aille subitement laver la souillure de ses mains et combattre tout à coup les descendants d’Anak(3)Allusion au livre des Nombres, chap. XIII, v. 28., de même il n’est pas dans sa nature qu’après avoir été élevé dans des espèces très-variées de cultes et dans des pratiques habituelles avec lesquelles les esprits se familiarisent tellement, qu’elles deviennent en quelque sorte une notion première, (il n’est pas dans sa nature, dis-je) qu’il les abandonne tout à coup. D’une part donc, Dieu usa de prévoyance en faisant errer ces hommes dans le désert jusqu’à ce qu’ils fussent devenus vaillants [car on sait que la vie du désert et les privations(1)Au lieu de , la vie du désert, quelques mss. ont , la fatigue ou la misère. Le mot שעתׄ signifie proprement: désordre, saleté, manque de soins; dans les dictionnaires, le verbe est rendu par disgregatus fuit, capillum dispersum et pulvere inquinatum habuit. Ibn-Tibbon a paraphrasé les mots ושעתׄ אלגׄסם par ומיעוט הנאות הגוף מרחיצה וכיוצא בהם. La version d’Al-’Harîzi porte: כי רוב היגיעה ומיעוט הרחיצה והסיכה יעורר אומץ הלב. du corps produisent la vaillance, et que le contraire engendre la lâcheté], et, en outre, il naquit aussi des hommes qui n’étaient pas habitués à la bassesse et à la servitude; tout cela se fit par les ordres divins donnés par l’intermédiaire de Moïse, notre maître: Par l’ordre de l’Éternel, ils campaient, et par l’ordre de l’Éternel, ils partaient; ils observaient le commandement de l’Éternel, selon l’ordre que l’Éternel avait donné par Moïse (Nombres, 9, 23). D’autre part, les lois de cette classe(2)C’est-à-dire, les lois relatives aux pratiques cérémonielles, et notamment aux sacrifices. Ibn-Tibbon traduit le mot גׄמלה̈, ensemble, classe, par חלק, partie. leur furent données par la prévoyance divine, afin qu’ils conservassent cette espèce de pratique à laquelle ils étaient habitués, et que par là pût s’affermir la foi, ce qui était le but principal. Tu demanderas (en second lieu): «Qu’est-ce donc qui empêchait Dieu de nous révéler (directement) ce qui était son but principal et de nous rendre capables de concevoir ce but?» Mais on peut rétorquer contre toi cette seconde question et te dire: Qu’est-ce donc qui empêchait Dieu de leur faire prendre le chemin du pays des Philistins et de les rendre capables d’aborder les guerres, sans qu’il eût besoin de leur faire faire ce détour avec la colonne de nuée pendant le jour et la colonne de feu pendant la nuit (Exode,13, 21, 22)? De même, on pourrait t’adresser une troisième question au sujet des détails de promesses et de menaces relatives à toute la loi(1)C’est-à-dire, au sujet des récompenses qu’on promet à ceux qui observeront la loi, et des châtiments dont on menace les transgresseurs. Al-’Harîzi traduit littéralement, en supprimant seulement תפציל, détail: בסבת ההפחדה וההבטחה על כל התורה. Ibn-Tibbon, trouvant sans doute le texte arabe trop obscur, l’a paraphrasé dans ces termes: על סבת היעדים הטובים אשר יעד על שמירת המצות והיעדיס הרעים אשר יעד על העבירות., et l’on pourrait te dire: «Puisque le but principal et l’intention de Dieu étaient que nous crussions à cette loi et que nous observassions les pratiques qu’elle prescrit(2)Au lieu de אעמאלהא, ses pratiques, Ibn-Tibbon a ככל הכתוב בה; Al-’Harîzi traduit littéralement: ולעשות מעשיה., pourquoi ne nous a-t-il pas donné la faculté de concevoir toujours ce but(3)Le texte arabe dit: de concevoir toujours cela; c’est-à-dire, de comprendre que telle a été réellement l’intention divine. Ibn-Tibbon traduit: לקבלה ולעשותה תמיד, de la concevoir et de la pratiquer toujours (où le pronom la se rapporte à la Loi), et de même Al-’Harizi: לקבל אותה ולעשותה תמיד; mais, si tel était le sens, l’auteur aurait dit: עלי קבולהא ואלעמל בהא, et non pas: עלי קבול דׄלך ואלעמל בה. et d’agir en conséquence, plutôt que de se servir d’un moyen détourné, (en nous avertissant) qu’il nous récompenserait pour notre obéissance et qu’il nous punirait pour notre désobéissance? et pourquoi réaliser toutes ces récompenses et toutes ces punitions? Car(4)Nous avons écrit פאן, quoique cette leçon ne se trouve que dans un seul de nos mss. (suppl. n° 63); les autres mss. ont כאן (c.-à-d. ), comme si c’était là encore etc. La version d’Ibn-Tibbon, כי זאת גם כן תחבולה וגו׳, favorise la leçon que nous avons adoptée; de même, celle d’Al-’Harîzi, qui porte: כי גם הם תחבולה וגו׳. c’est là encore un moyen indirect employé à notre égard pour obtenir de nous ce qui était son but principal. Qu’est-ce donc qui l’aurait empêché de fixer en nous un penchant naturel pour accomplir(5)Dans la version d’Ibn-Tibbon, le mot אתיאן a été mal rendu par רצון. Al-’Harîzi traduit plus exactement: עשיית המצות אשר חפץ. les actes de piété qu’il désirait et pour répudier les péchés qu’il détestait?»", "On peut faire à ces trois questions et à toutes les autres semblables une seule réponse générale que voici: Quoique tous les miracles consistent dans le changement de la nature d’un être quelconque d’entre les choses qui existent(1)L’auteur veut dire: quoique tout être individuel quelconque puisse, par un miracle, changer de nature.—Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ajoutent, après שינוי טבע, les mots ישנה השם, qui sont superflus et ne se trouvent pas dans les mss., Dieu ne change pourtant pas par miracle la nature des individus humains. C’est à cause de ce principe important qu’il est dit: Oh! s’ils avaient toujours ce même cœur, etc. (Deutéron., 5, 26)(2)Comme c’est ici Dieu qui parle, il s’ensuit que sa volonté immuable a formé le cœur humain d’une telle façon, que sa nature ne peut jamais être changée par un miracle, et que la volonté de l’homme peut seule vaincre cette nature.. Voilà(3)Littéralement: et à cause de cela il y a (גׄא) des préceptes etc.; c’est-à-dire: comme Dieu laisse à l’homme une pleine liberté et que celui-ci peut vaincre les penchants de son cœur, il est seul responsable de ses œuvres, et à cause de cela il peut être récompensé ou puni. — Pour le verbe arabe גׄא, les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont באר; il faut écrire באה, comme l’ont les mss. la raison des préceptes, des défenses, des récompenses et des peines. Nous avons déjà, dans plusieurs endroits de nos ouvrages, exposé ce principe fondamental, en l’appuyant de preuves(4)Littéralement: avec ses preuves. Dans la version d’Ibn-Tibbon, il faut écrire במופתיה, comme l’ont en effet les mss.; les éditions portent incorrectement במופתים.. Si nous professons ce principe, ce n’est pas que nous croyions que le changement de la nature d’un individu humain quelconque soit difficile pour Dieu; au contraire, cela est possible et dépend de la puissance (de Dieu). Cependant, selon les principes contenus dans la Loi du Pentateuque(5)Ibn-Tibbon a rendu par le seul mot התוריות les deux mots אלשרעיה̈ אלתוראתיה̈, adjectifs de אלקואעד; de même Al-’Harîzi: לפי עקרי התורה., il n’a jamais voulu le faire et ne le voudra jamais; car si c’était sa volonté de changer chaque fois la nature de l’individu humain à cause de ce qu’il veut obtenir de cet individu, la mission des prophètes et toute la législation seraient inutiles(1)C’est-à-dire, si l’homme n’observait les commandements divins que parce que la volonté divine aurait disposé chaque fois la nature humaine de manière à se conformer à ses commandements, alors la mission des prophètes et la législation seraient inutiles, puisque l’homme serait naturellement disposé à faire ce qui est prescrit dans les lois..", "Revenant maintenant à mon sujet, je dis: Comme ce genre de culte, — je veux parler des sacrifices, — n’avait qu’un but secondaire, tandis que les invocations, les prières et d’autres pratiques du culte se rapprochent davantage du but principal et sont nécessaires pour l’atteindre, Dieu a fait une grande différence entre les deux espèces (de culte). En effet, le culte de la première espèce, — je veux dire celui des sacrifices, — bien qu’il s’adressât à Dieu, ne nous fut pourtant pas prescrit comme il l’avait été d’abord, c’est-à-dire d’offrir des sacrifices en tout lieu et en tout temps. On ne pouvait pas élever des temples partout, ni prendre pour sacrificateur le premier venu, laisser fonctionner quiconque voulait (I, Rois, XIII, 33). Tout cela, au contraire, il (Dieu) le défendit, et il établit(2)La plupart des mss. ont וגׄעלה; ce verbe, ayant un suffixe, est nécessairement actif, ce qui nous oblige d’écrire à l’accusatif, et de considérer aussi le verbe חרם qui précède comme un verbe actif dont le sujet sous-entendu est Dieu. Ibn-Tibbon, ayant lu probablement וגׄעל, sans suffixe, traduit les deux verbes au passif: אבל נאסר כל זה עלינו והושם בית אחד. Dans deux mss. on lit וגׄעלת, au féminin passif; mais il n’y a dans cette phrase aucun sujet féminin auquel ce verbe puisse se rapporter. Al-’Harîzi traduit: אבל אסור לנו כל זה וצוה לבנות בית אחד. un temple unique: à l’endroit que l’Éternel choisira (Deutéron., 12, 26); on ne pouvait pas sacrifier ailleurs: Garde-toi d’offrir des holocaustes en tout lieu où il te plaira (Ib., v. 13), et il n’y avait qu’une famille particulière qui pût exercer le sacerdoce. Tout cela (avait pour but) de restreindre ce genre de culte, et de n’en laisser subsister que ce que la sagesse divine ne jugeait pas devoir être totalement abandonné. Mais les invocations et les prières se font en tout lieu et par qui que ce soit; il en est de même des cicith(1)Franges attachées aux pans des vêtements. Voy. Nombres, chap. XV, v. 38., des mezouzoth(2)Inscriptions sur les poteaux (mezouzoth) des maisons. Voir Deutéronome, chap. VI, v. 9; chap. XI, v. 20., des tephillin(3)Phylactères à attacher au bras et au front. Voy. Exode, ch. XIII, v. 9 et 16; Deutéronome, chap. VI, v. 8; chap. XI, v. 18. et d’autres objets semblables du culte.", "A cause de cette idée que je t’ai révélée, l’on trouve souvent dans les livres des prophètes des reproches faits aux hommes sur leur grand empressement(4)Les mots עלי הרעהם ללקראבין ont été ainsi paraphrasés par Ibn-Tibbon: על רוב השתדלותם והתחזקם להביא הקרבנות.—Le verbe signifie marcher rapidement, s’empresser. Le ms. de Leyde, n° 18, porte en marge la glose suivante: אלהרע אלגׄרי אלי אלשי ואלמסארעה̈ אליה. « signifie courir vers une chose et s’y rendre à la hâte.» à offrir des sacrifices, et on leur déclare que ces derniers n’ont pas de but qui soit essentiel en lui-même(5)Le suffixe dans לדׄאתה se rapporte à באלמקצוד; Ibn-Tibbon, qui a לעצ, avec le suffixe pluriel, paraît avoir lu לדׄאתהא. Al-’Harîzi rapporte le suffixe à Dieu; il traduit: כי אינם כונה חזקה לעצמו ית׳., et que Dieu n’en a pas besoin. Samuel a dit: L’Éternel veut-il les holocaustes et les sacrifices comme il veut qu’on lui obéisse (I, Sam., XV, 22)? Isaïe dit: A quoi me sert la multitude de vos sacrifices, dit l’Éternel, etc. (I, 11)? Jérémie dit: Car je n’ai point parlé à vos ancêtres, et je ne leur ai pas donné de commandement au sujet des holocaustes et des sacrifices, au jour où je les fis sortir du pays d’Égypte. Mais voici ce que je leur ai commandé: Obéissez à ma voix, et je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple (Jér., VII, 22 et 23). Ce passage a paru difficile à tous ceux dont j’ai vu ou entendu les discours. Comment, disaient-ils, Jérémie a-t-il pu dire de Dieu qu’il ne nous a rien prescrit au sujet des holocaustes et des sacrifices, puisqu’un grand nombre de commandements ne se rapportent qu’à cela? Mais le sens de ce passage revient à ce que je t’ai exposé: «Ce que j’ai principalement pour but, dit-il, c’est que vous me perceviez et que vous n’adoriez pas d’autre que moi: Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple. La prescription d’offrir des sacrifices et de vous rendre au temple n’avait d’autre but que d’établir ce principe fondamental, et c’est pour cela que j’ai transféré ces cérémonies à mon nom, afin que la trace de l’idolâtrie fût effacée et que le principe de mon unité fût solidement établi. Mais vous avez négligé ce but et vous vous êtes attachés au moyen(1)Littéralement: vous vous êtes attachés à ce qui a été fait en sa faveur; c’est-à-dire, aux pratiques qui n’ont été prescrites que pour arriver à ce but. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent généralement בעבודה, avec ד; il faut lire בעבורה.; car vous avez douté de mon existence: Ils ont renié l’Éternel, et ils ont dit: Il n’est pas (Jérémie, 5, 12); vous vous êtes livrés à l’idolâtrie: …. offrir de l’encens à Baal, suivre les dieux étrangers? Et pourtant vous venez dans ce temple (Ib., VII, 9, 10)(2)Les mots ובאתם אל הבית, qui se trouvent dans l’original arabe et dans la version d’Ibn-Tibbon, sont inexacts; le texte de Jérémie porte: ובאתם ועמדתם לפני בבית הזה.; vous continuez à vous rendre au temple et à offrir les sacrifices, qui ne sont pas le but qu’on avait principalement en vue.» ", "J’ai encore une autre manière d’interpréter ce verset, et qui aboutit également à l’idée que nous venons d’exposer. En effet, le texte (biblique) et la tradition s’accordent à déclarer que dans les premières lois qui nous furent prescrites, il n’était nullement question d’holocaustes et de sacrifices; car il ne faut pas te préoccuper de l’agneau pascal d’Égypte(3)C’est-à-dire, il ne faut pas considérer comme sacrifice le premier agneau pascal fait par les Hébreux avant leur sortie d’Égypte., qui avait une raison claire et manifeste, comme nous l’exposerons(4)Voy. plus loin, chap. XLVI., et qui d’ailleurs fut prescrit en Égypte même, tandis que la législation à laquelle on fait allusion dans le verset (de Jérémie) concerne ce qui nous fut prescrit après la sortie d’Égypte. C’est pourquoi on fait dans ce verset cette restriction expresse: Au jour où je les fis sortir du pays d’Égypte; car les premiers préceptes donnés après la sortie d’Égypte furent ceux prescrits à Marâ, où il nous dit: Si tu obéis à la voix de l’Éternel, ton Dieu, etc. (Exode, 15, 26); là, il lui proposa des statuts et des lois, etc. (Ib., v. 25). La tradition vraie dit: «A Marâ, on a prescrit le Sabbat et les lois civiles(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Schabbath, fol. 87 b; Synhédrin, fol. 56 b. — Le verbe chald. אִפְּקוד ou איפקוד est une forme passive irrégulière pour אתפקד.»; donc, par statuts, on fait allusion au Sabbat, et par lois, aux lois civiles, qui ont pour objet de faire cesser l’injustice. Ici donc il s’agit du but principal, comme nous l’avons exposé, je veux dire (qu’il s’agit) d’abord des plus hautes vérités de la foi, comme la nouveauté du monde(2)Mot à mot: de la croyance aux opinions vraies, et c’est la nouveauté du monde.; car tu sais que la loi du Sabbat nous a été prescrite surtout pour consolider ce principe fondamental, comme nous l’avons exposé dans ce traité(3)Voy. la IIe partie de cet ouvrage, chap. XXXI.. Outre les idées vraies, on avait aussi pour but de faire cesser l’injustice parmi les hommes. Il est donc clair que, dans les premières lois, il ne s’agissait point d’holocaustes et de sacrifices, car ceux-ci n’ont qu’un but secondaire, comme nous l’avons dit.", "La même idée qu’exprimait Jérémie est aussi exprimée dans les Psaumes sous forme d’exhortation à la nation tout entière, qui ignorait alors le but principal, qu’elle ne distinguait pas du but secondaire: Écoute, mon peuple, que je parle, Israël, que je t’avertisse; je suis Dieu, ton Dieu. Je ne te réprimande pas au sujet de tes sacrifices, de tes holocaustes, qui sont toujours là devant moi. Mais je n’accepte pas de taureau de ta maison, ni de boucs de tes parcs (Ps. 50, 7-9). Partout où cette idée a été répétée, on a eu le but que j’ai indiqué. Il faut te bien pénétrer de cela et y réfléchir." ], [ "Ce qu’entre autres la Loi parfaite avait encore pour but, c’était de nous faire refouler et mépriser nos appétits, les restreindre autant que possible, de manière à ne les satisfaire que pour ce qui est nécessaire. Tu sais que la passion à laquelle la foule se livre le plus souvent(1)Mot à mot: la plus fréquente passion de la foule est leur laisser-aller ou leur entraînement. Le verbe est la Ve forme de , qui signifie marcher librement sans frein (en parlant des animaux), se laisser aller ou entraîner. La plupart des éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ici ושלותם, ce qui n’est qu’une faute d’impression pour ושלוחם, comme l’ont correctement les mss. et l’édition princeps; cf. plus loin les mots , qu’Ibn-Tibbon traduit: והשלוח במאכלים. Le verbe primitif se rencontre à la fin du chap. XXIII de la Ire partie (fol. 28 a, l. 3), dans le sens de être abandonné ou livré à soi-même, et Ibn-Tibbon le traduit par הופקר, conformément à la traduction que Maïmonide lui-même lui en avait donnée dans sa Lettre., c’est l’intempérance dans la nourriture, la boisson et l’amour physique. C’est là ce qui détruit la perfection dernière de l’homme et qui est nuisible aussi à sa perfection(2)Sur ces deux espèces de perfections, voy. ci-dessus, ch. XXVII, p. 211. première, en corrompant la plupart des relations sociales et domestiques. Car, en suivant seulement sa passion, comme font les ignorants, on détruit ses aspirations spéculatives, le corps se corrompt et l’homme périt avant que sa constitution physique l’exige(3)Ibn-Tibbon s’écarte ici de sa littéralité ordinaire, en traduisant: קודם זמנו הטבעי; de même Al-’Harîzi: לפני בוא עתו הטבעי, avant que son temps naturel ne soit venu. La traduction littérale serait: קודם שיחייב לו זה ענינו הטבעי.; les soucis et les peines se multiplient, la jalousie et la haine réciproques augmentent, et on en vient aux mains pour se dépouiller mutuellement. Ce qui amène tout cela, c’est que l’ignorant considère le plaisir comme le seul but essentiel qu’on doive rechercher. C’est pourquoi Dieu [que son nom soit glorifié] a usé de prévoyance en nous donnant des lois propres à détruire ce but et à en détourner notre pensée de toutes les manières. Il nous a défendu tout ce qui conduit à l’avidité et au seul plaisir, et c’est là une des tendances les plus prononcées de cette loi. Ne vois-tu pas que les paroles textuelles de la Loi ordonnent de faire mourir celui qui manifeste un penchant excessif pour le plaisir de la bonne chère et de la boisson? C’est là le fils désobéissant et rebelle (Deutéron., 21, 18) qu’on appelle gourmand et ivrogne (Ib., v. 20). On ordonne de le lapider et de le retrancher promptement (de la société), avant que la chose(1)Le mot a ici le sens de , res, negotium ejus; un seul de nos mss. a כׄטאה, son péché, et c’est peut-être cette leçon qu’avait Al-’Harîzi, qui traduit בטרם שתגדל רעתו. prenne plus de gravité et qu’il puisse faire périr beaucoup de monde et détruire la position d’hommes vertueux, par sa violente avidité(2)Cf. plus loin, chap. XLI, où il est dit que le châtiment du fils rebelle est préventif; car il en viendrait nécessairement à commettre des meurtres (פאנה סוף יקתל צׄרורה̈, texte ar., fol. 90 b, l.7 d’en bas). Dans la Mischna (IVe partie, traité Synhédrin, chap. VIII, § 5), on lit également: בן סורר ומורה נדון על שם סופו..", "Ce que la Loi avait encore en vue, c’était (de nous inspirer) la douceur et la docilité(3)Le verbe arabe (VIe forme de ) signifie être souple, docile, condescendant; il a été paraphrasé par Ibn-Tibbon: ושיהיה אדם נשםע לחביריו. De même pour גלטׄה̈, grossièreté, Ibn-Tibbon a mis: בלתי נשמע לחביריו.; elle veut que l’homme, loin d’être dur et grossier, se montre au contraire souple, obéissant, condescendant(4) est le participe du verbe אנאב (IVe forme), qui signifie: annuit rei. La version d’Ibn-Tibbon a ונשמע אליהם לחפצם. Dans plusieurs mss., le mot מניב est supprimé; le ms. de Leyde, n° 18, a une seconde fois מגׄיב. Pour מתאתיא, le ms. de Leyde, n° 221, a מתאדב, bien élevé. Al-’Harîzi remplace les quatre termes par les mots נשמע ונמשך לכל חפץ.. Tu connais ce précepte divin: Vous circoncirez le prépuce de votre cœur, et vous ne roidirez plus votre cou (Deutéron., 10, 16); Écoute et obéis, ô Israël (Ib., XXVII, 9); Si vous consentez à obéir, etc. (Isaïe, 1, 19). En parlant de la docilité à accepter ce qui est obligatoire, on emploie l’expression: Nous l’écouterons et nous le ferons. On exprime la même idée allégoriquement par les mots: Entraîne-moi, que nous courions après toi (Cantique des cant., 1, 4)(1)Les anciens rabbins appliquent ce passage du Cantique à l’obéissance que la communauté d’Israël promit à son divin époux lors de la révélation sur le mont Sinaï. Voy. le Midrasch du Cantique, à ce passage..", "Un autre but que la Loi avait en vue était la pureté et la sainteté, qui consiste à réprimer l’amour physique, à l’éviter et à ne s’y livrer que le moins possible, comme je l’exposerai plus loin(2)Voy. ci-après, chap. XLIX.. Lorsque Dieu ordonna de sanctifier la nation pour recevoir la Loi, comme il est dit: Tu les sanctifieras aujourd’hui et demain (Exode, 19, 10), il dit(3)Les mots וקאל וקדשתם וגו׳ font partie de l’antécédent de la phrase, dont les mots קאל אל תגשו וגו׳ forment le complément. La version d’Ibn-Tibbon, qui a אמר וקדשתם et ensuite ואמר אל תגשו, est inexacte, et cette inexactitude existe aussi dans quelques mss. ar., qui ont la première fois קאל, et la seconde fois וקאל. Les deux mss. de Leyde ont deux fois וקאל; d’après cette leçon, le complément ne commencerait qu’aux mots פקד צרח.: Vous n’approcherez d’aucune femme (Ib., v. 15), déclarant par là que la sainteté consiste à réprimer l’amour physique. De même, on a déclaré que l’abstention du vin est de la sainteté, car on dit du naziréen: Il sera saint (Nombres, 6, 5). Dans le Siphra, on lit: «Vous vous sanctifierez et vous serez saints (Lévit., 11, 44), c’est la sanctification par les commandements(4)C’est-à-dire, que la sainteté dont parle le verset du Lévitique est, selon le Siphra, celle qu’on acquiert en observant les commandements divins; d’où il s’ensuit que la loi avait pour but la sainteté..» De même que la Loi appelle l’obéissance aux commandements sainteté et pureté, de même elle donne à la transgression des commandements et aux actions honteuses le nom d’impureté, comme je l’exposerai.", "La propreté des vêtements, l’ablution du corps et le nettoyage de ses malpropretés, sont également des choses que la Loi a eues en vue, mais qui ne viennent qu’après la purification des actions et après qu’on a purifié le cœur des idées et des mœurs impures(1)Pour le second אלמנגׄסה̈, les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont המגונות; les mss. portent המטמאות.. Se borner à tenir propre l’extérieur en se lavant et à avoir des vêtements propres, tout en restant avide de jouissances et en se livrant à la bonne chère et à l’amour physique, serait extrêmement blâmable. Isaïe a dit à ce sujet: Ceux qui se montrent saints et purs dans les jardins, mais autrement dans l’intérieur(2)Nous traduisons ce passage selon le sens que lui attribue ici Maïmonide, mais qui s’applique difficilement aux mots et qui certainement était bien loin de la pensée du prophète; car, selon la plupart des commentateurs, il est ici question des idolâtres qui se purifient pour se rendre dans les jardins consacrés aux divinités, et pour adorer une statue qui est au milieu., qui mangent la chair du porc etc. (Isaïe, 66, 17); ce qui veut dire qu’ils se montrent purs et saints dans les lieux ouverts et publics, mais qu’ensuite, lorsqu’ils sont seuls dans leurs chambres et dans l’intérieur de leurs maisons, ils persistent dans leurs péchés, se laissant aller à manger des choses défendues, comme le porc, le rat et d’autres abominations. Il se peut aussi que, par les mots אחר אחת בתוך, derrière une qui est à l’intérieur, on ait voulu indiquer que, dans l’isolement, ils se livrent à un amour défendu. En somme, on a voulu dire que leur extérieur est propre et montre la netteté et la pureté(3)Les mots משהורה̈ אלנקא ואלטהארה̈ n’ont pas été rendus dans la version d’Ibn-Tibbon. Al-’Harîzi a également abrégé la phrase, en traduisant: כי הם מבחוץ נקיים וטהורים., mais qu’à l’intérieur ils persistent à s’adonner à leurs passions et aux jouissances du corps. Ce n’est pas là cependant ce qu’a voulu la Loi, qui, au contraire, a eu principalement pour but de restreindre la passion, et (qui a voulu) que la purification de l’extérieur n’eût lieu qu’après celle de l’intérieur. Salomon, déjà, a appelé l’attention sur ceux qui ont soin de se laver le corps et de purifier leurs vêtements, tandis que leurs actions sont impures et leurs moeurs dépravées: Une race, dit-il, qui se croit nette, et qui cependant n’est pas lavée de son ordure; une race qui a les yeux fort hautains et dont les paupières sont élevées (Prov., 30, 12, 13). En considérant les intentions (de la Loi) que nous avons mentionnées dans ce chapitre, tu comprendras les raisons d’un grand nombre de commandements, qui étaient restées inconnues avant la connaissance de ces intentions, comme je l’exposerai ultérieurement." ], [ "Ce qu’il faut savoir encore, c’est que la Loi n’a pas égard à ce qui est exceptionnel. La législation n’a pas eu lieu en vue de ce qui arrive rarement; mais dans tout ce qu’elle a voulu nous inculquer en fait d’idées, de mœurs et d’actions utiles, elle n’a eu en vue que les cas les plus fréquents, sans avoir égard à ce qui n’arrive que rarement, ni au dommage qui peut résulter de telle disposition et de tel régime légal pour un seul individu. En effet, la Loi est une chose divine; mais il faut considérer les choses de la nature qui embrassent ces avantages généraux existant dans la Loi, et desquelles pourtant il résulte des dommages individuels, comme cela a été exposé par nous-même et par d’autres(1)Cette phrase est un peu obscure; voici quel paraît en être le sens: La Loi étant une chose divine, il pourrait paraître qu’elle a dû pourvoir au bien absolu, tant de l’humanité en général que de chaque individu en particulier. Mais, si l’on considère la nature, qui vient également de Dieu, on trouvera qu’elle renferme, elle aussi, tous les avantages généraux que la Loi avait en vue, et que cependant il en résulte quelquefois des dommages pour les individus. Schem-Tob cite les exemples suivants: Dans l’ordre légal, la condamnation des coupables est un bien pour la société, et cependant il peut arriver quelquefois que des innocents soient condamnés par suite d’un faux témoignage. Dans l’ordre naturel, la pluie, nécessaire pour la végétation, est un bienfait pour l’humanité, et cependant, trop abondante, elle peut causer de graves sinistres. Nous voyons par conséquent que, tant dans l’ordre légal que dans l’ordre naturel, Dieu a pourvu au bien général de la société, sans avoir égard aux individus qui, par exception, sont quelquefois les victimes de l’ordre légal ou de l’ordre naturel. C’est là un fait incontestable que nous n’avons pas à expliquer et qu’il faut attribuer à la volonté impénétrable de la Divinité. — La construction grammaticale de cette phrase en augmente encore l’obscurité; ainsi le suffixe de פיהא se rapporte évidemment au mot אלשריעה̈ qui se trouve au commencement de la phrase, tandis que le suffixe dans צׄמנהא se rapporte au pluriel: אלאמור אלטביעיה̈; la construction naturelle serait donc celle-ci: אלתי פי צׄמנהא תלך (i.e. פי אלשריעה̈) אלמנאפע אלעאמה̈ אלמוגׄודה̈ פיהא, et en hébreu: אשר יש בכללם התועלות ההם הכוללות הנמצאות בה. Ibn-Tibbon a rendu le mot פיהא par בהם, tandis qu’il fallait le rendre par בה, c’est-à-dire בתורה. Al-’Harîzi a supprimé le mot פיהא, qu’il croyait probablement superflu; il traduit: כי התורה היא ענין אלהי כי יבחנו אותה בדברים הטבעיים אשר התועלות ההם הכוללות המצואות בכללם יתחייב בהם היזק אנשים.. En faisant cette réflexion(1)C’est-à-dire, en établissant une comparaison entre la Loi révélée par Dieu et les lois de la nature qui viennent également de Dieu., tu ne t’étonneras plus que le but de la Loi ne s’accomplisse pas dans chaque individu. Au contraire, il doit nécessairement exister des individus que ce régime de la Loi ne rend point parfaits, puisque les formes physiques de l’espèce ne produisent pas non plus, dans chaque individu, tout ce qui est nécessaire(2)La construction plus régulière de cette phrase serait celle-ci: לאן אלצור אלטביעיה̈ אלנועיה̈ לא יחצל ענהא פי כל שכׄץ ושכׄץ כל מא ילזם; littéralement: car pour ce qui est des formes physiques spécifiques, il n’en résulte pas, dans chaque individu, tout ce qui est nécessaire. Au lieu de לא יחצל, deux de nos mss. ont לא תחצל, en omettant ענהא; d’après cette leçon, il faudrait prononcer , en considérant comme sujet de ce verbe actif les mots אלצור אלטביעיה̈.; car toutes ces choses sont émanées d’un seul Dieu, d’un seul agent(1)C’est-à-dire: tant les choses naturelles que les dispositions de la Loi sont émanées de Dieu. La version d’Ibn-Tibbon porte ופעולה אחת, et d’une seule action; mais tous nos mss. ar. ont ופאעל ואחד, et d’un seul agent ou efficient; et de même, la version d’Al-’Harîzi a ופועל אחד., et ont été données par un seul pasteur(2)Ces derniers mots sont tirés de l’Ecclésiaste, chap. XII, v. 11. Dans plusieurs mss. ar., ainsi que dans les versions hébraïques, on lit: וכולם נתנו מרועה אחד, conformément à un passage du Talmud de Babylone, traité ’Haghighâ, fol. 3 b.. Le contraire serait impossible(3)C’est-à-dire: il eût été impossible que la Loi révélée et les lois de la nature eussent pour but le bien de chaque individu en particulier; car tout y est calculé pour le bien de l’espèce humaine en général., et nous avons déjà exposé que l’impossible a une nature stable qui ne varie jamais(4)Voy. ci-dessus, chap. XV.. Il s’ensuit encore de cette réflexion que les lois ne pourront pas s’adapter exactement(5)Au lieu de מקידה̈, le ms. n° 63 du suppl. hébr. porte מפידה̈; cette dernière leçon a été reproduite par Al-’Harîzi, qui a מועילות. Sur le sens du verbe , voy. ci-dessus, p. 35, note 4. aux circonstances diverses des individus et des temps, comme le traitement médical, qui, pour chaque individu en particulier, doit être conforme à son tempérament présent. Il faut, au contraire, que le régime légal soit absolu et embrasse la généralité (des hommes), quoiqu’il puisse, tout en convenant à tels individus, ne pas convenir à tels autres; car, s’il se conformait aux individus, la généralité en souffrirait, et «tu en ferais quelque chose de relatif(6)C’est-à-dire: le régime légal n’aurait plus de principe fixe et absolu, mais serait quelque chose de relatif qui varierait selon les individus et les circonstances. Les mots נתת דבריך לשיעורין sont une locution talmudique indiquant que les dispositions légales, interprétées d’une certaine manière, manqueraient d’un principe général, et deviendraient quelque chose de relatif, ce que le Talmud déclare inadmissible. Voy., par exemple, Talmud de Babylone, traité Schabbâth, fol. 35 b; ’Hullin, fol. 9 a, et cf. plus loin, chap. XLIX, ce que l’auteur dit au sujet de la circoncision, fixée au huitième jour après la naissance.». C’est pourquoi ce que la Loi a eu principalement pour but est indépendant (des circonstances) de temps et de lieu; les dispositions légales sont absolues et générales, comme il est dit: O assemblée! il y aura une seule loi pour vous (Nombres, 15, 15), et elles n’ont en vue que ce qui est utile généralement et dans les cas les plus fréquents, comme nous l’avons exposé. ", "Après ces observations préliminaires, j’aborde l’exposition que j’avais en vue(1)C’est-à-dire: l’exposition détaillée des motifs de toutes les lois mosaïques.." ], [ "Dans ce but, j’ai divisé tous les commandements en quatorze classes(2)On remarquera que la classification suivante diffère quelquefois, dans les détails, de celle qui a servi de base à la division en quatorze livres du grand ouvrage de Maïmonide, intitulé משנה תורה, Répétition de la Loi, et qui s’appelle aussi יד חזקה, main forte (le mot יד ayant la valeur numérique de 14). Dans ce code, il s’agissait de mettre dans une même division tous les sujets homogènes, et il fallait, par exemple, classer les jeûnes dans la division des époques solennelles; tandis qu’ici, la classification a uniquement pour base l’homogénéité des motifs, que l’auteur supposait aux différentes lois d’une même classe..", "La Ire classe renferme les commandements qui se rapportent à des idées fondamentales; ce sont ceux que nous avons énumérés dans le traité Yésodé ha-tôrâ (des fondements de la Loi). A cette classe appartiennent aussi la pénitence et les jeûnes, comme je l’exposerai. Quand il s’agit d’inculquer ces hautes vérités qui doivent nous inspirer la croyance à la Loi, il n’y a pas lieu de demander quelle en est l’utilité, comme nous l’avons exposé.", "La IIe classe renferme les commandements qui se rattachent à la défense de l’idolâtrie, et ce sont ceux que nous avons énumérés dans le traité Abodâ zarâ (de l’idolâtrie). Il faut savoir que les commandements relatifs aux étoffes de matières hétérogènes, aux premiers produits des arbres et au mélange de la vigne (avec d’autres plantes)(1)Voy. ci-dessus, chap. XXVI, p. 204, et ibid., notes 1, 4, 5., appartiennent également à cette classe, comme on l’exposera. De cette classe aussi on devine bien le motif, car elle a en général pour but de consolider les idées vraies et de les perpétuer dans le peuple pendant le cours des années.", "La IIIe classe renferme les commandements relatifs au perfectionnement des mœurs, et ce sont ceux que nous avons énumérés dans le traité Déôth (des règles d’éthique). On sait que c’est par les bonnes mœurs que le commerce des hommes et leur société se perfectionnent, ce qui est une chose nécessaire pour que l’état social soit bien réglé.", "La IVe classe renferme les commandements relatifs aux aumônes, aux prêts, aux largesses et à tout ce qui s’y rattache; ce sont les estimations et consécrations(2)C’est-à-dire, les vœux susceptibles de rachat et ceux appelés חרם, interdit ou anathème, et qui ne peuvent pas se racheter. Voy. Lévitique, chap. XXVII, et Mischné Tora, liv. VI, dernier traité., les dispositions concernant le prêt et les esclaves, et tous les commandements que nous avons énumérés dans le livre Zeraïm (des semences), à l’exception des hétérogènes et des premiers fruits des arbres. La raison de tous ces commandements est évidente; car tous les hommes, tour à tour, en tirent profit. En effet, si quelqu’un est riche aujourd’hui, il peut être pauvre demain, lui ou sa postérité; et, s’il est pauvre aujourd’hui, demain il peut être riche, lui ou son fils.", "La Ve classe comprend les commandements qui ont pour but d’empêcher la violence et l’injustice. Ce sont ceux qui dans notre ouvrage forment le sujet du livre Nezikin (des dommages). L’utilité de cette classe est évidente.", "La VIe classe comprend les commandements relatifs aux peines criminelles(1)Le mot signifie talion ou vindicte publique. Ibn-Tibbon rend ici inexactement le mot אלקצאצאת par דיני ממונות, et ensuite par דיני התשלומין. La traduction hébr. de ce mot est עונשין, comme l’a Al-Harîzi. Plus loin, au commencement du chap. XLI, les mots הי אלקצאצאת sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par הם לקחת הדין מן החוטא., telles que les pénalités du voleur, du brigand, des faux témoins, et en général ce que nous avons énuméré dans le livre Schofetim (des Juges). L’utilité en est manifeste et évidente; car, si le coupable n’était pas puni, le crime ne cesserait point, et ceux qui ne respirent que la violence ne reculeraient point. Il n’y a que les esprits faibles qui prétendent(2)Mot à mot: ce n’est pas comme la faiblesse d’esprit de celui qui prétend; c’est-à-dire, il n’en est pas comme le prétendent les esprits faibles. que l’abolition des peines serait de la miséricorde envers les hommes; Ce serait là plutôt de la vraie dureté à leur égard et la destruction de la société. La miséricorde, au contraire, est dans cet ordre donné par Dieu: Tu établiras des juges et des officiers dans toutes tes villes. (Deutér., XVI, 18.)", "La VIIe classe comprend les droits de propriété qui se rattachent aux transactions mutuelles des hommes, telles que le prêt(3)Les prêts figurent aussi dans la IVe classe; mais là on en parle au point de vue de la bienfaisance et de la charité, tandis qu’ici, c’est au point de vue du droit civil., l’engagement pour salaire, les dépôts, les ventes, les achats, etc.; les héritages aussi sont de cette catégorie. Ce sont les commandements que nous avons énumérés dans les livres Kinyân (de l’acquisition) et Mischpatim (des droits). Cette classe est d’une utilité manifeste et évidente; car ces relations pécuniaires sont nécessaires pour les hommes dans chaque Etat, et il faut nécessairement établir des règles équitables dans ces transactions et les soumettre à une appréciation utile.", "La VIIIe classe comprend les commandements relatifs aux jours sacrés(1)Les mots signifient littéralement: dies vetiti, prohibiti (a labore). Au lieu de אלמחטׄורה̈ (dans quelques mss. avec une orthographe incorrecte אלמחצׄורה̈), les mss. n° 18 de Leyde et n° 63 du suppl. hébr. de la Biblioth. imp. ont אלמחדודה̈, et c’est cette dernière leçon que paraît avoir suivie Ibn-Tibbon, qui traduit: הימים הידועים, les jours déterminés. La version d’Al-’Harîzi a הימים הספורים, les jours comptés; il avait évidemment la leçon fautive אלמחצורה̈ (le צ sans point). Cf. plus loin, chap. XLI, בעץׄ מחטׄוראתהא (fol. 91 a du texte arabe, l. 3 d’en bas., je veux dire aux sabbats et aux fêtes(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ajoutent ici les mots והם אשר ספרנום בספר זמנים. Ces mots, qui en effet seraient ici à leur place, ne se trouvent cependant ni dans les mss. de la version d’Ibn-Tibbon, ni dans celle d’Al-’Harîzi.. L’Ecriture déjà a motivé chacun de ces jours et en a indiqué la raison, qui est, soit de faire naître une certaine idée(3)Tous nos mss. ar. ont simplement ראי, opinion, idée. La version d’Ibn-Tibbon a דעת אמיתית, et de même celle d’Al-’Harîzi: סברא נכונה., soit de nous procurer le repos du corps, soit de produire ces deux effets à la fois, comme nous l’exposerons ultérieurement.", "La IXe classe comprend les autres pratiques du culte imposées à tous(4)Le mot אלעאמה̈, général, désigne les cérémonies du culte imposées à tous les israélites, à l’exclusion de celles qui ne concernent que les prêtres et les lévites, et dont il va être parlé ci-après., telles que la prière, la lecture du Schema’ et les autres choses que nous avons énumérées dans le livre Ahabâ (de l’amour de Dieu), à l’exception de la Circoncision. L’utilité de cette classe est évidente; car toutes ces pratiques servent à affermir les idées relatives à l’amour de Dieu, à ce qu’il faut croire à son égard et à ce qu’il faut lui attribuer.", "La Xe classe comprend les commandements relatifs au sanctuaire, à ses ustensiles (sacrés) et à ses desservants. Ce sont les commandements que nous avons énumérés dans une partie(5)La version d’Ibn-Tibbon porte בספר עבודה. Al-’Harîzi traduit plus exactement: בקצת ספר עבודה. du livre ’Abôdâ (du culte). Nous avons parlé précédemment de l’utilité de cette classe(1)Voy. ci-dessus, chap. XXXII, p. 251..", "La XIe classe comprend les commandements relatifs aux sacrifices; ce sont la plupart des commandements que nous avons énumérés dans le livre Abôdâ (du culte) et dans le livre Korbanôth (des sacrifices). Nous avons déjà dit précédemment (ch. 32) quelle utilité avait la prescription des sacrifices en général et quelle en était la nécessité dans ces temps-là.", "La XIIe classe comprend les commandements relatifs aux cas de pureté ou d’impureté. Le but qu’avaient en général tous ces commandements, c’était qu’on s’abstînt, dans l’état d’impureté, de visiter le sanctuaire, afin qu’on fût pénétré de sa grandeur, et qu’il fût un objet de crainte et de respect, comme je l’exposerai.", "La XIIIe classe comprend les commandements relatifs à l’interdiction de certains aliments et à ce qui s’y rattache; ce sont les commandements que nous avons énumérés dans le traité Maakhalôth assourôth (des aliments prohibés); mais les dispositions relatives aux vœux et au naziréat appartiennent également à cette classe. Tout cela a pour but de détruire la passion qui nous entraîne à rechercher des mets délicats et (d’empêcher) que la bonne chère et la boisson soient considérées comme le but de la vie(2)Littéralement: le but de tout cela est de détruire l’avidité et l’entraînement qu’on éprouve pour rechercher ce qu’il y a de plus doux et pour adopter comme dernier but la passion du manger et du boire. Sur le mot , entraînement, voy. ci-dessus, p. 261, note 1. Au lieu de אתכׄאדׄ, adopter, quelques mss. ont incorrectement: אכתׄאר, multiplier, ce qui a donné lieu à la traduction d’Al-’Harîzi: והרבות תאות האכילה, où les mots du texte arabe ואלשראב גאיה̈ sont supprimés., comme nous l’avons exposé dans le commentaire sur la Mischnâ, introduction au traité Abôth(3)Voy. les Huit Chapitres, servant d’Introduction au traité Aboth, chap. IV, vers la fin..", "La XIVe classe comprend les commandements relatifs à la défense de certaines cohabitations. Ce sont ceux que nous avons énumérés dans le livre Naschim (des femmes), et dans le traité Issouré biâ (des unions illicites); le mélange d’animaux (de deux espèces) appartient également à cette classe. Ces commandements aussi ont pour but de diminuer le commerce avec les femmes, de restreindre, autant que possible, le désir effréné de la cohabitation, et de ne pas y voir, comme le font les ignorants, le but (de l’existence humaine), ainsi que nous l’avons exposé dans le commentaire du traité Abôth(1)Cf. ci-dessus, chap. VIII, p. 51, et ibid., note 3.. La circoncision appartient également à cette classe.", "On sait que la totalité des commandements peut se diviser en deux parties, l’une concernant les rapports des hommes entre eux, l’autre concernant les rapports de l’homme avec Dieu(2)Plus littéralement: les transgressions de l’homme envers son prochain et les transgressions de l’homme envers Dieu. Ces mots sont empruntés à la Mischnâ, IIe partie, traité Yomâ, chap. VIII, § 9. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on a substitué le mot מצות au mot עבירות, et l’ordre des deux classes y est interverti; les mss. de cette version, ainsi que la version d’Al-’Harîzi, sont conformes au texte arabe.. Dans notre division, dont nous venons d’énumérer les classes, la cinquième, sixième, septième, et une partie de la troisième classe, sont relatives aux rapports des hommes entre eux; les autres classes concernent les rapports de l’homme avec Dieu. Car tout commandement, soit positif, soit négatif, qui a pour but de nous douer d’une certaine qualité morale, ou idée, ou de corriger nos actions, et qui ne concerne(3)Ibn-Tibbon a mis le pluriel: שהם מיוחדים וגו׳, et selon lui le verbe féminin se rapporterait aux trois termes: כׄלק מא או ראי או צל אח אעמאל; il me semble plus naturel de rapporter le verbe תכׄץ à כל מצוה. que l’individu en lui-même qu’il sert à perfectionner, a été appelé par les docteurs rapport entre l’homme et Dieu, quoiqu’en réalité il aboutisse quelquefois aux relations des hommes entre eux; mais ce dernier cas n’arrive qu’après beaucoup de choses intermédiaires et à des points de vue généraux, et de prime abord on n’y voit rien qui puisse toucher les autres hommes. Il faut te bien pénétrer de cela.", "Après avoir fait connaître les raisons de ces différentes classes (de commandements), je vais poursuivre(1)L’infinitif n’est pas exprimé dans la version d’Ibn-Tibbon, qui ajoute à sa place les mois מצוה מצוה; Al-’Harîzi traduit plus littéralement: אשוב לדקדק מצות כל חלק מהם. les commandements renfermés dans chacune d’elles, surtout ceux qu’on croit être sans utilité, ou qu’on prend pour des ordonnances n’ayant aucun principe rationnel; j’en exposerai les raisons et les cas d’utilité, à l’exception d’un petit nombre dont, jusqu’à ce moment, je n’ai point saisi le but." ], [ "Les commandements que renferme la première classe, à savoir les idées, et que nous avons énumérés dans le traité Yésodé ha-torâ (des fondements de la Loi), sont tous clairement motivés. Si tu les examines un à un, tu y trouveras toujours une idée vraie et susceptible d’être démontrée. De même, tout ce qui est stimulation et encouragement à l’étude et à l’enseignement est d’une utilité évidente; car si on n’a pas acquis de science, on n’aura ni vertus pratiques, ni idées saines(2)Dans ce passage et dans les suivants, l’auteur parle de certains devoirs relatifs à l’étude de la loi et au respect dû aux savants et aux vieillards. Tous ces devoirs ont été exposés par l’auteur dans son Abrégé du Talmud, ou Mischné Torâ, traité Talmud Torâ (de l’étude de la loi).. Il est également d’une utilité évidente d’honorer ceux qui sont les soutiens de la Loi(3)Sur cette expression, voy. le t. II, p. 65, note 3.; car s’ils ne sont pas un objet de haute considération(4)Mot à mot: s’il ne leur est pas donné de grandeur dans les âmes (des hommes). Ibn-Tibbon traduit, selon le sens: שאם לא יהיו גדולים בעיני בני אדם ומכובדים; Al-’Harîzi traduit plus littéralement: אם לא יהיה להם הדור בנפשות., on n’écoutera pas leurs paroles, quand ils voudront diriger nos pensées et nos actions. Dans le commandement exprimé par les mots: Lèvetoi devant la vieillesse (Lévit., 19, 32)(1)Selon la tradition rabbinique, le mot vieillesse désigne ici la science, et on recommande par ce passage du Lévitique de respecter et d’honorer les hommes instruits. Déjà dans la version chaldaïque d’Onkelos, les mots מפני שיבה תקום sont rendus dans le même sens: מן קדם דסבר באוריתא תקום, lève-toi devant celui qui est versé dans la loi. Cf. Maïmonide, Sépher ha-miçwôth, commandements affirmatifs, n° 209., est contenu aussi le devoir de se conduire avec modestie(2)C’est-à-dire, d’être modeste et humble devant les hommes âgés; selon le Talmud, tout vieillard, fût-il païen, doit être un objet de respect, même pour les savants. Voy. Talmud de Babylone, traité Kiddouschîn, fol. 32 b; Maïmonide, traité Talmud Torâ, chap. VI, § 9.—Le mot ar. חיא est rendu dans les deux versions hébraïques par deux mots: בשת וענוה..", "De cette (première) classe sont aussi les préceptes qui nous ordonnent de jurer par son nom et qui nous défendent de violer le serment, ou de jurer en vain(3)Voy. Deutér., 6, 13; X, 20; Lévit., 19, 12; Exode, 20, 7.. Tout cela a une raison manifeste, et a pour objet le respect dû à la Divinité; car ce sont là des actions qui affermissent la croyance à sa grandeur.", "A cette classe appartient encore le précepte d’invoquer Dieu dans les moments de détresse, ainsi qu’il est dit: Vous ferez retentir les trompettes (Nombres, 10, 9)(4)Cf. Sépher miçwôth, préceptes affirmatifs, n° 59, à la fin, et Mischné Torâ, ou Abrégé du Talmud, l. III, traité Ta’anîth (du jeûne), ch. I, § 1.; car c’est un acte qui sert à affermir une idée vraie, à savoir que Dieu perçoit notre situation, qu’il dépend de lui de l’améliorer si nous lui obéissons, et de la rendre mauvaise si nous lui désobéissons, et qu’il ne faut pas voir en cela l’effet du hasard ou d’un simple accident. Tel est le sens de ces mots: Si vous marchez avec moi קרי, dans la voie du hasard (Lévitique, XXVI, 21)(5)L’auteur prend ici le mot קרי dans le sens de מקרה, hasard, accident; de même Ibn-Ezra et David Kim’hi (Rad. קרה), selon les anciens rabbins: כלומר שתאמרו כי היסורין שאני אביא עליכם דרך מקרה הם ואינם תגמול עונותיכם. Cf. Mischné Torâ, l. c., § 3., ce qu’il faut entendre ainsi: «Si vous considérez comme un simple hasard ces malheurs que je fais fondre sur vous pour vous punir, j’augmenterai pour vous ce prétendu hasard en ce qu’il a de plus grave et de plus cruel,» comme il est dit: Et si vous marchez avec moi dans la voie du hasard, je marcherai avec vous dans la voie du plus cruel hasard (Ib., v. 27-28). En effet, leur croyance que ce n’était là qu’un pur hasard devait avoir pour effet de les laisser, sans retour, persister dans leurs opinions pernicieuses et dans leurs actions impies, comme il est dit: Tu les as frappés, et ils n’en ont point tremblé (Jérémie, 5, 3). C’est pourquoi Dieu nous a ordonné de l’invoquer, d’avoir recours à lui(1)Sur le sens du verbe , voy. ci-dessus, p. 258, note 4. Le ms. n° 63 du suppl. hébr. a ici ואלתצׄרע, et c’est cette leçon que paraissent avoir suivie les deux traducteurs hébreux; Ibn-Tibbon a ולהתחנן לו, et Al-’Harîzi ולשַׁוע. et de lui adresser nos supplications dans chaque malheur.", "Il est évident que la pénitence appartient également à cette classe, je veux dire qu’elle fait partie des idées qu’il faut admettre pour qu’il puisse exister une société religieuse bien organisée. En effet, il est impossible que l’homme ne pèche pas et ne bronche pas, soit en adoptant par ignorance une opinion ou une conduite qui ne saurait être approuvée, soit en se laissant vaincre par la concupiscence ou la passion. Si donc l’homme pouvait croire que ce mal est à jamais irréparable(2)Mot à mot: qu’il n’y a pas de jonction à cette fracture. L’expression signifie remettre ou rejoindre un os fracturé, et au figuré réparer un mal. L’auteur emploie la même locution plusieurs fois; voy. chap. XXIII, p. 172, note 4, et les autres passages indiqués dans cette note., il persisterait dans son erreur, et peut-être même pécherait-il davantage, n’ayant aucun moyen (de réparation); mais, en croyant à la pénitence, il se corrigera et redeviendra meilleur et même plus parfait qu’il n’avait été avant de pécher. C’est pourquoi les actes qui doivent affermir cette idée vraie et très-utile sont nombreux; je veux parler des confessions(1)Voy. Lévitique, chap. V, v. 5; chap. XVI, v. 21., des sacrifices pour l’erreur(2)C’est-à-dire, pour les péchés commis par erreur. Sur ces différentes espèces de sacrifices, voy. mes Réflexions sur le culte des anciens Hébreux (Bible de M. Cahen, t. IV), p. 34 et suiv.; Palestine, p. 160 et suiv. et pour certains péchés commis avec intention, et des jeûnes. Ce qui caractérise en général la pénitence pour chaque péché, c’est de s’en détacher; et c’est là ce que cette idée a finalement pour objet. — Toutes ces choses donc(3)C’est-à-dire, tout ce qui a été énuméré dans ce chapitre. sont d’une utilité évidente." ], [ "Les commandements que renferme la deuxième classe sont tous ceux que nous avons énumérés dans le traité Aboda Zarâ (de l’idolâtrie). Il est évident qu’ils ont tous pour but de nous préserver des erreurs de l’idolâtrie et d’autres idées fausses que l’idolâtrie entraîne avec elle, comme les pronostics, les augures, la sorcellerie, l’incantation(4)Voy. ci-dessus, chap. XXIX, p. 228, note 4. et d’autres choses semblables. Quand tu auras lu tous les livres dont je t’ai parlé, tu verras clairement que ce que tu entends appeler magie, ce sont des pratiques exercées par les Casdéens et les Chaldéens(5)Cf. ci-dessus, p. 239, note 2., et qui étaient surtout fréquentes parmi les Égyptiens et les Cananéens. Ils voulaient faire croire, ou croyaient eux-mêmes que ces pratiques exerçaient une influence miraculeuse ou extraordinaire dans le monde, soit sur un individu, soit sur les habitants d’une ville; tandis que la logique et la raison ne sauraient admettre que les pratiques exercées par les magiciens produisent un effet quelconque(6)Plus littéralement: mais la logique ne juge pas et la raison ne peut croire que ces pratiques.… produisent quoi que ce soit., comme, par exemple, quand ils cherchent à cueillir telle plante dans tel moment, ou quand ils prennent telle quantité d’une certaine chose et telle quantité d’une autre chose. Ce sont des procédés très variés, que je résumerai en trois espèces: 1° ceux qui se rattachent à un être quelconque, soit plante, soit animal, soit minéral; 2° ceux qui se rattachent à un temps déterminé dans lequel telles pratiques doivent s’exercer; 3° certaines actions exercées par les hommes, comme par exemple de danser, de battre des mains, de crier, de rire, de sauter sur une jambe(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il manque ici les mots: או הדלוג על רגל אחת, qui se trouvent dans les mss. de cette version., de se coucher par terre, de brûler une certaine chose, ou de faire une certaine fumigation, ou de prononcer certaines paroles intelligibles ou inintelligibles. Telles sont les différentes espèces d’opérations magiques.", "Il y a certaines opérations magiques qui ne s’accomplissent que par la réunion de tous ces actes à la fois. Ils disent, par exemple: On prendra telle ou telle quantité de feuilles de telle plante, au moment où la lune se trouve sous tel signe du zodiaque, à l’orient ou à l’un des autres points cardinaux(2)Le mot arabe ותד, clou, est employé quelquefois pour désigner les points cardinaux.Voy. Saumaise, De annis climactericis (Leyde, 1648), p. 440, et l’addition à cette page, à la fin du volume. Les rabbins emploient dans le même sens le mot יתד.; on prendra aussi des cornes de tel animal, ou de ses excréments, ou de son poil, ou de son sang, telle quantité, quand le soleil se trouvera par exemple au milieu du ciel, ou à un autre endroit déterminé; enfin, on prendra tel métal, ou plusieurs métaux, qu’on fera fondre sous l’ascendant de tel signe, au moment où les astres se trouveront dans telle situation(3)Au lieu de נצבה̈, situation, place, quelques mss. ont נסבה̈, rapport, et de même Ibn-Tibbon: על ערך כך; Al-’Harîzi traduit: במערכת כך.; ensuite, on parlera, on dira telle chose, et on fera avec ces feuilles, etc., une fumigation à cette figure de métal, et, par suite de tout cela, il arrivera telle chose. Mais il y a d’autres opérations magiques qui, à ce qu’ils croient, s’accomplissent au moyen d’une seule de ces trois espèces d’actes. Dans la plupart de ces opérations magiques, ils mettent pour condition nécessaire qu’elles soient exécutées par des femmes. Ainsi, par exemple, ils disent que, pour obtenir que l’eau jaillisse, il faut que dix femmes vierges, ornées de bijoux et vêtues de robes rouges, dansent et s’abordent mutuellement, allant tantôt en avant, tantôt en arrière, et montrant le soleil, etc., etc.(1)Le texte dit mot à mot: et l’achèvement de cette longue opération; l’auteur veut dire qu’on énumère encore beaucoup d’autres actes que ces femmes doivent accomplir et qu’il serait trop long d’énumérer.; par ce moyen, à ce qu’ils s’imaginent, l’eau jaillira. ", "Ils disent encore que, si quatre femmes, couchées sur le dos, lèvent les jambes en les écartant(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont מסופקות; selon les mss. et conformément au texte arabe, il faut lire מפוסקות., et si, dans cette position indécente, elles prononcent telles paroles et font tel acte, la grêle cessera de tomber en ces lieux. Il y a encore beaucoup d’autres de ces absurdités et de ces folies, dont la pratique, selon leur condition expresse, n’appartient qu’aux femmes. Dans toutes les opérations magiques, il faut aussi observer l’état des astres; car ils prétendent que telle plante est échue en partage à tel astre, et de même ils attribuent chaque animal et chaque minéral à un certain astre(3)Cf. ci-dessus, p. 226, et ibid., note 6.. Selon leur opinion aussi, les pratiques exercées par les magiciens(4)Dans quelques mss. ar. on lit אלתי בפעלהא ינפעל להם אלסחר, par l’exercice desquelles s’opère la magie; et cette leçon a été suivie par les deux traducteurs hébreux; Ibn-Tibbon: אשר בעשותם אותם יעשה להם הכישוף; Al-’Harîzi: אשר בעשייתם יעשה הכישוף. sont une espèce de culte rendu à tel ou tel astre, qui, trouvant plaisir à telle pratique, à telles paroles, ou à telle fumigation, fait pour nous ce que nous désirons.", "Après cette observation préliminaire, que tu pourras vérifier en lisant leurs livres qui se trouvent maintenant entre nos mains et que je t’ai fait connaître, écoute ce que je vais dire: Ce qui formait le but et pour ainsi dire le centre de la Loi, c’était la destruction de l’idolâtrie, dont elle voulait faire disparaître la trace; elle ne voulait pas qu’on s’imaginât qu’un astre quelconque pût exercer une influence, nuisible ou bienfaisante, sur rien de ce qui concerne les individus humains, car c’est cette opinion qui a conduit au culte des astres. En conséquence, tout magicien devait être mis à mort(1)Voici la traduction littérale de cette période un peu longue; que nous avons dû couper et dont quelques expressions ont été modifiées: Puisque la tendance de toute la Loi et le pôle sur lequel elle tourne était de faire cesser l’idolâtrie, d’en effacer la trace et (de faire) qu’on ne crût pas d’un astre quelconque qu’il pût être nuisible, ou utile, dans quoi que ce soit des circonstances qui existent pour les individus humains, — car c’était cette opinion qui conduisait au culte des astres, — il fallait nécessairement que le magicien fût mis à mort.; car le magicien est indubitablement dévoué à l’idolâtrie, quoiqu’il suive des voies particulières et étranges, différentes de celles que suit la foule pour le culte des faux dieux. Or, comme on a mis pour principale condition, dans toutes ces opérations magiques, ou du moins dans la plupart, qu’elles fussent exercées par des femmes, il est dit: Tu ne laisseras vivre aucune magicienne (Exode, 22, 17). Ensuite, comme une pitié naturelle empêche les hommes de tuer les femmes, on a dit expressément, en parlant de l’idolâtrie: un homme ou une femme (Deutér., 17, 2), et on a répété les mots cet homme ou cette femme (ibid., v. 5), expression qui n’est employée ni au sujet de la profanation du sabbat, ni au sujet d’aucun autre commandement. Ce qui en est la raison, c’est la grande pitié qu’inspirent naturellement les femmes. — Les magiciens attribuaient à leur art une telle efficacité, qu’ils prétendaient, par leurs opérations, pouvoir expulser des campagnes les animaux dangereux(2)Littéralement: comme les magiciens prétendaient que leur magie était efficace et qu’ils pouvaient par ces opérations expulser, etc. Le complément de cette phrase et des suivantes commence aux mots , à cause de ces opinions alors généralement répandues., tels que les lions, les serpents, etc. Ils prétendaient aussi pouvoir, par leur magie, garantir les plantes contre toutes sortes de dangers, et ils avaient par exemple des opérations par lesquelles ils prétendaient empêcher la grêle de tomber, et d’autres qui, disaient-ils, faisaient mourir les vers dans les vignes, afin que celles-ci ne fussent pas détruites. Les Sabiens, dans le livre de l’Agriculture nabatéenne, sont même entrés dans de longs détails sur la manière de tuer les vers des vignes, au moyen de ces usages amorrhéens(1)L’expression דרכי האמורי, voies ou usages des Amorrhéens, est très-usitée chez les rabbins, pour désigner en général les superstitions païennes. Voy., par exemple, Mischnâ, IIe partie, traité Schabbâth, chap. VI, § 10. dont nous avons parlé. De même, ils prétendaient posséder des opérations pour empêcher les feuilles des arbres et les fruits de tomber. C’est à cause de toutes ces superstitions, alors très-répandues, que dans les paroles de l’Alliance(2)Les mots דברי הברית, paroles de l’Alliance, sont empruntés au Deutéronome, chap. XXVIII, v. 69, où ils désignent particulièrement les malédictions contenues dans ce chapitre. il est dit entre autres que le culte des faux dieux et ces opérations magiques, par lesquelles on croyait(3)Le texte porte: vous croyez, et la phrase continue dans la forme du discours direct (תבעד ענכם ··· בכם). Cf. t. I, p. 283, note 4; t. II, note 2. éloigner ces dangers, deviendraient au contraire la cause de ces malheurs. Il est dit par exemple: Je lâcherai contre vous les bêtes des champs qui vous priveront de vos enfants (Lévit., 26, 22); Et j’enverrai contre eux la dent des bêtes et le venin des serpents qui rampent dans la poussière (Deutér., 32, 24); Le grillon dévastera le fruit de ta terre (ibid., XXVIII, 42); Tu planteras des vignes, tu les cultiveras, mais tu n’en boiras pas le vin et tu n’en recueilleras rien, car les vers les rongeront (ibid., v. 39); Tu auras des oliviers sur tout ton territoire, mais tu ne t’oindras pas d’huile, car ton olivier se flétrira (ibid., v. 40). En somme, en présence de tous les artifices inventés(1)Le verbe (Ve forme), qui ne se trouve pas dans les dictionnaires, est dérivé de חילה̈, ruse, artifice, et signifie inventer un artifice. Le mss. n° 63 du suppl. hébr. a seul יכׄילוא (pour , et de même Al-’Harîzi: כל מה שיחשבו עובדי עבודה זרה, «tout ce que les adorateurs des faux dieux ont imaginé.» Dans ce qui suit, les mss. de la version d’Ibn-Tibbon portent, plus exactement que les éditions: לחזק עבודתה ולהעמידה לעד ומביא בני אדם לחשוב וגו׳. Au lieu de בדפע ··· וגׄלב, quelques mss. portent: אנהא תדפע ··· והגׄלב; de même Ibn-Tibbon: שהם דוחים ··· ומביאים. par les adorateurs des faux dieux pour en perpétuer le culte, en faisant croire aux hommes que, par ces moyens, on peut écarter certains malheurs et obtenir certains avantages, on a déclaré dans les paroles de l’Alliance que, par suite du culte de ces dieux, ces avantages manqueront et ces malheurs arriveront. — Tu comprendras maintenant, ô lecteur! pourquoi l’Écriture a insisté sur ces malédictions et ces bénédictions toutes particulières, contenues dans les paroles de l’Alliance, et les a fait ressortir plus que les autres; tu en sauras donc apprécier la grande utilité", "Pour nous éloigner de toutes les opérations magiques, on nous a défendu (en général) de pratiquer quoi que ce soit des coutumes des idolâtres, même de celles qui se rattachent aux pratiques agricoles et pastorales(2)Il manque ici, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot והמרעה qui se trouve dans les mss. et dans l’édition princeps. et à d’autres semblables; je veux parler de tout ce qu’ils prétendent être utile et qui, selon leur opinion, est seulement du ressort de certaines forces occultes(3)Le mot אלכׄואץ signifie particularités ou propriétés, et désigne ici les prétendues forces secrètes que les magiciens faisaient agir; ce mot a été rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par הסגולות והכחות המיוחדות., sans être exigé par l’étude de la physique. C’est de cela que l’Écriture dit: Vous ne suivrez point les coutumes de la nation, etc. (Lévit., 20, 23), et c’est là ce que les docteurs appellent usages des Amorrhéens. En effet, ce ne sont là que les branches de certaines pratiques des magiciens; car ce sont des choses qui ne ressortent point du raisonnement physique, et qui conduisent aux opérations magiques, lesquelles, s’appuyant nécessairement sur l’astrologie, aboutissent à faire glorifier les astres et à leur faire rendre un culte(1)Il faut effacer, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot ולרוממם qui est de trop et qui ne se trouve pas dans les mss. de cette version.. Les docteurs disent expressément: «Tout ce qui se pratique comme remède médical n’est pas considéré comme usage des Amorrhéens(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Schabbath, fol. 67 a.;» ce qui veut dire: Tout ce que l’étude de la physique exige est permis, mais les autres pratiques sont défendues. C’est pourquoi, après avoir dit: «L’arbre dont les fruits tombent, on le charge de pierres et on le marque de craie rouge,» on fait à cette pratique l’objection suivante: «Quant à le charger de pierres, c’est afin que sa sève diminue(3)Car, comme le dit la glose de Raschi, sa trop forte séve est cause que ses fruits tombent. Voir les Additions et Rectifications.; mais pourquoi le marquer de craie rouge? etc.» Il est donc clair par là qu’il serait défendu de le marquer de craie rouge, ou de faire toute autre chose semblable dénuée de raison(4)Mot à mot: que le raisonnement n’exigerait pas. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, on a ajouté le mot הטבעי, qui ne se trouve pas dans les mss. de cette version., parce que ce seraient là des usages amorrhéens. De même, au sujet du «fœtus des animaux sacrés qui doit être enterré(5)Voy. Mischnâ, Ve partie, traité ’Hullin, chap. IV, § 7. Les commentateurs disent que les magiciens avaient coutume d’enterrer le fœtus dans un carrefour, croyant par là préserver l’animal d’un nouvel avortement.,» on dit: «Il n’est pas permis de le suspendre à un arbre, ni de l’enterrer dans un carrefour, parce que ce sont là des usages amorrhéens.» De là, on peut conclure sur d’autres cas analogues(6)Dans les mss. de la version d’Ibn-Tibbon, on lit ici, conformément au texte arabe, les mots ועל זה תעשה היקש, qui manquent dans les éditions. Al-’Harîzi a ועל זה תהיה סובר.. Tu ne seras pas choqué de certaines choses qu’on a permises, comme par exemple le clou du pendu et la dent du renard(1)Voy. Mischnâ, traité Schabbath, chap. VI, § 10, et Talmud de Babylone, même traité, fol. 77 a. On croyait, par superstition, que le clou qui avait servi à la pendaison pouvait servir de remède contre la fièvre tierce, ou contre une enflure. La dent d’un renard vivant était considérée comme remède pour éveiller l’homme d’un profond assoupissement; la dent du renard mort, au contraire, passait pour remède contre l’insomnie. C’est pourquoi les talmudistes permettaient de sortir avec ces objets le jour du sabbat.; car dans ces temps-là on considérait ces choses comme éprouvées par l’expérience. Elles entraient donc dans la catégorie des médicaments, de la même manière que, chez nous, on suspend la pivoine sur l’épileptique, ou comme on emploie les excréments d’un chien contre les enflures du gosier, et les fumigations de vinaigre et de marcassite(2)Encore maintenant, on attribue dans certaines contrées des propriétés médicales à la marcassite ou pyrite. Voy. Déterville, Dictionnaire d’Histoire naturelle, art. Marcassite. Les Arabes paraissent aussi désigner par ce nom le bismuth, anciennement nommé étain de glace. contre les tumeurs dures des tendons(3)Le mot אלותראת, que nous traduisons par tendons, est très-douteux. Plusieurs mss. ont אלבתׄראת (pluriel de , pustula parva, tuberculum), et c’est probablement cette leçon qu’avait Ibn-Tibbon, qui traduit ce mot par המכות, et dans quelques mss. par הענבות, mot qui, comme l’arabe , signifie également pustule, tumeur (cf. Buxtorf, lex. talmud., au mot ענבתא). Le ms. n° 18 de Leyde a אלרכב ( , pubes, muliebria, ou , plur. de , genou); c’est cette leçon qu’avait Al-’Harîzi, qui traduit: ולהקטיר בחומץ ובמרקשיתא לצמח הברכים הקשה.; car tous les remèdes qui, comme ceux-ci, sont éprouvés par l’expérience, quoiqu’ils ne soient point rationnels, il est permis de les employer, et ils entrent dans la catégorie des médicaments au même titre que les remèdes purgatifs(4)Plus littéralement: et se rattachent à la manière de purger par les purgatifs. Ibn-Tibbon a ainsi paraphrasé ces mots: ונוהג מנהג שלשול הסמנין המשלשלים; Al-’Harîzi: ונשאר בכלל הרפואות המשלשלות.. Il faut te bien pénétrer, ô lecteur! des observations remarquables que je viens de faire, et les garder dans ta mémoire: car elles seront un bandeau gracieux autour de ta tête et un collier autour de ton cou (Proverbes, I, 9).", "Quant à la défense de se raser les coins de la chevelure et de la barbe, nous avons déjà exposé dans notre grand ouvrage que c’était là une coutume des prêtres idolâtres(1)Voy. Mischné Torâ ou Abrégé du Talmud, liv. I, traité Abodâ Zara, chap. XII, § 7.. C’est par la même raison qu’on a défendu les tissus de matières hétérogènes; car c’était la coutume des prêtres idolâtres de réunir, dans les étoffes qui leur servaient de vêtement, les matières végétales et animales, et de porter en même temps dans la main un sceau fait d’un minéral quelconque. Tu trouveras cela textuellement dans leurs écrits.", "C’est encore pour la même raison (d’idolâtrie) qu’il est dit: La femme ne portera pas d’armure d’homme, et l’homme ne mettra pas de vêtement de femme (Deutér., 22, 5). Tu trouveras cela dans le livre de Tomtom(2)Voy. ci-dessus, p. 240, note 1. Maïmonide, comme on voit, explique le mot כלי du texte du Deutéronome dans le sens d’armure, suivant en cela l’opinion d’Onkelos, dont la version chaldaïque porte תקון זין, et qui est aussi celle de Josèphe (Antiquités, liv. IV, chap. VIII, § 43) et de certains docteurs du Talmud (traité Nazîr, fol. 59 a); cf. Mischné Torâ, traité de l’Idolâtrie, chap. XII, § 10. Voy. aussi Selden, De Diis Syris, Syntagma II, chap. IV; Spencer, De Leg. ritual. hebrœorum, lib. II, chap. XVII (édit. de Cambridge, in-fol., p. 406 et suiv.). Milius, Dissertationes selectœ (Lugd. Bat., 1743, in-4°), dissert. De Commutatione vestium, p. 202 et suiv., prend le mot כלי dans le sens de vêtement. Quoi qu’il en soit, il s’agit ici d’un usage idolâtre. Voy. Macrobe, Saturnalia, l. III, chap. VIII: «Philochorus quoque in Athide eamdem (venerem) affirmat esse lunam, et ei sacrificium facere viros cum veste muliebri, mulieres cum virili, quod eadem et mas æstimatur et femina.», qui prescrit qu’un homme, en se présentant devant la planète de Vénus, soit vêtu d’un habit de femme bariolé, et qu’une femme se couvre d’une cuirasse et d’armes de guerre en se présentant devant Mars. Cette défense, je crois, a encore une autre raison: c’est qu’une telle action excite les passions et conduit à toutes sortes de débauches.", "Quant à la défense de tirer un profit quelconque des idoles, la raison en est très-claire; car quelquefois, en les prenant pour les casser, on pourrait les conserver et elles pourraient devenir un piège. Lors même qu’on les aurait brisées et fondues, ou qu’on les aurait vendues à un païen, il serait défendu de faire usage du prix qu’on en aurait retiré. Ce qui en est la raison, c’est que souvent le vulgaire voit dans les choses accidentelles des causes essentielles; ainsi, par exemple, tu trouveras souvent tel homme qui dit que, depuis qu’il habite(1)Les versions d’Ibn-Tibbon et d’Al-’Harîzi ajoutent ici le mot פלוני, de sorte qu’il faudrait traduire: «depuis qu’un tel habite, etc.» Le texte arabe, conforme dans tous les mss., n’admet pas cette traduction. telle maison, ou depuis qu’il a acheté telle bête de somme, ou tel meuble, il s’est enrichi et a acquis une grande fortune, et que ces objets ont été pour lui une cause de bénédiction. Il pourrait donc se faire qu’une personne, dont le commerce, par hasard, serait devenu florissant, ou qui aurait gagné beaucoup d’argent par ce prix (des idoles), vît dans ce dernier une cause, s’imaginant que la bénédiction attachée au prix de cette statue vendue a produit ce résultat. Elle professerait, par conséquent, une croyance que la Loi tout entière s’est efforcée de combattre, ainsi que cela résulte de tous les textes du Pentateuque. C’est encore pour la même raison qu’il est défendu de tirer profit des ornements qui couvrent un objet de culte(2)Par exemple, des ornements d’un animal auquel il est rendu un culte. Voy. Deutéronome, chap. VII, v. 25, et Talmud de Babylone, traité Temourâ, fol. 28 b; traité Aboda Zarâ, fol. 51 b. Cf. Maïmonide, Sépher miçwoth, préceptes négatifs, n° 22., ainsi que des offrandes ou des vases de l’idolâtrie(3)Voy. le Sépher miçwoth, l. c., n° 25, et Mischné Torâ, liv. I, traité Aboda Zarâ, chap. VII, § 2. Cf. Talmud de Babylone, traité Maccôth, fol. 22 a., afin que nous soyons préservés de cette opinion erronée, car, grande était en ces temps-là la croyance aux astres; on croyait qu’ils faisaient vivre ou mourir, et que tout bien et tout mal venaient d’eux. C’est pourquoi la Loi, pour être plus sûre de faire cesser une pareille opinion, a employé les symboles d’Alliance(1)Allusion à la circoncision souvent appelée Alliance (cf. Talmud, traité Nedarîm, fol. 32 a), au sang de l’Alliance (Exode, XXIV, 8), aux paroles de l’Alliance (Deutéronome, XXVIII, 69, et XXIX, 8)., l’invocation de témoins(2)Allusion au passage où le ciel et la terre sont invoqués comme témoins des menaces prononcées contre Israël. Voy. Deutéronome, IV, 26, et XXXI, 28., les adjurations énergiques et les imprécations dont nous avons parlé(3)Voy., par exemple, Deutéronome, XXIX, 18 à 20, et les passages déjà cités par l’auteur (ci-dessus, p. 281).; et Dieu nous a averti de ne rien prendre de ce qui appartient aux idoles, ni d’en tirer aucun profit, et il nous a fait savoir que, si la moindre chose du prix qu’on en retirerait se mêlait à la fortune d’un homme, elle amènerait la perte et la ruine de cette fortune. Tel est le sens de ces paroles: Tu n’introduiras pas d’abomination dans ta maison, afin que tu ne sois pas, comme celle-ci, un objet d’anathème, etc. (Deutér., 7, 26); à plus forte raison, ne doit-on pas croire qu’il y ait dans cette chose une bénédiction. Si donc tu poursuis en détail tous les commandements relatifs à l’idolâtrie, tu trouveras qu’ils ont évidemment pour raison de faire cesser ces opinions pernicieuses et de diriger ailleurs nos pensées(4)Mot à mot: et de s’en éloigner, vers un autre côté. Tous nos mss. portent: אלי טרף אכׄר; la version d’Ibn-Tibbon, עד הקצה האחרון, correspondrait, en arabe, aux mots אלי אלטרף אלאכׄיר..", "Ce que nous devons encore faire remarquer, c’est que les auteurs de ces opinions fausses, sans fondement, ni utilité, cherchent(5)Le verbe יחתאלוא signifie proprement: ils emploient une ruse ou un moyen; Ibn-Tibbon le traduit par deux verbes: יערימו ויעשו תחבולה. La particule אן , qui précède le verbe, est explétive, et a ici le sens de l’adverbe latin utique; Ibn-Tibbon n’a pas rendu cette parlicule. à les faire admettre et à les affermir, en répandant parmi les hommes que celui qui n’accomplirait pas tel acte servant à perpétuer telle croyance, serait frappé de tel ou tel malheur. Cela peut par hasard arriver un jour accidentellement à quelque individu, de sorte que celui-ci voudra accomplir l’acte en question et admettra la croyance dont il s’agit. On sait qu’il est dans la nature des hommes, en général, d’éprouver la plus grande crainte, la plus violente terreur, de la perle de leur fortune et de leurs enfants. C’est pourquoi, dans ces temps-là, les adorateurs du feu proclamèrent que celui qui ne ferait pas passer par le feu son fils et sa fille(1)Voy. Deutéronome, chap. XVIII, v. 10., verrait mourir ses enfants. Cette croyance absurde eut indubitablement pour effet que chacun s’empressait d’accomplir l’acte en question, à cause de la grande commisération et de la crainte qu’il éprouvait pour le sort de ses enfants; d’autant plus que cet acte était peu de chose et très-facile, car on ne leur demandait autre chose que de les faire passer par le feu(2)Selon Maïmonide, le culte de Moloch consistait, non pas à brûler les enfants, mais seulement à les faire passer entre deux feux, comme cérémonie de lustration; voy. son commentaire sur la Mischnâ, IVe partie, traité Synhédrin, chap. VII, § 7, et Mischné Torâ, liv. I, traité de l’Idolâtrie, chap. VI, § 3. L’interprétation de Maïmonide est d’accord avec celle du Talmud, traité Synhédrin, fol. 64 b. Cependant, il y a des rabbins qui disent qu’on brûlait les enfants en les jetant dans les bras d’une statue de bronze rougie par le feu. Voy. Yalkout, sur Jérémie, VII, 31 (t. II, n° 277), et cf. Palestine, p. 91.. Ajoutons à cela que le soin des jeunes enfants est confié aux femmes, et on sait combien celles-ci se laissent promptement impressionner(3)Le mot אנפעאלהן, qu’a ici le texte arabe, est inexactement rendu, dans la version d’Ibn-Tibbon, par האמין הנשים לכל דבר; Al-’Harîzi traduit plus exactement: ומהירות היותם נפעלות לכל דבר., et quelle est en général la faiblesse de leur intelligence. C’est pourquoi la Loi s’est élevée fortement contre cet acte et l’a flétri avec plus d’énergie que les autres espèces d’idolâtrie, (en employant ces mots): Pour souiller mon sanctuaire et pour profaner mon nom saint (Lévit., 20, 3); ensuite le (prophète) véridique a fait savoir, au nom de Dieu, que bien qu’en accomplissant cet acte ils croient prolonger la vie de leurs enfants(1)Littéralement: cette chose que vous faites, afin que, par cet acte, les enfants vivent, etc. Sur l’emploi de la conjonction אן avec la phrase directe, cf. ci-dessus, p. 281, note 3. Au lieu de תפעלונה, quelques mss. ont יפעלונה, à la 3e personne. De même, Ibn-Tibbon (dans les mss.) אשר יעשוהו, et Al-’Harîzi: אשר יעשן., Dieu fera périr ceux qui agissent ainsi et détruira leur race: Moi, dit-il, je mettrai(2)Au lieu de ושמתי אני, plusieurs mss. ont incorrectement ונתתי אני; Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi: ונתתי. Cf. ci-dessus, p. 132, note 1. ma face contre cet homme et contre sa famille, etc. (ibid., v. 5). Sache que les traces de cet acte, si répandues dans le monde, se sont conservées jusqu’à ce jour. Tu peux voir les sages-femmes prendre les petits enfants dans les langes, jeter dans le feu de l’encens d’une odeur peu agréable et agiter les enfants sur cet encens, (en les tenant) au-dessus du feu. Cela est indubitablement une manière de faire passer par le feu, dont la pratique n’est point permise. Tu vois, par conséquent, combien les auteurs de cette idée ont usé de malice en la perpétuant à l’aide d’une chimère(3)Littéralement: Regarde par conséquent la malice de l’auteur de cette opinion, et comment il l’a perpétuée par cette chimère; c’est-à-dire, en faisant croire que cette pratique superstitieuse est nécessaire pour la conservation de la race., de manière que, malgré l’opposition que lui fait la Loi depuis des milliers d’années, sa trace ne s’est pas encore effacée.", "Les partisans de l’idolâtrie en ont agi de même à l’égard des biens(4)C’est-à-dire: ils ont prescrit d’autres observances superstitieuses, sous prétexte qu’elles contribuaient à la conservation des biens.. Ils ont prescrit de consacrer à l’objet de leur culte(5)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: שיהיה אילן אחד נעבד; il faut lire לנעבד comme l’ont plusieurs mss., conformément au texte arabe: ללמעבוד. Al-’Harîzi traduit: שיהיה אילן אחד לזה הפסל הנעבד. un certain arbre, à savoir l’aschérâ(6)Voy. ci-dessus, p. 234, note 4., et d’en prendre les fruits, dont une partie serait employée en offrandes, et dont le reste serait mangé dans le temple de l’idolâtrie, ainsi qu’ils l’ont exposé dans les rites de l’aschérâ. Ils ont prescrit d’en agir de même des premiers fruits de tout arbre dont les fruits servent de nourriture, je veux dire d’en employer une partie en offrandes, et d’en consommer une autre partie dans le temple de l’idolâtrie; et ils ont aussi répandu cette croyance que tout arbre, dont le premier produit n’aurait pas été employé à cet usage, se dessécherait, ou perdrait ses fruits, ou produirait peu, ou serait frappé de quelque autre malheur, de même qu’ils ont répandu l’idée que tout enfant qu’on n’aurait pas fait passer par le feu mourrait. Les hommes donc, craignant pour leurs biens, s’empressaient d’en agir ainsi. Mais la Loi (divine) s’éleva contre une pareille idée, et Dieu ordonna de brûler(1)Le texte biblique (Lévitique, XIX, 23) ne dit pas précisément qu’il faille brûler ce que l’arbre produit dans les trois premières années. Mais, selon la tradition, il est ordonné de détruire complètement ce produit et il est défendu de l’employer à un usage quelconque. Voy. Talmud de Babylone, traités Pesa’hîm, fol. 22 b; Baba Kamma, fol. 101 a. Dans la Mischnâ (Ve partie, traité Temourâ, chap. VII, § 5), ce produit, appelé ערלה, est compté parmi les choses qu’il faut brûler. tout ce que l’arbre fruitier produirait dans l’espace de trois années; car il y a des arbres qui produisent au bout d’une année, d’autres qui portent leurs premiers fruits après deux ans, et d’autres enfin qui ne produisent qu’après trois ans. C’est là ce qui arrive le plus fréquemment quand on plante, comme on a généralement coutume de le faire, de l’une des trois manières connues, qui sont la plantation, le provignement et la greffe(2)Cf. Mischnâ, Ire partie, traité Schebiîth, chap. II, § 6.. On n’a pas prévu le cas où quelqu’un aurait semé un noyau ou un pépin; car les dispositions de la Loi ne se rattachent qu’aux cas les plus fréquents(3)Voy. ci-dessus, chap. XXXIV., et la plantation, en Palestine, donne les premiers produits, au plus tard, au bout de trois ans. Dieu nous a donc promis que, par suite de la perte et de la corruption de ce premier produit, l’arbre produirait d’autant plus, comme il est dit: Afin qu’il vous multiplie son produit (Lévit., 19, 25); et il nous a ordonné de consomner le fruit de la quatrième année devant l’Éternel(1)Voy. Lévitique, chap. XIX, v. 24. Le terme נטע רבעי désigne, chez les talmudistes, le fruit d’une plantation dans la quatrième année; voy. Mischnâ, Ire partie, traité Ma’aser Schéni, chap. V, § 4 et suiv. Dans le verset que nous venons d’indiquer, les mots קדש הלולים לי״י, un objet sacré de louanges à l’Éternel, sont expliqués par les rabbins dans ce sens, que le fruit de la quatrième année doit être consommé, comme la seconde dîme, dans le lieu où se trouve le sanctuaire central., par opposition à l’usage de consommer les premiers fruits(2)Sur le sens du mot ערלה, prépuce, voy. p. 204, note 4. dans le temple de l’idolâtrie, comme nous l’avons exposé.", "Les anciens idolâtres rapportent encore, dans l’Agriculture nabatéenne, qu’on laissait tomber en putréfaction certaines substances qu’ils énumèrent, en observant l’entrée du soleil dans certains signes de l’écliptique et en se livrant à de nombreuses opérations magiques. Ils prétendaient que chacun devait faire ces préparatifs, et que chaque fois qu’on plantait un arbre fruitier, on devait répandre autour de l’arbre, ou à la place même qu’il devait occuper, une portion de ce mélange putréfié; par ce moyen (disaient-ils), l’arbre pousserait promptement et porterait des fruits dans un délai beaucoup plus court que de coutume. C’est là, ajoutent-ils, un merveilleux procédé, du genre talismanique(3)Littéralement: qui suit le cours des talismans, c’est-à-dire qui appartient au genre des talismans; car ce procédé est en rapport avec les constellations et en réclame l’influence. Cf. le t. I, p. 281, note 1., et un des procédés magiques les plus efficaces pour hâter la production des fruits dans tout ce qui peut en produire. Je t’ai déjà exposé combien la loi a eu horreur de toutes ces opérations magiques; c’est pourquoi elle a interdit tout ce que les arbres fruitiers produisent pendant trois ans, à partir du jour de leur plantation. Il n’est donc pas nécessaire d’en hâter la production, comme ils le prétendent; car, en Syrie, la plupart des arbres fruitiers, selon le cours de la nature, produisent parfaitement leurs fruits au bout de trois ans, sans qu’il faille avoir recours à cette fameuse opération magique qu’ils employaient. Pénètre-toi bien aussi de cette observation remarquable.", "Une autre opinion, très-répandue dans ces temps-là et que les Sabiens ont perpétuée, c’est qu’au sujet de la greffe des arbres de différentes espèces, ils prétendaient qu’en opérant sous l’ascendant de telle constellation, en faisant telle fumigation et en prononçant telle invocation, au moment de greffer, le produit de cette greffe sera très-utile à divers égards. Ce qu’il y a de plus notoire sous ce rapport, c’est ce qu’ils ont dit, au commencement de l’Agriculture, au sujet de la greffe de l’olivier sur le citronnier. Pour ma part, je ne doute pas que le Livre des médicaments, supprimé par Ezéchias(1)L’auteur fait allusion à un passage du Talmud de Babylone (traité Berakoth, fol. 10 b, traité Pesa’hîm, fol. 56 a), où il est question de plusieurs mesures prises par le roi Ézéchias et approuvées par les sages, et notamment de la suppression d’un certain Livre de Médicaments. Ailleurs, Maïmonide parle plus explicitement de ce livre, qui, selon lui, renfermait des remèdes talismaniques. Voy. le Commentaire sur la Mischnâ, IIe partie, traité Pesa’hîm, chap. IV, § 9, où l’auteur combat aussi l’opinion de quelques commentateurs, qui prétendent que ce livre fut supprimé parce qu’on lui accordait une trop grande confiance et qu’on n’invoquait plus le secours de la Providence. Voy. la glose de Raschi sur les deux passages talmudiques, et le commentaire de Kimchi au IIe liv. des Rois, chap. XX, v. 4, où le livre en question est attribué à Salomon. Cf. Josèphe, Antiquités, liv. VIII, chap. 2, § 5., n’ait renfermé des choses semblables. — Ils disent encore que, si l’on veut greffer une espèce sur une autre espèce, il faut qu’une jeune fille, en tenant dans sa main la branche qu’on veut greffer, se livre à un homme d’une manière honteuse dont on donne la description, et qu’au moment où ils accomplissent cet acte, la femme greffe la branche sur l’arbre(2)Ce singulier procédé est aussi indiqué par Ibn-al-Awam, d’après Ibn-Wa’hschiyya. Voy. le Livre de l’Agriculture d’Ibn-al-Awam, traduit de l’arabe par M. Clément-Mullet, t. I (Paris, 1864), p. 464 Dans une note, p. 467, le savant traducteur s’exprime en ces termes: «La citation d’Ibn-al-Awam n’est pas complète, mais elle est plus étendue que celle de Maïmonide. Nous l’avons trouvée, croyons-nous, complète dans le ms. de la Biblioth. imp., n° 884, fol. 82 r°, où elle est donnée sous la rubrique d’Ibn-Wahschiah, c’est-à-dire d’après l’Agriculture nabatéenne. Nous pensons intéresser nos lecteurs en reproduisant ce passage tel que le donne le ms.; mais à cause des détails qu’il contient, il nous a paru convenable de le donner en latin. «Dixit Ibn-Wahschiah: Qui arborem in alienam inserere voluerit, formosam et eximiæ pulchritudinis virginem adeat. Hanc manu adductam, juxta arborem quam in animo est inserere, consistere jubeat. Ramoque insitionis abscisso, et ad inserendam arborem allato, virgineque juxta hanc semper stante, fissuram aperiat. Tune virginem togâ exuens, suoque ipse vestimento rejecto, temporis puncto eodem cum recta stante muliere coeat; ita ut rami insitio et actus venereus una congruant, neenon curam habeat ille ut seminis emissio in ipsa insitionis fine fiat, nec virginem nisi peracta insitione relinquat. Quæ si prægnans evaserit, arborem aiunt, alieni rami suavem odorem et eximium saporem íntegros obtinere, sin minus nil nisi parum ex istis. Eodem modo agere debuerit, qui pirum in citrum inserere tentaverit ut citri colorem eximiumque saporem obtineat. Virgo libente sit animo assentiens vique nulla coacta.». Cet usage était sans doute très-répandu, de sorte que personne n’en agissait autrement; d’autant plus qu’on y trouvait la volupté de l’amour jointe à l’appât des bénéfices(1)C’est-à-dire, des avantages qu’on espérait retirer de la greffe.—Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot חתועלות est évidemment une faute; plusieurs mss. ont התוחלת, ce qui correspond mieux au mot arabe אלטמע, le désir, la concupiscence. La version d’Al-’Harîzi porte: עם התאוה בתועלות ההם.. C’est pourquoi on a défendu le mélange de deux espèces, c’est-à-dire la greffe d’un arbre sur un arbre d’une autre espèce(2)Selon la tradition rabbinique, comme on va le voir, la défense de la greffe est comprise dans ces mots du Lévitique, chap. XIX, v. 19: tu n’ensemenceras pas ton champ d’espèces diverses. Voy. Maïmonide, Sépher Miçwôth, préceptes négatifs, nos 215 et 216., afin de nous tenir éloignés de tout ce qui peut donner lieu(3)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire מסבות, au lieu de מסברת, qui n’est qu’une faute d’impression. à l’idolâtrie, ainsi que de leurs amours abominables et contre nature. C’est à cause de la greffe(1)C’est-à-dire, à cause des usages abominables qui, chez les païens, avaient lieu pour la greffe. qu’il est défendu de réunir ensemble deux espèces, n’importe de quelle plante, et même de les approcher l’une de l’autre. Si tu examines ce que la tradition talmudique dit sur ce commandement(2)La version d’Ibn-Tibbon porte: כשתשתכל בפירוש זאת המצוה. Al-’Harîzi traduit plus exactement: וכשתתבונן מה שאמרו בתלמוד בזן המצוה. Sur le mot פקה, voy. t. I, p. 7, note 1., tu trouveras que, selon la loi écrite, la greffe est en tout lieu punissable du châtiment corporel(3)Par le terme לוקין (vapulant), les talmudistes désignent ceux qui sont passibles de la peine des coups de lanière (מלקות), pour avoir transgressé les défenses légales de certaines catégories exposées dans la Mischnâ, traité Maccoth, chap. III., car c’est elle que la défense a eu principalement en vue, tandis que les mélanges de semences hétérogènes, je veux dire leur rapprochement, n’est défendu que dans la Terre-Sainte(4)Voy. Talmud de Babylone, traité Kiddouschin, fol. 39 a; et Maïmonide, Mischné Torâ, liv. VII, traité Kilaïm, chap. I, §§ 1 et 5..", "Il est aussi dit expressément, dans cette Agriculture, qu’on avait coutume de semer ensemble l’orge et le raisin; car on croyait que ce procédé pouvait seul faire prospérer la vigne. C’est pourquoi la Loi a défendu le mélange de la vigne (avec d’autres plantes), et a ordonné de brûler le tout(5)Voy. Deutéronome, chap. XXII, v. 9; Mischnâ, Ire partie, traité Kilaïm, chap. VIII, § 1; Talmud de Babylone, traité Kiddouschin, l. c.; Maïmonide, Mischné Torâ, liv. V, traité Maakhaloth asourôth, chap. 10, § 6. Dans le passage du Deutéronome, les mots פן תקדש, afin que (le tout) ne soit prohibé, sont expliqués par quelques docteurs, en jouant sur les mots, par פן תוקד אש, c’est-à-dire, «afin que le tout ne soit condamné à être brûlé dans le feu, comme tout ce qu’il est défendu d’employer à un usage quelconque.» Voy. Talmud de Babylone, traité Kiddouschin, fol. 56 b; Maïmonide, Mischné Torâ, liv. VII, traité Kilaim, chap. V, § 7. Cf. Mischnâ, traité Temourâ, chap. VII, § 5.; car toutes les coutumes des gentils, auxquelles on attribuait certaines propriétés occultes, étaient interdites, lors même qu’elles ne renfermaient aucune trace d’idolâtrie, comme nous l’avons exposé au sujet de ce passage des docteurs: «Il n’est pas permis de le suspendre à un arbre, etc.(1)Voy. ci-dessus, p. 283, et ibid., note 5..» Toutes ces coutumes, appelées usages des Amorrhéens, ont été interdites, parce qu’elles entraînent à l’idolâtrie. Si tu examines leurs coutumes relatives à l’agriculture, tu trouveras que dans telle culture ils se tournent vers telles étoiles, et dans telle autre vers les deux luminaires (le soleil et la lune). Souvent ils fixent, pour les semailles, le moment des ascendants (de certaines constellations), font des fumigations, et celui qui plante ou sème se promène en cercle; il y en a qui croient devoir faire cinq tours pour les cinq planètes(2)Par le mot (pl. de ), on désigne en général des étoiles scintillantes, qui se distinguent des autres par leur grand éclat. Ici, il s’agit évidemment des cinq planètes, en dehors du soleil et de la lune. Ibn-Tibbon traduit: לחמשת הככבים המשרתים מלבד שני המאורים. Le même mot est employé aussi au commencement du livre Khozari, dans le sens de planète: קוי אלאפלאך ואלדרארי ואלברוגׄ, les forces des sphères, des planètes et des signes du zodiaque; la traduction de R. Juda ibn-Tibbon, כחות הגלגלים והמזלות והחיילים, n’est pas d’une exactitude rigoureuse., d’autres croient en devoir faire sept pour les cinq planètes(3)Au lieu de ללכׄמסה̈, un seul de nos mss. (ancien fonds hébr., n° 230) a ללסבעה̈; Ibn-Tibbon: לשבעת המשרתים אשר שני המאורים בכללם. et les deux luminaires. Ils prétendent qu’il y a dans tout cela des vertus particulières, très-utiles pour l’agriculture, afin d’attacher les hommes au culte des astres. C’est pourquoi on a interdit en général toutes ces coutumes des gentils, comme il est dit: Vous ne suivrez point les lois de la nation, etc. (Lévit., 20, 23); et ce qui était très-connu ou très-répandu, ou ce qui était expressément désigné comme une espèce de culte idolâtre, a été l’objet d’une défense particulière, comme par exemple les premiers produits des arbres, le mélange de semences hétérogènes et le mélange de la vigne (avec d’autres plantes). Ce qu’il y a d’étonnant, c’est l’opinion de rabbi Yoschiâ relative au mélange de la vigne, et qui est admise comme décision doctrinale, à savoir «qu’on n’est coupable qu’à condition d’avoir semé, d’un seul jet, du froment, de l’orge et des pépins de raisin(1)Selon ce docteur, il faut, pour qu’il y ait כלאי הכרם, ou mélange de vigne, avoir jeté, avec la semence de vigne, deux autres espèces de semences, ce qui fait en tout trois espèces. Voy. Talmud de Babylone, traités Berakhoth, fol. 22 a; Kiddouschin, fol. 39 a; ’Hullîn, fol. 82 b et 136 b. Maïmonide lui-même admet cette opinion, comme décision doctrinale, dans son Mischné Torâ, liv. VII, traité Kilaïm, chap. V, § 2; mais il la trouve étonnante, parce qu’elle n’est expressément indiquée dans aucun texte du Pentateuque. Il croit donc, comme il va le dire, que rabbi Yoschiâ avait trouvé dans quelque livre païen l’usage de mêler la semence de vigne avec celle de deux autres espèces de plantes..» Sans doute, il avait lu quelque part que ce procédé avait pris son origine dans les usages des Amorrhéens.", "Il est donc clair et hors de doute que les tissus de matières hétérogènes, les premiers produits des arbres et le mélange de semences diverses, n’ont été défendus qu’à cause du paganisme, et que lesdites coutumes païennes ont été interdites parce qu’elles entraînent à l’idolâtrie, comme nous l’avons exposé." ], [ "Les commandements que renferme la troisième classe sont ceux que nous avons énumérés dans le traité Dé’ôth (des règles d’Éthique). Ils sont tous d’une utilité évidente et manifeste, car ils concernent généralement les mœurs qui servent à améliorer les relations sociales, ce qui est tellement(2)Au lieu de , quelques mss. ont פי חד, ce qui est la même chose. Ibn-Tibbon a בענין et Al-’Harîzi בדרד. La traduction exacte serait בגבול, dans une telle limite ou étendue. clair que je n’ai pas besoin de m’y arrêter. ", "Il faut savoir qu’il y a aussi certains commandements qui, tout en ayant pour but d’épurer les mœurs, prescrivent des actes en apparence sans but, et qu’on pourrait prendre pour de simples caprices de la Loi. Ceux-là, nous les exposerons, chacun à part, à leurs places(1)C’est-à-dire, dans les différentes classes auxquelles ils paraissent appartenir, si l’on ne considère que les actes matériels qu’ils prescrivent.; mais ceux que nous avons énumérés(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ici בפרטם, ce qui est une simple faute d’impression; les mss. ont ספרנום. dans le traité Dé’ôth s’annoncent expressément comme ayant pour but ces nobles mœurs (sociales)." ], [ "Les commandements que renferme la quatrième classe sont ceux que nous avons énumérés dans le livre Zera’ïm (des Semences) de notre ouvrage, à l’exception des semences hétérogènes; elle renferme aussi les lois relatives aux estimations et consécrations(3)Voy. ci-dessus, p. 269, note 2., ainsi que les commandements que nous avons énumérés dans le traité Malwé-we-lôwé (du prêteur et de l’emprunteur), et dans le traité ’Abadîm (des Esclaves). Si tu examines tous ces commandements un à un, tu les trouveras d’une utilité évidente pour (nous inspirer) des sentiments de commisération à l’égard des malheureux et des pauvres, et (pour nous engager) à prêter aux indigents des secours de toutes sortes, à ne pas opprimer celui qui est dans le besoin et à ne point affliger le cœur de ceux qui se trouvent dans une position malheureuse(4)La version d’Ibn-Tibbon ajoute ici les mots: כאלמנה ויתום וכיוצא בהן, comme la veuve, l’orphelin, etc., qui ne se trouvent ni dans l’original, ni dans la version d’Al-’Harîzi..", "Le devoir de donner aux pauvres est une chose qui s’explique d’elle-même. Le motif des prélèvements (pour les prêtres) et des dîmes a été clairement indiqué: Car il (le lévite) n’a point de portion, ni d’héritage avec toi (Deutér., 14, 29); et tu sais quelle en était la raison: c’est afin que cette tribu (des lévites) tout entière pût se consacrer au culte et à l’étude de la Loi, qu’elle n’eût besoin de s’occuper ni de labourage ni de récolte(1)La version d’Ibn-Tibbon porte: ולא בזריעה, ni de semailles; celle d’Al-’Harîzi a, conformément au texte arabe, ולא בקצירה., et qu’elle fût à Dieu seul, comme il est dit: Ils enseigneront tes lois à Jacob et ta doctrine à Israël (ibid., XXXIII, 10). Tu trouves dans plusieurs passages du Pentateuque ces mots: le lévite, l’étranger, l’orphelin et la veuve, car le lévite, n’ayant pas de possession, est toujours compté au nombre des pauvres.", "—Quant à la seconde dîme, on a seulement ordonné de la dépenser en repas à Jérusalem(2)Voy. Deutéronome, chap. XIV, v. 22-29; Mischna, Ire partie, traité Ma’aser schéni, chap. I à III. Cf. Palestine, p. 172 b, et ibid., note 2., ce qui devait nécessairement amener à en faire des aumônes; car, comme on ne pouvait l’employer qu’à des repas, il était facile à chacun de la distribuer(3)Littéralement: de la faire obtenir, c’est-à-dire aux pauvres. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont לתתו, de la donner; les mss. et le commentaire de Schem-Tob ont להפרישו. petit à petit. La réunion dans un seul endroit devait aussi avoir pour effet(4)Je considère le mot אלאגׄתמאע comme sujet du verbe יוגׄב, de sorte qu’il faut prononcer . Ibn-Tibbon traduit: ויביא להתקבץ במקום אחד שתתחזק וגו׳, ce qui n’offre pas de sens bien convenable; il faudrait traduire: ויביא התתקבץ במקום א׳ להתחזק. d’établir entre les hommes des relations solides de fraternité et d’amour.", "Quant à la prescription relative au fruit de la quatrième année(5)Voy. ci-dessus, p. 291, note 1., bien que, par sa connexité avec celle concernant les premiers produits, elle se rattache à un usage idolâtre(6)Littéralement: quant au fruit de la quatrième année, bien qu’il renferme une odeur d’idolâtrie, parce qu’il se rattache aux premiers produits, etc. On a vu plus haut que la prescription de consommer les fruits de la quatrième année dans le lieu du sanctuaire central se rattache, selon Maïmonide, à un usage idolâtre, en rapport avec l’emploi des premiers produits des arbres appelé ערלה, prépuce., comme nous l’avons dit, elle entre pourtant dans la catégorie des dispositions relatives au prélèvement sur les produits de la terre et sur la pâte, aux premiers fruits mûrs et aux prémices de la toison(1)Pour le prélèvement sur les produits de la terre appelés תרומה et qui est destiné aux prêtres, voy. Deutéronome, XVIII, 4. Pour celui de la pâte, appelé חלה, gâteau, Nombres, XV, 20. Pour les prémices ou ce qui mûrit en premier lieu chaque année, בכורים, Exode, XXIII, 19; XXXIV, 26; Deutéronome, XXVI, 2. Pour les prémices de la toison, ראשית הגז, Deutéronome, XVIII, 4.; car les prémices en général ont été consacrées à Dieu afin d’affermir la générosité en nous et de diminuer l’intempérance et l’avidité du gain. C’est pour la même raison que le prêtre reçoit l’épaule, les mâchoires et l’estomac(2)Voy. Deutéronome, chap. XVIII, v. 3.; car les mâchoires forment une des principales parties du corps animal; l’épaule, à savoir la droite, est la première des branches qui sortent du corps, et l’estomac est le premier de tous les intestins.", "Dans la lecture qui doit accompagner la présentation des prémices(3)Voy. ibid., chap. XXVI, v. 3 à 10., il y a également une démonstration d’humilité, car elle se fait par celui qui porte la corbeille sur ses épaules(4)Voy. Mischnâ, Ire partie, traité Biccourîm, chap. III, § 4. — La version d’Ibn-Tibbon, שהוא לוקח סל על כתיפיו, n’est pas tout à fait conforme au texte arabe.. On y exprime la reconnaissance pour la bonté de Dieu et pour ses bienfaits, afin que l’homme sache que c’est un devoir religieux pour lui, quand il se trouve dans l’aisance, de se rappeler ses moments de détresse. La loi insiste très-souvent-là-dessus: Rappelle-toi que tu as été esclave, etc. (Deutér., 5, 15; XVI, 12); car on craignait les habitudes si communes à tous ceux qui ont été élevés dans l’aisance, à savoir la suffisance, la vanité et la négligence des idées vraies: de peur que, après avoir mangé et t’être rassasié, etc., ton cœur ne s’enorgueillisse (ibid., VIII, 12-14); Yeschouroun étant devenu gras s’est cabré (ibid., XXXII, 15). C’est dans cette crainte qu’on a ordonné de faire la lecture des prémices chaque année devant Dieu et en présence de sa majesté. Tu sais aussi que la Loi recommande fortement de se rappeler toujours les plaies qui fondirent sur les Égyptiens: afin que tu te rappelles le jour où tu es sorti, etc. (ibid., XVI, 3); et afin que tu racontes aux oreilles de ton fils, etc. (Exode, 10, 2). Et il y avait de justes raisons pour en agir ainsi; car ce sont là des événements qui confirment la vérité de la prophétie, ainsi que la doctrine de la rémunération(1)Littéralement: ainsi que de la récompense et du châtiment; c’est-à-dire que les événements qui se passèrent en Égypte confirment la vérité de la prophétie et établissent qu’il y a une providence rémunératrice qui récompense l’opprimé et punit l’oppresseur.. C’est ainsi que tout commandement qui sert à rappeler le souvenir d’un des miracles, ou à perpétuer telle croyance, est d’une utilité reconnue. ", "Il est dit expressément au sujet (de la consécration) du premier-né des hommes et des animaux: Comme Pharaon faisait difficulté de nous laisser partir, etc., c’est pourquoi j’immole à l’Éternel (Exode, 13, 15). La raison pourquoi on désigne particulièrement le bœuf, le menu bétail et l’âne, est très-claire(2)C’est-à-dire: la raison pourquoi on prescrit particulièrement la consécration des premiers-nés de ces différentes espèces. Voy. Nombres, chap. XVIII, v. 17, et cf. Exode, chap. XIII, v. 13. Les rabbins concluent du verset de l’Exode, où on parle particulièrement du premier-né de l’âne, que c’est cette espèce seule qu’il faut entendre par les mots animal impur du verset des Nombres. Voy. Talmud de Babylone, traité Bekhorôth, fol. 5 b; Maïmonide, Mischné Torâ, liv. VIII, traité Biccourîm, chap. XII, §3., car ce sont là des animaux domestiques qu’on élève et qui se trouvent dans la plupart des endroits, notamment en Syrie, et surtout chez nous autres Israélites, qui étions tous pasteurs, du père au grandpère: Tes serviteurs étaient des bergers (Genèse, 47, 3)(3)Dans la plupart des mss., et dans la version d’Ibn-Tibbon, on lit: רועי צאן היו עבדיך, citation inexacte au lieu de רעה צאן עבדיך. L’auteur a pu confondre dans sa mémoire le passage qu’il avait en vue avec le verset 34 du chap. XLVI, où on lit: אנשי מקנה היו עבדיד.. Mais les chevaux et les chameaux ne se trouvent pas habituellement chez les pasteurs et n’existent pas partout; si tu lis, par exemple, l’expédition de Midian(1)Voy. Nombres, chap. XXXI. Le mot גזוה̈, expédition, a été inexactement rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par שלל, butin., tu n’y trouves mentionnés, en fait d’animaux, que le bœuf, le menu bétail et l’âne. En effet, l’espèce de l’âne est nécessaire à tous les hommes, et particulièrement à ceux qui s’occupent des travaux des champs: J’ai acquis des bœufs et des ânes (Genèse, 32, 6), tandis que les chameaux et les chevaux ne se trouvent ordinairement que chez quelques personnes et dans quelques localités. — Quant à la prescription de briser la nuque au premier-né de l’âne (Exode, 13, 13), la raison en est que cela engagera nécessairement à le racheter; c’est pourquoi il est dit: «Le commandement qui ordonne de le racheter doit avoir la préférence sur celui qui ordonne de lui briser la nuque(2)Voy. Mischnâ, Ve partie, traité Bekhorôth, chap. I, § 7..»", "Les divers commandements que nous avons énumérés dans le traité Schemita we-yobel (de l’année sabbatique et du Jubilé) ont pour but, tantôt de prescrire la commisération et la libéralité envers les hommes en général, — comme il est écrit: afin que les indigents de ton peuple en mangent et que les bêtes des champs mangent ce qu’ils auront laissé (Exode, 23, 11),— et de faire que la terre devienne plus fertile en se fortifiant par le repos(3)Littéralement: que la terre donne des produits abondants et se fortifie par la friche.; tantôt d’inspirer la bienveillance envers les esclaves et les pauvres, je veux parler de la remise des dettes et de l’affranchissement des esclaves (hébreux); tantôt de pourvoir à perpétuité aux choses nécessaires de la vie, en faisant de la terre un fonds inaliénable, de sorte qu’elle ne puisse être vendue d’une manière absolue(4)Mot à mot: à l’égard de laquelle il ne peut y avoir de vente absolue. Le mot בתאת doit être considéré comme adjectif de ביע et se prononcer ; il signifie ce qui est irrévocable, absolu., — Et la terre ne sera point vendue à perpétuité (Lévit., 25, 23), — que par conséquent la fortune de chaque homme reste pour le fonds réservé à lui et à ses héritiers, et qu’il ne puisse jouir que du seul usufruit(1)Ibn-Tibbon a omis dans sa version les mots: , et qu’il puisse en consommer le produit, pas autre chose. Al-’Harîzi traduit: ויהיה לו פירותיו ולא לזולתו; il fallait dire plus exactement: ולא זולתס.. Ainsi donc nous avons motivé tout ce que renferme le livré Zera’ïm de notre ouvrage, à l’exception des mélanges d’animaux hétérogènes, dont la raison sera exposée plus loin(2)Voy. ci-après, chap. XLIX..", "Les commandements que nous avons énumérés dans le traité ’Arakhim wa-’haramim (des estimations et des consécrations) ont également pour objet les libéralités. Il y en a (de ces dons) qui appartiennent aux prêtres; d’autres sont destinés à la réparation du temple. Par tout cela, l’homme s’habitue à la générosité et apprend à mépriser la fortune et à ne pas être avare quand il s’agit de Dieu; la plupart des maux qui troublent les sociétés humaines(3)Mot à mot: qui surgissent parmi les hommes dans les États. ne proviennent que de la soif des richesses, du désir de les augmenter et de l’avidité du gain. ", "— De même, tous les commandements que nous avons énumérés dans le traité Malvé we-lôvé (du prêteur et de l’emprunteur), si tu les examines un à un, tu trouveras qu’ils respirent la bienveillance, la miséricorde et la clémence pour les malheureux; il est défendu de priver quelqu’un d’un objet utile, nécessaire pour sa subsistance; par exemple, on ne prendra pas pour gage le moulin à bras, ni la meule supérieure (Deutér., 24, 6).", "De même encore, les commandements que nous avons énumérés dans le traité ’Abadîm (des esclaves) respirent la miséricorde et la bienveillance pour le malheureux. Ce qui surtout dénote une grande humanité, c’est que l’esclave cananéen doit être mis en liberté lorsqu’on le prive d’un de ses membres(4)Voy. Exode, chap. XXI, v. 26 et 27, et cf. Talmud de Babylone, traité Kiddouschin, fol. 24 a. Par esclave cananéen, on entend en général l’esclave étranger ou païen. Sur les lois pleines de bienveillance et d’humanité que le législateur des Hébreux prescrit à l’égard des esclaves, voy. Palestine, p. 208-209; ces lois équivalaient presque à l’abolition de l’esclavage., afin que son esclavage ne soit aggravé par aucune mutilation(1)Sur le sens du mot , voy. ci-dessus, ch. XII, p. 67, note 1., ne dût-on même que lui faire tomber une dent, et à plus forte raison si on lui cause une autre blessure(2)Mot à mot: et à plus forte raison pour ce qui est en dehors d’elle; c’est-à-dire, et à plus forte raison l’esclave sera-t-il libre pour une autre blessure plus grave. Le suffixe dans סואחא, ou le pronom elle, se rapporte grammaticalement à la dent. La version d’Ibn-Tibbon (ms.) porte: וכל שכן על זולתה, en ajoutant les mots explicatifs מן האברים.. Il n’est pas permis d’ailleurs (au maître) de le frapper autrement qu’avec le fouet ou la verge, ou avec d’autres choses semblables, comme nous l’avons exposé dans le Mischné Torâ; et encore, s’il le frappe violemment de manière à le tuer, il est puni de mort comme tout autre homme (qui l’aurait frappé)(3)Voy. Mischné Torâ, liv. XI, traité Rocéa’h (de l’Homicide), ch. 11, §14, où Maïmonide explique le passage de l’Exode, ch. XXI, v. 20 et 21, de la manière suivante: Si le maître s’est servi d’une verge, c’est-à-dire de l’instrument ordinaire de correction, il sera déclaré non coupable dans le cas où l’esclave aura survécu un ou deux jours; mais, si l’esclave meurt sur-le-champ, le maître sera puni de mort. Si celui-ci, au contraire, s’est servi d’une arme meurtrière, on lui appliquera toujours la peine capitale, quand même l’esclave ne serait mort que longtemps après.. — Les mots tu ne livreras pas l’esclave à son maître (Deutér., 23, 16), outre qu’ils recommandent la pitié (pour les esclaves), renferment un autre précepte d’une grande utilité, à savoir que nous devons posséder la générosité de protéger celui qui implore notre protection, de le défendre et de ne pas le livrer à celui devant lequel il a pris la fuite. Il ne suffit même pas que tu lui accordes ta simple protection, mais tu as envers lui l’obligation(4)Mot à mot: il t’est imposé de sa part un devoir, ou une obligation, à savoir, etc. Tous les mss. ont , à l’accusatif; mais je crois qu’il faut lire מלזם, au nominatif, comme sujet du verbe ילזמד, que je considère comme verbe neutre, à la Ire forme . La version d’Ibn-Tibbon, שאתה חייב לעיין בתיקוניו, est ici un peu abrégée; Al-’Harîzi traduit: תתחייב לו דבר אחר והוא לתקן צרכיו. de pourvoir à ses besoins et de lui faire du bien, et tu ne dois pas, par un seul mot, affliger son cœur. C’est là ce que Dieu a dit: Il demeurera avec toi, au milieu de toi, … dans l’une de tes villes, où bon lui semblera; tu ne l’affligeras point (ibid., v. 17). Si on nous a imposé ce devoir à l’égard du plus bas et du plus vil des hommes, c’est-à-dire de l’esclave, que sera-ce si un homme d’une haute valeur implore ta protection? que ne devras-tu pas faire à son égard(1)Ibn-Tibbon rend peu exactement les mots par מה שראוי לו. Al-’Harîzi rend mieux cette phrase: כמה אתה ראוי לעשות לכבודו.? — Mais aussi, en revanche, le criminel, l’impie, qui implore notre protection, ne doit être ni protégé, ni pris en pitié, ni soulagé en aucune façon de la peine qu’il a méritée, dût-il même se mettre sous la protection de l’homme le plus illustre(2)La traduction d’Ibn-Tibbon, בנכבד שבדברים, est inexacte; Al-’Harîzi traduit: ואלו נעזר בגדול מכל בני אדם במעלתו. et le plus éminent. C’est là ce que l’Écriture indique par ces mots: Tu l’arracheras même de mon autel pour qu’il meure (Exode, 21, 14); car, bien que celui-là se soit mis sous la protection de Dieu et se soit réfugié près d’un objet consacré à son nom, Dieu ne le protège pas, mais ordonne, au contraire, de le livrer à celui qui est le maître de se faire justice(3)Il faut se rappeler que, dans le passage de l’Exode qui vient d’être cité, il s’agit du meurtrier, qui doit être livré au vengeur du sang (גואל הדם, redemplor sanguinis), c’est-à-dire au plus proche parent de la victime chargé de venger son parent assassiné, en donnant la mort à l’assassin. Voy. Palestine, p. 217-218. et devant lequel il a fui. Et à plus forte raison, (le coupable) qui implore le secours d’un homme ne doit-il trouver auprès de celui-ci ni protection ni pitié; car la pitié pour les hommes impies et criminels est de la dureté à l’égard de tout le monde. Ce sont là, sans contredit, des mœurs équitables, qu’on doit compter au nombre des statuts et des ordonnances justes(4)Voy. Deutéronome, chap. IV, v. 8, et cf. ci-dessus, chap. XXVI, p. 203.; elles ne ressemblent en rien aux mœurs des païens(1)La version d’Ibn-Tibbon porte הסכלים, et celle d’Al-’Harîzi הכסילים, les ignorants ou les sots; mais je crois que par le mot , il faut entendre ici les anciens Arabes, aux mœurs desquels l’auteur fail évidemment allusion dans ce qui suit. Cf. t. II, p. 260, note 2., chez lesquels on considérait comme des vertus dignes d’éloge d’être orgueilleux et de se faire le champion passionné du premier venu(2)La phrase arabe est très-irrégulièrement construite; elle dit littéralement ceci: Elles ne sont pas comme les mœurs des païens, qu’ils croient être des vertus par lesquelles on loue l’homme pour son orgueil et pour sa partialité à l’égard du premier venu., que ce fût un oppresseur ou un opprimé, comme on le trouve partout dans leurs récits et dans leurs poésies(3)L’hospitalité était une des principales vertus des anciens Arabes: celui qu’on avait reçu sous son toit était sacré, n’importe qu’il méritât ou non la protection qui lui était accordée. L’auteur fait ici allusion aux éloges par lesquels les anciens poëtes arabes exaltent cette vertu..", "Ainsi donc, tous les commandements qui appartiennent à cette classe sont clairement motivés et d’une utilité manifeste." ], [ "Les commandements que renferme la cinquième classe sont ceux que nous avons énumérés dans le livre Nezikin (des dommages); ils ont tous pour but de faire cesser les injustices et d’empêcher que l’on ne cause des dommages (à autrui). Pour que l’on évite avec le plus grand soin de causer des dommages, l’homme est rendu responsable de tout dommage qui provient de ses biens, ou qui est causé par son fait, pourvu qu’il lui ait été possible d’y prendre garde et d’user de précautions(4)Le mot והפטׄה n’a été rendu ni par Ibn-Tibbon, ni par Al-’Harîzi. Le suffixe dans חראסתה et dans חפטׄח se rapporte à la chose qui cause le dommage et qu’il faut aussi sous-entendre comme sujet du verbe יאדׄי.pour ne pas nuire. C’est pourquoi nous sommes rendus responsables des dommages qui proviennent de nos bêtes, afin que nous les surveillions, ainsi que de ceux causés par le feu ou la fosse(1)Voy. Exode, chap. XXII, v. 5; chap. XXI, v. 33., qui sont l’œuvre de l’homme et qui peuvent être gardés et surveillés par lui, afin qu’il n’en résulte aucun dommage. Cependant ces dispositions nous imposent une certaine équité(2)C’est-à-dire, elles admettent des exceptions pleines d’équité, en partie écrites dans la Loi, et en partie traditionnelles. Le mot וכלל, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, est une simple faute d’impression, et les mss. ont וכללוּ; Al-’Harîzi a ונכלל באלה הדינים. Cependant le verbe arabe ne paraît pas avoir ici le sens de renfermer, contenir, mais celui de confier à quelqu’un, imposer le devoir de faire une chose. sur laquelle je dois appeler l’attention. Ainsi, l’on n’est pas responsable de la dent et du pied sur la voie publique(3)C’est-à-dire: Si un animal fait des dégâts sur la voie publique, soit avec sa dent, soit avec son pied, le propriétaire de cet animal n’en est pas responsable. Voir Talmud de Babylone, traité Baba Kamma, fol. 14 a et fol. 19 b; Maïmonide, Mischné Torâ, liv. XI, traité Nizké mamôn (des dommages pécuniaires), chap. I, §§ 8-10.; car c’est une chose contre laquelle on ne peut prendre aucune précaution, et d’ailleurs il est rare(4)Tous nos mss. ont קלילה̈, au féminin; nous avons écrit plus correctement קליל, car cet adjectif se rapporte au mot masculin וקוע. qu’il en arrive un dommage dans un tel endroit. Celui (du reste) qui dépose quelque chose sur la voie publique est coupable envers lui-même et s’expose à la perte de son bien; on n’est donc responsable de la dent et du pied que dans la propriété de celui qui subit le dommage(5)Voir les passages cités dans la note 3.. — Mais le dommage causé par la corne ou par autre chose semblable, que l’on peut prévoir partout et contre lequel ceux qui marchent sur la voie publique ne peuvent prendre aucune précaution, est sujet en tout lieu à la même loi(6)C’est-à-dire, on est toujours responsable d’un tel dommage, même s’il arrive sur la voie publique.. Ici cependant il faut distinguer entre l’animal docile et celui qui est notoirement dangereux(1)Sur les termes talmudiques תם et מועד, cf. Mischné Torâ, l. c., chap. I, § 4, et cf. Exode, chap. XXI, v. 29: והועד בבעליו.. Si le fait est exceptionnel, on n’est responsable que de la moitié du dommage; mais si l’animal qui cause le dommage en a pris l’habitude et est connu pour cela, on est responsable du dommage entier(2)Voy. Exode, chap. XXI, v. 35-36, et les Commentaires; cf. Talmud de Babylone, traité Baba Kamma, fol. 26 a..", "Le prix de l’esclave en général est fixé à la moitié de celui que vaut généralement un homme libre(3)C’est-à-dire: le prix que doit payer en général le maître d’un animal qui aurait tué un esclave équivaut à la moitié du prix qu’on payerait pour un individu humain quelconque si on avait fait vœu de consacrer sa valeur au sanctuaire. Voy. Lévitique, chap. XXVII, v. 2-7.; car tu trouves que, pour les estimations des hommes , le maximum est de soixante sicles(4)L’auteur a commis ici une erreur très-grave, et son raisonnement pèche par la base; car le texte du Lévitique (chap. XXVII, v. 3) dit expressément que celui qui a fait vœu de payer la valeur d’un homme âgé de vingt à soixante ans paye cinquante sicles, comme le répète aussi Maïmonide lui-même dans son Mischné Torâ (traité ’Arakhîn, ch. I, § 3). Il est à remarquer que Menahem, roi d’Israël, lors de l’invasion de Phoul, roi d’Assyrie, racheta également son armée à cinquante sicles d’argent par homme (II Rois, XV, 20). Il est vraiment incroyable que Maïmonide ait pu commettre ici une pareille erreur, par simple inadvertance., tandis que la valeur moyenne d’un esclave est de trente sicles d’argent (Exode, 21, 32). ", "S’il a été ordonné de mettre à mort l’animal qui aura tué un homme(5)Voy. Exode, chap. XXI, v. 28 et 29., ce n’est pas pour infliger un châtiment à l’animal, — opinion absurde que nous attribuent les hérétiques(6)Littéralement: comme nous le reprochent les rebelles, comme traduit en effet Al-’Harîzi, במו הדבה שיוציאו עלינו המורדים. Ibn-Tibbon substitue הצדוקים, les Sadducéens. Je crois que l’auteur veut parler de certains commentateurs karaïtes., — mais pour punir son maître. C’est pourquoi il a été défendu de tirer profit de la chair de l’animal, afin que son maître le garde avec soin, sachant bien que, si l’animal tuait un enfant ou une grande personne, libre ou esclave, il en perdrait inévitablement le prix, et que, si c’était un animal notoirement dangereux, il serait même obligé de payer une amende qui viendrait s’ajouter à la perte du prix. C’est pour la même raison qu’on doit mettre à mort l’animal qui a servi à la bestialité(1)Voy. Lévitique, chap. XX, v. 15 et 16., afin que le maître prenne garde à son animal et le surveille comme sa propre famille, pour ne pas le perdre(2)Mot à mot: pour qu’il (l’animal) ne soit pas perdu pour lui. Ibn-Tibbon traduit inexactement: שלא תעלם מעיניו, pour ne pas le perdre de vue; mieux Al-’Harîzi: לבל תאבר לן.. En effet, les hommes sont soucieux de leurs biens comme de leurs personnes; il y en a même qui mettent leurs biens au-dessus de leurs personnes, mais la plupart attachent un égal prix aux uns et aux autres: afin de nous prendre pour esclaves et ( de prendre aussi ) nos ânes (Genèse, 43, 18).", "Ce qui appartient encore à cette classe, c’est (la recommandation) de donner la mort au persécuteur(3)C’est-à-dire, à celui qui persécute une personne pour commettre un crime sur elle, ou, comme on va le voir, à celui qui médite un attentat à la vie ou à la pudeur d’une personne. Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Synhédrin, chap. VIII, § 7. Le Talmud rattache cette recommandation aux paroles du Lévitique (chap. XIX, v. 16) לא תעמד על דם רעך, qui sont prises dans ce sens: «Tu ne resteras pas inactif quand il s’agit de sauver la vie à ton prochain.» Ces paroles sont combinées par les talmudistes avec le v. 26 du chap. XXII du Deutéronome, qui traite du viol. Voy. Talmud de Babylone, traité Synhédrin, fol. 73 a.. Cette recommandation, je veux dire de tuer celui qui médite un crime, avant qu’il l’ait exécuté, ne s’applique qu’à ces deux cas seulement, à savoir si quelqu’un poursuit son prochain pour le tuer, ou s’il poursuit une personne pour attenter à sa pudeur; car ce sont là des crimes qu’il est impossible de réparer quand ils sont accomplis(4)Sur l’expression גׄבר צדעהא, voy. ci-dessus, p. 276, note 2.. Quant aux autres transgressions qui entraînent une condamnation capitale, comme, par exemple, l’idolâtrie et la profanation du sabbat, elles ne font aucun tort à d’autres personnes, et ne portent atteinte qu’à des idées; c’est pourquoi il (le transgresseur) n’est pas mis à mort pour la simple volonté, mais seulement pour le fait accompli.", "Le désir, comme on sait, est défendu, parce qu’il aboutit à la convoitise, et celle-ci, parce qu’elle aboutit à la rapine; c’est ainsi que l’ont exposé les docteurs(1)Selon l’auteur, le désir (תאוה) consiste à porter sa pensée sur ce qui appartient à autrui, sans employer aucun moyen pour le posséder; la convoitise (חמידה) consiste à nous mettre en possession du bien d’autrui, en employant toutefois des moyens légaux. Voy. Sépher miçwôth, préceptes négatifs, nos 265 et 266, et les passages du Mekhiltha qui y sont cités; Mischné Torâ, liv. XI, traité Guezélâ wa-abédâ (des rapines et des choses perdues), chap. I, §§ 9-11. — La distinction que font les rabbins entre le désir et la convoitise se fonde sur le dixième commandement, qui, dans le Deutéronome (v, 21) est énoncé par les mots לא תתאוה, et dans l’Exode (XX, 17) par les mots לא תחמד..", "Le devoir de rendre une chose perdue(2)Voy. Deutéronome, chap. XXII, v. 1 à 3. s’explique de soi-même. Outre que c’est là une excellente vertu profitant à la société(3)Les mots פי צלאח אלאחואל signifient littéralement: pour la bonté des relations. Ce qu’il faut entendre par cette expression, l’auteur l’a dit lui-même plus explicitement au chap. XXVII, Voy. le texte ar., fol. 60 a en bas: צלאח אחואל אלנאס בעצׄהם מע בעץׄ וגו׳, et la traduction française, p. 213., c’est aussi une chose d’une utilité réciproque; si tu ne rends pas ce qu’un autre a perdu, on ne te rendra pas non plus ce que tu auras perdu, de même que celui qui n’honore pas son père ne sera pas honoré par son fils. Il y a beaucoup de cas semblables.", "Si celui qui commet un meurtre involontaire est condamné à l’exil(4)C’est-à-dire, à se retirer dans l’une des six villes de refuge. Voy. Exode, chap. XXI, v. 13; Nombres, chap. XXXV, v. 11-28; Deutéron., chap. IV, v. 41-43, et chap. XIX, v. 2-10; Josué, chap. XX., c’est afin de calmer l’esprit du vengeur du sang(5)Cf. ci-dessus, p. 304, note 3., en dérobant à sa vue celui par qui ce malheur est arrivé. Son retour (de l’exil) dépend de la mort de l’homme qui est le plus grand et le plus aimé en Israël, événement qui doit calmer l’infortuné(1)La version d’Ibn-Tibbon a inexactement הגואל; celle d’Al-’Harîzi porte: כי בזה תשקוט נפש הכואב. dont le parent a été tué. Car il est dans la nature humaine que celui qui a été frappé d’un malheur trouve une consolation dans un malheur semblable, ou plus grand, dont un autre a été frappé; et, parmi les cas de mort qui peuvent nous survenir, aucun n’est une calamité plus grande que la mort du grand prêtre.", "Quant au précepte de briser la nuque à une jeune vache(2)Sur cette cérémonie que devaient observer les anciens d’une ville dans le voisinage de laquelle on avait trouvé une personne assassinée, voy. Deutéronome, chap. XXI, v. 1 à 8; cf. Palestine, p. 161 b., il est d’une utilité évidente; en effet, ce devoir incombe à la ville la plus proche de (l’endroit où a été trouvée) la personne assassinée, et le plus souvent le meurtrier est de ses habitants. Les anciens de cette ville invoquent donc Dieu comme témoin qu’ils n’ont rien négligé pour l’entretien et la sûreté des routes et pour la protection des voyageurs(3)Au lieu de סאיר, qu’on lit dans la plupart des mss., un de nos mss. a עאבר, et un autre סאיל. Cette dernière leçon a été reproduite par Ibn-Tibbon, qui traduit: ולתייר כל שואל דרך, et pour examiner tous ceux qui demandaient le chemin. Nous ne savons où Ibn-Tibbon a pris le mot ולתייר; tous les mss. ont ותגפיר, et pour protéger; d’ailleurs le sens de sa traduction est obscur. Al-’Harîzi traduit plus exactement: ולשמור כל עוברי דרך., comme le dit l’explication (traditionnelle)(4)L’auteur paraît faire allusion aux paroles de la Mischnâ, IIIe partie, traité Sotâ, chap. IX, § 6, où le verset du Deutéronome, chap. XXI, v. 7, est expliqué ainsi: שלא בא לידינו ופטרנוהו בלא מזון ולא ראינוהו והנחנוהו בלא לויה «Il (l’homme assassiné) n’est point venu auprès de nous, et par conséquent nous n’avons pu le renvoyer sans provisions (de sorte qu’il n’a pu être en danger sur la grande route en cherchant des vivres); nous ne l’avons même pas vu, et par conséquent nous n’avons pu le laisser partir sans le faire accompagner.». Si donc (disent-ils) celui-là a été assassiné, ce n’est pas que nous ayons négligé les intérêts publics; d’ailleurs nous ne savons pas qui l’a tué. Nécessairement, dans la plupart des cas, l’enquête, le départ des anciens, le mesurage (des distances) et la présentation de la jeune vache(1)Voy. Deutéronome, ibid., v. 2 et 3. Pour תגׄריד, qui signifie ici sortie ou expédition, Ibn-Tibbon a employé le mot ויציאת, conformément au texte biblique ויצאו זקינך; quelques mss. ar. ont תחדׄיר, avertissement, leçon qui n’offre pas ici de sens convenable, mais qui a été reproduite dans la version d’Al-’Harîzi: וכשנחקור ונזהיר הזקנים. Le mot ואלקיאס, qui signifie l’action de mesurer, mesurage, se rapporte au verbe ומדדו du texte biblique; la version d’Ibn-Tibbon porte והעומדים, d’après une leçon fautive de certains mss. ar. qui ont ואלקואם . Al-’Harîzi a passé ce mot., donneront lieu à de nombreux récits et entretiens; l’affaire étant ainsi divulguée, on pourra parvenir à connaître le meurtrier, car quelqu’un qui le connaîtra, ou qui aura entendu parler de lui, ou qui par certaines circonstances(2)Sur le sens du mot קראין, voy. le tome II, p. 296, note 3. en aura des indices, viendra dire: Le meurtrier est un tel. En effet, dès qu’une personne, fût-ce une femme ou même un esclave, déclare qu’un tel est le meurtrier, on ne brise pas la nuque à la jeune vache(3)Voy. Talmud de Babylone, l. c., fol. 47 b: נודע מי הכהו אפילו אחד בסוף העולם לא היו עורפין; Mischné Torâ, liv. XI, traité Rocea’h (du meurtrier), ch. IX, §§ 11 et 12. — Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot שיעמד est de trop, et, en revanche, il manque les mots או שפחה; la leçon des mss. est conforme au texte arabe: כי אחר שיאמר אדם ואפילו אשה ואפילו שפחה פלוני הרגו.. Il est certain que si le meurtrier était connu (à une personne quelconque) et que le silence fût gardé à son égard, tandis que l’on prendrait Dieu à témoin qu’on ne le connaît pas(4)Mot à mot: tandis qu’ils prendraient Dieu à témoin qu’ils ne le connaissent pas; c’est-à-dire, tandis que les habitants de la ville, par la bouche des anciens, protesteraient que le meurtrier leur est complètement inconnu., il y aurait en cela une grande témérité et un grave péché. En conséquence, même une femme qui le connaîtrait doit le déclarer. Dès qu’il est connu, le but est atteint; car, quand même le tribunal ne le condamnerait pas à mort(1)C’est-à-dire, quand même il n’y aurait pas assez de preuves pour que le tribunal pût prononcer la condamnation., le souverain, qui a le pouvoir de condamner sur une probabilité, le ferait mettre à mort, et si le roi ne le fait pas, ce sera le vengeur du sang qui voudra le tuer, et il emploiera des ruses pour le surprendre afin de le mettre à mort. Il est donc clair que le précepte de briser la nuque à une jeune vache a pour but la découverte du meurtrier. Ce qui confirme cette idée, c’est que l’endroit où s’accomplit cette cérémonie(2)Le texte dit: dans lequel on brise la nuque à une jeune vache. ne doit jamais être labouré ni ensemencé(3)Voy. Deutéronome, chap. XXI, v. 4: «Les anciens de la ville feront descendre la jeune vache dans un endroit rocailleux qu’on ne laboure pas et qu’on n’ensemence pas.» La loi traditionnelle voit dans ce passage la défense de jamais transformer cet endroit en un champ cultivé, et c’est dans ce sens que Maïmonide interprète ici le texte biblique. Voy. Mischnâ, traité Sotâ, chap. IX, § 5.; le propriétaire de ce terrain emploiera donc toutes sortes de ruses et fera des recherches pour connaître le meurtrier, afin que cette cérémonie n’ait pas lieu et que son terrain ne lui soit pas interdit pour toujours." ], [ "Les commandements que renferme la sixième classe concernent les peines criminelles(4)Voy. ci-dessus, p. 270, note 1.. Leur utilité en général est connue, et nous en avons déjà parlé. Écoute maintenant les détails et la manière de juger les cas extraordinaires(5)Pour גריבה̈, la version d’Ibn-Tibbon a חלק, partie. Al-’Harîzi traduit plus exactement ודין כל דבר מופלא. qui s’y présentent.", "En général, la peine qu’on doit infliger à quiconque commet un crime sur son prochain, c’est d’agir envers lui exactement comme il a agi; s’il a porté une lésion au corps, il subira une lésion corporelle, et s’il a attenté à la fortune de quelqu’un, il subira une peine pécuniaire, quoiqu’il soit permis au propriétaire d’être généreux et de pardonner. Le meurtrier seul, à cause de l’énormité de son crime, ne saurait à aucun prix obtenir le pardon, et on ne doit accepter de lui aucune rançon: Et le pays ne pourra expier le sang qui y a été versé que par le sang de celui qui l’aura versé (Nombres, 35, 33). C’est pourquoi, lors même que la victime survivrait une heure ou quelques jours, parlant et ayant toute sa présence d’esprit, et qu’elle dirait: «Je veux que mon meurtrier soit relâché, je lui ai pardonné et fait grâce,» on ne l’écouterait pas. Au contraire, il faut nécessairement vie pour vie, en considérant comme égaux l’enfant et l’adulte, l’esclave et l’homme libre, le savant et l’ignorant; car, parmi tous les crimes de l’homme, il n’y en a pas de plus grand que celui-là. Celui qui a privé quelqu’un d’un membre sera privé du même membre: la mutilation qu’il aura faite à un homme lui sera faite également (Lévitique, XXIV, 20). Il ne faut pas te préoccuper de ce que, dans ce cas, nous n’infligeons qu’une peine pécuniaire; car ce que j’ai maintenant pour but, c’est de motiver les textes bibliques et non de motiver l’explication traditionnelle(1)Selon la tradition rabbinique, désignée ici par le mot (cf. tome I, p. 7, note 1), les passages du Pentateuque sur le droit du talion ne doivent pas être pris à la lettre, et le législateur n’aurait voulu parler que d’une compensation pécuniaire. Selon Josèphe (Antiq., IV, 8, 35), il dépendait du moins du blessé de se contenter d’une indemnité en argent. Les rabbins citent plusieurs preuves en faveur de cette interprétation, et ils font observer entre autres que, si l’on prenait le texte biblique à la lettre, le châtiment dans beaucoup de cas serait hors de proportion avec le crime commis, car l’opération pourrait causer la mort du coupable: עין תחת עין ולא נפש ועין תחת עין, «œil pour œil, et non pas l’œil et la vie pour un œil.» Voy. Talmud de Babylone, traité Baba Kamma, fol. 84 a. Maïmonide, dans le Mischné Torâ, se prononce dans le même sens. Voy. XIe livre, traité ’Hôbel ou-mazzîk (de celui qui se rend coupable de blessures), chap. I, §§ 2 et 3. Nous avons donc ici une preuve évidente que Maïmonide, dans le présent ouvrage, suit son opinion personnelle, sans se préoccuper des décisions rabbiniques. Cf. le tome II de cet ouvrage, p. 376, dans l’addition à la note 3 de la p. 352. Cependant, il est bien difficile d’absoudre complètement notre auteur du reproche d’être en contradiction avec lui-même; dans son Introduction au Commentaire sur la Mischnâ, où il pose des principes généraux et où il semble parler en son propre nom, il dit expressément qu’un prétendu prophète qui viendrait attaquer l’explication traditionnelle des textes, et qui dirait, par exemple, que les mots וקצותה את כפה, tu lui couperas la main (Deutéron., XXV, 12), doivent être entendus à la lettre, et non pas dans le sens d’une peine pécuniaire, montrerait par là même qu’il est faux prophète et serait mis à mort.. En outre, j’ai aussi sur la tradition dont il s’agit une opinion qui doit être exposée de vive voix(1)Mot à mot: qui sera entendue de vive voix; c’est-à-dire, dont l’exposition doit être faite de vive voix et qu’on ne peut pas confier à un livre. L’auteur professait probablement à ce sujet une opinion qu’il n’osait faire connaître qu’à ses amis, craignant qu’elle ne fût mal interprétée. Peut-être voulait-il dire que les rabbins, par humanité, ont adouci l’ancienne loi du talion et ont fait passer leur interprétation pour une tradition remontant jusqu’à Moïse lui-même. Les commentateurs ont essayé d’expliquer ce passage dans un sens moins choquant pour les orthodoxes, selon lesquels l’interprétation traditionnelle des lois mosaïques doit être considérée comme la seule vraie. Selon Moïse de Narbonne, l’auteur ferait entendre que la loi du talion est admise à la lettre par les talmudistes eux-mêmes, toutes les fois que son exécution ne met pas en danger la vie du coupable. Selon Schem-Tob, l’auteur voulait dire que l’interprétation talmudique ne s’applique qu’à celui qui aurait agi sans préméditation ou involontairement, tandis que la loi du talion devait s’exécuter à la lettre quand le crime était prémédité. Cependant, Schem-Tob approuve si peu cette manière de voir, qu’il termine sa glose par ces mots: והשם יכפר בעדו ובעדינו, «puisse Dieu lui pardonner, à lui et à nous.» — Les mots , une opinion qui doit être entendue de vive voix, ont été traduits par Ibn-Tibbon: דעת יׅשָמע פנים בפנים; Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, Append., p. 158) traduit selon le sens: דעת אומר אותה פה אל פה. Al-’Harîzi traduit un peu différemment: סברא אשמיעך אותה פה אל פה, une opinion que je te ferai entendre de vive voix, et c’est aussi dans ce sens que Buxtorf a entendu la version d’Ibn-Tibbon, qu’il rend ainsi: «Licet habeam etiam quod dicam de sententiis Talmudis, quod autem coram ex me audies.» Si l’on admettait cette traduction, l’auteur s’adresserait ici, comme dans plusieurs autres passages, à son disciple Joseph, auquel il dédia son ouvrage; mais une telle supposition est inadmissible, car Maïmonide était établi alors au vieux Caire, et Joseph s’était fixé à Alep, et ils ne communiquaient plus ensemble que par correspondance. Cf. le tome II, p. 183, note 5.. Pour les blessures dont il était impossible de rendre exactement la pareille, on était condamné à une amende pécuniaire: Il le dédommagera de son chômage et il le fera guérir (Exode, 21, 19).", "Celui (avons-nous dit) qui attente à la fortune de quelqu’un subira une peine pécuniaire dans une mesure exactement semblable: Celui que les juges condamneront payera le double à l’autre (Exode, 22, 8), (à savoir) le montant de ce qu’il a pris, auquel on ajoutera autant de la fortune du voleur. — Il faut savoir que, plus le genre de crime(1)Ibn-Tibbon a מן העברה והחטא; le mot arabe est rendu par deux mots, et מן est une faute des copistes pour מין. Al-’Harîzi traduit: כל מה שיהיה מין הנזק וגו׳. est fréquent et facile à perpétrer, plus la peine doit être forte pour qu’on s’abstienne (de le commettre), et, plus il est rare, plus la peine doit être légère. C’est pourquoi l’amende que paye celui qui vole des brebis est le double de celle qu’on paye pour d’autres objets transportables, je veux dire (qu’elle est) le quadruple, à condition toutefois qu’il s’en soit dessaisi en les vendant ou qu’il les ait égorgées(2)Voy. Exode, chap. XXI, v. 37, et cf. II Samuel, chap. XII, v. 6.. De tout temps, en effet, elles sont fréquemment volées(3)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont שמנהגם, ce qui est une simple faute d’impression; les mss. ont, conformément au texte arabe: שגניבתם., parce qu’elles sont dans les champs, où on ne peut pas les surveiller comme on surveille les choses qui sont dans l’intérieur des villes; c’est pourquoi aussi ceux qui les volent ont l’habitude de les vendre promptement, afin qu’elles ne soient pas reconnues chez eux, ou de les égorger, afin que leur apparence disparaisse. Ainsi donc, l’amende pour les cas (de vol) les plus fréquents est la plus forte. L’amende à payer pour le vol d’un bœuf est encore augmentée d’un de plus, parce que ce vol est encore bien plus facile. En effet, les brebis paissent réunies (en troupeaux), de sorte que le berger peut les embrasser de la vue, et on ne peut guère les voler que pendant la nuit; mais les bœufs, comme on le fait observer dans le livre de l’Agriculture, paissent trèséloignés les uns des autres, ce qui fait que le bouvier ne saurait les embrasser de la vue et qu’ils sont très-fréquemment volés.", "De même, la loi sur les faux témoins(1)Mot à mot: témoins méditant (le mal). Le terme זוממין est pris dans les paroles du Pentateuque: «et vous lui ferez selon ce qu’il a médité (זמם) de faire à son prochain» (Deutéron., XIX, 19). veut qu’on leur fasse exactement ce qu’ils ont voulu faire; s’ils ont eu l’intention de faire condamner à mort, ils seront mis à mort; s’ils ont voulu faire infliger des coups de verge, ils seront frappés; s’ils ont voulu faire condamner à une amende, ils seront punis d’une amende pareille. Tout cela a pour but de rendre le châtiment égal au crime, et c’est dans ce sens aussi que les lois sont dites justes(2)Voy. Deutéronome, chap. IV, v. 8. Il faut se rappeler que plus haut, chap. XXVI, p. 203, l’auteur a interprété les paroles du Deutéronome dans un sens plus général. C’est pourquoi il dit ici: «c’est dans ce sens aussi.».", "La raison pourquoi le brigand n’est pas obligé de payer quelque chose en sus, à titre d’amende [car le cinquième n’est qu’une expiation pour le faux serment(3)Voy. Lévitique, chap. V, v. 24, où il est dit que celui qui, s’étant rendu coupable de rapine ou d’abus de confiance, aura aggravé son crime par la dénégation et le faux serment, payera un cinquième en sus de la valeur de l’objet qu’il aura soustrait: וחמשתיו יםף עליו. — Ibn-Tibbon ajoute ici les mots explicatifs: אבל על גזלהו אינו מוסיף כלום, mais il n’ajoute rien (à titre d’amende) pour la chose enlevée. Ces mots ne se trouvent ni dans le texte arabe, ni dans la version d’Al-’Harîzi.], c’est que le brigandage n’a lieu que rarement. En effet, l’attentat de vol est plus fréquent que le brigandage: 1o parce que le vol peut se commettre en tout lieu, tandis que le brigandage ne peut que difficilement s’exécuter dans l’intérieur des villes; 2° parce que le vol peut être commis, tant sur des objets en vue que sur ceux qui sont entourés de secret et de surveillance, tandis que le brigandage n’est possible que sur des objets en vue et patents(1)Les mots ופי מא אחתיט פי אכׁפאיה וציאנתה sont rendus, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, par ובדברים המוצנעים; les mss. portent ובדברים המצויינים ונשמרים. Pour אלא פי מא הו טׄאהר מכשוף Ibn-Tibbon a seulement אלא בנגלה. Al-’Harîzi traduit plus exactement: אלא במה שהוא גלוי ונראה., de sorte que l’on peut prendre des précautions contre le brigand, se mettre en garde et lui résister(2)Le mot ויחתאט n’a pas été rendu par Ibn-Tibbon. Les mots signifient proprement: et se préparer contre lui (pour se défendre)., ce qu’on ne peut pas faire à l’égard du voleur; 3° parce que le brigand est connu, de sorte qu’il peut être requis (en justice) et qu’on peut chercher à se faire rendre ce qu’il a pris, tandis que le voleur est inconnu. Par tous ces motifs, le voleur est condamné à une amende, tandis qu’une pareille condamnation n’a pas lieu pour le brigand.", "Observation préliminaire(3)L’auteur, avant d’entrer dans les détails des peines criminelles, pose dans cette Observation quelques principes généraux qui, selon lui, ont guidé le législateur. Sur l’emploi du mot מקדמה̈, cf. ci-dessus, p. 3, note 1.. — Sache que pour la pénalité, tantôt grave et fort douloureuse, tantôt moindre et facile à supporter, quatre choses sont prises en considération: ", "1o La gravité du crime; car les actions dont il résulte un grand dommage entraînent une peine plus forte, tandis que celles qui ne causent qu’un dommage peu considérable sont punies plus faiblement. ", "2° La fréquence du cas; car la chose qui arrive plus fréquemment doit être réprimée par une peine plus forte, tandis qu’il suffit d’une peine plus faible pour réprimer un crime qui ne se présente que rarement(4)Mot à mot: mais pour ce qui arrive rarement, la peine plus faible, jointe à la rareté du cas, suffit pour l’empêcher. Les mots jointe à la rareté du cas sont une répétition gênante. Les mots פיסיר אלעקאב, qui forment le sujet du participe , sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par במעט מן העונש; le préfixe ב dans במעט doit être supprimé, quoiqu’il se trouve aussi dans les mss.. ", "3° La force de l’entraînement; car la chose à laquelle l’homme est entraîné, soit par la passion qui l’y excite violemment, soit par la force de l’habitude, soit enfin par la grande douleur qu’il éprouve de s’en abstenir, rien ne peut l’y faire renoncer, si ce n’est la crainte d’un grave châtiment. ", "4° La facilité de perpétrer la chose en cachette et avec mystère, de manière que d’autres ne s’en aperçoivent pas; car une telle action ne peut être réprimée que par la crainte d’un châtiment grave et énergique.", "Après cette observation, il faut savoir que la classification, d’après les peines dont parle le Pentateuque, comprend quatre catégories(1)C’est-à-dire, si l’on classifie les crimes ou péchés selon la pénalité qu’ils entraînent, on trouvera qu’ils sont de quatre catégories, dont trois entraînent des peines plus ou moins graves, et dont la quatrième renferme des péchés légers qui n’entraînent aucune peine judiciaire. Les mots תרתיב אלקצאץ signifient littéralement: la classification de la pénalité; mais il est évident que l’auteur veut parler de la classification des crimes ou péchés selon la pénalité, puisqu’il comprend dans cette classification une catégorie de péchés sans pénalité.: 1° celle qui fait condamner (le coupable) à la peine de mort infligée par le tribunal(2)Les rabbins, entendant le retranchement, dont il va être parlé, dans le sens d’une mort prématurée, mais naturelle, appellent la peine capitale infligée par les hommes: מיתת בית דין, mort par le tribunal. Dans ce qui suit, nous traduisons ce terme plus simplement par peine de mort ou peine capitale.; 2° celle qui entraîne le retranchement, ne consistant (pour nous) qu’en coups de verge, en admettant cependant que le crime dont il s’agit est un des plus graves(3)L’auteur veut dire que, toutes les fois que le texte de la loi mosaïque prononce la peine du retranchement, les juges, d’après la tradition, appliquent seulement la peine des coups de verge, en admettant toutefois que le crime mérite une peine bien plus forte. En effet, tous les docteurs juifs, tant karaïtes que rabbanites, déclarent, sur la foi des anciennes traditions, que la peine du retranchement (כרת) n’était pas du ressort de la juridiction humaine, et que le législateur entendait par là un grave châtiment du ciel (voir Palestine, p. 215 a). Ceux qui s’étaient rendus coupables d’un crime contre lequel la loi décrète la peine du retranchement devaient, selon la tradition rabbinique, ne subir ici-bas d’autre peine que celle des coups de verge. Voy. Mischnà, IVe partie, traité Maccôth, chap. III, § 15: כל חייבי כריתות שלקו נפטרו ידי כריתתם. — Les mots והו אלצׄרב באלסוט, qui se trouvent dans tous les mss. arabes, manquent dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, et même dans plusieurs mss. de cette version; des copistes inintelligents les croyaient probablement superflus ou déplacés, la peine des coups proprement dite étant mentionnée immédiatement après. Cependant, plusieurs mss. de la version d’Ibn-Tibbon, ainsi que le commentaire d’Éphôdi, portent expressément: מעלת חיוב כרת והוא ההכאה ברציעה.; 3° celle qui entraîne la peine des coups de verge [et où le péché, loin de passer pour un des plus graves, n’est qu’une simple transgression], ou bien la peine de mort infligée par Dieu(1)Cette troisième catégorie de péchés entraîne deux sortes de peines, à savoir: a) les coups de verge ou de lanière, décrétés pour la transgression de certains préceptes négatifs énumérés dans la Mischnâ, traité Maccôth, chap. 3; b) la mort prématurée dont, selon la tradition, sont frappés ceux qui se rendent coupables de certains péchés énumérés dans le Talmud, traité Synhédrin, fol. 83 a, et Mischné Torâ, liv. XIV, traité Synhédrin, chap. XIX, § 2. Ce qui constitue la différence entre cette peine et celle du retranchement, c’est que les péchés qui entraînent cette dernière peine ne s’expient pas par la mort terrestre et sont encore punis au delà de la tombe.; 4° celle qui renferme de simples défenses ne donnant même pas lieu à la peine des coups. De cette dernière classe sont toutes les transgressions dans lesquelles il n’y a pas d’acte, en exceptant toutefois les suivantes(2)C’est-à-dire, les transgressions qui ne consistent qu’en paroles et dans lesquelles il n’y a pas d’acte commis sont de cette 4e catégorie et ne donnent lieu à aucune peine, à l’exception des trois transgressions que l’auteur va énumérer et qui, tout en ne consistant qu’en paroles, entraînent la peine des coups. Sur cette 4e catégorie et sur les trois exceptions, voy. Talmud de Babylone, traité Maccôth, fol. 16 a; traité Schebouôth, fol. 21 a, et traité Temourâ, fol. 3 a.: a) le vain serment(3)Comme, par exemple, quand on jure pour affirmer une vérité incontestable, ou pour s’engager à faire une chose matériellement impossible; un tel serment est interdit par le troisième commandement du Décalogue: Tu ne proféreras pas le nom de l’Éternel ton Dieu en vain (Exode, XX, 7). Cf. Maïmonide, Sépher miçwôth, préceptes négatifs, n° 62., à cause de la haute idée qu’il faut avoir du respect dû à la Divinité; b) la permutation (des animaux désignés pour les sacrifices)(1)C’est-à-dire, la désignation d’un animal en place d’un autre animal qui a été désigné précédemment comme victime; celui-là même qui offrirait de substituer une bonne victime à une mauvaise déjà désignée commettrait un péché punissable. Voy. Lévit., chap. XXVII, v. 10, et ci-après, chap. XLVI (fol. 103 a du texte ar., l. 13-15)., afin qu’on ne soit pas amené par là à mépriser les sacrifices consacrés à Dieu; c) la malédiction qu’on prononcerait contre son prochain en invoquant le nom de Dieu(2)Dans les paroles du Lévitique (XIX, 14): Tu ne maudiras point un sourd, les rabbins voient la défense de maudire qui que ce soit en son absence; celui qui maudit par un des noms ou des attributs de la Divinité se rend coupable de la peine judiciaire des coups de verge. Voy. Mischuà, IVe partie, traité Schebouôth, chap. IV, § 13, et Maïmonide, Sépher miçwôth, préceptes négatifs, n° 317., parce qu’on est en général bien plus sensible à la malédiction qu’à une lésion corporelle. Hormis ces exceptions, toutes les transgressions dans lesquelles il n’y a pas d’acte ne peuvent causer qu’un minime dommage; d’ailleurs, on ne peut guère s’en garder, puisqu’elles ne consistent qu’en paroles, et si elles devaient être punies(3)Le texte porte: ולו כאן דׄלך, si cela était; c’est-à-dire, s’il en était de ces transgressions comme de celles dans lesquelles un acte est commis. L’expression arabe étant trop concise et trop obscure, Ibn-Tibbon l’a rendue par: מלקות (lis. ואלו היה בו (בהם, et si on devait les punir par des coups., les hommes seraient constamment frappés. En outre, l’avertissement, dans ces cas, n’est guère possible(4)Mot à mot: l’avertissement, pour elles, ne saurait s’imaginer; c’est-à-dire, on ne peut pas admettre que le coupable ait pu recevoir un avertissement avant de commettre le péché, qui ne consiste qu’en paroles. On sait que, selon la loi traditionnelle, aucun criminel ne peut être puni s’il n’a pas été averti par des témoins, avant de commettre le crime, du châtiment qui l’attendait. Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Synhédrin, chap. V, § 1; Maïmonide, Mischné Torâ, liv. XIV, traité Synhédrin, chap. XII, § 2. Dans le Talmud de Babylone, même traité, fol. 40 b à 41 a, on cherche à rattacher cette loi traditionnelle de l’avertissement à quelques textes bibliques.. — Dans le nombre des coups, il y a également de la sagesse, car ils sont déterminés au maximum, mais indéterminés par rapport aux personnes. En effet, chaque individu ne peut être frappé que selon ce qu’il peut supporter; mais le maximum des coups est de quarante, quand même il en pourrait supporter cent(1)Voy. Deutéronome, chap. XXV, v. 3; Mischnà, IVe partie, traité Maccôth, chap. III, §§ 10 et 11..", "Quant à la peine capitale, tu ne la trouveras dans aucun des cas relatifs aux aliments prohibés; car il n’en résulte pas un grand mal, et les hommes n’y sont pas non plus fortement entraînés, comme ils le sont aux plaisirs de l’amour. On encourt la peine du retranchement pour l’usage de certains aliments: pour l’usage du sang (par exemple)(2)Voy. Lévitique, chap. VII, v. 26 et 27, et passim. qu’on était, dans ces tempslà, très-avide de manger, pratiquant par là un certain rite idolâtre, comme cela est exposé dans le livre de Tomtom(3)Voy. ci-dessus, p. 240, note 1, et cf. plus loin, chap. XLVI (texte ar., fol. 104 a).; c’est pourquoi on l’a si sévèrement interdit. De même, l’usage de la graisse(4)C’est-à-dire, de certaines graisses destinées à l’autel, comme la graisse qui enveloppe les entrailles, celle qui couvre les rognons et les lombes et toute la queue grasse des béliers. Voy. Lévitique, chap III, v. 3 et 4, 9 et 10, 14 et 15; chap. VII, v. 3 et 4. Toutes ces graisses provenant d’animaux propres au sacrifice, tels que le bœuf, l’agneau et la chèvre, sont interdites pour l’usage ordinaire (ibid., ch. VII, v. 23-25). Voy. Mischnâ, Ve partie, traité ’Hullîn, chap. VIII, § 6, et Talmud de Babylone, même traité, fol. 117 a. Selon la tradition rabbinique, la graisse de la queue du bélier est permise. Voy. Talmud, l. c., et cf. le commentaire d’Ibn-Ezra sur le Lévitique, VII, 18, où il est question d’une controverse qu’Ibn-Ezra eut à ce sujet avec un karaïte. est puni du retranchement, parce que les hommes s’en délectent; aussi a-t-elle un rôle distinct dans le sacrifice, qu’on a voulu honorer par là(1)L’auteur veut dire que, dans les sacrifices non holocaustes et dont la chair est mangée, soit par les prêtres, soit par les propriétaires, la graisse a un rôle distinct, étant seule destinée à être brûlée sur l’autel, comme offrande consacrée à Dieu. Cf. mes Réflexions sur le culte des anciens Hébreux (dans le tome IV de la Bible de M. Cahen), p. 30-32.. De même encore, la peine du retranchement s’applique à celui qui use de pain-levé pendant la Pâque et à celui qui prend de la nourriture le jour du grand jeûne(2)Voy. Exode, chap. XII, v. 15, et Lévitique, chap. XXIII, v. 29; dans ce dernier passage l’expression mortifier ou affliger sa personne signifie, selon le Talmud (traité Yôma, fol. 74 b), se priver de nourriture, jeûner; cf. Isaïe, chap. LVIII, v. 3 et 5., (choses interdites) tant pour nous imposer une privation pénible que pour nous conduire à la foi; car il s’agit là d’actes servant à consolider des croyances qui sont les bases de la religion, à savoir (d’une part) la croyance à la sortie d’Égypte et à ses miracles, et (d’autre part) celle relative à la pénitence: car en ce jour il vous fera faire expiation (Lévit., 16, 30). Enfin, on encourt la peine du retranchement, pour avoir mangé le restant du sacrifice, ou le sacrifice profané, ou pour avoir, dans un état d’impureté, mangé des choses saintes(3)Voy. Lévitique, chap. VII, v. 16-21; chap. XIX, v. 5-8. Par נותר restant, on entend la chair qui reste d’un sacrifice, n’ayant pas été mangée dans le délai légal. Le mot פיגול, abomination, impureté, par lequel le texte du Lévitique ne fait que qualifier le restant du sacrifice (VII, 18; XIX, 7), désigne, selon la tradition rabbinique, le sacrifice profané par la pensée, c’est-à-dire celui qui a été offert avec une intention profane, comme, par exemple, avec l’intention de manger les parties destinées à l’autel, ou de réserver la chair, pour la manger après le délai légal. Voy. Maïmonide, Sépher miçwôth, préceptes négatifs, n° 132, où sont cités aussi les passages talmudiques relatifs à ce sujet., ce qui est aussi condamnable que de manger de la graisse. Le but est de donner de l’importance au sacrifice, comme on l’exposera plus loin.", "La peine capitale, tu ne la trouveras que dans les cas graves, tels que la destruction de la foi, ou un crime (social) extrêmement grave; je veux parler de l’idolâtrie, du commerce adultère ou incestueux, de l’effusion du sang, et de tout ce qui conduit à ces crimes (comme les cas suivants): 1° le sabbat (dont la profanation est punie de mort), parce qu’il sert à consolider la croyance à la nouveauté du monde(1)Voy. Exode, chap. XXXI, v. 13-15.; 2° le faux prophète et le docteur rebelle(2)Voy. Deutéronome, chap. XVIII, v. 20, et chap. XVII, v. 12. Ce dernier passage, où l’on parle en général d’un homme qui se met en révolte ouverte contre les juges, ne s’applique, selon la tradition rabbinique, qu’au savant, docteur de la loi, qui se révolte contre la sentence prononcée par le grand Synhédrin et cherche à la réfuter par ses raisonnements; on l’appelle זקן ממרה, ancien ou docteur rebelle. Voy. Mischnâ, IVe partie, tr. Synhédrin, ch. XI, §§ 1 et 2; Talmud de Babylone, même traité, fol. 87 a; Maïmonide, Mischné Torâ, liv. XIV, traité Mamrim (des rebelles), chap. III, §§ 4 et 5., (qui sont punis de mort) à cause de la grande corruption qu’ils répandent; 3° celui qui frappe ou qui maudit son père ou sa mère(3)Voy. Exode, chap. XXI, v. 15 et 17; Lévitique, chap. XX, v. 9., parce que cela dénote une grande impudence et détruit l’organisation des familles, base principale de l’État; 4° le fils désobéissant et rebelle(4)Voy. Deutéronome, chap. XXI, v. 18-21., à cause de ce qu’il pourra devenir plus tard, car il sera nécessairement un assassin(5)Voy. ci-dessus, chap. XXXIII, p. 262, note 2.; 5° celui qui dérobe un homme(6)Voy. Exode, chap. XXI, v. 16; Deutéronome, chap. XXIV, v. 7. La raison pourquoi l’enlèvement d’un homme est puni de mort, l’auteur l’indique par ces mots: לאנה יערץׄ בה ללמות, car il le présente ou le prépare à la mort. L’auteur veut dire sans doute que celui qui enlève un homme pour en faire un esclave le voue en quelque sorte à la mort en le privant de sa liberté. C’est dans le même sens que s’exprime Abravanel dans son Commentaire sur le Deutéronome (XXIV, 7): והטעם במצוה הזאת ירוע כי הגונב נפש הרי הוא כאלו הרגו כיון שהוציאו מרשותו ובחירתו. Selon Ibn-Caspi, l’auteur veut dire que le ravisseur pourra être amené à tuer sa victime pour cacher son crime., parce qu’il l’expose à la mort; de même enfin, 6° celui qui vient voler avec effraction, parce qu’il se dispose à assassiner, comme l’ont expliqué les docteurs(7)Voy. Exode, chap. XXII, v. 1. Le vol avec effraction est puni de mort, dans ce sens que le voleur est mis hors la loi et qu’il est permis de le tuer quand il est pris en flagrant délit, parce qu’on peut supposer qu’il a lui-même l’intention de commettre un assassinat. Voy. Mischna, IVe partie, traité Synhédrin, chap. VIII, § 6: הבא במחתרת נידון על שם סופו.. Les trois derniers, je veux dire le fils désobéissant et rebelle, celui qui dérobe une personne et la vend, et celui qui vole avec effraction, finiront certainement par devenir assassins. Tu ne trouveras la peine capitale dans aucun autre cas en dehors de ces crimes graves. On ne punit pas de mort tous les incestes, mais seulement ceux qu’il est plus facile de commettre, ou qui sont les plus honteux, ou vers lesquels on est plus fortement entraîné; ceux qui ne se trouvent pas dans ces conditions ne sont punis que du retranchement. De même, on ne punit pas de mort toutes les espèces d’idolâtrie, mais seulement les actes principaux de ce culte, comme par exemple d’adorer les idoles, de prophétiser en leur nom, de faire passer (les enfants) par le feu, de pratiquer l’évocation, la magie ou la sorcellerie.", "Il est clair aussi que, puisqu’on ne saurait se passer des peines, il est indispensable aussi d’établir des juges, répandus dans toutes les villes. Il faut aussi la déposition des témoins. Enfin, il faut un souverain qui soit craint et respecté, qui puisse exercer toutes sortes de répressions, fortifier l’autorité des juges et être (à son tour) fortifié par eux(1)Tous les mss. ar. portent וישר מנהם, et il me paraît évident que le verbe וישר est un verbe neutre ou passif: être fort ou être fortifié. La version d’Ibn-Tibbon a ויסמך אותם, et celle d’Al-’Harîzi: ויעזור אותם; d’après ces versions il faudrait traduire: et (qui puisse) les protéger..", "Après avoir exposé les motifs de tous les commandements que nous avons énumérés dans le livre Schophetim (des Juges), nous devons, conformément au but de ce traité, appeler l’attention sur quelques dispositions qui y sont mentionnées, ", "et notamment sur celles qui se rattachent au docteur rebelle(2)Voir page précédente, note 2.. Je dis donc: Comme Dieu savait que les dispositions de la loi, en tout temps et partout(1)Ibn-Tibbon a omis dans sa version le mot ומכאן; la version d’Al-’Harîzi porte: בכל זמן ובכל מקום. Dans l’un des mss. arabes, on lit: פי כל זמאן וזמאן., auraient besoin, selon la diversité des lieux, des événements et des circonstances(2)Les mots קראין אחואל signifient réunion de circonstances. Cf. t. II, p. 296, note 3. La traduction d’Ibn-Tibbon, לפי הנראה מן הענינים, est inexacte., tantôt d’être élargies, tantôt d’être restreintes, on a défendu d’y rien ajouter et d’en rien retrancher, et on a dit: Tu n’y ajouteras rien et tu n’en retrancheras rien (Deutér., 13, 1); car cela pouvait conduire à corrompre les prescriptions de la loi et à faire croire qu’elle ne venait pas de Dieu. Néanmoins Dieu permit aux savants de chaque siècle, je veux dire au grand Tribunal, de prendre des soins pour affermir ces dispositions légales au moyen de règlements nouveaux qui devaient en prévenir l’altération(3)Littéralement: au moyen de choses nouvellement imaginées par eux dans le but de fermer (ou de réparer) une fissure. Ibn-Tibbon traduit: בענינים שיחדשום לשמור התורה; on voit qu’il lisait אלשריעה̈ au lieu de אלצדיעה̈. Mais cette dernière leçon est confirmée par Ibn-Falaquéra, qui, en blâmant la traduction d’Ibn-Tibbon, rend les mots par על צד סתימת השבר, et il ajoute que cette locution arabe a le même sens que les expressions hébraïques חִזּוּק הבֶדֶק et גדירת הפרץ. Voir Append. du Moré ha-Moré, p. 158. Cf. ci-dessus, p. 276, note 2., et de perpétuer ces soins préservatifs, comme disent les docteurs: «Faites une haie autour de la Loi(4)Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Abôth, chap. I, § 1..» De même, il leur fut accordé, dans telle circonstance ou en considération de tel événement, de suspendre certaines pratiques prescrites par la loi, ou de permettre certaines choses qu’elle avait défendues(5)Ibn-Tibbon traduit ולהתיר קצת הנזהר; au lieu de מחטׄוראתהא, il paraît avoir lu מחדׄוראתהא leçon qu’a en effet un des mss. de la Bibliothèque imp. (suppl. n° 63). La leçon que nous avons adoptée est celle de presque tous les mss., sauf que quelques-uns ont צׄ (avec point) au lieu de טׄ, faute d’orthographe très-commune. La traduction d’Al-’Harîzi, שיתירו קצת האיסורין, est d’accord avec notre leçon. Cf. ci-dessus, p. 271, note 1.; toutefois une telle suspension ne devait pas se perpétuer, comme nous l’avons exposé dans l’Introduction au Commentaire sur la Mischnâ, au sujet de la décision temporaire(1)Voy. le texte arabe de cette Introduction dans la Porta Mosis de Pococke (édition de 1655), p. 27-28. Maïmonide, après avoir parlé de la faculté qu’a le vrai prophète d’abolir momentanément certaines dispositions de la loi, ajoute: לכן בשרט אן לא יאבד דׄלך אלאמר ויקול אן אללה אטד בהדׄא אן יפעל בדׄא אלי גאבר אלדהר ואנטא יאטר בה בחסב חאלה̈ מא פי וקת דון וקת … שבה מא יפעל בית דין פי הוראת שעה «à la condition toutefois qu’il ne prétende pas donner un précepte perpétuel et qu’il ne dise pas que Dieu a ordonné d’agir ainsi à tout jamais; au contraire, (il doit déclarer) qu’il ne donne cette prescription qu’en vue d’une certaine circonstance momentanée…. comme fait le tribunal dans la décision temporaire.» — Ibn-Tibbon, trompé sans doute par une faute d’orthographe qu’avait son ms., a confondu ici le mot arabe צדר, Introduction, avec le mot hébreu סדר, et a traduit: בסדר פירוש המשנה, Al-’Harîzi a plus exactement: בפתיחת.. Par ce procédé, l’unité de la loi était sauvegardée, et en même temps on pouvait toujours prendre pour règles de conduite les circonstances du moment(2)Littéralement: la loi restait une, et on se conduisait toujours et en toute circonstance conformément à celle-ci.. Mais, s’il avait été permis à chacun des savants de se livrer à ces considérations partielles(3)C’est-à-dire, si chaque savant avait été autorisé à modifier les dispositions de la loi, selon les circonstances du moment., les hommes auraient été en butte à de nombreuses divisions et à des schismes. C’est pourquoi Dieu a défendu à tous les savants en dehors du grand Tribunal seul d’entreprendre une telle chose, et il a ordonné de mettre à mort quiconque ferait opposition à ce tribunal; car, si chaque penseur avait pu se révolter contre lui, le but qu’on avait en vue aurait été manqué et l’avantage (de ces dispositions) aurait été détruit.", "Il faut savoir encore que, pour la transgression des défenses de la Loi, on peut établir quatre catégories: 1o celle à laquelle on est forcé, 2° celle qui est commise par inadvertance, 3° celle qui est commise par préméditation, 4° celle qui est commise avec effronterie(1)Littéralement: avec une main haute, c’est-à-dire publiquement, de manière à défier les regards. Voy. Nombres, chap. XV, v. 30..", "Quant à celui qui est forcé (de pécher), on dit expressément qu’il ne sera pas puni et qu’il n’est chargé d’aucune faute. Dieu a dit: et à la jeune fille tu ne feras rien, la jeune fille n’a point commis de péché digne de mort (Deutér., 22, 26).", "Celui qui pèche par inadvertance est fautif, car s’il avait eu bien soin de rester tranquille et de s’observer, il ne lui serait pas arrivé de faillir. Cependant il ne peut nullement être puni, quoiqu’il ait besoin d’une expiation, qui consiste à offrir un sacrifice. Et ici, la loi a fait une différence entre l’homme privé, le roi, le grand prêtre et le docteur de la loi(2)Celui qui, par erreur ou inadvertance, commet un péché dont la préméditation lui ferait encourir la peine du retranchement, doit offrir un sacrifice en expiation. Dans ce cas, l’homme du peuple doit offrir une jeune brebis ou une jeune chèvre (Lévitique, iv, 27-28); le prince ou le roi, un bouc (ibid., v. 22); le grand prêtre, un jeune taureau (v. 3). Par , l’auteur entend le docteur de la loi autorisé à donner des consultations légales et dont les décisions ont de l’autorité. Comme celui-ci n’est dans aucune des catégories pour lesquelles on prescrit le sacrifice d’expiation, il s’ensuit qu’il est toujours considéré comme agissant avec préméditation et puni avec rigueur, comme, par exemple, le docteur rebelle.. Nous apprenons par là que celui qui agit, ou qui rend une décision doctrinale, selon sa doctrine personnelle, — à moins que ce ne soit le grand tribunal ou le grand prêtre,—est de la catégorie de ceux qui pèchent avec préméditation et n’est pas compté parmi ceux qui pèchent par inadvertance(3)C’est-à-dire: il résulte du silence que le Pentateuque garde sur le docteur de la Loi, là où il est question du sacrifice d’expiation, que celui qui agit ou rend une décision selon sa propre doctrine erronée ne saurait être considéré comme péchant par inadvertance; au contraire, son péché est toujours considéré comme volontaire et prémédité, et ne saurait être expié par un sacrifice. Cf. Mischné Torâ, liv. XIV, traité Mamrim, chap. iv, § 1: זה שחלק על בית דין הגדול בדבר שחייבין על זדונו כרת ועל שגגתו חטאת ··· הואיל ונשא ונתן עליהן בדבר ועשה או שהורה לעשות הרי זה חייב. — Le mot , que nous traduisons ici par doctrine personnelle, est ainsi expliqué dans le livre Ta’rifât: «ce mot, dans le langage ordinaire, signifie faire tous les efforts dont on est capable; comme terme technique, il veut dire, en parlant d’un fakîh (jurisconsulte, casuiste), mettre en usage toute sa capacité pour se faire une opinion personnelle relativement à un problême légal.» Voy. les Extraits du Ta’rifât par Silvestre de Sacy dans les Notices et Extraits des Mss., t. X, p. 24.; c’est pourquoi le docteur rebelle est mis à mort, bien qu’il ait agi ou rendu des décisions selon sa doctrine personnelle(1)C’est-à-dire, quoique son erreur ait été sincère et qu’il ne se soit trompé que par suite de ses études imparfaites.. Aux seuls membres du grand tribunal il appartient de décider selon leur doctrine personnelle(2)C’est-à-dire, leur erreur même fait loi; ceux qui ont agi d’après la décision erronée du grand tribunal, ou Synhédrin, ne sont pas responsables, et le tribunal offre, pour son erreur, un sacrifice d’expiation. Selon la tradition, le passage du Lévitique qui va être cité, ainsi qu’un passage du livre des Nombres, XV, 24, s’applique au tribunal, désigné par le mot העדה ou הקהל, la communauté. Sur les différents cas et leurs conséquences, voy. Mischnâ, traité Horayoth, chap. I; Mischné Torâ, liv. IX, traité Schgaghoth (des erreurs ou inadvertances), chap. XII et suiv.; donc, s’ils se sont trompés, ils sont considérés comme ayant péché par inadvertance, ainsi qu’il est dit: si toute la communauté d’Israël pèche par inadvertance (Lévit., 4, 13). C’est à cause de ce principe que les docteurs ont dit: «Une doctrine erronée compte comme péché prémédité(3)Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Abôth, chap. IV, § 13.», ce qui veut dire que celui dont la science est bornée et qui pourtant agit ou donne des décisions selon cette science bornée est considéré comme péchant avec préméditation. En effet, il n’en est pas de celui qui mange un morceau de graisse des rognons, croyant que c’est la graisse de la queue du bélier(4)Voy. ci-dessus, p. 321, note 4., comme de celui qui mange, en connaissance de cause, de la graisse des rognons, mais ignorant que cette graisse est défendue; car celui-ci, quoiqu’on se contente pour lui d’un sacrifice (d’expiation), commet presque un péché volontaire. Cependant, il n’en est ainsi que lorsqu’il se borne à commettre lui seul le péché(1)C’est-à-dire: on se contente pour lui du simple sacrifice d’expiation, lorsqu’il se borne à pratiquer personnellement sa doctrine erronée.; mais celui qui donne des décisions (erronées), provenant de son ignorance(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont לפי השתכלותן; mais, selon les mss., il faut lire השתדלותו; ce traducteur paraît avoir lu dans le texte arabe גׄהדה, au lieu de גׄהלה. Al-’Harîzi traduit plus exactement:כפי סכלותו., doit indubitablement être considéré comme péchant avec préméditation, car le texte (de la loi) n’excuse la décision erronée que chez le grand tribunal seul.", "Celui qui pèche avec préméditation subira le châtiment prescrit, soit la peine capitale, soit les coups de verge (légaux)(3)Voy. ci-dessus, p. 319, note 1, et p. 321, note 1., soit les coups pour rébellion(4)Voy. Mischné Torâ, liv. XIV, traité Synhédrin, chap. XVI, § 3, et chap. XVIII, § 5. Cette peine, qui n’est pas écrite dans la Loi, peut, selon les rabbins, être infligée même pour des infractions à la loi traditionnelle., quand il s’agit de transgressions non punissables des coups légaux, soit enfin une peine pécuniaire. Si, pour certaines transgressions, on a assimilé la préméditation à l’inadvertance, c’est parce qu’elles se commettent fréquemment et avec facilité, consistant seulement en paroles, et non en actes, comme, par exemple, le serment du témoignage(5)C’est-à-dire, le serment que prêtent des hommes appelés en témoignage pour affirmer qu’ils ne savent rien. Voy. Lévitique, chap. V, v. 1, et Mischnâ, IVe partie, traité Schebou’ôth, chap. IV, §§ 2 et 3; Talmud de Babylone, même traité, fol. 31 b. Si le serment prêté est faux, les coupables doivent toujours offrir un sacrifice d’expiation, n’importe qu’ils aient agi avec préméditation ou par inadvertance, et ici l’inadvertance consisterait, selon le Talmud, en ce que les témoins n’auraient pas su que la loi leur imposait un sacrifice d’expiation pour ce faux serment., et le serment du dépôt(1)C’est-à-dire, si quelqu’un affirme avec serment qu’il n’a pas reçu un dépôt qui lui a été confié. Voy. Lévilique, chap. V, v. 21 et 22; Mischnâ, l. c., chap. V, § 1. L’inadvertance est expliquée de la même manière que dans le cas précédent.. Il en est de même du commerce avec une esclave fiancée(2)Voy. Lévitique, chap. XIX, v. 20 et 21. Ce péché doit être également expié par un sacrifice, n’importe qu’il ait été commis avec préméditation, ou par inadvertance. Voy. Mischnâ, Ve partie, traité Keritôth, chap. II, § 2: אלו מביאין על הזדון כשוגג הבא על השפחה וגו׳. Cf. Talmud, même traité, fol. 9 a. Sur le sens que Maïmonide donne au mot הרופה, voy. le t. I, chap. XXXIX, p. 143., (péché) considéré comme plus léger, parce qu’il arrive fréquemment, vu qu’elle (l’esclave) se laisse aller(3)Sur le sens du verbe , voy. ci-dessus, p. 261, note 1., n’étant ni complètement esclave, ni complètement libre, ni complètement en pouvoir de mari, comme ledit la tradition en expliquant ce commandement(4)Voy. Mischnâ, l. c., § 5, et Talmud, l. c., fol. 11 a, où il est dit qu’il s’agit ici d’une esclave païenne destinée en mariage à un esclave hébreu..", "Le pécheur effronté est celui qui, non-seulement agit avec préméditation, mais qui est assez impudent et audacieux pour transgresser la loi en public. Celui-ci ne pèche pas par simple passion, ni parce que ses mœurs perverses lui font chercher des jouissances que la loi a défendues, mais pour résister à la loi et se mettre en révolte contre elle. C’est pourquoi il est dit de lui: il blasphème l’Éternel (Nombres, 15, 50), et il mérite indubitablement la mort. Celui qui agit de la sorte ne le fait que parce qu’il s’est formé une opinion à lui, par suite de laquelle il résiste à la loi. C’est pourquoi l’explication traditionnelle dit que l’Écriture veut parler ici de l’idolâtrie(5)Voy. Talmud de Babylone, traité Keritôth, fol. 7 b: ר׳ א׳ בן עזריה אומר בעובד ע״ז הבהוב מדבר., système qui sape la loi par la base; car jamais personne ne rendra un culte à un astre sans le croire éternel, comme nous l’avons exposé plusieurs fois dans nos ouvrages. Il en est de même, selon moi, de toute transgression par laquelle on manifeste l’intention de renverser la loi et de se mettre en révolte contre elle. Selon ma manière de voir, si un individu israélite mangeait de la viande cuite dans du lait, ou se revêtait de tissus de matières hétérogènes(1)Voir ci-dessus, chap. XXVI, p. 204, note 1., ou se rasait les coins de la chevelure(2)Voy. le tome II, p. 352, note 3., avec l’intention de témoigner de son mépris pour ces défenses et de montrer qu’il ne croit pas à la vérité de cette législation, il se rendrait coupable de blasphème envers l’Éternel et mériterait la mort, non comme châtiment (de son péché), mais pour son infidélité; de même que les habitants d’une ville séduite (à l’idolâtrie) sont mis à mort pour leur infidélité, et non pour châtiment de leur crime, ce qui est la raison pourquoi leurs biens sont livrés aux flammes et ne passent pas à leurs héritiers, comme ceux des autres condamnés à mort(3)Généralement, les biens des condamnés à mort passent à leurs héritiers, et par conséquent aussi à ceux des individus condamnés pour idolâtrie; la population séduite subit donc un châtiment plus grave que ceux qui se sont individuellement rendus coupables d’idolâtrie. Voy. Deutéronome, chap. XIII, v. 13-18; Mischnâ, IVe partie, traité Synhédrin, chap. X, § 4; Mischné Torâ, liv. I, traité de l’Idolâtrie, ch. IV, §§ 2 et 5.. J’en dirai autant de toute communauté d’Israélites qui d’un commun accord(4)Les mss. ont généralement תמאלוא; il faut lire תמאלאוא ou תמאלווא , VIe forme de , qui signifie Invicem juverunt, concordarunt ac unanimes fuerunt. De même un peu plus loin, il faut lire , au lieu de la forme תמאילהם qu’ont la plupart des mss. transgressent n’importe quel commandement et qui agissent effrontément. Ils méritent tous la mort, comme tu peux l’apprendre par l’histoire des fils de Ruben et des fils de Gad, au sujet desquels il est dit: Et toute l’assemblée décida de monter en bataille contre eux(5)Voy. Josué, chap. XXII, v. 12. L’auteur a fait ici une erreur de mémoire; dans le passage de Josué auquel il fait allusion, on lit: ויקהלו כל עדת בני ישראל שלה לעלות עליהם לצבא, et toute l’assemblée des enfants d’Israël se réunit à Silo pour monter en bataille contre eux.. Dans l’avertissement qui leur fut donné, on leur exposa qu’ayant commis ce péché d’un commun accord, ils s’étaient rendus coupables d’infidélité et s’étaient montrés rebelles à la religion tout entière, et on leur disait… vous détournant aujourd’hui de l’Éternel etc. (Josué, 22, 16), à quoi ils répondirent de leur côté: Dieu, l’Éternel sait… si c’est par rébellion etc. (ibid., v. 22).— Il faut te bien pénétrer aussi de ces principes concernant les peines criminelles.", "En outre, le livre Schophetim (des Juges) renferme aussi le commandement de détruire la race d’Amalek(1)Voy. Deutéronome, chap. XXV, v. 19, et Mischné Torâ, liv. XIV, traité des Rois et des Guerres, chap. I, §§ 1 et 2.. En effet, de même qu’on punit l’individu, de même on doit punir une tribu ou une nation entière, afin que toutes les tribus soient intimidées et ne s’aident pas mutuellement à faire le mal, et afin qu’elles se disent: On pourrait agir envers nous comme on a agi envers telle tribu(2)Littéralement: envers les fils d’un tel; on sait que c’est là la manière dont les Arabes désignent les tribus.. De cette manière, s’il grandissait au milieu d’elle un homme méchant et destructeur, ayant l’âme assez dépravée pour ne pas s’inquiéter du mal qu’il fait et pour ne point y réfléchir, il ne trouverait personne pour l’aider à exécuter les mauvais desseins qu’il désire accomplir. Amalek donc s’étant empressé de tirer le glaive, il fut ordonné de l’exterminer par le glaive; mais Amon et Moab, qui avaient agi avec bassesse et qui avaient employé la ruse pour nuire, ne subirent d’autre châtiment que d’être exclus des mariages israélites, et de voir leur amitié repoussée avec mépris. Toutes ces dispositions montrent que Dieu a proportionné les peines, afin qu’elles ne fussent ni trop fortes ni trop faibles, mais comme Dieu l’a dit expressément: selon l’étendue de son crime (Deutér., 25, 2).", "Ce livre (Schophetim) renferme encore le commandement de préparer un lieu écarté (en dehors du camp) et un pieu(3)Voy. Deutéronome, chap. XXIII, v. 13 et 14, et Mischné Torâ, l. c., chap. VI, §§ 14 et 15.; car une des choses que la loi a pour but, comme je te l’ai fait savoir(1)Voy. ci-dessus, chap. XXXIII, p. 264., c’est la propreté et l’éloignement des souillures et des malpropretés, afin que les hommes ne soient pas comme les bêtes. Par ce commandement(2)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont ובזאת הכונה; il faut lire ובזאת המצוה, comme l’ont les mss. de cette version., on a voulu aussi fortifier dans les guerriers, en leur prescrivant ces actes, la confiance que la majesté divine réside au milieu d’eux, comme on l’expose en motivant ce commandement: Car l’Éternel ton Dieu marche au milieu de ton camp (ibid., XXIII, 15). Cela amène encore cette autre idée: Afin qu’il ne voie en toi aucune chose honteuse et ne se détourne de toi (ibid.), ce qui est un avertissement de ne pas se livrer à la débauche, qui, comme on sait, règne dans un camp de guerre, quand les soldats restent trop longtemps absents de leurs maisons. Dieu donc, pour nous préserver de cette conduite, nous a prescrit des actes qui doivent nous rappeler que la majesté divine réside parmi nous, et il a dit: Que ton camp soit saint, afin qu’il ne voie en toi aucune chose honteuse. Même celui qui a été seulement souillé par un accident nocturne doit sortir du camp, où il ne peut rentrer qu’après le coucher du soleil(3)Voy. Deutéronome, chap. XXIII, v. 11 et 12; Lévitique, chap. XV, v. 16. Les termes hébreux dont se sert ici l’auteur sont tirés d’autres passages (Lévit., XIV, 8; Nombres, XIX, 7) qui ne se rapportent pas à ce sujet., afin que chacun soit bien pénétré de cette pensée que le camp est comme un sanctuaire de l’Éternel et qu’il n’a pas pour mission, comme les armées des païens, de détruire, de ravager, de faire du mal aux autres et de prendre leurs biens; car nous, au contraire, nous avons pour but de préparer les hommes au culte de Dieu et d’introduire l’ordre parmi eux. Je t’ai déjà fait savoir que je n’indique les motifs des commandements que selon le sens littéral du texte(4)L’auteur veut dire sans doute qu’il ne s’occupe ici que de l’explication rationnelle des textes bibliques, sans avoir égard aux distinctions établies par la loi traditionnelle, au sujet des impuretés légales, entre les trois enceintes appelées: camp des Israélites (צחנה ישראל), camp des lévites (מחנה לויה), et camp de la majesté divine (מחנה שכינה). Voy. le Siphri au passage du Deutéronome, chap. XXIII, v. 11; Talmud de Babylone, traité Pesa’hîm, fol. 68 a; Mischné Torâ, liv. VIII, traité Biath ha-Mikdasch (de l’entrée dans le sanctuaire), chap. III, § 8. Cf. Commentaire sur la Mischnâ, VIe partie, traité Kelîm, chap. I, § 8..", "Enfin, ce même livre (Schophetim) renferme encore la loi relative à la belle femme captive(1)Deutéronome, chap. XXI, v. 10-14.. Les docteurs disent, comme tu sais: «La loi n’a parlé ici qu’à l’égard de la passion(2)C’est-à-dire: La loi n’a voulu que mettre un frein aux passions indomptables des soldats, en imposant à ceux-ci certaines règles de conduite à l’égard de la captive. Voy. Talmud de Babylone, traité Kiddouschîn, fol. 21 b..» Cependant, je dois faire observer que ce commandement renferme aussi de nobles leçons de morale que les hommes vertueux doivent prendre pour règles de conduite. Ainsi, quoique sous l’empire d’une passion indomptable, il (le guerrier) doit être seul avec cette femme dans un lieu retiré, comme il est dit: dans l’intérieur de ta maison (Deutér., 21, 12), et il ne doit pas la violenter pendant la guerre(3)Les mots hébreux ולא ילהצנה במלחמה sont tirés du Talmud, l. c., fol. 22 a. Cf. Mischné Torâ, liv. XIV, traité des Rois et des Guerres, chap. VIII, §§ 2-9., comme les docteurs l’ont exposé. Ensuite, il ne lui est pas permis d’avoir commerce avec elle une seconde fois, jusqu’à ce que son affliction soit calmée et son chagrin adouci, et il ne doit pas l’empêcher de se livrer à la tristesse, de négliger sa toilette et de pleurer, comme il est écrit: elle pleurera son père et sa mère (ibid., v. 13). En effet, ceux qui sont accablés de tristesse éprouvent un soulagement en pleurant et en excitant leur douleur, jusqu’à ce que leurs forces physiques soient trop émoussées pour supporter cette secousse de l’âme, de même que ceux qui sont transportés de joie se calment par toutes sortes d’amusements. C’est pourquoi la Loi, pleine de bienveillance pour elle, lui laisse à cet égard une pleine liberté(1)C’est-à-dire, elle la laisse entièrement libre de se livrer à toutes les démonstrations de sa tristesse., jusqu’à ce qu’elle soit fatiguée de pleurer et de se livrer à la tristesse. Tu sais qu’il peut avoir commerce avec elle une première fois, pendant qu’elle est encore païenne(2)Cf. Mischné Torâ, l. c., §§ 2 et 5.. De même, pendant trente jours, elle peut professer publiquement sa religion, et même se livrer à l’idolâtrie, sans que pendant tout ce temps(3)La version d’Ibn-Tibbon porte עד הזמן ההוא; celle d’Al-’Harîzi a plus exactement: כל הזמן ההוא. on puisse lui chercher querelle au sujet de sa croyance. Après cela, s’il ne parvient point à la convertir aux préceptes de la Loi, il ne lui est pas permis de la vendre, ni de s’en servir comme esclave. La loi a donc respecté cette femme devenue inviolable par suite de la cohabitation, et, bien que l’acte fût en quelque sorte un péché(4)Mot à mot: La loi a donc respecté l’inviolabilité de la mise à nu par la cohabitation, quoique celle-ci eût lieu par un certain péché. La plupart des mss. ont דעת avec ד; d’après cela, il faudrait traduire: la Loi a donc PROCLAMÉ l’inviolabilité etc. Nous avons écrit רעת avec ר, leçon qu’ont quelques-uns de nos mss. et qui a été adoptée par les deux traducteurs hébreux (שמרה התורה); nous prenons ici le verbe רעת dans le sens de la IIIe forme . Les mots חרמה̈ כשפה̈ présentent quelque obscurité; dans un ms. on lit חרמת כשפה̈; dans un autre חרמה̈ כשפת. Ces mots ont visiblement embarrassé les deux traducteurs hébreux, qui n’en ont su donner une traduction précise. Ibn-Tibbon rend חרמה̈ כשפה̈ אלגׄמאע par קרבת המשגל, et Al-’Harîzi par ענין גלוי הבעילה. Dans l’un des mss. d’Oxford (Hunt. 162), on lit: , au lieu de כשפה̈ אלגׄמאע; en effet, le nom d’action est plus usité que . Le sens est: la Loi a ordonné au guerrier de respecter la femme captive dont il a abusé, bien que les relations qu’il a eues avec elle fussent un péché, le commerce avec une païenne étant interdit par la loi.,—car elle était alors païenne, — on dit pourtant: Tu ne l’asserviras point parce que tu l’auras humiliée (ibid., v. 14). Tu vois quelle noble morale est contenue dans ce commandement(1)Ibn-Tibbon a באלה המצות, au pluriel; Al-’Harîzi a, conformément au texte arabe, בזאת המצוה.. Et maintenant les motifs de tous les commandements de ce livre sont suffisamment éclaircis." ], [ "Les commandements que renferme la septième classe, relatifs aux droits de propriété, sont ceux que nous avons énumérés dans certaines parties du livre Mischpâtim (des droits) et du livre Kinyân (de l’acquisition). Ils ont tous un motif manifeste; car ils renferment des dispositions d’équité pour les transactions qui ont nécessairement lieu entre les hommes, et (ils leur recommandent) de se prêter mutuellement un secours profitable aux deux parties(2)Littéralement: et que l’on ne s’écarte pas du secours mutuel utile aux deux parties. La version d’Ibn-Tibbon s’écarte un peu du sens littéral; elle porte: ושיעזרו העוסקים זה את זה להועיל כל אחד את חבירו. Al-’Harîzi traduit plus exactement: ושלא יהיו נוטים בו מן העזר והסיוע לשני בעלי העסק., de manière que l’un des deux intéressés ne veuille pas avoir la plus large part dans le tout et être seul avantagé sous tous les rapports.", "Avant tout, il faut s’abstenir de toute fraude dans les achats et ventes et se contenter des profits habituels, d’une légitimité reconnue(3)Voy. Lévitique, chap. XXV, v. 14-17, et Talmud de Babylone, traité Baba Meci’a, fol. 51 a. Si la fraude au détriment de l’acquéreur ou du vendeur dépasse le sixième de la valeur totale de l’objet, la transaction est déclarée nulle par la loi traditionnelle. Voy. Talmud, l. c., et Mischné Torâ, liv. XII, traité Mekhirâ (des ventes), chap. XII, §§ 2 et suiv., et chap. XIV, § 1.. On a établi des conditions pour la validité de la transaction, et on a défendu la fraude, dût-elle ne consister qu’en paroles(1)Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Baba Meci’a, chap. IV, § 10; Mischné Torâ, l. c., chap. XIV, §§ 12 et suiv. Sur les conditions dont l’auteur parle ici, voy. en général tout le traité Mekhirâ (des Ventes)., comme cela est connu.", "Vient ensuite la loi relative aux quatre gardiens(2)C’est-à-dire, aux quatre espèces de dépositaires, qui sont: celui qui garde un dépôt gratuitement, celui qui emprunte un objet quelconque, celui qui se charge d’un dépôt moyennant salaire, et celui qui prend un objet à location. Voy. Exode, chap. XXII, v. 6-14, et Mischnâ, l. c., chap. VII, § 8, et traité Schebouoth, chap. VIII, § 1., qui est d’une équité et d’une justice manifestes. En effet, celui qui garde un dépôt à titre gratuit, n’ayant absolument aucun intérêt dans cette affaire et agissant par pure complaisance, n’est responsable de rien, et tout dommage qui survient doit être supporté par le propriétaire(3)Littéralement: …. est dans la bourse du maître du bien; c’est-à-dire, le dommage ne frappe que le propriétaire.. L’emprunteur, qui a lui seul tout le profit, tandis que le propriétaire lui fait une complaisance, est responsable de tout et doit supporter tous les dommages qui surviennent(4)Littéralement: et tous les dommages sont dans la bourse de l’emprunteur. Au lieu de אלשואל, quelques mss. ont אלשומר, du dépositaire. De même, les deux versions hébraïques ont השומר.. Si quelqu’un se charge d’un dépôt moyennant salaire ou prend une chose à location, tous deux, je veux dire le dépositaire et le propriétaire, y ont un intérêt commun, et par conséquent les dommages doivent être partagés entre eux deux; ceux qui proviennent du peu de soin dans la surveillance doivent être supportés par le dépositaire, comme, par exemple, si l’objet a été volé ou perdu, car le vol et la perte montrent qu’il a négligé d’y apporter un grand soin et une extrême prévoyance(5)La version d’Ibn-Tibbon s’écarte un peu du texte arabe; elle porte: כי הגניבה והאבידה באה מפני שלא שמר שמירה מעולה. La version d’Al-’Harîzi, qui est ici corrompue dans le ms., portait probablement: כי בגניבה ואבידה התרשלות לרוב השמירה וההשתדלות הנוסף.; mais les dommages qu’il est impossible d’empêcher, — comme, par exemple, si l’animal (prêté) a été estropié, ou enlevé, ou s’il est mort, cas de force majeure, — doivent être supportés par le propriétaire.", "On insiste ensuite sur la bienveillance due au mercenaire, à cause de sa pauvreté, et on prescrit de lui payer promptement son salaire et de ne le frustrer en rien de ce qui lui est du, c’est-à-dire de le récompenser selon la valeur de son travail(1)Voy. Lévitique, chap. XIX, v. 13; Deutéronome, chap. XXIV, v. 14-15.. La bienveillance à son égard va si loin qu’on ne doit pas l’empêcher, ni lui, ni même la bête (jui travaille), de manger des aliments qui sont l’objet de leur travail, ainsi que le veulent les dispositions (traditionnelles) relatives à cette loi(2)L’auteur veut parler de la loi du Deutéronome, chap. XXIII, v. 25, qui permet à celui qui entre dans une vigne de manger des raisins à son appétit; selon la tradition, il s’agit ici du mercenaire employé aux travaux de la vigne. Voy. Talmud de Babylone, traité Baba Meci’a, fol. 87 b: בפועל הכתוב מדבר, et cf. la version chaldaïque d’Onkelos, qui rend les mots כי תבא, lorsque tu entreras, par ארי תתגר, lorsque tu travailleras comme mercenaire. Par les mots ni même la bête, l’auteur fait allusion au passage du Deutéronome, chap. XXV, v. 4, qui défend de museler le bœuf pendant qu’il foule le blé..", "Les lois sur la propriété embrassent aussi les héritages. La bonne morale veut que l’homme ne refuse pas de faire le bien à celui qui en est digne. Il ne doit donc pas, au moment où il va mourir, être jaloux de son héritier (naturel), et il ne doit pas prodiguer sa fortune, mais la laisser à celui d’entre les hommes qui y a le plus de droits, c’est-à-dire au plus proche parent: à son parent qui lui sera le plus proche de sa famille (Nombres, 27, 11). On a dit expressément, comme on sait, que c’est d’abord l’enfant(3)La version d’Ibn-Tibbon porte: שהבן קודם ואח״כ הבת; tous les mss. du texte arabe ont seulement אלולד, mot qui embrasse le fils et la fille., puis le frère, ensuite l’oncle (ibid., v. 8-10). Il doit avantager l’aîné de ses fils, premier objet de son amour, et ne doit pas se laisser guider par sa passion: il ne pourra pas donner le droit de premier-né au fils de la femme aimée (Deutér., 21, 16) La loi équitable a voulu conserver et fortifier en nous cette vertu, je veux dire celte d’avoir égard aux parents et de les protéger. Tu connais cette parole du prophète: Le cruel afflige son parent (Prov., 11, 17); la Loi, en parlant des aumônes, dit: A ton frère, à tes pauvres, etc. (Deutér., 15, 11), et les docteurs louent beaucoup la vertu de l’homme «qui s’attache ses parents et qui épouse la fille de sa sœur(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Yebamôth, fol. 62 b..»", "La loi nous a enseigné qu’il faut aller jusqu’au dernier point dans la pratique de cette vertu, c’est-à-dire que l’homme doit toujours avoir des égards pour son parent et attacher un grand prix aux liens de famille; et, lors même que son parent se serait montré hostile et méchant envers lui et aurait manifesté un caractère extrêmement vicieux, il faudrait néanmoins le traiter avec tous les égards dus à la parenté(2)Littéralement: il faut que celui qui est d’une proche parenté soit regardé avec un œil de bienveillance. Ibn-Tibbon traduit un peu librement: אי אפשר לו מבלתי שישא פנים לקרובו. La version d’Al-’Harîzi est plus près du texte arabe; elle porte: צריך להביט אליו בעין קריבה וחמלה.. Dieu a dit: Tu ne détesteras pas l’Iduméen, car il est ton fière (Deutér., 23, 8). De même, celui dont tu as eu besoin un jour, celui dont tu as tiré profit et que tu as trouvé dans un moment de détresse, dût-il même t’avoir fait du mal ensuite, tu dois nécessairement lui tenir compte du passé. Dieu a dit: Tu ne détesteras pas l’Égyptien, car tu as séjourné comme étranger dans son pays (ibid.). Cependant, on sait combien les Égyptiens nous ont fait de mal ensuite(3)Par les mots hébreux הרעו לנו מצרים, l’auteur fait allusion à un passage du Lvre des Nombres, chap. XX, v. 15.. — Tu vois combien de nobles vertus nous apprenons par ces commandements. Les deux derniers passages, il est vrai, n’appartiennent point à cette septième classe; mais, ayant parlé des égards dus aux parents dans les héritages, nous avons été amenés à dire un mot des Egyptiens et des Iduméens." ], [ "Les commandements que renferme la huitième classe sont ceux que nous avons énumérés dans le livre Zemannîm (des temps ou des époques). Tous, sauf un petit nombre, sont clairement motivés dans le texte (biblique).", "Quant à l’institution du sabbat, le motif en est trop connu pour avoir besoin d’être expliqué. On sait que, d’un côté, c’est le repos; on a voulu que chaque personne pût consacrer la septième partie de sa vie au plaisir et se reposer des fatigues et des peines auxquelles personne, ni petit, ni grand, ne peut échapper. D’un autre côté, on a voulu perpétuer dans les générations une grande et très-importante doctrine, celle de la nouveauté du monde(1)Voy. le tome II, chap. XXXI, où l’auteur parle également du double motif de l’institution du sabbat..", "L’institution du jeûne du jour des expiations est également bien motivée, car il sert à établir l’idée de la pénitence(2)Voy. Lévitique, chap. XXIII, v. 27 et suiv.; Nombres, chap. XXIX, v. 7 et suiv.. C’est le jour où le prince des prophètes apporta du Sinaï les secondes tables aux Israélites et leur annonça le pardon de leurs grands péchés(3)Voy. Exode, chap. XXXIV, v. 27-29. Selon la tradition, les quarante jours que Moïse passa une seconde fois sur le mont Sinaï comptent à partir du premier Eloul jusqu’au 10 Tischri, jour auquel Moïse vint annoncer aux Hébreux que le péché du veau d’or était pardonné. Voy. Pirké R. Éliézer, chap. XLVI.. Ce jour devint donc à perpétuité un jour de pénitence uniquement consacré au culte. C’est pourquoi on doit s’abstenir en ce jour de toute jouissance corporelle et de toute occupation relative à des intérêts matériels, je veux parler des travaux industriels. On doit se borner (ce jour-là) aux confessions, c’est-à-dire à confesser ses péchés et à s’en repentir.", "Les jours de fête sont tous destinés aux réjouissances et aux réunions amusantes, qui généralement sont nécessaires à l’homme, et ont aussi l’avantage de cimenter les amitiés qui doivent s’établir entre les hommes dans les sociétés civiles. Chacun de ces jours est particulièrement motivé.", "Le sujet de la Pâque est très-connu; si elle dure sept jours, c’est parce que la période de sept jours est une période moyenne entre le jour naturel et le mois lunaire(1)C’est-à-dire, les jours correspondent à une révolution apparente du soleil et la période de sept jours correspond aux phases de la lune.—Pour אליום אלטביעי, Ibn-Tibbon a mis היום השמשי. Cf. Ibn-Falaquéra, Append. du Moré ha-Moré, p. 158.. Tu sais aussi que cette période joue un grand rôle dans les choses physiques(2)Notamment dans les crises de certaines maladies, selon les théories des médecins arabes.. C’est pourquoi il en est de même dans les choses religieuses; car la religion imite toujours la nature et complète en quelque sorte les choses physiques. En effet, la nature n’a ni pensée, ni réflexion, tandis que la religion est la règle et le régime émanant de Dieu, dont tout être intelligent tient son intelligence. Mais ce n’est pas là le sujet de ce chapitre; nous revenons donc aux sujets dont nous nous occupons ici.", "La fête des Semaines est le jour de la révélation de la Loi(3)La Pentecôte, appelée dans l’Ancien Testament fête des Semaines, est, selon la tradition, l’anniversaire de la Révélation sur le Sinaï.. Pour glorifier et honorer ce jour, on compte(4)Au lieu du nom d’action עדה̈, quelques mss. ont le verbe עדת ; de même Ibn-Tibbon: נמנו הימים, et Al-’Harîzi: יספרו הימים. Mais pour que cette leçon fût admissible, il aurait fallu dire au commencement de la phrase ולתעטׄים, ou ומן אגׄל תעטׄים. les jours à partir de la première des fêtes jusque-là, comme quelqu’un qui attend l’arrivée de son meilleur ami et qui compte les jours et les heures. C’est là la raison pourquoi on compte le ’omer(5)C’est-à-dire, pourquoi on compte les jours à partir de l’oblation d’un omer de blé comme prémices. Voy. Lévitique, chap. XXIII, v. 15. Selon la tradition rabbinique, cette oblation avait lieu le lendemain de la fête de Pâque, ou le second des sept jours que dure cette fête. à partir du jour de la sortie d’Égypte jusqu’au jour de la révélation de la Loi, qui était le véritable but de cette sortie: Et je vous ai amenés vers moi (Exode, 19, 4). Ce grand spectacle ne dura qu’un jour, et de même on en célèbre le souvenir chaque année pendant un jour. Mais, si l’on ne mangeait le pain azyme que pendant un jour, on ne s’en apercevrait point, et la chose qu’il a pour objet de rappeler ne deviendrait pas manifeste; car il arrive souvent qu’on prend la même espèce de nourriture pendant deux ou trois jours. Ce n’est qu’en continuant de le manger pendant une période complète que la chose qu’il a pour objet devient claire et la signification manifeste.", "De même, la fête du commencement de l’année(1)C’est-à-dire, la fête célébrée le premier jour du septième mois (Lévitique, chap. XXIII, v. 24; Nombres, chap. XXIX, v. 1), et dont la tradition a fait plus lard le premier jour de l’année et l’anniversaire de la création. Voir Palestine, p. 184. ne dure qu’un jour; car c’est un jour où les hommes doivent faire pénitence et se réveiller de leur indolence. C’est pour cette raison qu’on sonne du schophar (cor) en ce jour, comme nous l’avons exposé dans le Mischné Tôrâ(2)Livre I, traité Teschoubà, de la pénitence, chap III, § 4., c’est en quelque sorte une préparation et une ouverture pour le jour de jeûne; aussi vois-tu que c’est un usage traditionnel, tiès-répandu dans notre communion, d’observer les dix jours à partir du commencement de l’année jusqu’au jour des expiations.", "La fête des Cabanes, consacrée à la gaîté et à la réjouissance, dure sept jouis pour en faire bien connaître l’objet. La raison pourquoi on la célèbre dans cette saison(3)C’est-à-dire, dans la même saison que la fête da commencement de l’année, ou dans l’automne. est expliquée dans la Loi: Quand tu auras recueilli des champs les produits de ton travail (Exode, 23, 16), c’est-à-dire au moment où, libre de soucis, tu te reposeras des travaux nécessaires. Aristote déjà a dit dans le neuvième livre de l’Éthique que c’était là, à ce qu’il paraît(1)Le mot ענדהם, que nous traduisons par à ce qu’il paraît, se trouve dans tous les mss. ar., mais a été omis par les deux traducteurs hébreux. Il signifie: selon eux, c’est-à-dire, selon l’opinion des Grecs, et paraît correspondre au mot φαίνονται dans le passage d’Aristote cité ci-après., un usage très-répandu parmi les nations dans l’antiquité. Voici comment il s’exprime: «Les sacrifices et les réunions (solennelles), chez les anciens, avaient lieu après la récolte des fruits; c’étaient en quelque sorte des sacrifices d’actions de grâce pour le repos(2)Ce passage est tiré à peu près textuellement, non du neuvième (comme le dit l’auteur), mais du huitième livre de l’Éthique à Nicomaque, chap. 11; en voici le texte grec: αἱ γàρ ἀρχαῖαι θυσίαι ϰαί σύνοδοι φαίνονται γίνεσθαι μετὰ τὰς τῶν ϰαρπῶν συγϰομιδὰς οἷον ἀπαρχαί · μαλιστα γàρ ἐν τοὑτοις ἐσχὀλαζον τοῖς ϰαιροῖς.—On pourrait croire que l’ordre des livres de l’Éthique, dans la version arabe, différait de celui de nos éditions; mais dans le commentaire d’Ibn-Roschd sur l’Éthique, dont nous avons la version hébraïque, l’ordre des livres est le même que dans celui du texte grec, et le passage indiqué par Maïmonide se trouve au VIIIe livre. Cf. ci-après, au commencement du chap. XLIX..» Telles sont ses paroles. Ensuite on peut facilement habiter la succa (cabane), dans cette saison, où il n’y a ni forte chaleur ni pluie incommode.", "Les deux fêtes des Cabanes et de la Pâque ont chacune pour objet une croyance et une pensée morale. En fait de croyance, la Pâque a pour objet de rappeler les miracles d’Égypte et d’en perpétuer le souvenir dans toutes les générations, et la fête des Cabanes, de perpétuer à jamais le souvenir des miracles du désert. La pensée morale, c’est que l’homme, dans le bien-être, doit se rappeler les jours de détresse, afin d’en manifester à Dieu toute sa reconnaissance et d’y puiser des leçons de soumission et d’humilité. Nous devons donc manger, pendant la fête de Pâque, des pains azymes et des herbes amères, afin de nous rappeler ce qui nous est arrivé. Et de même, nous devons quitter les maisons et demeurer dans des cabanes, comme font les malheureux habitants des campagnes et des déserts, afin de nous rappeler que telle fut jadis notre situation, — (afin que vos générations sachent) que j’ai fait demeurer les enfants d’Israël dans des cabanes (Lévitique, XXIII, 43), — et que, par la bonté de Dieu, nous avons été tirés de là pour aller habiter de splendides maisons dans une des plus belles et des plus fertiles contrées de la terre, en vertu des promesses qu’il avait faites à nos ancêtres, Abraham, Isaac et Jacob, hommes parfaits par leurs croyances et leurs vertus. En effet, c’est là aussi un des pivots de la religion, je veux dire (la croyance) que tout bienfait que Dieu nous accorde ou nous a accordé n’est dû qu’au mérite des patriarches qui ont observé la voie de l’Éternel en pratiquant la vertu et la justice(1)La phrase hébraïque que l’auteur emploie ici est tirée de la Genèse, chap. XVIII, v. 19; cf. Deutéronome, chap. VII, v. 8, chap. IX, v. 5, et chap. X, v. 15..", "La raison pourquoi la fête des Cabanes se termine par une seconde fête, qui est le huitième jour de clôture, c’est pour qu’on puisse en ce jour compléter les réjouissances auxquelles on ne saurait se livrer dans les cabanes, mais seulement dans les habitations spacieuses et dans les grands édifices.", "Quant aux quatre espèces (de plantes) formant le loulab(2)L’auteur emploie ici le mot loulab (לולב) pour désigner tout le faisceau composé de quatre plantes. Voy. Lévitique, chap. XXIII, v. 40; ce mot chaldéen désigne proprement: la branche de palmier, faisant partie des quatre plantes. Voy. Palestine, p. 188., les docteurs en ont donné une raison, à la manière des draschôth(3)Voy. le tome I, Introduction, p. 15, note 1. Dans le Midrasch, Wayyikra rabba, sect. 30 (fol. 171, col. 1), on donne plusieurs interprétations allégoriques des quatre plantes, et c’est à ces allégories que l’auteur fait ici allusion. Cf. Isaac Arâma, ’Akédâ, chap. 67 (édit, de Presbourg, in-8°, t. III, fol. 124 b à 126 b)., dont la méthode est connue de tous ceux qui savent comprendre les paroles des rabbins; ce sont chez eux comme de simples allégories poétiques, et ils ne veulent pas dire que ce soit là réellement le sens du texte(1)C’est-à-dire, les interprétations que les rabbins donnent dans les draschôth sont considérées par eux-mêmes, non pas comme le sens réel des textes bibliques, mais comme des allégories et des considérations morales et poétiques, qu’on peut rattacher à ces textes. Le suffixe dans le mot אנהא (qu’Ibn-Tibbon rend par שהם) se rapporte aux draschôth.. On a considéré les draschôth de deux manières différentes: les uns se sont imaginé que ce que les docteurs y ont dit est l’explication du véritable sens des textes; les autres, méprisant ces explications, en ont fait un sujet de plaisanterie, puisqu’il est de toute évidence que ce n’est pas là le sens du texte. Les premiers(2)Il est évident que les mots ודׄלך אלקסם, illa pars, ne peuvent se rapporter qu’à la première de ces deux opinions; aussi Ibn-Tibbon a-t-il traduit ces mots par והחלק הראשון. ont obstinément combattu pour défendre, selon leur opinion à eux, la vérité des draschôth(3)Littéralement: ont combattu et se sont obstinés pour avérer les draschôth, selon leur opinion, et les défendre. Sur le sens du verbe , cf. le t. I, p. 352, note 2., croyant que c’était là le vrai sens du texte (biblique), et qu’il fallait attribuer aux draschôth la même valeur qu’aux lois traditionnelles. Mais aucun des deux partis n’a voulu comprendre que ce n’étaient là que des allégories poétiques, dont le sens n’est point obscur pour l’homme intelligent. Cette méthode était très-répandue dans ces temps-là, et tout le monde l’employait, comme les poëtes emploient les locutions poétiques. Ainsi, par exemple, les docteurs disent: «Bar-Kappara a enseigné que là où il est dit: tu auras un pieu avec ton armure, אזנך (Deutér., 23, 14), il ne faut pas lire AZÉNEKHA (ton armure), mais OZNEKHA (ton oreille); et cela nous apprend que l’homme, lorsqu’il entend une chose inconvenante, doit se mettre le doigt dans l’oreille(4)Voy. Talmud de Babylone, traité Kethoubôth, fol. 15 a..» Or, je voudrais savoir si dans l’opinion des ignorants le docteur en question croyait réellement que ce passage devait s’expliquer ainsi, que tel était l’objet de ce commandement, et que par YATHED (pieu), il fallait entendre le doigt, et par AZÉNEKHA, les oreilles. Je ne pense pas qu’un seul homme de bon sens puisse croire cela. Mais c’est là une très-belle allégorie poétique par laquelle il a voulu inculquer une noble morale, à savoir qu’il est défendu d’entendre des paroles obscènes, de même qu’il est défendu de les prononcer; et il a rattaché cela à un passage biblique, à la manière des allégories poétiques. De même, toutes les fois qu’il est dit dans les draschôth: «il ne faut pas lire de telle manière, mais de telle autre», on doit l’entendre dans ce sens.—Je me suis écarté de mon sujet; mais c’est là une observation utile, dont tous les théologiens et rabbins intelligents peuvent avoir besoin. Je reprends maintenant la continuation de notre sujet.", "Selon moi, les quatre espèces formant le loulab indiquent la gaîté et la joie qu’éprouvèrent les Hébreux quand ils quittèrent le désert, qui était un lieu impropre aux semences, où il n’y avait ni figuier, ni vigne, ni grenadier, ni de l’eau à boire (Nombres, 20, 5), pour se rendre dans des lieux où il y avait des arbres fruitiers et des rivières. Pour en célébrer le souvenir, on prenait le fruit le plus beau et le plus odoriférant de ces lieux(1)Le suffixe הא dans תׄמרהא et dans les mots suivants se rapporte au pluriel מואצׄע, pour lequel quelques mss. ont incorrectement le singulier מוצׄע. Ibn-Tibbon, ayant reproduit cette dernière leçon (אל מקום הא׳לנות וגו׳), remplace ici le suffixe הא par le mot האדמה. Al-’Harîzi traduit plus exactement: ., leur feuillage(2)C’est-à-dire, les branches de palmier et de myrte. et leur plus belle verdure, à savoir des saules de rivière. Ces quatre espèces se distinguent par trois particularités: 1° Elles étaient dans ces temps-là très-fréquentes dans la terre d’Israël, de sorte que chacun pouvait se les procurer. 2° Elles sont d’un bel aspect, pleines de fraîcheur, et ont en partie une bonne odeur comme le cédrat et le myrte; quant aux branches de palmier et de saule, elles n’ont aucune odeur, ni mauvaise, ni bonne. 3° Elles conservent leur fraîcheur pendant une semaine, qualité que n’ont point les pêches, les grenades, les coings, les poires, etc." ], [ "Les commandements que renferme la neuvième classe sont ceux que nous avons énumérés dans le livre Ahabâ (de l’amour de Dieu). Ils sont tous clairement motivés, et la raison en est manifeste(1)Les mots טׄאהרה̈ אלעלה̈ ont été omis par Ibn-Tibbon. Al-’Harîzi traduit: וכולם ידועי הטעם גלויי העלה.; car toutes ces pratiques religieuses (qu’ils nous prescrivent) ont pour but de nous faire toujours penser à Dieu, de nous le faire aimer et craindre, de faire que nous obéissions à ses commandements en général, et que nous croyions à l’égard de Dieu ce que tout homme religieux doit nécessairement croire. Ces pratiques sont: la prière(2)Les rabbins rattachent le devoir de la prière à plusieurs passages du Pentateuque, où il est prescrit de servir ou d’adorer Dieu. Voy. Exode, chap. XXIII, v. 25; Deutéronome, chap. XIII, v. 5; Maïmonide, Sépher Miçwoth, préceptes affirmatifs, n° 5; Mischné Torâ, liv. II, traité de la Prière, chap. I, § 1., la lecture du Schema(3)C’est-à-dire, le devoir de lire le matin et le soir le passage du Deutéronome (VI, 4 et suiv.) qui commence par les mots Schéma’ YISRAEL, Écoute Israél. Voy. Mischnâ, Ire partie, traité Berakhôth, ch. I, § 1; Talmud, même traité, fol. 2 a et suiv.; Sépher Miçwoth, ibid., n° 10., la bénédiction du repas(4)Voy. Deutéronome, chap. VIII, v. 10; Sépher Miçwoth, ibid., n° 19. et leurs accessoires, la bénédiction des prêtres(5)Voy. Nombres, chap. VI, v. 23-26; Mischné Torâ, traité de la Prière, chap. XIV et XV., les phylactères(6)Voy. Exode, chap. XIII, v. 9 et 16; Deutéronome, ch. VI, v. 8, chap. XI, v. 18. Les rabbins prennent ces passages dans leur sens littéral et y voient la prescrip ion de porter au bras gauche et au froat de parchemins renfermant certains passages du Pentateuque. Ces parchemins, appelés Tephillin on phylactères (Évang. de Matihieu, XXIII, 5), devaient sans doute remplacer l’usage superstitieux des amulettes. Voy. Palestine, p. 369 a, note 2., l’inscription sur les poteaux des portes(1)Voy. Deutéronome, chap. VI, v. 9, et chap. XI, v. 20. Cet usage est analogue à celui des phylactères. Voy. Palestine, p. 364 b., l’acquisition du livre de la Loi et la lecture qu’on doit y faire à certaines époques(2)Le devoir pour chaque Israélite de posséder un exemplaire du livre de la Loi est rattaché par la tradition rabbinique à un passage du Deutéronome, chap. XXXI, v. 19. Voy. Mischné Torâ, liv. II, traité Sépher Torâ, chap. 7, § 1.. Toutes ces pratiques sont de nature à faire naître des pensées utiles; cela est clair et évident, et il serait inutile de dire un mot de plus, car je ne pourrais que me répéter." ], [ "Les commandements que renferme la dixième classe sont ceux que nous avons énumérés dans les traités de la Maison élue (ou du sanctuaire central), dans celui des ustensiles du sanctuaire et de ses ministres, et dans celui de l’entrée dans le sanctuaire(3)Ce sont les trois premiers traités du huitième livre du Mischné Torâ, intitulé ’Abôda (du culte). Tout ce livre a été traduit en latin par Louis de Compiègne de Veil et publié sous le titre: De Cultu divino, tractatus IX continens, Paris, in-4°, 1688.; nous avons déjà fait connaître, en général, l’utilité de cette classe.", "On sait que les idolâtres cherchaient à construire leurs temples et à ériger leurs idoles dans le lieu le plus élevé qu’ils pussent trouver: sur les hautes montagnes (Deutér., 12, 2). C’est pourquoi notre père Abraham choisit le mont Moriâ, qui était la plus haute montagne de ces contrées(4)Cf. Ézéchiel, chap. XX, v. 40, où la montagne du Temple est appelée הר מרום ישראל, la haute montagne d’Israël. Selon une tradition juive très-connue, le temple était situé sur le point le plus élevé de la Palestine. Cf. le commentaire de David Kim’hi au passage d’Ézéchiel., y proclama l’unité de Dieu, désigna la Kiblâ(1)On sait que les Arabes appellent ainsi l’endroit vers lequel il leur est prescrit de se tourner pendant la prière. Mahomet, à l’imitation des Juifs, avait d’abord désigné comme Kiblâ le temple de Jérusalem; mais plus tard il désigna celui de la Mecque. Voy. d’Herbelot, Bibliothèque orientale, édit. in-fol., p. 952. L’auteur emploie ici ce mot dans le même sens; la Kiblâ des Juifs était le Saint des Saints. Voy. Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 30 a: היה עומד בבית המקדש יכוין את לבו כנגד בית קדשי הקדשים. L’auteur va nous dire pourquoi cette partie du temple de Jérusalem était située à l’occident. Ibn-Tibbon, omettant les mots וכׄצץ אלקבלה̈, a traduit en abrégé ויחד המערב. Al-’Harîzi, cherchant à rendre l’idée du mot Kiblah, traduit: ושׄם כונת תפלתו מוגבלת לפאת מערב. et la fixa exactement à l’Occident. En effet, le Saint des Saints était à l’Occident, et c’est là ce qu’indiquent les docteurs en disant: «La majesté divine est à l’Occident(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Baba Bathra, fol. 25 a: ר׳ אבהו אומר שכינה במערב..» Les docteurs déjà ont exposé dans la Guemara du traité Yômâ que ce fut notre père Abraham qui détermina la Kiblâ, c’est-à-dire l’emplacement du Saint des Saints(3)J’ai vainement cherché un tel passage dans la Guemarâ de Yômâ, tant dans celle de Babylone que dans celle de Jérusalem. Voir les Additions et rectifications à la fin de ce volume.; et en voici, selon moi, la raison: Comme c’était alors une opinion très-répandue qu’on devait rendre un culte au soleil, qui passait pour Dieu, et comme sans doute tout le monde se tournait, en priant, vers l’Orient(4)Cf. Tacite, Hist., liv. III, chap. 24: «et orientem solem (ita in Syria mos est) tertiani salutavere.» Lipsius, dans ses Notes, cite à ce sujet des passages de plusieurs auteurs anciens qui prouvent que l’usage de se tourner, pendant la prière, vers l’orient existait chez les Grecs, chez les Romains et chez beaucoup d’autres peuples., notre père Abraham prit pour Kiblâ, sur le mont Moriâ, c’est-à-dire sur le lieu du sanctuaire, le côté occidendal, afin de tourner le dos au soleil. Ne vois-tu pas ce que firent les Israélites, lorsque leur défection(5)Le mot רדה̈ , défection, apostasie, n’a été rendu ni par Ibn-Tibbon, ni par Al-’Harîzi. et leur infidélité les firent revenir à ces anciennes opinions perverses? Ils tournaient le dos contre le temple de l’Éternel et la face vers l’Orient, se prosternant vers l’Orient devant le soleil (Ézéchiel, VIII, 16). Il faut te bien pénétrer de cette observation remarquable. Je ne doute pas, du reste. que ce lieu choisi par Abraham dans une vision prophétique ne fût connu de Moïse notre maître et de beaucoup d’autres personnes; car Abraham avait recommandé que ce lieu fût consacré au culte, comme le dit expressément le traducteur (chaldéen)(1)L’auteur veut parler de la paraphrase d’Onkelos au verset 14 du chap. XXII de la Genèse.: «Abraham adora et pria dans ce lieu et dit devant l’Éternel: Ici les générations futures adoreront, etc.» Si, dans le Pentateuque, cela n’est pas dit expressément et d’une manière positive, et si l’on y fait seulement allusion par les mots lequel Dieu choisira(2)Voy. Deutéronome, chap. XII, v. 11, 14, 18, 21, 26; chap. XV, v. 20; chap. XVI, v. 6; chap. XVII, v. 10. Dans tous ces passages, le lieu du futur sanctuaire est désigné par les mots אשר יבחר י״י, lequel Dieu choisira. Les mots אל המקום, qu’ont les éditions d’Ibn-Tibbon et la version d’Al-’Harîzi, ne se trouvent que dans un seul de nos mss. arabes et ne se rapportent qu’à deux passages (Deutér., XII, 26; XVI, 6), tandis que l’auteur parle en général de tous les passages que nous venons de citer., il y avait pour cela, ce me semble, trois raisons: 1° afin que les nations (païennes) ne cherchassent pas à s’emparer de ce lieu et ne se fissent pas une guerre violente pour le posséder, sachant que c’était la le lieu le plus important de la terre pour la religion (des Israélites); 2° afin que ceux qui le possédaient alors ne le détruisissent pas en le dévastant autant que possible; 3° et c’est ici la raison la plus forte, afin que chaque tribu ne cherchât pas à avoir ce lieu dans la portion qu’elle devait posséder, et à le conquérir, ce qui aurait causé des disputes et des troubles tels qu’il y en avait au sujet du sacerdoce. C’est pourquoi il fut ordonné de ne construire le sanctuaire central qu’après l’établissement de la royauté, afin qu’il appartînt à un seul de donner des ordres(1)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont שיצוה לבנותו; les mss. de cette version et le commentaire de Schem-Tob portent, conformément au texte arabe: עד שתהיה המצוה לאחד. Al-’Harîzi traduit dans le même sens: כדי שיהיה החפץ לאיש אחד., et que toute querelle cessât, comme nous l’avons exposé dans le livre Schophetim(2)Voy. Mischné Torâ, liv. XIV, traité des Rois et des Guerres, chap. I, §§ 1 et 2. Cf. Talmud de Babylone, traité Synhédrin, fol. 20 b..", "On sait encore que ces hommes là (les idolâtres) construisaient des temples aux planètes(3)Voy. ci-dessus, p. 226. et qu’on plaçait dans chaque temple la statue qu’on était convenu d’adorer, c’est-à-dire une statue consacrée à une certaine planète faisant partie d’une sphère(4)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent או לגלגל אחד; les mss. ont conformément au texte arabe: או לחלק מגלגל, ou à une portion d’une sphère. L’auteur, ce me semble, veut indiquer par ces mots que les astres, ou les corps lumineux des planètes, sont des êtres matériels comme la sphère dont ils font partie, et que ce ne sont pas des êtres purement spirituels, en dehors des sphères, comme les Intelligences séparées, dont il va être parlé un peu plus loin.. Il nous fut donc ordonné de construire un temple au Très-Haut et d’y déposer l’arche sainte contenant les deux tables qui renfermaient (ces deux commandements): Je suis l’Éternel, etc. et Tu n’auras pas d’autres dieux, etc.— On sait que l’article de foi concernant la prophétie doit précéder la croyance à la Loi; car, sans prophétie, il n’y a pas de Loi. Le prophète ne reçoit de révélation que par l’intermédiaire d’un ange; par exemple: Et l’ange de l’Éternel appela (Genèse, 22, 15), Et l’ange de l’Éternel lui dit (ibid., XVI, 9-11), et d’autres passages innombrables. Moïse lui-même fut initié à sa mission prophétique par un ange: L’auge de l’Éternel lui apparut au milieu du feu (Exode, 3, 2)(5)Nous ferons observer ici en passant que Maïmonide lui-même prend le mot לבת dans le sens de milieu. Voy. t. I, chap. XXXIX, p. 142. C’est par inadvertance qu’au t. II, ch. VI, p. 73, nous avons reproduit la traduction ordinaire: «dans une flamme de feu.». Il est donc clair que la croyance à l’existence des anges doit précéder la croyance au prophétisme, et que cette dernière doit précéder la croyance à la Loi. Or, comme les Sabiens ignoraient l’existence de Dieu et s’imaginaient que l’Être éternel, qui n’a jamais pu ne pas exister, était la sphère céleste avec ses astres, dont les forces s’épanchaient sur les idoles et sur certains arbres, comme les Aschérôth(1)Voy. ci-dessus, chap. XXIX, p. 234, note 4., ils croyaient que c’étaient les idoles et les arbres qui inspiraient les prophètes, leur faisaient des révélations en leur parlant, et leur faisaient savoir ce qui était utile ou nuisible; et ces opinions, nous les avons déjà exposées, en parlant des prophètes de Baal et des prophètes d’Aschérâ(2)Voy. ibid., p. 228.. Mais quand la vérité se manifesta aux hommes et quand on sut, à l’aide de démonstrations, qu’il existe un être qui n’est ni un corps, ni une force dans un corps, à savoir le Dieu véritable et unique, qu’en outre il existe d’autres êtres, séparés(3)Voy. le t. II, p. 31, note 2. et incorporels, sur lesquels s’épanche l’être divin(4)Au lieu de וגׄודה, son être, son existence, la version d’Ibn-Tibbon a inexactement טובו ואורו; Al-’Harîzi traduit: והם אשר נאצל עליהם מציאותו ית׳. et qui sont les anges, comme nous l’avons exposé(5)Voy. le t. I, chap. XLIX; le t. II, chap. VI, où l’auteur expose que par les anges il faut entendre les Intelligences séparées., et enfin, que tous ces êtres sont en dehors de la sphère céleste et de ses astres, alors on fut convaincu que c’étaient ces anges qui en réalité faisaient des révélations aux prophètes, et non pas les idoles et les Aschérôth. Ainsi, il est clair, par ce qui précède, que la croyance à l’existence des anges se rattache à celle qui a pour objet l’existence de Dieu, et qu’elle sert à établir la vérité de la révélation prophétique et de la Loi. Pour confirmer cet article de foi, Dieu ordonna de placer au-dessus de l’arche l’image de deux anges(6)L’auteur veut parler des deux chérubins, figures symboliques, placés au-dessus de l’arche sainte (voy. Palestine, p. 157), et qui, selon lui, représentaient les Intelligences séparées ou les anges proprement dits. Si, dans un autre endroit (ci-dessus, chap. III), l’auteur identifie les chérubins d’Ézéchiel avec les ’hayyôth ou sphères célestes, il veut dire seulement que ces dernières aussi ont reçu le nom de chérubin, parce que tous les êtres exerçant une certaine influence sur la terre et chargés d’une mission divine sont appelés anges. Voy. le chap. VI de la IIe partie, p. 68., afin de consolider la croyance du peuple à l’existence des anges, croyance vraie, qui est la seconde après la croyance à l’existence de Dieu, ainsi que le principe de la prophétie et de la Loi, et la négation de l’idolâtrie, comme nous l’avons exposé. S’il n’y avait eu qu’une seule figure, je veux dire la figure d’un seul chérubin, elle aurait pu donner lieu à l’erreur et on aurait pu croire que c’était une figure sous laquelle on adorait Dieu, comme faisaient les idolâtres, ou bien aussi qu’il n’y avait qu’un seul individu ange(1)C’est-à-dire: on aurait pu croire aussi, en prenant la figure unique pour un ange, qu’il n’existait qu’un seul ange, ou une seule Intelligence séparée, à côté de Dieu, et qu’il y avait en quelque sorte deux dieux. — Tous les mss. arabes ont ואן אלמלאך, et de même Al-’Harîzi וכי המלאך, et aussi que l’ange, etc. La version d’Ibn-Tibbon porte או שהמלאך, ou que l’ange, ce qui, en effet, est plus conforme au sens., ce qui aurait conduit à une espèce de dualisme. Mais, comme on fit deux chérubins, à côté de la déclaration expresse que l’Éternel notre Dieu est un (Deutér., 6, 4), on confirmait par là la croyance à l’existence des anges, et on établissait qu’ils étaient plusieurs. On ne risquait donc pas de se tromper et de les prendre pour Dieu, puisque Dieu est un et que c’est lui qui a créé cette pluralité (des Intelligences).", "Au devant(2)Le suffixe dans אמאמה (Ibn-Tibbon לפניו) paraît se rapporter à l’arche (ארון), mentionnée un peu plus haut, ou au Saint des Saints, auquel l’auteur se reporte dans sa pensée. était placé le chandelier en signe d’honneur et de respect pour le temple; car ce temple, toujours éclairé par des lampes et séparé (du Saint des Saints) par un voile(3)La tradition d’Ibn-Tibbon הנסתר בפרוכת, caché par nu voile, n’est pas exacte. Al-’Harîzi traduit plus exactement: ומסד מבדיל תלוי, et où était suspendu un voile qui le séparait. Mais il faut sous-entendre le nom du lieu dont le temple était séparé par un voile; c’est évidemment le lieu mystérieux du Saint des Saints, qui n’était accessible qu’au grand prêtre, le jour des expiations. — Le mot מעלה, par lequel Ibn-Tibbon rend le mot arabe , ne me paraît pas non plus bien choisi; la version d’Al-’Harîzi porte: יש בו אימה גדולה. L’auteur veut dire que ces lampes toujours allumées et le mystère que cachait ce grand voile avaient quelque chose de très-imposant, qui devait fortement impressionner l’âme et lui inspirer une sainte terreur., devait fortement impressionner l’âme. Tu sais quelle importance la Loi attache à ce qu’on soit pénétré de la grandeur du sanctuaire et du respect qui lui est dû, afin qu’en le contemplant l’homme ait le sentiment de sa faiblesse et devienne humble. Il est dit: Vous serez pénétrés de respect pour mon sanctuaire (Lévit., 19, 30); et, pour donner plus de force à cette recommandation, on l’a jointe à celle de l’observance du sabbat. ", "— L’autel des parfums, l’autel des holocaustes et leurs ustensiles étaient d’une nécessité évidente(1)L’auteur veut dire que, puisque le culte des sacrifices était admis, il fallait nécessairement dans le temple tout l’appareil qu’exigeait ce culte.. Quant à la table et au pain qui devait y être continuellement exposé(2)Voy. Exode, chap. XXV, v. 23-30; Palestine, p. 157 a., je n’en connais pas la raison, et jusqu’à ce moment je n’ai rien trouvé à quoi je puisse attribuer cet usage.", "Quant à la défense de tailler les pierres de l’autel(3)Ibn-Tibbon, se servant des paroles du texte biblique (Exode, XX, 22; Deutér., XXVII, 5), a ainsi paraphrasé ces mots: אבל האזהרה מהיות אבני המזבח גזית שלא יניף עליהם ברזל., tu sais la raison que les docteurs en ont donnée: «Il ne convient pas, disent-ils, que ce qui abrège la vie soit porté sur ce qui la prolonge(4)Voy. Mischnâ, Ve partie, traité Middôth, chap. III, § 4: «Le fer (y est-il dit) a été créé pour abréger la vie de l’homme, tandis que l’autel a été créé pour la prolonger; il ne convient pas que ce qui l’abrège soit porté sur ce qui la prolonge.».» Cela est bon selon la manière des draschôth, comme nous l’avons dit; mais cette défense a une autre raison manifeste. C’est que les idolâtres construisaient les autels avec des pierres polies; on a donc défendu de faire comme eux, et, pour éviter cette imitation, on a ordonné de faire l’autel en terre, comme il est dit: Tu me feras un autel de terre (Exode, 20, 21). Cependant, s’il devenait indispensable de le faire en pierre, ces pierres devront du moins avoir leur forme naturelle et ne pas être polies. C’est ainsi qu’on a défendu aussi d’ériger des pierres ornées de figures et de planter des arbres près de l’autel(1)Voy. Lévitique, ch. xxvi, v. 1, et Deutéronome, ch. xvi, v. 21. Par ר אבן משכית, pierre figurée ou ornée de figures, il faut probablement entendre les obélisques et autres monuments portant des inscriptions hiéroglyphiques.. Tout cela a un seul et même but, à savoir que nous n’adorions pas Dieu sous les formes individuelles des cultes(2)Mot à mot: sous la forme partielle de leurs cultes; c’est-à-dire, que nous n’adorions pas le Dieu universel sous une forme partielle ou individuelle, en le représentant sous l’image d’un être quelconque dans la nature. qu’ils (les païens) rendaient à leurs divinités, et cela a été défendu d’une manière générale en ces termes: Comment ces peuples adorent-ils leurs dieux? Je veux en faire autant (Deuter., XII, 30), ce qui veut dire qu’on ne doit pas en agir ainsi à l’égard de Dieu, par la raison énoncée ensuite: Tout ce qui est en abomination à l’Éternel, tout ce qu’il hait, ils l’ont fait à leurs dieux (ibid., v. 31).", "Tu sais aussi combien était répandu dans ces temps-là le culte de Pe’ôr, qu’on célébrait en se découvrant les parties honteuses(3)Cf. Mischnâ, IVe partie, traité Synhédrin, chap. VII, § 6; Talmud de Babylone, même traité, fol. 106 a. Il résulte du livre des Nombres, chap. XXV, v. 3, que le culte de Baal-Peôr ou Phégor, dieu des Moabites, se célébrait par des obscénités. Cf. Hosée, chap. IX, v. 10, et le commentaire de saint Jérôme à ce verset: «Ipsi autem educti de Egypto fornicati sunt cum Madianitis, et ingressi sunt ad Beelphegor, idolum Moabitarum, quem nos Priapum possumus appellare.. C’est pourquoi il fut ordonné aux prêtres de se faire des caleçons pour couvrir leur nudité (Exode, 28, 42) pendant l’office, et néanmoins ils ne devaient pas monter à l’autel par des gradins (comme il est dit): afin que la nudité ne soit pas découverte (Exode, 20, 23).", "Le temple devait toujours être gardé, et on devait faire la ronde à l’entour pour l’honorer et le faire respecter(1)Voy. Nombres, chap. XVIII, v. 2 à 7; Mischnâ, Ve partie, traité Tamid, chap. I, et traité Middôth, chap. I., et afin qu’il ne fût pas envahi par les profanes(2)Par אלגׄהאל, les ignorants, l’auteur entend sans doute ici le profanum vulgus, ceux qui ne font pas partie de l’ordre des savants de profession; c’est-à-dire, ceux qui ne sont ni prêtres, ni lévites, et auxquels il était interdit d’entrer dans l’intérieur du temple. Voy. Nombres, l. c., v. 4., les impurs et ceux qui sont dans un état de malpropreté(3)C’est-à-dire, même par les prêtres entachés d’une impureté légale, ou qui se trouvent dans un état de malpropreté, ayant les cheveux ou les vêtements en désordre, ou ayant négligé de se laver. Voy. Lévitique, chap. X, v. 6; Exode, chap. XXX, v. 19-21; Mischné Torâ, liv. III, traité Biath ha-Mikdasch, chap. V. — Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots בעת האנינות וכל מי שלא רחץ גופן sont une double traduction des mots arabes פי חאל שעתׄ; en écrivant בעת האנינות, dans un moment de deuil, Ibn-Tibbon a pensé à Aaron et à ses fils, à qui il fut défendu d’avoir, pendant leur deuil, les cheveux en désordre et les vêtements déchirés (Lévit., X, 6); mais cette défense est prise par la loi traditionnelle dans un sens plus général. Voy. Maïmonide, Sépher Miçwôth, préceptes négatifs, nos 163 et 164. Sur le sens du mot arabe שעתׄ, cf. ci-dessus, p. 254, note 1., comme on l’exposera. Ce qui, entre autres choses, devait contribuer à glorifier le sanctuaire et à le faire honorer de manière à lui assurer notre respect, c’était d’en défendre l’entrée aux hommes ivres(4)Voy. Lévitique, chap. X, v. 9; Sépher Miçwôth, préceptes négatifs, n° 73; Mischné Torâ, l. c., chap. I., aux impurs et aux hommes mal soignés, c’est-à-dire ayant les cheveux en désordre et les vêtements déchirés, et de tenir à ce que tout desservant se sanctifiât les mains et les pieds(5)C’est-à-dire, en les lavant selon la prescription de la loi (Exode, chap. XXX, v. 19-21); Mischné Torâ, l. c., chap. V..", "C’est encore pour honorer le temple qu’on a prescrit d’honorer ses desservants; on a désigné particulièrement (pour le service) les prêtres et les lévites, et on a donné aux prêtres un costume splendide, très-beau et très-élégant: des vêtements sacrés en signe d’honneur et de magnificence(1)Ces derniers mots sont tirés de l’Exode, chap. XXVIII, v. 2, où à la vérité ils ne se rapportent qu’au costume du grand prêtre, qui, en effet, pouvait être appelé splendide et précieux, tandis que celui des prêtres ordinaires était très-simple. Sur le costume des prêtres, voy. Michné Torâ, liv. VIII, traité des Ustensiles du Sanctuaire, chap. VIII à X; cf. Palestine, p. 174 et suiv.. On ne devait point admettre au service celui qui avait un défaut corporel, et ici il ne s’agit pas seulement de celui qui était affligé d’une infirmité, mais les difformités aussi rendaient les prêtres impropres (au service)(2)Voy. Lévitique, chap. XXI, v. 16-21. Le verbe תפסול, qui est hébreu et qui appartient au langage talmudique, a été mis ici à la 3e personne du féminin singulier, conformément aux règles de la grammaire arabe, et se rapporte au féminin pluriel אלסמאגׄאת; la version d’Ibn-Tibbon a פוסלים בכהנים. La singularité de cette construction arabe d’un verbe hébreu a donné lieu à une variante, , qu’on trouve dans plusieurs mss. C’est cette variante qu’a reproduite Al-’Harîzi, qui traduit: אלא הכעורים כשנוי הבריה כדי לכבד הבהנים., comme il a été exposé dans l’explication traditionnelle de ce commandement(3)Voy. Mischnâ, Ve partie, traité Bekhôrôth, chap. VII.; car le vulgaire n’apprécie pas l’homme par ce qui est sa forme véritable(4)Par la forme véritable de l’homme, l’auteur entend l’âme rationnelle ou l’intelligence., mais par la perfection de ses membres et la beauté de ses vêtements. Tout cela a pour but de faire honorer et respecter le temple par tout le monde. ", "— Quant au lévite, qui n’était pas chargé d’offrir les sacrifices et qui n’était point censé implorer le pardon pour les péchés, — comme cela est dit des prêtres: Il fera propitiation pour lui, ou pour elle (Lévitique, IV, 26; XII, 8, et passim), — mais qui n’avait d’autre fonction que de réciter les cantiques, il ne devenait impropre au service qu’en perdant la voix(1)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Hullîn, fol. 24 a: בשילה ובבית עולמים אין נפסלים אלא בקול Cf. Mischné Torâ, l. c., chap. III, § 8.. En effet, ce que le chant a pour but, c’est de faire que les paroles exercent une plus profonde impression sur les âmes; or, l’âme n’est impressionnée que par les mélodies douces, avec accompagnement d’instruments de musique, comme cela avait toujours lieu dans le sanctuaire. ", "— Même aux prêtres aptes au service, qui se tenaient dans le sanctuaire, il n’était pas permis de s’y asseoir, ni d’entrer à tout moment dans l’intérieur du temple, ni d’entrer jamais dans le Saint des Saints, à l’exception du grand prêtre (qui pouvait y entrer au jour des expiations quatre fois, pas plus(2)Voy. Lévitique, chap. XVI, v. 2; Talmud de Babylone, traité Mena’hôth, fol. 27 b; Maïmonide, Sépher Miçwôth, préceptes négatifs, n° 68; Mischné Torâ, traité Biath ha-Mikdasch, chap. II, §§ 1 à 6. — Par מקדש, sanctuaire, il faut entendre ici toute l’enceinte, y compris les ’azarôth (parvis ou cours). Là, dit l’auteur, il n’était pas permis de s’asseoir, comme le porte la loi traditionnelle (voy. Talmud de Babylone, traité Sôtâ, fol. 40 b; Synhédrin, fol. 101 b; Mischné Torâ, liv. VIII, traité Bêth ha-Be’hîrâ, chap. VII, § 6). Par Hekhal, on entend le temple proprement dit, où les prêtres ne pouvaient entrer que lorsque leurs fonctions les y appelaient; mais jamais ils ne pouvaient entrer dans le Saint des Saints, où le grand prêtre seul pouvait pénétrer au jour des expiations.; et tout cela par respect pour le sanctuaire.", "Puisque, dans ce lieu saint, on égorgeait chaque jour beaucoup d’animaux, qu’on y découpait et brûlait des chairs, et qu’on y lavait les intestins(3)Voy. Lévitique, chap. I, v. 6 à 9, et passim., il est certain que, si on l’avait laissé dans cet état, il aurait exhalé une odeur pareille à celle des boucheries. C’est pourquoi il a été ordonné d’y brûler des parfums deux fois par jour, le matin et l’après-midi, pour y répandre une bonne odeur et pour parfumer les vêtements de tous ceux qui y faisaient le service. Tu sais ce que disent les docteurs: «A partir de Jéricho on sentait l’odeur des parfums(4)Voy. Mischnâ, Ve partie, traité Tamid, chap. III, § 8..» Cela servait également à entretenir le respect du sanctuaire. Mais si celui-ci n’avait pas eu une bonne odeur, et à plus forte raison si le contraire avait eu lieu, il en serait résulté le contraire du respect; car l’âme s’épanouit aux bonnes odeurs et s’y trouve attirée, tandis qu’elle se ferme aux mauvaises odeurs et les fuit. ", "— Quant à l’huile d’onction(1)Voy. Exode, chap. XXX, v. 22-23., elle avait un double avantage: (d’une part) elle donnait une bonne odeur à la chose qui en était imprégnée, et (d’autre part) elle inspirait le respect pour cette chose ointe, la sanctifiait et la distinguait des autres choses de la même espèce, n’importe que ce fût un individu humain, ou un vêtement, ou un vase. Tout cela devait conduire au respect du temple, qui, à son tour, devait inspirer la crainte de Dieu; car, en y entrant, on était impressionné, et les cœurs durs s’adoucissaient et s’amollissaient. Et c’est pour les amollir et les rendre humbles que Dieu, par ses décrets lointains(2)C’est-à-dire, par les décrets de sa Providence, qui est de toute éternité. Les mots hébreux עצות מרחוק sont empruntés à Isaïe, chap. XXV, v. 1., a usé de toute cette sagesse prévoyante, afin que, par la fréquentation du temple, ils devinssent accessibles aux préceptes divins, qui nous servent de guides, et parvinssent à la crainte de Dieu, comme il est dit clairement dans le texte du Pentateuque: Tu consommeras devant l’Éternel ton Dieu, à l’endroit qu’il choisira pour y faire résider son nom, la dîme de ton blé, de ton vin nouveau, de ton huile nouvelle, des premiers-nés de ton gros et de ton menu bétail, afin que tu apprennes à craindre toujours l’Éternel ton Dieu (Deutér., 14, 23). Tu comprendras maintenant quel était le but qu’on avait en vue en prescrivant toutes ces choses. — La raison pourquoi il était défendu d’imiter l’huile d’onction et les parfums est très-claire: c’était, d’une part, afin que cette odeur ne fût sentie que dans ce lieu saint et que l’impression en fût d’autant plus grande, et, d’autre part, afin qu’on ne pût croire que tous ceux qui étaient oints de cette huile ou d’une huile semblable fussent des hommes de distinction, ce qui aurait pu donner lieu à de graves inconvénients et à des querelles.", "S’il a été ordonné de transporter l’arche sur les épaules, et non sur des chariots, il est clair que c’était pour lui témoigner du respect(1)Voy. Nombres, chap. IV, v. 1 à 15; I Chron., chap. XV, v. 15; Talmud de Babylone, traité Sôtâ, fol. 35 a; Maïmonide, Sépher Miçwôth, préceptes affirmatifs, n° 34; Mischné Torâ, traité des Ustensiles du Sanctuaire, chap. II, § 12. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot מפני est une faute d’impression; il faut lire אופני ההגדלה, comme l’ont les mss.; on ne devait rien altérer dans sa forme, et on ne devait même pas sortir les barres des anneaux(2)C’est-à-dire, on ne devait jamais rien changer à la forme dans laquelle l’arche avait été construite, ni même en altérer la disposition en sortant les barres, qui servaient à la porter, des anneaux dans lesquels elles étaient engagées. Voy. Exode, chap. XXV, v. 15; Talmud de Babylone, traité Yômâ, fol. 72 a; Sépher Miçwôth, préceptes négatifs, n° 86; Mischné Torâ, l. c., § 13.. De même on ne devait point altérer la forme de l’Éphôd et du pectoral, ni même les écarter l’un de l’autre(3)Voy. Exode, chap. XXVIII, v. 28; Talmud de Babylone, l. c.; Sépher Miçwôth, ibid., n° 87; Mischné Torâ, l. c., chap. IX, § 10. — Sur l’Éphod et le pectoral, voy. Palestine, p. 176.. Tous les vêtements des prêtres devaient être tissés d’une pièce(4)Littéralement: la fabrication de tous les vêtements devait être solidement achevée dans le tissu. Voy. Talmud de Babylone, traité Yômâ, fol. 72 b: בגדי כהונה אין עושין אותן מעשה מחט אלא מעשה אורנ. Cf. Josèphe, Antiquités, liv. III, chap. VII, § 2. Cependant, les manches de la tunique, disent les talmudistes (ibid.), étaient tissées à part et cousues sur le vêtement. Cf. Mischné Torâ, l. c., chap. VIII, § 16., sans être ni taillés ni coupés, afin que la forme du tissu ne fût point altérée. ", "— Il était interdit aussi à chacun des serviteurs du sanctuaire de se charger des fonctions des autres(5)Voy. Nombres, chap. IV, v. 19 et 49; Talmud de Babylone, traité Arakhîn, fol. 11 b; Mischné Torâ, l. c., chap. III, § 10.; car lorsque les fonctions sont confiées à plusieurs personnes, sans que l’on assigne à chacune(1)Tous nos mss. portent אלמכאלה̈ (le כ sans point; il faut peutêtre écrire , qui aurait ici le sens de . Le verbe signifie mettre quelqu’un en possession d’une chose. Voy. le Commentaire sur les Séances de Hariri, p. 246: . Mais il se peut aussi que l’auteur ait écrit incorrectement אלמכאלה̈ pour du verbe , charger quelqu’un d’une chose, la lui confier. une fonction particulière, il arrive que tous les négligent et se relâchent.", "— Il est évident aussi que cette gradation qu’on a établie pour les différents lieux (du sanctuaire)(2)Voy. Mischnâ, VIe partie, traité Kelîm, chap. I, §§ 8 et 9., en prescrivant des dispositions particulières pour la montagne du temple, pour le ’hêl ou boulevard(3)C’était un espace large de dix coudées situé entre la balustrade extérieure et le mur de l’enceinte sacrée. Voy. sur cet espace, Mischnâ, Ve partie, traité Middôth, chap. II, § 3; cf. en général Palestine, p. 552 et suiv., pour la cour des femmes, pour le parvis, et ainsi de suite jusqu’au Saint des Saints, que tout cela (dis-je) avait pour but de rendre au temple un plus grand hommage et d’inspirer un plus grand respect à tous ceux qui l’abordaient.", "Et maintenant nous avons motivé tous les commandements particuliers qui entrent dans cette classe." ], [ "Les commandements que renferme la onzième classe sont ceux que nous avons énumérés dans le reste du livre ’Abôdâ (du culte) et dans le livre Korbanôth (des sacrifices). Nous avons déjà parlé de leur utilité en général(4)Voy. ci-dessus, chap. XXXII., et maintenant nous entreprendrons d’en indiquer les raisons en détail, autant que nous avons cru les comprendre. Voici donc ce que nous disons.", "On lit dans le texte du Pentateuque, selon l’explication d’Onkelos, que les anciens Égyptiens adoraient la constellation du Bélier; c’est pourquoi il était interdit chez eux d’immoler les brebis, et ils avaient en abomination les bergers, comme il est dit: C’est l’objet du culte des Égyptiens que nous immolerons, etc. (Exode, 8, 22)(1)Le mot תועבה, qui signifie abomination, doit être pris, dans ce passage, dans le sens de divinité, objet de culte. Les écrivains sacrés, pour ne pas profaner les noms de la Divinité, emploient souvent, en parlant des divinités païennes, des termes de mépris, comme תועבה ou שקוץ, abomination. Voy., par exemple, I Rois, ch. XI, v. 5 et 7; II Rois, ch. XXIII, v. 13; Isaïe, ch. XLIV, v. 19. C’est dans le même sens qu’Onkelos, dans sa paraphrase chaldaïque au passage de l’Exode, rend le mot תועבה par בעירא דמצראי דחלין לה, «l’animal auquel les Égyptiens rendent un culte» (cf. la même paraphrase à la Genèse, chap. XLIII, v. 32); mais nous ne savons pas où Maïmonide a vu qu’Onkelos parle de la constellation du bélier, adorée par les Égyptiens, à moins qu’il n’ait attribué ce sens au mot בעירא. — La seconde citation, qui se trouve dans tous les mss. ar., manque dans les versions d’Ibn-Tibbon et d’Al-’Harîzi.; Car les Êgyptiens ont en abomination tout pasteur de brebis (Genèse, 46, 34). De même certaines sectes des Sabiens qui adoraient les démons croyaient que ceux-ci prenaient la forme de boucs; c’est pourquoi ils donnaient aux démons le nom de boucs. Cette opinion était très-répandue du temps de Moïse, notre maître: et afin qu’ils n’offrent plus leurs sacrifices aux boucs (Lévit., 17, 7); c’est pourquoi ces sectes aussi s’abstenaient de manger des boucs(2)Voy. sur ce passage, Spencer, De legibus ritualibus Hebrœorum, liv. III, Dissert. VIII, chap. VII: Expiatio judaica cur Hircis prœcipue prœstita (édition de Cambridge, p. 1015).. Quant à l’immolation des bœufs, elle était en abomination à presque tous les idolâtres, et tous tenaient cette espèce en grand honneur(3)Voy. ci-dessus, chap. XXX, p. 244, note 4.. C’est pourquoi tu trouveras que les Indous jusqu’à notre temps n’immolent jamais l’espèce bovine, même dans les pays où ils immolent(4)Tous les mss. portent אלתי תדׄבח סאיר וגו׳, de sorte que הדׄבח ne peut être qu’un verbe actif dont le sujet est אלבלאד, littéralement: dans les pays qui immolent; de même Ibn-Tibbon: בארצות אשר ישחטו שאר וגו׳. Al-’Harîzi traduit: בארצות אשר ישחטו שם שאר מיני החיות, ce qui est moins littéral, mais plus rationnel. — Ce que l’auteur dit ici des Indous n’est vrai, dans le sens absolu, qu’en ce qui concerne la vache, pour laquelle les Indous professaient une grande vénération et qui était inviolable. Mais ils partageaient aussi avec d’autres peuples de l’antiquité le respect pour l’espèce bovine en général. Voy. Bohlen, Das alte Indien, t. I, p. 253 et suiv. Sur les croyances analogues des Égyptiens, voy. Spencer, l. c., liv. II, ch. XV, sect. 2 (éd. de Cambridge, p. 372 et suiv.) d’autres espèces d’animaux. C’est donc pour effacer les traces de ces opinions malsaines qu’il nous a été prescrit de sacrifier particulièrement ces trois espèces de quadrupèdes: des bœufs ou du menu bétail vous offrirez votre sacrifice (Lévit., 1, 2), afin qu’on s’approchât de Dieu par cet acte même qu’ils considéraient comme le plus grand crime et qu’on cherchât dans cet acte le pardon des péchés. C’est ainsi qu’on cherchait à guérir les idées corrompues, qui sont les maladies de l’âme humaine, au moyen de l’extrême opposé. ", "Ce fut précisément dans le même but qu’on nous ordonna d’immoler l’agneau pascal, et, en Egypte, d’asperger de son sang le dehors des portes, afin que nous fussions affranchis de ces opinions, et qu’en publiant le contraire nous fissions partager (aux Egyptiens) la croyance que l’acte qu’ils considéraient(1)Le texte porte: , et de même la version d’Ibn-Tibbon: אשר תחשבו בו, que vous considérez. Sur cet emploi irrégulier du discours direct, cf. le t. I, p. 283, note 4, et ci-dessus, p. 289, note 1. comme pouvant causer la mort était au contraire ce qui sauvait de la mort: Et l’Éternel passera devant la porte et ne permettra pas au destructeur d’entrer dans vos maisons pour frapper (Exode, 12, 23), en récompense de ce qu’ils avaient publiquement exercé leur culte et repoussé les absurdités professées par des idolâtres(2)Plus littéralement: et fait cesser ce que faisaient ou croyaient absurdement les idolâtres. Le verbe doit être pris ici dans le sens de faire ou croire des absurdités, et non pas comme à l’ordinaire dans celui de réputer absurde. Ibn-Tibbon traduit selon le sens: בעשות כל מה שהיו מרחיקין עובדי ע״ז. Al-’Harîzi traduit plus littéralement: ובהסיר מה שהיו נזהרין בו; il a exactement rendu le sens du mot arabe אזאלה̈, mais il ne s’est pas bien rendu compte du verbe אסתשנע..", "— Telle est donc la raison pour laquelle ces trois espèces ont été particulièrement choisies pour les sacrifices. En outre, ces espèces sont des animaux domestiques(1)Ibn-Tibbon a omis le mot אהליה̈, domestiques: Al-’Harîzi traduit: מצואים בישוב ובכל מקום. qui existent en grand nombre; les idolâtres au contraire sacrifiaient(2)Mot à mot: et non pas comme les pratiques des idolâtres qui sacrifiaient, etc. — Sur le livre Tomtom, voy. ci-dessus, p. 240, note 1. des lions, des ours et d’autres bêtes sauvages, comme on le dit dans le livre Tomtom.", "Comme la plupart des gens n’ont pas les moyens d’offrir un quadrupède, on a prescrit d’offrir aussi comme sacrifice les oiseaux les plus fréquents en Syrie, les meilleurs et les plus faciles à prendre: ce sont les tourterelles et les jeunes colombes(3)Voy. Lévitique, chap. V, v. 7 et passim.. Celui qui n’était pas en état d’offrir même un oiseau pouvait offrir de la pâtisserie cuite d’une des différentes manières de cuire connues dans ces temps-là, soit au four, soit sur la plaque, soit dans une poêle; celui qui avait de la difficulté à offrir de la pâtisserie pouvait offrir de la fleur de farine(4)Voy. Lévitique, chap. II, v. 1-11.. Toutes ces prescriptions s’adressaient à ceux qui avaient la volonté (d’offrir des sacrifices)(5)Le texte s’exprime d’une manière très-concise: tout cela pour celui qui voulait. L’auteur veut dire que le législateur, par toutes ces prescriptions, ne voulait que réglementer les sacrifices pour ceux qui pratiquaient volontairement ce genre de culte; car, comme l’auteur l’a développé plus haut (chap. XXXII), le culte des sacrifices n’était qu’un accommodement aux usages du temps et plutôt toléré qu’ordonné.. — Ensuite il est dit expressément que, si nous ne pratiquions point ce genre de culte, je veux dire celui des sacrifices, nous ne serions par là entachés d’aucun péché: Si tu t’abstiens de faire des vœux, il n’y aura en toi aucun péché (Deutér., 23, 23).", "Puisque les idolâtres n’offraient le pain que fermenté, qu’ils offraient fréquemment des choses douces et mêlaient du miel dans leurs offrandes,—ainsi qu’on le voit souvent dans les livres dont je t’ai parlé, — et que dans aucune de leurs offrandes on ne se servait du sel(1)Nous ne saurions dire si l’auteur a puisé ce renseignement dans l’un des livres sabiens ou païens qu’il a mentionnés au chap. XXIX; mais, s’il a voulu parler des anciens païens en général, il n’était pas bien informé, car il est certain que l’usage du sel était très-commun dans les sacrifices des Grecs et des Romains. Pline dit, en parlant du sel: «Maxime autem in sacris intelligitur ejus auctoritas quando nulla conficiuntur sine mola salsa.» Hist. nat., liv. XXXI, chap. 41. Cf. Spencer, l. c., liv. III, Dissert. II, chap. 2, sect. 2 (édit. Cambridge, p. 662)., Dieu, d’une part, défendit d’offrir aucune espèce de levain ou de miel (Lévit., 2, 11), et, d’autre part, il ordonna d’offrir toujours du sel: Avec toutes tes offrandes, tu présenteras du sel (ibid., v. 13).", "Tous les sacrifices devaient être sans défaut et dans le meilleur état, afin qu’on n’arrivât pas à dédaigner le sacrifice et à mépriser ce qui devait être offert à la Divinité, comme il est dit: Présente-le donc à ton prince, t’agréera-t-il ou t’accueillera-t-il bien? (Malachie, I, 8.) C’est aussi pour la même raison(2)C’est-à-dire, pour ne pas exposer au mépris les choses saintes. qu’on a défendu d’offrir en sacrifice l’animal qui n’a pas encore sept jours accomplis(3)Voy. Lévitique, chap. XXII, v. 27., parce que son espèce n’est pas encore parfaitement dessinée et qu’on le trouve repoussant; il est en effet semblable à un avorton. C’est encore pour la même raison qu’il est défendu d’offrir le cadeau fait à une prostituée et le prix d’un chien(4)C’est-à-dire, un animal dont on a fait cadeau à une prostituée ou qui a été donné en échange pour un chien. Voy. Deutéronome, chap. XXIII, v. 19; Mischnâ, Ve partie, traité Temourâ, chap. IV, §3; Mischné Torâ, traité Issouré Mizbea’h, chap. IV, §16. Selon quelques commentateurs, le mot כלב, chien, dans le passage du Deutéronome, aurait le sens de cinœdus; mais les rabbins le prennent à la lettre, en comprenant le prix du cinœdus dans אתנן זונה. Voy. Talmud, traité Temourâ, fol. 29 b. On sait que les chiens sont, en Orient, l’objet d’un profond mépris. Voy. Jahn, Biblische Archœologie, t. I, 1er volume, § 60, p. 325 et suiv., à cause de la turpitude de ces deux choses. Pour la même raison encore, on offrait les tourterelles grandies et les colombes jeunes(1)Voy. Lévitique, chap. I, v. 14, et chap. V, v. 7; Mischnâ, Ve partie, traité ’Hullîn, chap. I, § 5; Mischné Torâ, l. c., chap. III, § 2. les unes et les autres étant les meilleures, car les colombes grandies n’ont pas de saveur. Pour la même raison enfin, les offrandes devaient être pétries avec de l’huile et composées de fleur de farine(2)Voy. Lévitique, chap. II, v. 1 et 4., car c’est là ce qu’il y a de plus parfait et de plus doux. L’encens (qu’on y mettait) a été choisi à cause de la bonne odeur que sa fumée répandait dans des lieux où il y avait une odeur de viande brûlée.", "C’est encore par respect pour le sacrifice, et afin qu’on ne le regardât pas avec aversion et dégoût, qu’il a été prescrit de dépouiller l’holocauste et de laver les intestins et les extrémités, quoiqu’on les brûlât en totalité(3)Voy. Lévitique, chap. I, v. 6-9.. Tu trouveras que c’est là une chose dont on se préoccupait toujours et dont on voulait se préserver: Car vous dites: la table de l’Éternel est souillée et (on la flétrit) en disant(4)Avec Raschi et Kimchi, nous prenons le mot וניבו dans le sens de sa parole, c’est-à-dire, la parole par laquelle le prêtre impie insulte à l’autel, c’est: sa nourriture est méprisable. sa nourriture est méprisable (Malachie, 1, 12). Pour la même raison aussi, un homme incirconcis ou impur(5)C’est-à-dire, même le prêtre qui, par une circonstance quelconque, n’a pas été circoncis, ou qui est entaché d’une impureté légale. Voy. Mischnâ, IIIe partie, traité Yebamôth, chap. VIII, § 1, et les commentaires de Maïmonide et de Raschi; Mischné Torâ, liv. VIII, traité Ma’asé ha-Korbanoth, chap. X, § 9. Sur l’impur, voy. Lévit., chap. VII, v. 20-21. ne peut pas manger du sacrifice; celui-ci ne peut être mangé lorsqu’il a été rendu impur, ni après le délai prescrit, ni lorsqu’il a été profané par la pensée(6)Voy. Lévitique, chap. VII, v. 16-21, et ci-dessus, p. 322, note 3., et il faut le manger dans un lieu déterminé(1)Sur cette disposition et les suivantes, voy. Lévit., ibid., v. 6 et suiv.; Mischnâ, Ve partie, traité Zeba’hîm, chap. V, §§3, 5 et suiv.. L’holocauste, qui appartient entièrement à Dieu, ne peut être mangé en aucune façon; ce qui est offert en expiation d’une faute, à savoir le sacrifice de péché et le sacrifice de délit(2)Voy. ci-après, p. 376, note 3., doit être mangé dans le parvis, et seulement le jour même de l’immolation et la nuit suivante. Les sacrifices pacifiques, qui sont d’un degré inférieur et d’une sainteté moindre, doivent être mangés dans toute la ville de Jérusalem seulement et peuvent l’être encore le lendemain (de l’immolation), pas plus tard; car après ce délai, ils se gâtent et se corrompent.", "C’est encore pour nous faire respecter le sacrifice et tout ce qui a été consacré au nom de Dieu, que la loi déclare coupable quiconque aura tiré une jouissance des choses saintes; il devra offrir un sacrifice expiatoire et payer un cinquième en sus(3)C’est-à-dire, en sus de la valeur de l’objet sacré dont il aura tiré profit. Voy. Lévitique, ch. V, v. 15 et 16., lors même qu’il aurait commis le péché par inadvertance. ", "De même, il était défendu de travailler avec des animaux sacrés ou de les tondre(4)Voy. Deutéronome, chap. XV, v. 19.; tout cela, par respect pour les sacrifices. La loi relative à la permutation (des animaux)(5)Voy. ci-dessus, p. 320, et ibid., note 1. a été donnée par manière de précaution; car, s’il avait été permis de substituer un bon animal à un mauvais, on aurait aussi substitué un mauvais à un bon en prétendant qu’il était meilleur. La loi a donc prononcé que: tant (la bête) elle-même que celle qui aurait été mise en sa place serait sainte (Lévitique, XXVII, 10 et 33). — S’il a été prescrit que celui qui voudra racheter une des choses qu’il aura consacrées doit ajouter un cinquième de la valeur(6)Voy. Lévitique, chap. XXVII, v. 13, 15, 19, 27 et 31; Mischnâ, Ve partie, traité ’Arakhin, chap. III, §2, et chap. VII, §2; Maïmonide, Mischné Torâ, liv. VI, traité ’Arakhin, chap. IV, §5, et surtout chap. V, §3.—Selon la loi traditionnelle, c’est le quart de la valeur qu’on ajoute, de manière que la somme ajoutée forme le cinquième du prix total du rachat., la raison en est évidente. En effet, (comme le dit le proverbe) «le plus proche parent de l’homme, c’est lui-même(1)Voy., par exemple, Talmud de Babylone, traité Synhédrin, fol. 10 a.»; étant donc toujours enclin par sa nature à être avare de son argent, il ne s’enquerra pas(2)Tous les mss. ont יתחרי , Ve forme du verbe , signifiant s’enquérir avec soin d’une chose. Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi ont employé dans leurs versions le verbe ידקדק; ils semblent avoir lu dans leur texte arabe יתחרר. du prix de la chose consacrée et ne la soumettra pas à une estimation rigoureuse(3)Mot à mot: il ne mettra pas beaucoup de soin à la présenter; c’est-à-dire à la montrer à d’autres., afin d’en bien faire constater le prix. C’est pourquoi on s’est garanti contre lui en exigeant une augmentation(4)Mot à mot: on a appelé au secours contre lui t’augmentation; c’est-à-dire, le trésor du sanctuaire a été mis à couvert, par l’augmentation, contre la mauvaise foi du propriétaire de la chose consacrée. La traduction d’Ibn-Tibbon, חייבו להוסיף, est inexacte., afin que l’objet consacré pût se vendre à un autre, pour le prix qu’il vaut(5)L’auteur veut dire, ce me semble, afin que, dans le cas où le propriétaire refuserait d’ajouter le cinquième, l’objet consacré pût être vendu par les prêtres à une autre personne pour le prix véritable. Les mots מן גירה doivent se traduire ici à un autre, car le régime indirect du verbe , vendre, s’exprime en arabe par l’accusatif ou par , au lieu de ; ainsi, pour dire il lui a vendu la chose, on mettra en arabe , ou bien . Voy. le Commentaire de Sylvestre de Sacy sur les Séances de Hariri, p. 354.; tout cela, afin de préserver du mépris ce qui a été consacré à Dieu et ce qui doit servir à nous obtenir sa faveur(6)Mot à mot: et par quoi on a cherché à s’approcher de lui, ou à s’insinuer auprès de lui. Le verbe תקרב est ici le passif de la Ve forme et doit se prononcer ..", "La raison pourquoi l’offrande du prêtre(1)Il s’agit ici de l’offrande, soit obligatoire, soit volontaire, présentée par un prêtre, et de celle que chaque prêtre devait présenter le jour de son installation. Cette dernière, le grand prêtre devait la répéter tous les jours pendant tout le temps de ses fonctions, et c’est là ce qu’on entend dans la Mischnâ par les mots חביתי כהן גדול; la même chose est confirmée par Josèphe. Voy. Lévit., chap. VI, v. 13-16; Mischnâ, Ve partie, traité Mena’hoth, chap. IV, §5, et chap. V, §§3 et 5; Maïmonide, Commentaire sur la Mischnâ, Introd. au traité Mena’hoth (Pococke, Porta Mosis, Notœ miscellaneœ, p. 431-432); Josèphe, Antiquités, liv. III, chap. X, §7. devait être brûlée, c’est que chaque prêtre devait présenter son offrande de sa propre main(2)Cf. Mischné Torâ, liv. VIII, traité Ma’asé ha-Korbanoth, ch. XII, §4: מנחה שמקריב כל כהן תחלה כשיכנס לעבורה שמקריב אותה בידו.; si donc il avait mangé lui-même l’offrande présentée par lui, c’eût été comme s’il n’avait absolument rien offert. En effet, de toute offrande d’un particulier, on n’offrait sur l’autel que l’encens et une poignée (de farine)(3)Voy. Lévititque, chap. II, v. 2.. Si donc, non content de l’exiguïté de ce sacrifice, celui qui l’offrait avait pu encore le manger, il n’y aurait même pas eu une apparence de culte; c’est pourquoi cette offrande devait être brûlée.", "Les dispositions qui concernent particulièrement l’agneau pascal, à savoir qu’on ne doit le manger que rôti au feu, dans une même maison et sans en rompre un seul os (Exode, 12, 8 et 46), ont toutes une raison évidente. En effet, de même que le pain azyme est motivé par la précipitation, de même le rôti avait pour motif la précipitation(4)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, il manque ici les mots כן הצלי מפני החפזון, qui se trouvent dans les mss. de cette version.; car on n’avait pas le temps de faire différents plats et d’apprêter des mets. On aurait même craint de s’arrêter à rompre les os et à en prendre le contenu; car, pour résumer tout cela(5)Les mots מלאך אלאמר signifient la partie essentielle ou le fond de la chose, le résumé. Cf. le t. II, chap. XVII (texte ar., fol. 36 b, trad. française, p. 136)., il est dit: et vous le mangerez avec précipitation (ibid., v. 12). Or, dans la précipitation, on ne saurait s’arrêter à en rompre les os, ni à en envoyer d’une maison à une autre et à attendre le retour du messager; car toutes ces actions dénotent la négligence et le retard, tandis qu’on avait pour but de se garantir par la hâte et la précipitation, afin que personne ne fût en retard et ne manquât l’occasion de partir avec la foule, de sorte qu’on aurait pu lui faire du mal en le surprenant. Ces usages se sont ensuite perpétués en commémoration de l’événement, comme il est dit: Tu observeras cette institution au temps fixé, d’année en année (ibid., XIII, 10). S’il a été dit que «l’agneau pascal ne pourrait être mangé que par ceux qui auraient été comptés pour y participer(1)Voy. Mischnâ, Ve partie, traité Zeba’him, chap. V, §8, et cf. Exode, chap. XII, v. 4.», c’était pour inculquer le devoir de l’acheter, et afin que personne ne comptât sur un parent, sur un ami, ou sur le premier venu qui aurait pu le lui offrir, de sorte qu’il n’en eût pas pris soin d’avance. Quant à la défense d’en donner à manger aux incirconcis(2)Voy. Exode, chap. XII, v. 48., les docteurs déjà l’ont expliquée(3)Voy. le Midrasch Schemôth rabbâ, sect. 19 (fol. 104, col. 4)., en disant que les Hébreux, pendant leur long séjour en Égypte, avaient négligé le commandement de la circoncision, afin de s’assimiler aux Égyptiens(4)L’auteur paraît partager l’opinion des talmudistes d’après laquelle les Israélites auraient été les seuls à pratiquer la circoncision. Voir plus loin les Notes au chap. XLIX, vers la fin.. Lors donc que l’agneau pascal fut ordonné et qu’on y mit pour condition que personne ne l’immolerait qu’après avoir pratiqué la circoncision sur lui, sur ses enfants et sur les gens de sa maison, et qu’alors seulement il pourrait s’approcher pour le faire (ibid., XII, 48), ils se firent tous circoncire. La multitude des circoncis, disent-ils, fit que le sang de la circoncision se mêla au sang de l’agneau pascal, et c’est à cela que le prophète fait allusion en disant: trempée dans ton sang (Ézéchiel, XVI, 6), à savoir le sang de l’agneau pascal et celui de la circoncision(1)Cf. la paraphrase chaldaïque de Jonathan et le commentaire de Raschi sur le passage d’Ézéchiel..", "Il faut savoir que les Sabiens considéraient le sang comme une chose très-impure, et, malgré cela, ils le mangeaient, parce qu’ils croyaient que c’était la nourriture des démons, et que, si quelqu’un en mangeait, il fraternisait par là avec ces malins esprits qui venaient auprèsde lui et lui faisaient connaître les choses futures, comme se l’imagine le vulgaire à l’égard des démons. Il y avait cependant des gens à qui il paraissait dur de manger du sang, car c’est une chose qui répugne à la nature humaine. Ceux-là donc, ayant égorgé un animal, en recueillaient le sang dans un vase ou dans une fosse, et mangeaient la chair de cet animal auprès du sang; ils s’imaginaient, en faisant cela, que les démons mangeaient ce sang, qui était leur nourriture, pendant qu’eux-mêmes ils mangeaient la chair, et que, par là, la fraternisation pouvait être obtenue, puisqu’ils mangeaient tous à la même table et dans la même réunion. Selon leur opinion, les démons devaient alors leur apparaître dans un songe, leur faire connaître les choses cachées(2)La version d’Ibn-Tibbon porte העתידות, les choses futures; Al-’Harîzi traduit plus exactement: ויגידו להם תעלומות חכמה. et leur rendre des services. C’étaient là des opinions suivies dans ces temps, acceptées avec empressement et généralement répandues, et dont la vérité était hors de doute aux yeux du vulgaire(3)Chez divers peuples de l’antiquité, le sang servait d’offrande, notamment en l’honneur des démons et des mânes; tantôt il était offert seul, tantôt on le mêlait aux libations. Voy. Spencer, l. c., liv. II, cap. XI (p. 32 et suiv.); Saubert, De sacrificiis veterum, cap. XXV, p. 658 et suiv. Il est fait allusion à cet usage dans un passage des Psaumes, XVI, 4, en parlant de ceux qui s’empressent de suivre les usages étrangers.. La loi parfaite entreprit de faire cesser chez ceux qui la reconnaissent ces maladies enracinées, en défendant de manger du sang; elle insista sur cette défense autant que sur celle de l’idolâtrie; Dieu a dit: Je mettrai mon regard (ma colère) contre la personne qui mangera le sang (Lévitique, XVII, 6), de même qu’il a dit, au sujet de celui qui donne de sa postérité à Moloch: Je mettrai mon regard contre cette personne (ibid., XX, 6)(1)Au lieu des mots בנפש ההיא, la plupart des mss. ar., ainsi que les versions d’Ibn-Tibbon et d’Al-’Harîzi, portent באיש ההוא. Voy. ci-dessus, p. 132, note 1, et cf. p. 289, note 2.. Il n’existe pas de troisième commandement au sujet duquel on s’exprime de cette manière, qui n’est employée qu’à l’égard de ceux qui se livrent à l’idolâtrie ou qui mangent du sang; car en mangeant de ce dernier, on est conduit à une espèce d’idolâtrie, qui est le culte des démons. Cependant, elle (la Loi) déclara pur le sang et en fit un moyen de purification pour celui qui en subirait le contact: Tu en feras aspersion sur Aaron et sur ses vêtements, etc., et il se trouvera consacré lui et ses vêtements (Exode, 29, 21). Elle ordonna d’en faire aspersion sur l’autel, et fit consister toute la cérémonie à l’y répandre, non à le rassembler: Et moi, est-il dit, je vous l’ai fait mettre sur l’autel pour faire propitiation, etc. (Lévit., 17, 11); on le répandait là, comme il est dit: Et il répandra tout le sang (ibid., IV, 18), et ailleurs: Le sang de tes sacrifices sera répandu sur l’autel de l’Éternel ton Dieu (Deutér., 12, 27). Enfin on ordonna même de répandre le sang de tout animal qu’on égorgerait, sans que ce fût un sacrifice, comme il est dit: Tu le répandras par terre comme de l’eau (ibid., XII, 16 et 24; XV, 23). Ensuite, on défendit de s’assembler autour du sang et d’y manger, comme il est dit: Vous ne mangerez pas auprès du sang (Lévit., 19, 26)(2)Nous avons ici encore un cas où Maïmonide est en désaccord avec la tradition rabbinique et avec ce qu’il dit lui-même dans ses ouvrages talmudiques. Cf. ci-dessus, p. 313, note 1. Selon le Talmud (traité Synhédrin, fol. 63 a), la défense exprimée par les mots לא תאכלו על הדם s’applique à différents cas hétérogènes et est une défense vague et générale (לאו שבכללות); Maïmonide lui-même l’applique au fils rebelle, disant qu’il est défendu de se livrer dans la jeunesse à la bonne chère et à la boisson, qui peuvent conduire à verser du sang.Voy. Sépher Miçwoth, préceptes négatifs, n° 195; Mischné Torâ, liv. XIV, traité Mamrîm, chap. VII, §1.. Comme ils persistèrent à pécher et à suivre la coutume bien connue dans laquelle ils avaient été élevés, de fraterniser avec les démons en mangeant autour du sang, Dieu leur défendit absolument de manger dans le désert de la viande de désir(1)C’est-à-dire, de la viande non consacrée et qu’on mangeait au fur et à mesure qu’on en avait envie. L’expression talmudique בשר תאוה, viande de désir, est empruntée au Deutéronome, chap. XII, v. 20. Voy. Talmud de Babylone, traité ’Hullîn, fol. 17 a., mais voulut que tout (animal destiné à la consommation) fût offert en sacrifice pacifique(2)Voy. mes Réflexions sur le culte des anciens Hébreux (Bible de M. Cahen, t. IV), p. 36; Palestine, p. 161., en nous déclarant que la raison en était que le sang fût répandu sur l’autel et qu’on ne s’assemblât pas autour; il dit donc: Afin que les enfants d’Israël amènent, etc., et qu’ils n’offrent plus leurs sacrifices aux boucs, ou démons (ibid., XVII, 5 et 7). Mais il restait encore (à prescrire une règle de conduite) concernant la bête sauvage et la volaille, car la bête sauvage ne pouvait jamais servir de sacrifice et la volaille ne pouvait être offerte en sacrifice pacifique(3)On ne pouvait offrir, en fait de volaille, que des tourterelles et des colombes; mais celles-ci ne pouvaient être offertes en sacrifices pacifiques: אין העוף בא שלמים. Voy. Mischné Torâ, liv. VIII, traité Ma’asé ha-Korbanôth, chap. I, §11.; Dieu prescrivit donc, à la suite de cela, que, lorsqu’on aurait égorgé une bête sauvage ou une volaille quelconque dont il est permis de manger la chair, on en couvrît le sang avec de la poussière(4)Voy. Lévitique, chap. XVII, v. 13; Mischnâ, Ve partie, traité ’Hullîn, chap. VI., afin qu’on ne s’assemblât pas pour manger autour du sang. C’est ainsi qu’on atteignit complètement le but de rompre la fraternité(5)Les mots hébreux להפר האחוה sont tirés du livre de Zacharie, chap. XI, v. 14.—Par ceux qui étaient réellement possédés, l’auteur entend ceux qui croyaient à l’existence des démons et qui s’imaginaient qu’on pouvait se mettre en rapport avec eux. entre ceux qui étaient réellement possédés et leurs démons. ", "— Il faut savoir que cette croyance était à peu près contemporaine de Moïse, notre maître, qu’elle était trèssuivie et qu’elle égarait les hommes. Tu trouves cela textuellement dans le cantique HAAZINOU: Ils sacrifient aux démons qui ne sont pas Dieu, à des dieux qu’ils n’avaient point connus, etc. (Deutér., 32, 17). Les docteurs ont ainsi expliqué le sens des mots qui ne sont pas Dieu: non contents, disent-ils, d’adorer des êtres réels, ils adorent même des êtres imaginaires. Voici comment on s’exprime dans le Siphri: «Il ne leur suffit pas d’adorer le soleil, la lune, les planètes et les constellations, mais ils en adorent même les reflets (בבואה).» Le mot בבואה est le nom de l’ombre (ou du reflet)(1)Dans nos éditions du Siphri, ainsi que dans le Yalkout (t. I, n° 945), ce passage est rédigé différemment, et on n’y trouve pas le mot בבואה. Pour ce mot, cf. Talmud de Babylone, Guittin, fol. 66 a; Nedarim, fol. 9 b; ’Abôdâ Zara, fol. 47 a, et passim..", "— Je reviens maintenant à notre sujet. Il faut savoir que la viande de désir était défendue dans le désert seulement; car c’était une de ces opinions répandues alors que les démons habitaient les déserts et que là ils parlaient et apparaissaient, mais que dans les villes et les lieux habités ils ne se montraient pas, de sorte que ceux d’entre les habitants des villes qui voulaient pratiquer une de ces folies sortaient de la ville et se rendaient dans les lieux déserts et isolés. C’est pourquoi la viande de désir fut permise (aux Hébreux) après leur entrée dans le pays (de Canaan). D’ailleurs, cette maladie dut alors perdre de sa force et les partisans de ces opinions durent diminuer. En outre, c’eût été très-difficile et presque impossible que tous ceux qui voulaient manger de la viande d’un animal (domestique) se rendissent à Jérusalem. Par toutes ces raisons, la viande de désir n’avait été défendue qu’au désert.", "Ce qu’il faut savoir encore, c’est que plus un péché est grave, et plus le sacrifice qu’il exige diminue de valeur quant à son espèce(1)C’est-à-dire, quant à l’espèce d’animaux ou de matières végétales qu’on y emploie.. C’est pourquoi le péché d’idolâtrie commis par inadvertance demande particulièrement une chèvre(2)Voy. Nombres, chap. XV, v. 27. Selon la tradition, tout le passage des Nombres traite particulièrement du péché d’idolâtrie; voy. Talmud, traité Horayôth, fol. 8 a: וכי תשגו ולא תעשו את כל המצות האלה איזו היא מצוה שהיא שקולה ככל המצות הוי אומר זו ע״א. Cf. Maïmonide, Commentaire sur la Mischnâ, IVe partie, Introduction au traité Horayôth. Il n’y a pas sous ce rapport de différence entre le grand prêtre, le prince et un particulier quelconque. Tous, selon la tradition, offrent une chèvre pour le péché d’idolâtrie. Voy. Mischnâ, même traité, chap. II, §6: ובע״א היחיד והנשיא והמשיח מביאין שעירה., et les autres péchés d’un particulier exigent une brebis ou une chèvre(3)Voy. Lévitique, chap. IV, v. 28 et 32.; car dans toute espèce, la femelle vaut moins que le mâle, et il n’y a pas de péché plus grand que l’idolâtrie, ni d’espèce(4)Ibn-Tibbon a ici חלק מין, partie d’une espèce; le mot arabe צנף indique ici le sexe, comme plus loin . au-dessous de la chèvre. A cause du rang distingué qu’occupe le roi, le sacrifice que celui-ci offre pour un péché d’inadvertance est un bouc(5)C’est-à-dire, le roi, à cause de son rang distingué, offre un mâle lorsqu’il a commis un péché quelconque d’inadvertance (voy. Lévitique, chap. IV, v. 22); la tradition excepte le péché d’idolâtrie, pour lequel, comme on l’a vu dans la note précédente, il offre une chèvre comme le simple particulier.—Nous avons adopté la leçon , «ob prœstantiam regis», qui nous paraît préférable, quoiqu’elle ne se trouve que dans un seul de nos mss. (suppl. hébr. n° 63); tous les autres ont ולמיזה̈, mais le mot ne se trouve pas dans les dictionnaires.; quant au grand prêtre et à la communauté, leur péché d’inadvertance ne consistant pas en un simple acte (personnel), mais en une décision légale(6)C’est-à-dire, le péché que la Loi leur attribue consiste en une décision légale erronée qui sert de règle de conduite à chaque particulier. Le mot צבור, communauté, a ici le sens du mot biblique עדה, par lequel, dans les passages bibliques relatifs à ces sacrifices, les rabbins entendent le grand tribunal ou Synhédrin. Voy. ci-dessus, p. 328, note 2., on a distingué leur sacrifice en leur prescrivant d’offrir des taureaux(1)Voy. Lévitique, chap. IV, v. 4 et 14., et, pour le péché d’idolâtrie, des boucs(2)Voy. Nombres, chap. XV, v. 24: ושעיר עזים אחד לחטאת, et un bouc (c.-à-d. un mâle) comme sacrifice de péché, outre le taureau qui est un holocauste. L’auteur, contrairement à la tradition dont nous avons parlé dans les notes précédentes, paraît admettre que le grand prêtre aussi offre un bouc (un mâle), et non pas une chèvre (une femelle). — Ayant posé en principe que le péché le plus grave est expié par un sacrifice de moindre valeur, l’auteur croit devoir indiquer une raison pourquoi le roi, le grand prêtre et le grand tribunal font exception à la règle et offrent un mâle du menu bétail, ou même un taureau.. — Comme les péchés pour lesquels on offrait un ascham (sacrifice de délit) sont moins graves que ceux pour lesquels on offrait un ’hattâth (sacrifice de péché), le sacrifice ascham était un bélier ou un jeune agneau(3)Voy. Lévitique, chap. V, v. 15, 18 et 25; chap. XIV, v. 12-13; chap. XIX, v. 21-22; Nombres, chap. VI, v. 12. Sur les différences entre le ’Hattath et le Ascham, voy. mes Réflexions sur le culte des anciens Hébreux, p. 34-35; Palestine, p. 160 b.; on a donc choisi une espèce et un sexe plus distingués, et on a voulu que ce fût un mâle d’entre les brebis. Ne vois-tu pas que, pour l’holocauste aussi, qui appartient entièrement à Dieu, on a choisi un sexe plus distingué et qu’il ne peut être qu’un mâle(4)L’auteur veut dire que, pour l’holocauste qui ne suppose point de péché et qui est souvent un sacrifice volontaire offert à Dieu, on a préféré le mâle. Voy. Lévitique, chap. I, v. 3 et 10; pour les oiseaux seuls, on ne distingue pas le sexe (ibid., v. 14), et on peut aussi bien offrir en holocauste une femelle qu’un mâle. Cf. Talmud de Babylone, traité Mena’hoth, fol. 25 a; Temourâ, fol. 14 a; Maïmonide, Mischné Torâ, liv. VIII, traité Issouré Mizbea’h, chap. III, §1.? C’est encore par le même principe que l’offrande du pécheur et celle de la femme infidèle également soupçonnée d’un péché(5)Mot à mot: parce qu’elle est également un soupçon de péché; c’est-à-dire, parce que cette dernière offrande a pour motif un soupçon de péché. Le suffixe dans לאנהא ne se rapporte qu’à מנחת סוטה, tandis que le suffixe dans תקריבהא se rapporte aux deux offrandes. Voy. Lévitique, ch. V, v. 11, et Nombres, ch. v, v. 15. Cf. mes Réflexions, etc., p. 39, et Palestine, p. 163 b. étaient privées d’embellissement et de bonne odeur, et on ne devait mettre avec ces offrandes ni huile ni encens. On y a supprimé cet embellissement, parce que la personne qui l’offre n’a pas eu une conduite bien belle; et, comme si elle avait eu un mouvement de repentir, on lui disait en quelque sorte(1)Mot à mot: c’est donc comme si elle avait été mue au repentir, et (comme si) on lui disait. Le verbe חרך doit être lu évidemment au passif ; la traduction d’Ibn-Tibbon, וכאלו יעירהו זה, me paraìt inexacte; de même celle d’Al-’Harîzi qui a וכאלו הוא מעיר.: A cause de tes mauvaises actions, ton offrande sera dans un état inférieur. Quant à la femme infidèle, dont l’action est plus honteuse qu’un péché d’inadvertance, son offrande est d’une matière inférieure; car elle se compose de farine d’orge. Ces particularités qu’on vient de parcourir(2)La version d’Ibn-Tibbon porte: כבר נמשכו טעמי אלו החקים כלן על סדר; au lieu de החקים, les mss. ont plus exactement: החלקים. Al-’Harîzi traduit: והנה באו כל אלה הפרטים על סדר. ont une signification très-remarquable.", "Les docteurs disent que la raison pourquoi, au huitième jour de l’installation (des prêtres), on offrait un jeune veau comme sacrifice de péché (Lévit., 9, 2), c’était de faire expiation du veau d’or, et que de même le sacrifice de péché du jour des expiations était un jeune taureau pour le péché (ibid., XVI, 3), pour faire expiation du veau d’or. Conformément à l’idée qu’ils ont exprimée, il me semble que la raison pourquoi tous les sacrifices de péché, tant pour le particulier que pour la communauté, étaient des boucs, — je veux parler des boucs offerts aux fêtes, aux néoménies et au jour des expiations, ainsi que des boucs offerts pour le péché d’idolâtrie(3)Voy. la note 2 de la page précédente., — la raison en est, dis-je, que leur principal péché alors était d’offrir des sacrifices aux boucs (démons), comme le dit expressément le texte de l’Écriture: et afin qu’ils n’offrent plus leurs sacrifices aux boucs (démons) vers lesquels ils se laissent entraîner (Lévit., 17, 7). Quant aux docteurs, ils pensent que la raison pourquoi l’expiation des péchés de la communauté se faisait constamment par le sacrifice des boucs, c’était que le bouc se rattache au péché que toute la communauté d’Israël avait commis jadis. Ils font allusion à la vente de Joseph le juste, dans l’histoire duquel il est dit: Ils égorgèrent un bouc, etc. (Genèse, 37, 31)(1)Voy. Yalkout, au Lévitique, chap. IX, v. 2, n° 521 (d’après le Tôrath Kohanim): יש בידכם בתחלה וישחטו שעיר עזים יבא שעיר ויכפר על מעשה שעיר.. Il ne faut point considérer cette raison comme faible; car ce que toutes ses actions ont pour but, c’est que chaque pécheur soit convaincu qu’il doit toujours se souvenir de son péché et le confesser, comme il est dit: Et mon péché est continuellement devant moi (Ps. 51, 5), et qu’il doit chercher, lui et sa postérité, à obtenir le pardon de ce péché par un acte religieux de la même espèce que le péché lui-même. Voici ce que je veux dire: S’il a péché dans une affaire d’argent, l’acte réparateur doit consister aussi en un sacrifice d’argent; s’il a péché par des jouissances corporelles, il doit s’imposer un acte religieux qui fatigue et afflige son corps, en jeûnant et en veillant la nuit; s’il a commis un péché moral, il doit le réparer par un acte moral opposé, comme nous l’avons exposé dans le traité Déôth (des mœurs) et ailleurs(2)Voy. Mischné Torâ, liv. I, traité De’ôth, chap. II, §2, et Commentaire sur la Mischnâ, Huit Chapitres, servant d’Introduction au traité Abôth, chap. IV, où l’auteur cite pour exemple le vice de la parcimonie ou de l’avarice, qu’il faut guérir par le vice opposé de la prodigalité, afin de faire acquérir aux parcimonieux la vertu intermédiaire de la générosité (voy. Pococke, Porta Mosis, p. 198-199). Cf. le t. II, p. 285, note 1.. Enfin, s’il a commis une faute spéculative, c’est-à-dire si, par son incapacité ou sa négligence à se livrer à la recherche et à la spéculation, il a admis une idée fausse, il doit la combattre, en la banissant de son esprit et en empêchant celui-ci de penser(3)Ibn-Tibbon n’a pas rendu les mots ; Al-’Harîzi traduit: יקביל אותה בביטול מחשבותיו ולהשבית זממיו מחשוב בדבר מעניני העולם. Le mot ויחשוב qui suit dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon est de trop et ne se trouve pas dans les mss. de cette version. à rien de mondain, pour ne s’occuper que des choses de l’intelligence et de l’examen sérieux des choses qu’il faut croire. C’est à peu près dans ce sens qu’il a été dit: Si mon cœur a été secrètement séduit, ma main s’est appliquée sur ma bouche (Job, 31, 27)(1)Nous traduisons ce passage d’après le sens que paraît lui donner Maïmonide. Selon lui, l’expression ma main a baisé ma bouche signifie: j’ai mis ma main sur ma bouche en signe de silence. Job veut dire qu’il a gardé le silence et qu’il a étouffé les sentiments secrets de son cœur qu’éveillait en lui l’éclat du soleil et de la lune., ce qui est une expression allégorique signifiant qu’on doit s’abstenir et s’arrêter devant ce qui est obscur, comme nous l’avons exposé dans le premier livre de ce traité(2)Selon Éphôdi, l’auteur ferait ici allusion à ce qu’il a dit au chap. V de la Ire partie (p. 47): «Il ne devra rien trancher selon une première idée qui lui viendrait, ni laisser aller ses pensées tout d’abord en les dirigeant résolûment vers la connaissance de Dieu; mais il devra y mettre de la pudeur et de la réserve, et s’arrêter parfois, afin de s’avancer peu à peu.» Ibn-Caspi croit que l’auteur a en vue un passage de l’Introduction (p. 10): «La vérité tantôt nous apparaît de manière à nous sembler claire comme le jour, etc.» Il me semble que les deux commentateurs ont été induits en erreur par la version d’Ibn-Tibbon qui rend les mots arabes פי אול הדׄה אלמקאלה̈ par בתחלת זה המאמר «au commencement de ce traité»; de même Al-’Harîzi: בתחלת זה הספר. Mais je crois que ces mots signifient: «dans le (livre) premier de ce traité», et que l’auteur veut parler de ce qu’il a dit au ch. XXXII, p. 110: «Si tu t’arrêtes devant ce qui est obscur, si tu ne t’abuses pas toi-même en croyant avoir trouvé la démonstration pour ce qui n’est pas démontrable, si tu ne te hâtes pas de repousser et de déclarer mensonge quoi que ce soit dont le contraire n’est pas démontré, et qu’enfin tu n’aspires pas à la perception de ce que tu ne peux pas percevoir, alors tu es parvenu à la perception humaine, etc.» Je ferai observer qu’au commencement de ce passage, l’auteur dit dans l’original arabe: אן וקפת ענד אלשבהה̈, expression qui correspond à celle que nous avons ici: אלוקוף ענד אלשבהה̈.. Ainsi, tu vois que lorsque Aaron eut failli en faisant le veau d’or, il lui fut imposé, à lui et à tous ceux de sa race qui devaient le remplacer, d’offrir un taureau et un jeune veau(1)Voy. Lévitique, chap. IX, v. 2, et chap. XVI, v. 3. Les mots et à tous ceux de sa race qui devaient le remplacer ne se rapportent qu’au taureau, dont il est question dans le second passage; car le sacrifice d’un veau, dont parle le premier passage, ne fut imposé qu’à Aaron seul.. De même, là où le péché est rais en rapport avec un bouc, l’acte religieux s’accomplissait au moyen d’un bouc(2)Voy. ci-devant, p. 378, note 1.. Si l’âme est bien pénétrée de ces idées, l’homme sera conduit par là à avoir en horreur le péché et à s’en éloigner, afin de ne pas être obligé, en y tombant, de se soumettre à une expiation longue et pénible; parfois même l’expiation ne pourra être accomplie(3)C’est-à-dire, parfois l’homme reconnaîtra d’avance qu’il sera incapable d’accomplir l’expiation., de sorte que l’homme évitera d’avance le péché et le fuira, ce qui évidemment est d’une grande utilité. Il faut te bien pénétrer de ce sujet.", "Je crois devoir appeler ici ton attention sur une chose trèsremarquable, bien qu’elle puisse paraître étrangère au but de ce traité. Le bouc offert aux néoménies est seul appelé sacrifice de péché A L’ÉTERNEL (Nombres, 28, 15), expression qui n’est employée ni pour aucun des boucs offerts aux fêtes, ni pour les autres sacrifices de péché, ce dont la raison, selon moi, est très-claire: c’est que les sacrifices que la communauté offrait à certaines époques, c’est-à-dire les sacrifices additionnels (des fêtes), étaient tous des holocaustes, et il y avait chaque jour un bouc comme sacrifice de péché. Ce bouc était mangé, tandis que les holocaustes étaient entièrement brûlés; c’est pourquoi on les appelle expressément sacrifice igné A L’ÉTERNEL(4)Voy., par exemple, Nombres, chap. XXVIII, v. 19; chap. XXIX, v. 13 et 36., tandis qu’on ne dit jamais ni sacrifice de péché A L’ÉTERNEL, ni sacrifice pacifique A L’ÉTERNEL, parce que ces sacrifices étaient mangés. Même les sacrifices de péché qui étaient brûlés(5)Voy., par exemple, Lévitique, chap. IV, v. 12 et 21. ne pouvaient être appelés sacrifices ignés à l’Éternel, ce dont j’expliquerai la raison dans ce chapitre. On ne pouvait donc pas (à plus forte raison) appeler les boucs (des fêtes) sacrifices de péché à l’Éternel, car on en mangeait, et on ne les brûlait pas en entier. Mais, comme on pouvait craindre qu’on ne considérât le bouc des néoménies comme un sacrifice offert à la lune, à l’exemple des Égyptiens, qui offraient des sacrifices à la lune aux commencements des mois(1)Sur la célébration des néoménies chez les peuples de l’antiquité, voy. Spencer, liv. III, Dissert. IV (édition de Cambridge, 1685, p. 715 et suiv.); sur les Égyptiens, cf. Lepsius, Chronologie der Ægypter, t. I, p. 157, et ibid., note 3., il est dit expressément en parlant de ce bouc qu’il est consacré à Dieu, et non à la lune. On ne pouvait avoir cette crainte au sujet des boucs offerts aux fêtes et aux autres jours solennels(2)C’est-à-dire, aux trois grandes fêtes de la Pâque, de la Pentecôte et des Cabanes, et aux autres jours solennels, tels que le jour des Expiations et le premier jour du septième mois, auquel on offrait un bouc comme sacrifice de péché, outre celui des néoménies ordinaires. Voy. Nombres, chap. XXVIII, v. 21, 30; chap. XXIX, v. 5-6, 11, 16, 19, 22, 25, 28, 31, 34, 37., car ces jours n’étaient ni des commencements de mois, ni signalés par aucun phénomène de la nature, mais avaient été institués par les décrets de la Loi. Au contraire, les commencements des mois lunaires ne furent pas institués par la Loi; mais les peuples offraient ces jours-là des sacrifices à la lune, de même qu’ils en offraient au soleil quand il se levait et quand il entrait dans certains degrés (de l’écliptique), comme on le sait par ces livres (des Sabiens). C’est pourquoi on emploie, en parlant de ce bouc (des néoménies), une expression(3)Plusieurs mss. ont אלעבאדה̈ (avec daleth) au lieu de אלעבארה̈ (avec resch); la version d’Ibn-Tibbon, qui a חדש הלשון, est favorable à la leçon que nous avons adoptée. particulière, en disant à l’Éternel, afin de détruire les erreurs qui étaient enracinées dans les cœurs gravement malades (des Israélites). Pénètre-toi bien de cette idée remarquable.", "Il faut savoir aussi que tout sacrifice de péché, par lequel on croit expier de grands péchés, ou même un seul péché, comme, par exemple, le sacrifice pour le péché d’ignorance(1)C’est-à-dire, pour le péché commis par ignorance par la communauté d’Israël, ou par le grand tribunal, qui s’est trompé dans sa décision; ce sacrifice tire son nom חטאת העלם דבר des mots ונעלם דבר (Lévitique, IV, 13). Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Horayôth, chap. I, §2, et Maïmonide, Commentaire sur la Mischnâ, préface au même traité. et d’autres semblables(2)Par exemple, le sacrifice du grand prêtre qui avait péché (Lévit., IV, 12), et celui que le grand prêtre offrait au jour des expiations (ibid., XVI, 27)., est brûlé en entier, hors de l’enceinte, et non sur l’autel; car on ne brûlait sur l’autel que l’holocauste et ce qui lui ressemble(3)Par exemple, l’offrande du prêtre (voy. ci-dessus, p. 369, note 1), ainsi que certaines parties des sacrifices et une portion des offrandes appelée אזכרה, souvenir (Lévit., II, 9, et passim)., et c’est pour cela qu’il est appelé autel de l’holocauste (Exode, 30, 28 et passim). En effet, l’holocauste brûlé était (considéré comme) une odeur agréable à Dieu, et de même toute Azcarâ(4)Comme nous l’avons dit dans la note précédente, on appelait ainsi la portion de l’offrande qui était brûlée sur l’autel. offrait une odeur agréable à Dieu. Il devait indubitablement en être ainsi, puisque cette cérémonie devait détruire les croyances idolâtres, comme nous l’avons exposé. Mais l’usage de brûler ces sacrifices de péché (dont nous avons parlé) ne signifie autre chose, si ce n’est que la trace de tel péché était effacée et avait disparu comme ce corps qui venait d’être brûlé, et qu’il ne restait pas de trace de cette action, de même qu’il ne restait pas de trace de ce sacrifice de péché qui avait été détruit par les flammes. Par conséquent, celui-ci, quand on le brûlait, ne pouvait offrir une odeur agréable à Dieu; mais, au contraire, c’était une fumée que Dieu devait détester et abhorrer; c’est pourquoi il était entièrement brûlé hors de l’enceinte. Ne vois-tu pas qu’au sujet de l’offrande de la femme adultère, on dit que c’est une offrande de rappel pour rappeler l’iniquité (Nombres, 5, 15), et non pas que ce soit une chose favorablement accueillie?", "Le bouc émissaire étant destiné à l’expiation totale de grands péchés, de sorte qu’il n’existe aucun sacrifice public de péché qui en fasse expier autant que lui et qu’il emporte en quelque sorte tous les péchés, on ne devait point l’égorger, ni le brûler, ni l’offrir en sacrifice(1)Littéralement: on ne devait le traiter ni par l’action d’égorger, etc.; c’est-à-dire, on ne devait lui appliquer aucun de ces trois modes. — Le verbe (IIIe forme de ) signifie traiter, manier; la traduction d’Ibn-Tibbon, לא נרצה, et celle d’Al-’Harîzi, לא נצטוה, ne rendent pas exactement ce verbe. Le mot להקבר, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, est une faute; les mss. ont להקרבה, et l’édition princeps l’abréviation להקר׳.; mais on devait l’éloigner autant que possible et le lancer dans une terre dite GUEZÉRA (Lévit., 16, 22), c’est-à-dire écartée des habitations. Il est indubitable pour tout le monde que les péchés ne sont point des corps(2)La version d’Ibn-Tibbon porte משאות, des fardeaux; celle d’Al-’Harîzi a, conformément au texte arabe, גופות. qui puissent se transporter du dos d’un individu sur celui d’un autre. Mais tous ces actes ne sont que des symboles destinés à faire impression(3)Littéralement: à laisser une image dans l’âme. Ibn-Tibbon a substitué au mot arabe צורה̈, image, le mot מורא, crainte. sur l’âme, afin que cette impression mène à la pénitence; on veut dire: nous sommes débarrassés du fardeau de toutes nos actions précédentes, que nous avons jetées derrière nous et lancées à une grande distance.", "Quant à l’offrande de vin, elle m’a laissé jusqu’à présent dans la perplexité. Comment se fait-il qu’on ait ordonné de faire cette offrande que présentaient aussi les idolâtres(4)Sur les libations des Hébreux et des païens, voy. mes Réflexions, etc., p. 39; Palestine, p. 163 a.; je n’ai point su m’en rendre compte; mais un autre en a donné la raison que voici: La faculté d’appétition, qui a sa source dans le foie, ne trouve rien de meilleur que la viande; la faculté vitale, qui a sa source dans le cœur, ne trouve rien de meilleur que le vin; de même, la faculté qui a sa source dans le cerveau, c’est-à-dire la faculté psychique, jouit des chants accompagnés d’instruments(1)Sur ces facultés et leur siége respectif, cf. t. I, p. 355, note 1, et ci-dessus, p. 80, note 4. La faculté physique est appelée ici l’appétition; c’est celle que Platon appelle ἐπιθυμία. Cf. ma Notice sur R. Saadia Gaon, p. 9 et 10 (Bible, de M. Cahen, t. IX, p. 81 et 82).. C’est pourquoi chaque faculté cherche à s’approcher de Dieu au moyen de la chose qu’elle aime le plus, de sorte qu’on offre (à Dieu) de la viande, du vin et des sons, c’est-à-dire des chants.", "Le pèlerinage a une utilité notoire; ce qui lui sert de motif, c’est que cette réunion et l’impression qu’elle produit ont pour résultat un nouveau zèle pour la loi et la fraternité qui s’établit entre les hommes. Il en est ainsi surtout du commandement d’assembler le peuple(2)L’auteur veut parler du commandement d’assembler tout le peuple, hommes, femmes et enfants, tous les sept ans, pour entendre la lecture de la Loi. Voy. Deutéron., ch. XXXI, v. 10-13. Le v. 12 commence par le mot הַקְהֵל, assemble., dont la raison est clairement indiquée: afin qu’ils écoutent, etc. L’argent qu’on donnait pour la seconde dîme était destiné à être dépensé là(3)C’est à-dire, dans le lieu de pèlerinage, ou à Jérusalem. La seconde dîme pouvait être rachetée; mais l’argent devait être dépensé dans le lieu où se trouvait le sanctuaire central. Voy. Deutér., ch. XIV, v. 25 et 26. Sur les dîmes, voy. Palestine, p. 172., comme nous l’avons exposé(4)Voy. ci-dessus, chap. XXXIX, p. 298.. Il en était de même du fruit de la quatrième année(5)Voy. ci-dessus, chap. XXXVII, p. 291, et ibid., note 1. et de la dîme des bestiaux. Ainsi donc, on y avait la viande de la dîme, le vin de la quatrième année et l’argent de la seconde dîme, de sorte que les comestibles y étaient abondants; car il n’était permis de rien vendre de tout cela, ni de l’ajourner d’une époque à une autre; mais, comme a dit Dieu: Chaque année (Deutér., 14, 22). On s’en servira donc nécessairement pour en faire l’aumône, et, en effet, on recommande énergiquement de faire l’aumône pendant les fêtes en disant: Tu te réjouiras en ta fête, toi, ton fils, ta fille, etc., ainsi que l’étranger, l’orphelin et la veuve (ibid., XVI, 14). Maintenant, nous avons parcouru les commandements particuliers qui appartiennent à cette classe, et nous en avons touché beaucoup de détails." ], [ "Les commandements que renferme la douzième classe sont ceux que nous avons énumérés dans le livre Tohorâ (de la purification). Quoique j’aie déjà parlé sommairement de leur utilité(1)Voy. ci-dessus, chap. XXXV, p. 272., nous devons donner ici de plus amples explications; et, après avoir motivé cette classe comme il convient, je donnerai les raisons de ces détails, autant qu’elles me sont claires à moi-même.", "Je dis donc: Cette Loi divine, qui fut donnée à Moïse, notre maître, et qui lui a été attribuée, n’avait d’autre but que de rendre plus faciles les cérémonies du culte et d’en alléger(2)Le mot תכׄפיף n’a été rendu ni par Ibn-Tibbon ni par Al-’Harîzi; ce dernier traduit: להקל העבודות וטורח היגיעות. le fardeau; et, s’il y en a qui peuvent te paraître pénibles et très-lourdes, cela vient de ce que tu ne connais pas les usages et les rites qui existaient dans ces temps-là. Que l’on compare donc un culte où l’homme brûle son enfant avec celui où l’on brûle une jeune colombe(3)Littéralement: il faut que tu compares (ces deux choses): que l’homme brûle son enfant pour célébrer son culle, ou qu’il brûle une jeune colombe. Pour les mots il faut que tu compares, Ibn-Tibbon a mis ראה ההפרש, vois la différence, et, à la fin de la phrase, il a ajouté les mots: לעבודת אלהינו.! Il est dit dans le Pentateuque: car même leurs fils et leurs filles, ils les brûlent dans le feu à leurs dieux (Deutér., 12, 31); voilà le culte qu’ils offraient à leurs dieux, et ce qu’il y a d’analogue à cela, dans notre culte, c’est de brûler une jeune colombe, ou même une poignée de fleur de farine. C’est à cet égard que notre nation fut réprimandée au temps de sa rébellion et qu’il lui fut dit: Mon peuple, que t’ai-je fait? quelle peine t’ai-je donnée? accuse-moi (Michée, VI, 5); il est dit encore, dans le même sens: Ai-je été un désert pour Israël, ou un pays de profondes ténèbres? Pourquoi mon peuple dit-il: nous nous retirons, etc. (Jérémie, 2, 31), ce qui signifie: quel est donc le fardeau pénible qu’ils ont vu dans cette loi pour qu’ils la quittassent(1)Cf. sur ce passage de Jérémie, le tome 2, chap. XXXIX, p. 305, et ibid., note 2.? Ailleurs Dieu nous apostrophe en disant: Quel tort vos pères ont ils trouvé en moi pour qu’ils se soient éloignés de moi (ibid., v. 5)? Tous ces passages n’ont qu’un seul et même but.", "Après cette observation préliminaire, qui est importante et que tu ne dois pas perdre de vue, je dis: Nous avons déjà exposé que tout ce qu’on voulait obtenir par le sanctuaire, c’était qu’il produisît une impression sur celui qui viendrait le visiter, qu’il inspirât la crainte et le respect, comme il est dit: et vous craindrez mon sanctuaire (Lévit., 19, 30). Mais, lorsqu’on aborde continuellement n’importe quel objet respectable, l’effet qu’il produit sur l’âme diminue et l’impression qu’on en reçoit est moindre. Les docteurs déjà ont appelé l’attention sur ce sujet en disant qu’il n’est pas bon d’entrer à tout moment dans le sanctuaire, et ils citent à l’appui ces paroles: Ne mets pas trop souvent ton pied dans la maison de ton prochain, de peur qu’il ne se rassasie de toi et ne te haïsse (Prov., 25, 17)(2)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghîgâ, fol. 7 a.. C’est dans cette intention que Dieu défendit aux impurs d’entrer dans le sanctuaire, et les cas d’impureté étant très-nombreux, on ne pouvait guère trouver que très-rarement une personne pure. En effet, quand même on se serait préservé du contact d’une charogne, on aurait pu ne pas échapper au contact de l’un des huit reptiles(1)Voy. Lévitique, chap. XI, v. 29-30, où l’on énumère huit espèces de reptiles, pour la plupart des sauriens, dont le contact rend impur. Cf. Palestine, p. 27 a. Sur le contact d’une charogne, voy. le même chap. du Lévitique, v. 39-40. qui tombent souvent dans la maison, ainsi que dans les aliments et les boissons, et contre lesquels on heurte souvent(2)Ibn-Tibbon traduit selon le sens: ירמסם האדם דרך הליכתו, l’homme les écrase en marchant; Al-’Harîzi traduit littéralement: וכל היום יכשל בם האדם.. Ayant évité cela, on aurait pu encore ne pas échapper au contact d’une femme ayant ses menstrues ou atteinte d’un flux de sang, d’un homme affligé de gonorrhée, d’un lépreux, ou de leur couche(3)Voy. Lévitique, chap. XV, et chap. XIII, v. 45-46.; quand même on y aurait échappé, on ne pouvait pas toujours éviter de cohabiter avec sa femme, ou d’avoir un accident nocturne(4)Voy. Lévitique, chap. XV, v. 16-18, et Deutéronome, chap. XXIII, v. 11-12.. Lors même qu’on se serait purifié de ces impuretés, il n’était pas permis d’entrer au temple avant le coucher du soleil(5)Il est dit, dans tous les passages qui traitent de ces impuretés, que la personne dont il s’agit, même après s’être purifiée, restera impure jusqu’au soir: וטמא עד הערב. Voy. surtout Lévitique, ch. XXII, v. 6-7, et Talmud de Babylone, traité Schabbath, fol. 14 b: טבול יום דאוריתא הוא דכתיב ובא השמש וטהר; Mischné Torâ, liv. X, traité Aboth ha-toumoth (des impuretés principales), chap. X, § 1, et liv. VIII, traité Biath ha-mikdasch (de l’entrée dans le sanctuaire), chap. III, § 14.. Or, comme on ne pouvait pas entrer dans le temple pendant la nuit, ce qui résulte des traités Middôth et Tâmîd(6)Voy. Mischnâ, Ve partie, traité Middoth, chap. I, §§ 1 et 8, et traité Tamid, chap. I, § 1. Il résulte de ces passages que les prêtres qui étaient de garde au temple se tenaient la nuit dans trois lieux qui étaient en dehors du parvis, et que les chefs de la section, couchés dans l’un de ces lieux, tenaient les clefs du parvis, de sorte que personne ne pouvait y pénétrer la nuit. On voit que l’auteur veut parler de l’impossibilité, pour tout le monde, d’entrer pendant la nuit, et qu’il ne s’agit point ici d’une illégalité; Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi ont donc mal rendu les mots arabes ולא יגׄוז, l’un par ולא הותר, l’autre par ואסור, et il fallait dire ולא יתכן, ou ואי אפשר. Dans la version d’Ibn-Tibbon, les mots פירוש אפילו משיעריב שמשו ont été ajoutés par quelques copistes, ou par les éditeurs; ils ne se trouvent ni dans les mss. de cette version que nous avons pu consulter, ni dans le commentaire de Schem-Tob., il se pouvait la plupart du temps que celui-là (qui s’était purifié) cohabitât cette nuit même avec sa femme, ou qu’il lui survînt une des autres causes d’impureté et qu’il se trouvât le lendemain au même point que la veille.", "Tout cela donc contribuait à ce que l’on se tînt éloigné du sanctuaire et qu’on n’y entrât pas à chaque instant. Tu sais d’ailleurs ce que disent les docteurs: «Aucune personne, fùt-elle pure, ne doit entrer au parvis pour célébrer le culte avant de s’être baignée(1)Voy. Mischnâ, IIe partie, traité Yômâ, chap. III, § 3..» Ces actes donc entretenaient le respect et servaient à produire l’impression qui devait conduire à la piété qu’on avait pour but. A mesure que le cas d’impureté pouvait arriver plus fréquemment, la purification était plus difficile et durait plus longtemps. Se trouver sous le même toit avec des corps morts, et surtout avec ceux des parents et des voisins, est un cas plus fréquent qu’aucune autre impureté; on ne pouvait donc redevenir pur qu’au moyen des cendres de la vache rousse, qui sont extrêmement rares, et au bout de sept jours(2)Voy. Nombres, chap. XIX, et cf. Palestine, p. 162. Selon la tradition, les cendres de la vache rousse étaient très-rares; depuis Moïse jusqu’à Ezra, on n’avait brûlé que deux vaches, et depuis Ezra jusqu’à la destruction du second temple, cinq ou sept. Voy. Mischnâ, VIe partie, traité Parâ, chap. III, § 5. On ne pouvait se procurer qu’à grands frais une vache entièrement propre à cette cérémonie. Voy. Talmud de Babylone, traité Kiddouschin, fol. 31 a.. Le flux (du sang ou de la gonorrhée) et les menstrues sont plus fréquents que le contact d’une chose impure; c’est pourquoi ces impuretés exigeaient sept jours (de purification)(3)C’est-à-dire, les personnes guéries de ces maladies devaient encore compter sept jours pour être complétement pures. Voy. Lévitique, chap. XV, v. 13, 19 et 28., et celui qui se mettait en contact avec elles était impur un seul jour(1)Voy. ibid., v. 5-9, 21-23 et 27.. Si la purification de l’homme atteint de gonorrhée, de la femme affectée d’un flux de sang, et de la femme en couches, ne se complète que par un sacrifice, c’est que ces cas arrivent plus rarement que les menstrues(2)On a vu ici une contradiction avec le principe que l’auteur vient de poser, à savoir que, plus un cas d’impureté est fréquent, et plus l’acte de purification est difficile et long, tandis qu’ici il paraît dire que ce sont les cas les plus rares qui ont besoin d’un sacrifice. Mais, dans notre passage, l’auteur ne veut que justifier l’emploi du sacrifice dans la purification de l’homme atteint de gonorrhée, de la femme affectée d’un flux de sang et de la femme en couches, tandis que la femme se purifiant de ses menstrues n’a pas besoin de sacrifices; et, comme il fait entendre, la raison en est que les menstrues arrivant plus fréquemment que les trois premiers cas, on n’a pas voulu imposer à la femme l’obligation d’offrir chaque fois un sacrifice pour sa purification. Voir le commentaire de Schem-Tob. Selon Éphôdi, le traducteur Ibn-Tibbon aurait plus tard corrigé sa traduction en substituant plus haut, aux mots יותר נמצאת, les mots יותר מעטה המציאות; dans les mss. que nous avons pu consulter, cette correction n’existe pas et la leçon est conforme à celle des éditions.. — Toutes ces impuretés, je veux dire celles des menstrues, de la gonorrhée, du flux de sang, de la lèpre, d’un corps mort, d’une charogne, d’un reptile et du sperme, sont des choses fort malpropres. Les dispositions légales y relatives ont donc pour but des choses variées: 1° d’éloigner de nous toute malpropreté; 2° de préserver le sanctuaire; 3° d’avoir égard aux coutumes généralement répandues, car tu vas entendre tout à l’heure quelles cérémonies pénibles les Sabiens s’imposaient dans ces cas d’impureté; 4° d’alléger ce pénible fardeau et de faire que la question de ce qui est pur ou impur n’entrave l’homme dans aucune de ses occupations, car cette question ne concerne que le sanctuaire et les choses saintes: Elle ne touchera aucune chose sainte et ne viendra point dans le sanctuaire (Lévit., 12, 4). Pour le reste, on ne se rend coupable d’aucun péché, en restant impur tant qu’on veut et en se nourrissant tant qu’on veut de choses profanes entachées d’impureté. Selon les coutumes répandues parmi les Sabiens jusqu’à notre temps dans les pays de l’Orient, je veux dire parmi les restes des mages(1)C’est-à-dire, des guèbres, partisans de la religion de Zoroastre. Selon le Zend-Avesta, les menstrues viennent d’Ahriman, et un grand châtiment est réservé à celui qui s’approche d’une femme pendant son temps critique. Voy. Zend-Avesta par Anquetil-Duperron, t. I, 2° partie, Vendidad, farg. XVI, p. 397 et suiv.; farg. XVIII, p. 411 et suiv. — Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot המגורתי est une faute d’impression; les mss. ont המגוסי. Al-’Harîzi traduit: שארית עובדי אש., la femme ayant ses menstrues reste isolée dans un appartement, on brûle(2)C’est-à-dire, sans doute: on purifie par le feu. les endroits sur lesquels elle marche, celui qui lui parle devient impur, et si le vent qui souffle passe sur la femme et sur un homme pur, celui-ci devient impur. Tu vois, par conséquent, combien ces usages sont éloignés de ce que nous disons: «Tous les travaux que la femme fait pour son mari, la femme ayant ses menstrues peut les faire également, excepté de lui laver la figure, etc.(3)Voy. Talmud de Babylone, traité Kethoubôth, fol. 4 b et 61 a.»; on ne lui défend que de cohabiter avec elle pendant les jours de sa souillure et de son impureté. — Une autre coutume répandue parmi les Sabiens jusqu’à notre temps, c’est qu’ils réputent impurs tout ce qui se sépare du corps, soit poil, soit ongle, soit sang; c’est pourquoi tout barbier, chez eux, est impur, parce qu’il touche le sang et les poils(4)Cf. Zend-Avesta, ibid., p. 400 et suiv.. Quiconque se fait raser doit se plonger dans de l’eau jaillissant d’une source. Ils ont beaucoup de ces usages incommodes, tandis que nous, nous ne faisons attention à ce qui est pur ou impur qu’à l’égard des choses saintes et du sanctuaire.", "Cependant, si l’Écriture dit: Vous vous sanctifierez et vous serez saints, car moi je suis saint (Lévit., 11, 44), ce n’est point dit à l’égard de ce qui est pur ou impur; le Siphra dit expressément qu’il s’agit là d’une «sanctification par les commandements(5)C’est-à-dire, d’une sanctification morale par l’observance des commandements ou des préceptes moraux. Cf. t. I, chap. LIV, p. 224, et ci-dessus, chap. XXXIII, p. 263, note 4.», et de même les docteurs disent, au sujet de ces mots: Soyez saints (Lévit., 19, 2), qu’il s’agit là d’une sanctification par les commandements. C’est pourquoi la transgression des commandements est aussi appelée טומאה (souillure ou impureté, expression employée à l’égard des commandements fondamentaux(1)Mot à mot: à l’égard des mères et des racines d’entre les commandements; c’est-à-dire, que l’Écriture, en parlant de la transgression des lois fondamentales, appelle cette transgression souillure ou impureté, expression employée à l’égard des commandements fondamentaux, qui concernent l’idolâtrie, l’inceste et l’assassinat., qui sont l’idolâtrie, l’inceste et l’assassinat. En parlant, par exemple, de l’idolâtrie, on dit: car il a donné de sa postérité à Moloch pour souiller mon sanctuaire (Lévit., 20, 3); de l’inceste, on dit: ne vous souillez par rien de tout cela (ibid., XVIII, 24); de l’assassinat, on dit: vous ne souillerez point le pays, etc. (Nombres, 35, 34). On voit, par conséquent, que l’expression de טומאה (souillure ou impureté) est un homonyme qui se dit dans trois sens différents. Elle se dit: 1° de la désobéissance et de la transgression des commandements en fait d’actions ou d’opinions; 2° des malpropretés et des souillures: sa souillure n’étant encore qu’aux pans de ses vêtements (Lamentations, I, 9); 3° de ces choses réputées (impures), je veux dire quand on touche ou porte telle chose, ou quand on se trouve sous le même toit avec telle chose(2)La version d’Ibn-Tibbon a ici או לשאת דבר פלוני על כתיפיו. Le mot arabe , infinitif de la IIIe forme de (couvrir d’un toit), signifie se trouver sous le même toit avec quelque chose; plus haut, Ibn-Tibbon a mieux rendu ce mot par ההתאהל.. C’est dans ce troisième sens que nous disons: «Les paroles de la Loi ne sont pas susceptibles de souillure(3)Voy. Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 22 a, où il est dit qu’il est permis aux personnes atteintes de la gonorrhée, de la lèpre, etc., de lire la Loi, les prophètes et les autres livres sacrés, parce que les paroles de la Loi ne sont pas susceptibles de souillure..» De même, le mot קדושה, sainteté, se dit, comme homonyme, dans trois sens, opposés aux trois acceptions dont nous venons de parler.", "Comme on ne peut se purifier de l’impureté causée par un corps mort qu’au bout de sept jours et qu’il faut trouver pour cela les cendres de la vache rousse, et comme (d’autre part) les prêtres ont constamment besoin d’entrer dans le sanctuaire pour offrir les sacrifices, il a été particulièrement défendu à tout prêtre de s’exposer à l’impureté provenant d’un mort, à moins que ce ne fût pour un cas très-nécessaire, où il répugnerait à la nature humaine de s’abstenir, je veux parler du contact (du corps) des père et mère, des enfants et des frères(1)Voy. Lévitique, chap. XXI, v. 2. Le mot מבאשרה̈, contact, a été rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par להמנע מקרוב … ולעמוד עמהם ולנגוע בהם.. Comme il est très-nécessaire que le grand prêtre soit continuellement dans le sanctuaire, ainsi qu’il est dit: il (le diadème) sera constamment sur son front (Exode, 28, 38), il lui a été absolument défendu de se souiller par un corps mort, fût-ce même celui de ses propres parents(2)Voy. Lévitique, chap. XXI, v. 10-12. Cette loi concernant le grand prêtre est suffisamment motivée dans le texte biblique, et le motif que lui cherche l’auteur est peu plausible; il n’est dit nulle part que le grand prêtre ne doive jamais quitter le sanctuaire, et surtout une telle défense n’est rattachée nulle part au passage והיה על מצחו תמיד. Cf. cependant Mischnâ, IVe partie, traité Synhédrin, chap. II, § 1, les paroles de rabbi Iehouda, et Maïmonide, Mischné Torâ, liv. VIII, traité Klé ha-mikdasch, chap. V, § 5.. Ne vois-tu pas que cette défense n’embrasse pas les femmes? les fils d’Aaron (est-il dit), et non les filles d’Aaron(3)Voy. ibid., v. 2, et Talmud de Babylone, traité Sôtâ, fol. 23 b; Mischné Torâ, liv. XIV, traité Ebel (du deuil), chap. III, § 11, d’après le Torath Kohanîm., parce qu’on n’a pas besoin des femmes dans le service des sacrifices.", "Comme il est inévitable que des personnes entachées d’impureté entrent par erreur dans le sanctuaire, ou mangent, dans leur état d’impureté, des choses saintes, et comme parfois il y en a qui font cela avec préméditation, la plupart des impies commettant de propos délibéré les plus grands péchés, il a été ordonné d’offrir des sacrifices pour expier la souillure du sanctuaire et des choses saintes; ils sont de différentes espèces, les uns pour le péché prémédité, les autres pour celui commis par inadvertance. Ce sont les boucs des fêtes, ceux des néoménies et le bouc émissaire(1)Voy. ci-dessus, p. 381, note 2, et Lévitique, chap. XVI, v. 16; Mischnâ, IVe partie, traité Schebou’ôth, chap. I, § 4., comme cela est exposé en son lieu, afin que celui qui pèche de propos délibéré ne croie pas qu’il n’ait pas commis un grand péché en souillant le sanctuaire de l’Éternel, et qu’il sache, au contraire, que son péché a été expié par le sacrifice du bouc, comme il est dit: et afin qu’ils ne meurent pas à cause de leur souillure (Lévit., 15, 31); et Aaron se chargera du péché relatif aux choses saintes, etc. (Exode, 28, 38)(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Pesa’him, fol. 16 b; Yômâ, fol. 7 a; Mena’hoth, fol. 15 a., idée qui est souvent répétée.", "Quant à l’impureté de la lèpre, nous en avons déjà exposé la signification(3)Voy. les considérations morales de l’auteur dans son Mischné Torâ, liv. X, traité Toumath çara’ath, chap. 5, § 16, et son Commentaire sur la Mischnâ, VIe partie, traité Negha’îm, ch. XII, § 5.. Les docteurs aussi l’ont exposée et nous ont fait savoir qu’on a posé en principe que cette maladie est un châtiment pour punir la médisance(4)Voy. entre autres Talmud de Babylone, traité ’Arakhîn, fol. 16 b: כל המספר לשון הרע נגעין באין עליו. Cf. Yalkout, Ire partie, n° 937, d’après le Siphri. Plusieurs peuples considèrent la lèpre comme une conséquence de grands péchés commis envers la Divinité. Cf. Hérodote, liv. I, chap. 138, et mes Notes au Ve livre des Lois de Manou à la suite de mes Réflexions sur le culte des anciens Hébreux, p. 77.. D’abord, cette altération se fait remarquer dans les murs(5)Voy. Lévitique, chap. XIV, v. 34-48. Cf. Palestine, p. 213 a.; si l’homme se repent, le but est atteint; mais s’il continue à pécher, l’altération s’étend à son lit et aux ustensiles de sa maison(1)Voy. ibid., chap. XIII, v. 47-59, et Palestine, l. c. Pour לפראשה, les éditions de la version d’Ibn-Tibbon ont לכלי משרתיו, ce qui parait être une faute d’impression; les mss. ont לכלי מטתו., et s’il persiste encore dans son péché, elle s’étend à ses vêtements et ensuite à son corps. C’était là un miracle qui se perpétuait dans la nation comme celui des eaux amères de la femme soupçonnée d’adultère(2)Voy. Nombres, chap. V, v. 11-31, et Palestine, p. 205 a. L’auteur veut dire que la lèpre des maisons et des étoffes, et par suite celle des personnes, était quelque chose de miraculeux et de providentiel, de même que l’effet produit par l’eau qu’on donnait à boire à la femme soupçonnée d’adultère. En effet, le texte biblique indique lui-même l’intervention directe de la Providence, en disant, au sujet de la lèpre: ונתתי נגע צרעת (Lévit., chap. XIV, v. 34), et au sujet de la femme adultère: בתת י״י את ירכך נופלת (Nombres, chap. V, v. 21), comme le font observer les commentateurs du Pentateuque.. Il est évident que c’est là une croyance très utile, surtout si l’on réfléchit que la lèpre est contagieuse et que tous les hommes en éprouvent un dégoût presque instinctif(3)L’auteur veut dire que la croyance que la lèpre vient par suite de certains péchés est très-utile à la morale, surtout quand on pense au dégoût qu’elle inspire.. La raison pourquoi la purification se faisait avec du bois de cèdre, de l’hysope, de la laine cramoisie et deux oiseaux(4)Voy. Lévitique, chap. XIV, v. 4 et 51; Wayyikra rabba, sect. XVI (fol. 158, col. 4), et le Yalkout, Ire partie, n° 559., a été indiquée dans les Midraschôth; mais elle ne convient pas à notre but, et jusqu’à présent je n’ai su me rendre compte de rien de tout cela. Je ne sais pas non plus pour quelle raison on emploie dans la cérémonie de la vache rousse le bois de cèdre, l’hysope et la laine cramoisie, ni pourquoi on se sert d’un bouquet d’hysope pour faire l’aspersion avec le sang de l’agneau pascal(5)Voy. Exode, chap. XII, v. 22.; je ne trouve rien par quoi justifier la préférence donnée à ces espèces.", "La raison pourquoi la vache rousse est appelée ’hattath (sacrifice de péché)(6)Voy. Nombres, chap. XIX, v. 9 et 17., c’est parce qu’elle achève la purification de celui qui a été souillé par un corps mort, de sorte qu’il peut entrer dans le sanctuaire(1)Ibn-Tibbon ajoute les mots ולאכול בקדשים, qui ne sont exprimés dans aucun de nos mss. ar., ni dans la version d’Al-’Harîzi.; je veux dire que, du moment où quelqu’un s’est souillé par un corps mort, il lui serait interdit à jamais d’entrer dans le sanctuaire et de manger des choses saintes, s’il n’y avait pas cette vache qui emportât (symboliquement) ce péché(2)Sur les usages analogues des Indous et d’autres peuples, voy. mes Réflexions, etc., p. 71.. Il en est comme du diadème (du grand prêtre) qui fait expier la souillure(3)Voy. Mischnâ, IIe partie, traité Pesa’him, chap. VII, § 7; Talmud de Babylone, même traité, fol. 80 b; Yoma, fol. 7 b. Cf. Exode, ch. XXVIII, v. 38. et comme des boucs qui sont brûlés(4)C’est-à-dire, le bouc du jour des expiations (Lévit., XVI, 27), et le bouc offert pour le péché d’idolâtrie (Nombres, XV, 24, et ci-dessus, p. 375, note 2), et qui, selon la tradition, est brûlé. Voy. Maïmonide, Mischné Torâ, liv. VIII, traité Ma’asé ha-korbanoth, chap. I, § 16. Ces boucs aussi enlèvent symboliquement les péchés.. C’est pourquoi celui qui s’occupait de la vache rousse et des boucs à brûler rendait impurs ses vêtements(5)Voy. Nombres, chap. XIX, v. 8, 10, 21 et 22; Lévitique, chap. XVI, v. 28; Mischnâ, Ve partie, traité Zeba’him, chap. XII, § 5., comme celui qui s’occupait du bouc émissaire, qui, à cause des grands péchés qu’il était censé emporter, rendait impurs ceux qui le touchaient(6)Voy. Lévitique, chap. XVI, v. 26.. ", "— Ainsi, nous avons motivé, dans cette classe, tous les commandements dont nous avons cru pouvoir deviner les motifs." ], [ "Les commandements que renferme la treizième classe sont ceux que nous avons énumérés dans les traités Maakhalôth assourôth (des aliments prohibés), Sche’hîtâ (de la manière d’égorger les animaux), Nedarim ou-nezirouth (des vœux et du naziréat). Nous avons déjà, dans ce traité(1)Voy. ci-dessus, chap. XXXV, p. 272, et ibid., note 3. et dans le commentaire sur Aboth, suffisamment et largement exposé l’utilité de cette classe; nous allons donner ici de plus amples explications, en parcourant les commandements particuliers qui y sont énumérés.", "Je dis donc que tous les aliments que la Loi nous a défendus forment une nourriture malsaine. Dans tout ce qui nous a été défendu, il n’y a que le porc et la graisse qui ne soient pas réputés nuisibles(2)Ainsi, par exemple, le médecin juif Isaac Israïli (du Xe siècle) vante la chair de porc comme un aliment très-sain. Voy. Sprengel, Histoire de la médecine, trad. française de A. J. L. Jourdan, t. Il, p. 323., mais il n’en est point ainsi, car le porc est (une nourriture) plus humide qu’il ne faut et d’une trop grande exubérance(3)C’est-à-dire, une nourriture trop substantielle. Sur la nature malsaine de la chair du porc, cf. Michaelis, Mosaisches Recht, t. IV, § 203 (édition de 1774, p. 190). Sur les animaux impurs en général, et sur les lois diététiques chez différents peuples de l’Orient, voy. mes Réflexions, etc., p. 60, et Palestine, p. 166-168.. La raison principale pourquoi la Loi l’a en abomination, c’est qu’il est très-malpropre et qu’il se nourrit de choses malpropres. Tu sais combien la Loi a soin d’écarter le spectacle des malpropretés, même en rase campagne, dans un camp de guerre(4)Voy. Deutéronome, chap. XXIII, v. 13-15, et ci-dessus, ch. XLI, p. 333., et à plus forte raison dans l’intérieur des villes; mais, si l’on se nourrissait de la chair des porcs, les rues et même les maisons seraient plus malpropres que les latrines, comme on le voit maintenant dans le pays des Francs(5)On sait que par le mot ou , les Arabes désignent non-seulement les Français, mais, depuis les Croisades, les chrétiens d’Europe en général.. Tu connais cette parole des docteurs: «le museau du cochon ressemble à des immondices ambulantes(6)Voy. Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 25 a..»", "De même, les graisses des entrailles(1)Voy. ci-dessus, p. 321, note 4. sont trop nourrissantes, nuisent à la digestion et produisent du sang froid et épais; c’est pourquoi il convient plutôt de les brûler(2)C’est-à-dire, de les brûler sur l’autel ou de s’en servir pour l’éclairage. — Ibn-Tibbon a ajouté le mot מאכילתו, qui n’est exprimé dans aucun de nos mss. arabes; de même Al-’Harîzi: ועל כן היה ראוי לשריפה יותר מן האכילה.. ", "De même, le sang et la bête morte (naturellement) sont difficiles à digérer et forment une mauvaise nourriture, et l’on sait aussi que la bête teréphâ est très-près d’être une bête morte(3)Le mot טריפה signifie une bête déchirée (Exode, XXII, 30); mais les rabbins désignent aussi par ce nom un animal qui est blessé, ou qui a un défaut organique, et ils énumèrent une série de cas qui, selon la tradition, rendent l’animal impropre à servir de nourriture lors même qu’il aurait été égorgé selon les rites. Voy. Mischnâ, Ve partie, traité ’Hullin, chap. III; Maïmonide donne ici pour raison ce que disent les talmudistes que certaines maladies ou lésions organiques d’un animal sont un acheminement vers sa mort: טריפה אינה חייה; voy. Talmud de Babylone, traité ’Hullin, fol. 42 a, et cf. Mischné Torâ, traité Maakhalôth Assourôth, chap. IV, § 17, fin.. ", "— Quant aux signes caractéristiques (d’un animal pur), à savoir, pour les quadrupèdes, de ruminer et d’avoir le sabot divisé, et, pour les poissons, d’avoir des nageoires et des écailles(4)Voy. Lévitique, ch. XI, v. 3, 9, 10; Deutér., ch. XIV, v. 6 et 9., il faut savoir que l’existence de ces signes n’est pas la raison pourquoi il est permis de s’en nourrir, ni le manque de ces signes la raison pourquoi ces animaux sont défendus. Ce sont simplement des signes qui servent à faire reconnaître la bonne espèce et la distinguer de la mauvaise(5)Cf. mes Réflexions, etc., p. 60.. ", "— La raison du commandement relatif au nerf sciatique est écrite dans le texte(6)Voy. Genèse, chap. XXXII, v. 33.. ", "— La défense de manger un membre d’un animal vivant(7)Les rabbins trouvent cette défense dans la Genèse, chap. IX, v. 4, et dans le Deutéronome, chap. XII, v. 23. Voy. Talmud de Babylone, traité Synhédrin, fol. 57 a; traité ’Hullin, fol. 101 b, et Maïmonide, Sépher miçwôth, préceptes négatifs, n° 182. a pour raison que cela habitue à la cruauté. Les rois des païens en agissaient ainsi dans ces temps-là, et c’était aussi une pratique idolâtre, de couper d’un quadrupède un certain membre et de le manger(1)L’auteur a sans doute trouvé cet usage dans l’Agriculture Nabatéenne, ou dans quelque autre livre des Sabiens..", "Quant à la défense de manger de la viande cuite dans du lait, outre que c’est là une nourriture très-épaisse, qui produit une surabondance (de sang), il n’est pas invraisemblable que l’idolâtrie y entre pour quelque chose. On en mangeait peut-être dans une certaine cérémonie idolâtre, ou à l’une des fêtes des païens; ce qui me confirme dans cette dernière idée, c’est que là où la Loi défend les deux premières fois de manger de la viande cuite dans du lait(2)Les mots כון תחרים בשר בחלב ont été omis dans la version d’Ibn-Tibbon. Al-’Harîzi traduit: ומה שיחזק זה הדבר באיסור בשר בחלב וגו׳., elle en parle à côté du précepte relatif au pèlerinage: Trois fois dans l’année, etc.(3)Voy. Exode, chap. XXIII, v. 17-19; chap. XXXIV, v. 25-26. Dans ces deux passages, ainsi que dans un troisième, Deutér., ch. XIV, v. 21, la loi défend de faire cuire le chevreau dans le lait de sa mère. La loi orale y voit la défense plus générale de faire usage de la viande des quadrupèdes cuite avec du laitage, et déjà la version chaldaïque d’Onkelos porte dans les trois passages: לא תיכלון בשר בחלב, vous ne mangerez pas de la viande cuite dans du lait. On voit que cette interprétation remonte très-haut, et Maïmonide ne la met point en doute. Cependant, Philon, prenant le texte biblique à la lettre, y voit un précepte d’humanité, semblable à la défense d’égorger le même jour la mère et le petit. Voy. Philonis Opera, édition de Genève, 1613, de Charitate, p. 549. Ibn-Ezra indique d’une manière dubitative la même raison (אולי היה אכזריות לב וגו׳), et il ajoute qu’on a pu défendre en général la viande cuite dans du lait, parce que ce lait pourrait être par hasard celui de la mère de l’animal qui a fourni la chair.. C’est comme si elle disait: Au moment de votre pèlerinage, quand vous entrerez dans le temple de l’Éternel votre Dieu, vous n’y ferez rien cuire de la manière indiquée, comme faisaient les idolâtres. C’est là, je crois, la raison la plus plausible de cette défense; mais je n’ai trouvé à cet égard aucun passage dans les livres des Sabiens que j’ai lus.", "Le précepte d’égorger les animaux est nécessaire. La nourriture naturelle de l’homme ne peut se composer que de substances végétales et de la chair des animaux, et les meilleures chairs sont celles qu’il nous est permis de manger, ce qu’aucun médecin n’ignore. Or, comme la nécessité d’avoir une bonne nourriture exige que l’animal soit tué, on a voulu qu’il mourût de la manière la plus facile, et on a défendu de le tourmenter, soit en l’égorgeant mal, soit en lui perçant le bas du cou(1)Sur le sens du verbe , voy. ci-dessus, p. 208, note 1., soit en lui coupant un membre, comme nous l’avons exposé. ", "— Il a été défendu, de même, d’égorger le même jour la mère et son petit(2)Voy. Lévitique, chap. XXII, v. 28., afin que nous eussions soin de ne pas égorger le petit sous les yeux de la mère; car l’animal éprouverait, dans ce cas, une trop grande douleur. En effet, il n’y a pas, sous ce rapport, de différence entre la douleur qu’éprouverait l’homme et celle des autres animaux; car, l’amour et la tendresse d’une mère pour son enfant ne dépendent pas de la raison, mais de l’action de la faculté imaginative, que la plupart des animaux possèdent aussi bien que l’homme. Si cette recommandation a été faite en particulier à l’égard de l’espèce bovine et de l’espèce ovine, c’est parce que ce sont là les animaux domestiques qu’il nous est permis de manger et qu’on a généralement l’habitude de manger, et ce sont aussi les espèces dans lesquelles on sait distinguer la mère et son petit(3)La version d’Ibn-Tibbon porte: והם אשר תכיר מהם האם את הולד, ce qui est un contre-sens; Al-’Harîzi traduit mieux: והיה ניכר בהם האם מן הכן.. ", "— Le précepte de renvoyer la mère du nid d’oiseaux(4)Voy. Deutéronome, chap. XXII, v. 6 et 7, où il est prescrit, lorsqu’on rencontre un nid d’oiseaux sur le chemin, de ne pas prendre à la fois la mère et les petits, mais de renvoyer la mère et de ne prendre que les petits. a une raison analogue. En effet, généralement les œufs qui ont été couvés et les jeunes oiseaux qui ont besoin de la mère ne sont pas bons à manger; si donc on doit renvoyer la mère de manière qu’elle s’envole, non-seulement elle n’aura pas la douleur de voir prendre les petits, mais souvent même cela donnera lieu à laisser le tout, puisque ce qu’on peut en prendre n’est généralement pas bon à manger(1)Selon l’auteur, cette loi a deux motifs: 1° d’épargner à la mère la douleur de se voir enlever ses petits; 2° d’obtenir la plupart du temps que les nids d’oiseaux dans les campagnes restent intacts, puisque les petits, qui seuls peuvent être pris, ne sont pas bons à manger et n’offrent aucun avantage. Cf. Michaelis, Syntagma Commentationum, t. II, n° 4: Lex mosaica Deut. XXII, 6, 7, ex historia naturali et moribus Ægyptiorum illustrata, et Mosaisches Recht, t. III, § 171. Cet auteur voit dans la loi en question un règlement de chasse, ayant pour but d’empêcher la destruction de certains oiseaux dans lesquels l’agriculteur peut voir tout d’abord des ennemis dangereux pour les semences, et qui pourtant sont très-utiles en Palestine pour détruire les serpents, ainsi que les troupes de mouches et de sauterelles.. ", "Si la loi a eu égard à ces douleurs de l’âme quand il s’agit de quadrupèdes et d’oiseaux, qu’en sera-t-il à l’égard de tous les individus du genre humain? Il ne faut point m’objecter ce que disent les docteurs: «Celui qui dit: «ta miséricorde s’étend sur les nids des oiseaux, etc.(2)Voy. Mischnâ, Ire partie, traité Berakhôth, chap. V, § 3, où il est dit qu’on doit faire taire celui qui, dans sa prière, parle de la miséricorde que Dieu a montrée pour le nid d’oiseaux; Maïmonide, dans son Mischné Torâ (liv. II, traité de la Prière, chap. IX, § 7), s’exprime dans le même sens que la Mischnâ, et contrairement à ce qu’il dit dans notre passage, où il manifeste son opinion personnelle. Cf. t. II, p. 376 (fin de l’addition à la p. 352, note 3), et ci-dessus, ch. XLI, p. 313, note 1, et chap. XLVI, p. 372, note 2.»; car c’est là une des deux opinions dont nous avons parlé, à savoir l’opinion de ceux qui pensent que la Loi n’a d’autre motif que la seule volonté (de Dieu), tandis que nous, nous suivons la seconde opinion(3)C’est-à-dire, l’opinion qui admet que les lois divines ont des motifs rationnels et émanent de la sagesse divine. Voy. ci-dessus, chap. XXVI et XXXI..", "Nous avons déjà fait observer que la Loi elle-même explique pourquoi il faut couvrir le sang, et que ce précepte concerne particulièrement la bête sauvage pure et la volaille pure(1)Voy. ci-dessus, chap. XLVI, p. 373.. ", "— Outre les préceptes qui nous ont été donnés pour nous interdire l’usage de certains aliments, il nous a été prescrit des préceptes relatifs aux vœux d’abstinence (volontaire)(2)Voy. Nombres, chap. XXX, v. 3-17.. Si quelqu’un dit que ce pain, ou cette viande, soit pour moi chose interdite, il lui est défendu d’en manger. Tout cela a pour but d’exercer l’homme à la sobriété et de modérer son désir de manger et de boire. Les docteurs ont dit: «Les vœux sont une haie autour de l’abstinence(3)C’est-à-dire, ils sont une garantie pour l’abstinence; car l’homme, craignant de se livrer à l’intempérance, s’en garantit souvent par un vœu. Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Aboth, chap. III, § 13..» Mais comme les femmes, facilement impressionnables et ayant l’âme faible, sont promptes à se passionner, il y aurait dans la maison de graves difficultés, des querelles et du désordre, si elles étaient les maîtresses de faire des vœux; car telle espèce de nourriture serait permise au mari et défendue à la femme, et telle autre serait défendue à la fille et permise à la mère. C’est pourquoi la chose a été confiée au chef de la famille, pour tout ce qui peut l’intéresser(4)Littéralement: pour tout ce qui se rattache à lui. Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent: בכל מה שיש לו בו נזק או תועלת. Les mss. ont, conformément au texte arabe: בכל מה שנתלה בו. Le sens est: la chose reste abandonnée au chef de la famille, qui peut approuver le vœu de sa femme ou de sa fille, ou l’annuler.. D’un autre côté, tu vois que la femme qui se gouverne elle-même, et qui n’est pas sous la dépendance d’un chef de famille, est soumise par rapport aux vœux à la même règle que les hommes, je veux parler de celle qui n’a ni époux, ni père, ou qui est arrivée à l’àge de puberté et qu’on appelle boghéreth(5)Voy. Nombres, chap. XXX, v. 17. Les rabbins concluent, des mots בנעוריה בית אביה, dans son jeune âge, dans la maison de son père, que le père ne peut annuler les vœux de sa fille que jusqu’à l’âge où elle devient nubile (בוגרת), c’est-à-dire jusqu’à l’âge de douze ans et demi. Voy. Talmud de Babylone, traité Nedarîm, fol. 70 a, b..", "Le nazireat a un motif très-clairement indiqué, lequel est celui de s’abstenir de la boisson du vin(1)Voy. Nombres, chap. VI, v. 2-4., qui de tout temps a fait des victimes(2)Littéralement: qui a fait périr les anciens et les modernes. Le mot hébreu רבים qui suit, et qui se trouve aussi dans le texte arabe, doit se joindre aux mots suivants, et il faut effacer, dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, la préposition מן avant הראשונים, laquelle ne se trouve pas dans les mss.: ceux qu’il a tués étaient nombreux et puissants(3)Ces mots que l’auteur a mis en hébreu sont une imitation d’un passage des Proverbes, chap. VII, v. 26, qui se rapporte à la femme débauchée et adultère.; Et ceux-là aussi se sont oubliés par le vin (Isaïe, 28, 7). La loi sur le nazireat, comme tu peux le voir, défend entre autres l’usage de tout ce qui provient de la vigne(4)L’auteur a pensé évidemment au passage des Nombres, chap. VI, v. 4; mais au lieu de יֵעָשה, il a écrit יֵצֵא, d’après un passage des Juges, chap. XIII, v. 14. Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi ont rétabli le verbe יעשה des Nombres., en exagérant beaucoup, afin que les hommes se contentent de ce qui en est nécessaire. En effet, celui qui s’abstient du vin est appelé saint et mis au même rang de sainteté que le grand prêtre, de sorte que, comme ce dernier, il n’ose pas même se rendre impur par le contact (du cadavre) de son père et de sa mère(5)Voy. Nombres, chap. VI, v. 7.. Toute cette grandeur lui vient de son abstinence de la boisson(6)Ibn-Tibbon traduit: מן היין. Il avait peut-être, dans son texte arabe, אלשראב au lieu de אלשרב.." ], [ "Les commandements que renferme la quatorzième classe sont ceux que nous avons énumérés dans le livre Naschim (des femmes) et dans les traités Issouré biâ (des unions illicites) et Kileé behemâ (du mélange des animaux de deux espèces); le commandement de la circoncision appartient également à cette classe. Nous avons déjà précédemment fait connaître le but de cette classe(1)Voy. ci-dessus, chap. XXXV, p. 273.; maintenant, je vais en exposer les détails.", "Je dis donc: On sait que les amis sont une chose dont l’homme a besoin toute sa vie, comme l’a déjà exposé Aristote dans le IXe livre de l’Éthique(2)Le passage que l’auteur avait en vue se trouve, non pas au IXe, mais au VIIIe livre de l’Éthique à Nicomaque, au commencement du chap. 1: ἔστι γὰρ φιλία ἀρετή τις ἢ μετ’ ἀρετῆς, ἔτι δ’ἀναγϰαιοτάτη εἰς τὸν βίον. Cf. ci-dessus, p. 343, note 2.. Dans les moments de santé et de bonheur, il jouit de leur familiarité; dans les moments d’adver sité, ils lui servent de refuge; enfin, dans la vieillesse, quand son corps s’affaiblit, il cherche une assistance auprès d’eux. Ces avantages, l’homme les trouve à un bien plus haut degré dans ses enfants, et de même dans ses parents. La fraternité, l’amitié et le dévouement réciproque n’existent parfaitement qu’entre parents issus de la même famille, de sorte que les hommes d’une même tribu ayant un aïeul commun, même lointain, sont pénétrés d’amour, de dévouement et de sympathie les uns pour les autres, ce qui est une des principales tendances de la Loi. ", "C’est pourquoi la Loi a défendu la prostitution, qui est la destruction de la famille(3)Voy. Deutéronome, chap. XXIII, v. 18. — Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent למה שיש בהתרה וגו׳, à cause de ce qu’il y aurait dans son admission, etc.; c’est-à-dire, dans l’admission de la קדשה, ou prostituée. Les mss. ont, plus conformément au texte arabe: למה שיש בה וגו׳.; car l’enfant qui en naît est étranger à tout le monde, on ne lui connaît pas de famille et aucun de ses parents(1)Le premier עצבה doit être prononcé , famille; le second est le pluriel de ce même mot avec suffixe, c’est-à-dire , ses parents. La traduction d’Ibn-Tibbon, לא ידע לעצמו קרוב, est inexacte. Al-’Harîzi traduit mieux: לא יִוָּדע לו יחס. ne le connaît, ce qui est la plus fâcheuse position pour lui et pour son père. Il y avait encore une autre raison grave pour interdire le commerce avec la femme prostituée: c’était d’empêcher qu’on ne se livrât trop passionnément et avec trop de persistance à l’amour physique. En effet, la variété des personnes prostituées augmente la passion; car l’homme n’est point excité par une seule personne à laquelle il est continuellement habitué comme il l’est par des personnes toujours nouvelles, différentes de figure et de manières. Enfin, il y a dans l’interdiction de la femme prostituée une autre grande utilité, à savoir d’éviter les malheurs; car, s’il était permis d’avoir commerce avec une prostituée, plusieurs hommes pourraient, par hasard, aborder en même temps la même femme, ce qui causerait inévitablement des querelles, et, le plus souvent, ils pourraient se tuer les uns les autres, ou tuer la femme, ce qui, comme on sait, arrivait souvent: Et ils s’attroupent dans la maison de la courtisane (Jérémie, 5, 7). C’est donc pour éviter ces grands malheurs et pour obtenir l’avantage général (déjà mentionné), qui est la connaissance de la famille, que la Loi interdit le commerce avec la femme prostituée et avec le cinœdus, ", "de sorte que pour se livrer d’une manière licite à l’amour physique, il n’y a pas d’autre moyen que de prendre une femme pour soi seul et de l’épouser(2)Le mot זיגׄה̈ , que l’auteur emploie plusieurs fois dans ce chapitre et qui ne se trouve pas dans les dictionnaires arabes, signifie épousailles, comme le mot talmudique זיגה. publiquement; car, s’il suffisait de demeurer seul avec elle, le plus souvent l’homme prendrait une prostituée pour un certain temps dans sa maison, en tombant d’accord avec elle, et dirait que c’est sa femme(1)Littéralement: et il dirait: c’est une épouse; la traduction d’Ibn-Tibbon, שהיא אשתו, n’est pas littérale.. C’est pourquoi on a prescrit un lien(2)Le mot עקד n’a pas été rendu dans la version d’Ibn-Tibbon. et un acte par lequel il s’approprie la femme, et ce sont les fiançailles; ensuite un acte public, qui est le mariage: Et il (Boas) prit dix hommes, etc. (Ruth, 4, 2).", "Comme il se peut quelquefois qu’il ne règne point un parfait accord dans leur union et que leur ménage ne soit pas bien ordonné, on a permis le divorce. Mais, si le divorce pouvait s’accomplir par une simple parole, ou par le renvoi de la femme hors de la maison, elle guetterait un moment où elle ne serait pas observée(3)Mot à mot: elle chercherait une négligence; c’est-à-dire, elle guetterait un moment de négligence de la part de son mari; la traduction d’Ibn-Tibbon, היתה האשה מחזרת אחר פשיעה, est inexacte. et sortirait, en prétendant qu’elle est répudiée; ou bien, si un homme avait eu commerce avec elle, elle et le séducteur prétendraient qu’elle avait été répudiée auparavant. C’est pourquoi la Loi veut que le divorce ne soit valable qu’au moyen d’un écrit qui l’atteste: et il lui écrira une lettre de divorce (Deutér., 24, 1).", "Comme le soupçon d’infidélité et les doutes qui peuvent avoir lieu sous ce rapport sont fréquents à l’égard de la femme, la Loi nous a prescrit des dispositions à l’égard de la femme soupçonnée d’adultère(4)Voy. Nombres, chap. V, v. 11-31, et cf. ci-dessus, chap. XLVII, p. 394, note 2.; et ce procédé avait nécessairement pour suite que toute femme mariée, craignant la terreur des eaux amères, s’observait avec un soin extrême et se gardait bien(5)Les mots ותחתאט גאיה̈ אלאחתיאט, synonymes des mots précédents, ont été omis dans la version d’Ibn-Tibbon. de causer un chagrin au cœur de son mari. En effet, si la femme était pure et qu’elle pût entièrement rassurer (son mari) sur son compte, la plupart des hommes auraient bien donné tout ce qu’ils possédaient pour se racheter de l’acte auquel elle devait être soumise(1)L’auteur, à ce qu’il paraît, veut parler du cas où la femme aurait eu un rendez-vous après que le mari jaloux aurait déposé sa plainte en adultère; car, dans ce cas, dit le Talmud, il ne dépendait plus du mari de retirer sa plainte, lors même que la femme serait parvenue à le convaincre de sa parfaite pureté et de son innocence. Voy. Talmud de Babylone, traité Sôtâ, fol. 25 a: בעל שמחל על קינויו ⋯ שמע מינה לאחר סתירה אינו מחול. Cf. Mischné Torâ, liv. IV, traité Sôtâ, chap. I, § 7: אבל אם מחל אחר שתסתר אינו יבול למחול. Selon la version d’Ibn-Tibbon, notre passage ne parlerait point du mari qui se repent de sa plainte, mais de la femme accusée, qui voudrait bien se racheter, par les plus grands sacrifices, de l’acte ignominieux auquel elle doit se soumettre. Cette explication, à la vérité, est plus rationnelle, mais elle ne s’accorde pas avec la construction du texte arabe. Voici comment Al-’Harîzi a traduit ce passage: כי אלו תהיה נקייה ויהיה בוטח בה היו פודים נפשם רוב בני אדם בכל ממונם אבל היו בוחרים המות על זאת החרפה הגדולה. C’est dans ce sens que nous avons cru devoir traduire. et auraient même préféré la mort à cette grande ignominie, à savoir, de laisser découvrir la tête de la femme, mettre ses cheveux en désordre, déchirer ses vêtements de manière que sa poitrine soit découverte, et de lui faire faire le tour du sanctuaire en présence du public, femmes et hommes, et en présence du grand tribunal(2)Voy. Nombres, chap. V, v. 18, et Mischnâ, IIIe partie, traité Sôtâ, chap. I, §§ 5-7; Mischné Torâ, l. c., chap. III, §§ 3-11.. Ainsi, en inspirant cette crainte, on a prévenu de grands malheurs(3)Littéralement: par cette crainte donc on a coupé de graves maladies; c’est-à-dire, au moyen de la terreur que devait inspirer, à la femme et à son mari, une cérémonie aussi humiliante, on a empêché que la femme ne donnât lieu à des soupçons et que le mari ne se livrât à des accès de jalousie. qui peuvent troubler l’ordre dans beaucoup de maisons.", "La jeune fille vierge pouvant se marier avec le premier venu, on n’a imposé à son séducteur que le devoir de l’épouser(4)C’est-à-dire, comme le tort que le séducteur lui a fait consiste surtout à l’empêcher de trouver un mari, on lui a imposé, comme réparation, le devoir de l’épouser. Voy. Exode, chap. XXII, v. 16. Encore ici, l’auteur n’a égard qu’au texte biblique; car, selon la tradition talmudique, le séducteur peut refuser le mariage en payant le mohar (voy. Palestine, p. 203 b), à titre d’amende. Voy. Talmud de Babylone, traité Kethouboth, fol. 40 a: מהר ימהרנה לו לאשה לו מדעתו; Maïmonide, Mischné Torâ, liv. IV, traité Na’arâ bethoulâ (de la jeune fille vierge), chap. I, § 3.; car il est celui qui lui convient le plus, et ce mariage est mieux fait pour la réhabiliter(1)Sur l’expression אגׄבר לצרעהא, cf. ci-dessus, p. 276, note 2, et p. 325, note 1. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, cette locution est traduite doublement: ויותר רופא מחצה ויותר מתקן ענינה; les mss. n’ont que les mots ויותר רופא מחצה. que celui qu’un autre contracterait avec elle. Mais si elle, ou son père, s’y refuse, il (le séducteur) payera pourtant le mohar(2)Voy. Exode, chap. XXII, v. 16. Le texte biblique ne parle que du refus du père; mais le Talmud dit expressément, comme le veut aussi la raison, que la jeune fille peut refuser le mariage. Voy. Kethouboth, fol. 39 b: היא עצמה מניין ת״ל ימאן מכל מקום.. Pour celui qui se rend coupable de viol(3)Selon la tradition, la punition du viol consiste aussi à payer une indemnité plus forte que celle que paye le séducteur. Voy. Mischnâ, IIIe partie, traité Kethouboth, chap. III, § 4., on a ajouté un surcroît de châtiment: il ne pourra la renvoyer tant qu’il vivra (Deutér., 22, 29).", "Quant au motif du lévirat, il est écrit (dans le Pentateuque) que c’était là une ancienne coutume, antérieure à la révélation de la Loi(4)Voy. Genèse, chap. XXXVIII, v. 8, et Palestine, p. 204 b. Cette coutume existait aussi chez les Indous. Voy. Lois de Manou, III, 17-39; IX, 97., et que celle-ci a laissé subsister(5)Voy. Deutéronome, chap. XXV, v. 5 et 6.. Pour ce qui est de la cérémonie du déchaussement(6)Voy. ibid., v. 7-10., la raison en est que ces actes (dont elle se composait) étaient réputés ignominieux selon les mœurs de ces temps-là, et que par là le beau-frère, pour éviter ces actes, pourrait être amené à accomplir le lévirat. Cela résulte clairement du texte du Pentateuque: C’est ainsi qu’il sera fait à l’homme, etc., et son nom sera appelé en Israël, etc. (Deutér., 25, 9-10).", "Par l’histoire de Juda(1)L’auteur veut parler de l’événement de Juda et de sa bru Thamar (Genèse, chap. XXXVIII). on peut apprendre à tenir une conduite décente et à garder l’équité dans les manières d’agir, je veux parler de ces paroles (de Juda): qu’elle le garde, afin que nous ne soyons pas en butte au mépris (Genèse, 38, 23). Voici quelle en est l’explication: Avant la législation (de Moïse), le commerce avec une courtisane était ce qu’est le mariage depuis cette législation(2)Mischné Torâ, liv. IV, traité Ischouth, chap. I, § 4., je veux dire que c’était un acte permis, pour lequel on n’avait absolument aucune répugnance. Payer à une courtisane le salaire dont on était convenu, c’était alors ce qu’est maintenant le payement du douaire d’une femme en cas de divorce(3)Selon la loi traditionnelle, le mari, au moment du mariage, doit assurer à la femme, par un écrit (כתובה), un douaire dont le minimum est fixé pour une vierge à deux cents sicles, et pour la veuve à la moitié. Voy. Mischnâ, IIIe partie, traité Kethouboth, chap. I, § 2; Mischné Torâ, l. c., chap. X, § 7. C’est à la mort du mari, ou en cas de divorce, que la femme est mise en possession de ce douaire. Ici, comme plus loin, l’auteur paraît confondre la Kethoubâ avec le mohar biblique., c’est-à-dire que c’était un droit de la femme que l’homme était obligé de payer. Quand donc Juda dit: afin que nous ne soyons pas en butte au mépris, il nous apprend par là qu’il est honteux pour nous de parler en général de choses relatives à la cohabitation, lors même qu’elle serait permise, et qu’il faut au contraire la passer sous silence et la cacher, quand même cela conduirait à une perte d’argent. C’est là, comme tu vois, ce que fit Juda en disant: Il vaut mieux que nous subissions une perte et qu’elle garde ce qu’elle a reçu, plutôt que de dévoiler notre recherche et d’en recueillir de la honte. Telle est la conduite décente que nous apprenons de cette histoire. Quant à la leçon d’équité que nous pouvons en tirer, c’est lorsqu’il dit, pour assurer qu’il est pur de toute violence à l’égard de la femme, qu’il ne s’est pas rétracté et qu’il n’a pas diminué le prix dont il était convenu avec elle: J’ai envoyé le chevreau que voici, etc. (ibid.); car il n’y a pas de doute que ce chevreau ne fût un des meilleurs de son espèce, et à cause de cela il emploie le démonstratif הזה, que voici. Telle est l’équité dont Jacob, Isaac et Abraham leur avaient donné l’exemple, à savoir, qu’on ne doit ni changer la parole (engagée), ni altérer sa promesse; qu’on doit payer intégralement ce qui est dû; qu’il n’y a pas de différence entre ce qui t’a été confié de la fortune d’un autre, à titre de prêt ou de dépôt, et ce que tu lui dois d’une manière quelconque, à titre de salaire ou autrement; enfin, qu’il en est du douaire de toute femme comme du salaire de tout mercenaire, de sorte que celui qui retient ce qui est dû à sa femme est aussi coupable que celui qui retient le salaire d’un mercenaire; car peu importe qu’on chicane le mercenaire et qu’on cherche des prétextes pour le renvoyer sans salaire, ou qu’on en agisse ainsi envers sa femme pour la renvoyer sans douaire.", "Je dois te faire remarquer ici la grande équité de ces statuts et ordonnances justes (Deut., IV, 8), dans le jugement prononcé contre le diffamateur de sa femme(1)C’est-à-dire: contre celui qui accuse sa jeune femme de ne pas l’avoir trouvée vierge. Voy. Deutéronome, chap. XXII, v. 13-19.. Sans doute, cet homme méchant n’aimait pas sa femme qu’il a diffamée, et la trouvait laide: si donc il avait voulu divorcer avec elle selon la manière de tous ceux qui répudient leur femme, rien ne l’en aurait empêché; mais, s’il avait divorcé(2)Ibn-Tibbon n’a pas rendu les mots לו טלק, qui se trouvent dans tous les mss. du texte arabe; Al-’Harîzi traduit: אבל אם היה מגרש היה מתחייב וגו׳., il aurait été obligé de lui payer ce qui lui revenait de droit. Il tenait donc de mauvais propos sur son compte, afin de s’en débarrasser sans payement; il la calomniait et la diffamait par des mensonges, afin de lui retenir la somme qu’elle avait le droit d’exiger de lui et qui est de cinquante sicles d’argent(3)Ici et dans le raisonnement suivant, l’auteur identifie le mohar des temps bibliques avec le douaire de la loi traditionnelle, qui, comme on l’a vu dans une note précédente, était fixé au minimum de deux cents sicles pour une vierge. Maïmonide me paraît être ici dans l’erreur; car le mohar n’était pas un douaire, mais se payait au père au moment des fiançailles, comme prix d’acquisition de la jeune femme. On peut conclure d’un verset du Deutéronome (XXII, 29) que ce prix était de cinquante sicles (environ 150 francs). Voy. Palestine, p. 203 b., car c’est là le mohar des vierges, fixé dans la Loi. C’est pourquoi Dieu l’a condamné à payer cent sicles d’argent (ibid., XXII, 19)(1)Après les mots מאה כסף, les éditions de la version d’Ibn-Tibbon répètent les mots: כי זהו מוהר הבתולות, qui ne se trouvent point dans les mss. de cette version et qui sont ici vides de sens., suivant ce principe: Celui que les juges condamneront payera le double à son prochain (Exode, 22, 8), et conformément au jugement des faux témoins, comme nous l’avons déjà exposé(2)Voy. ci-dessus, chap. XLI, p. 316, et ibid., note 1.. Il en est de même de ce diffamateur, lequel, ayant voulu lui faire perdre les cinquante sicles qui lui sont dus de sa part(3)Littéralement: fixés ou destinés de son côté. Les mss. de la version d’Ibn-Tibbon portent הראוים לה עליו; dans les éditions on a substitué aux mots לה עליו les mots לתת לה., est condamné à en payer cent. Telle est sa punition pour avoir voulu retenir l’indemnité qui lui est imposée et avoir cherché à s’en emparer; mais son châtiment pour avoir porté atteinte à l’honneur de la femme et l’avoir accusée de fornication consistait à se voir lui-même déshonoré par des coups de fouet: et ils le châtieront (Deut., XXII, 18). Enfin, son châtiment pour avoir obéi à sa concupiscence et n’avoir cherché que la seule volupté consistait à rester perpétuellement enchaîné à elle: Il ne pourra la renvoyer tant qu’il vivra (ibid., v. 19); car la cause de tout ce qui est arrivé, c’est qu’il la trouvait laide. ", "C’est ainsi que se guérissent les mauvaises mœurs, si elles ont pour médecin le précepte divin; et, dans toutes les dispositions de cette Loi, si tu les examines bien, tu ne cesseras de voir de toutes parts une équité manifeste et éclatante. Remarque bien comme on a établi l’égalité entre le jugement du diffamateur qui a voulu retenir l’indemnité qui lui était imposée, et le jugement du voleur qui s’est emparé du bien d’un autre, et comme on a traité le faux témoin, qui a seulement voulu porter un dommage, mais qui n’y a pas réussi, à l’égal de celui qui a nui et exercé la violence, je veux dire (à l’égal) du voleur et du diffamateur; tous les trois sont jugés selon une même loi et un même droit(1)Imitation d’un passage des Nombres, chap. XV, v. 16.. La sagesse des lois de Dieu doit inspirer le même étonnement que celle qu’il a déployée dans ses œuvres: le rocher, est-il dit, son œuvre est parfaite, car toutes ses voies sont justice (Deutér., 32, 3). Cela veut dire: de même que ses œuvres sont d’une extrême perfection, de même ses lois sont d’une extrême justice; mais nos intelligences sont trop faibles pour saisir la perfection de tout ce qu’il a fait et la justice de tout ce qu’il a décrété; et, de même que nous comprenons certaines merveilles de ses œuvres, dans les membres des animaux et les mouvements des sphères célestes, de même nous comprenons la justice d’une partie de ses lois. Mais ce qui nous reste caché, sous les deux rapports, est beaucoup plus considérable que ce qui en est manifeste pour nous. — Mais revenons au sujet du chapitre.", "Les commandements relatifs aux unions illicites(2)Littéralement: quant à la défense desARAYÔTH ou nudités. Les incestes et autres unions illicites sont désignés par le mot עריות, nudités, parce que dans le chapitre du Pentateuque qui traite de ces unions (Lévitique, chap. XVIII, v. 9 et suiv.), on s’exprime par cette locution: «tu ne découvriras point la nudité (ערוה), etc.», et que presque tous les versets commencent par le mot ערות. Le mot ערוה s’emploie donc chez les docteurs juifs, tant rabbanites que caraïtes, pour désigner en général une femme avec laquelle il est défendu de s’allier par mariage, une parente. ont tous pour but de rendre plus rare la cohabitation et de faire qu’on en éprouve de la répugnance, et qu’on ne la recherche que le plus rarement possible. Quant à la défense de la pédérastie et de la bestialité, le motif en est évident; car, si ce n’est qu’avec répugnance et par nécessité qu’on se livre à l’union naturelle, à plus forte raison (doit-on fuir) ce qui est en dehors du cours de la nature et ce qui n’a d’autre but que la seule volupté. ", "Les femmes qu’il est défendu d’épouser (pour cause de parenté) se trouvent toutes dans une même position, c’est-à-dire que, la plupart du temps, chacune d’elles se trouve continuellement avec l’homme(1)Les mots מע אלשכׄץ, avec l’individu ou la personne, ont été, pour plus de clarté, ainsi paraphrasés par Ibn-Tibbon עם האיש שנאסרה עליו. dans la même maison; elle accédera facilement à son désir, sera prompte à se laisser prendre, et il pourra la faire venir sans peine en sa présence, sans qu’aucun juge puisse blâmer l’homme de ce qu’elle se trouve avec lui. Si donc il en était de cette femme familière comme de toute autre femme non mariée, je veux dire, s’il était permis de l’épouser et qu’elle ne fût interdite (à cet homme) que parce qu’elle n’est pas sa femme, la plupart des hommes seraient constamment exposés au commerce intime avec de semblables femmes. Mais comme il est absolument interdit de cohabiter avec elles, comme nous en sommes empêchés de la manière la plus énergique, étant menacés de la peine de mort, ou de celle du retranchement(2)Voy. ci-dessus, chap XLI, p. 318, note 2., et comme il n’y a aucun moyen de s’unir avec ces femmes, on pouvait être sûr que l’homme ne chercherait pas à s’approcher d’elles et qu’il en détournerait ses pensées. ", "Quant à cette facilité (de relations), il est très-clair qu’elle existe pour chacune des femmes qu’il est défendu d’épouser(3)Ibn-Tibbon s’écarte ici un peu de la traduction littérale, qu’il ne trouvait sans doute pas assez claire. Al-’Harîzi traduit: אבל מציאות עגין זה הקלות בכל ערוה וגו׳.. En effet, c’est une chose très-connue que, dès que l’homme a pris une femme, la mère de celle-ci, sa grand’-mère, sa fille, sa petite-fille et sa sœur, se trouvent la plupart du temps auprès de cet époux, qui les rencontre continuellement, en entrant, en sortant et en s’occupant de ses affaires; de même, la femme a des rapports fréquents avec le frère de son mari, avec son père et avec son fils. On sait aussi que l’homme se trouve très-fréquemment avec ses sœurs, avec ses tantes maternelles et paternelles, avec la femme de son oncle, et que souvent il a été élevé avec elles. Ce sont là toutes les femmes parentes qu’il est défendu d’épouser; et, si tu y réfléchis(1)Le mot פאעתברהן, considère-les, qui se trouve dans tous les mss. arabes, n’a été rendu ni par Ibn-Tibbon, ni par Al-’Harîzi., tu trouveras que la raison indiquée (l’intimité) est une de celles pourquoi le mariage entre parents est défendu. ", "J’en trouve une seconde dans des considérations de pudeur; car ce n’est que par suite d’une très-grande impudeur que l’acte en question peut avoir lieu entre la souche et la branche(2)C’est-à-dire: entre les descendants et les ascendants., je veux parler de la cohabitation (d’un homme) avec sa mère ou avec sa fille(3)Ce dernier cas n’est pas prévu par la Loi de Moïse, pas plus que le parricide; l’énormité de ces crimes dispensait le législateur de les défendre par des lois. D’ailleurs, la Loi défendant l’union d’un homme avec sa petite-fille (Lévit., XVIII, 10), il s’ensuit à plus forte raison qu’elle lui défend l’union avec sa fille. Voy. Talmud de Babylone, traité Synhédrin, fol. 76 a.. C’est pourquoi le commerce mutuel entre la souche et la branche a été défendu, et peu importe que ce soit la souche qui épouse la branche, ou que ce soit la branche qui épouse la souche(4)Le second cas est omis dans la plupart des mss. ar., ainsi que dans la version d’Ibn-Tibbon, qui porte: ואין הפרש בין שיבעול השרש או הענף או שיתקבצו וגו׳. Un des mss. d’Oxford (Pococke, 234) porte: בין אן ינכח אצל אלפרע או פרע אלאצל; d’autres ont seulement אלאצל ללפרע, et d’autres encore אלפרע ללאצל. La leçon que nous avons adoptée est combinée de ces différentes leçons; elle est confirmée par la version d’Al-’Harîzi, qui porte: ואין הפרש בין שיבעל העקו לענף והענף לעיקר או שיתקבץ וגו׳., ou que la souche et la branche épousent la même troisième personne(5)C’est-à-dire: par exemple, que le père et le fils épousent successivement la même femme, ou qu’un homme épouse à la fois la mère et la fille., c’est-à-dire qu’une même personne se livre à la cohabitation avec la souche et la branche. C’est pourquoi il est défendu de prendre à la fois une femme et sa mère et d’épouser la femme de son père ou celle de son fils; car, dans tous ces cas, une même personne découvrirait sa nudité devant celle de la souche et de la branche. Les frères et sœurs sont assimilés à souche et branche; or, comme il est défendu d’épouser sa sœur, il est défendu aussi d’épouser la sœur de sa femme et la femme de son frère; car de cette manière deux personnes, qui sont comme souche et branche, épouseraient toutes deux une même troisième personne.", "Comme l’union entre frères et sœurs est sévèrement défendue et comme on les a assimilés à souche et branche, ou plutôt le frère et la sœur(1)Le duel אלאכׄואן signifie ici le frère et la sœur. Les mss. ont le cas oblique: אלאכׄוין ou אלאכׄין. Dans la version d’Ibn-Tibbon ce duel a été omis; elle porte: וגם כגוף אחד. Al-’Harîzi traduit: אבל שני האחים הם כאיש אח. étant comme une seule personne, on a défendu aussi d’épouser sa tante maternelle, qui est au rang de la mère, et sa tante paternelle, qui est au rang du père. Mais, de même qu’on n’a point défendu d’épouser la fille de son oncle ou de sa tante, de même, par analogie, on n’a point défendu d’épouser la fille de son frère, ou la fille de sa sœur. S’il est permis à l’oncle d’épouser la femme de son neveu, tandis qu’il est défendu au neveu d’épouser la femme de son oncle, cela s’explique selon la première raison. En effet, le neveu se trouve fréquemment dans la maison de son oncle, et il se lie avec la femme de son oncle, comme il se lie avec la femme de son frère; mais l’oncle ne se trouve pas aussi fréquemment dans la maison de son neveu et n’a pas de liaison avec la femme de ce dernier. Ne vois-tu pas que, le père étant lié avec la femme de son fils, comme l’est le fils avec la femme du père, les deux mariages sont également défendus(2)Le texte dit: les deux défenses sont égales; c’est-à-dire, il est défendu au père d’épouser la veuve de son fils, comme il est défendu au fils d’épouser la veuve de son père. et punis de la même mort(3)C’est-à-dire, de la lapidation. Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Synhédrin, chap. VII, § 4..", "Quant à la défense d’avoir commerce avec une femme ayant ses menstrues ou avec une femme mariée, la raison en est trop manifeste pour qu’on ait besoin de la chercher. ", "Tu sais aussi qu’il nous est défendu de jouir, d’une manière quelconque, d’une femme que la Loi nous interdit, fût-ce même de la regarder dans un but de plaisir, comme nous l’avons exposé dans le traité Issouré Biâ (des unions illicites)(1)Voy. Mischné Torâ, Ve livre, traité Issouré Biâ, chap. XXI, §§ 1 et 2.. Nous y avons dit que notre Loi ne permet aucunement d’occuper notre pensée de l’amour physique(2)Voy. le même chapitre, § 19., ni d’exciter la concupiscence d’une manière quelconque, et que l’homme, s’il s’y sent excité malgré lui, doit occuper son esprit d’autres pensées et réfléchir sur autre chose, jusqu’à ce que cette excitation soit passée. Voici ce que disent les docteurs dans leurs sentences, qui servent à perfectionner même les hommes vertueux: «Si ce hideux(3)C’est-à-dire, Satan ou la mauvaise passion. te rencontre, entraîne-le à la maison d’études; s’il est de fer, il se fondra, et s’il est de pierre, il se brisera, comme il est dit: Ma parole n’est-elle pas comme le feu, dit l’Éternel, et comme un marteau qui brise le rocher (Jérémie, 23, 29)(4)Voy. Talmud de Babylone, trailé Kiddouschin, fol. 30 b.?» Le docteur donne ici à son fils cette règle de conduite: Si tu te sens excité à la concupiscence et si tu en souffres, va à la maison d’études, livre-toi à l’étude et à la lecture, interroge et laisse-toi interroger, et cette souffrance s’évanouira indubitablement. L’expression ce hideux est remarquable, et en effet, il n’y a rien de plus hideux. Cette morale, non-seulement est prescrite par la religion, mais elle est aussi recommandée par les philosophes. Je t’ai déjà cité textuellement les paroles d’Aristote(5)Voy. le t. II, p. 285, et ibid., note 3, et cf. ci-dessus, p. 47., qui dit: «ce sens qui est une honte pour nous», voulant parler du sens du toucher qui nous invite à rechercher la bonne chère et l’amour physique. Dans ses écrits, il appelle abjects les gens qui se livrent à l’amour physique et à la bonne chère, et il leur prodigue le blâme et la raillerie, comme tu le trouveras dans son traité de l’Éthique et dans celui de la Rhétorique(1)Voy., par exemple, Éthique à Nicomaque, liv. III, chap. 13; Rhétorique, liv. I, chap. 2: τῶν δ’ἐπιθυμιῶν αἱ μὲν ἄλογοί εἰσιν ϰ. τ. λ.. ", "C’est en vue de cette conduite vertueuse, laquelle nous devons nous proposer comme but de tous nos efforts, que les docteurs nous ont défendu de regarder «les quadrupèdes et les oiseaux au moment de leur accouplement(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Abodâ Zarâ, fol. 20 b; Mischné Torâ, traité Issouré Biâ, chap. XXI, § 20..» Selon moi, c’est là aussi la raison pourquoi il est défendu d’accoupler les animaux de différentes espèces(3)Voy. Lévitique, chap. XIX, v. 19.; car on sait qu’ordinairement l’individu d’une espèce n’est point porté à s’accoupler à celui d’une autre espèce, à moins qu’on ne l’y pousse de force, comme on le voit continuellement pratiquer par ces hommes abjects qui veulent obtenir la naissance des mulets. La Loi n’a donc pas voulu que l’Israélite descendît à une telle pratique, qui révèle tant d’abjection et d’impudeur, et qu’il s’occupât(4)Dans la version d’Ibn-Tibbon il faut lire: ושיתעסק, avec le ו copulatif, comme l’ont les mss. de cette version. de choses dont la religion a en horreur la simple mention, et à plus forte raison l’exécution, à moins que ce ne soit par nécessité; mais il n’y a nulle nécessité à opérer cet accouplement. Il me semble aussi que la défense d’associer ensemble deux espèces pour n’importe quel travail a pour motif de nous éloigner de l’accouplement de deux espèces; si donc il est dit: tu ne labourer as pas avec le bœuf et l’âne réunis ensemble (Deut., XXII, 10), c’est parce que, réunis ensemble, ils pourraient quelquefois s’accoupler l’un avec l’autre. La preuve en est que cette disposition embrasse aussi les animaux autres que le bœuf et l’âne: «N’importe que ce soit un bœuf et un âne, ou d’autres animaux de deux espèces; mais l’Écriture parle de ce qui est habituel(5)Voy. Mischnâ, IVe partie, traité Baba Kamma, chap. V, § 7..»", "Je crois de même que l’un des motifs de la circoncision, c’est de diminuer la cohabitation et d’affaiblir l’organe (sexuel), afin d’en restreindre l’action et de le laisser en repos le plus possible(1)Dans cette phrase, la version d’Ibn-Tibbon a quelques inexactitudes: le mot מטעמים n’est qu’une faute d’impression pour מטעמיה; mais cette version ne rend pas le verbe ויגׄם (de , quievit post coitum, ou passif de la IVe forme, , quietem concessit), et les mots מא אמכן, le plus possible, sont transposés.. On a prétendu que la circoncision avait pour but d’achever ce que la nature avait laissé imparfait(2)L’auteur fait peut-être allusion à R. Saadia, qui, dans le Traité des Croyances et des opinions, liv. III, chap. X, professe cette opinion: ואבאר כי הדבר השלם הוא אשר אין בו לא תוספת ולא חסרון וברא הבורא זה האבר תוספות באיש וכאשר יכרחנו תסור התוספות ושאר שלם·, ce qui a donné lieu à critiquer (ce précepte); car, disait-on, comment les choses de la nature pourraient-elles être imparfaites, de manière à avoir besoin d’un achèvement venant du dehors, d’autant plus qu’on sait combien le prépuce est utile au membre en question? Mais ce précepte n’a point pour but de suppléer à une imperfection physique; il ne s’agit, au contraire, que de remédier à une imperfection morale. Le véritable but, c’est la douleur corporelle à infliger à ce membre et qui ne dérange en rien les fonctions nécessaires pour la conservation de l’individu, ni ne détruit la procréation, mais qui diminue la passion(3)Le mot , qui signifie proprement véhémence, avidité, voracité, n’a pas été rendu par Ibn-Tibbon. et la trop grande concupiscence(4)Philon suppose le même motif au précepte de la circoncision; voy. son écrit de Circumcisione, à la fin.. Que la circoncision affaiblit la concupiscence et diminue quelquefois la volupté, c’est une chose dont on ne peut douter; car, si dès la naissance on fait saigner ce membre en lui ôtant sa couverture, il sera indubitablement affaibli. Les docteurs ont dit expressément: «La femme qui s’est livrée à l’amour avec un incirconcis peut difficilement se séparer de lui(5)Voy. Bereschith rabba, sect. 80, fol. 70, col. 3.;» c’est là, selon moi, le motif le plus important de la circoncision. Et qui donc a le premier pratiqué cet acte? N’est-ce pas Abraham, si renommé pour sa chasteté? comme le disent les docteurs au sujet de ce passage: Maintenant je sais que tu es une femme belle de figure (Genèse, 12, 11)(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Baba bathra, où il est dit, au sujet des paroles de Job qui se vante de n’avoir jamais regardé une jeune fille (Job, XXXI, 1): איהו באחרניתא אברהם אפילו בדידיה לא אסתכל «lui, il n’avait pas contemplé de femme étrangère; Abraham n’avait même pas contemplé la sienne.» Cf. le commentaire de Raschi au passage de la Genèse..", "La circoncision a, selon moi, un autre motif très-important: elle fait que ceux qui professent cette idée de l’unité de Dieu se distinguent par un même signe corporel qui leur est imprimé à tous, de sorte que celui qui n’en fait pas partie ne peut pas, étant étranger, prétendre leur appartenir(2)On pourrait objecter ici que la circoncision était pratiquée par plusieurs peuples de l’antiquité, notamment par les Égyptiens, comme le dit Hérodote (lib. II, c. 36 et 104), et comme le confirment deux auteurs juifs, Philon (de Circumcisione) et Josèphe (contre Appion, liv. II, chap. 13). Mais, la circoncision des Juifs différait essentiellement de celle des autres peuples de l’antiquité, ainsi que de celle des chrétiens de l’Éthiopie et des musulmans. Cette différence est si grande que la circoncision des Juifs seule pouvait être regardée comme un signe distinctif, ce qui a fait dire à Tacite (Hist., liv. V, ch. 5): «circumcidere genitalia instituere ut diversitate noscantur.» Sur cette grave question historique, voy. entre autres les auteurs cités par Milius, Dissert. de Mohammedismo ante Mohamedem, § 16, et Louis Marcus, Mémoire sur l’époque de l’établissement des Juifs dans l’Abyssinie, dans le Journal Asiatique, juin 1829, p. 419 et suiv.; car il pourrait y avoir (des hommes) qui agissent ainsi dans le but d’en tirer profit, ou de tromper ceux qui professent cette religion (de l’unité). Cet acte(3)Ibn-Tibbon ajoute ces mots explicatifs, בלומר המילה, je veux dire la circoncision., aucun homme ne le pratiquera sur lui-même ou sur son fils, si ce n’est par une véritable conviction; car ce n’est point une incision dans la jambe, ni une brûlure sur le bras, mais une chose extrêmement dure. On sait aussi combien les hommes s’aiment et s’entr’aident mutuellement, quand ils ont tous la même marque distinctive, qui est pour eux une espèce d’alliance et de pacte; et de même la circoncision est une alliance conclue par Abraham notre père pour la croyance à l’unité de Dieu, de sorte que tous ceux qui se font circoncire entrent seuls dans l’alliance d’Abraham. Par cette alliance, on s’engage(1)Les mots ואלתזאם עהדה sont omis dans la version d’Ibn-Tibbon. à croire à l’unité: afin d’être pour toi un Dieu comme pour ta postérité après toi (Genèse, 17, 7). C’est là encore un motif important qu’on peut indiquer pour la circoncision, et il est peut-être plus important que le premier.", "La religion ne peut être vraiment accomplie, ni se perpétuer, que si la circoncision a lieu dans les années de l’enfance, et il y a pour cela trois raisons(2)Ibn-Tibbon a incorrectement rendu cette phrase, à moins qu’il n’ait eu une autre leçon; il paraît avoir lu: אנמא תם באלכׄתאן וכונה פי סן אלצגר וגו׳.: 1° Si on laissait grandir l’enfant, il se pourrait qu’il ne pratiquât pas (la circoncision). 2° Il ne souffre pas autant que souffrirait une grande personne, vu que sa membrane est tendre et qu’il a encore l’imagination faible; car une grande personne trouve terrible et cruelle, avant qu’elle arrive, la chose que son imagination se figure d’avance. 3° Les parents n’ont pas encore une grande affection pour l’enfant au moment de sa naissance; car la forme imaginative(3)Par la forme imaginative, l’auteur entend ici l’affection ou la sensibilité instinctive qui, selon la classification des auteurs arabes, est en rapport avec la faculté imaginative. Cf. Kazwini, dans la Chrestomathie arabe de Silvestre de Sacy, t. III, p. 488. qui produit chez les parents l’amour de l’enfant ne s’est pas encore consolidée chez les parents. En effet, cette forme imaginative s’augmente par le contact habituel(4)Le mot בראיה, par la vue, qu’a ici la version d’Ibn-Tibbon, ne rend pas assez exactement le mot arabe . et s’accroît à mesure que l’enfant grandit, et ce n’est que plus tard qu’elle commence à baisser et à s’effacer. C’est pourquoi le père et la mère n’éprouvent pas pour le nouveau-né l’amour qu’ils éprouvent pour l’enfant d’un an, et ils n’aiment pas l’enfant d’un an autant que celui de six ans. Si donc on laissait l’enfant deux ou trois ans (sans le circoncire), cela aurait pour conséquence de négliger la circoncision, par l’affection et l’amour qu’on aurait pour l’enfant. Mais, lors de sa naissance, cette forme imaginative est très-faible, surtout chez le père, à qui ce commandement est prescrit(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Kiddouschin, fol. 29 a; Tosiphta, même traité, chap. I: איזו היא מצות האב על הבן למולו וגו׳.. La raison pourquoi la circoncision a lieu le huitième jour, c’est que tout animal, au moment de sa naissance, est très-faible et extrêmement tendre, comme s’il était encore dans le sein de sa mère; ce n’est qu’au bout de sept jours qu’il est compté parmi les êtres qui sont en contact avec l’air. Ne vois-tu pas que pour les quadrupèdes aussi on a eu égard à cette circonstance? Il restera sept jours avec sa mère, etc. (Exode, 22, 29). Avant ce délai, il est considéré comme un avorton, et de même l’homme ne pourra être circoncis qu’après le délai de sept jours. De cette manière aussi la chose reste fixe, et «tu n’en fais pas quelque chose de variable(2)C’est-à-dire, l’époque de la circoncision est fixée et bien déterminée, et on ne la fait pas dépendre du plus ou moins de développement de l’enfant ni d’autres circonstances. Sur l’expression talmudique נתת דבריך לשיעורין, cf. ci-dessus, p. 267, note 6..»", "Ce qui entre encore dans cette classe, c’est la défense de mutiler les organes de la génération de tout mâle d’entre les animaux(3)Voy. Lévitique, chap. XXII, v. 24., défense qui se rattache à ce principe de statuts et ordonnances justes (Deut., IV, 8)(4)Cf. ci-dessus, chap. XXVI, p. 203., c’est-à-dire du juste milieu dans toutes choses; il ne faut pas trop se livrer à l’amour physique, comme nous l’avons dit; mais il ne faut pas non plus l’anéantir complétement. Dieu n’a-t-il pas prononcé cet ordre: Croissez et multipliez (Genèse, 1, 22)? Cet organe doit donc être affaibli par la circoncision, mais non pas être entièrement déraciné; au contraire, ce qui est naturel doit être laissé dans sa nature, mais on doit se garder des excès. Il est interdit au châtré et à l’eunuque d’épouser une Israélite(1)Voy. Deutéronome, chap. XXIII, v. 2.; car ce serait une cohabitation perdue et sans but, et un tel mariage deviendrait aussi une pierre d’achoppement pour la femme et pour celui qui la recherche(2)C’est-à-dire, il compromettrait la conduite de la femme et l’honneur du mari., ce qui est très-clair.", "Pour nous éloigner des unions illicites, il est défendu au bâtard d’épouser la fille d’un Israélite(3)Voy. Deutéronome, chap. XXIII, v. 3; Mischnâ, IIIe partie, traité Yebamôth, ch. IV, § 13; Mischné Torâ, liv. V, traité Issouré Biâ, ch. XV, §§ 1 et 2.. On a voulu que l’homme et la femme adultères sussent bien qu’en commettant cet acte ils impriment d’avance à leurs enfants une flétrissure à jamais irréparable(4)Sur le mot , voy. ci-dessus, p. 407, note 1, et les autres passages indiqués, p. 172, note 2.. Les bâtards étant frappés de mépris suivant la coutume de toutes les nations(5)Littéral.: dans chaque coutume et dans chaque nation, ou religion., la race d’Israël a été jugée trop noble pour s’unir à eux. — Aux prêtres il est défendu, à cause de leur noblesse, d’épouser une courtisane, une femme divorcée, ou une femme née d’un tel mariage(6)Littéralement: une femme profanée ou déshonorée; c’est-à-dire, née du mariage d’un prêtre avec une femme qu’il lui est défendu d’épouser. Voy. Lévit., ch. XXI, v. 7, et Talmud de Babyl., tr. Kiddouschin, fol.77 a.; au grand prêtre, qui est le plus noble d’entre les prêtres, il est défendu même d’épouser une veuve, ou une femme qui ne serait pas vierge(7)Voy. Lévitique, chap. XXI, v. 13 et 14.. La raison de tout cela est évidente. — S’il est défendu d’admettre des bâtards dans la communauté de l’Éternel (Deutér., 23, 3), à plus forte raison, les hommes et les femmes esclaves(8)Voy. Mischnâ, IIIe partie, traité Kiddouschin, chap. III, § 12; Talmud, ibid., fol. 68. Cf. Targoum d’Onkelos, Deutér., XXIII, 18.. Quant à la défense de s’allier avec les gentils, elle est motivée dans le texte du Pentateuque: Il se pourrait que tu choisisses de ses filles pour tes fils, etc. (Exode, 34, 16).", "La plupart des statuts (ou règlements)(1)Voy. ci-dessus, chap. XXVI, p. 204., dont la raison nous est inconnue, n’ont d’autre but que de nous éloigner de l’idolâtrie. Si pour certains détails les motifs me sont inconnus et si je n’en connais point l’utilité, la raison en est qu’il n’en est pas des choses qu’on connaît seulement par tradition comme de celles qu’on a vues(2)Les Arabes ont plusieurs proverbes qui expriment cette idée; ils disent entre autres . Voy. ma Notice sur Abou’l Walid, dans le Journal asiatique, septembre 1850, p. 223, note 3 (tirage à part, p. 107, note 3).. C’est pourquoi le peu que je sais des opinions des Sabiens, pour l’avoir puisé dans les livres, ne peut pas se comparer à ce qu’en savaient ceux qui connaissaient leurs actes pour les avoir vus, surtout maintenant que ces opinions ont disparu depuis deux mille ans ou plus. Si nous connaissions toutes les particularités de ces actes et si nous avions entendu tous les détails de ces opinions, nous comprendrions tout ce qu’il y a de sage dans les détails des pratiques relatives aux sacrifices, aux impuretés, etc., et dont la raison ne me paraît pas facile (à comprendre)(3)Sur le sens du verbe , cf. le t. II, p. 270, note 2.. Pour moi, je ne doute pas que tout cela n’ait eu pour but d’effacer de nos esprits ces idées fausses et de faire cesser ces pratiques inutiles, qui faisaient perdre le temps de la vie à des occupations vaines et oiseuses. Ces idées ne faisaient qu’empêcher l’esprit humain de rechercher les conceptions de l’intellect, ou les actions utiles, comme nous l’ont exposé nos prophètes, en disant: Ils ont suivi des choses vaines qui ne sont d’aucun profit(1)Voy. ci-dessus, p. 230, note 2. Encore ici, nous avons reproduit la citation telle qu’elle se trouve dans les plus anciens mss. du texte arabe et de la traduction d’Ibn-Tibbon; dans plusieurs mss. on a substitué le passage du Ier livre de Samuel, XII, 21, ou celui de Jérémie, II, 8, ou même les deux passages à la fois.; Jérémie dit: Nos ancêtres n’ont hérité que le mensonge, vanité sans aucune utilité (Jérémie, 16, 19). Tu comprendras combien tout cela est pernicieux et si ce n’est pas là une chose qu’il fallait faire cesser à tout prix(2)Littéralement: qu’il fallait user (dépenser) tous ses efforts pour faire cesser. Les mots אבלא אלמגׄהוד sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par להשתדל האדם בכל יכלתו.. Ainsi donc la plupart des commandements, comme nous l’avons exposé, n’ont d’autre but que de faire cesser ces opinions et d’alléger les grands et pénibles fardeaux, les fatigues et les peines que s’imposaient ceux-là pour la célébration du culte(3)Tous les mss. portent: אלדׄי וצׄעוה אולאיך לעבאדתהא, de sorte que le pronom אלדׄי et le suffixe dans וצׄעוה ne peuvent grammaticalement se rapporter qu’au seul mot ואלנצב. Quant au suffixe dans לעבאדתהא, il ne peut se rapporter qu’à une expression sous-entendue, comme, p. ex., עבודה זרה; Ibn-Tibbon a substitué לעברת אלהיהם. Il eùt été plus correct de dire: אלתי וצׄועהא אולאיך לעבאדתהם.. Par conséquent, tout précepte de la Loi, affirmatif ou négatif, dont tu ignores la raison, n’a d’autre but que de guérir une de ces maladies que, grâce à Dieu, nous ne connaissons plus aujourd’hui. C’est là ce que doit croire chaque homme parfait qui comprend le vrai sens de cette parole divine: Je n’ai point dit à la race de Jacob: Cherchez-moi en vain (Isaïe, 45, 19).", "Maintenant, nous avons parcouru, un à un, tous les commandements compris dans ces différentes classes(4)Ibn-Tibbon a le singulier: אשר כלל אותם זה הכלל; mais tous les mss. arabes ont le pluriel אלגׄמל, et en effet, l’auteur veut parler ici de toutes les quatorze classes., et nous en avons indiqué les raisons. Il n’en reste que quelques-uns(5)Ibn-Tibbon a omis dans sa version le mot אחאד; l’auteur veut parler de certains commandements qu’il a entièrement passés sous silence et des particularités de certains autres commandements. que je n’ai pu motiver, ainsi que quelques particularités peu importantes; mais en réalité, nous en avons donné la raison virtuellement, d’une manière qui est à la portée de tout homme studieux et intelligent(1)Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, ces derniers mots sont ainsi paraphrasés: טעם יקל לאיש תבונה להוציאו מבח דברינו, leçon qui, dans quelques mss. de cette version, est indiquée comme variante (לשון אחר); et les mss. portent, conformément au texte arabe: בבר נתתי גם בהם טעם בכח קרוב לכל בעל תבונה. Dans une glose du ms. n° 47 de l’Oratoire, on explique longuement le terme de בח רחוק , puissance éloignée, p. ex. la faculté que possède l’enfant d’apprendre à écrire; et celui de כח קרוב , puissance prochaine, p. ex. la facultté d’écrire que possède une grande personne qui sait écrire. Ensuite on ajoute: וכן כתב הרב שאע״פ שלא זכר בפועל טעמי קצת פרטי מצות זכרם בכח ולא בכח רחוק אלא בכח קרוב יוציאם מדבריו המבין בקרוב «De même, notre maître écrit ici que, bien qu’il n’ait pas exposé en acte les raisons de certains détails des commandements, il les a exposées en puissance (virtuellement), et non pas d’une manière éloignée, mais d’une manière prochaine, que l’homme intelligent peut promptement déduire de ses paroles.» Cf. plus loin, chap. LI, p. 444, les mots puissance prochaine, et l’exemple par lequel l’auteur explique ces mots.." ], [ "Il y a encore d’autres choses qui font partie des mystères de la Loi, et qui, ayant embarrassé beaucoup de personnes, ont besoin d’explication. Ce sont certains récits rapportés dans le Pentateuque, et dans lesquels on ne voit aucune utilité, comme, par exemple, lorsqu’on énumère les peuples descendus de Noé, leurs noms et les lieux de leurs habitations (Genèse, chap. X), les ’Horéens, descendants de Séir, ainsi que les rois qui régnèrent dans le pays d’Édom (Ibid., 36, 20, 31 et suiv.), et d’autres récits semblables. Les docteurs disent, comme tu le sais, que l’impie Manassé ne faisait qu’occuper sans cesse(1)L’expression signifie proprement il fréquentait son lieu de réunion ou sa salle de séance. Cf. les Séances de Hariri (édit. de Silvestre de Sacy), p. 199: , où, selon le commentaire, le verbe est pris dans le sens de visiter une réunion. Le sens est donc que le roi Manassé faisait sans cesse retentir dans sa salle de séance la critique de ces passages. son ignoble conseil de la critique de ces passages: «Il y était assis, disent-ils, faisant l’exégète en parodiant les Haggadôth(2)Littéralement: interprétant (l’Écriture) par des Haggadôth de blasphème, c’est-à-dire en faisant de mauvaises plaisanteries sur le texte sacré. Voy. Talmud de Babylone, traité Synhédrin, fol. 99 b, où l’on cite plusieurs de ces critiques du roi Manassé, fils d’Ézéchias.—Dans nos éditions du Talmud, on lit: אלא ואחות וגו׳; de même dans la plupart des mss. arabes et hébreux du Guide. Mais la conjonction אלא, qui ne paraît pas ici à sa place, a été omise dans quelques anciens mss. arabes et dans la version d’Al-’Harîzi.; il disait, par exemple: Moïse avait-il besoin d’écrire: la sœur de Lotan fut Timna’ (Ibid., v. 22)?» Je vais d’abord te faire connaître un principe général, ensuite je reviendrai aux détails, comme je l’ai fait en motivant les commandements. ", "Sache que, chaque fois que tu trouves dans le Pentateuque un récit quelconque, il a nécessairement une certaine utilité pour la religion, soit qu’il confirme une des idées fondamentales de la religion, soit qu’il nous enseigne une certaine règle de conduite, afin qu’il n’y ait entre les hommes ni violence réciproque, ni injustice. Je vais maintenant parcourir les différents cas(3)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent ואני אסיר לך הספק; les mss. ont: ואני אסדר לך זה. La version d’Al-’Harîzi porte: ואני אסדר לר הכל.. ", "Comme c’est une croyance fondamentale de la religion que le monde est créé, qu’au commencement il ne fut créé qu’un seul individu de l’espèce humaine qui est Adam, et que les temps anciens depuis Adam jusqu’à Moïse notre maître ne formaient qu’un espace de deux mille cinq cents ans à peu près, ces faits, énoncés d’une manière pure et simple, auraient été promptement mis en doute; car alors déjà on trouvait les hommes disséminés à toutes les extrémités de la terre, formant des peuples différents, parlant des langues différentes, très-éloignées les unes des autres. On fit donc taire ces doutes en nous indiquant leur généalogie à tous et leur extraction, en mentionnant les noms des plus connus d’entre eux, «un tel fils d’un tel», ainsi que leurs âges, et en faisant connaître le lieu de leur habitation, ainsi que la raison pourquoi ils étaient disséminés aux extrémités de la terre et pourquoi leurs langues étaient si différentes, quoiqu’ils fussent tous primitivement dans le même lieu et qu’ils parlassent la même langue, comme cela devait être, puisqu’ils étaient les enfants d’un seul individu. De même, le récit de l’histoire du déluge et de celle de Sodome et Gomorrhe avait pour but de montrer la vérité de cette idée: une récompense est réservée au juste; certes il y a un Dieu qui juge la terre (Ps., 58, 12). ", "De même, la description de la guerre des neuf rois a pour but de faire connaître ce miracle, à savoir la victoire remportée par Abraham, avec un petit nombre d’hommes n’ayant pas de roi avec eux, sur quatre rois puissants(1)Voy. Genèse, chap. XIV, v. 1-16.. On nous fait savoir aussi comment il défendit(2)Ibn-Tibbon a: חם לבבו; Al-’Harîzi traduit plus exactement: כי עזר לקרובו. son parent (Lot), qui avait la même croyance que lui, et comment il aborda les dangers de la guerre pour le sauver. Enfin, on nous fait connaître combien il était réservé(3)Le participe מחתפל, qu’ont ici tous les mss. arabes, a été mal rendu dans la version d’Ibn-Tibbon par מתפאר. Le verbe signifie animum advertit, curavit, studuit., modérant ses désirs, méprisant le gain et s’appliquant aux mœurs généreuses, comme il est dit: Fût-ce un fil, fût-ce la courroie d’une sandale, etc. (Genèse, 14, 23).", "Si l’on énumère toutes les tribus des Séirites et si on donne leur généalogie individuelle(4)Voy. Genèse, chap. XXXVI, v. 20-30., ce n’est qu’à cause d’un seul commandement: c’est que Dieu a ordonné particulièrement d’exterminer la race d’Amalek. Amalek n’était autre que le fils d’Éliphas (que celui-ci eut) de Timna’, sœur de Lotan(1)Voy. ibid., v. 12 et 22. On voit que, selon l’opinion de l’auteur, les Amalécites descendaient d’Éliphaz, fils d’Ésaü, ce qui est aussi l’opinion de Josèphe (Antiquités, liv. II, chap. I, §2); si donc, dans l’histoire d’Abraham, il est déjà question du territoire des Amalécites (Genèse, XIV, 7), il faut admettre que l’auteur de la Genèse s’est servi de ce nom par anticipation, comme le fait déjà observer Raschi dans son Gommentaire à ce passage.. Mais Dieu n’avait pas ordonné de tuer les autres fils d’Ésaü; or, Ésaü s’étant allié avec les Séirites, comme le dit clairement l’Écriture(2)Selon un passage de la Genèse, chap. XXXVI, v. 25, Oholibama, une des femmes d’Ésaü, descendait des Séirites, quoique, dans un autre passage (ibid., v. 2), elle soit appelée ’Hiwite., eut des enfants de cette race. Il régna sur eux, sa race se confondit avec la leur; ce qui fit qu’on attribua tout le pays de Séir, avec ses tribus, à la tribu prépondérante, qui était celle des descendants d’Ésaü, et particulièrement celle d’Amalek, qui était la plus noble d’entre elles. Si donc on n’avait pas désigné toutes ces familles en détail, elles auraient pu être tuées par erreur. C’est pourquoi l’Écriture désigne expressément leurs tribus, voulant dire: ceux que vous voyez aujourd’hui dans le pays de Séir et dans le royaume d’Amalek ne sont pas tous des descendants d’Amalek, mais les descendants d’un tel et d’un tel; et, si on les fait remonter à Amalek, c’est parce que la mère de celui-ci appartenait à leur race(3)C’est-à-dire, parce que Timna’, mère d’Amalek, appartenait à la race des Séirites. Ibn-Tibbon fait un contre-sens en traduisant: להיות אמם מעמלק; Al-’Harîzi traduit: מפני שהיתה אמו מהם.. Tout cela dénote la justice divine qui n’a pas voulu qu’une tribu fût tuée pêle-mêle(4)Sur le sens du mot גמאר , voy. le t. I, p. 223, note 3. avec une autre tribu; car le décret divin ne frappait que la race d’Amalek en particulier. Nous avons déjà exposé quelle sagesse il y avait dans cette mesure(5)Voy. ci-dessus, chap. XLI, p. 332..", "La raison pourquoi on énumère les rois qui régnèrent dans le pays d’Édom (Genèse, 36, 31), c’est qu’il y a un commandement qui dit: Tu ne pourras pas placer à ta tête un homme étranger, qui ne soit pas ton frère (Deutéron., 17, 15). Or, parmi les rois qu’on mentionne, il n’y en avait pas un seul qui fût originaire d’Édom(1)Maïmonide a peut-être suivi ici le Sépher hayaschar; cf. le Biour, ou Commentaire hébreu de Mendelssohn à ce passage. Il ne résulte pas positivement du texte biblique que ces rois des Iduméens fussent tous des étrangers; au contraire, Yobab, de Bosra, et ’Houscham, du pays des Témanites (v. 33 et 34), étaient très-probablement des Iduméens.; ne vois-tu pas qu’on indique leur famille ainsi que leur pays, un tel, de tel lieu; un tel, de tel autre lieu? Il me paraît très-probable que leurs actes et leur histoire étaient généralement connus, je veux dire les actes de ces rois d’Édom, et que ceux-ci tyrannisèrent et humilièrent(2)Le verbe que nous avons écrit est écrit dans les mss. תגׄרוא, et dans quelques-uns תגרוא (le ג sans point). Nous croyons que c’est la Ve forme de , signifiant: strenuum, audacem et animosum se ostendit. Pour le second verbe, les mss. ont ודלוהם; je crois qu’il faut lire , et ils les humilièrent ou abaissèrent, quoique les dictionnaires n’attribuent point à la première forme, , le sens actif. Peut-être faut-il écrire , ou , à la IIe ou à la IVe forme. Ibn-Tibbon traduit: ושהם הכניעו בני עשו והשפילום; Al-’Harîzi a: וכי הם גברו בבני עשו והכניעום. les desendants d’Ésaü; c’est pourquoi on les rappelle(3)Je crois qu’il faut prononcer le verbe פדׄכרהם à la IIe forme ; le suffixe de ce verbe paraît se rapporter aux Israélites sous-entendus, et le mot à mot serait: on les avertit par eux; c’est-à-dire, on donne aux Israélites un avertissement en leur rappelant la conduite des rois d’Édom. aux souvenirs (des Israélites). C’est comme si l’on eût dit: «Tirez un avertissement de vos frères les descendants d’Ésaü, qui avaient pour roi un tel ou un tel [dont les actes étaient alors bien connus]; car jamais un homme de race étrangère n’a régné sur une nation sans exercer sur elle une tyrannie plus ou moins grande.» ", "En somme, ce que je t’ai dit de l’intervalle qui nous sépare aujourd’hui des usages religieux des Sabiens(1)Voy. le chap. précédent, vers la fin, p. 422. peut aussi s’appliquer à l’histoire de ces temps qui nous est aujourd’hui inconnue; car, si nous la connaissions et si les événements arrivés dans ces temps-là nous étaient connus, nous comprendrions, à l’égard de nombreux détails, le motif qui les a fait mentionner dans le Pentateuque. ", "Ce qu’il faut encore bien comprendre, c’est qu’on ne considère pas les relations écrites, au même point de vue que les événements dont on est témoin; car, dans ces derniers, il y a certains détails ayant des suites nécessaires qu’on ne peut rapporter sans prolixité(2)L’auteur, comme on va le voir, veut parler des relations écrites qui semblent parfois prolixes au lecteur, mais dont celui-ci comprendrait bien les longueurs s’il avait pu être témoin des événements et en saisir l’enchaînement nécessaire. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, les mots מפני האריכות, à la fin de la phrase, sont un contre-sens; les mss. de cette version portent: רק באריכות.. C’est pourquoi, en lisant ces relations, le lecteur y trouve de la prolixité ou des répétitions; mais s’il avait été témoin de ce qui est raconté, il comprendrait que ce qui a été dit est nécessaire. Quand donc tu vois des relations dans la partie non législative du Pentateuque, il te semble quelquefois que telle ou telle relation n’avait pas besoin d’être écrite, ou qu’elle renferme soit des longueurs, soit des répétitions(3)Les mots או תכריר ont été omis par Ibn-Tibbon.—Selon la version d’Ibn-Tibbon, il faudrait traduire: et quand il te semble que telle ou telle relation, etc., ce n’est que parce que tu n’as pas été témoin… Il paraît avoir lu ותטׄן au lieu de תטׄן, et עלה̈ au lieu de ועלה̈, de sorte que, selon lui, le complément de la phrase ne commence qu’au mot עלה̈.; la raison en est que tu n’as pas été témoin des détails qui ont amené (l’auteur) à faire sa relation telle qu’il l’a faite.", "De cette catégorie est l’énumération des stations(4)C’est-à-dire, des stations des Hébreux pendant les quarante ans qu’ils passèrent dans le désert (Nombres, chap. XXXIII).. Il pourrait paraître de prime abord qu’on a raconté une chose absolument inutile; c’est donc à cause de cette fausse idée qu’on pourrait avoir qu’il est dit: Et Moïse écrivit leurs départs selon leurs stations par ordre de l’Éternel (Nombres, 33, 2). Et cela était d’une très-grande nécessité, car tous les miracles sont certains pour celui qui les a vus; mais pour la postérité, le récit en devient une simple tradition, et, pour celui qui l’entend, il est facile de le démentir(1)Les mots ויתטרק אליה אלתכדׄיב paraissent signifier mot à mot: le démenti y trouve accès. Le verbe (Ve forme de ) ne se trouve point dans les dictionnaires. Ibn-Tibbon traduit: ואפשר שיכזיבם השומע. Plus loin, les mots (que dans l’avenir il arriverait à ces miracles ce qui arrive aux traditions) sont ainsi rendus par Ibn-Tibbon: שאפשר לפקפק באלו המופתים בעתיד כמו שמפקפקין בשאר הספורים.. On sait qu’il est impossible et inimaginable qu’un miracle soit certifié et constaté par tous les hommes dans le cours des siècles. Or, un des miracles rapportés dans le Pentateuque, et même un des plus grands, c’est le séjour de quarante ans que firent les Israélites dans le désert, où ils trouvèrent la manne tous les jours. Dans ce désert, comme le dit le Pentateuque, il y avait des serpents venimeux, des scorpions, de la sécheresse, pas d’eau (Deutér., 8, 15). C’étaient des lieux très-éloignés d’un pays cultivé et qui ne convenaient pas à la nature de l’homme: un lieu impropre aux semences, où il n’y avait ni figuier, ni vigne, ni grenadier, etc. (Nombres, 20, 5); on appelle aussi ces lieux: un pays où jamais un homme n’a passé (Jérémie, 2, 6); et le texte du Pentateuque dit: vous ne mangiez point de pain et vous ne buviez ni vin, ni boisson forte (Deutér., 29, 5). Tous ces miracles étaient manifestes et visibles. Or, Dieu savait que dans l’avenir, il arriverait à ces miracles ce qui arrive aux traditions, et qu’on penserait qu’ils séjournaient dans un désert voisin des lieux habités, où l’homme peut séjourner, et semblable à ces déserts qu’habitent aujourd’hui les Arabes, ou que c’étaient des lieux où l’on peut labourer et moissonner, ou se nourrir de quelques plantes qui s’y trouvaient, ou qu’il était dans la nature de la manne de tomber continuellement dans ces lieux(1)Voy., par exemple, l’opinion du rationaliste ’Hiwwi-Balkhi citée par Ibn-Ezra dans le Commentaire sur l’Exode, chap. XVI, v. 13., ou qu’il y avait dans ces lieux des citernes avec de l’eau. C’est pourquoi, pour lever tous ces doutes, le récit de tous ces miracles a été confirmé par l’énumération de ces stations, afin que les générations futures les vissent et reconnussent la grandeur du miracle par lequel l’espèce humaine a pu séjourner dans ces lieux pendant quarante ans. ", "C’est pour la même raison que Josué prononça à jamais l’anathème contre celui qui reconstruirait Jéricho(2)Voy. Josué, chap. VI, v. 26., afin que le miracle pût être certifié et constaté; car quiconque verrait ce mur enfoncé dans la terre comprendrait que ce n’est pas le mur d’un édifice démoli, mais qu’il s’est enfoncé par miracle.", "De même, lorsqu’on dit: par l’ordre de l’Éternel ils campaient et par l’ordre de l’Éternel ils partaient (Nombres, 9, 20), cela pouvait suffire pour la relation; et il pourrait paraître au premier abord que tout ce qui est dit ensuite sur le même sujet n’est qu’une prolixité inutile, comme, par exemple, ces mots: Et lorsque la nuée s’arrêtait longtemps, etc. (v. 19), quelquefois la nuée restait, etc. (v. 21), ou bien deux jours, etc. (v. 22). Je vais te faire connaître ce qui a motivé tous ces détails: la raison en est qu’on voulait insister sur ce récit, afin de détruire l’opinion qu’avaient alors les nations (étrangères) et qu’elles ont encore jusqu’à ce jour, à savoir que les Israélites s’étaient égarés dans le chemin et ne savaient pas où ils devaient aller, comme il est dit: Ils sont égarés dans le pays (Exode, 14, 3). C’est ainsi que les Arabes encore aujourd’hui appellent ce désert Al-Tîh, et s’imaginent que les Israélites étaient égarés (tâhou)(3)On sait que les Arabes donnent au désert que parcoururent les Israélites le nom de , ou de (égarement des Israélites); le nom de vient du verbe , per terram vagatus fuit, attonitus erravit. et ignoraient le chemin. L’Écriture donc expose, en y insistant, que ces stations irrégulières, le retour à plusieurs d’entre elles, la durée diverse du séjour dans chacune d’elles, — de manière qu’on restait dans une station dix-huit ans(1)Voy. Séder Olam rabba, chap. VIII, à la fin, où il est dit que les Israélites campèrent à Kadesch dix-neuf ans; cf. Deutéronome, chap. I, v. 46, et le Commentaire de Raschi sur ce verset., dans une autre un jour et dans une autre enfin une seule nuit(2)Voy. Nombres, chap. IX, v. 21., — que tout cela (dis-je) était décrété par Dieu et n’était pas un simple égarement dans le chemin, mais dépendait de la levée de la colonne de nuée. C’est pourquoi on donne tous ces détails, après avoir déclaré, dans le Pentateuque, que cet intervalle de chemin était court, bien connu, fréquenté et nullement ignoré; je veux parler de l’intervalle entre ’Horeb [où ils s’étaient rendus avec intention, selon ce que Dieu leur avait ordonné: vous adorerez Dieu près de cette montagne (Exode, 3, 12)], et Kadesch Barne’a, où commence la terre habitée, comme le dit l’Écriture: Nous voici à Kadesch, ville à l’extrémité de ton territoire (Nombres, 20, 16). Cet intervalle se parcourt en onze jours, comme il est dit: Il y a onze journées de ’Horeb, par le chemin du mont Séir, jusqu’à Kadesch Barne’a (Deutér., 1, 2); ce n’est donc pas un chemin dans lequel on puisse errer quarante ans, et il ne faut attribuer cela qu’aux causes expressément écrites dans le Pentateuque.", "C’est ainsi que chaque fois que tu ignores la raison pourquoi une histoire quelconque a été racontée (dans le Pentateuque), il y avait pour cela un motif grave, et à tout cela encore peut s’appliquer ce principe que les docteurs nous ont fait remarquer: «Car ce n’est pas une chose vaine de votre part (Deutér., 32, 47), et si elle est vaine, c’est de votre part(3)Voy. ci-dessus, chap. XXVI, p. 205, et ibid., note 1..»" ], [ "Le chapitre que nous allons produire maintenant n’ajoute aucun sujet nouveau à ceux que renferment les autres chapitres de ce traité. Il n’est en quelque sorte qu’une conclusion, exposant le culte auquel doit se livrer celui qui comprend les vrais devoirs qu’on doit pratiquer envers Dieu(1)Littéralement: qui comprend les vérités particulières à lui, c’est-à-dire les vrais devoirs à exercer envers Dieu. Le mot בה, à lui, se rapporte à Dieu, et il faut sous-entendre תעאלי. Ibn-Tibbon traduit, selon le sens: המיוחדות בשם יתעלה. Al-’Harîzi a la traduction littérale: המיוחדות בו., après s’être bien rendu compte de son véritable être; il doit diriger l’homme pour le faire arriver à ce culte qui est le véritable but de l’homme et pour lui faire savoir comment la Providence veille sur lui dans ce monde jusqu’au moment où il passe à la vie éternelle(2)Les mots לצרור החיים, littéralement: dans le faisceau de la vie, sont pris du Ier livre de Samuel, chap. XXV, v. 29, où, selon les commentateurs, ils désignent la vie future. Voy. mes Réflexions sur le culte des anciens Hébreux (t. IV de la Bible de M. Cahen), p. 7, note..", "J’ouvre mon discours, dans ce chapitre, en te présentant la parabole suivante: Le souverain était dans son palais, et ses sujets étaient en partie dans la ville et en partie hors de la ville. De ceux qui étaient dans la ville, les uns tournaient le dos à la demeure du souverain et se dirigeaient d’un autre côté; les autres se tournaient vers la demeure du souverain et se dirigeaient vers lui, cherchant à entrer dans sa demeure et à se présenter chez lui, mais jusqu’alors ils n’avaient pas encore aperçu le mur du palais. De ceux qui s’y portaient, les uns, arrivés jusqu’au palais, tournaient autour pour en chercher l’entrée; les autres étaient entrés et se promenaient dans les vestibules; d’autres enfin étaient parvenus à entrer dans la cour intérieure du palais et étaient arrivés à l’endroit où se trouvait le roi, c’est-à-dire à la demeure du souverain. Ceux-ci toutefois, quoique arrivés dans cette demeure, ne pouvaient ni voir le souverain, ni lui parler; mais, après avoir pénétré dans l’intérieur de la demeure, ils avaient encore à faire d’autres démarches indispensables, et alors seulement ils pouvaient se présenter devant le souverain, le voir de loin ou de près, entendre sa parole, ou lui parler. — Je vais maintenant t’expliquer cette parabole que j’ai imaginée:", "Quant à «ceux qui étaient hors de la ville», ce sont tous les hommes qui n’ont aucune croyance religieuse, ni spéculative, ni traditionnelle, comme les derniers des Turcs à l’extrême nord(1)Cf. ci-dessus, chap. XXIX, p. 221.—Les mots signifient littéralement: qui pénètrent ou qui s’enfoncent dans le Nord. Ibn-Tibbon traduit המשוטטים בצפון, «qui errent dans le Nord»; il avait sans doute la leçon , que nous trouvons aussi dans le ms. n° 63 du Supplément hébreu de la Bibliothèque impériale., les nègres à l’extrême sud et ceux qui leur ressemblent dans nos climats. Ceux-là sont à considérer comme des animaux irraisonnables; je ne les place point au rang des hommes, car ils occupent parmi les êtres un rang inférieur à celui de l’homme et supérieur à celui du singe, puisqu’ils ont la figure et les linéaments de l’homme et un discernement au-dessus de celui du singe.", "«Ceux qui étaient dans la ville, mais tournaient le dos à la demeure du souverain», ce sont des hommes qui ont une opinion(2)Au lieu de ראי, opinion, la version d’Ibn-Tibbon a אמונה, foi; Al-’Harîzi traduit plus exactement: אנשי הסברא והעיון. et qui pensent, mais qui ont conçu des idées contraires à la vérité, soit par suite d’une grave erreur qui leur est survenue dans leur spéculation, soit parce qu’ils ont suivi ceux qui étaient dans l’erreur. Ceux-là, par suite de leurs opinions, à mesure qu’ils marchent, s’éloignent de plus en plus de la demeure du souverain; ils sont bien pires que les premiers, et il arrive des moments où il devient même nécessaire de les tuer et d’effacer les traces de leurs opinions, afin qu’ils n’égarent pas les autres. ", "— «Ceux qui se tournaient vers la demeure du souverain et cherchaient à y entrer, mais qui n’avaient pas encore aperçu la demeure du souverain», c’est la foule des hommes religieux, c’est-à dire des ignorants qui s’occupent des pratiques religieuses.", "— «Ceux qui étaient arrivés jusqu’au palais et qui tournaient autour», ce sont les casuistes(1)Cf. le t. I, p. 7, note 1, sur le sens du mot פקה . L’adjectif (pl. ) désigne celui qui s’occupe du fiqh ou du droit canon, et qui admet par tradition les principes fondamentaux de la religion; chez les juifs en particulier, c’est le talmudiste. qui admettent, par tradition, les opinions vraies, qui discutent sur les pratiques du culte, mais qui ne s’engagent point dans la spéculation sur les principes fondamentaux de la religion, ni ne cherchent en aucune façon à établir la vérité d’une croyance quelconque. ", "— Quant à ceux qui se plongent dans la spéculation sur les principes fondamentaux de la religion, ce sont «ceux qui étaient entrés dans les vestibules», où les hommes se trouvent indubitablement admis à des degrés différents. ", "Ceux qui ont compris la démonstration de tout ce qui est démontrable, qui sont arrivés à la certitude, dans les choses métaphysiques, partout où cela est possible, ou qui se sont approchés de la certitude, là où l’on ne peut que s’en approcher, ce sont «ceux qui sont arrivés dans l’intérieur de la demeure auprès du souverain.»", "Sache, mon fils, que tant que tu ne t’occupes que des sciences mathématiques et de la logique, tu es de ceux qui tournent autour de la demeure (du souverain) et en cherchent l’entrée, comme disent allégoriquement les docteurs: «Ben-Zôma est encore dehors(2)Voy. Talmud de Babylone, traité ’Haghigâ, fol. 15 a, où il s’agit d’une question relative à la création et dont Ben-Zôma ne savait se rendre un compte exact. Cf. Beréschith rabbâ, sect. 2 (fol. 2, col. 4); Talmud de Jérusalem, ’Haghigâ, chap. II (Yephé Mareh, ibid., § 5).»; après avoir compris les objets de la physique, tu es entré dans la demeure et tu te promènes dans ses vestibules(1)Ibn-Tibbon s’exprime plus brièvement: כבר נכנסת בפרוזדור הבית; de même Ibn-Falaquéra, Moré ha-Moré, p. 132. Al-’Harîzi traduit littéralement: אז אתה נכנס בבית והולך במבואות החצר.; enfin, après avoir achevé les sciences physiques et étudié la métaphysique, tu es entré auprès du souverain, dans la cour intérieure, et tu te trouves avec lui dans le même appartement. Ce dernier degré est celui des (vrais) savants, mais ici encore il y a (à distinguer) différents degrés de perfection. Ceux qui, après s’être perfectionnés dans la métaphysique, n’occupent leur pensée que de Dieu seul, se vouant entièrement à lui, et s’éloignant de tout ce qui est en dehors de lui, et qui font consister toute l’action de leur intelligence à réfléchir sur les êtres (créés), afin de tirer de ces derniers la preuve de l’existence de Dieu et de savoir de quelle manière il peut les gouverner, ceux-là (dis-je) se trouvent dans la salle où siège le souverain; c’est là le degré des prophètes. Il y en a eu un dont la perception était tellement forte et qui a tellement su s’isoler de tout ce qui est en dehors de Dieu, qu’on a pu dire de lui: Et il resta là avec Dieu (Exode, 34, 28), interrogeant, recevant des réponses, parlant et recevant la parole (de Dieu), dans ce saint séjour. A cause de son grand contentement de ce qu’il perçut, il ne mangea point de pain et ne but point d’eau (ibid.); car l’intelligence prit tellement le dessus, qu’elle annihila toute faculté matérielle dans le corps, je veux dire les différentes facultés du sens du toucher. Il y a eu d’autres prophètes qui voyaient seulement, les uns de près, les autres de loin, comme il est dit: De loin Dieu m’est apparu (Jérémie, 31, 3). Ayant déjà parlé précédemment des degrés de la prophétie(2)Voy. le t. II, chap. XLV., ", "nous revenons au but de ce chapitre, qui a pour objet d’encourager l’homme à n’occuper sa pensée que de Dieu seul, après avoir appris à le connaître, comme nous l’avons exposé. C’est là le vrai culte qui convient à ceux qui ont perçu les vérités transcendantes; plus ils méditent sur Dieu et s’arrêtent auprès de lui, et plus il devient l’objet de leur culte. Quant à ceux qui méditent sur Dieu et qui en parlent beaucoup sans posséder la science, ne s’attachant au contraire qu’à un simple être de leur imagination, ou à une croyance qu’ils ont reçue par tradition, ceux-là, dis-je, se trouvant(1)Les mots מע כונה ne signifient pas ici: «quoiqu’ils se trouvent», mais doivent se traduire: «en même temps qu’ils se trouvent», ou «outre qu’ils se trouvent». Ibn-Falaquéra, l. c., p. 133, traduit: הוא אצלי כמי שהוא מחוץ הבית. en dehors du palais et éloignés de lui, ne pensent pas réellement à Dieu et ne méditent pas sur lui. En effet, cet être qui n’existe que dans leur imagination et dont parle leur bouche ne répond absolument à rien de réel et n’est qu’une invention de leur imagination, comme nous l’avons exposé en parlant des attributs(2)Voy. le t. I, chap. L.. Il ne faut se livrer à cette espèce de culte qu’après avoir conçu (l’idée de Dieu) au moyen de l’intellect; ce n’est qu’après avoir compris Dieu et ses œuvres, autant que l’exige(3)Ibn-Tibbon a: כפי מה שישכלהו השכל; au lieu de שישכלהו, les mss. ont שיחבלהו. Ibn-Falaquéra, l. c., traduit plus littéralement: כפי שיחייב אותו השכל. l’intelligence, que tu peux entièrement te consacrer à lui, chercher à te rapprocher de lui et affermir le lien qui existe entre toi et lui, à savoir l’intellect(4)Voir ci-après l’Annotation de l’auteur., comme il est dit: On t’a montré à connaître que l’Éternel, etc. (Deutér., 4, 35); tu sauras aujourd’hui et tu rappelleras à ton cœur, etc. (ibid., v. 39); sachez que l’Éternel seul est Dieu (Ps. 100, 3). Déjà le Pentateuque expose que ce culte suprême, sur lequel nous appelons l’attention dans ce chapitre, ne peut avoir lieu qu’à la suite de la perception: Pour aimer l’Éternel votre Dieu, est-il dit, et pour le servir de tout votre cœur et de toute votre âme (Deutér., 11, 13). Nous avons déjà exposé plusieurs fois(5)Voy. le t. I, p. 144, et ibid., notes 2 et 3, et ci-dessus, p. 215. que l’amour (de Dieu) est en raison de la perception; ce n’est qu’à la suite de l’amour que peut venir ce culte sur lequel les docteurs aussi ont appelé l’attention, en disant: «c’est le culte du cœur(1)Voy. le Siphri, au passage du Deutéronome qui vient d’être cité, Talmud de Babylone, traité Taanîth, fol. 2 a; Talmud de Jérusalem, traité Berakhôth, chap. IV, au commencement. Les rabbins, il est vrai, ne parlent que de la prière; mais notre auteur paraît supposer qu’ils font allusion en général à un état de l’âme semblable à celui qu’il vient de dépeindre..» Celui-ci consiste, selon moi, à appliquer la pensée à l’objet principal de l’intellect(2)Les mots מעקול אול, qui signifient ordinairement notion première, désignent ici l’être que l’intelligence humaine a principalement pour objet de comprendre, c’est-à-dire Dieu. et à se consacrer à lui autant qu’on le peut. C’est pourquoi tu trouves (dans l’Écriture) que David, en dictant à Salomon ses dernières volontés, lui recommande surtout ces deux choses, à savoir de faire des efforts pour arriver à la connaissance de Dieu et de lui rendre ensuite un culte (digne de cette connaissance): Et toi, dit-il, mon fils Salomon, reconnais le Dieu de ton père et adore-le, etc. Si tu le recherches, il se laissera trouver par toi, etc. (I Chron., 28, 9). Toute cette exhortation ne peut avoir pour objet que les conceptions intelligibles, et non pas les créations de l’imagination; car les pensées relatives aux choses de l’imagination ne s’appellent point דעה, connaissance, mais s’appellent העולה על רוחכם, ce qui vous vient à l’idée (Ézéchiel, XX, 32). Il est donc clair qu’après avoir acquis la connaissance de Dieu, on doit avoir pour but de se consacrer à lui et occuper constamment la pensée et l’intelligence(3)Littéralement: la pensée intelligible; c’est-à-dire, la pensée qui a pour objet les choses intelligibles et non les choses sensibles. de l’amour qu’on lui doit. On n’y arrive, la plupart du temps, que par la solitude et l’isolement; c’est pourquoi tout homme supérieur cherche souvent à s’isoler et ne se réunit avec personne, si ce n’est en cas de nécessité(4)Il me paraît évident qu’ici, comme dans plusieurs autres passages de ces derniers chapitres, Maïmonide a pris pour modèle le citoyen de l’État idéal, dont Al-Farabi nous a fait le tableau dans son traité des Principes des êtres (voir Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 344-349), et le philosophe présenté par Ibn-Bâdja, dans son Régime du solitaire (ibid., p. 388-409). Ibn-Bâdja dit entre autres de son philosophe (ibid., p. 402): «Le solitaire restera pur du contact de ses semblables; car il est de son devoir de ne pas se lier avec l’homme matériel, ni même avec celui qui n’a pour but que le spirituel absolu, et son devoir est au contraire de se lier avec les hommes de science. Or, comme les hommes de science, nombreux dans certains endroits, sont en petit nombre dans certains autres, et quelquefois même manquent complètement, il est du devoir du solitaire, dans certains endroits, de s’éloigner complètement des hommes, autant que cela est possible, et de ne se mêler à eux que pour les choses nécessaires et dans la mesure nécessaire.» Dans les deux ouvrages que nous venons d’indiquer, plusieurs traits sont empruntés à la République de Platon et à l’Éthique d’Aristote. Maïmonide, selon son habitude, applique à ces tableaux des versets de l’Écriture sainte et des passages empruntés aux anciens rabbins..", "[ANNOTATION. Nous t’avons déjà exposé que cet intellect qui s’épanche sur nous de la part de Dieu est le lien qui existe entre nous et lui(1)Cf. le t. II, chap. XII (p. 100 et suiv.), et chap. XXXVII.. Il dépend de loi, soit de fortifier et de consolider ce lien, soit de l’affaiblir et de le relâcher petit à petit, jusqu’à le défaire(2)Littéralement: «tu as le choix si tu veux fortifier et épaissir ce lien, tu peux le faire; et si tu veux l’affaiblir et l’amincir petit à petit jusqu’à le rompre, tu peux le faire.» Ibn-Tibbon n’a pas rendu, dans sa version, les mots épaissir et amincir, et il a été critiqué pour cela par Ibn-Falaquéra, qui trouve ces deux verbes nécessaires pour compléter l’image. Voy. Moré ha-Moré, p. 133, et p. 158, dernière note.. Ce lien ne peut se fortifier que lorsqu’on en fait usage pour aimer Dieu et pour s’approcher de lui, comme nous l’avons exposé; il s’affaiblit et se relâche quand tu occupes ta pensée de ce qui est en dehors de lui. Il faut savoir que, lors même que tu serais l’homme le plus savant en vraie métaphysique, si tu détournes ta pensée de Dieu et que tu t’occupes tout entier(3)Ibn-Tibbon a omis les mots מן אללה ותשתגל בכליתך; Ibn-Falaquéra (p. 133) traduit exactement: כשתפנה מחשבתך מהאלה ית׳ ותתעסק בכללך במזון הכרחי וגו׳. de ta nourriture ou d’autres affaires nécessaires, tu as coupé ce lien qui existe entre toi et Dieu, et tu n’es plus avec lui, de même qu’il n’est plus avec toi; car ce rapport qui existait entre toi et lui a cessé de fait dans ces moments-là. C’est pourquoi les hommes supérieurs n’employaient que de rares moments à s’occuper d’autres choses que de lui(1)Littéralement: les hommes supérieurs étaient avares des moments dans lesquels ils se laissaient détourner de lui (par d’autres occupations). L’expression est elliptique et signifie: être occupé de manière à ne pas pouvoir penser à une certaine chose., ce dont ils ont voulu nous préserver par cet avertissement: «Ne vous tournez pas vers ce qui vient de votre pensée(2)Voy. Talmud de Babylone, traité Schabbath, fol. 149 a, où les mots cités par l’auteur servent à expliquer les mots bibliques אל תפנו אל האלילים, ne vous tournez pas vers les idoles (Lévitique, XIX, 4). Nous avons traduit les mots talmudiques אֶל מדעתכם dans le sens que leur prête la glose de Raschi; mais peut-être Maïmonide, pour appliquer la phrase talmudique au sujet dont il s’occupe ici, voulait-il qu’on prononçât: אל תְּפַנּוּ אֵל מדעתכם, n’écartez pas Dieu de votre pensée..» David a dit: Je place l’Éternel constamment devant moi, car il est à ma droite et je ne chancellerai pas (Ps., 16, 8); cela veut dire: Je ne détourne jamais ma pensée de Dieu, et il est comme ma main droite que je n’oublie pas un instant à cause de la rapidité de ses mouvements; c’est pourquoi je ne chancellerai pas, c’est-à-dire je ne tomberai pas. ", "— Il faut savoir que toutes les cérémonies du culte, comme la lecture de la Loi, la prière et la pratique d’autres commandements, n’ont d’autre but que de t’exercer à t’occuper des commandements de Dieu au lieu de t’occuper des choses mondaines, et, pour ainsi dire, de ne t’occuper que de Dieu seul et pas d’autre chose. Mais, si tu pries en remuant tes lèvres et en te tournant vers le mur, tandis que tu penses à ce que tu as à vendre et à acheter, ou si tu lis la Loi avec ta langue, tandis que ton cœur s’occupe de la construction de ta maison, sans que tu réfléchisses à ce que tu lis, enfin si tu pratiques un commandement quelconque avec tes membres, comme quelqu’un qui creuse une fosse dans la terre ou qui coupe du bois dans la forêt, sans que tu réfléchisses ni au sens de cette pratique, ni à celui qui l’a ordonnée, ni à ce qu’elle a pour but, alors il ne faut pas croire que tu aies atteint un but quelconque; au contraire, tu te rapproches alors de ceux dont il a été dit: Tu es près de leur bouche et loin de leur intérieur (Jérémie, 12, 2).]", "Maintenant, je vais t’indiquer la manière de t’exercer pour arriver à ce but important: ", "La première chose à laquelle il faille t’attacher, c’est de tenir ton esprit libre de toute autre chose au moment où tu te consacres à la lecture du Schemâ’ et à la prière, et que tu ne te contentes pas de réciter avec attention le premier verset du Schemâ’ et la première bénédiction de la prière(1)C’est-à-dire, le verset Écoute Israël, etc. (Deutér. VI, 4), et la première des dix-huit bénédictions que contient la prière appelée Schemoné-Esré, ou ’Amidâ. Légalement, l’attention n’est exigée que pour le premier verset du Schema’ et pour la première bénédiction de la prière. Voy. Talmud de Babylone, traité Berakhoth, fol. 13 b et fol. 34 b; Maïmonide, Mischné Torâ, liv. II, traité Kerîath Schema’, chap. II, § 1; traité Tephillâ, chap. X, § 1. Ici Maïmonide parle des hommes d’élite qui visent à un but plus élevé.. Lorsque tu y seras parvenu et que tu en auras pris l’habitude pendant des années, il faut tâcher, chaque fois que tu liras dans le Pentateuque ou que tu l’entendras lire, d’appliquer sans cesse ta pensée tout entière à réfléchir sur ce que tu entendras ou sur ce que tu liras. Quand tu en auras également pris l’habitude, tu tâcheras d’avoir toujours l’esprit libre, dans tout ce que tu liras des autres discours des prophètes et même dans toutes les bénédictions, et de t’appliquer à réfléchir sur tout ce que tu prononceras et à en comprendre le sens. Lorsque tu te seras acquitté de ces actes religieux et que ta pensée, au moment de les pratiquer, sera restée pure de toute préoccupation des choses mondaines, alors seulement tu pourras commencer à te préoccuper des choses nécessaires ou des superfluités de la vie. En général, tu ne dois appliquer ta pensée aux choses mondaines(2)Les mots chaldaïques מילי דעלמא, choses du monde, sont une expression rabbinique très-usitée, pour laquelle l’auteur vient d’employer, dans la phrase précédente, les mots arabes אמור אלדניא. qu’au moment de manger et de boire, ou lorsque tu te trouves dans le bain, ou quand tu t’entretiens avec ta femme ou tes jeunes enfants, ou quand tu causes avec n’importe qui. Ainsi, je te laisse suffisamment et largement le temps pour penser à tout ce qui t’est nécessaire en fait d’affaires d’intérêt, de régime domestique et de besoins corporels; mais, dans les moments où tu t’occupes de choses religieuses, ta pensée doit être entièrement à ce que tu fais, comme nous l’avons exposé. ", "Quand tu es tout à fait seul, ou quand tu es éveillé dans ton lit, garde-toi bien, dans ces moments précieux, de penser à autre chose qu’à ce culte intellectuel qui consiste à t’approcher de Dieu et à te présenter devant lui de la manière véritable que je t’ai fait connaître, et non pas par l’action fantastique de l’imagination(1)Littéralement: non par la voie des impressions imaginaires. L’auteur veut dire qu’il faut s’approcher de Dieu par la véritable méditation philosophique, avec toute la clarté de l’intelligence, et non pas sous l’empire d’une imagination exaltée comme celle des piétistes.. A ce terme peut arriver, selon moi, tout homme de science qui s’y est préparé par ce genre d’exercice (dont nous avons parlé).", "Si un individu humain pouvait parvenir à percevoir les hautes vérités et à jouir de ce qu’il a perçu, au point de pouvoir s’entretenir avec les hommes et s’occuper de ses besoins corporels, tandis que son intelligence tout entière serait tournée vers Dieu et que, par son cœur, il serait toujours en présence de Dieu, tout en étant extérieurement avec les hommes, — à peu près comme il est dit dans les allégories poétiques composées sur ces sujets: Je dormais et mon cœur veillait; c’est la voix de mon ami qui frappe, etc. (Cantiques, V, 2), — ce serait là un degré (de perfection) que je n’attribuerais même pas à tous les prophètes, et je dirais plutôt que c’est le degré de Moïse notre maître, dont il est dit: Moïse seul s’avancera vers l’Éternel et eux ils ne s’avanceront point (Exode, 24, 2), et il resta là avec Dieu (ibid., XXXIV, 28); et à qui il fut dit: Et toi, tiens-toi ici, auprès de moi (Deutér., 5, 28), selon le sens que nous avons attribué à ces versets(1)Voy. le t. I, p. 11, 63 et 71; t. II, p. 267 (où le verbe mis au prétérit est une faute d’impression), et ci-dessus, p. 436.. C’est aussi le degré atteint par les patriarches, qui étaient à tel point près de Dieu, que c’était d’eux que dérivait la dénomination par laquelle il était connu dans le monde(2)Mot à mot: que c’était par eux que son nom était connu au monde. La manière dont s’exprime l’auteur est peu exacte; car il veut dire que la dénomination sous laquelle Dieu était connu dans le monde se rattachait au nom des patriarches, et qu’on l’appelait Dieu d’Abraham, etc. Dans le passage de l’Exode que l’auteur cite ici, il prend l’expression לעולם, pour toujours, à jamais, dans le sens de pour ou dans le monde (cf. le t. I, p. 3, note 2, et ci-dessus, p. 226, note 4); cette explication évidemment est inadmissible.: Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob; … tel est mon nom dans le monde (Exode, 3, 15). Leur intelligence ayant perçu Dieu jusqu’à s’unir avec lui, il en résulta qu’il conclut avec chacun d’eux une alliance perpétuelle: Et je me souviendrai de mon alliance avec Jacob, etc. (Lévitique, XXVI, 42). En effet, les textes sacrés attestent clairement que ces quatre, je veux dire les patriarches et Moïse notre maître, étaient unis avec Dieu, c’est-à-dire qu’ils le percevaient et l’aimaient; de même, la Providence divine veillait avec soin sur eux et sur leur postérité après eux. Malgré cela, ils s’occupaient quelquefois du gouvernement des hommes, de l’agrandissement de leur fortune et de la recherche des biens; et cela prouve, selon moi, qu’en vaquant à leurs affaires, ils s’en occupaient seulement avec leur corps, tandis que leur intelligence était sans cesse avec Dieu. Il me semble aussi que, ce qui fit rester ces quatre (personnages) dans le plus parfait rapport avec Dieu et ce qui leur valut constamment la protection de sa Providence, même dans les moments où ils s’occupaient de l’agrandissement de leurs fortunes, je veux dire dans les moments consacrés à la vie pastorale, à l’agriculture et à l’administration de la famille, c’est que dans toutes ces actions ils avaient pour but de s’approcher de Dieu autant que possible; car, le but principal qu’ils cherchaient dans cette vie, c’était de faire naître une nation qui connaîtrait Dieu et l’adorerait: car je l’ai distingué afin qu’il prescrivît (Genèse, 18, 19). Par là il est clair que tous leurs efforts tendaient vers ce seul but, de répandre dans le monde la croyance à l’unité de Dieu et de conduire les hommes à l’amour de Dieu. C’est pourquoi ils parvinrent à ce haut degré (de perfection); car ces occupations étaient un grand et véritable culte. Ce haut degré, un homme comme moi ne peut pas avoir la prétention de guider les hommes pour l’atteindre; mais le degré dont il a été parlé avant celui ci, on peut chercher à y arriver au moyen de l’exercice dont nous avons parlé. Il faut adresser à Dieu nos humbles supplications, pour qu’il enlève les obstacles qui nous séparent de lui, quoique la plupart de ces obstacles viennent de nous, comme nous l’avons exposé dans différents chapitres de ce traité(1)Voir, par exemple, ci-dessus, chap. XII, p. 74 et suiv.: Vos iniquités ont établi une séparation entre vous et votre Dieu (Isaïe, 59, 2).", "Maintenant se présente à moi une réflexion très-remarquable, au moyen de laquelle certains doutes peuvent être levés et par laquelle se révèlent certains mystères métaphysiques. Nous avons déjà exposé, dans les chapitres de la Providence, que la Providence veille sur tout être doué d’intelligence, selon la mesure de son intelligence(2)Voy. ci-dessus, ch. XVII (p. 135), et ch. XVIII (p. 137 et suiv.).. Par conséquent, l’homme d’une perception parfaite, dont l’Intelligence ne cesse jamais de s’occuper de Dieu, est toujours sous la garde de la Providence; mais l’homme qui, quoique d’une perception parfaite, laisse sa pensée, dans certains moments, inoccupée de Dieu, n’est sous la garde de la Providence que dans les moments seuls où sa pensée est à Dieu, tandis qu’elle l’abandonne dans les moments de ses préoccupations. Cependant la Providence ne l’abandonne pas alors comme elle abandonne celui qui ne pense jamais; elle ne fait que s’émousser, parce que cet homme d’une perception parfaite ne possède point, dans les moments de ses préoccupations, l’intellect en acte, et qu’il n’est intelligent qu’en puissance prochaine(3)Sur l’expression puissance prochaine, cf. ci-dessus, p. 424, note 1., semblable à un écrivain habile au moment où celui-ci n’écrit pas. Ainsi donc, celui qui n’occupe jamais sa pensée de Dieu est semblable à quelqu’un qui se trouve dans les ténèbres et qui n’a jamais vu la lumière, comme nous avons expliqué les mots: Et les impies périssent dans les ténèbres (I Samuel, II, 9)(1)Voy. ci-dessus, chap. XVIII, p. 139.; celui qui perçoit Dieu et se livre tout entier à cet objet de sa pensée est comme quelqu’un qui se trouve entouré de la lumière du soleil. Enfin celui qui pense, mais qui est préoccupé, ressemble, au moment de ses préoccupations, à quelqu’un qui se trouve dans un jour de brouillard et qui ne reçoit pas les rayons du soleil à cause des nuages qui lui interceptent le jour. ", "— C’est pourquoi il me semble que tous ceux d’entre les prophètes, ou d’entre les hommes pieux et parfaits, qui furent frappés d’un des maux de ce monde, ne le furent que dans un moment où ils oubliaient Dieu, et que la grandeur du malheur était en raison de la durée de cet oubli ou de l’indignité de la chose dont ils étaient si préoccupés. S’il(2)Ibn-Tibbon traduit: ואחר שהעניין כן, «puisqu’il en est ainsi». Ibn-Falaquéra fait observer avec raison qu’il fallait traduire ואם היה הדבר כן, s’il en était ainsi; car l’auteur n’affirme rien, et il ne s’agit ici que d’une simple hypothèse. L’idée de puisque, ajoute-t-il, s’exprimerait en arabe par , et non par . Voy. Append. du Moré ha-Moré, p. 147 et 158. en était réellement ainsi, cela résoudrait la grande difficulté qui a amené les philosophes à nier que la Providence divine veille sur chaque homme individuellement et à assimiler (sous ce rapport) les individus humains à ceux des autres espèces d’animaux; car la preuve qu’ils allèguent pour cela, c’est que les hommes pieux et vertueux sont parfois frappés de grands malheurs. Le mystère qui est là-dessous se trouverait ainsi éclairci, même selon les opinions des philosophes; la Providence divine veillerait perpétuellement sur l’homme favorisé de cet épanchement divin dont sont gratifiés tous ceux qui travaillent pour l’obtenir(1)Cf. ci-dessus, chap. XVIII, p. 137.—Les réflexions contenues dans ce paragraphe sont plutôt religieuses et édifiantes que rigoureusement philosophiques, et l’auteur n’a pu croire sérieusement qu’elles pouvaient servir à résoudre, même selon les opinions des philosophes, toutes les difficultés que présente le problème de la Providence individuelle. Celle-ci, qui est un objet de la foi religieuse, n’est point susceptible d’une démonstration philosophique. Tout le livre de Job a pour but de montrer que ce serait une coupable présomption que de vouloir résoudre, au moyen des raisonnements de l’intelligence, les difficultés de ce problème et soulever le voile qui couvre pour nous ce profond mystère, devant lequel nous n’avons qu’à nous incliner, en reconnaissant notre impuissance. Aussi l’auteur présente-t-il sa théorie comme une simple hypothèse, et il faut se rappeler ce qu’il a dit plus haut (chap. XVII, p. 129): «Dans cette croyance, je ne m’appuie pas sur des preuves démonstratives, mais plutôt sur ce qui m’a paru être l’intention évidente du livre de Dieu et des écrits de nos prophètes, etc.» Le traducteur Ibn-Tibbon, qui voyait dans les paroles de l’auteur une assertion plus positive (voir la note précédente), rédigea à ce sujet une longue lettre à Maïmonide pour lui exprimer ses doutes. On en a publié le commencement dans le recueil des Lettres de Maïmonide (édition d’Amsterdam, in-12, 1712, fol. 12 a); on y lit ces mots: רק שאלה אחת היא בלבי כאש בוערת עצורה בעצמותי עוררה לי פרק אחד מן הפרקים האחרונים מן החלק השלישי וכו׳. Ibn-Falaquéra nous a fait connaître le contenu de cette lettre, et il a répondu aux doutes exprimés par Ibn-Tibbon. Voir l’Appendice du Moré ha-Moré, chap. II (p. 145 et suiv.). Moïse de Narbonne en parle également dans son commentaire sur le chap. LI. Selon lui, l’auteur a voulu parler de ceux qui (par la spéculation ou par une espèce d’extase) ont su complètement s’identifier avec l’intellect actif et devenir semblables aux intelligences séparées, de sorte que, libre des liens de la matière, ils ne peuvent être atteints d’aucun des maux qui frappent les êtres matériels. Toute la lettre en question se trouve dans un ms. de la Bibliothèque bodléienne (cod. Poc. n° 74); elle est datée du commencement d’Adar I 4965 (vers la lin de janvier 1205); elle a été écrite, par conséquent, après la mort de Maïmonide, arrivée le 13 décembre 1204, lorsque cette mort était encore inconnue en Provence.. En effet, lorsque la pensée de l’homme est parfaitement pure, lorsqu’il perçoit Dieu, en employant les véritables moyens, et qu’il jouit de ce qu’il perçoit, il n’est pas possible qu’une espèce de mal quelconque vienne jamais frapper cet homme; car il est avec Dieu et Dieu est avec lui. Mais, lorsqu’il se détourne de Dieu et se dérobe en quelque sorte à ses regards, Dieu se dérobe à lui, et il reste alors exposé à tous les maux qui peuvent par accident venir le frapper; car ce qui appelle la Providence et ce qui sauve des flots du hasard, c’est cet épanchement de l’intelligence (divine), qui s’est dérobé pendant un certain temps à tel homme pieux et vertueux, ou qui n’est jamais arrivé à tel autre, vicieux et méchant, et c’est là pourquoi ils ont été l’un et l’autre atteints des coups du hasard.", "Cette croyance, je la crois également confirmée par le texte du Pentateuque. Dieu a dit: Je cacherai ma face devant eux; il (le peuple) sera dévoré, de nombreux maux et calamités l’atteindront, et il dira en ce jour: N’est-ce pas parce que Dieu n’est pas dans moi que ces malheurs m’ont atteint (Deutér., 31, 17)? Il est évident que, s’il cache sa face, c’est nous qui en sommes la cause, et que ce voile (qui nous le dérobe) est notre œuvre, comme il est dit: Et moi je cacherai ma face en ce jour, à cause de tout le mal qu’il a fait (ibid., v. 18). Il est hors de doute que ce qui est dit de la communauté s’applique aussi à un seul; il est donc clair que, si un individu humain est livré au hasard et exposé à être dévoré comme les animaux, la cause en est qu’il est séparé de Dieu par un voile. Mais, si son Dieu est dans lui, aucun mal ne peut lui survenir(1)Le verbe ינדאה doit se prononcer , de la racine , dans le sens de commovit, agitavit, supervenit., comme il est dit: Ne crains rien, car je suis avec toi(2)L’auteur, par une erreur de mémoire, a écrit אתך, comme l’ont en général les mss. ar. et hébr. du Guide; le texte d’Isaïe porte עמך., ne sois pas éperdu, car je suis ton Dieu (Isaïe, 41, 10), et comme il est dit encore: Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi; les fleuves, ils ne t’entraîneront point (ibid., XLIII, 2), où le sens est: «quand tu traverseras les eaux, accompagné par moi, les fleuves ne t’entraîneront pas(3)Cette explication du sens (אלתקדיר כי תעבר וגו׳) manque dans la plupart des mss. arabes et dans la version d’Al-’Harîzi; elle manque également dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, mais nous l’avons trouvée dans l’un des meilleurs mss. de cette version (Biblioth. imp., fonds de l’Oratoire, n° 46)..» En effet, quiconque s’est rendu digne de recevoir l’épanchement de cette Intelligence(1)Littéralement: quiconque s’est préparé de manière que cette intelligence (c’est-à-dire l’intellect actif) s’épanchât sur lui. Dans la version d’Ibn-Tibbon, il faut lire שהכין עצמו, et non point שהביא, comme l’ont quelques éditions. Al-’Harîzi traduit: כל מי שראוי לזה השכל. se trouve sous la garde de la Providence et à l’abri de tous les maux, comme il est dit: L’Éternel est pour moi, je ne crains rien; que me ferait l’homme (Ps., 118, 6)? et comme il est dit encore: Confie-toi à lui et tu seras en paix (Job, 22, 21), c’est-à-dire: tourne-toi vers lui et tu seras préservé de tout mal.", "Si tu lis le Cantique des malheurs(2)Ou: des mauvaises rencontres; c’est ainsi qu’on appelle dans le Talmud le Psaume XCI, que la tradition attribue à Moïse. Voy. Talmud de Babylone, traité Schebou’ôth, fol. 19 b; Talmud de Jérusalem, traité Schabbâth, chap. VI (fol. 8, col. 2), et traité ’Eroubîn, chap. X, à la fin (fol. 26, col. 3)., tu trouveras qu’il parle de cette sublime Providence veillant sur l’homme et le préservant de toutes les calamités corporelles(3)Dans les éditons de la version d’Ibn-Tibbon, on lit: הפוגעות; les mss. ont, conformément au texte arabe: הגופניות., tant générales que particulières aux différents individus (de manière qu’il ne leur arrive aucune calamité), ni de celles qui sont inhérentes à la nature de l’être en général, ni de celles qui émanent de la malice des hommes. Voici ce qu’on y dit: Car il te sauvera du piége tendu, de la peste pernicieuse. Il te couvrira de ses pennes et tu t’abriteras sous ses ailes; sa fidélité est un bouclier et une armure. Tu n’auras point peur des épouvantes de la nuit, ni de la flèche qui vole pendant le jour, ni de la peste qui marche pendant les ténèbres, ni de l’épidémie qui domine en plein midi (Ps., 91, 3-7). Parlant ensuite de la protection (de Dieu) contre la malice des hommes, on dit: S’il t’arrivait, pendant que tu es en route, de passer à travers une vaste bataille, de sorte qu’il tomberait mille morts à ta gauche et dix mille à ta droite, il ne te surviendrait aucun malheur; mais tu contemplerais et tu observerais de tes yeux comment Dieu a jugé et puni ces méchants que la mort a frappés, tandis que toi tu as été préservé. Tel est le sens de ces paroles: Qu’il en tombe mille à côté de toi, une myriade à ta droite, le mal ne t’atteindra pas. Mais tu contempleras de tes yeux et tu verras la punition des méchants (ibid., v. 7 et 8). Après avoir ensuite exposé en détail comment est préservé (le juste), on indique la raison de cette haute protection, et on dit quelle est la cause pour laquelle la sublime Providence veille sur cet homme: car parce qu’il s’est passionné (חשק) pour moi, je le sauverai; je l’élèverai, parce qu’il connaît mon nom (ibid., v. 14). — Nous avons déjà exposé dans des chapitres précédents que connaître le nom de Dieu signifie comprendre Dieu; il (le Psalmiste) dit donc en quelque sorte: Si tel homme jouit de cette protection, c’est parce qu’il a appris à me connaître et qu’ensuite il s’est passionné pour moi. Tu sais aussi la différence qu’il y a entre אוהב (aimant) et חושק (passionné); car l’amour porté à un tel excès qu’on ne peut penser à autre chose qu’à l’objet aimé, c’est la passion.", "Les philosophes aussi ont exposé que, dans la jeunesse, les forces corporelles sont un obstacle pour la plupart des qualités morales(1)Voy. t. I, chap. XXXIV, 4e cause, p. 125 et suiv., et à plus forte raison pour cette pensée pure résultant de la perfection des idées qui conduisent l’homme à aimer Dieu passionnément. Il est impossible que cette pensée naisse tant que dure l’ébullition des humeurs corporelles; mais à mesure que les forces du corps s’affaiblissent et que le feu des désirs s’éteint, l’intelligence se fortifie, sa lumière augmente, sa compréhension a plus de clarté, et elle éprouve une plus grande jouissance de ce qu’elle a compris, de sorte que, dans l’homme courbé sous le poids des années et près de mourir, cette compréhension prend un grand accroissement, donne une jouissance très-forte et inspire une vraie passion pour celui qui en est l’objet, jusqu’à ce qu’enfin, au milieu de cette jouissance, l’âme se sépare du corps.", "C’est à cel état que les docteurs ont fait allusion en parlant de la mort de Moïse, d’Aaron et de Miriam, et en disant que tous les trois moururent par un baiser. Ce passage, disent-ils, Et Moïse, le serviteur de l’Éternel, mourut là dans le pays de Moab par la bouche (l’ordre) de l’Éternel (Deutér., 34, 5), nous enseigne que Moïse mourut par un baiser; de même il est dit d’Aaron: … par la bouche (l’ordre) de l’Éternel, et il y mourut (Nombres, 33, 38); de même ils disent de Miriam qu’elle aussi mourut par un baiser, mais qu’au sujet de celle-ci, on ne dit pas: par la bouche de l’Éternel, parce que c’était une femme, et qu’il n’était pas convenable de se servir, au sujet d’elle, de cette allégorie(1)Voy. Talmud de Babylone, traité Baba bathra, fol. 17 a, où l’on parle, non-seulement de Moïse, d’Aaron et de Miriam, mais aussi des patriarches Abraham, Isaac et Jacob.. Ils veulent dire par là que tous les trois moururent dans la jouissance que leur fit éprouver cette compréhension et par la violence de l’amour. Les docteurs ont employé dans ce passage la méthode allégorique connue, selon laquelle cette compréhension, résultant du violent amour que l’homme éprouve pour Dieu, est appelée baiser, comme il est dit: qu’il me baise des baisers de sa bouche, etc. (Cantique des Cant., I, 2). Cette espèce de mort,disent-ils, par laquelle l’homme échappe à la mort véritable, n’arriva qu’à Moïse, à Aaron et à Miriam; les autres prophètes et les hommes pieux sont au-dessous de ce degré. Mais, dans tous, la compréhension de l’intelligence se fortifie au moment de se séparer (du corps), comme il est dit: Ta justice marchera devant toi et la gloire de l’Éternel te suivra (Isaïe, 58, 8). Après cela, cette intelligence reste à tout jamais dans le même état; car l’obstacle qui parfois lui dérobait (son objet)(2)Le verbe signifie séparer quelqu’un d’une chose, l’empêcher d’y arriver; il faut ici sous-entendre l’intelligence. Ibn-Tibbon traduit: כי כבר הוסר המונע אשר היה מבדיל בינו ובין מושכלו; de même Al-’Harîzi: כי הסתלקו המונעים אשר היו מבדילים בינו ובין הבורא לפעמים. Cf. dans le texte arabe, fol. 128 a: אלדׄי הו חינידׄ מחגׄוב ען אללה, et voy. le septième des Huit Chapitres, où Maïmonide explique ce qu’il faut entendre par le mot , qu’Ibn-Tibbon y a rendu par le mot מחיצה. a été enlevé; elle éprouve alors continuellement cette grande jouissance, qui est d’une espèce tout autre que les jouissances du corps, comme nous l’avons exposé dans nos ouvrages et comme d’autres l’ont exposé avant nous.", "Applique-toi à comprendre ce chapitre, et fais tous tes efforts pour multiplier les moments où tu puisses être avec Dieu, ou chercher à t’élever vers lui, et pour diminuer les moments où tu t’occupes d’autres choses, sans chercher à arriver à lui. Ces conseils(1)Littéralement: cette direction; c’est-à-dire ces conseils pour te diriger. suffisent pour le but que j’avais dans ce traité." ], [ "L’homme seul dans sa maison s’assied, se meut et s’occupe, comme il ne le ferait pas en présence d’un roi; quand il se trouve avec sa famille ou avec ses parents, il parle librement et à son aise, comme il ne parlerait pas dans le salon du roi. Celui-là donc qui désire acquérir la perfection humaine et être véritablement un homme de Dieu, se pénétrera bien de cette idée(2)Littéralement: s’éveillera et saura. que le grand roi qui l’accompagne et qui s’attache à lui constamment est plus grand que toute personne humaine(3)Plusieurs mss. portent: אעטׄם מן כל שכׄץ אנסאן הו מלך, «est plus grand que tout individu humain qui serait roi.» Les deux traducteurs hébreux ont reproduit cette leçon; Ibn-Tibbon traduit: הוא גדול מכל מלך בשר ודם; Al-’Harîzi: הוא יותר נכבד מכל מלך., fût-ce même David et Salomon. Ce roi, qui s’attache (à l’homme) et l’accompagne, c’est l’intellect qui s’épanche sur nous et qui est le lien entre nous et Dieu; et, de même que nous le percevons au moyen de cette lumière qu’il épanche sur nous, comme il est dit: par la lumière nous voyons la lumière (Ps. 36, 10), de même c’est au moyen de cette lumière qu’il nous observe et c’est par elle qu’il est toujours avec nous, nous enveloppant de son regard: L’homme pourra-t-il se cacher dans une retraite de manière que je ne le voie pas (Jérémie, 23, 24)? Il faut bien comprendre cela, ", "et savoir que les hommes parfaits, dès qu’ils s’en seront pénétrés, arriveront, par les voies de la vérité et non de l’imagination(1)C’est-à-dire, par un raisonnement calme et clair émané de l’intelligence, et non par les exagérations d’une imagination exaltée., à un tel degré de piété, d’humilité, de crainte et de respect de la Divinité, et éprouveront une telle pudeur devant Dieu, qu’ils se conduiront dans leur intérieur, étant avec leurs femmes ou dans le bain, comme ils se conduiraient en public devant tous les hommes. Ainsi, par exemple, il est dit de la conduite de nos docteurs célèbres avec leurs femmes: «Découvrant un palme et recouvrant un palme(2)C’est-à-dire: Pour caractériser la pudeur que mettaient les docteurs dans leurs relations avec leurs femmes, on dit qu’ils osaient à peine soulever le vêtement de la femme et qu’ils ne découvraient son corps que par petits espaces de la largeur d’un palme. Voy. Talmud de Babylone, traité Nedarim, fol. 20 a, b..» Ailleurs il est dit: «Quel est l’homme pudique? Celui qui satisfait un besoin pendant la nuit comme il le ferait en plein jour(3)C’est-à-dire: celui qui y met pendant la nuit la même décence qu’il y mettrait dans un moment où il pourrait être vu par tout le monde. Voy. Talmud de Babylone, traité Berakhôth, fol. 62 a..» Tu sais aussi que les docteurs ont défendu «de marcher la taille droite, toute la terre étant remplie de la gloire de Dieu (Isaïe, 6, 3)(4)Voy. Talmud de Babylone, traité Kiddouschin, fol. 31 a. Marcher la taille droite signifie s’avancer d’un air fier et majestueux..» Tout cela a pour but de confirmer l’idée dont j’ai parlé, à savoir, que nous nous trouvons toujours devant Dieu, et que c’est en présence de sa majesté que nous allons et venons. Les plus grands docteurs s’abstenaient même de se découvrir la tête, parce que la majesté divine enveloppe l’homme(1)Voy. traité Kiddouschin, l. c., où il est dit que R. Houna ne marchait pas la tête découverte, parce que, disait-il, «la majesté divine plane au-dessus de ma tête.». C’est pour la même raison qu’ils parlaient peu; dans le traité Abôth nous avons déjà suffisamment exposé pourquoi il est bon de parler peu(2)Voy. le Commentaire de Maïmonide, sur le traité Abôth, chap. I, § 17.: Car Dieu est dans le ciel, et toi sur la terre; que tes paroles donc soient peu nombreuses (Ecclésiaste, 5, 1).", "L’idée sur laquelle j’ai éveillé ton attention renferme aussi le but de toutes les pratiques prescrites par la Loi; car, c’est en se livrant à tous ces détails pratiques et en les répétant, que certains hommes d’élite s’exerceront pour arriver à la perfection humaine, de manière à craindre Dieu, à le respecter et à le révérer, connaissant celui qui est avec eux, et de cette manière ils feront ensuite ce qui est nécessaire. Dieu a exposé lui-même que le but de toutes les pratiques prescrites par la Loi, c’est de recevoir par là ces impressions dont nous avons, dans ce chapitre, démontré la nécessité à ceux qui connaissent les hautes vérités, (impressions qui consistent) à craindre Dieu et à respecter ses préceptes. Il dit: Si tu n’as pas soin de pratiquer toutes les prescriptions de cette Loi, écrites dans ce livre, pour craindre le nom glorieux et redoutable, l’Éternel ton Dieu (Deutér., 28, 58). Tu vois comme il dit clairement que toutes les prescriptions de cette Loi n’ont qu’un seul but, à savoir de faire craindre ce nom, etc.; que ce but doit être obtenu par les pratiques, c’est ce que tu reconnais par les paroles de ce verset: si tu n’as pas soin de pratiquer, où il est dit clairement qu’il est le résultat des pratiques(3)C’est-à-dire, que ce but, la crainte de Dieu, est le résultat des pratiques. Dans les éditions de la version d’Ibn-Tibbon, le mot תגיע a été ajouté pour plus de clarté; les mss. portent: מן (ou שהלא (שהיא המעשים., (c’est-à-dire de l’exécution) des préceptes affirmatifs et négatifs. Quant aux idées que la Loi nous enseigne, à savoir celles de l’existence de Dieu et de son unité, elles doivent nous inspirer l’amour (de Dieu), comme nous l’avons exposé plusieurs fois, et tu sais avec quelle énergie la Loi insiste sur cet amour: De tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes facultés (Ibid., 6, 5). En effet, ces deux buts, à savoir l’amour et la crainte de Dieu, sont atteints par deux choses: à l’amour on arrive par les idées que renferme la Loi sur la doctrine véritable de l’existence de Dieu(1)Mot à mot: par les idées de la Loi qui renferment la perception de son être, tel que Dieu est réellement.; à la crainte on arrive au moyen de toutes les pratiques de la Loi, comme nous l’avons exposé.— Il faut que tu comprennes bien cette explication sommaire." ], [ "Ce chapitre renferme l’explication du sens de trois mots qu’il est nécessaire d’expliquer; ce sont les mots ’HÉSED (חסר), MISCHPAT (משפט), CEDAKA (צדקה). ", "Nous avons déjà exposé dans le commentaire sur Abôth que ’HÉSED désigne l’excès dans toutes choses, n’importe laquelle(2)Voy. Commentaire sur la Mischnâ, traité Abôth, chap. V, § 7, où il est dit que le mot ’HÉSED désigne l’exagération ou l’excès, tant du bien que du mal. Comme exemple où le mot חסד signifie excès du mal, les commentateurs Éphôdi et Schem-Tob citent le passage du Lévitique (XX, 17): חסד הוא, où la glose d’Ibn-Ezra porte: תוספת בזנות. Cf. le Dictionnaire de David Kim’hi, à la racine חסד.; mais il est plus souvent employé pour exprimer un excès de libéralité. On sait qu’être libéral se dit dans deux sens: c’est 1° faire le bien à celui à qui on ne doit absolument rien; 2° faire le bien à celui qui l’a mérité, au delà de ce qu’il a mérité. Les livres prophétiques emploient le plus souvent le mot ’HÉSED dans le sens de «faire le bien à celui à qui on ne doit absolument rien»; c’est pourquoi tout bienfait qui vient de Dieu est appelé ’HÉSED, comme il est dit: Je rappelle les bienfaits (חסדי) de l’Éternel (Isaïe, 63, 7). C’est pourquoi aussi tout cet univers, je veux dire sa production par Dieu, est appelée ’HÉSED, comme il est dit: C’est par la bonté divine (חסד) que l’univers(1)L’auteur prend ici le mot עולם, comme la version chaldaïque, dans le sens d’univers. Cf. t. I, p. 3, note 2, et ci-dessus, p. 226, note 4, et p. 443, note 2. a été construit (Ps. 89, 3), ce qui veut dire: la construction de l’univers est un bienfait. Dieu dit encore en énumérant ses attributs: ורב חסד, plein de bienveillance (Exode, 34, 6). ", "— Quant au mot CEDAKA, il est dérivé de CÉDEK (צדק), qui désigne l’équité. L’équité consiste à faire droit à quiconque peut invoquer un droit et à donner à tout être quelconque selon son mérite. Cependant, dans les livres prophétiques, on n’appelle pas CEDAKA, conformément au premier sens, l’acquittement des dettes qui t’incombent à l’égard d’un autre; car si tu payes au mercenaire son salaire, ou si tu payes ta dette, cela ne s’appelle pas CEDAKA. Mais ce qu’on y appelle CEDAKA, c’est l’accomplissement des devoirs qui t’incombent à l’égard d’un autre au point de vue d’une bonne morale, comme, par exemple, de soulager celui qui souffre d’un mal quelconque(2)Sur l’expression גׄבר צדע כל מצדוע, cf. ci-dessus, p. 172, note 4, p. 276, note 2, et passim.. C’est pourquoi il est dit, au sujet du devoir de rendre le gage (Deutér., 24, 13): ולך תהיה צדקה, «et cela te comptera pour un acte d’équité;» car si tu marches dans la voie des vertus morales, tu es équitable envers ton âme rationnelle, puisque tu remplis ton devoir à son égard. Toute vertu morale étant appelée CEDAKA(3)Ibn-Tibbon traduit: ומפני זה תקרא וגו׳; Al-’Harîzi traduit plus exactement: ולהיות כל מדה נכבדת נקראת צדקה על כן אמר וגו׳., il est dit (Genèse, 15, 6): Et il eut foi en l’Éternel, qui le lui compta comme CEDAKA (vertu), où on veut parler de la vertu de la foi. Il en est de même de ce passage: Ce sera pour nous une CEDAKA (vertu), si nous avons soin de pratiquer, etc. (Deutér., 6, 25).", "— Pour ce qui est du mot MISCHPAT, il désigne la sentence convenable prononcée à l’égard de celui qui est jugé, n’importe que ce soit à son avantage ou à son détriment.", "En résumé, le mot ’HÉSED s’applique à ce qui est une libéralité absolue; CEDAKA se dit de tout bien que tu fais au point de vue de la vertu morale, par laquelle tu perfectionnes ton âme. Enfin, ce qu’on appelle MISCHPAT a pour résultat tantôt une punition, tantôt un bienfait. ", "Nous avons déjà exposé, en parlant de la négation des attributs (divins), que tout attribut qu’on donne à Dieu, dans les livres des prophètes, est un attribut d’action(1)Voy. le t. I, chap. LIII et LIV.. Ainsi, en tant qu’il donne l’existence à toutes choses, il est appelé ’HASSÎD(2)C’est-à-dire, on lui attribue la qualité de ’HÉSED, bonté ou libéralité. (bienfaisant); au point de vue de sa tendresse pour les êtres faibles(3)Les éditions de la version d’Ibn-Tibbon portent en général על העניינים, ce qui n’est qu’une faute d’impression pour העניים. Al-’Harîzi traduit plus exactement: ולפי חמלתו על החלושים., c’est-à-dire en tant qu’il gouverne les êtres vivants au moyen de leurs facultés, il est appelé ÇADDÎK (équitable); enfin, au point de vue des biens relatifs et des grands malheurs relatifs(4)L’auteur appelle relatifs le bien et le mal qui arrivent dans le monde, parce qu’ils n’existent que relativement aux créatures et accidentellement (voir ci-dessus, chap. XI et XII); par rapport à Dieu, il n’y a ni bien, ni mal, dans le sens absolu. qui surviennent dans l’univers et qui sont un résultat du jugement émané de la sagesse (divine), il est appelé SCHOPHET (juge). Ces trois mots se trouvent dans le texte du Pentateuque, par exemple: Est-ce que le JUGE de toute la terre, etc. (Genèse, 18, 25); il est ÉQUITABLE et juste (Deutér., 32, 4); plein de BIENVEILLANCE (Exode, 34, 6).", "En expliquant le sens de ces mots, nous avions pour but de préparer (le lecteur) au chapitre suivant." ], [ "Le mot ’HOKHMA (חכמה), dans la langue hébraïque, s’emploie dans quatre sens(1)L’auteur veut parler non-seulement du substantif חכמה, mais aussi, comme on le verra par les exemples, du verbe חכם et des adjectifs qui en dérivent. Cf. t. I, p. 6, note 1.: 1° Il se dit de la perception des vérités (philosophiques) qui ont pour dernier but la perception de Dieu, (et dans ce sens) il est dit: Mais d’où tirera-t-on la חכמה, sagesse, etc. (Job, 28, 12); si tu la recherches comme de l’argent, etc. (Prov., 2, 4), et beaucoup d’autres passages. 2° Il se dit de la possession d’un art (ou d’une industrie) quelconque, par exemple: Tous les artistes (ou industrieux, חכם לב) d’entre vous (Exode, 35, 10); et toutes les femmes industrieuses (ibid., v. 25). 3° Il s’applique à l’acquisition des vertus morales; par exemple: et afin qu’il rendît sage (ou qu’il instruisît, יחכם) ses anciens (Ps. 105, 22); dans les vieillards est la sagesse (Job, 12, 12), car ce qui s’acquiert par la seule vieillesse, c’est la disposition pour recevoir les vertus morales(2)Cf. t. I, ch. XXXIV, quatrième cause, p. 125 et suiv., et ci-dessus, p. 449. Le mot חכמה, dans le verset cité de Job, pourrait aussi se prendre dans le premier sens.. 4° Il s’emploie aussi dans le sens de finesse et de ruse; par exemple: Eh bien! usons de ruse (נתחכמה) contre lui (Exode, 1, 10). C’est dans ce sens qu’il est dit: Et il fit venir de là une femme d’esprit, אשה חכמה (II Samuel, XIV, 2), ce qui veut dire: douée de finesse et de ruse. Il en est de même de ce passage: ils sont habiles, חכמים, à faire le mal (Jérémie, 4, 22). —Il se peut que le mot ’HOKHMA, dans la langue hébraïque, ait (primitivement) le sens de finesse et d’application de la pensée, de manière que cette finesse ou cette sagacité auront pour objet tantôt l’acquisition de qualités intellectuelles, tantôt celle de qualités morales, tantôt celle d’un art pratique, tantôt les malices et les méchancetés. Ainsi il est clair que l’adjectif ’HAKHAM (חכם) s’applique à celui qui possède des qualités intellectuelles, ou des qualités morales, ou un art pratique quelconque, ou de la ruse pour les méchancetés et les malices.", "Selon cette explication, celui qui est instruit dans la Loi entière, et qui en connaît le vrai sens, est appelé ’HAKHAM à deux points de vue, parce qu’elle embrasse à la fois les qualités intellectuelles et les qualités morales. Mais, comme les vérités intellectuelles de la Loi sont admises traditionnellement, sans être démontrées par des méthodes spéculatives, il arrive que, dans les livres des prophètes et dans les paroles des docteurs, on fait de la science de la Loi une chose à part et de la science absolue une chose à part. Cette science absolue est celle qui fournit des démonstrations pour toutes ces vérités intellectuelles que nous avons traditionnellement apprises par la Loi: et, toutes les fois que les (saintes) Écritures parlent de ce que la science a de grand et de merveilleux et de la rareté de ceux qui la possèdent, — par exemple: Il n’y en a pas beaucoup qui soient sages ou savants (Job, 32, 9); d’où tirera-t-on la sagesse, ou la science (Ibid., XXVIII, 12)? et beaucoup d’autres passages semblables, — il s’agit toujours de cette science qui nous fournit la démonstration pour les idées (philosophiques) renfermées dans la Loi. Dans les paroles des docteurs, cela arrive aussi très-fréquemment, je veux dire qu’ils font de la science de la Loi une chose à part et de la philosophie une chose à part. Ainsi, par exemple, ils disent de Moïse qu’il était «père de la Loi, père de la science et père des prophètes(1)Voy. le Talmud de Babylone, traité Meghillâ, fol. 13 a. Il résulte de ce passage que les docteurs attribuent à Moïse, non-seulement la Loi, mais aussi la science, et que la science ou la philosophie est une chose à part.»; et, quand il est dit de Salomon: Il était plus sage (savant) que tous les hommes (I Rois, 4, 31, ou V, 11), les docteurs remarquent: «mais non (plus savant) que Moïse(1)Cf. Talmud de Babylone, traité Rosch haschana, fol. 21 b: ביקש קהלת להיות כמשה יצתה בת קול ואמרה לו ולא קם נביא עוד בישראל כמשה. Ailleurs, cependant, il est dit que Hemân, l’un des personnages que Salomon surpassait en sagesse, est Moïse: הימן זה משה. Voy. Tan’houma, section חקת (édit. de Vérone, fol. 77, col. 1).» [car, en disant: plus que tous les hommes, on veut parler seulement de ses contemporains; c’est pourquoi on mentionne Hemân, Calcol et Dardâ, fils de Ma’hol, qui étaient alors célèbres comme savants]. ", "Les docteurs disent encore qu’on exige de l’homme d’abord la science de la Loi, ensuite la science (philosophique), et enfin la connaissance de la tradition qui se rattache à la Loi, c’est-à-dire de savoir en tirer des règles pour sa conduite(2)Mot à mot: d’en faire sortir ce qu’il doit faire.. Tel doit être l’ordre successif des études: d’abord on doit connaître les idées en question traditionnellement, ensuite on doit savoir les démontrer, et enfin on doit se rendre un compte exact des actions qui constituent une bonne conduite(3)Cf. le t. Ier, Introduction, p. 13.. Voici comment ils s’expriment sur les questions qui sont successivement adressées à l’homme au sujet de ces trois choses: «Lorsque l’homme se présente devant le tribunal (céleste), on lui demande d’abord: As-tu fixé certaines heures pour l’étude de la Loi? As-tu discuté sur la science? As-tu appris à comprendre les sujets les uns par les autres(4)Voy. Talmud de Babylone, traité Schabbath, fol. 31 a.?» Il est donc évident que, selon eux, la science de la Loi est une chose à part et la philosophie une chose à part; celle-ci consiste à confirmer les vérités de la Loi au moyen de la spéculation vraie. ", "— Après tous ces préliminaires, écoute ce que nous allons dire. Les philosophes anciens et modernes ont exposé qu’on trouve à l’homme quatre espèces de perfections(5)Voy. Éthique à Nicomaque, liv. I, chap. 8 et suiv., où Aristote parle de trois espèces de biens, dont l’une, embrassant les biens de l’âme, est comptée ici par Maïmonide pour la 3e et la 4e espèces: celle-là embrassant les qualités morales, celle-ci, les qualités intellectuelles.:", "La première espèce, qui a le moins de valeur, mais à laquelle les habitants de la terre emploient toute leur vie, c’est la perfection en fait de possession; elle renferme ce que l’homme possède en fait de biens, de vêtements, de meubles, d’esclaves, de terres, etc, et même l’obtention de la dignité royale appartient à cette espèce. C’est là une perfection qui ne se rattache en rien à la personne; ce n’est qu’un certain rapport qui ne procure à l’homme tout au plus qu’une jouissance imaginaire, celle de dire: cette maison est à moi, cet esclave est à moi, cette fortune est à moi, ces troupes sont à moi. Mais s’il considère sa personne, il trouvera que tout cela est en dehors de son essence et que chacune de ses possessions est en elle-même ce qu’elle est; c’est pourquoi, lorsque ce rapport cesse, il se trouve(1)Le verbe , qui signifie proprement être matinal, a ici le sens de factus est, evasit; Ibn-Tibbon traduit: ישכים האיש ההוא. Le verbe השכים, dans le langage biblique, s’emploie quelquefois dans le même sens; une construction tout à fait analogue à notre passage se trouve II Rois, 19, 35, et Isaïe, 37, 36: וישכימו בבקר והנה כלם פגרים מתים. qu’il n’y a pas de différence entre celui qui était un grand roi et le plus vil des hommes, sans qu’aucune des choses qui étaient en rapport avec lui subisse un changement. Les philosophes ont exposé que celui dont tous les efforts tendent à obtenir ce genre de perfection ne se fatigue que pour une chose purement imaginaire; car c’est une chose qui n’a pas de stabilité, et dût même cette possession lui rester toute sa vie, il ne lui en arriverait aucune perfection dans son essence.", "La deuxième espèce se rattache, plus que la première, à l’essence de la personne; c’est la perfection dans la conformation et la constitution du corps, je veux dire que le tempérament de la personne soit d’une extrême égalité et que ses membres soient proportionnés et aient la force nécessaire. Cette espèce de perfection ne peut pas non plus être adoptée pour but final; car c’est une perfection corporelle que l’homme ne possède pas en tant qu’homme, mais en tant qu’animal, et qu’il a en commun avec les plus vils des animaux. D’ailleurs, quand même la force d’un individu humain serait arrivée au dernier terme, elle n’atteindrait pas encore celle d’un mulet vigoureux et, à plus forte raison, celle d’un lion ou celle d’un éléphant. Par cette perfection, selon ce que nous venons de dire(1)Mot à mot: comme nous l’avons mentionné ou dit; mais, l’auteur n’ayant parlé nulle part, que nous sachions, de ce degré suprême des forces corporelles de l’homme, nous croyons qu’il veut parler de ce qui précède immédiatement, et nous avons un peu modifié la traduction des mots כמא דׄכרנא., on arrive tout au plus à porter une lourde charge ou à briser un os solide, ou à faire d’autres choses semblables, dans lesquelles il n’y a pas de grande utilité pour le corps; quant aux avantages pour l’âme, cette espèce (de perfection) n’en a absolument aucun.", "La troisième espèce est, plus que la deuxième, une perfection dans l’essence de l’homme; c’est la perfection des qualité morales, ce qui veut dire que les mœurs de tel homme sont bonnes au plus haut point. La plupart des commandements n’ont d’autre but que de nous faire arriver à cette espèce de perfection. Mais celle-ci n’est elle-même qu’une préparation à une autre perfection, et elle n’est pas une fin en elle-même. En effet, toutes les vertus morales ne concernent que les relations des hommes entre eux, et la perfection morale que possède un homme ne fait en quelque sorte que le disposer à être utile aux autres, de sorte qu’il devient par là un instrument qui sert aux autres. Si, par exemple, tu supposes un individu humain isolé, n’ayant affaire à personne, tu trouveras que toutes ses vertus morales sont vaines et oiseuses, qu’il n’en a pas besoin et qu’elles ne perfectionnent sa personne en rien; il n’en a besoin et n’en tire profit qu’à l’égard des autres(2)Ibn-Tibbon rend les mots באעתבאר אלגיר par עם זולתו, ce qui manque de clarté; il aurait dû dire: בבחינת זולתו..", "La quatrième espèce est la véritable perfection humaine; elle consiste à acquérir les vertus intellectuelles, c’est-à-dire à concevoir des choses intelligibles qui puissent nous donner des idées saines sur les sujets métaphysiques. C’est là la fin dernière (de l’homme), qui donne à l’individu humain une véritable perfection; elle appartient à lui seul, c’est par elle qu’il obtient l’immortalité, et c’est par elle que l’homme est (réellement) homme. Si tu considères chacune des trois perfections précédentes, tu trouveras qu’elles profitent à d’autres et non à toi(1)C’est-à-dire: qu’elles profitent à d’autres, mais non à celui qui les possède, puisqu’elles ne contribuent pas à perfectionner sa véritable essence., quoique, selon les idées vulgaires, elles profitent nécessairement à toi et aux autres(2)C’est-à-dire, celui qui les possède en partage tout au moins le bénéfice avec les autres personnes. Ibn-Tibbon, sans doute pour rendre la phrase plus claire, a ajouté les mots גם לך. D’après le texte arabe, il faudrait מבלעדי היותם לך ולזולתך.; mais cette dernière perfection profite à toi seul, et aucun autre n’en partage avec toi le bénéfice: qu’elles soient à toi seul, etc. (Prov., 5, 17)(3)Ce passage des Proverbes n’a aucun rapport avec le sujet traité ici; mais il faut se rappeler que l’auteur aime à appliquer à ses idées des passages bibliques et qu’il allégorise notamment une grande partie des proverbes de Salomon, dans lesquels il voit des allégories, tantôt de la matière première, tantôt des diverses qualités morales et intellectuelles. Cf. le t. I, p. 19 et suiv., et ci-dessus, chap. VIII, p. 49.. C’est pourquoi il faut que tu sois avide d’obtenir cette chose qui reste à toi, et que tu ne te donnes ni fatigues, ni peine, pour ce qui profite à d’autres, en négligeant ton âme, de manière que son éclat soit terni par la prépondérance des facultés corporelles(4)Littéralement: ô toi, qui négliges ton âme, de manière que sa blancheur soit noircie, les facultés corporelles prenant le dessus sur elle.. C’est dans ce sens qu’il est dit, au commencement de ces allégories poétiques, composées sur ces sujets: Les fils de ma mère étaient irrités contre moi, ils m’ont chargée de garder les vignes; mais ma vigne à moi, je ne l’ai point gardée (Cantique des Cantiques, I, 6). C’est dans le même sens encore qu’il est dit: de peur que tu ne livres à d’autres ton éclat, et tes années au tyran (Proverbes, V, 9).", "Les prophètes aussi nous ont exposé ces mêmes sujets et nous les ont expliqués, comme les ont expliqués les philosophes, en nous déclarant que ni la possession, ni la santé, ni les mœurs, ne sont des perfections dont il faille se glorifier et qu’on doive désirer, et que la seule perfection qui puisse être l’objet de notre orgueil et de nos désirs, c’est la connaissance de Dieu, laquelle est la vraie science. Jérémie s’exprime ainsi au sujet de ces quatre perfections: Ainsi a parlé l’Éternel: Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, que le fort ne se glorifie pas de sa force, que le riche ne se glorifie pas de ses richesses; mais ce dont il est permis de se glorifier, c’est de l’intelligence et de la connaissance qu’on a de moi (Jérémie, 9, 22-23). Tu remarqueras comme il a énuméré ces choses d’après le degré de valeur que leur attribue le vulgaire(1)C’est-à-dire, en commençant par ce qui, aux yeux du vulgaire, a le moins d’importance, et en passant successivement de la qualité moins appréciée à celle qui l’est davantage.. En effet, ce qui, pour le vulgaire, est la plus grande perfection, c’est d’être riche; être fort est une qualité moindre, et ce qui est encore moins apprécié (par la foule), c’est le sage, c’est-à-dire celui qui possède de bonnes mœurs(2)Nous avons dû nous écarter un peu de la traduction littérale de ce passage, où l’auteur emploie les expressions de Jérémie d’une manière peu régulière.. Cependant celui-ci également est honoré par le vulgaire, auquel est adressé le discours (du prophète). Voilà pourquoi il les a énumérés dans cet ordre.", "Les docteurs aussi ont compris ce verset dans le sens des idées que nous venons de présenter, et ils ont dit clairement ce que je t’ai exposé dans ce chapitre, à savoir: que partout où l’on parle de la sagesse (’HOKHMA) par excellence, qui est la fin dernière, il s’agit de la connaissance de Dieu; que les trésors si ardemment désirés(1)Les mots sont rendus dans la version d’Ibn-Tibbon par ושאלו הקנינים … שישימם סגולתו. Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 137) traduit littéralement: ושזה הקנין … מהמטמונים שיתפארו בהם; seulement le verbe signifie: ardemment désirer une chose, et non pas: se glorifier d’une chose (שיתפארו בהם). que possède l’homme, et par lesquels il croit devenir parfait, ne sont pas la perfection; et qu’enfin toutes les pratiques de la religion, c’est-à-dire les différentes cérémonies du culte, et de même les mœurs utiles aux hommes en général dans leurs relations mutuelles, — que tout cela (dis-je) ne se rattache pas à cette fin dernière et n’a pas le même prix, mais que ce ne sont là que des choses préparatoires pour arriver à cette fin. ", "Écoute leurs propres termes, par lesquels ils expriment ces idées; c’est un passage du Bereschith Rabbâ, où on lit ce qui suit: «Un texte dit (de la sagesse): tous les objets désirables sont loin de la valoir (Prov., 8, 11), et un autre texte dit: tous les objets de tes désirs sont loin de la valoir (Ibid., 3, 15); par objets désirables, on désigne la pratique des commandements et les bonnes œuvres; par objets de tes désirs, les pierres précieuses et les perles; ni les objets désirables, ni les objets de tes désirs, ne valent la sagesse. Mais ce dont il est permis de se glorifier, c’est de l’intelligence et de la connaissance qu’on a de moi (Jérémie, 9, 25)(2)Voy. Bereschith rabba, sect. 35 fin (fol. 31, col. 2)..» Tu remarqueras combien ces paroles sont concises et combien leur auteur était parfait, n’ayant rien omis de tout ce que nous avons dit et présenté par une longue exposition et de longs préliminaires.", "Après avoir parlé de ce verset (de Jérémie) et des idées remarquables qu’il renferme, et après avoir mentionné ce que les docteurs ont dit à ce sujet, nous allons en compléter le contenu: En exposant, dans ce verset, quelle est la plus noble des fins, le prophète ne s’est pas borné à (indiquer comme telle) la connaissance de Dieu [car si tel avait été son but, il aurait dit: mais ce dont il est permis de se glorifier, c’est de l’intelligence et de la connaissance qu’on a de moi, et il se serait arrêté là; ou bien, il aurait dit: c’est de l’intelligence et de la connaissance qu’on a de moi (sachant) que je suis un, ou que je n’ai pas de figure, ou qu’il n’y en a pas de semblable à moi, ou d’autres choses semblables]; mais il a dit: «ce dont on peut se glorifier, c’est de me comprendre et de connaître mes attributs,» voulant parler des actions de Dieu, comme nous l’avons exposé au sujet de ces mots: Fais-moi donc connaître tes voies, etc. (Exode, 33, 13)(1)Voy. le t. I, chap. LIV, p. 217 et suiv.. Il nous a donc déclaré dans ce verset que ces actions qu’il faut connaître et prendre pour modèle sont ’HÉSED (la bienveillance), MISCHPAT (la justice) et CEDAKA (l’équité). ", "Il ajoute ensuite une autre idée essentielle, en disant: בארץ, sur la terre, et cette idée est le pivot de la religion. Car il n’en est pas, comme le soutiennent les mécréants(2)Proprement: les démolisseurs, ou destructeurs, ceux qui renversent les opinions religieuses., qui croient que la Providence divine s’arrête à la sphère de la lune et que la terre, avec tout ce qui s’y trouve, est négligée par Dieu: L’Éternel a abandonné la terre (Ézéchiel, IX, 9(3)Voy. ci-dessus, chap. XVII (2e opinion), p. 116-119.; mais au contraire, ainsi qu’il nous a été déclaré par le prince des savant(4)Voy. le t. I, p. 216, note 2., la terre est à l’Éternel (Exode, 9, 29), ce qui veut dire que la terre aussi, à certains égards, est l’objet de la Providence, comme l’est le ciel à d’autres égards(5)Plus littéralement: que sa Providence s’étend aussi sur la terre en ce qui la concerne, comme il (Dieu) veille sur le ciel en ce qui le concerne. Pour bien se rendre compte du mot בחסבהא, en ce qui la (le) concerne, il faut se rappeler ce que l’auteur a dit plus haut en parlant de l’opinion d’Aristote: «Il croit que la Providence correspond à la nature des êtres; par conséquent, les sphères célestes et les corps qu’elles renferment étant permanents, ce qui constitue la Providence à leur égard, c’est de rester toujours invariablement dans le même état, etc. (p. 116-117).» L’opinion d’Aristote est partagée jusqu’à un certain point par l’auteur (ibid., p. 130).. Tel est le sens de ces paroles (de Jérémie): car je suis l’Éternel exerçant la bienveillance, la justice et la vertu SUR LA TERRE. Ensuite, il complète son idée en disant: car c’est à ces choses que je prends plaisir, dit l’Éternel, ce qui veut dire: «c’est mon intention que la bienveillance, la vertu et la justice émanent de vous sur la terre,» selon ce que nous avons exposé au sujet des treize attributs de Die(1)Voy. le t. I, chap. LIV, p. 218., à savoir que nous devons avoir pour but de les imiter et de régler d’après eux notre conduite. Ainsi, ce qu’il avait pour dernier but d’exprimer par ce verset, c’était de déclarer que la perfection dont l’homme peut réellement se glorifier, c’est d’avoir acquis(2)Tous les mss. ont distinctement: , et cette leçon est confirmée par Ibn-Falaquéra (Moré ha-Moré, p. 139), qui traduit: הוא המשיג. La construction de la phrase demandait plus régulièrement: ., selon sa faculté, la connaissance de Dieu et d’avoir reconnu sa Providence veillant sur ses créatures et se révélant dans la manière dont il les produit et les gouverne(3)Les mss. ar. ont généralement: כיף הו, et de même Ibn-Falaquéra (l. c.): איך הוא. Ce pronom masculin se rapporte à chacun des deux mots איגׄאד et תרביר. Ibn-Tibbon et Al-’Harîzi ont איך היא, et selon eux le pronom se rapporte à ענאיתה.. Un tel homme, après avoir acquis cette connaissance, se conduira toujour(4)Littéralement: La conduite de cet homme sera… de viser toujours, etc. Ibn-Tibbon a un peu abrégé cette phrase en la rattachant, comme suite, à la phrase précédente: וללכת אחרי ההשגה ההיא בדרכים וגו׳. de manière à viser à la bienveillance, à l’équité et à la justice, en imitant les actions de Dieu, ainsi que nous l’avons exposé à diverses reprises dans ce traité.", "Voilà toutes les questions que j’ai cru devoir aborder dans ce traité, et dont le développement m’a paru très-utile pour des hommes comme toi. J’espère qu’avec une méditation approfondie tu comprendras bien tous les sujets que j’y ai traités avec l’aide de Dieu. ", "Puisse-t-il accomplir pour nous et pour tous nos frères, les Israélites, cette promesse qu’il nous a faite: Alors les yeux des aveugles se dessilleront et les oreilles des sourds s’ouvriront (Isaïe, 35, 5); Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière; ceux qui demeuraient au pays des ombres de la mort ont été environnés d’une vive clarté (Ibid., 9, 1). Amen.", "Dieu est proche de tous ceux qui l’invoquent avec sincérité, sans se détourner. Il se laisse trouver par tous ceux qui le cherchent, et qui marchent droit devant eux sans s’égarer.", "FIN DE LA TROISIÈME ET DERNIÈRE PARTIE DU GUIDE DES ÉGARÉS." ] ] } }, "schema": { "heTitle": "מורה נבוכים", "enTitle": "Guide for the Perplexed", "key": "Guide for the Perplexed", "nodes": [ { "heTitle": "פתיחת אבן תיבון", "enTitle": "Introduction of Ibn Tibon" }, { "heTitle": "איגרת אל ר' יוסף ש\"ץ ב\"ר יהודה", "enTitle": "Letter to R Joseph son of Judah" }, { "heTitle": "פתיחת הרמב\"ם", "enTitle": "Prefatory Remarks" }, { "heTitle": "חלק א'", "enTitle": "Part 1", "nodes": [ { "heTitle": "הקדמה", "enTitle": "Introduction" }, { "heTitle": "", "enTitle": "" } ] }, { "heTitle": "חלק ב'", "enTitle": "Part 2", "nodes": [ { "heTitle": "הקדמה", "enTitle": "Introduction" }, { "heTitle": "", "enTitle": "" } ] }, { "heTitle": "חלק ג'", "enTitle": "Part 3", "nodes": [ { "heTitle": "הקדמה", "enTitle": "Introduction" }, { "heTitle": "", "enTitle": "" } ] } ] } }